N° 334
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 février 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse,
Par Mme Agnès CANAYER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
1983, 2070 et T.A. 233 |
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Sénat : |
299 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 30 janvier 2024 tend à inscrire l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. Son article unique consacrerait, à l'article 34 de la Constitution, « la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Cette initiative du Gouvernement fait suite à l'examen par le Parlement d'une proposition de loi constitutionnelle similaire, adoptée successivement dans les deux chambres dans des termes différents1(*).
Comme les nombreuses propositions de lois constitutionnelles qui l'ont précédé, ce texte vient en réaction à la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022 qui a renversé une jurisprudence accordant à l'avortement une protection constitutionnelle au niveau fédéral.
La rapporteure a maintenu son analyse quant à l'inopportunité d'importer en France un débat juridique lié à la nature fédérale des États-Unis et à l'inutilité de la révision proposée au regard de la protection très solide que le droit positif français accorde déjà à cette liberté de la femme.
Elle s'est interrogée sur la formulation choisie de « liberté garantie » et sur l'absence d'inscription simultanée de la liberté de conscience des professionnels de santé dans la Constitution, dans la ligne du compromis opéré par la loi Veil de 1975.
Elle a toutefois considéré que le vote du Sénat du 1er février 2023 exprimant le souhait d'une majorité de sénateurs de faire figurer l'IVG dans la Constitution devait être pris en compte.
Dans l'attente des amendements qui pourraient être déposés pour la séance publique, la commission a pris acte du projet de loi constitutionnelle.
I. UNE CONSTITUTIONNALISATION QUI RESTE INOPPORTUNE ET INUTILE
A. LA PROTECTION JURIDIQUE DE L'IVG EST D'ORES ET DÉJÀ TRÈS SOLIDE
L'IVG est inscrite dans le droit positif à l'article L. 2212-1 du code de la santé publique qui dispose que : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse (...) ».
La liberté de la femme d'avorter est aujourd'hui pleinement protégée par la loi portée par Simone Veil en 19752(*), qui fait aujourd'hui partie intégrante de notre patrimoine juridique, et auquel le Sénat s'est toujours montré fortement attaché.
Depuis, l'accès à l'IVG n'a jamais cessé d'être conforté par le législateur : allongements successifs des délais, élargissement des praticiens pratiquant des IVG, amélioration de la prise en charge financière, suppression du critère de « situation de détresse » ou encore du délai de réflexion préalable.
Certes, le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré de droit constitutionnel à l'avortement en tant que tel, mais il l'a toujours jugé conforme à la Constitution, les quatre fois où il s'est prononcé sur le sujet en 1975, 2001, 2014 et 2016. De surcroît, il rattache, depuis sa décision du 27 juin 20013(*), l'interruption volontaire de grossesse à la liberté de la femme, découlant du principe général de liberté posé à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qu'il concilie avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation4(*).
B. L'IVG N'EST PAS MENACÉE EN FRANCE
L'existence en France d'une menace réelle au recours à l'IVG n'est pas démontrée, aucun parti politique n'ayant notamment, à la connaissance de la rapporteure, jamais remis en question le principe de l'IVG. Le Gouvernement reconnaît lui-même que « cette liberté n'est pas aujourd'hui directement menacée ou remise en cause, hormis par quelques courants de l'opinion heureusement très minoritaires »5(*).
À cet égard, la situation institutionnelle en France n'est en rien comparable avec celle des États-Unis, où la Cour suprême a renvoyé aux États fédérés la compétence pour légiférer sur l'avortement dans son arrêt Dobbs v. Jackson rendu le 24 juin 20226(*). La France est une République indivisible dans laquelle le législateur national dispose d'une plénitude de compétence et les lois sont les mêmes pour tous.
Le comité présidé par Simone Veil en décembre 2008 n'avait d'ailleurs pas recommandé de modifier le Préambule ni d'intégrer à la Constitution de droits et libertés liés à la bioéthique, laquelle intégrait l'IVG, et refusait aussi d'y « inscrire des dispositions de portée purement symbolique ».
C. UNE CONSTITUTIONNALISATION NE RÉSOUDRAIT AUCUNEMENT LES PROBLÈMES D'ACCÈS À L'IVG
La constitutionnalisation ne permettrait pas de résoudre la question de l'effectivité de l'accès à l'IVG, qui est la seule à même de garantir la liberté de la femme à y recourir. La commission a pleinement conscience des difficultés d'accès, d'ailleurs déjà relevées par la commission des affaires sociales7(*) et la délégation aux droits des femmes du Sénat8(*), qui peuvent exister pour les femmes souhaitant avorter.
Il est anormal que certaines femmes souhaitant recourir à une IVG ne puissent le faire dans de bonnes conditions, en particulier dans certains territoires.
D. LE CHANGEMENT DE NATURE DE LA CONSTITUTION SERAIT DOMMAGEABLE
La Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas été conçue pour qu'y soient intégrées toutes les déclinaisons des droits et libertés énoncés de manière générale dans son Préambule.
De plus, comme l'avait déjà relevé la rapporteure, pourquoi alors se limiter à l'IVG et ne pas constitutionaliser d'autres manifestations de la liberté qui n'ont pas, non plus, en tant que telle, valeur constitutionnelle, comme le mariage pour les personnes de même sexe ou d'autres droits liés à la santé ou la bioéthique ?
II. UN PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE QUI LAISSE DES QUESTIONS EN SUSPENS
A. UNE RÉDACTION PROCHE DE CELLE DU SÉNAT SANS ÊTRE IDENTIQUE
Lors du vote le 1er février 2023, la majorité des sénateurs s'est clairement exprimée en faveur de la constitutionnalisation de l'IVG en votant l'amendement présenté par Philippe Bas9(*).
Le projet de loi n'en reprend pas les termes, mais est présenté par le Gouvernement comme « un juste équilibre entre les positions du Sénat et de l'Assemblée nationale », une forme de « troisième lecture » selon les mots du garde des Sceaux.
La rédaction proposée, suggérée par le Conseil d'État dans son avis préalable10(*), se rapproche de celle adoptée par le Sénat dans la mesure où :
- une « liberté » serait consacrée et non un droit ; le Conseil d'État relève que cette terminologie était celle employée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions relatives à l'IVG ;
- la disposition nouvelle serait insérée à l'article 34, consacrant ainsi le rôle du Parlement dans la détermination des conditions dans lesquelles s'exerce cette liberté ; le Conseil d'État a considéré que ce choix n'est pas inadéquat et qu'aucun autre emplacement n'apparaît préférable.
Ce qui distingue la rédaction proposée par le Gouvernement de la rédaction adoptée par le Sénat consiste en l'ajout des termes « garantie » et « interruption volontaire de grossesse ».
B. UNE RÉDACTION QUI LAISSE SUBSISTER DES QUESTIONNEMENTS QUANT À SA PORTÉE RÉELLE
Selon le Conseil d'État, cette rédaction maintiendrait un statu quo et poursuivrait l'objectif « d'encadrer l'office du législateur afin qu'il ne puisse interdire tout recours à l'interruption volontaire de grossesse ni en restreindre les conditions d'exercice de façon telle qu'il priverait cette liberté de toute portée ».
Toutefois, le terme « garantie » - qui ne figurait pas dans la version votée par le Sénat - semble inutile dans la mesure où, en application de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ». L'ajout de ce terme interroge donc sur la portée juridique qui pourrait y être attachée et l'interprétation que pourrait en faire le Conseil constitutionnel, qui ne s'estime lié ni par les avis du Conseil d'État ni par les débats parlementaires.
Se pose également la question de la liberté de conscience des professionnels de santé, qui était l'un des deux éléments qui faisaient de la loi Veil une loi de compromis, l'autre élément étant la situation de détresse des patientes, supprimée depuis 2014. Ainsi que l'a rappelé le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)11(*) : « la clause de conscience spécifique souligne la singularité de l'acte médical que représente l'IVG ».
Or, pas plus que la liberté de la femme de recourir à l'IVG, la liberté de conscience des professionnels de santé n'est aujourd'hui consacrée en tant que telle dans la Constitution. Si la première découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la seconde découle de son article 1012(*). Il semble donc discutable de n'inscrire dans la Constitution qu'une seule de ces deux libertés.
*
* *
Dans l'attente du débat qui se tiendra en séance publique, la commission a pris acte du projet de loi constitutionnelle.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article
unique
Constitutionnalisation de la liberté de recourir
à
l'interruption volontaire de grossesse
L'article unique du projet de loi constitutionnelle vise à inscrire dans la Constitution « la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Cette initiative du Gouvernement fait suite à l'examen par le Parlement d'une proposition de loi constitutionnelle similaire, adoptée successivement dans les deux chambres dans des termes différents13(*).
Comme les nombreuses propositions de lois constitutionnelles déposées au Sénat et à l'Assemblée nationale entre juin et octobre 2022, le projet de loi paraît motivé par la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022 qui a jugé que la règlementation de l'avortement relevait de la compétence des États fédérés et a ainsi renversé une jurisprudence accordant à l'avortement une protection constitutionnelle au niveau fédéral14(*).
Sans remettre en cause ses analyses précédentes, qui concluaient, en particulier, à l'inopportunité d'importer en France un débat juridique lié à la nature fédérale des États-Unis et à l'inutilité de la révision proposée au regard de la protection très solide que le droit positif français accorde déjà à cette liberté de la femme, la commission a considéré que le vote du Sénat du 1er février 2023 devait la conduire à prendre acte du souhait exprimé par la majorité des sénateurs d'une constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG).
