2. Une alternative peu crédible
Votre commission est en outre peu convaincue par l'alternative à la séparation patrimoniale présentée par la Commission européenne avec le modèle « ISO ». Ce système apparaît, à bien des égards, compliqué dans son fonctionnement quotidien et nécessite la définition de règles et de procédures de contrôle très lourdes à gérer .
D'une part, dans ce schéma, l'opérateur de système indépendant est dépourvu de toute responsabilité financière directe dans la gestion des actifs, ce qui accroît les risques de conflits d'intérêts. En effet, l'ISO est chargé d'établir les programmes d'investissements dans le réseau en fonction de la nécessité d'assurer la sûreté du réseau et la qualité des infrastructures, mais le propriétaire des actifs conserve des pouvoirs d'appréciation sur les financements programmés, comme le juste niveau de rémunération du capital ou le choix de la politique de financement, soit autant d'éléments pouvant faire naître des divergences d'appréciation entre ces deux acteurs. D'autre part, le modèle ISO accroît sensiblement le cadre de la régulation pour tenter de réconcilier les intérêts divergents des deux acteurs. Le régulateur est en effet contraint d'arbitrer entre les demandes d'un ISO désintéressé par la rentabilité des investissements et les revendications du propriétaire principalement intéressé par la protection de ses intérêts patrimoniaux. Cette évolution du rôle du régulateur en tant qu'arbitre accroît donc ses responsabilités en cas d'incident lié au programme d'investissement, mais l'encourage également à analyser les projets d'investissement, ce qui ne relève pas de sa sphère de compétences habituelle.
Enfin, il convient de rappeler qu'un pays comme l'Italie qui avait expérimenté le modèle « ISO » pendant un temps y a renoncé après le black-out qui a frappé le pays en 2003, compte tenu de ces inconvénients de gestion.
3. Un modèle de séparation à la française donnant pleine satisfaction
Votre commission souhaite rappeler que le modèle de gestion du réseau à la française donne, depuis sa création, pleine satisfaction. Dans le domaine électrique, les services rendus par RTE depuis 2000 répondent pleinement aux critères définis par la réglementation communautaire en matière d'accès transparent et non discriminatoire au réseau de transport. Son fonctionnement apparaît donc très largement satisfaisant tant au regard de ces principes -aucun opérateur énergétique intervenant sur le marché français n'ayant eu à se plaindre à ce titre, comme l'ont montré les auditions des grands acteurs du secteur électrique devant la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement- qu'en matière de sûreté et de sécurité dans la gestion du système . Au surplus, aucun contentieux n'a été introduit depuis 2000 par un concurrent d'EDF sur le fondement de la partialité du GRT. Dans cet ordre d'idée, il n'y a ainsi, en France, aucun opérateur pour déplorer une mauvaise volonté de RTE pour raccorder une centrale de production au réseau, ce qui serait au demeurant contraire à la réglementation et certainement sanctionné par la CRE. De même, la situation est en tout point similaire pour ce qui concerne les services de transport de gaz, assurés par GRTgaz, filiale de GDF, et par TIGF, filiale de Total.
Sur la question plus spécifique des investissements, votre commission rappelle que le programme annuel d'investissement de RTE est soumis, depuis 2000, à l'approbation par la CRE, tout comme l'est, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, celui des transporteurs de gaz. L'exercice de ce droit de regard du régulateur sur les investissements des GRT est de nature à garantir que ceux-ci ne sont pas orientés exclusivement au bénéfice de la maison mère et qu'ils n'ont pas pour effet de priver les opérateurs concurrents d'un accès au réseau.
Votre commission doute également que la séparation patrimoniale soit de nature à garantir la réalisation des investissements des GRT, notamment dans les interconnexions. Comme l'ont souligné les responsables de CEZ, principal producteur d'électricité tchèque, à la délégation, la séparation patrimoniale n'est pas, en soi, une garantie d'amélioration de la situation des interconnexions dans la mesure où il existe déjà des transporteurs séparés qui ne coopèrent pas plus efficacement sur ce dossier que les entreprises intégrées. En outre, il convient de rappeler que les difficultés de construction de nouvelles lignes ou d'interconnexions , notamment électriques, sont dans bien des cas liés non pas à une mauvaise volonté des opérateurs mais aux oppositions locales des populations pour des motifs de protection des paysages et de l'environnement, comme le démontre la situation de blocage concernant l'interconnexion France-Espagne ou le renforcement nécessaire de la desserte en électricité du sud-est de la France 52 ( * ) .
Dans ces conditions, votre commission considère qu'il n'y a pas lieu d'obliger à une séparation entre les activités de transport d'une part, et de production ou d'approvisionnement d'autre part, qui aurait pour conséquence d'affaiblir les groupes énergétiques, qui se verraient priver d'une part substantielle de leurs actifs 53 ( * ) . A ce titre, le président de RWE Transgas Net, principal opérateur gazier tchèque, faisait valoir que la séparation patrimoniale obligerait l'entreprise à vendre ses réseaux à un seul acheteur potentiel, Gazprom. Ces craintes étaient au demeurant partagées par le ministère tchèque de l'énergie, strictement opposé à la séparation patrimoniale dans le domaine du gaz, voyant dans cette obligation des risques de détérioration de la fiabilité des fournitures et d'affaiblissement de RWE par rapport au géant gazier russe.
En conséquence, votre commission considère que le modèle de séparation « à la française », totalement conforme aux exigences des directives en vigueur, fondé sur une séparation juridique et dont la mise en oeuvre est rigoureusement contrôlée par la Commission de régulation de l'énergie, donne pleine satisfaction aux différents acteurs du marché de l'énergie. A l'instar de la mission commune d'information, elle confirme donc son opposition au projet de séparation patrimoniale entre producteurs/fournisseurs et GRT et à la volonté de la Commission européenne d'imposer en Europe un modèle d'organisation industrielle unique . Il est d'ailleurs à noter que ce modèle unique suscite des interrogations de principe compte tenu de ses répercussions sur des questions ayant trait à la propriété, sujet sensible dans un pays comme l'Allemagne comme l'ont fait valoir les parlementaires allemands rencontrés par une délégation du groupe de travail.
* 52 Annulation par le Conseil d'Etat de la déclaration d'utilité publique dont avait fait l'objet la ligne de transport Boutre-Broc Carros nécessaire à la sécurité d'approvisionnement de la région de Nice.
* 53 A titre d'exemple, les actifs immobilisés de RTE sont estimés, au 31 décembre 2007, à 11,26 milliards d'euros, tandis que les actifs de GRTgaz, qui représentent 18 % des actifs de GDF, sont estimés à 6 milliards d'euros.