Article 33
( art. 35 bis de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre
1945)
Réforme du régime de la rétention
administrative
Le
présent article tend à modifier l'ensemble du régime de la
rétention administrative défini à l'article 35
bis
de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945.
Trois axes guident cette
réforme
: réduire les risques de vices de
procédure, garantir les droits des étrangers et donner les moyens
et le temps aux services de l'Etat d'exécuter les mesures
d'éloignement.
A. Une procédure inefficace
1.Présentation de la rétention administrative
Le placement en rétention administrative, ordonné par le
préfet, vise à maintenir à la disposition de
l'administration les étrangers faisant l'objet d'une mesure
d'éloignement
, quelle qu'elle soit, dans le cas où cette
mesure ne peut être mise en oeuvre immédiatement. Si
l'étranger présente des garanties effectives de
représentation, il peut être assigné à
résidence.
Le retenu n'est pas un détenu et les lieux de rétention ne
relèvent pas de l'administration pénitentiaire. La Cour de
Cassation qualifie la rétention de
« mesure de surveillance
et de contrôle »
. Les étrangers peuvent y circuler
librement, téléphoner ou recevoir les personnes de leur choix. Le
décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et
locaux de rétention administrative distingue :
-
les locaux de rétention
, dans lesquels les étrangers ne
peuvent être maintenus plus de 48 heures et uniquement lorsque les
circonstances de temps et de lieu font obstacle au placement dans un centre de
rétention,
-
les centres de rétention administrative (CRA)
à vocation
nationale dont la liste est fixée par arrêté. Ces CRA
doivent offrir des prestations de qualité hôtelière.
Le décret du 19 mars 2001 précité a consolidé le
statut juridique de ces centres, en particulier en créant un chef de
centre, nommé par le préfet, ayant pour mission de
fédérer et coordonner des intervenants très
variés
. Aux côtés des différentes
administrations (gendarmes mobiles ou CRS pour la surveillance du centre et les
transfèrements, médecins, infirmières, Office des
migrations internationales) travaille une association, la CIMADE,
chargée d'apporter une assistance juridique aux étrangers retenus.
La rétention se déroule actuellement en trois phases.
La
première phase, qui ne peut excéder 48 heures, fait suite
à la décision préfectorale de placement en
rétention. L'étranger est alors placé dans un local ou un
centre de rétention. La seconde phase débute par la
présentation du retenu au juge des libertés et de la
détention (JLD) qui apprécie la légalité du
placement en rétention et la nécessité ou non de prolonger
la rétention. Sa décision est susceptible d'appel. Si le juge
prolonge la rétention , elle ne peut excéder cinq jours. Si
l'étranger n'a toujours pas pu être éloigné à
l'issue de ces cinq jours, la troisième phase débute et
l'étranger est à nouveau présenté au juge des
libertés et de la détention. Il peut prolonger de cinq jours
supplémentaires la rétention en cas d'urgence absolue et de
menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ou
d'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement en
raison du comportement de l'intéressé.
2.
Un taux d'exécution des mesures d'éloignement
médiocre
Seule une petite minorité des mesures d'éloignement, pour
l'essentiel des arrêtés de reconduite à la frontière
prononcés par les préfets, est effectivement
exécutée.
En 2001, sur 37 303 arrêtés de
reconduite à la frontière, 6161 ont été
exécutés. Pire, la situation se dégrade puisque le taux
d'exécution était en 1996 de 23,5%, en 2000 de 17,8%, en 2001 de
16,7% et en 2002 de 16%. Sur les premiers mois de 2003, ce taux a sensiblement
augmenté pour approcher les 23 %. Ce résultat est celui de
consignes très fermes du ministre de l'intérieur et de la
mobilisation des préfectures et des services de la police aux
frontières. Mais le volontarisme a ses limites que seule une
réforme en profondeur de la rétention permettra de
dépasser.
Certes la faiblesse de ces chiffres s'expliquent en partie par l'importance du
nombre des arrêtés notifiés par voie postale qui se
limitent à une simple notification et qui ne sont suivis d'effet que
dans 1% des cas. Mais plus significative de l'inadaptation de nos
procédures d'éloignement est
l'extrême difficulté
de l'administration à mettre en oeuvre la mesure d'éloignement
à la suite d'une interpellation policière suivie d'un placement
en rétention. 33% de succès en 2001 contre 46% en 1996.