Sous les réserves énoncées, et dans l'attente des amendements qui pourraient être déposés pour la séance publique, la commission a décidé de de prendre acte du texte qui est proposé par le Gouvernement.
1. Rappel du contexte du projet de loi constitutionnelle : une remise en cause de l'avortement dans certains pays, une protection juridique solide en France
a) Un revirement important de jurisprudence aux États-Unis sur la réglementation de l'avortement, qui résulte d'une lente évolution
Dans l'arrêt Dobbs v. Jackson du 24 juin 202215(*), la Cour suprême des États-Unis a procédé à un revirement important en annulant la jurisprudence Roe v. Wade du 22 janvier 1973 qui faisait de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) un droit garanti à l'échelle fédérale - et ce faisant sur l'ensemble du territoire américain - sous le contrôle de la Cour suprême.
Comme l'a relevé Élisabeth Zoller, professeur émérite en droit public de l'université Panthéon-Assas précédemment entendue par la rapporteure16(*), par l'arrêt Dobbs, la Cour suprême n'interdit pas l'IVG en tant que telle17(*), mais se retire de ce contentieux et laisse la matière entièrement sous le contrôle des États fédérés : « Nous décidons que la Constitution [fédérale] ne confère pas un droit à l'avortement. Roe et Casey18(*) doivent être renversés et le pouvoir de réglementer l'avortement doit être retourné au peuple et à ses représentants élus [dans les États] »19(*). Ce faisant, la Cour retient une triple analyse textuelle, historique (« originaliste ») et structurelle de la Constitution des États-Unis, qui impose de rechercher la volonté des pères fondateurs et exclut de protéger un droit qui ne peut y trouver de fondement exprès, considérant qu'il n'est pas « enraciné dans l'histoire américaine »20(*).
Dans l'arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 197321(*), la Cour suprême des États-Unis avait au contraire considéré que la clause de procédure régulière figurant au Quatorzième amendement à la Constitution (« Due Process Clause »)22(*) qui protège contre toute action de l'État le droit à la vie privée (Right of privacy) au nom de la liberté, incluait le droit d'une femme de poursuivre ou non sa grossesse. Les intérêts de la femme enceinte devaient toutefois être mis en balance avec les intérêts des États dans la protection du potentiel de vie humaine, en particulier lorsque le foetus est viable23(*).
L'arrêt Dobbs intervient au terme d'une évolution lente mais prévisible. La Cour suprême avait ainsi reconnu aux États fédérés dès la fin des années 1980 une marge de manoeuvre accrue dans la détermination des conditions de recours à l'avortement. Elle avait par exemple validé une loi très restrictive du Missouri interdisant notamment aux médecins du secteur public de pratiquer un avortement si le foetus était estimé viable dans un arrêt Webster v. Reproductive health services24(*) du 3 juillet 1989. Dans un célèbre arrêt Casey du 29 juin 199225(*), la Cour avait par ailleurs admis des aménagements à l'exercice du droit à l'avortement afin de tenir compte des intérêts légitimes des États, et permettant des mesures restrictives dès le premier trimestre de grossesse.
Dès lors, si certains États avaient déjà largement libéralisé le droit à l'avortement, d'autres n'avaient cessé de le restreindre. L'évolution de la composition de la Cour suprême a, pour ainsi dire, parachevé cette tendance trouvant son aboutissement dans la décision Dobbs du 24 juin 2022.
Depuis cette décision, quatorze des cinquante États fédérés ont interdit de manière absolue l'IVG (Alabama, Arkansas, Dakota du Nord, Dakota du Sud, Idaho, Kentucky, Louisiane, Mississipi, Missouri, Oklahoma, Tennessee, Texas, Virginie occidentale et Wisconsin)26(*). À terme, selon Mathilde Philip-Gay, professeur de droit public à l'Université de Lyon III - Jean Moulin et co-directrice du centre de droit constitutionnel, précédemment entendue, près de la moitié des États pourraient procéder de la même manière.
Parallèlement, vingt États et le district de Colombia, c'est-à-dire Washington DC, ont au contraire établi de nouvelles protections législatives ou constitutionnelles pour le droit à l'avortement, ainsi que l'a précisé Anne Légier, docteure en civilisation américaine lors du colloque sur l'accès à l'avortement dans le monde organisé par la délégation aux droits des femmes du Sénat27(*).
b) Une situation majoritairement favorable à l'avortement dans l'Union européenne, mais plus contrastée dans le monde
Ainsi que la rapporteure l'avait relevé dans son précédent rapport, la situation est bien différente en Europe où l'arrêt Dobbs a même incité deux États à modifier leur législation dans un sens plus favorable : en octobre 2022, la Finlande a adopté une loi autorisant l'avortement sans besoin de justification de la part de la femme28(*) et, en juin 2023, Malte l'a autorisé pour la première fois, sous des conditions très restrictives29(*).
Aujourd'hui, l'ensemble des vingt-sept États de l'Union européenne (UE) autorisent désormais l'IVG.
Dans vingt-cinq pays, l'avortement est autorisé sans conditions. Le délai maximal pour avorter varie de 10 semaines d'aménorrhée au Portugal à 24 semaines aux Pays-Bas, ce délai étant de 12 semaines dans plus de la moitié des pays. Deux pays autorisent l'IVG dans des conditions très restrictives :
- à Malte, les femmes ne peuvent avorter que si leur vie est en danger et que le foetus n'est pas viable ;
- en Pologne, le recours à l'IVG est limité aux cas de viol ou de danger pour la vie de la mère30(*) .
La Hongrie tend également à restreindre ce droit puisque les femmes souhaitant avorter sont contraintes d'écouter les battements de coeur du foetus depuis le 15 septembre 2022. D'autres pays ont légalisé l'IVG bien plus tardivement que la France : le Portugal depuis 200731(*) et l'Irlande depuis 201932(*).
Dans le reste du monde, la situation est plus contrastée33(*).
Près d'une vingtaine de pays dans le monde interdisent l'avortement : en Afrique34(*), en Amérique du Sud35(*), en Europe36(*) et en Asie37(*). Dans d'autres pays, l'IVG n'est accessible qu'en cas de danger pour la vie de la femme38(*) ; ou en cas de viol, de risque pour la mère ou de grave malformation du foetus39(*). Certains États ont inscrit ces interdictions ou restrictions dans leur Constitution comme le Honduras40(*) et la Somalie41(*), le plus souvent au nom du droit à la vie, parfois avec des exceptions, comme en Eswatini42(*) ou au Kenya.
Selon Amandine Clavaud, directrice de l'Observatoire de l'égalité hommes-femmes de la Fondation Jean-Jaurès, l'avortement est autorisé dans seulement 77 pays et complètement interdit dans 22 pays43(*).
Aucun État n'a explicitement fait référence à l'IVG dans sa Constitution, sauf pour l'interdire.
En revanche, comme l'a développé Diane Roman, professeur de droit public à l'École de droit de la Sorbonne, précédemment citée par la rapporteure44(*), deux États - la Slovénie45(*) et l'Afrique du Sud46(*) - ont consacré dans leur Constitution des notions plus larges pouvant inclure l'IVG : le droit de choisir d'être parents d'une part ; les droits « sexuels et reproductifs » et le droit de disposer librement de son corps d'autre part. Dans d'autres États, l'IVG a valeur constitutionnelle (Népal ou certains États fédérés des États-Unis).
c) Une protection juridique de l'interruption volontaire de grossesse solide et durable en France
L'interruption volontaire de grossesse (IVG) a été légalisée par la loi n° 75-17 du 17 janvier 197547(*) portée par Simone Veil, alors ministre de la santé, qui suspendait pendant cinq ans son caractère délictuel dans certaines conditions, notamment de délai48(*). C'est en 1979 qu'a été supprimé le caractère temporaire de cette législation49(*).
L'accès à l'IVG n'a jamais cessé d'être renforcé depuis :
- elle est remboursée à 100 % depuis 201350(*) ;
- la femme mineure peut y recourir sans le consentement d'un adulte depuis 200151(*) ;
- la notion de « situation de détresse » dans laquelle se trouve la femme enceinte a été supprimée en 201452(*). Le législateur n'avait toutefois jamais entendu limiter l'accès à l'IVG par cette formule, ni permettre à une autre personne que la femme elle-même de décider si elle se trouve dans cette situation. La loi a d'ailleurs été interprétée de manière constante selon cette orientation par le juge53(*) ;
- le délai obligatoire de réflexion d'une semaine préalable à une IVG a également été supprimé en 201654(*).
L'article L. 2212-1 du code de la santé publique prévoit donc aujourd'hui que : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse (...) ».
Après être passé de dix à douze semaines de grossesse en 200155(*), le délai dans lequel une IVG peut être pratiquée a de nouveau été allongé à quatorze semaines56(*) par la loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement. L'IVG peut en outre, par dérogation, être pratiquée à tout moment pour un motif médical, sur décision de deux médecins, en cas de risque grave pour la santé de la femme ou de l'enfant57(*).
Compromis issu de la loi Veil de 1975, les personnels médicaux disposent d'une clause de conscience. Ainsi, « un médecin ou une sage-femme58(*) n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse », aux termes de l'article L. 2212-8 du code de la santé publique. Ils doivent toutefois en informer sans délai la patiente et lui communiquer le nom de professionnels susceptibles de réaliser l'IVG.
Sur le plan pénal, l'IVG est considérée comme une infraction délictuelle pour le professionnel qui la pratique lorsque les conditions posées par la loi ne sont pas réunies, notamment lorsqu'elle est réalisée au-delà du délai prévu par la loi59(*) ou sans le consentement de l'intéressée60(*). Le délit d'entrave à l'IVG, conçu en 199361(*) par le législateur pour réprimer les comportements dont l'objectif est d'empêcher l'accès à l'IVG, a également été étendu en 2017 pour sanctionner les discours hostiles sur internet62(*).
