B. DES POINTS IMPORTANT DE CONSENSUS
De ces différentes prises de positions se dégagent des points de consensus particulièrement intéressants. Tous dénoncent les conditions dans lesquelles on meurt aujourd'hui en France, tous considèrent que la sédation dite profonde ou terminale doit être possible à la demande des malades en fin de vie et tous estiment que la mise en place d'une procédure d'assistance au suicide comme elle existe dans l'état de l'Oregon peut présenter un intérêt. Il n'y a cependant aucun consensus sur l'euthanasie définie comme le fait de donner une mort immédiate par un acte délibéré.
1. Le « mal mourir » français
Ces différents points doivent être expliqués tant il est vrai, comme le souligne Jean-Claude Amesein, que les mots masquent parfois la réalité ou les intentions. S'agissant tout d'abord des conditions de fin de vie en France, le constat dressé est sévère, au point que le Pr Sicard parle d'un « mal mourir » en France, dans lequel il voit une cause de la demande de cette « bonne mort » qu'est étymologiquement l'euthanasie. Comment nos concitoyens veulent-ils que se déroule leur fin de vie ? L'Observatoire de la fin de vie a mené des études sur cette question. La réponse est majoritairement que l'on souhaite mourir chez soi, entouré et apaisé. Cela peut paraître une évidence. Mais comment meurt-on en France ? On meurt en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou à l'hôpital, dans 80 % des cas sans prise en charge palliative et dans de trop nombreux cas, seul, sur un brancard, dans un service d'urgence.
Toutes les personnes auditionnées par votre rapporteur réfléchissent depuis plusieurs années aux enjeux liés à la fin de vie. Toutes voient dans la situation réelle de la fin de vie en France la conséquence d'un refus collectif de penser la mort, de l'admettre comme intrinsèquement liée à la vie. Le plus souvent, la mort est vécue comme un échec médical, comme la conséquence d'une perte de chance. Si l'on meurt c'est, dans cette logique, que l'on n'a pas eu accès assez tôt au traitement le plus avancé. Comme si la médecine avait le pouvoir de nous faire vivre éternellement. Cette vision technique de l'existence se combine avec une certaine forme d'utilitarisme, qui conduit à isoler les personnes non productives parce qu'âgées, dépendantes ou malades en fin de vie.
Comme le souligne le dernier rapport de l'Observatoire national de la fin de vie, « la mort des personnes âgées peut survenir en plusieurs temps. Le premier est celui de la mort par exclusion de la "vraie vie", celle des gens qui bougent, qui vont vite, qui travaillent et produisent, qui sont rentables.
Puis vient la mort par regroupement et en même temps par isolement en dehors du regard de tous dans des établissements où chacun fait du mieux qu'il peut avec les moyens dont il ne dispose pas pour éviter l'indignité de certaines situations.
Puis enfin la mort à l'hôpital dans le couloir d'un service d'urgence ou après un long passage dans différents services hospitaliers dont l'objectif principal est de maintenir en vie les personnes malades. »
Cette situation de développement d'institutions médico-sociales et médicales où sont placées, parfois à l'encontre de leurs souhaits, les personnes en fin de vie est une spécificité française. En Allemagne par exemple, la mort à domicile est la règle. Il n'existe bien sûr dans le domaine de fin de vie aucun pays modèle. Mais il faut nécessairement nous interroger sur la manière dont notre système de prise en charge aboutit, malgré des investissements importants et la dévotion des personnels, à ne pas respecter la volonté des personnes. Cette volonté est de pouvoir vivre leur fin de vie chez elles.
2. Des réformes nécessaires
Le premier enjeu donc est de permettre le plus possible aux personnes en fin de vie de rester à domicile, accompagnées par des aidants. En Suède, où cela a été mis en place cela s'avère moins coûteux que la prise en charge en établissement. La Suède a également établi une distinction entre les aidants professionnels, qui pourvoient aux besoins de la personne dépendante au quotidien, et les aidants familiaux qui sont là pour fournir autant que possible un réconfort émotionnel.
Le second enjeu est la prise en charge de la douleur, notamment dans le cadre des soins palliatifs. Incontestablement, dans ce domaine, de très importants progrès ont été faits. La qualité du travail des équipes de soins palliatifs est très impressionnante, nul ne peut le contester. Mais les progrès restent insuffisants. D'après les informations transmises au rapporteur, seuls 20 % des personnes en fin de vie accèdent à ces soins, malgré les plans successifs et l'action volontariste des différents gouvernements. De plus, contre la volonté des équipes palliatives, leur intervention n'est obligatoire que dans les trois dernières semaines de vie. Ce calcul s'avère aléatoire, la médecine n'est pas une science exacte on ne peut savoir exactement quand surviendra le décès. Mais cette approche renforce l'idée que la médecine palliative est une médecine de la mort. En fait, c'est une médecine de l'accompagnement, du soulagement de la douleur et de l'écoute, qui peut certes aller jusqu'au terme de la vie, mais qui est utile dès le début de la prise en charge des maladies engageant le pronostic vital. Le terme même de « palliatif » peut paraître être source d'erreur, comme s'il s'agissait d'une médecine de l'échec de la guérison. Tel n'est pas le cas, et il faut peut-être que les termes en rendent compte. Les médecins ne consacrent qu'une heure par an de leur formation aux soins palliatifs, on est donc loin d'avoir intégré une dimension palliative à l'ensemble des prises en charge.
Si tous les malades pouvaient avoir accès aux soins palliatifs, les images de souffrances qui sont associées aux derniers moments de certains malades du cancer notamment cesseraient de marquer de manière indélébile les familles. Incontestablement, toute expérience d'une mort douloureuse renforce l'idée qu'il faut mettre en place le moyen d'obtenir une mort douce et rapide.
En effet, la proposition de loi du groupe écologiste, pas plus que celles qui l'ont précédée, n'entend nullement proposer l'assistance médicalisée pour mourir comme une alternative aux soins palliatifs. Au contraire, ce texte réaffirme le droit d'accès à ces soins, droit qui devrait déjà être effectif depuis la loi du 9 juin 1999 « visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs » 5 ( * ) .
De même il est incontestable qu'un certain nombre de choix sociaux concernant la fin de vie doivent être réévalués parallèlement à l'ouverture de la possibilité d'une aide médicalisée pour mourir, voire avant. Sinon, le sens de ce nouveau droit en sera entaché. Concrètement, le séjour en Ehpad coûte jusqu'à 2 000 euros par mois à la charge de la personne ou de sa famille. S'il existe une assistance médicalisée pour mourir, l'euthanasie ne risque-t-elle pas d'être choisie en raison du coût de ce séjour ? Cela serait à l'évidence inacceptable.
A l'inverse, faut-il attendre pour poser la question de l'assistance médicalisée pour mourir que les soins palliatifs aient atteint un développement complet, et que notre politique de prise en charge du vieillissement ait été refondue ? Jean-Claude Ameisen posait, lors de son audition, la question en ces termes : faut-il pour reconnaître de nouveaux droits attendre que les droits qui le sous-tendent soient pleinement effectifs ? On peut le concevoir. Mais, soulignait-il, cette question peut se poser autrement : sachant que certains droits ne seront jamais pleinement effectifs par manque de volonté ou de moyens, faut-il utiliser ce fait pour empêcher toute évolution du droit ?
* 5 Loi n° 99-477.