Rapport n° 336 (2013-2014) de M. Jean DESESSARD , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 5 février 2014
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N° 336
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 février 2014 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi relative au choix libre et éclairé d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne ,
Par M. Jean DESESSARD,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
182 et 337 (2013-2014) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSIONRéunie le mercredi 5 février 2014 sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission des affaires sociales a examiné la proposition de loi n° 182 relative au choix libre et éclairé d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne. A l'issue de l'exposé de M. Jean Desessard, rapporteur, et du débat intervenu entre les membres de la commission, celle-ci a décidé, sur la proposition de M. Jean-Pierre Godefroy, et en vue d'approfondir l'analyse sur les différentes propositions émanant de plusieurs groupes, en tenant compte de l'avis rendu en février 2013 sur certaines d'entre elles par le Conseil d'Etat, à la demande du Président du Sénat, de déposer une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi. En conséquence, elle n'a pas adopté de texte. En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Suite au dépôt par le groupe écologiste d'une proposition de loi au choix libre et éclairé d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne, inscrit dans l'ordre du jour qui lui est réservé, la commission a désigné comme rapporteur M. Jean Desessard. Ses auditions ouvertes à l'ensemble des commissaires ont permis, en un temps malheureusement contraint, de recueillir l'opinion des auteurs des rapports récemment rendus sur la question de la fin de vie, des médecins de soins palliatifs et de certaines des associations engagées depuis de nombreuses années dans le débat sur l'euthanasie.
L'examen de la proposition de loi permet, dans l'attente du projet de loi annoncé par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, de faire le point sur l'avancée de la réflexion collective en matière de fin de vie et de poser, dans toute leur complexité, les enjeux des débats à venir.
Le débat en commission a été particulièrement dense et riche en arguments, dans le respect des positions de chacun. Ce sujet qui mêle conviction philosophiques et expérience personnelle dépasse les clivages politiques et appelle un travail approfondi et éloigné de toute volonté polémique.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LES POSITIONS CONCERNANT LA FIN DE VIE ONT EVOLUE AU COURS DES DERNIERES ANNÉES
A. UN DÉBAT APPROFONDI
Même si plusieurs textes législatifs et programmes d'action gouvernementaux ont concerné depuis quinze ans la question de la fin de vie, le débat public a longtemps uniquement été porté par les associations militantes, parfois au travers de telle ou telle situation particulièrement tragique mise en lumière par les médias.
Cette situation a évolué, d'abord avec la discussion au Sénat d'un texte ouvrant le droit à une assistance médicalisée pour mourir, puis depuis 2012 avec l'organisation, à l'initiative du Président de la République, d'un débat national.
1. Au Sénat
Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité d'un débat déjà dense. Le Sénat a en effet eu l'occasion à plusieurs reprises au cours des dernières années de se pencher sur la question de la fin de vie. Tout d'abord, à la suite d'une question orale avec débat déposée par M. Jean-Pierre Godefroy, la commission des affaires sociales a constitué en son sein, en avril 2009, un groupe de travail associant des sénateurs de tous les groupes politiques afin de déterminer si la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie 1 ( * ) , dite Loi Leonetti, devait être complétée par de nouvelles dispositions législatives. Ce groupe a procédé à une vingtaine d'auditions de philosophes, de sociologues, de praticiens, de juristes et d'associations représentant toutes les familles de pensées ; il a analysé la législation mise en oeuvre par certains pays étrangers et rendu un rapport en juin 2010.
En janvier 2011 la commission a examiné trois propositions de loi émanant 2 ( * ) des groupes CRC, Socialiste et UMP, relatives à l'aide active à mourir et élaboré un texte commun, discuté en séance publique. Rejeté par la majorité de l'époque, ce texte a néanmoins été redéposé sous forme de propositions de loi par plusieurs de nos collègues 3 ( * ) . Le Président du Sénat les a soumises, ainsi que d'autres textes ayant le même objet, au Conseil d'Etat en application de l'article 39 de la Constitution. L'Assemblée générale du Conseil d'Etat a rendu son avis sur ces textes en février 2013.
En aucun cas la proposition de loi actuelle ne prétend se substituer au travail approfondi déjà mené par nos collègues. Elle permet cependant de prolonger le débat parlementaire dans l'attente du projet de loi annoncé par le Président de la République lors sa conférence de presse le 14 janvier dernier.
En effet, depuis la loi dite Leonetti de 2005, chaque occasion de débattre a permis de faire progresser la réflexion collective au-delà des points de vue également respectables des partisans et opposants à l'euthanasie. La création de l'Observatoire national de la fin de vie en 2010 a posé les prémices d'une étude scientifique et objective de la situation dans laquelle on meurt en France, ce qui permet d'espérer dépasser les analyses partielles ou partisanes. Le troisième rapport annuel de l'Observatoire, remis en janvier à la ministre de la santé 4 ( * ) , dresse ainsi un portrait de la fin de vie des personnes âgées dans notre pays au travers de sept parcours ordinaires.
2. Dans l'opinion publique
Surtout, conformément à ses engagements de campagne, le Président de la République a, depuis juillet 2012, engagé un débat public sur la fin de vie. A sa demande, une commission présidée par le Pr Didier Sicard a été constituée afin d'étudier la fin de vie en France. Elle a remis le 18 décembre 2012 son rapport intitulé « Penser solidairement la fin de vie ». Le comité consultatif national d'éthique a par ailleurs été saisi d'une demande d'avis sur la question suivante : « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir ». Cet avis a été rendu le 13 juin dernier. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) formule plusieurs remarques, mais considère que la réflexion sur le sujet de la fin de la vie n'est pas close et qu'elle doit se poursuivre sous la forme d'un débat public.
Le CCNE note également que, le Président de la République ayant mentionné dans sa saisine la présentation prochaine d'un projet de loi sur ces sujets, ce débat public devrait, comme le prévoit la loi relative à la bioéthique, comporter des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis pour représenter la société dans sa diversité ». Conformément à la mission qui lui a été confiée par le législateur dans le cadre de la loi bioéthique, le CCNE a donc organisé une conférence des citoyens et remettra un rapport, sans doute en mars, préalable au dépôt d'un projet de loi.
La conférence des citoyens sur la fin de vie a pour sa part remis un « avis citoyen » le 14 décembre dernier.
Nous disposons donc de plusieurs rapports et avis d'instances publiques collégiales ou de citoyens choisis pour représenter la diversité de la société française et amenés à débattre.
B. DES POINTS IMPORTANT DE CONSENSUS
De ces différentes prises de positions se dégagent des points de consensus particulièrement intéressants. Tous dénoncent les conditions dans lesquelles on meurt aujourd'hui en France, tous considèrent que la sédation dite profonde ou terminale doit être possible à la demande des malades en fin de vie et tous estiment que la mise en place d'une procédure d'assistance au suicide comme elle existe dans l'état de l'Oregon peut présenter un intérêt. Il n'y a cependant aucun consensus sur l'euthanasie définie comme le fait de donner une mort immédiate par un acte délibéré.
1. Le « mal mourir » français
Ces différents points doivent être expliqués tant il est vrai, comme le souligne Jean-Claude Amesein, que les mots masquent parfois la réalité ou les intentions. S'agissant tout d'abord des conditions de fin de vie en France, le constat dressé est sévère, au point que le Pr Sicard parle d'un « mal mourir » en France, dans lequel il voit une cause de la demande de cette « bonne mort » qu'est étymologiquement l'euthanasie. Comment nos concitoyens veulent-ils que se déroule leur fin de vie ? L'Observatoire de la fin de vie a mené des études sur cette question. La réponse est majoritairement que l'on souhaite mourir chez soi, entouré et apaisé. Cela peut paraître une évidence. Mais comment meurt-on en France ? On meurt en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou à l'hôpital, dans 80 % des cas sans prise en charge palliative et dans de trop nombreux cas, seul, sur un brancard, dans un service d'urgence.
Toutes les personnes auditionnées par votre rapporteur réfléchissent depuis plusieurs années aux enjeux liés à la fin de vie. Toutes voient dans la situation réelle de la fin de vie en France la conséquence d'un refus collectif de penser la mort, de l'admettre comme intrinsèquement liée à la vie. Le plus souvent, la mort est vécue comme un échec médical, comme la conséquence d'une perte de chance. Si l'on meurt c'est, dans cette logique, que l'on n'a pas eu accès assez tôt au traitement le plus avancé. Comme si la médecine avait le pouvoir de nous faire vivre éternellement. Cette vision technique de l'existence se combine avec une certaine forme d'utilitarisme, qui conduit à isoler les personnes non productives parce qu'âgées, dépendantes ou malades en fin de vie.