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé à quatre reprises sur l'IVG en 197563(*), 200164(*), 201465(*) et 201666(*). Il l'a toujours jugée conforme à la Constitution, considérant depuis sa décision de 2001 que les conditions légales de cette pratique ne rompaient pas « l'équilibre que le respect que la Constitution impose entre, d'une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d'autre part, la liberté de la femme qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen »67(*).
Il avait jugé, dès 1975, que l'IVG n'était pas « contraire à l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » et ne méconnaissait pas « le principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel la nation garantit à l'enfant la protection de la santé, non plus qu'aucune des autres dispositions ayant valeur constitutionnelle édictées par le même texte »68(*).
S'il n'a jamais consacré de droit constitutionnel à l'avortement en tant que tel, il le rattache à la « liberté de la femme » qui découle du principe général de liberté posé à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le Conseil en fait donc une composante de la liberté personnelle de la femme. Lors de sa décision de 2017 portant non pas sur l'IVG elle-même mais sur le délit d'entrave, il a confirmé la solidité de ce fondement en considérant que l'objet des dispositions contestées était de « garantir la liberté de la femme qui découle de l'article 2 de la Déclaration de 1789 »69(*).
Il ne s'est toutefois jamais prononcé sur un seuil au cours de la gestation, au-delà duquel la protection de la vie humaine interdirait l'IVG. Il n'a d'ailleurs jamais consacré, non plus, un principe constitutionnel de respect de tout être humain dès le commencement de sa vie70(*). Il reconnaît, en outre, une large marge de manoeuvre au législateur sur les questions de société, considérant qu'il « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement »71(*).
Il faut également noter l'absence d'un droit conventionnel à l'avortement reconnu par la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Celle-ci constate globalement qu'aucun consensus européen ne se dégage sur la définition scientifique et juridique du commencement de la vie, ce qui implique nécessairement une marge d'appréciation des États pour concilier les droits revendiqués au nom du foetus et ceux de la mère72(*). Elle juge en conséquence que l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) sur le droit à la vie privée ne saurait s'interpréter comme un droit à l'avortement73(*). En tout état de cause, les juges nationaux admettent de longue date la compatibilité du droit français avec la convention, notamment au regard de la protection du droit à la vie74(*).
2. Le projet de loi constitutionnelle : inscrire le droit à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution pour le sanctuariser
Estimant que la décision de la Cour suprême des États-Unis avait « produit l'effet d'une onde de choc pour les libertés à travers le monde » et « fait la démonstration que les droits et libertés qui nous sont les plus précieux peuvent être menacés alors qu'ils semblaient solidement acquis », le Gouvernement a déposé le 12 décembre 2023, un projet de loi constitutionnel relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse.
Il entend ainsi « répondre à l'appel des deux assemblées » qui ont voté chacune un texte visant à intégrer l'IVG dans la Constitution.
a) Un projet de loi qui prend la suite de nombreuses initiatives parlementaires...
Au total, neuf propositions de loi ont été déposées entre fin juin et octobre 2022 sur les bureaux des Assemblées, en réaction à la décision de la Cour suprême des États-Unis.
· Quatre initiatives au Sénat
Le groupe Socialiste Écologiste et Républicain a déposé le 27 juin 2022, à l'initiative de Laurence Rossignol, une première proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire au sein du Préambule du 27 octobre 1946 que « La loi garantit l'égal accès à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse »75(*).
Éliane Assassi et les sénateurs du groupe communiste ont déposé le même jour une proposition de loi constitutionnelle tendant à ajouter à l'article 34 de la Constitution parmi les domaines dont la loi détermine les principes fondamentaux, la « mise en oeuvre du droit à l'interruption volontaire de grossesse »76(*).
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires a déposé un autre texte le 2 août 2022, à l'initiative de Mélanie Vogel, ajoutant à l'article 1er de la Constitution que « la loi garantit l'autonomie décisionnelle en matière reproductive ainsi que l'accès aux soins et aux services de santé. Toute personne a droit à une contraception adaptée et à un accès universel, inconditionnel et gratuit à l'interruption volontaire de grossesse, dans un délai qui ne peut être inférieur à quatorze semaines d'aménorrhée. »77(*).
Enfin, les mêmes auteurs ont déposé une autre proposition de loi constitutionnelle visant à créer un nouvel article 66-2 - à la suite de l'interdiction de la peine de mort - édictant que « Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits » 78(*). Inscrit à son ordre du jour, ce texte a été rejeté par le Sénat le 19 octobre 2022.
· Cinq initiatives à l'Assemblée nationale
Le 30 juin 2022, le groupe Renaissance, à l'initiative d'Aurore Bergé, a déposé une proposition de loi constitutionnelle79(*) créant un nouvel article 66-2 disposant que « Nul ne peut être privé du droit à l'interruption volontaire de grossesse ».
Une proposition de loi déposée le 6 juillet 2022 à l'initiative de Mathilde Panot et plusieurs députés de la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale reprend également l'idée d'un nouvel article 66-2 mais diffère dans sa rédaction80(*). Il disposerait que « Nul ne peut entraver le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse. La Nation garantit à toute personne l'accès effectif à ce droit ».
Le 7 octobre 2022, les mêmes auteurs ont déposé un autre texte81(*) proposant toujours au même nouvel article 66-2 la formulation suivante : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits ». Cette proposition de loi a été la seule qui a fait l'objet d'une navette. Le 24 novembre 2022, l'Assemblée nationale en a adopté la rédaction suivante : « La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse ». Le texte a ensuite été adopté par le Sénat le 1er février 2023, qui en a totalement changé la rédaction pour ajouter un alinéa à l'article 34 de la Constitution disposant que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».
Le 17 octobre suivant, toujours à cet article 66-2, Aurore Bergé et les membres du groupe Renaissance ont proposé la rédaction suivante : « Nul ne peut être privé du droit à l'interruption volontaire de grossesse » 82(*). Examinée en commission des lois le 9 novembre 202283(*), elle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, la proposition de loi de Mathilde Panot déposée le 7 octobre 2022 ayant déjà été inscrite le 24 novembre 2022, journée réservée au groupe La France insoumise.
Enfin, le 20 octobre 2022, Cécile Untermaier et les membres du groupe Socialistes et apparentés ont déposé un texte proposant d'intégrer à l'article 1er de la Constitution que « La loi garantit l'égal accès à l'interruption volontaire de grossesse ainsi qu'à la contraception, dans le respect de l'autonomie personnelle. »84(*).
b) ... déjà présenté comme un compromis entre le Sénat et l'Assemblée nationale
Le projet de loi est présenté comme « un juste équilibre entre les positions du Sénat et de l'Assemblée nationale », une forme de « troisième lecture » selon les mots du garde des sceaux85(*). Le texte proposé vise à compléter l'article 34 de la Constitution par un alinéa qui disposerait que :
« La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Cette rédaction, qui reprend une formulation suggérée par le Conseil d'État dans son avis préalable86(*), se rapproche de celle adoptée par le Sénat dans la mesure où :
- une « liberté » serait consacrée et non un droit ; le Conseil d'État relève que cette terminologie était celle employée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions relatives à l'IVG et sans effet sur la portée juridique de la disposition ;
- la disposition nouvelle serait insérée à l'article 34 consacrant ainsi le rôle du Parlement dans la détermination des conditions dans lesquelles s'exerce cette liberté ; le Conseil d'Etat considère que ce choix n'est pas inadéquat et qu'aucun autre emplacement n'apparaît préférable.
Ce qui distingue la rédaction proposée par le Gouvernement de la rédaction adoptée par le Sénat consiste en l'ajout des termes « garantie » et « interruption volontaire de grossesse ».
Texte
adopté à |
Texte adopté au |
Projet |
Article 66-2 (nouveau) La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse |
Article 34 La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse |
Article 34 La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. |
3. La position de la commission : prendre acte du projet de loi constitutionnelle tout en émettant des réserves
a) Une appréciation inchangée quant à l'opportunité de cette révision
Soulignant une nouvelle fois son attachement à la loi Veil ainsi qu'aux avancées constantes des droits des femmes, la commission rappelle qu'il ne s'agit pas ici de prendre parti pour ou contre l'interruption volontaire de grossesse.
Par ailleurs, la constitutionnalisation ne permettrait pas de résoudre la question de l'effectivité de l'accès à l'IVG. Les représentantes du Planning familial que la rapporteure a rencontrées dans une antenne parisienne ont ainsi souligné la grande disparité d'accès existant sur le territoire, directement liée à l'offre de soins, le manque d'information sur le sujet - la dernière campagne nationale d'ampleur remontant à 10 ans - et l'importance d'organiser les cours d'éducation à la sexualité au collège et au lycée.
Hazal Atay, docteure en science politique, chercheuse au Laboratoire d'évaluation interdisciplinaire des politiques publiques (LIEPP) à Sciences Po Paris a rappelé lors du colloque organisé par la délégation des droits des femmes du Sénat : « Il est (...) important d'avoir conscience que la loi seule ne garantit pas l'accès à l'avortement. Nous devons y penser de manière holistique, comme un écosystème aux différentes dimensions, qui peut relever des droits et des lois, mais aussi des politiques publiques et systèmes de santé ».
La rapporteure a pleinement conscience de ces difficultés, d'ailleurs documentées par la commission des affaires sociales87(*) et la délégation aux droits des femmes du Sénat88(*). À l'évidence, ces enjeux dépassent largement la portée du projet de révision constitutionnelle soumis à la commission.