La principale cause de cet échec est le défaut de document qui
rend difficile l'identification certaine de l'étranger et donc
l'obtention d'un laissez passer consulaire. S'y ajoute la mauvaise
volonté de nombreux consulats étrangers pour délivrer ces
laissez passer, rendant pratiquement impossible de mener à bien
l'ensemble de la procédure dans le délai de 12 jours maximum
actuellement imparti. En sus de cet obstacle à l'éloignement, il
faut mentionner les refus d'embarquer, les demandes d'asile dilatoires
déposées en cours de rétention et l'évocation de
vices de forme devant le juge des libertés et de la détention ou
devant le juge administratif.
Cette carence dans l'exécution des mesures d'éloignement est en
partie à l'origine des sans-papiers. Elle crée aussi un appel
d'air en direction des candidats à l'immigration
irrégulière, ceux-ci sachant que s'ils parviennent à
franchir nos frontières la probabilité d'être
rapatrié est faible.
De nombreuses dispositions du projet de loi ont pour but direct ou indirect
de faciliter l'éloignement des étrangers en situation
irrégulière.
Mieux contrôler les entrées sur le
territoire français doit évidemment tarir peu à peu le
nombre d'étrangers à éloigner. Le relevé des
empreintes digitales des demandeurs de visas permettra également
d'identifier rapidement l'origine d'un étranger qui se sera maintenu
irrégulièrement sur le territoire après être
entré légalement avec un visa court-séjour. L'obtention
des laissez passer consulaires n'en sera que plus aisée. Rappelons que
90 % des personnes en situation irrégulière sont entrées
légalement. Mais l'ensemble de ce dispositif ne sera réellement
efficace que lorsque les procédures d'éloignement auront
été perfectionnées.
Parmi les diverses modifications que le présent article apporte,
l'allongement de la durée de rétention apparaît
décisive. La durée actuelle de douze jours ne permet pas de faire
face aux difficultés matérielles et juridiques d'un
éloignement.
La complexité de la procédure, les
multiples voies et moyens de recours et les obstructions des étrangers
paralysent littéralement l'action de l'administration pour faire
appliquer la législation sur l'entrée et le séjour des
étrangers.
La durée de rétention maximale de 12 jours constitue une anomalie
en comparaison des pratiques de nos voisins européens (voir le tableau
ci-après).
DÉLAIS DE RÉTENTION EN EUROPE |
||||
Pays |
Durée
rétention
|
Durée
rétention
|
Durée totale
|
Observations |
Allemagne |
48 heures |
6
mois,
|
18
mois,
|
Durée moyenne de
|
Autriche |
2 mois |
|
6 mois |
|
Belgique |
2
mois
|
|
5 mois |
Prolongation jusqu'à
|
Danemark |
72 heures |
25 jours |
28 jours |
Possibilité d'assignation
|
Finlande |
4 jours |
Illimitée |
Pas de délai maximum |
Contrôle toutes les deux semaines par le tribunal d'instance |
France |
48 heures |
Période de 5 jours,
|
12 jours |
|
Espagne |
72 heures |
37 jours |
40 jours |
|
Grèce |
3 jours |
3 mois |
3 mois et 3 jours |
|
Irlande |
8 semaines maximum |
|
8 semaines |
|
Italie |
30 jours |
30 jours |
60 jours |
|
Luxembourg |
1
mois
|
|
3 mois |
|
Pays-Bas |
10 jours |
18
jours,
|
Illimitée en théorie |
En
pratique
|
Portugal |
48 heures |
60 jours |
60 jours |
Durée appréciée tous les 8 jours par le juge |
Royaume-Uni |
Pas de délai prévu |
Pas de délai prévu |
Aucun délai prévu |
|
Suède |
2
semaines
|
|
Deux
mois
|
Aucune
législation :
|
Source : ministère de l'intérieur. |
B.