Comme le souligne le dernier rapport de l'Observatoire national de la fin de vie, « la mort des personnes âgées peut survenir en plusieurs temps. Le premier est celui de la mort par exclusion de la "vraie vie", celle des gens qui bougent, qui vont vite, qui travaillent et produisent, qui sont rentables.
Puis vient la mort par regroupement et en même temps par isolement en dehors du regard de tous dans des établissements où chacun fait du mieux qu'il peut avec les moyens dont il ne dispose pas pour éviter l'indignité de certaines situations.
Puis enfin la mort à l'hôpital dans le couloir d'un service d'urgence ou après un long passage dans différents services hospitaliers dont l'objectif principal est de maintenir en vie les personnes malades. »
Cette situation de développement d'institutions médico-sociales et médicales où sont placées, parfois à l'encontre de leurs souhaits, les personnes en fin de vie est une spécificité française. En Allemagne par exemple, la mort à domicile est la règle. Il n'existe bien sûr dans le domaine de fin de vie aucun pays modèle. Mais il faut nécessairement nous interroger sur la manière dont notre système de prise en charge aboutit, malgré des investissements importants et la dévotion des personnels, à ne pas respecter la volonté des personnes. Cette volonté est de pouvoir vivre leur fin de vie chez elles.
2. Des réformes nécessaires
Le premier enjeu donc est de permettre le plus possible aux personnes en fin de vie de rester à domicile, accompagnées par des aidants. En Suède, où cela a été mis en place cela s'avère moins coûteux que la prise en charge en établissement. La Suède a également établi une distinction entre les aidants professionnels, qui pourvoient aux besoins de la personne dépendante au quotidien, et les aidants familiaux qui sont là pour fournir autant que possible un réconfort émotionnel.
Le second enjeu est la prise en charge de la douleur, notamment dans le cadre des soins palliatifs. Incontestablement, dans ce domaine, de très importants progrès ont été faits. La qualité du travail des équipes de soins palliatifs est très impressionnante, nul ne peut le contester. Mais les progrès restent insuffisants. D'après les informations transmises au rapporteur, seuls 20 % des personnes en fin de vie accèdent à ces soins, malgré les plans successifs et l'action volontariste des différents gouvernements. De plus, contre la volonté des équipes palliatives, leur intervention n'est obligatoire que dans les trois dernières semaines de vie. Ce calcul s'avère aléatoire, la médecine n'est pas une science exacte on ne peut savoir exactement quand surviendra le décès. Mais cette approche renforce l'idée que la médecine palliative est une médecine de la mort. En fait, c'est une médecine de l'accompagnement, du soulagement de la douleur et de l'écoute, qui peut certes aller jusqu'au terme de la vie, mais qui est utile dès le début de la prise en charge des maladies engageant le pronostic vital. Le terme même de « palliatif » peut paraître être source d'erreur, comme s'il s'agissait d'une médecine de l'échec de la guérison. Tel n'est pas le cas, et il faut peut-être que les termes en rendent compte. Les médecins ne consacrent qu'une heure par an de leur formation aux soins palliatifs, on est donc loin d'avoir intégré une dimension palliative à l'ensemble des prises en charge.
Si tous les malades pouvaient avoir accès aux soins palliatifs, les images de souffrances qui sont associées aux derniers moments de certains malades du cancer notamment cesseraient de marquer de manière indélébile les familles. Incontestablement, toute expérience d'une mort douloureuse renforce l'idée qu'il faut mettre en place le moyen d'obtenir une mort douce et rapide.
En effet, la proposition de loi du groupe écologiste, pas plus que celles qui l'ont précédée, n'entend nullement proposer l'assistance médicalisée pour mourir comme une alternative aux soins palliatifs. Au contraire, ce texte réaffirme le droit d'accès à ces soins, droit qui devrait déjà être effectif depuis la loi du 9 juin 1999 « visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs » 5 ( * ) .
De même il est incontestable qu'un certain nombre de choix sociaux concernant la fin de vie doivent être réévalués parallèlement à l'ouverture de la possibilité d'une aide médicalisée pour mourir, voire avant. Sinon, le sens de ce nouveau droit en sera entaché. Concrètement, le séjour en Ehpad coûte jusqu'à 2 000 euros par mois à la charge de la personne ou de sa famille. S'il existe une assistance médicalisée pour mourir, l'euthanasie ne risque-t-elle pas d'être choisie en raison du coût de ce séjour ? Cela serait à l'évidence inacceptable.
A l'inverse, faut-il attendre pour poser la question de l'assistance médicalisée pour mourir que les soins palliatifs aient atteint un développement complet, et que notre politique de prise en charge du vieillissement ait été refondue ? Jean-Claude Ameisen posait, lors de son audition, la question en ces termes : faut-il pour reconnaître de nouveaux droits attendre que les droits qui le sous-tendent soient pleinement effectifs ? On peut le concevoir. Mais, soulignait-il, cette question peut se poser autrement : sachant que certains droits ne seront jamais pleinement effectifs par manque de volonté ou de moyens, faut-il utiliser ce fait pour empêcher toute évolution du droit ?
II. QUELLE RÉPONSE APPORTER AUX DEMANDES D'EUTHANASIE ?
A. L'AIDE AU SUICIDE
1. Une demande d'euthanasie est-elle toujours une demande d'autre chose que la mort ?
Personne n'envisage de l'ignorer. Certains, comme les membres de l'association Alliance Vita, considèrent qu'il s'agit dans tous les cas d'un appel à l'aide, physique ou, plus profondément peut-être, psychologique, qu'il est de notre devoir de prendre comme tel. On ne peut abandonner les personnes à leur désir de mort puisque lorsqu'on ranime ceux qui font une tentative de suicide 90 % d'entre eux ne feront pas de nouvelle tentative. Mais faut-il pour autant en conclure qu'une personne saine d'esprit ne peut en aucun cas vouloir mourir ? L'Académie de médecine considère qu'il faut distinguer les arrêts de vie des personnes en bonne santé, qui sont les suicides, et la fin de vie des personnes malades. Si, pour l'Académie, dès lors que l'on est en situation de fin de vie, l'on n'est plus capable du raisonnement clair permettant de savoir si l'on souhaite mourir on non, d'autres soignants m'ont affirmé que les patients en fin de vie sous dialyse sont en pleine possession de leurs facultés mentales.
En fait il ne peut y avoir qu'une analyse au cas par cas. La proposition de loi prévoit que la capacité d'une personne à exprimer sa volonté soit évaluée par deux médecins indépendants.
2. Comment envisager l'aide pour mourir ?
Si la lucidité de la personne qui demande à mourir est reconnue, et que ce choix n'est pas la conséquence d'un défaut de prise en charge, au nom de quel droit cette demande ne serait-elle pas satisfaite. A ceux qui expriment la crainte que la possibilité d'une mort assistée n'en fasse la mort socialement souhaitable qui serait imposée un jour aux plus faibles, votre rapporteur pourrait objecter qu'en Belgique et aux Pays-Bas, les cas d'euthanasie n'augmentent pas d'année en année.
L'une des possibilités pour aider à mourir les personnes en fin de vie qui le désirent est de leur donner les moyens de se suicider. Il s'agit là d'une aide au suicide (ce qui suppose que la personne peut toujours changer d'avis) et non d'un suicide assisté comme en Suisse, où la décision revêt un caractère définitif. Cette possibilité existe aux Etats-Unis dans l'Etat d'Oregon et, plus récemment, dans l'état de Washington. Une personne en fin de vie peut y obtenir, sur prescription médicale, un poison, qu'elle pourra conserver chez elle pendant six mois. Si, à l'issue de cette période, elle n'en a pas fait usage, elle devra obtenir une nouvelle prescription. De manière intéressante, seule la moitié des personnes remplissant les critères d'obtention du poison le demandent et, parmi celles qui l'obtiennent, moins de la moitié en font usage. Cette solution apparaît au Pr Sicard comme une possibilité à étudier. Reste à savoir si les modalités retenues dans ces Etats sont transposables en France. Surtout, ceci ne concerne que les personnes physiquement capables de prendre elles-mêmes la substance.
B. RESPECTER LA VOLONTÉ DES PERSONNES
1. Les personnes incapables de s'exprimer
Qu'en est-il des autres ? Votre rapporteur n'imagine pas que la loi puisse répondre à tous les cas. Cependant il lui apparaît légitime que l'on puisse laisser des directives anticipées sur la manière dont on souhaite que se termine sa vie si l'on n'est plus capable de s'exprimer le moment venu. Bien sûr, la situation de fin de vie est radicalement différente de celle de la bonne santé, et il faut que ces directives soient régulièrement actualisées et conservées. On pourrait par exemple les inscrire dans le dossier médical personnalisé suite à un entretien avec son médecin traitant, ou sur la carte Vitale.