· Une importation d'un débat américain en France où la situation n'est en rien comparable
La situation institutionnelle en France n'est en rien comparable avec celle des États-Unis. En renvoyant aux États la compétence pour légiférer sur l'avortement, la Cour suprême a renversé sa jurisprudence protectrice de 1973 qui garantissait un socle minimal de règles communes. Ces dernières pourront donc désormais être complètement hétérogènes d'un État à l'autre, allant jusqu'à l'interdiction ou de très fortes restrictions d'accès, comme l'ont déjà fait quatorze des cinquante États.
Dès lors, compte tenu de la répartition des compétences entre l'Union et les États, dont il résulte que le Congrès ne peut légiférer sur les droits et libertés, seule une révision de la Constitution des États-Unis pourrait garantir uniformément le droit à l'avortement dans toute la fédération.
En France, la situation est totalement différente. La France est une République indivisible, conformément à l'article 1er de la Constitution, dans laquelle le législateur national dispose d'une plénitude de compétence et où les lois sont les mêmes pour tous sur l'ensemble du territoire89(*).
La question de la comparaison du Conseil constitutionnel avec la Cour suprême ne se pose donc pas, tant leur fonctionnement diffère, notamment dans la distance prise par le Conseil constitutionnel avec les choix du législateur, contrairement aux États-Unis.
· Une constitutionnalisation purement symbolique et juridiquement inutile
Le Gouvernement assume la portée symbolique du texte proposé : « fidèle à sa vocation, notre pays doit soutenir le combat universel pour cette liberté essentielle, sur notre continent et partout dans le monde. La voix de la France sonne toujours singulièrement en matière de droits et libertés et elle est attendue par toutes celles et ceux qui résistent aux menées les plus rétrogrades ».
Parmi les arguments juridiques avancés pour justifier une constitutionnalisation et déjà développés lors de l'examen des précédents textes, figure celui d'une protection constitutionnelle insuffisante de l'IVG. La démarche proposée viserait ainsi à sécuriser le droit à l'IVG en le plaçant au niveau le plus élevé de notre hiérarchie des normes, pour prémunir contre toute remise en cause éventuelle par la loi. Cette inscription « maximiserait », selon Stéphanie Hennette-Vauchez, professeur de droit public à l'Université Paris Nanterre, entendue par la rapporteure, les chances que le Conseil constitutionnel se sente légitime à censurer une loi régressive.
Toutefois, nul n'est à l'abri d'une révision constitutionnelle : ce que le Constituant décide, il peut le défaire, même si les conditions de procédure requises sont plus contraignantes que pour le législateur.
Par ailleurs, l'existence en France d'une menace réelle au recours à l'IVG n'est pas démontrée, aucun parti politique n'ayant notamment, à la connaissance de la rapporteure, jamais remis en question le principe de l'IVG. Le Gouvernement reconnaît lui-même que « cette liberté n'est pas aujourd'hui directement menacée ou remise en cause, hormis par quelques courants de l'opinion heureusement très minoritaires »90(*).
Une révision constitutionnelle ne peut être fondée sur sa seule portée symbolique ou l'émotion ressentie, si légitime soit-elle, suite à une décision juridique dans un autre pays dont le système institutionnel est aux antipodes du nôtre. Si l'inscription dans la Constitution relève du symbole, c'est avant tout car l'IVG est solidement protégée par le droit positif.
Non seulement la liberté d'interrompre sa grossesse garantie depuis 1975 par la loi n'a cessé d'être confortée, mais elle est considérée par le Conseil constitutionnel comme une composante de la liberté de la femme découlant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qu'il convient de protéger, un fondement juridique découlant de la liberté individuelle particulièrement solide91(*).
Telle était d'ailleurs la position exprimée par le Gouvernement lors de la dernière législature (2017-2022), que ce soit au Sénat le 3 avril 2018 lors d'un débat tenu à l'initiative du groupe Communiste républicain citoyen et écologiste92(*) - déjà auteur d'une proposition de loi constitutionnelle sur le sujet93(*) - ou à l'Assemblée nationale le 11 juillet 2018, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace94(*).
Il est d'ailleurs probable que si le Conseil constitutionnel était aujourd'hui saisi d'une loi interdisant ou restreignant fortement l'IVG, il ne pourrait la juger conforme à la Constitution dès lors qu'elle priverait de garanties légales cette « liberté de la femme ».
En effet, si le Conseil constitutionnel reconnaît de jurisprudence constante, qu' « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel »95(*). Comme le rappelait François-Noël Buffet dans son rapport sur le projet de révision constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement : « c'est ce que l'on a appelé, à la suite du doyen Favoreu96(*), "l'effet artichaut" : le législateur peut abroger certaines des règles qui protègent ou favorisent l'exercice de droits fondamentaux, mais pas au point que ces droits n'aient plus d'effectivité »97(*).
Comme l'avaient précédemment indiqué les représentants du ministère de la justice à la rapporteure, outre l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel pourrait également rattacher la protection de l'IVG à deux autres fondements juridiques issus du Préambule de 1946 :
- le dixième alinéa, qui affirme que la Nation assure aux individus « les conditions nécessaires à leur développement », car l'IVG répond à la nécessité de secourir une femme que sa grossesse plonge dans une détresse psychique, morale ou sociale ;
- le onzième alinéa, qui garantit « la protection de la santé », car l'IVG permet également de protéger la santé morale et physique de la femme enceinte.
Il n'y a donc aucune raison que la décision du 24 juin 2022 de la Cour suprême américaine impose de réviser la Constitution française, ces droits n'étant nullement menacés en France.
À ceux qui assimilent l'inscription de l'IVG dans la Constitution à celle de l'interdiction de la peine de mort, il convient de rappeler que si cette dernière eut bien sûr une valeur politique et symbolique très forte, comme l'indiquait Robert Badinter dans son rapport pour la commission des lois du Sénat98(*), elle eut lieu pour des motifs juridiques bien circonstanciés. Il s'agissait de tirer les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel qui, en application de l'article 54 de la Constitution99(*), avait jugé que la ratification d'un protocole au Pacte international relatif aux droits civils et politiques100(*) nécessitait une révision constitutionnelle.
· Une constitutionnalisation qui ne correspond pas à l'esprit de la Constitution, dont l'objet est avant tout de régir les rapports institutionnels entre les pouvoirs publics
Comme l'avaient indiqué les représentants du ministère de la justice à la rapporteure lors de l'examen de la proposition de loi de Mélanie Vogel101(*), « la Constitution est un ensemble de textes juridiques qui définit les institutions de l'État et organise leurs relations. Elle rappelle également les principes et les droits fondamentaux mais elle n'a pas pour objet de lister l'ensemble des droits reconnus à la personne humaine. La consécration de droits et libertés à valeur constitutionnelle se limite le plus souvent à une déclaration du principe, l'application concrète revenant aux pouvoirs publics ». Tirant les conséquences de cette analyse, le ministère avait estimé qu'il n'était pas nécessaire d'inscrire la contraception dans la Constitution mais justifiait pourtant son souhait d'y intégrer le droit à l'avortement par son « attache[ment] » à l'IVG.
Ce raisonnement ne parait pas recevable, quel que soit l'attachement que l'on puisse porter au recours à l'IVG.
Il est clair en effet que la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas été conçue pour qu'y soient intégrées toutes les déclinaisons des droits et libertés énoncés de manière générale dans son Préambule. Elle régit avant tout les rapports institutionnels entre les pouvoirs publics et n'a pas vocation à être une pétition des droits subjectifs. Outre les principes figurant notamment à l'article 1er, le principe de liberté individuelle, l'un des seuls relatifs à la personne à être énoncé dans le texte de la Constitution, n'est consacré à l'article 66 que pour garantir sa protection par l'autorité judiciaire, ce qui relève là encore de la détermination d'une autorité institutionnelle compétente.
Le rapport rendu par le comité présidé par Simone Veil en décembre 2008102(*) n'avait d'ailleurs pas recommandé d'intégrer à la Constitution de droits et libertés liés à la bioéthique, laquelle intègre l'IVG.
La seule opportunité de constitutionnalisation « sélective et maîtrisée » retenue à l'époque par le comité, en matière de droits et libertés, concernait le principe de dignité de la personne humaine, qu'il avait proposé d'intégrer à l'article 1er de la Constitution, selon lequel la France « reconnaît l'égale dignité de chacun »103(*). Sous réserve de cette référence, qu'il justifiait par la nécessité « d'accorder le texte de la Constitution avec l'esprit des valeurs auxquelles la nation est le plus fondamentalement attachée depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale »104(*), le comité n'avait pas recommandé que le Préambule soit modifié.
Le comité avait placé sa réflexion sous le prisme de « la nécessité juridique, la faisabilité et l'innocuité de réformes constitutionnelles de ce type »105(*).
b) Prendre acte de la rédaction proposée par le Gouvernement tout en relevant les interrogations qu'elle suscite
La commission a pris acte du vote le 1er février 2023 par le Sénat d'une révision constitutionnelle intégrant « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse » à l'article 34.
Elle relève que, selon le Conseil d'État, la rédaction soumise par le Gouvernement maintiendrait un statu quo106(*) et poursuivrait l'objectif « d'encadrer l'office du législateur afin qu'il ne puisse interdire tout recours à l'interruption volontaire de grossesse ni en restreindre les conditions d'exercice de façon telle qu'il priverait cette liberté de toute portée ».