Les mesures proposées
1. Le placement en rétention
Cette phase de la procédure varie peu. Des précisions
rédactionnelles sont apportées. La liste des étrangers
pouvant être placés en rétention est cependant
actualisée :
- S'agissant des étrangers faisant l'objet d'un arrêté
préfectoral de reconduite à la frontière,
seuls ceux
dont l'arrêté a été édicté moins d'un
an auparavant pourront être placés en rétention
administrative
. Cette précision tire les leçons de la
jurisprudence du Conseil d'Etat
185(
*
)
selon laquelle une mesure
d'éloignement non exécutée pendant une durée
anormalement longue doit être réexaminée au vu des
éventuels changements de circonstances intervenus depuis
l'édiction de la mesure. Concernant les arrêtés de
reconduite à la frontière, une année écoulée
suffit à motiver un tel réexamen ;
- Par coordination avec l'article 25 du projet de loi qui ouvre la
faculté de reconduire à la frontière
les
étrangers faisant l'objet d'une décision exécutoire
d'éloignement prise par un Etat membre
ceux-ci pourront
également être placés en rétention en vue de leur
éloignement ;
- Il est également
prévu le cas d'un étranger qui,
ayant déféré à une mesure d'éloignement,
reviendrait sur le territoire alors que cette mesure est encore
exécutoire ;
- Enfin, alors que l'article 35
bis
de l'ordonnance n°45-2658
du 2 novembre 1945 dispose que l
es étrangers condamnés
à une peine d'interdiction du territoire à titre de peine
principale sont placés en rétention de plein droit
dans les
conditions de droit commun, le paragraphe VIII de l'article 33 du projet de loi
prévoit que
ces étrangers seront placés de plein droit
pour une durée de quinze jours en rétention, sans que le juge des
libertés et de la détention n'intervienne
. Il revient en
effet au juge judiciaire et non à une autorité administrative de
décider de ce premier placement en rétention. L'intervention du
JLD au bout de 48 heurs n'est donc pas utile. En revanche, le placement en
rétention des étrangers condamnés à une peine
d'interdiction du territoire à titre de peine complémentaire
obéit aux règles communes.
Votre commission vous soumet un amendement rétablissant la
procédure normale de rétention pour les étrangers
condamnés à une interdiction du territoire à titre
principal. La seule différence subsistant est que la décision de
placement en rétention est prise par le juge et non par le préfet.
ORGANIGRAMME SCHENGEN
SCHÉMA REPRÉSENTANT DIFFÉRENTS CAS
DE FIGURES
SUSCEPTIBLES D'ÊTRE RENCONTRÉS
AU COURS DE LA PROCÉDURE
DE PLACEMENT
EN RÉTENTION ADMINISTRATIVE
- 163 -
Voie
administrative
APRF - AME - APE
Recherche autre vol
par Préf.
Retour CRA si dans délai rétention
INCARCERATION
DEPART
Article 27.1 PAF
Libération
si hors délai rétention
Présentation Parquet
Embarquement accepté
Refus d'embar-quer
Refus du commandant de bord ou annulation vol
Garde à vue
Appl. Art. 27/2
Automutilation
Prés. EMBARQUEMENT
DOSSIER COMPLET
Libération
en fin de rétention
Non obtention
du bon de transport
Délivrance laisser-passer
Délivrance du
bon de transport
Bon de transport
manquant
Libération en fin
de rétention
Retenu
reconnu
Retenu
non reconnu
Présentation
au Consulat
PROLONGATION
DE 5 JOURS
NON PRÉSENTATION
AU CONSULAT
Libération
Libération en fin
de rétention
Non présentation
au Consulat
Laisser-passer manquant
DOSSIER COMPLET
DOSSIER INCOMPLET
(envoi d'un fax
en Préf. d'origine)
Libération immédiate
Assignation à résidence
Ord. infirmée
Ord. confirmée
APPEL
Ordonnance de maintien
en rétention de 5 jours
Annulation
de l'arrêté
Présentation au tribunal administratif
CENTRE RÉTENTION ADMINISTRATIVE (CRA)
Voie judiciaire
Jugement ITF
SCHENGEN
2. Le maintien en rétention
Le projet de loi modifie en profondeur la durée et les conditions de la
rétention dans le respect des garanties constitutionnelles des
étrangers.