Surtout, votre rapporteur estime que ces directives doivent être respectées. Elles ne sont à l'heure actuelle considérées en pratique que comme des souhaits. Les médecins de la société française d'accompagnement et de soins palliatifs souhaitent que les directives ne deviennent pas opposables donc qu'on puisse y déroger si on le justifie par écrit. La conférence des citoyens réclame pour sa part l'opposabilité, c'est-à-dire l'application stricte.
Reste le cas de ceux qui n'auront pas laissé de directives anticipées et se trouveront dans l'incapacité de s'exprimer sur la manière dont ils entendent terminer leur vie. Pour eux, la loi dite Leonetti propose déjà une solution en interdisant l'obstination déraisonnable, ce que l'on nomme couramment l'acharnement thérapeutique. Déterminer où commence l'obstination déraisonnable relève de l'équipe médicale, des aides-soignantes qui sont au chevet du malade jusqu'aux médecins. De ce point de vue, les médecins de soins palliatifs ont alerté votre rapporteur sur le danger que représente la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne si elle devait être confirmée par le Conseil d'Etat. Cet arrêt rendu le 11 janvier concernant l'arrêt des traitements de Vincent Lambert substitue l'appréciation du juge à celle de l'équipe médicale pour juger de ce qu'est l'acharnement thérapeutique. Ceci est contestable sur le principe. Qui plus est, le juge administratif de première instance a retenu une conception particulièrement restrictive de ce qu'est l'obstination, puisque tout traitement permettant de maintenir une interaction avec le monde extérieur est jugé raisonnable. Ceci, ont indiqué les médecins de soins palliatif, anéantirait tous les progrès réalisés par la médecine palliative depuis quinze ans. La décision du Conseil d'Etat est attendue dans les prochains jours.
Votre rapporteur note que l'ensemble des personnes auditionnées lui ont indiqué que les dispositions de la loi Leonetti ne sont pas connues des soignants, huit ans après son vote. Le Pr Sicard considère que ceci est sans doute lié à l'origine parlementaire du texte qui n'a pas bénéficié du plein appui des administrations.
2. Le droit d'obtenir une mort rapide et sans douleur
Le malade en fin de vie, s'il peut s'exprimer, peut demander la fin des traitements qui le maintiennent en vie. Dans plusieurs cas, comme celui des patients sous dialyse ou sous assistance respiratoire, cela entraînera sa mort à brève échéance. Dans d'autre cas, comme celui des patients en coma végétatif, l'absence de traitement ne changera que peu l'état de santé du malade. C'est la fin de la nutrition et, surtout, de l'hydratation qui entraîneront le décès. Ces cas suscitent à juste titre beaucoup d'attention. Peut-on faire mourir quelqu'un de soif ? Il y aurait là quelque chose de difficilement acceptable. Certains pensent d'ailleurs que l'on ne peut jamais interrompre l'hydratation ou l'alimentation, qui ne seraient pas des traitements, mais des soins. Pour la médecine palliative, la soif est un symptôme qui peut être pris en charge, et l'on peut être privé d'hydratation sans subir les symptômes de la soif. Surtout, la sensation de soif disparaît si le malade est en phase de sédation profonde.
L'augmentation progressive des traitements antidouleur jusqu'au point de donner la mort est déjà possible dans le cadre de la loi Leonetti. Mais la sédation profonde ou terminale n'est pas possible à la demande du patient. Sur ce point, l'ensemble des rapports remis souhaite ou admet une évolution de la loi. On respecterait la volonté de la personne, sans pour autant donner une mort immédiate.
Pourtant, dès lors que l'on accepte de faire advenir le décès, pourquoi refuser que celui-ci soit immédiat, par un acte volontaire ? L'argument qui a le plus souvent été avancé serait la violence de l'acte pour les familles et les personnels chargés de l'injection létale. Pour ces derniers, donner la mort serait de surcroît perdre un repère fondateur de leur mission de soignants. Il apparaît cependant à votre rapporteur que la position des professionnels varie considérablement d'un pays à l'autre. Au Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le Collège des médecins du Québec ont sollicité le passage d'une loi sur l'aide médicale à mourir.
Si la volonté de la personne est claire et libre de toute influence les professionnels de santé qui sont prêts à le faire devraient pouvoir lui procurer l'assistance qu'elle souhaite pour une mort immédiate et sans douleur.
Reste un dernier cas, celui des personnes qui ne sont pas en fin de vie, mais se trouvent réduites à une situation physique qu'elles jugent intolérables. Evidemment, le seul point de vue fondamental est celui du malade lui-même, l'unique personne capable de juger de la dignité de sa vie. La proposition de loi dispose que, dans certains cas précis, ces personnes puissent également bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir.
La situation de fin de vie est complexe et soulève de nombreuses questions. Néanmoins le débat est aujourd'hui fortement engagé dans la société et le législateur doit y répondre.
III. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI
La proposition de loi se compose de dix articles.
L' article premier ouvre la possibilité pour une personne malade de disposer d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne.
L' article 2 ouvre cette possibilité pour toute personne majeure capable, en phase avancée ou terminale, même sans diagnostic de décès à brève échéance, que sa condition résulte d'une pathologie ou d'un accident. Sa situation doit être grave ou à tendance invalidante et incurable et lui infliger une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable qu'elle ne peut supporter.
L' article 3 dispose que la mort médicalement assistée sera considérée comme une mort naturelle.
L' article 4 prévoit une procédure de contrôle de la situation et de la volonté de la personne par deux médecins. Il prévoit que le médecin effectue lui-même l'acte d'assistance si la volonté de la personne est établie.
L' article 5 prévoit l'obligation de respecter les directives anticipées d'une personne.
Les articles 6 et 7 adaptent la procédure au cas où la personne est incapable de s'exprimer mais a désigné une personne de confiance.
L' article 8 prévoit une clause de conscience pour les médecins.
L' article 9 réaffirme le droit d'accès aux soins palliatifs.
L' article 10 est un gage.
EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'examen de la proposition de loi n° 182 (2013-2014) relative au choix libre et éclairé d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne dont M. Jean Desessard est le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - La proposition de loi déposée par le groupe écologiste se compose de dix articles. Le premier ouvre la possibilité pour une personne malade de disposer d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne. L'article 2 concerne les personnes majeures capables, en phase avancée ou terminale, même sans diagnostic de décès à brève échéance, dès lors qu'elles se trouvent dans une situation grave ou à tendance invalidante et incurable et leur inflige une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable qu'elles ne peuvent supporter. Aux termes de l'article 3, la mort médicalement assistée sera considérée comme une mort naturelle. L'article 4 prévoit une procédure de contrôle de la situation et de la volonté de la personne par deux médecins. Le médecin assistera lui-même la personne dont la volonté est établie. L'article 5 instaure l'obligation de respecter les directives anticipées d'une personne. Les articles 6 et 7 adaptent la procédure au cas où la personne, incapable de s'exprimer, a désigné une personne de confiance. L'article 8 énonce une clause de conscience pour les médecins. L'article 9 réaffirme le droit d'accès aux soins palliatifs. L'article 10 est un gage.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité d'un débat déjà dense. A la suite d'une question orale avec débat déposée par Jean-Pierre Godefroy, la commission des affaires sociales a, en avril 2009, constitué en son sein un groupe de travail associant des sénateurs de tous les groupes afin de déterminer si la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie devait ou non être complétée. Après une vingtaine d'auditions de personnalités compétences issues de toutes les familles de pensée, ce groupe a rendu un rapport en juin 2010. En janvier 2011, la commission a examiné trois propositions de loi émanant des groupes CRC, socialiste et UMP relatives à l'aide active à mourir. Le texte commun qu'elle a élaboré ayant été rejeté en séance publique, il a été repris sous forme de propositions de loi par plusieurs de nos collègues. Le Président du Sénat les a soumises au Conseil d'Etat dont l'assemblée générale a rendu un avis en février 2013.
Loin de se substituer au travail approfondi mené par nos collègues, l'actuelle proposition de loi prolonge le débat parlementaire dans l'attente du projet annoncé par le Président de la République lors sa conférence de presse le 14 janvier dernier.