Selon Denys de Béchillon, professeur de droit public à l'Université de Pau et des pays de l'Adour, et Anne Levade, professeur de droit public à l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne, entendus par la rapporteure, le terme « garantie » - qui ne figurait pas dans la version votée par le Sénat - ne fait que rappeler une évidence, à savoir qu'aucun droit ou liberté n'est mentionné dans la Constitution sans être garanti puisque l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution. ». Cet ajout serait donc opéré dans un but purement politique.
La rapporteure s'interroge cependant sur la portée juridique qui pourrait y être attachée et l'interprétation que pourrait en faire le Conseil constitutionnel, qui ne s'estime lié ni par l'avis du Conseil d'État ni par les débats parlementaires.
Quant à l'introduction des termes « interruption volontaire de grossesse », il s'agit également d'un gage donné aux défenseurs de l'IVG, mais sans conséquence juridique.
Se pose par ailleurs la question de la liberté de conscience des professionnels de santé, qui était l'un des deux éléments qui faisait de la loi Veil une loi de compromis, l'autre élément étant la situation de détresse des patientes, supprimée depuis 2014. Ainsi que l'a rappelé le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) lorsqu'il s'est prononcé en faveur du maintien de la clause de conscience spécifique prévue par l'article L. 2212-8 du code de la santé publique le 18 décembre 2020 : « la clause de conscience spécifique souligne la singularité de l'acte médical que représente l'IVG ».
Or, pas plus que la liberté de la femme de recourir à l'IVG, la liberté de conscience des professionnels de santé n'est aujourd'hui consacrée en tant que telle dans la Constitution. Si la première découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la seconde découle de son article 10. Dans sa décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel a simplement relevé que la « clause » de conscience inscrite dans le code de la santé publique permettait de sauvegarder la liberté du médecin de ne pas pratiquer l'IVG, « laquelle relève de sa conscience personnelle ».
Il semble donc discutable de n'inscrire dans la Constitution qu'une seule de ces deux libertés.
La rapporteure a proposé que la commission ne se déclare pas défavorable, en l'état, à l'adoption du projet de loi constitutionnelle.
Prenant acte du vote exprimé en février 2023 par une majorité de sénateurs pour inscrire, dans la Constitution, selon un texte proche de la version soumise par le Gouvernement, la liberté reconnue à la femme d'interrompre sa grossesse dans les conditions prévues par la loi, la commission, dans l'attente du débat en séance publique, a pris acte du projet de loi constitutionnelle.
Sous les réserves énoncées, et dans l'attente des amendements qui pourraient être déposés pour la séance publique, la commission a pris acte du projet de loi constitutionnelle
EXAMEN EN COMMISSION
__________
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Agnès Canayer sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous voilà réunis pour la troisième fois en seize mois pour débattre de la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG).
L'IVG est entrée dans notre droit grâce à l'engagement de Simone Veil qui a fait adopter la loi du 17 janvier 1975 visant à inscrire dans le code de la santé publique le droit pour la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre sa grossesse d'en demander l'interruption auprès d'un médecin ou d'une sage-femme. Ce droit à l'IVG a été renforcé à de nombreuses reprises depuis lors. Vous connaissez comme moi les réformes qui ont permis d'allonger les délais, notamment jusqu'à quatorze semaines en 2022. Cette même année, 234 000 IVG ont été pratiquées en France, soit un taux encore jamais atteint.
Le 19 octobre 2022, le Sénat a rejeté la proposition de loi de Mélanie Vogel et ses collègues du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires qui visait à inscrire à l'article 66-2 de la Constitution le fait que nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Le 1er février 2023, soit quelques mois plus tard, le Sénat a adopté la proposition de loi des députées Mathilde Panot et Aurore Bergé qui visait également à inscrire à l'article 66-2 de la Constitution l'accès effectif et égal au droit à l'interruption volontaire de grossesse, mais en la modifiant, sur l'initiative de notre collègue Philippe Bas. Le texte remanié prévoyait ainsi d'ajouter à l'article 34 de la Constitution la formulation suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »
Nous nous retrouvons donc pour une troisième tentative : il s'agit, sur l'initiative du Gouvernement, d'inscrire à l'article 34 de la Constitution le principe selon lequel « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Certaines questions restent d'actualité et nous en avons déjà débattu. Premièrement, faut-il consacrer dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse ? Deuxièmement, cette consécration garantira-t-elle véritablement un accès effectif sur le territoire de toutes les femmes à l'interruption volontaire de grossesse ?
Sur ce second point, il y a consensus : ce n'est pas la constitutionnalisation du droit à l'interruption volontaire de grossesse ou de la liberté d'y recourir qui rendra plus effectif son accès. En effet, les difficultés en la matière relèvent davantage de la désertification médicale, du moindre coût du remboursement des actes médicaux, du manque de prévention, d'éducation et de sensibilisation, ainsi que du manque de moyens pour les centres de santé sexuelle et pour le Planning familial. Or, ces dispositions relèvent non pas de la Constitution, mais du domaine réglementaire, voire législatif lorsqu'il s'agit des moyens financiers.
L'inscription dans la Constitution de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse sera-t-elle une garantie absolue contre toute remise en cause de l'IVG ? Si nous pouvons admettre, en suivant l'avis du Conseil d'État, que nous consacrerions la liberté de recourir à l'IVG, en l'inscrivant noir sur blanc dans le texte de la Constitution, force est de constater que cela ne garantirait pas sa protection de manière absolue.
De plus, la consécration de cette liberté par son inscription dans la Constitution aurait des effets juridiques limités. En effet, une révision constitutionnelle peut toujours se défaire par une autre révision constitutionnelle, et la Constitution de 1958 a déjà été révisée à vingt-quatre reprises. Ainsi, s'il devait y avoir un changement de régime politique remettant en cause la liberté de recourir à l'IVG, ce qui n'est pas le cas puisque pour l'instant aucun parti politique ne le revendique en France, la Constitution serait balayée et n'apporterait aucune garantie.
Je souligne qu'aucun pays dans le monde n'a inscrit de manière positive la reconnaissance de la liberté de recourir à l'IVG dans un texte constitutionnel. Cette consécration symbolique ne renforcerait pas la protection d'un droit qui est déjà largement protégé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci s'est en effet prononcé à quatre reprises sur le sujet en rattachant le droit de recourir à l'IVG à la liberté de la femme dont le principe est consacré à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Une protection constitutionnelle existe donc déjà, qui résulte, d'une part, des textes formant le bloc de constitutionnalité, et, d'autre part, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je précise que celui-ci se considère comme libre de son interprétation à l'égard du Conseil d'État et des débats parlementaires.
Si d'un point de vue strictement juridique l'inscription de la liberté de recourir à l'IVG ne se justifie pas pleinement, nous pouvons toutefois constater que la donne politique a changé. En effet, le vote des députés a été plus que majoritaire pour adopter le texte proposé par le Gouvernement. Par ailleurs, l'initiative est désormais gouvernementale et non plus parlementaire. La procédure de révision constitutionnelle ne sera donc pas la même puisque, en vertu de l'article 89 de la Constitution, l'initiative parlementaire rend obligatoire le recours au référendum, alors que, dans le cas présent, le Président de la République aurait le choix entre le référendum ou la réunion du Congrès à Versailles. Nous savons déjà que c'est cette dernière option qui serait choisie si les deux assemblées adoptent le texte dans des termes identiques.
L'accroche du texte a également changé. Alors que les différentes propositions de loi que nous avions examinées visaient à introduire l'inscription de cette liberté à l'article 66-1 de la Constitution, dans un titre consacré aux libertés individuelles, le projet de loi prévoit de la rattacher à l'article 34, comme l'avait proposé le Sénat. Il s'agit là de la moins mauvaise des solutions, car cet article de procédure donne compétence au législateur pour intervenir en matière de libertés publiques, ce qu'est précisément le droit à l'IVG.
Le garde des sceaux considère que la formulation, telle qu'elle est proposée, recouvre 95 % de ce qu'avait proposé le Sénat. Il s'agit, en effet de reconnaître une liberté à la femme. Toutefois, les 5 % non couverts n'ont rien de neutre. Le remplacement de l'expression « mettre fin à sa grossesse » par le terme technique d'« IVG » fait référence à la loi Veil, de sorte que nous pouvons accepter ce compromis. Quant à la notion de « liberté garantie », elle pose davantage problème, car le terme « garantie », s'il est utilisé à plusieurs reprises dans la Constitution ou dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est toujours attaché à un sujet, que ce soit la société, la Nation ou la Constitution. Or, ce n'est pas le cas ici, de sorte qu'une incertitude plane.
En outre, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit que toutes les libertés inscrites dans la Constitution sont garanties. Le texte du projet de loi est donc forcément redondant. Quand bien même il y aurait une utilité réelle à utiliser l'expression de « liberté garantie », il faudrait se poser la question de ses effets juridiques. Or, il s'agit à mon sens d'un ovni juridique, dont on ne sait pas s'il créera des droits opposables ou non. On ne sait pas non plus comment le Conseil constitutionnel interprétera la notion afin de censurer les lois qui viendraient, par exemple, limiter les délais de recours à l'IVG. Rien n'indique que le Conseil constitutionnel, qui se considère comme autonome et indépendant dans ses interprétations de la Constitution, n'aura recours à un tel concept. Les incertitudes juridiques sont donc trop nombreuses pour que l'on puisse considérer la rédaction proposée comme satisfaisante.
Par conséquent, nous pouvons prendre acte du vote exprimé en février 2023 par une majorité de sénateurs pour inscrire dans la Constitution la liberté de recourir à l'IVG. Cependant, le texte proposé par le Gouvernement reprend une rédaction proche, mais pas tout à fait identique à celle que le Sénat avait proposée. Enfin, nous devons constater que le texte qui sera soumis au débat dans l'hémicycle sera, en vertu de la procédure définie à l'article 89 de la Constitution, obligatoirement issu du Gouvernement.