La procédure concilie la protection de la
liberté individuelle dont l'autorité judiciaire est la gardienne
en vertu de l'article 66 de la Constitution, l'exercice effectif de ses droits
par l'étranger et l'efficacité de la rétention.
Le juge des libertés et de la détention intervient toujours
à partir de 48 heures de rétention
. Le projet de loi initial
prévoyait que le JLD serait saisi dès la décision de
placement en rétention et devrait statuer dans un délai de 48
heures à partir de la fin de la première période de 48
heures. Plusieurs amendements de l'Assemblée nationale, à
l'initiative du rapporteur, ont rétabli les règles actuelles,
c'est-à-dire la saisine dans les meilleurs délais du procureur de
la République dès la décision de placement en
rétention, ainsi que la saisine du JLD à la fin de la
période de 48 heures. Conformément à la décision du
Conseil constitutionnel n°79-109 DC du 9 janvier 1980, le juge judiciaire
continue d'intervenir dans le délai le plus court possible.
Le JLD statue par ordonnance. Il pourra désormais prolonger la
rétention pendant quinze jours au lieu de cinq jours au plus
jusqu'à présent
. Cette prolongation est de droit, le juge se
contentant de vérifier le respect de la procédure, l'existence
d'une mesure d'éloignement et l'impossibilité d'éloigner
l'étranger immédiatement. Toutefois, comme la loi le
prévoit déjà, si l'étranger présente des
garanties de représentation suffisantes, après remise de
l'original de son passeport ou de tout document d'identité aux
autorités, le juge peut l'assigner à résidence avec
obligation de se présenter périodiquement aux services de police
ou aux unités de gendarmerie. Le projet de loi précise qu'une
motivation spéciale du juge est nécessaire pour accorder
l'assignation à résidence à un étranger qui s'est
par le passé déjà soustrait à l'exécution
d'une mesure d'éloignement
186(
*
)
.
A l'issue de ces dix-sept jours de rétention ou d'assignation à
résidence, le JLD est à nouveau saisi pour statuer sur une
seconde prorogation. Mais à la différence de la première
saisine à l'occasion de laquelle le juge n'approfondit pas son
contrôle des motifs de la prorogation de la rétention, cette
seconde saisine est l'objet d'un contrôle précis de ces motifs.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est en effet attentive à
ce que la prorogation ne soit pas systématique
. Dans sa
décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, le Conseil avait
conditionné la prorogation à l'urgence absolue et à une
menace d'une particulière gravité, censurant une disposition
étendant indistinctement à tous les étrangers ayant fait
l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une mesure de reconduite
à la frontière la possibilité de les retenir plus
longtemps. Cette jurisprudence, rappelée plusieurs fois, a toutefois
été assouplie par le Conseil qui, dans sa décision
n°98-399 DC du 5 mai 1998, n'a pas censuré la nouvelle
rédaction de l'article 35
bis
issue de la loi n°98-349 du 11
mai 1998. En effet, le JLD peut actuellement proroger la rétention pour
une durée de cinq jours maximum en cas d'urgence absolue et de menace
d'une particulière gravité pour l'ordre public ou lorsque
l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement
résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de
l'étranger, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou
de l'obstruction volontaire faite à son éloignement.
Le
Conseil a donc admis dans cette décision, tant l'allongement de la
durée maximale de rétention de 10 à 12 jours, que les
nouveaux motifs de prorogation.
Ces motifs ont en commun de se
référer au comportement de l'étranger lui-même qui
atteste de son refus de se conformer à la mesure d'éloignement.
La circulaire du 12 mai 1998 donne de la dissimulation d'identité une
définition large en y associant la dissimulation de la
nationalité ou la déclaration successive de différentes
identités.
Le projet de loi modifie les modalités de cette seconde prorogation
et distingue deux cas de figure définis aux paragraphes II et III du
nouvel article 35
bis
.
Le premier cas recouvre à peu près les motifs de l'actuel article
35
bis
.