Depuis la loi Leonetti, chaque occasion de débattre a fait progresser la réflexion collective au-delà des points de vue également respectables des partisans et opposants à l'euthanasie. La création de l'Observatoire national de la fin de vie en 2010 a posé les prémices d'une étude scientifique et objective de la situation dans laquelle on meurt en France. Le troisième rapport annuel de l'Observatoire dressait ainsi un portrait de la fin de vie des personnes âgées dans notre pays au travers de sept parcours ordinaires.
Conformément à ses engagements de campagne, le Président de la République a depuis juillet 2012 engagé un débat public sur la fin de vie. A sa demande, une commission présidée par le professeur Didier Sicard a été constituée. Elle a remis le 18 décembre 2012 son rapport, Penser solidairement la fin de vie. Saisi d'une demande d'avis sur la question suivante : « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir », le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a considéré en juin 2013 que la réflexion devait se poursuivre sous la forme d'un débat public avec des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis pour représenter la société dans sa diversité ». Le CCNE, qui a organisé une conférence des citoyens, remettra un rapport préalable au dépôt d'un projet de loi, sans doute en mars. La conférence des citoyens a pour sa part rendu un avis citoyen le 14 décembre dernier.
Tous les rapports et avis d'instances publiques collégiales ou de citoyens dénoncent les conditions dans lesquelles on meurt aujourd'hui en France ; tous considèrent que la sédation profonde ou terminale doit être possible à la demande des malades en fin de vie ; tous estiment qu'une procédure d'assistance au suicide, à l'image de celle qui existe dans l'Oregon, peut présenter un intérêt. Il n'y a en revanche aucun consensus sur l'euthanasie définie comme le fait de donner une mort immédiate par un acte délibéré.
Si, comme le souligne Jean-Claude Ameisen, les mots masquent parfois la réalité ou les intentions, le constat dressé sur les conditions de fin de vie en France est sévère. Didier Sicard parle d'un « mal mourir » en France, dans lequel il voit une cause de la demande de cette bonne mort qu'est étymologiquement l'euthanasie. Comment nos concitoyens veulent-ils que se déroule leur fin de vie ? Selon l'Observatoire national de la fin de vie, ils souhaitent mourir chez eux, entourés et apaisés. Or l'on meurt pourtant en Ehpad ou à l'hôpital, dans 80 % des cas sans prise en charge palliative et dans de trop nombreux cas, seul, sur un brancard, dans un service d'urgence.
Les personnes auditionnées voient dans la situation réelle de la fin de vie en France la conséquence d'un refus collectif de penser la mort, de l'admettre comme intrinsèquement liée à la vie. Le plus souvent, la mort est vécue comme un échec médical : l'on meurt parce que l'on n'a pas eu accès assez tôt au traitement le plus avancé. Comme si la médecine avait le pouvoir de nous faire vivre éternellement ! Cette vision technique se combine avec un certain utilitarisme, qui conduit à isoler les personnes non productives parce qu'âgées, dépendantes ou malades en fin de vie.
Le dernier rapport de l'Observatoire national de la fin de vie est sévère. La mort des personnes âgées, dit-il, survient en plusieurs temps : d'abord l'exclusion de « "la vraie vie", celle des gens qui bougent, qui vont vite, qui travaillent et produisent, qui sont rentables », ensuite le regroupement et l'exclusion « par isolement en dehors du regard de tous dans des établissements », enfin la mort à l'hôpital - un constat. Cette situation est une spécificité française. En Allemagne, la mort à domicile est la règle. Il n'y a bien sûr aucun pays modèle. Reste que nous devons nous interroger sur la manière dont notre système de prise en charge aboutit à ne pas respecter la volonté des personnes.
Le premier enjeu est d'aider le plus possible les personnes en fin de vie à rester à domicile, accompagnées par des aidants. Le système suédois se révèle moins coûteux que la prise en charge en établissement ; il distingue les aidants professionnels, qui pourvoient aux besoins de la personne dépendante au quotidien, et les aidants familiaux qui fournissent autant que possible un réconfort émotionnel.
Le second enjeu tient à la prise en charge de la douleur. Malgré l'impressionnante qualité du travail des équipes de soins palliatifs, les progrès restent insuffisants. Seules 20 % des personnes en fin de vie accèdent à ces soins. De plus, l'intervention des équipes de soins palliatifs n'est obligatoire que dans les trois dernières semaines de vie alors même qu'il est impossible de prévoir avec certitude la date du décès.
Une telle approche renforce l'idée que la médecine palliative est une médecine de la mort alors qu'il s'agit d'une médecine de l'accompagnement, du soulagement de la douleur et de l'écoute, utile dès le début de la prise en charge des maladies engageant le pronostic vital. Le terme même me paraît être source d'erreur, comme s'il s'agissait d'une médecine de l'échec de la guérison. Les médecins ne consacrent qu'une heure par an de leur formation aux soins palliatifs. La dimension palliative n'est pas intégrée à l'ensemble des prises en charge. Si l'accès aux soins palliatifs était généralisé, les images de souffrances associées aux derniers moments de certains malades cesseraient de marquer de manière indélébile les familles. Toute expérience d'une mort douloureuse renforce le désir d'une mort douce et rapide.
La proposition de loi du groupe écologiste, pas plus que celles qui l'ont précédée, ne propose l'assistance médicalisée pour mourir comme une alternative aux soins palliatifs. Au contraire, elle réaffirme le droit d'accès à ces soins, qui devrait être effectif depuis la loi du 9 juin 1999.
Un certain nombre de choix sociaux concernant la fin de vie doivent être réévalués parallèlement à l'ouverture de la possibilité d'une aide médicalisée pour mourir, voire avant. Le séjour en Ehpad coûte jusqu'à 2 000 euros par mois à la charge de la personne ou de sa famille. S'il existe une assistance médicalisée pour mourir, l'euthanasie ne risque-t-elle pas d'être choisie en raison du coût de ce séjour ? Cela serait à l'évidence inacceptable.
A l'inverse, avant de mettre en place l'assistance médicalisée à la mort faut-il attendre que les soins palliatifs aient atteint un développement complet et que notre politique de prise en charge du vieillissement ait été refondue ? Lors de son audition, Jean-Claude Ameisen a indiqué que cette question peut avoir un autre aspect sachant que certains droits ne seront jamais pleinement effectifs. Ceci doit-il empêcher toute évolution du droit ?
Que faut-il faire face à une demande d'euthanasie ? Certains, comme les membres de l'association Alliance Vita considèrent qu'il s'agit toujours d'un appel à l'aide à prendre comme tel. On ne peut abandonner les personnes à leur désir de mort puisque lorsqu'on ranime ceux qui font une tentative de suicide, 90 % d'entre eux ne feront pas de nouvelle tentative. Doit-on en conclure qu'une personne saine d'esprit ne peut vouloir mourir ? L'Académie de médecine distingue les arrêts de vie des personnes en bonne santé, que sont les suicides, et la fin de vie des personnes malades, lesquelles ne sont plus capables de se prononcer raisonnablement. Des soignants affirment au contraire que les patients en fin de vie sous dialyse sont en pleine possession de leurs facultés mentales. Il ne peut y avoir qu'une analyse au cas par cas.
La proposition de loi prévoit que la capacité d'une personne à exprimer sa volonté soit évaluée par deux médecins indépendants. Si sa lucidité est reconnue, et que son choix ne résulte pas d'un défaut de prise en charge, au nom de quel droit cette demande ne serait-elle pas satisfaite ? Certains craignent que la possibilité d'une mort assistée n'en fasse une mort socialement souhaitable, imposée à terme aux plus faibles. Cependant, ni en Belgique ni aux Pays-Bas, les cas d'euthanasie n'augmentent d'année en année.
Donner les moyens de se suicider suppose que la personne peut toujours changer d'avis : il ne s'agit pas d'un suicide assisté comme en Suisse, où la décision revêt un caractère définitif. Cette possibilité existe aux Etats-Unis dans l'Oregon et dans l'Etat de Washington. Une personne en fin de vie peut y obtenir un poison sur prescription médicale. Si elle n'en a pas fait usage dans les six mois, elle devra obtenir une nouvelle prescription. Seule la moitié des personnes remplissant les critères demande le poison, et moins de la moitié de celles qui l'obtiennent en fait usage. Cette solution apparaît au professeur Sicard comme une piste à explorer. A supposer que ces modalités soient transposables en France, elles concerneraient seulement les personnes physiquement capables de prendre elles-mêmes la substance. Qu'en est-il des autres ?