Je propose donc que la commission considère qu'il n'y a pas lieu de se déclarer défavorable, en l'état, à l'adoption du projet de loi constitutionnelle Et que sous les réserves énoncées et dans l'attente des débats qui auront lieu en séance publique, la commission prenne acte du texte présenté par le Gouvernement.
M. Philippe Bas. - Je précise que, l'an dernier, je n'ai pas proposé d'amender la proposition de loi Panot-Bergé, mais que j'ai fait une contre-proposition. Il n'y a pas un mot de commun entre le texte adopté par le Sénat et celui qui lui avait été transmis par l'Assemblée nationale. Le Sénat ne s'est pas inscrit dans un processus conditionné par la réflexion de l'Assemblée nationale, mais il a substitué une contre-proposition au texte initialement proposé.
En écrivant à l'article 34 de la Constitution que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », nous avons, sur ma proposition, voté que la Constitution garantira le respect de l'équilibre de la loi Veil, qui a permis l'acceptation progressive de l'interruption volontaire de grossesse par la société française. Cette acceptation est désormais acquise, si bien que l'IVG n'est pas menacée dans notre pays.
En quoi consiste cet équilibre ? Les exigences posées par le Conseil constitutionnel le définissent, qui prévoient, d'un côté, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, principe de valeur constitutionnelle, et, de l'autre, le respect de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont découle la liberté de la femme. Le Conseil constitutionnel vérifie lui-même que cet équilibre sans lequel l'IVG ne serait pas acceptée dans la société française est bien respecté par toute loi qui modifierait le régime qui définit ce droit : c'est la décision du 27 juin 2001.
Il est vrai qu'à force de législations successives qui sont toutes allées dans le même sens, nous sommes arrivés, de mon point de vue, à la limite au-delà de laquelle cet équilibre serait compromis. Le délai des quatorze semaines y participe tout comme la prise en compte spécifique d'affections psychosociales au titre de l'avortement thérapeutique.
Je crois qu'il est très important, puisque nous réfléchissons à une inscription de la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse dans la Constitution, de bien prendre en compte le fait que quand le texte constitutionnel prévoit que le législateur détermine les conditions de cette liberté, cela signifie qu'il en détermine également les limites. Il n'est rien d'étonnant à cela, car aucune liberté, quel que soit le texte où elle est inscrite, n'est dépourvue de limites. C'est le régime constitutionnel de toute liberté que d'être protégée tout en connaissant des limites. En renvoyant au législateur le soin de fixer les conditions d'exercice de la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse, le constituant lui imposerait en réalité de faire respecter cet équilibre fondamental auquel le Conseil constitutionnel veille déjà.
Nous avons pu vérifier, lors de l'audition du garde des sceaux, hier, que dans le cadre de cette inscription constitutionnelle, le législateur garderait une grande liberté d'action dans un sens comme dans l'autre. Dans sa décision de 2001, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs établi que l'équilibre devait être respecté en l'état des connaissances scientifiques. Si celles-ci devaient évoluer au sujet du développement de la personne humaine en gestation, la législation pourrait donc en tenir compte, tout en respectant l'équilibre fondamental de la loi Veil.
Je considère que le texte adopté par le Sénat l'an dernier est meilleur que celui que propose le Gouvernement et que l'Assemblée nationale a voté. En effet, son écriture est plus élégante, ce qui devrait compter quand il s'agit de la plume du constituant. De plus, une sorte de verrue a poussé dans le texte, après son dépôt par le Gouvernement et son adoption par l'Assemblée nationale. Il s'agit du mot « garantie » qui figure dans la phrase : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie de la femme de mettre fin à sa grossesse. ».
Ma critique ne porte pas sur le fait que cet ajout n'est pas suave à l'oreille, mais le seul effet utile qu'il pourrait avoir serait de déplacer du législateur vers le juge l'appréciation des moyens à mettre en oeuvre pour assurer l'effectivité de cette garantie de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Autant je considère que les conditions ne sont pas remplies pour assurer l'égal accès des femmes à l'IVG, autant il me semble que ce n'est pas au juge d'apprécier, dans le cadre d'un recours, ce que devraient être les moyens mis en oeuvre par la République pour assurer la garantie de ce droit. Par conséquent, l'ajout du mot « garantie » aurait pour effet que le juge déciderait lui-même comment ce droit doit être garanti par les moyens mis en oeuvre pour l'assurer. Or, cela n'est pas conforme à la séparation des pouvoirs et à l'ordre constitutionnel français. Aucune liberté ni aucun droit énoncé dans le corps même de la Constitution n'est assorti du mot « garantie ».
Le garde des sceaux nous a dit, hier, que l'Assemblée nationale souhaitait l'inscription de ce mot dans le processus de révision de la Constitution. Mais ce n'est pas là un argument de fond. Soit cet ajout ne sert à rien, soit il induit une perturbation dans notre ordre constitutionnel aux dépens des droits du Parlement et du Gouvernement.
Je souscris aux analyses du rapporteur.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'audition du garde des sceaux, hier, nous a déjà donné l'occasion de débattre sur ce sujet. Nous saluons l'exigence et la rigueur de la rapporteure et j'entends les arguments de Philippe Bas. Si le droit à l'IVG est un jour inscrit dans la Constitution, celui-ci y aura contribué. Je connais son attachement au parcours du texte de Simone Veil.
Le texte qui a été voté l'an dernier par le Sénat et celui qui nous est transmis par l'Assemblée nationale se ressemblent incontestablement. Ils prévoient tous les deux que l'ajout se fera à l'article 34 et ils reprennent une formulation similaire. Quant à la liberté de conscience, elle ne semble pas poser de problème.
Comme je l'ai dit hier, il n'est pas exact de prétendre que le droit d'accès à l'IVG est garanti aujourd'hui. En effet, il ne faut pas confondre une décision du Conseil constitutionnel selon laquelle une loi n'est pas inconstitutionnelle avec le fait que le principe serait désormais protégé.
J'entends les critiques qui portent sur l'emploi du terme « garantie ». La Constitution garantit déjà de nombreux droits. Faut-il préciser qu'une liberté spécifique est garantie alors que la Constitution le prévoit déjà de manière globale et sans le spécifier ? On peut en discuter, mais ce serait aller très loin dans l'exégèse du sujet.
Le texte proposé ne pose pas de problème juridique. Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain y sont favorables et notent l'effort de réflexion et de contribution de la majorité sénatoriale sur le sujet.
Mme Mélanie Vogel. - Comme je l'ai dit hier lors de l'audition du garde des sceaux, il n'est pas exact de dire que ce projet de loi recouvre à 95 % le texte qu'avait proposé le Sénat, car il le fait plutôt à 105 %. Il reprend l'intégralité de ce que voulait le Sénat, dont l'emplacement et le fait de laisser au législateur le soin de déterminer les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté. Il ajoute en outre le mot « garantie ».
Comme Agnès Canayer l'a rappelé, la notion de garantie figure à plusieurs endroits de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais toujours attachée aux mots « droit » ou « liberté ». À plusieurs endroits, il est même précisé que c'est la Constitution qui garantit tel ou tel droit ou liberté.
Ajouter le mot « garantie » dans ce processus de révision constitutionnelle aurait seulement pour effet de préciser le sens de cette révision, à savoir mettre la liberté de recourir à l'IVG au même niveau que d'autres libertés garanties constitutionnellement, et pas moins haut. Si nous ne le faisions pas, il subsisterait un doute. En procédant à cet ajout, nous assurerions à la liberté de recourir à l'IVG un régime identique aux autres droits et libertés garantis par la Constitution, étant entendu qu'il n'existe pas, en effet, de droit absolu, opposable et inconditionnel et que toutes les libertés et tous les droits restent encadrés et limités par la loi.
Enfin, l'avis du Conseil d'État est clair. Faisons-lui confiance sur l'interprétation qu'il donne de cette révision constitutionnelle : il n'y aura aucune obligation pour le législateur de modifier la loi et les équilibres actuels pourront demeurer.
Mme Dominique Vérien. - Sans refaire le débat d'hier, les arguments très justes de Philippe Bas m'ont rappelé la discussion que nous avions eue, en 2018, lors de l'examen du texte sur les violences sexuelles et sexistes, au sujet d'un amendement visant à inscrire l'interdiction de toute relation entre une personne majeure et un mineur de moins de 13 ans. Philippe Bas nous avait alors expliqué pourquoi, en droit, il n'était pas possible de voter cet amendement. Deux ans plus tard, le livre intitulé La Familia grande était publié, la société évoluait et l'interdiction a été votée pour les mineurs de moins de 15 ans. Cela montre que parfois la société est plus forte que le droit, obligeant celui-ci à s'adapter à elle. Je pense que c'est ce qui se passe aujourd'hui.
M. Olivier Bitz. - Je remercie notre rapporteur qui a su trouver les moyens de nous rassembler autour d'une position commune.
J'observe avec satisfaction la grande maturité de notre système politique. Alors que nous n'avons que peu de points communs avec certains groupes politiques de l'Assemblée nationale, nous parvenons tout de même à faire en sorte qu'un texte chemine entre nos deux chambres, qui devrait être adopté par le Congrès.
Concernant le débat sur la rédaction du texte, il me semble que, au moment où le juge devra se prononcer sur ces dispositions, il en fera exactement ce qu'il voudra, quoi que l'on écrive dans la Constitution. Chacun sait que la capacité créatrice du juge peut rapidement se libérer des dispositions textuelles, y compris pour fonder des normes de valeur constitutionnelle.