La seule différence concerne la condition d'
« urgence absolue et de menace d'une particulière
gravité »
. De cumulatives, ces conditions deviennent
alternatives dans le projet de loi. Mais, comme le relève le rapport de
l'Assemblée nationale, à l'époque, le juge constitutionnel
avait d'abord voulu censurer une disposition à laquelle il reprochait
d'étendre indistinctement à tous les étrangers faisant
l'objet d'une mesure d'éloignement la possibilité de les retenir
pendant trois jours supplémentaires. Tel n'est pas le cas en
l'espèce.
L'innovation n'est donc pas dans les motifs, mais dans la durée de
rétention qui passe de cinq à quinze jours portant la
durée totale maximale à trente-deux jours.
Cet allongement,
très important, doit permettre une réelle amélioration de
l'efficacité de la procédure de rétention et
d'éloignement. L'obtention des laissez passer consulaire en sera plus
aisée. En effet, des laissez passer arrivent actuellement hors
délai. De plus, certains consulats peu coopératifs excipent de la
brièveté de nos délais pour ne pas délivrer les
laissez passer consulaires, invoquant la longueur de leur propre
procédure en matière de vérification de l'état
civil de leurs ressortissants.
Enfin, une autre raison à ce
délai de 32 jours est que les accords de réadmission
négociés actuellement dans le cadre de l'Union européenne
avec des pays source de l'immigration
187(
*
)
prévoient la délivrance
de laissez passer dans le délai d'un mois.
Certes, le juge constitutionnel n'a pas encore eu à se prononcer sur une
durée de rétention aussi longue. Toutefois, on relèvera
qu'il a déjà admis plusieurs allongements successifs.
A titre
de rappel, la durée maximale était de 7 jours en vertu de la loi
n°81-82 du 2 février 1981 dite « Sécurité
et liberté », de 10 jours à partir de la loi
n°93-1417 du 30 décembre 1993 et est actuellement de 12 jours
depuis la loi Reseda du 11 mai 1998
. Le Conseil constitutionnel, dans ses
décisions, s'est surtout attaché à garantir la
première intervention du juge judiciaire dans un délai le plus
bref possible et à encadrer les motifs justifiant une éventuelle
prorogation de la rétention, celle-ci ne pouvant être
systématique. Un autre argument en faveur d'un allongement de la
rétention est le délai actuel maximum de vingt jours du maintien
en zone d'attente. Si la situation juridique des personnes non admises
maintenues en zone d'attente est différente, il n'en reste pas moins
qu'elles sont soumises à une surveillance et un contrôle
restrictif de leur liberté individuelle.
Le second cas, introduit par le paragraphe III du nouvel article 35
bis,
est, en revanche, inédit.
Les motifs de la prorogation
ne tiennent plus au comportement de l'étranger mais à des
facteurs extérieurs à lui. Les hypothèses visées
sont le défaut de délivrance ou la délivrance tardive des
documents de voyage par le consulat dont relève l'étranger,
l'absence de moyens de transport appropriés
. Mais la prorogation ne
sera accordée par le juge que si l'administration démontre avoir
mis en oeuvre les diligences nécessaires et être sur le point de
lever les obstacles précités à l'éloignement.
L'encadrement précis de la prorogation pour de tels motifs satisfait
à l'exigence constitutionnelle en vertu de laquelle la rétention
ne doit pas excéder le temps strictement nécessaire à
l'éloignement et ne peut être retardée qu'en raison de
difficultés objectives
faisant obstacle à
l'éloignement dans les plus brefs délais, indépendamment
des moyens de transport utilisés. Un amendement de l'Assemblée
nationale a d'ailleurs supprimé la mise en oeuvre d'une procédure
d'éloignement groupé avec un ou plusieurs Etats membres de
l'Union européenne parmi les hypothèses pouvant justifier une
prolongation.
Le projet de loi initial prévoyait que la prorogation pour ces motifs
pouvait être ordonnée pour une durée maximale de
soixante-douze heures renouvelable deux fois, soit neuf jours au plus, le juge
des libertés et de la détention intervenant lors de chaque
renouvellement. Un tel mécanisme semblait néanmoins difficile
à mettre en oeuvre, l'administration devant démontrer trois fois
en neuf jours la levée à bref délai des obstacles à
l'éloignement.