Je n'imagine pas que la loi puisse répondre à tous les cas de figure. Cependant il apparaît légitime de pouvoir laisser des directives anticipées sur la manière dont on souhaite terminer sa vie si l'on n'est plus capable de s'exprimer le moment venu. Bien sûr, ces directives doivent être régulièrement actualisées et conservées. Il serait envisageable de les inscrire dans le dossier médical personnalisé suite à un entretien avec le médecin traitant ou sur la carte Vitale. Il est important que ces directives soient respectées. Pour l'heure, elles sont considérées comme des souhaits. Les médecins de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs désirent pouvoir y déroger sous réserve d'une justification écrite. La conférence des citoyens réclame pour sa part l'opposabilité, c'est-à-dire l'application stricte.
Reste le cas de ceux qui n'ayant pas laissé de directives anticipées, se trouveront dans l'incapacité de s'exprimer sur la manière dont ils entendent terminer leur vie. Pour eux, la loi Leonetti interdit l'obstination déraisonnable (l'acharnement thérapeutique), dont il appartient à l'équipe médicale de déterminer où elle commence. De ce point de vue, les médecins de soins palliatifs m'ont alerté sur le jugement rendu le 11 janvier dernier par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à propos de l'arrêt des traitements de Vincent Lambert. Substituant l'appréciation du juge à celle de l'équipe médicale, il retient une conception particulièrement restrictive et qualifie de raisonnable tout traitement maintenant une interaction avec le monde extérieur. Selon les médecins de soins palliatifs, la confirmation de ce jugement par le Conseil d'Etat, qui doit se prononcer jeudi, anéantirait tous les progrès réalisés par la médecine palliative depuis quinze ans.
L'ensemble des personnes auditionnées m'ont indiqué que, huit après son vote, la loi Leonetti reste peu connue des soignants. Pour Didier Sicard, le texte, issu d'une initiative parlementaire, n'a pas bénéficié du plein appui des administrations.
Le malade en fin de vie capable de s'exprimer peut demander la fin des traitements qui le maintiennent en vie. Parfois, cela entraînera sa mort à brève échéance. Dans d'autre cas, comme celui des patients en coma végétatif, c'est la fin de la nutrition et, surtout, de l'hydratation qui entraînera le décès. Peut-on faire mourir quelqu'un de soif ? Il y aurait là quelque chose de difficilement acceptable. Certains pensent que l'on ne peut jamais interrompre l'hydratation ou l'alimentation, qui ne seraient pas des traitements, mais des soins. Pour la médecine palliative, la soif est un symptôme qui peut être pris en charge et l'on peut être privé d'hydratation sans subir les symptômes de la soif - la sensation de soif disparaît en phase de sédation profonde.
L'augmentation progressive des traitements antidouleurs jusqu'au point de donner la mort est possible dans le cadre de la loi Leonetti, mais non la sédation profonde ou terminale à la demande du patient. Sur ce point, l'ensemble des rapports remis souhaite ou admet une évolution de la loi.
Dès lors que l'on accepte de faire advenir le décès, pourquoi refuser que celui-ci soit le résultat immédiat d'un acte volontaire ? La violence de l'acte pour les familles et les personnels chargés de l'injection létale est souvent mise en avant. Donner la mort serait perdre un repère fondateur de la mission de soignants. La position des professionnels varie toutefois considérablement d'un pays à l'autre. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le Collège des médecins du Québec ont sollicité une loi sur l'aide médicale à mourir. L'essentiel est d'admettre une clause de conscience pour l'ensemble des professionnels, comme pour l'avortement. Si la volonté de la personne est claire et libre de toute influence, les professionnels de santé qui sont prêts à le faire devraient pouvoir lui procurer l'assistance qu'elle souhaite pour une mort immédiate et sans douleur.
Reste le cas des personnes qui, sans être en fin de vie, se trouvent réduites à une situation physique qu'elles jugent intolérable. La proposition de loi leur ouvre la possibilité de bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir. Selon moi en effet, seul le malade est capable de juger de la dignité de sa vie.
Complexe, la situation de fin de vie soulève de nombreuses questions. Le débat est aujourd'hui engagé dans la société et le législateur doit y répondre. La majorité des personnes auditionnées se sont prononcées en faveur d'une évolution de la loi. Parce que la proposition de loi aborde le sujet avec lucidité et franchise tout en prévoyant un cadre strict, je vous demande de la soutenir.
M. Jean-Pierre Godefroy . - L'excellent rapport que nous venons d'entendre reflète fidèlement les auditions menées. Nous abordons ce sujet tous les trois ans. Après la loi Leonetti de 2005, votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale mais non au Sénat, contrairement à ce qu'écrit la presse, nous avons posé une question orale avec débat à Roselyne Bachelot en 2008, puis, en 2011, la commission des affaires sociales a déposé une proposition de loi. J'espère que nous ne reviendrons pas sur ce thème en 2017...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - En fin de mandat...
M. Jean-Pierre Godefroy . - Je partage la philosophie exposée par notre rapporteur. Cinq autres propositions de loi ont été déposées au Sénat sur le même sujet et ont été soumises à l'avis du Conseil d'Etat. Muguette Dini a présenté un texte assez proche. L'ensemble des propositions ne peuvent-elles être reprises et portées comme en 2011 par la commission dans le cadre d'un texte unique à l'élaboration duquel toutes les formations politiques seraient associées ? Cette démarche présenterait l'intérêt de dépasser les clivages politiques.
Le texte ne dépénalise pas l'euthanasie dans le code pénal ; il introduit une exception d'euthanasie dans le code de la santé publique. S'il n'appelle pas d'objection de fond, l'article 2 vise une « affection grave et/ou à tendance invalidante ». Je m'interroge sur la validité juridique de la double conjonction et sur le sens précis de la notion de « tendance invalidante » qui semble ouvrir la voie à des interprétations larges.
Il n'est pas juste d'opposer soins palliatifs et assistance médicalisée à la fin de vie ; les deux démarches sont complémentaires. Il est louable d'aider le plus grand nombre de patients à mourir à domicile. Si le précédent gouvernement a ouvert la possibilité aux proches de malades de prendre un congé de fin de vie de trois semaines, cette disposition se heurte à des difficultés pratiques, car il est impossible de déterminer la date d'un décès. De même, le développement des soins palliatifs n'est-il pas entravé par des enjeux financiers dès lors qu'ils ne sont pas rentables pour les hôpitaux ? Au demeurant, doivent-ils demeurer une spécialité ou au contraire relever du cursus médical général ?
La question de l'opposabilité des directives de fin de vie appelle un véritable débat. Doivent-elles avoir une fonction testamentaire ou une validité limitée dans le temps ? Il serait bon de solliciter l'avis du Conseil d'Etat.
Je suis réservé sur l'adoption de dispositions proches de celles qui existent en Oregon. Les législations belge, luxembourgeoise et néerlandaise me semblent plus satisfaisantes. Confier un poison constitue une forme d'abandon de la personne, outre que cela soulève des inquiétudes sur l'utilisation du produit. Un rapport québécois conclut que l'acte de donner la mort doit faire partie du parcours de soin des médecins. Cela semble intéressant.
Toutes ces remarques plaident pour un retour du texte en commission, non pour l'enterrer mais pour qu'il soit porté par tous. Dans son avis sur les propositions de loi qui lui ont été soumises par le Président du Sénat, le Conseil d'Etat a rappelé que le législateur dispose d'une grande liberté d'appréciation sur le sujet en l'absence de norme constitutionnelle ou conventionnelle faisant obstacle par principe à la législation envisagée. La compétence du législateur n'est pas épuisée. Il conviendra d'être attentif à la décision que rendra le Conseil d'Etat au sujet de l'arrêt des traitements de Vincent Lambert, car elle pourrait remettre en cause la loi Leonetti.
Le CCNE va remettre un rapport. Bien que nous n'ayons pas l'obligation d'attendre son dépôt, il semble préférable d'en tenir compte. Cela milite également en faveur d'un renvoi du texte en commission.
M. Alain Milon . - La proposition de loi aborde un sujet sensible. Alors que le Gouvernement vient de retirer son projet de loi sur la famille pour se concentrer sur les questions économiques et sociales, sur la baisse des dépenses publiques et sur le pacte de responsabilité, est-il opportun d'examiner une question sociétale qui divise les Français, à savoir la légalisation de l'euthanasie ? Le débat sur la fin de vie doit être mené dans un respect profond des personnes et des convictions, car il renvoie chacun à son approche personnelle de la vie et de la mort. Il soulève des questions aussi graves que les débats sur l'IVG, la peine de mort, le pacs ou le mariage pour tous.