Mme Marie Mercier. - Je ne peux pas laisser dire que la clause de conscience ne pose aucun problème. En effet, j'ai entendu le président du conseil de l'ordre de mon département ainsi que des membres de son bureau au sujet du mot « garantie ». Or, les médecins m'ont dit qu'il fallait absolument que le mot porte aussi sur la clause de conscience. Le droit à l'IVG n'est pas menacé en France, mais on considère qu'il pourrait l'être dans l'avenir. Pourquoi cela ne vaudrait-il pas aussi pour la clause de conscience ?
Il faut aussi évoquer le cas des anesthésistes, qui interviennent autant pour les césariennes que pour les IVG. Nous manquons cruellement d'anesthésistes, de sorte que certaines IVG ne peuvent pas avoir lieu et que nous devons faire appel à des anesthésistes qui viennent d'Allemagne ou d'Italie et qui refusent, pour des raisons d'ordre religieux, d'intervenir dans le cadre de ce type d'opération. J'ai aussi entendu des gynécologues qui m'ont dit pratiquer des IVG, quelle que soit leur religion, mais jamais de gaieté de coeur. Toutefois, certains d'entre eux, de confession musulmane, refusent de le faire.
Si nous discutons de l'inscription dans la Constitution de la liberté de conscience, c'est sans doute parce que nous avons porté à quatorze semaines, soit seize semaines d'aménorrhée le délai pour réaliser cet acte. Or, après douze semaines, l'intervention présente des difficultés pratiques, avec le forçage du col, le bouchage de canule, etc.
Je crois donc que la clause de conscience constitue un vrai sujet.
M. François-Noël Buffet, président. - Au-delà des convictions des uns et des autres, je souhaite que la commission des lois adopte une approche de constituant et soit vigilante quant à la rédaction du texte qui pourrait être issu des travaux du Sénat.
Le débat se noue autour de la notion de « garantie ». En réalité, il s'agit de savoir si ce droit sera opposable ou non. Comme Olivier Bitz l'a rappelé, rien ne préjuge de la liberté du juge constitutionnel de donner l'interprétation du texte qu'il souhaitera. Pour autant, notre rôle reste de veiller à ce que la rédaction soit la plus intelligible et la plus claire possible de manière à ce qu'elle donne lieu au moins d'interprétation possible.
Je salue le travail du rapporteur, Agnès Canayer. Dans la mesure où aucun amendement n'a été déposé, je vous propose de nous rallier à son avis, en prenant acte du texte présenté par le Gouvernement. En effet, je vous rappelle que, en matière constitutionnelle, c'est le texte transmis qui doit être examiné en séance publique et que la commission n'établit pas de texte. Chacun pourra s'exprimer dans l'hémicycle et voter comme il le souhaitera.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La commission ne rend donc pas d'avis ?
M. François-Noël Buffet, président. - L'avis de la commission est de prendre acte du texte du Gouvernement. Des amendements pourront être déposés en séance sur lesquels la commission rendra un avis.
M. Olivier Bitz. - En quelque sorte, la commission déclare ne pas s'opposer au texte du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, président. - Exactement.
Il en est ainsi décidé.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PROFESSEURS DE DROIT
M. Denys de Béchillon, professeur de droit public à l'Université de Pau et des pays de l'Adour
Mme Stéphanie Hennette-Vauchez, professeur de droit public à l'Université Paris Nanterre
Mme Anne Levade, professeur de droit public à l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne et présidente de l'Association française de droit constitutionnel
DÉPLACEMENT
Centre de santé sexuelle du Planning familial, rue Vivienne, Paris 2e
Mme Sarah Durocher, présidente du Planning familial national
Mme Bénédicte Paoli, animatrice à l'association départementale de Paris et membre du bureau confédéral
Mme Camille Beau, animatrice du Planning familial 75
Mme Vaëna Lesage, animatrice du Planning familial 75
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl23-299.html
* 1 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-143.html
* 2 Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse.
* 3 Conseil constitutionnel, décision 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
* 4 Principe à valeur constitutionnel reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 (première loi bioéthique).
* 5 Voir l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle.
* 6 Supreme Court of the United States, Dobbs, State Health officer of the Mississippi department of health, et al. v. Jackson Women's health organization et al., n° 19-1392, decided June 24, 2022. Cet arrêt est consultable sur le site internet de la Cour suprême des États-Unis.
* 7 Voir le rapport n° 263 (2020-2021) fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat par Laurence Rossignol, déposé le 13 janvier 2021, sur la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement.
* 8 Voir « Femmes et santé : les enjeux d'aujourd'hui », rapport d'information n° 592 (2014-2015) fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Annick Billon et Françoise Laborde, déposé le 2 juillet 2015.
* 9 https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/143/Amdt_1.html
* 10 Avis du Conseil d'État n° 407667 du 7 décembre 2023.
* 11 Avis du 18 décembre 2020 sur l'allongement du délai légal d'accès à l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse.
* 12 Dans sa décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel a simplement relevé que la « clause » de conscience inscrite dans le code de la santé publique permettait de sauvegarder la liberté du médecin de ne pas pratiquer l'IVG, « laquelle relève de sa conscience personnelle ».
* 13 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-143.html
* 14 Voir infra.
* 15 Supreme Court of the United States, Dobbs, State Health officer of the Mississippi department of health, et al. v. Jackson Women's health organization et al., n° 19-1392, decided June 24, 2022.
Cet arrêt est consultable sur le site internet de la Cour suprême des États-Unis.
* 16 Rapport n° 42 (2022-2023) de Mme Agnès Canayer, fait au nom de la commission des lois, déposé le 12 octobre 2022.
* 17 La Cour estime que (p. 8, dernier paragraphe du syllabus) : « Abortion presents a profound moral question. The Constitution does not prohibit the citizens of each State from regulating or prohibiting abortion. Roe and Casey arrogated that authority. The Court overrules those decisions and returns that authority to the people and their elected representatives. »
* 18 Voir infra.
* 19 Traduction de l'Opinion de la Cour, p. 69, par Élisabeth Zoller.
* 20 « The Court finds that the right to abortion is not deeply rooted in the Nation's history and tradition” (p. 2 du syllabus). »
* 21 Supreme Court of the United States, Jane Roe, et al. v. Henry Wade, District Attorney of Dallas Country, n° 70-18, decided January 22, 1973.
* 22 Amendment XIV, Section 1: « All persons born or naturalized in the United States, and subject to the jurisdiction thereof, are citizens of the United States and of the State wherein they reside. No State shall make or enforce any law which shall abridge the privileges or immunities of citizens of the United States ; nor shall any State deprive any person of life, liberty, or property, without due process of law ; nor deny to any person within its jurisdiction the equal protection of the laws. »
« Aucun État (...) ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière (...) ». Traduction issue de « La Constitution américaine et les institutions », Jean-Eric Branaa, Ellipses, 2020 : « Aucun État (...) ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière (...) ».
* 23 La Cour en a déduit un ensemble de règles complexes sur ce qui était autorisé selon le trimestre de grossesse concerné. Jusqu'à la fin du premier trimestre de grossesse (13 semaines sur 40 au total), la décision d'avorter revenait au jugement du médecin traitant de la femme enceinte. Entre la fin du premier trimestre et la date de viabilité du foetus, l'Etat pouvait règlementer la procédure d'avortement de manière raisonnablement liée à la santé maternelle. Après la viabilité, l'Etat pouvait réglementer voire interdire l'avortement, sauf si cela était nécessaire en vertu d'un motif médical pour préserver la vie ou la santé de la mère.
* 24 Supreme Court of the United States, Webster v. Reproductive health services, decided July 3, 1989, 492 U.S. 490 (1989).
* 25 Supreme Court of the United States, Planned Parenthood of southeastern Pennsylvania v. Casey, decided June 29, 1992, 505 US 833.
* 26 Source : le Monde au 24 juin 2023, États-Unis : un an après Roe vs Wade, le droit à l'IVG État par État, par Fatoumata Sillah.
* 27 « Accès à l'avortement dans le monde : législation comparée et état des lieux - Actes du colloque du 23 novembre 2023 », rapport d'information n° 284 (2023-2024), déposé le 25 janvier 2024.
* 28 Précédemment, il n'était autorisé qu'en cas de grossesses avant 17 ans ou après 40 ans, aux femmes ayant déjà quatre enfants ou en raison de difficultés économiques, sociales ou de santé.
* 29 Source : site internet « Toute l'Europe », informations consultables à l'adresse suivante : https://www.touteleurope.eu/societe/le-droit-a-l-avortement-dans-l-union-europeenne/
* 30 La restriction du droit à l'avortement résulte de la décision du tribunal constitutionnel du 22 octobre 2020, entrée en vigueur le 27 janvier 2021 qui a considéré anticonstitutionnel l'avortement en cas de « malformation grave et irréversible du foetus ou de maladie incurable qui menace la vie du foetus ».
* 31 Une loi du 22 juillet 2015 est toutefois venue mettre à la charge des femmes souhaitant avorter tous les frais liés à l'interruption de leur grossesse et les soumet à un examen psychologique approfondi.
* 32 Loi du 13 décembre 2018 entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Elle fait suite au référendum du 25 mai 2018 par lequel les Irlandais se sont prononcés à 66,4 % en faveur de l'abrogation du 8ème amendement de la Constitution, qui reconnaissait au même titre le droit à la vie du foetus et de la mère.
* 33 « Droit à l'avortement, dans quels pays est-il interdit, restreint ou menacé », le Monde, 24 juin 2022.