L'Assemblée nationale a donc adopté un
amendement de M. Nicolas Perruchot ramenant la deuxième
prolongation à une seule période de cinq jours. La durée
totale maximale de rétention serait dans ces conditions réduites
à vingt-deux jours.
3. Le rétablissement d'une procédure d'appel suspensif
Le projet de loi réaffirme que les ordonnances du JLD sont susceptibles
d'appel, le recours n'étant pas suspensif. Le premier président
de la cour d'appel ou son délégué statue dans les 48
heures de sa saisine.
Le paragraphe IV du nouvel article 35
bis
tend néanmoins
à donner un caractère suspensif à l'appel formulé
à l'encontre d'une décision du juge de première instance
annulant la décision de maintien en zone d'attente. Lorsque le
ministère public, qui interjette appel sans délai, demande le
caractère suspensif de l'appel, le président de la cour d'appel
ou son délégué décide sans délai s'il y a
lieu de conférer un effet suspensif à l'appel. Il apprécie
la demande en fonction des garanties de représentation que donne
l'étranger et rend une ordonnance motivée rendue
contradictoirement non susceptible de recours. L'étranger est maintenu
à la disposition de la justice jusqu'à ce que cette ordonnance
soit rendue et, si elle donne un effet suspensif à l'appel du
ministère public, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le
fond.
Un amendement de l'Assemblée nationale a limité au
ministère public la faculté de demander la caractère
suspensif de l'appel. Le projet de loi initial permettait au
représentant de l'administration et à l'intéressé
de faire une telle demande.
Avec cet amendement de l'Assemblée nationale, le projet de loi
reprend exactement le dispositif inséré dans l'ordonnance du 2
novembre 1945 par la loi du 24 avril 1997 dite « loi
Debré » et validé par le Conseil constitutionnel.
On rappellera que la loi n°98-349 du 11 mai 1998 a supprimé ce
caractère suspensif de l'appel ce qui pose de nombreuses
difficultés pour l'exécution des mesures d'éloignement.
Si, à l'issue de la première instance, l'étranger est
libéré à l'audience, il est dans la grande majorité
des cas impossible de l'appréhender pour faire exécuter la
décision d'éloignement, dans le cas où le juge de l'appel
infirme la première ordonnance. En outre, une jurisprudence de la Cour
de cassation a estimé que, lorsque le premier juge a autorisé la
prolongation d'une rétention et que l'étranger a fait appel, le
fait que le juge ne rende pas sa décision dans le délai
légal de 48 heures entraîne la caducité, à compter
de l'expiration de ce délai de la décision
déférée de prolongation du maintien en rétention de
l'étranger
188(
*
)
.
Avec
cet effet suspensif, l'étranger sera maintenu à la disposition de
la justice jusqu'à ce que le juge d'appel ait statué au fond.
Votre commission des Lois vous soumet
quatre amendements
tendant
à compléter ce dispositif. En effet, celui-ci ne prévoit
pas le maintien de l'étranger à la disposition de la justice ou
lorsque le JLD met fin à la rétention. Le ministère public
peut, selon le projet de loi, demander le caractère suspensif de
l'appel. Mais un temps certain s'écoule entre la notification de
l'ordonnance et l'appel du procureur de la République, pendant lequel
l'étranger peut partir.
Pour y remédier, ces amendements instaurent un système du
même type que le référé-détention
prévu aux articles 148-1-1 et 187-3 du code de procédure
pénale insérés par la loi du 9 septembre 2002
d'orientation et de programmation pour la justice. L'étranger est
maintenu à la disposition de la justice pendant un délai de
quatre heures et le procureur se voit immédiatement notifier
l'ordonnance du JLD. Le procureur de la République dispose de quatre
heures pour interjeter appel et y joindre la demande d'appel suspensif.
Plusieurs amendements sont nécessaires car il convient de prévoir
ce dispositif pour chacune des audiences devant le juge des libertés et
de la détention.