La loi du 4 mars 2002 a reconnu aux patients le droit de refuser une thérapie même si cela met leur vie en danger. Bien qu'elle ne règle pas tous les cas de figure, comme l'ont montré les affaires Humbert et Sébire, elle a constitué une réelle avancée en faisant passer les patients du rôle de spectateur de leur maladie à celui d'acteur, en leur reconnaissant ce que certains se sont empressés de qualifier de droit à l'euthanasie passive. La réitération de ce principe par la loi du 22 avril 2005 ne donne pas au patient la liberté d'être acteur de sa propre mort. Depuis lors, le débat, sans cesse relancé, autour de l'accompagnement à la mort reste souvent stérile. A la volonté de certains de contrôler le début de la vie répond chez d'autres la tentation de maîtriser la fin de vie. La loi Leonetti offre la possibilité d'interrompre un traitement déraisonnable et d'apaiser les douleurs physiques par l'administration de produits qui peuvent accélérer la mort, celle-ci survenant comme un processus naturel.
Les heures que nous consacrons à débattre de la fin de vie nous rappellent ce qu'Albert Camus nommait l'absurdité de la condition humaine : notre mort et celle de nos proches demeurent révoltantes. Pour autant, grâce à la conscience de cette mort inéluctable nous goûtons le moment présent. La loi Leonetti garantit l'accès aux soins palliatifs. N'est-il pas préférable de continuer à informer sur ce texte qui reste méconnu du grand public plutôt que de relancer des polémiques ?
Respect de la vie, dépendance, vieillissement, dignité de la personne humaine, autant de thèmes qui s'entrecroisent. Le droit à la mort reste contraire aux valeurs des médecins et aux sources morales de notre démocratie. Il est inacceptable que la société assigne à la médecine la tâche de tuer un patient. Pour moi, le suicide est une liberté et non un droit. La proposition risque de créer un nouveau métier, celui d'euthanasieur. Nous sommes tous convaincus qu'il convient de rendre la mort plus douce et plus naturelle, il ne nous appartient pas de la provoquer. L'acte de tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire. L'autoriser saperait la confiance des familles vis-à-vis des soignants. Le devoir d'humanité consiste à prendre soin de l'autre. Nous devons accepter notre condition de mortel tout en refusant la douleur. Renoncer à l'acharnement thérapeutique, rompre l'isolement des malades en fin de vie, épargner le désarroi aux familles, éviter la culpabilité des soignants tous ces objectifs peuvent être atteints par le développement de la culture palliative. Il est indispensable de confirmer l'importance des soins palliatifs, de créer des unités dans tous les services et de former les médecins. Le refus de la souffrance, la solidarité avec les plus faibles nous réunissent. L'aide au suicide, l'euthanasie masquent une fuite de nos responsabilités. Leur légalisation consacrerait moins la victoire de la liberté que la défaite de la volonté.
Certains veulent légaliser l'euthanasie au nom du respect et de la dignité de la personne; cette approche n'est ni complète ni sereine. Rendre effectif et équitable l'accès aux antalgiques, accompagner en fin de vie et favoriser les soins palliatifs, voilà le combat politique que nous avons à mener, les engagements que nous devons à nos concitoyens.
M. Gérard Dériot . - Très bien !
Mme Muguette Dini . - Ayant déposé une proposition de loi sur l'assistance médicalisée à la mort, je partage les vues de Jean-Pierre Godefroy. L'expression « fin de vie » recouvre des réalités diverses. Il importe de distinguer la mort des personnes âgées de celle des personnes qui meurent d'une longue maladie, ainsi que de la situation des personnes incapables d'exprimer leur volonté. Dans les hôpitaux et les Ehpad, les malades sont bien soignés mais abandonnés, faute de moyens d'accompagnement. Cela doit nous alerter. Sur la fin de vie proprement dite, j'estime avoir le droit de demander qu'on mette fin à ma vie parce que je ne la supporte plus. Pourquoi ne me reconnaît-on pas ce droit ?
Ce sujet ne peut être traité au détour de l'examen d'un seul texte alors que le Gouvernement s'apprête à déposer un projet de loi et que diverses propositions de loi l'ont été. Je suis donc favorable à un retour du texte en commission.
Les directives anticipées doivent être opposables. Les états généraux qui seront réunis avant la présentation du projet de loi doivent constituer des lieux d'échange et de discussion véritables, ce qui n'a pas été le cas des états généraux de la bioéthique, que Marie-Thérèse Hermange avait qualifiés de lieux de formation. Enfin, gardons à l'esprit qu'en pratique, la proposition de loi concernera peu de malades car si les soins palliatifs sont bien développés, rares sont ceux qui demanderont à mourir : accordez-leur ce droit ! La dignité est un sentiment qui s'applique à autrui comme à chacun : si je ne veux plus vivre ma vie comme elle est, je dois pouvoir demander à mourir.
M. René-Paul Savary . - La fin de vie est un sujet qui provoque forcément l'émotion. Nous y avons tous été confrontés, particulièrement les médecins. Je partage le point de vue d'Alain Milon. Je suis sensible à ce qui vient d'être dit. La situation d'évidence où une personne affirme résolument vouloir en finir n'est pas la plus fréquente. Au contraire, combien disaient vouloir en finir, et n'arrivent toujours pas à franchir le pas dix ans après ? Il est très difficile de dissocier la volonté d'en finir de l'évocation de la fin de vie. Chaque situation est un cas particulier difficile à appréhender. Je ne suis pas sûr que le législateur soit en mesure de répondre à tous ces cas.
La loi Leonetti n'est connue ni des soignants, ni des particuliers. Nous devrions travailler à la faire connaître plutôt que d'en refaire une, d'autant qu'elle résout bien des problèmes, notamment en milieu hospitalier. Certes, des solutions restent à trouver pour faciliter le choix d'une fin de vie à domicile. Beaucoup croient que ce choix est préférable, sans voir que le maintien à domicile provoque parfois des situations de souffrance extrême, liées à l'isolement ou à un état de dénutrition.
Les soins palliatifs devraient faire l'objet d'une organisation transversale avec des équipes suffisamment formées se déplaçant dans les différents services hospitaliers, mais aussi au domicile des patients en fin de vie. Ainsi, et dans le cadre de la loi Leonetti, la possibilité d'une fin de vie accompagnée à domicile deviendra-t-elle réelle.
Le recours aux médicaments qui soulagent la douleur comporte un risque, inévitable au cours du traitement d'un patient en fin de vie. Le médecin doit savoir mesurer le rapport bénéfice-risque et estimer le soulagement procuré au patient à la mesure du risque encouru. Dans certains cas, il prescrira des antidouleurs, quand il s'y refusera dans d'autres. La loi Leonetti offre un cadre propice à un équilibre entre bénéfice et risque dans le traitement des patients.
Le dispositif doit être amélioré sans laisser place à la polémique qui accompagne tout débat de société. Je suis tenté de rejoindre la position de mon collègue Godefroy pour dire que le débat mérite d'être approfondi. Le professeur Sicard a dit les conséquences de la méconnaissance de la loi Leonetti. Parce qu'elle est d'origine parlementaire et non gouvernementale, cette loi n'a pas eu la résonance qu'elle méritait. Donnons-la-lui !
Mme Michelle Meunier. - S'il y a à faire connaître la loi Leonetti, il faut aussi la faire évoluer et respecter le processus et le calendrier proposé. Le Président de la République s'est engagé sur ce dossier, de nombreux travaux ont été réalisés, le Comité d'éthique a formulé des propositions en juin, la commission consultative s'est prononcée, et en mars prochain le comité consultatif national d'éthique (CCNE) présentera un rapport enrichi de la conférence citoyenne.
M. Godefroy a raison, ce texte vient trop tôt. Il n'en a pas moins le mérite de montrer l'attention que le législateur prête à un sujet qui nous concerne tous. Souffrance et dignité sont les mots-clefs qui définissent le champ d'une réflexion commune. Restons prudents et ne réduisons pas le débat à l'exception d'euthanasie : nous éviterons de commettre la même erreur que dans le débat sur la famille où l'accent avait été porté à tort sur la PMA.
L'ensemble du texte mérite d'être enrichi. Le parcours de formation des étudiants en médecine doit notamment être amélioré, car les auditions ont maintes fois fait apparaître que les futurs praticiens n'avaient pas actuellement la nécessaire formation aux soins palliatifs. Nous voterons le renvoi du texte en commission.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je serai plus pragmatique. Les propos philosophiques que nous avons entendus le confirment, nous sommes loin d'aboutir à un consensus national. Quitte à être besogneux, mieux vaut dès lors apporter chaque jour sa pierre à l'édifice.