* 34 Notamment l'Egypte, le Sénégal, le Gabon, Madagascar, la Mauritanie, le Swaziland ou le Kenya.
* 35 Notamment le Suriname, le Nicaragua, le Salvador.
* 36 Malte, l'Andorre et le Vatican.
* 37 Notamment les Philippines.
* 38 Côte d'Ivoire, en Libye, en Ouganda, au Soudan du Sud, en Somalie, en Irak, au Liban, en Syrie, en Afghanistan, au Yémen, au Bangladesh, en Birmanie, au Sri Lanka, au Guatemala, au Paraguay, au Venezuela ou encore au Maroc.
* 39 Comme le Brésil par exemple.
* 40 L'article 67 de la Constitution du Honduras, issu de la révision constitutionnelle du 21 janvier 2021, prévoit que toute interruption de grossesse « par la mère ou par un tiers » est « interdite et illégale » et que cette clause « ne pourra être réformée que par une majorité des trois quarts des membres du Parlement ».
* 41 Adoptée le 1er août 2012, elle précise, au paragraphe 5 de l'article 15, que : « L'avortement est contraire à la charia et est interdit sauf en cas de nécessité, notamment pour sauver la vie de la mère ». Source : site internet de l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle
https://wipolex.wipo.int/en/text/324354
* 42 Appelé Swaziland jusqu'en 2018.
* 43 « Accès à l'avortement dans le monde : législation comparée et état des lieux - Actes du colloque du 23 novembre 2023 », rapport d'information n° 284 (2023-2024), déposé le 25 janvier 2024.
* 44 Rapport n° 42 (2022-2023) de Mme Agnès Canayer, fait au nom de la commission des lois, déposé le 12 octobre 2022.
* 45 La Slovénie consacre, dans sa Constitution du 23 décembre 1991, à l'article 55 : « La décision d'avoir des enfants est libre. L'État garantit les possibilités de réalisation de cette liberté et crée les conditions qui permettent aux parents de décider de la naissance de leurs enfants. »
* 46 L'Afrique du Sud prévoit dans sa Constitution du 8 mai 1996, à l'article 12 relatif à la liberté et à la sécurité de la personne que « toute personne a droit à l'intégrité physique et psychologique, ce qui inclut le droit a) de prendre des décisions concernant la reproduction et b) d'assurer la sécurité et la maitrise de son corps ». La Cour constitutionnelle a considéré, dans un arrêt du 10 juillet 1998, que cela incluait le droit à l'avortement.
* 47 Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse.
* 48 La loi a procédé à la dépénalisation de l'avortement pour des raisons autres que thérapeutiques, en introduisant dans le code pénal un fait justificatif empêchant les poursuites pénales quand l'interruption de grossesse était pratiquée sous certaines conditions.
* 49 Loi n° 79-1204 du 31 décembre 1979 relative à l'interruption volontaire de la grossesse.
* 50 Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 et arrêté du 23 février 2016 relatif aux forfaits afférents à l'interruption volontaire grossesse. Avant cette date, seule l'IVG elle-même était remboursée à 100 % depuis 1982 (loi n° 82-1172 du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l'interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure) non les consultations ou analyses préalables.
* 51 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La seule exigence qui demeure à l'article L. 2212-7 du code de la santé publique, en cas d'opposition ou d'absence de consultation des titulaires de l'autorité parentale, est que la mineure doit se faire « accompagner dans sa démarche par la personne majeure de son choix ».
* 52 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
* 53 Conseil d'État, Assemblée, 31 octobre 1980, M. Lahache, requête n° 13028 et
Conseil constitutionnel, décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014, dans laquelle il indique que ces dispositions « réservent à la femme le soin d'apprécier seule si elle se trouve dans cette situation » (considérant 4).
* 54 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
* 55 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
* 56 Il s'agit du délai maximal pour réaliser une IVG instrumentale, c'est-à-dire avec une intervention chirurgicale. Une IVG médicamenteuse ne peut être réalisée que jusqu'à la fin de la septième semaine de grossesse (article L. 2212-2 du code de la santé publique).
* 57 Article L. 2213-1 du code de la santé publique.
* 58 Les sages-femmes peuvent réaliser des IVG par voie médicamenteuse depuis la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et par voie chirurgicale, dans un établissement de santé, depuis la loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement.
* 59 Elle est alors punie de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende aux termes de l'article L. 2222-2 du code de la santé publique.
* 60 Punie de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende (articles 223-10 du code pénal et L. 2222-1 du code de la santé publique).
* 61 Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social.
* 62 Loi n° 2017-347 du 20 mars 2017 relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse.
* 63 Conseil constitutionnel, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 sur la loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse.
* 64 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
* 65 Conseil constitutionnel, décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014 sur la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
* 66 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016 sur la loi de modernisation de notre système de santé.
* 67 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001.
* 68 Conseil constitutionnel, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 sur la loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse.
* 69 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-747 DC du 16 mars 2017 sur la loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse.
* 70 Ce principe n'est, comme l'avortement, que législatif, garanti par l'article 16 du code civil, repris à l'article L. 2211-1 du code de la santé publique.
* 71 Conseil constitutionnel, 2001-446 DC, 27 juin 2001.
* 72 Cour européenne des droits de l'homme, VO c. France, 8 juillet 2004, Grande chambre, requête n° 53924/00.
* 73 Cour européenne des droits de l'homme, A. B. et C c. Irlande, 16 décembre 2010, Grande chambre, requête n° 25579/05. La Cour devrait se prononcer prochainement sur douze requêtes concernant la Pologne où l'IVG n'est autorisée qu'en cas de viol ou d'urgence vitale, l'IVG en raison d'une malformation grave du foetus ayant été déclarée contraire à la Constitution polonaise.
* 74 Conseil d'État, Assemblée, 21 décembre 1990, n° 111417.
* 75 Proposition de loi constitutionnelle n° 734 visant à constitutionnaliser le droit à l'interruption de grossesse et à la contraception, déposée le 27 juin 2022.
* 76 Proposition de loi constitutionnelle n° 736 visant à inscrire le droit à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, déposée le 27 juin 2022.
* 77 Proposition de loi constitutionnelle n° 853 visant à protéger et garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, déposée le 2 août 2022.
* 78 Proposition de loi constitutionnelle n° 872 (2021-2022) visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, déposée le 2 septembre 2022.
* 79 Proposition de loi constitutionnelle n° 8 visant à garantir le droit à l'interruption de grossesse, déposée le jeudi 30 juin 2022.
* 80 Proposition de loi constitutionnelle n° 15 visant à protéger le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse, déposée le 6 juillet 2022.
* 81 Proposition de loi constitutionnelle n° 293 visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, déposée le 7 octobre 2022.
* 82 Proposition de loi constitutionnelle n° 340 rectifié visant à garantir le droit à l'interruption volontaire de grossesse, déposée le 13 octobre 2022.
* 83 Elle a été réécrite : « Nulle femme ne peut être privée du droit à l'interruption volontaire de grossesse ».
* 84 Proposition de loi constitutionnelle n° 378 visant à protéger le droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, déposée le 20 octobre 2022.
* 85 Première séance publique du 24 janvier 2024 .
* 86 Avis du Conseil d'État n° 407667 du 7 décembre 2023.
* 87 Voir le rapport n° 263 (2020-2021) fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat par Laurence Rossignol, déposé le 13 janvier 2021 sur la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement.
* 88 Voir « Femmes et santé : les enjeux d'aujourd'hui », rapport d'information n° 592 (2014-2015) fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Annick Billon et Françoise Laborde, déposé le 2 juillet 2015.
* 89 Nonobstant les adaptations prévues par la Constitution pour les outre-mer par exemple.
* 90 Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle n° 1983 (XVIe législature).
* 91 Tout en indiquant qu'un tel fondement n'est pas aussi fragile que celui que la Cour suprême des États-Unis, Diane Roman, professeur de droit public à l'École de droit de la Sorbonne, estime le contraire car la jurisprudence constitutionnelle présenterait des variations importantes sur la liberté individuelle et personnelle.
* 92 Séance du 3 avril 2018 (compte rendu intégral des débats) (senat.fr)
* 93 Proposition de loi constitutionnelle n° 545 (2016-2017), déposée le 3 mai 2017, visant à inscrire le droit à l'interruption volontaire dans la Constitution.
* 94 XVe législature, session extraordinaire de 2017-2018, première séance du mercredi 11 juillet 2018.
* 95 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022, Association Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles [Accès à l'assistance médicale à la procréation].
* 96 Louis Favoreu, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel et le droit de propriété proclamé par la Déclaration de 1789 », dans La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, p. 123-150.
* 97 Rapport n° 554 (2020-2021) de François- Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 5 mai 2021 sur le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement.
* 98 Rapport n° 195 (2006-2007) fait au nom de la commission des lois par Robert Badinter, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.
* 99 Selon lequel : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ».
* 100 Il s'agissait du deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, dont le Conseil constitutionnel a estimé qu'il était contraire aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale puisqu'il implique une abolition irrévocable.
* 101 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-872.html
* 102 « Redécouvrir le Préambule de la Constitution », Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution, rapport au Président de la République, décembre 2008.
* 103 Rapport précité, p. 97 et 98. L'objectif de cette inscription était de consacrer le fait que chaque être humain est l'égal de tous les autres et exclut qu'un individu puisse être assujetti à la simple volonté d'un autre, sans y avoir dûment consenti.
* 104 Rapport précité, p. 98.
* 105 Rapport précité p. 98.
* 106 « La disposition examinée n'impose aucune modification des dispositions législatives existantes ».