4. L'assouplissement et la sécurisation de la procédure
Plusieurs dispositions du projet de loi, notamment issues d'amendements de
l'Assemblée nationale, introduisent
une certaine souplesse
.
Ainsi, les saisines et notifications diverses qui émaillent la
procédure se feront désormais «
dans les meilleurs
délais
» et non plus
«
immédiatement
»
.
Toujours dans le même esprit, il est prévu que pendant toute la
durée de la rétention, après la première ordonnance
de maintien, le préfet peut décider de
déplacer
l'étranger d'un centre de rétention à un autre
. A
l'Assemblée nationale, un amendement du rapporteur a
précisé que de tels transferts ne devaient avoir lieu qu'en cas
de nécessité. Les JLD des lieux de départ et
d'arrivée sont informés.
Un autre amendement du rapporteur M. Thierry Mariani vise à dissuader la
manoeuvre dilatoire qui consiste à déposer une demande d'asile
dans les derniers jours de la rétention afin de retarder
l'éloignement ou faire tomber l'ensemble de la procédure.
Il
sera désormais notifié aux étrangers, dès leur
arrivée au centre de rétention, que leurs demandes d'asile ne
seront recevables que dans les cinq jours suivant la notification du placement
en rétention.
Votre commission vous soumet un amendement
précisant que l'étranger recouvre le droit de déposer une
demande d'asile s'il est mis fin à sa rétention quelle qu'en soit
la raison.
Concernant la tenue des audiences, plusieurs facilités sont
créées. Le paragraphe VI permet
la tenue d'audiences par
visio-conférence sur proposition du représentant de l'Etat et
décision du juge. Le consentement de l'étranger est requis.
Ce procédé technique allègerait la charge que
représente pour les forces de sécurité le
transfèrement des retenus. L'expérience de la
visioconférence n'est pas nouvelle, puisque depuis deux ans les
audiences du tribunal de première instance, du tribunal supérieur
d'appel ou du juge des libertés et de la détention de
Saint-Pierre et Miquelon fonctionnent. Plus encore, certains commentateurs de
cette innovation estiment que la sérénité des
débats s'en trouve renforcée.
La visio-conférence tend d'ailleurs à se développer.
D'ores et déjà, l'article 706-71 du code de procédure
pénale, dans sa rédaction issue des lois
« sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001
et d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002,
permet, lorsque les nécessités de l'enquête et de
l'instruction le justifient, l'audition, l'interrogatoire ou la confrontation
de personnes ainsi que la présentation aux fins de prolongation de la
garde à vue ou de la rétention judiciaire.
Une autre facilité en matière d'audience,
insérée par un amendement de l'Assemblée nationale
à l'initiative de M. Christian Vanneste, autorise la tenue des audiences
du JLD dans une salle d'audience spécialement aménagée
à proximité immédiate d'un centre de rétention.
Cette mesure est la reprise d'une faculté ouverte par le projet de loi
initial pour les audiences de maintien en zone d'attente. Elle est plus
amplement commentée à l'article 34 du projet de loi.
Votre commission des Lois vous soumet deux amendements complétant le
premier alinéa du II et le deuxième alinéa du III de
l'article 35
bis.
Ils tendent à préciser que le juge
statue aussi dans une telle salle d'audience spécialement
aménagée lors des audiences de seconde prolongation de la
rétention. L'étranger y est également maintenu à la
disposition de la justice pendant un délai de quatre heures, de la
même façon que lors de la première prolongation.
Un autre amendement précise que cette salle d'audience doit être
affectée au ministère de la justice. Cette précision ainsi
que les garanties apportées par le ministre de l'Intérieur lors
de son audition par la commission devraient rassurer les magistrats quant au
respect des principes d'indépendance de la justice et de
publicité.
5. Les garanties et les droits des étrangers
Le projet de loi reprend pour l'essentiel les garanties existantes en
matière de notification des droits, d'assistance d'un conseil, d'un
interprète ou d'un médecin.
Le bénéfice de
l'aide juridictionnelle est réaffirmé. Le préfet tient
toujours à la disposition de toute personne les éléments
d'information relatifs à la rétention de l'étranger (date
et heure de placement, lieu exact de celui-ci, décision
éventuelle de prolongation). Un registre est tenu dans les lieux de
rétention. Le procureur de la République et le JLD peuvent
vérifier les conditions de rétention à tout moment.