Manque de communication sur la loi Leonetti, aide aux aidants, maintien à domicile, nous disposons de pistes pour améliorer les conditions de fin de vie à partir du texte sur la dépendance. Encore faudrait-il que chacun cesse de se mêler de tout. Président de commission au conseil général, je vois bien que nous ne sommes pas audibles parce que toute organisation s'occupant des personnes âgées a son petit système de communication qui brouille nos messages. Il est temps de désigner un chef de file avec une compétence dédiée : les conseils généraux, qui sont les mieux placés, conventionneraient avec les agences régionales de santé (ARS) pour mettre en place tout ce dont nous avons parlé. Cela enlèverait de son acuité au débat et apporterait plus d'humanité aux personnes concernées.
M. Gérard Dériot. - Pour avoir été rapporteur de la loi Leonetti au Sénat, je sais que le débat sur la fin de vie ne s'arrête jamais. Il est difficile de trouver des solutions acceptables par tous sur un sujet aussi personnel. Je me range à la déclaration d'Alain Milon, qui a rappelé la dimension philosophique de ce sujet. La loi Leonetti a été votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale et à celle des présents au Sénat, même si certains groupes politiques ont préféré partir.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Il n'était pas possible d'amender !
M. Gérard Dériot. - Si le sujet n'est pas traité complètement, du moins la loi existe-t-elle. Chacun s'accorde à dire qu'elle n'est pas assez connue. Est-ce à cause de son origine parlementaire ? A mon avis, une cabale a été montée autour de cette loi sans doute par les plus extrémistes dans le débat sur la fin de vie. Cela a été catastrophique parce que cet outil équilibré envisage presque toutes les situations, hormis l'acte de tuer, l'euthanasie, que les professions médicales n'ont pas été habituées à penser. En revanche, la loi répond à un problème qui nous préoccupe tous, celui de la douleur à atténuer. L'acharnement thérapeutique est interdit. La loi donne presque toutes les solutions ; appliquons-la !
Les soins palliatifs doivent avoir une organisation transversale. Quand on les limite à un service spécifique dans un hôpital, y transférer un patient, c'est l'emmener à la morgue !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Cela arrive.
M. Gérard Dériot . - Appliquer la loi, toute la loi serait déjà une grande avancée : tout y est. Organiser l'accompagnement du suicide assisté ne me paraît pas envisageable. L'ancien pharmacien que je suis refuse que les officines se transforment en armureries. Appliquons la loi et faisons-la appliquer. Le ministère de la santé a les moyens de lui donner la publicité nécessaire.
Mme Laurence Cohen. - Ce sujet politique entre en écho avec l'intime, d'où la difficulté à légiférer. Comment produire une loi applicable à tous dans des situations qui touchent à des convictions personnelles forgées par l'histoire de chacun ? Cela transcende les clivages politiques : hier, le groupe CRC n'a pas été unanime.
La loi Leonetti, sans tout régler, propose des solutions. Pourquoi n'est-elle pas appliquée et pourquoi n'est-elle connue ni des patients, ni des soignants ? Comment améliorer cette situation, aider au respect de la loi et inciter le Gouvernement à une campagne d'information ?
Je suis sensible à ce qu'a dit Muguette Dini sur le droit à la dignité et au choix de pouvoir arrêter de vivre. Le souci actuel du législateur est que tous, quelle que soit leur origine, puissent avoir également accès à ce droit.
Pour que l'hôpital et les équipes soignantes jouent un rôle, il faut des moyens financiers et humains. Ne soyons pas hypocrites : il y a un paradoxe et une contradiction à se plaindre de moyens insuffisants tout en votant un objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) historiquement bas.
L'instrumentalisation de ce sujet épineux peut entraîner la crispation de certains milieux conservateurs. Gérard Dériot a parlé d'une cabale autour de la loi Leonetti. Elle se heurte en tout cas à des conservatismes et provoque des réactions très dures. Les mêmes conservatismes s'étaient mobilisés contre le droit à l'IVG.
Nous avons tous la frustration de ne pas pouvoir débattre dans l'hémicycle. Je ne comprends pas pourquoi le groupe écologiste n'a pas demandé ce débat plutôt que de déposer cette proposition de loi. Par principe, nous nous opposerons à ce renvoi
Mme Catherine Deroche. - Le sujet touche au vécu de chacun, à sa conception de la vie et de la mort et à la manière dont il a vécu le départ d'êtres chers. A titre personnel, je partage le point de vue d'Alain Milon et je n'aurais pas voté ce texte en séance, car il va au-delà du rôle des médecins en leur demandant de donner délibérément la mort. Avant de franchir ce pas, la loi Leonetti doit être appliquée et développée.
Nous avons tous des positions différentes dans notre commission. Le débat reviendra à chaque fois que le texte ira en séance. Les interrogations demeurent : où est le droit de la personne à finir sa vie ? Comment la société répond-elle à cette demande ? Le renvoi en commission n'apportera pas de réponse.
J'ai été surprise que le rapporteur dise qu'il était plus difficile de mourir en France qu'ailleurs. Mourir est toujours difficile. On mourrait moins bien chez nous parce qu'on ne décède pas à domicile, dans un climat serein et apaisé ? Combien sont-ils seuls chez eux, et ceux qui disent qu'on meurt moins bien en France ne sont-ils pas les premiers, le moment venu, à demander que leur parent soit mis en Ehpad ou à l'hôpital, car la mort à domicile fait peur ? Qui garde encore une personne décédée à domicile ? Le plus souvent, elle est placée dans une chambre funéraire. Autrefois, le défunt était veillé, cela ne se fait plus.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Cela se fait encore !
Mme Catherine Deroche. - Aujourd'hui, l'hôpital est mieux à même de prendre en charge le moment difficile de la mort. La dignité est un sujet difficile. Toute fin de vie reste digne. J'entends ce que dit Mme Dini sur la dignité qui appartient à chacun et n'est pas dans le regard de l'autre. Nous avons tous vécu l'expérience de la mort : jamais le mourant n'est jugé indigne. L'être humain reste digne jusqu'à la fin de sa vie, quel que soit son état de détérioration physique ou de délabrement.
Mme Isabelle Debré. - Il ne s'agit pas de la personne, mais de leur situation.
Mme Catherine Deroche. - L'expression « fin de vie digne » n'est pas acceptable. Oui, la méconnaissance de la Loi Leonetti est évidente et oui, les pratiques d'accompagnement au suicide, comme en Oregon, me paraissent curieuses et incohérentes. Alors que nous créons des observatoires du suicide, des systèmes de veille, comme ces sentinelles qui se mettent en place dans mon département, nous laisserions tout à coup des personnes partir avec leur petite fiole en leur donnant six mois pour se suicider... Pour toutes ces raisons, j'attends le renvoi en commission.
Mme Isabelle Debré . - Je garde un souvenir extraordinaire du débat sur la loi Leonetti : quel moment formidable quand, dans l'hémicycle, tous les clivages sont dépassés ! Certains groupes sont partis, car ils voulaient aller plus loin.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Non !
Mme Isabelle Debré . - J'ai voté la loi en 2005 ; je n'aurais pas voté cette proposition de loi. J'approuve les positions d'Alain Milon.
La formation des soignants peut passer par un cycle obligatoire pour toutes les professions médicales ou restreint à certains services. Encore faut-il choisir. Je pense qu'il faut l'étendre à tous, en incluant même les professions paramédicales.
Quelle valeur juridique les directives anticipées ont-elles, sont-elles testamentaires, opposables ? J'ai découvert récemment qu'elles devaient être renouvelées tous les trois ans sous peine de devenirs caduques. Si les personnes veulent mourir, laissez-les le demander, dit Mme Dini. Mais, certaines personnes ne peuvent pas ou ne peuvent plus le demander. D'autres l'avaient demandé, qui ont changé d'avis quand la possibilité leur a été donnée. Toutes les familles offrent des exemples de gens qui choisissent la mort à froid, et ne le veulent plus une fois malades.
Le rapport Sicard conclut que les pratiques peuvent évoluer en appliquant la loi Leonetti non à la lettre mais dans son esprit. A la différence de certaines associations, je suis d'accord avec cela.
Mme Chantal Jouanno . - Les nombreuses auditions auxquelles j'ai assisté confirment l'exception française du mal mourir. Elles indiquent que la loi Leonetti n'est ni connue des particuliers ni appliquée par le corps médical. Elles s'accordent sur une évolution à la marge de cette loi : les fameuses trois semaines, l'opposabilité des directives anticipées, peut-être la sédation profonde, voire l'assistance médicalisée au suicide, mais sans convergence sur l'injection létale. Le rapport du Comité consultatif national d'éthique est attendu sur cette question. Enfin, tous nous l'ont dit, la question de la fin de vie est indissociable de celle de l'accompagnement des personnes âgées et des conditions dans lesquelles on arrive au grand âge. Voilà pourquoi nous sommes plutôt favorables à cette motion.