Mais de nouvelles garanties sont apportées au niveau de
l'interprétariat. Le nouvel article 35
bis
précise que
l'ensemble de la procédure doit se faire dans une langue que comprend
l'étranger.
L'article 34
bis
du projet de loi qui
encadre juridiquement les modalités de recours à
l'interprétariat pour les personnes placées en rétention
ou maintenues en zone d'attente s'applique également au nouvel article
35
bis
de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il regroupe l'ensemble
des règles de l'interprétariat.
Afin de renforcer la connaissance des droits et devoirs des étrangers
retenus, votre commission des Lois vous soumet un amendement disposant
que :
-
s'il est mis fin au maintien de l'étranger en rétention
pour une raison autre que l'annulation par le juge administratif de la mesure
d'éloignement, le juge des libertés et de la détention ou,
le cas échéant, le chef de centre ou du local de rétention
administrative rappelle à l'étranger son obligation de quitter le
territoire ;
- sauf en cas de menace à l'ordre public ou de troubles psychologiques,
l'étranger est informé par le responsable du lieu de
rétention de toutes les prévisions de déplacement le
concernant : audiences, présentation au consulat, conditions du
départ ;
- dans chaque lieu de rétention, un document rédigé dans
les langues définies par arrêté et décrivant les
droits de l'étranger au cours de la procédure
d'éloignement et de rétention, ainsi que leurs conditions
d'exercice, est mis à disposition des étrangers.
Enfin, il est créé une commission nationale de contrôle
des centres et locaux de rétention.
Afin de renforcer la transparence de la rétention et de veiller au
respect des normes de confort, de logement et de nourriture instaurées
par le décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et
locaux de rétention, il est créée une commission de
contrôle.
Outre un pouvoir de recommandation du Gouvernement, elle effectue des missions
sur place. Elle se compose d'un membre ou ancien membre de la Cour de
cassation, président, d'un membre ou ancien membre du Conseil d'Etat,
d'une personnalité qualifiée en matière
pénitentiaire, de deux représentants d'associations humanitaires
et de deux représentants des principales administrations
concernées. L'Assemblée nationale a ajouté la
présence d'un député et d'un sénateur.
Rappelons que depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant
la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes,
les députés et sénateurs sont autorisés à
visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de
rétention, les zones d'attente et les établissements
pénitentiaires (art. 720-1-A du code de procédure pénale).
Votre commission des Lois vous propose d'étendre le champ de
compétence de cette commission de contrôle aux zones d'attente. A
cette fin, le paragraphe IX de l'article 35
bis
est supprimé afin
de consacrer un article de l'ordonnance à cette commission (article
additionnel après l'article 35
quinquies
de l'ordonnance du 2
novembre 1945 précitée).
Votre rapporteur tient à insister sur la nécessité
d'augmenter le nombre de places en centre de rétention
. Le projet de
loi va mécaniquement augmenter le nombre des éloignements et, la
durée de rétention s'allongeant, les effectifs vont
croître. Le nombre actuel de places est de 715. Le ministre de
l'intérieur a d'ores et déjà annoncé la
création de 600 places supplémentaires d'ici 2006, dont 230
dès 2004.
Mais cette augmentation des capacités d'accueil ne
devra pas se faire sans que les conditions de vie ne s'améliorent.
Une rétention de trente-deux jours potentiellement suppose, notamment,
de proposer des activités aux retenus, afin de les occuper. Votre
rapporteur, qui a visité les centres de rétention du
Mesnil-Amelot et d'Arenc, doit constater que ces conditions ne sont
actuellement pas satisfaites.
Les articles 34
ter
et
quater
du
projet de loi, en permettant de transférer la gestion des centres de
rétention à des personnes de droit public ou privé, est un
des moyens de parvenir à une amélioration sensible des conditions
de confort.
Votre commission vous soumet, par ailleurs, sept amendements
rédactionnels.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 33
ainsi
modifié.