M. Gérard Roche . - En dépit de mes quarante-trois ans de pratique médicale et de fréquentation quotidienne de la mort, je n'ai pas l'envie d'entrer dans ce débat. Il s'impose pourtant à cause de l'évolution de la population et de celle des techniques médicales. Il nécessite de la compassion, il requiert de la dignité. Loin des vindictes, il doit être empreint de laïcité républicaine : ni une philosophie, ni une religion imposant sa loi, mais la loi de la République respectant les philosophies et les religions.
L'acharnement thérapeutique existe toujours et les pratiques de l'Oregon sont excessives. Pour rétablir un équilibre, il faudrait proposer une loi sur l'éthique de la mort, basée sur la loi Leonetti et inscrite dans le parcours de soins.
Mme Annie David, présidente . - Nous devons en effet avoir ce débat en raison de l'évolution de la société.
Mme Patricia Schillinger . - On peut encore mourir à la maison, avec un cercueil qui reste trois jours dans la chambre du défunt et les prières des proches. Cela s'est produit dans ma commune, la semaine dernière. Et c'est de plus en plus fréquent.
Pour avoir travaillé en Suisse où les pratiques sont différentes, j'ai une approche particulière de ce débat important. L'idée de déplacer l'hôpital à la maison m'inquiète. S'occuper d'un jeune souffrant d'un cancer en phase terminale est une lourde charge pour une famille : la vision de la mort est difficile à domicile. Je m'interroge sur l'évolution en cours.
M. Jean Desessard rapporteur . - Vous n'avez pas posé de questions, c'est que mon rapport devait être complet !
Le Comité consultatif national d'éthique et l'Observatoire national de la fin de vie mènent une réflexion intéressante. Nous devrions nous appuyer sur ces institutions dont les présidents sont des médecins philosophes.
Je remercie Chantal Jouanno d'avoir rendu compte des auditions : tout le monde a convenu de l'existence d'un mal mourir en France. Les conditions d'accompagnement de la fin de vie sont mauvaises, parce que les gens veulent rester chez eux pour mourir. Les aidants familiaux ne sont pas des aidants professionnels. L'aide psychologique de la famille trouve ses limites dès lors que les aidants familiaux doivent également assurer les soins quotidiens. Une réflexion reste à mener sur les aidants.
Il faut néanmoins favoriser pour ceux qui le veulent le retour à domicile, même si l'hôpital leur offre de meilleures conditions. Cela nécessite des moyens ; c'est le rôle du législateur de les obtenir au moment où il vote le budget.
Je ne suis pas médecin, mais animateur social de formation. La définition précise des soins palliatifs m'a surpris : accompagnement, soulagement de la douleur et écoute. Je croyais avec naïveté que c'était pratique courante. Accompagner ? Evidemment ! Soulager la douleur, bien sûr. Ecouter, parce qu'on ne le fait pas tout le temps ? Précisément, les médecins de soins palliatifs demandent que cela ne soit pas réservé à la fin de vie.
Pourquoi la loi Leonetti est-elle mal connue ou mal appliquée ? Les moyens manquent pour l'appliquer. L'accompagnement des patients demande des moyens humains, l'écoute prend du temps, le soulagement n'est pas toujours possible. Le temps de la médecine productiviste qui croyait pouvoir tout résoudre à force de technicité est révolu. Aujourd'hui, une réflexion différente est en cours et le rôle du médecin aura certainement changé dans dix ans. Nous arrivons à un tournant. Les soins palliatifs ne guérissent plus le patient, les médecins l'accompagnent dans la phase terminale de sa maladie.
M. Alain Milon . - Ou vers la guérison !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Non, pas vers la guérison : les auditions ont été plus nettes que cela. Les auditions ont montré que la loi Leonetti n'apportait pas toutes les réponses. La sédation profonde, dont on a beaucoup parlé, n'y figure pas.
Mme Isabelle Debré . - Dans son esprit.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Depuis quand le législateur peut-il se satisfaire qu'une loi soit respectée dans l'esprit ? La sédation profonde reste un motif de condamnation. Certains médecins disent que c'était pratique courante dans les années 1960. La question reste posée.
L'aide au suicide dans l'Oregon n'est pas un modèle enviable : qui voudrait d'une fiole pour en finir ? Nous devrons cependant aborder ce débat. Le mot « euthanasie » est mal choisi...
Mme Muguette Dini . - Il est attaché aux crimes nazis.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pendant la conférence des citoyens, les gens ne le comprenaient pas, croyant qu'il s'agissait d'une injection administrée sans qu'on l'ait demandée. Au contraire, la proposition de loi affirme clairement que la décision est prise par la personne consciente ou bien figure dans des directives anticipées, actualisées et opposables - c'est-à-dire auxquelles on ne peut pas s'opposer.
Pourquoi me refuser la liberté de demander la mort et de me l'administrer ? Parce que, répondent certains, donner cette liberté à chacun changerait la représentation de la société : plutôt que de céder à la facilité de l'individualisme, les opposants au suicide assisté défendent des valeurs fortes et contraignantes qui sont vues comme fondatrices d'une société ; dans cette représentation volontaire de la société, laisser à chacun la liberté de mourir change l'effort de la société à l'égard de tous. Tel est le débat que sous-tend la proposition de loi.
Je donne un avis de sagesse favorable à la motion de M. Godefroy de renvoyer le texte en commission. Le groupe écologiste y est favorable.
Mme Isabelle Debré . - Dans la discussion, le serment d'Hippocrate n'a jamais été mentionné : j'informerai le patient, je donnerai mes soins, je ne provoquerai jamais la mort délibérément...
Mme Annie David, présidente . - C'est pour cette raison qu'une clause de conscience est inclue dans la proposition de loi.
M. Gérard Roche . - S'agissant du serment d'Hippocrate, beaucoup d'autres choses ont été oubliées.
M. Alain Milon . - Pendant quelques mois à l'époque du débat sur l'IVG, ceux qui passaient leur doctorat de médecine ne prêtaient plus serment.
L'UMP ne prendra pas part au vote sur le renvoi en commission.
Mme Muguette Dini . - Nous voterons la motion de renvoi en commission. Le mot « euthanasie » renvoie à une mort violente. Il doit sortir de notre vocabulaire.
Mme Annie David, présidente . - La proposition de Gérard Roche de parler d'éthique de la mort éviterait beaucoup de crispations.
La motion n° 1 est adoptée.
Mme Annie David, présidente . - La commission déposera cette motion et, en conséquence, n'adopte pas de texte.
La discussion portera en séance publique sur le texte initial de la proposition de loi.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
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• Didier SICARD , auteur du rapport remis au Président de la République, professeur de médecine, président d'honneur du Comité consultatif d'éthique
• Xavier MIRABEL , président d'Alliance Vita
• Vincent MOREL , président, et Charles JOUSSELIN , vice-président, de la Société d'accompagnement et de soins palliatifs
• Jean-Luc ROMERO , président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité
• Yves LOGEAIS , président de l'Académie nationale de médecine
• Jean-Claude AMEISEN, président du Comité consultatif national d'éthique
• Didier BORNICHE , président de l'Ordre national des infirmiers
• Régis AUBRY , président de l'Observatoire national sur la fin de vie
* 1 Loi n° 2005-370.
* 2 Proposition de loi n° 65 (2008-2009) déposée le 29 octobre 2008 par Alain Fouché, sénateur UMP ; proposition de loi n° 659 (2009-2010), déposée par Jean-Pierre Godefroy et plusieurs membres du groupe socialiste ; proposition de loi n° 31 (2010-2011) déposée par Guy Fischer, François Autain et plusieurs membres du groupe CRC-SPG.
* 3 Proposition de loi n° 312 (2011-2012) présentée par M. Jean-Pierre Godefroy et soixante-dix-sept autres sénateurs, proposition de loi n° 623 (2011-2012) proposée par M. Alain Fouché, proposition de loi n° 735 (2011-2012) présentée par M. Jacques Mézard et douze autres sénateurs.
* 4 Observatoire national de la fin de vie, « Fin de vie des personnes âgées, sept parcours ordinaires pour mieux comprendre les enjeux de la fin de vie en France. », rapport 2013.
* 5 Loi n° 99-477.