III. L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

A. QUESTIONS DE PRINCIPES

Deux logiques s'affrontent en matière de politique de la ville. Pour l'une, qui a inspiré le pacte de relance de 1996, il est nécessaire de faire bénéficier les zones les moins favorisées -qu'elles soient urbaines ou rurales- d'une discrimination positive. Pour l'autre, dont le rapport de M. Sueur " Demain la ville " formalise les principes, les " zonages " sont inutiles, voire même néfastes. Ces conclusions contredisent les principes posés par le rapport Duport-Idrac de 1996 qui préconisait la création de zones franches.

1. La discrimination positive en faveur des ZUS, des ZRU et des ZFU

La loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire a créé diverses zones à statut dérogatoire afin de rétablir l'équilibre économique et social de territoires qui subissaient des handicaps économiques et sociaux structurels. Dans les agglomérations, elle a créé 350 zones de redynamisation urbaines . La loi n° 96-937 du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville a, quant à elle, institué 44 zones franches urbaines . Le Sénat, qui s'est toujours montré soucieux de corriger les inégalités entre les territoires, reste fidèle à l'idée de discrimination positive dont les principes ont été posés par la loi du 4 février 1995 et validés par le Conseil constitutionnel . Soucieux de limiter les " effets de frontière ", lors de la création des ZFU, il fut à l'origine des principales mesures destinées à combattre ces effets. La création d'un comité d'orientation et de surveillance, notamment chargé de suivre l'incidence de la création de chaque ZFU sur la concurrence, l'élaboration d'un rapport sur le bilan coût-avantage de ces zones -celui-là même qui fait défaut au Parlement depuis deux ans- figuraient parmi ces mesures. En outre, les zones franches avaient vocation à remettre la situation économique à niveau, puis à disparaître lorsque les zones concernées auraient retrouvé un équilibre économique et social : elles n'avaient nullement pour objet de se perpétuer sans limite. Dès lors, c'est en instruisant un procès d'intention que l'on a souhaité corriger, voire même supprimer le dispositif des ZFU, avant même d'en avoir mesuré les résultats de façon transparente et incontestable !

2. L'hostilité aux zonages : l'exemple du rapport Sueur

Le rapport précité de M. J.-P. Sueur critique fortement l'approche en termes de " zonages " en affirmant que : " Vingt ans de politique de la ville nous ont appris que l'on ne pouvait pas changer un quartier en s'enfermant dans ses limites, dans son périmètre. A force de faire des zonages, on stigmatise autant qu'on aide les zones concernées. C'est donc sur des espaces plus vastes qu'il faut agir " 16( * ) . Tout en notant qu'il est " essentiel que les engagements pris par l'Etat soient respectés ", ce qui " suppose le maintien des ZRU et des ZFU jusqu'aux termes prévus dans le dispositif ayant entraîné leur création " le même rapport estime enfin que " si l'on entre facilement dans un zonage, il n'arrive pratiquement jamais qu'on en sorte " 17( * ) . Votre rapporteur pour avis considère qu'en la circonstance le rapport Sueur procède à un amalgame entre la nécessité absolue de prendre en compte la politique de la ville à l'échelle de l'agglomération -principe posé par votre rapporteur pour avis depuis plusieurs années- et la question des " zonages ".

Votre Commission des Affaires économiques estime souhaitable de gérer la politique de la ville de façon globale. Dans son avis sur le projet de loi de finances pour 1998, présenté en décembre 1997, elle souhaitait d'ailleurs déjà que les contrats de ville soient négociés à l'échelle de l'agglomération. Votre rapporteur avait d'ailleurs recommandé, dès 1995, l'élection d'une autorité au suffrage universel direct dans les cent premières agglomérations françaises. Il suggérait également, à la même époque, de " conférer à cette autorité le pouvoir d'édicter un projet d'aménagement et de développement supracommunal ainsi qu'un règlement général ordonnant les unes par rapport aux autres les diverses interventions publiques dans la ville " 18( * ) .

Votre Commission des Affaires économiques est donc pleinement consciente de la nécessité d'une action qui dépasse les seuls quartiers sensibles pour s'étendre non seulement à leurs marges mais à toute la ville . En revanche, elle estime parfaitement abusif de considérer que les zonages sont, par nature, inutiles ou dangereux. Elle considère donc que les aides différenciées que permettent les zonages sont parfaitement compatibles avec une gestion globale de la politique de la ville qui intègre tous les quartiers de l'agglomération, pour favoriser la mixité sociale, sauf à rapporter la preuve chiffrée que les zonages produisent un effet négatif sur l'emploi et l'activité économique .

B. RÉSULTATS DES ZFU EN MATIÈRE D'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

1. Les créations d'entreprises et de commerces

Afin d'encourager le maintien et la création d'entreprises et de commerces dans les ZFU, la loi portant pacte de relance pour la ville a prévu des exonérations de taxe professionnelle, d'impôt sur les bénéfices, de taxe foncière sur les propriétés bâties et de droit de mutation sur les acquisitions de fonds de commerce. Selon les statistiques établies par l'association des villes zones franches urbaines pour la première année de fonctionnement des ZFU, le nombre total cumulé des entreprises installées en ZFU serait de 3.402 . Dans les 33 ZFU pour lesquelles des résultats plus détaillés sont disponibles, sur 3.130 entreprises installées, le nombre de créations nettes s'élevait à 1.502 soit 48 %.

La nécessité d'aménager certains sites (par la création de mini-zones d'activité, ou la révision du plan d'occupation des sols) pour y installer des entreprises a retardé la création d'entreprises. Le retard observé dans la mise en oeuvre de la politique de retructuration des espaces commerciaux par l'EPARECA a, sans nul doute, freiné la création de commerces.

Lors de sa visite à Mantes-la-Jolie, votre rapporteur pour avis a observé l'incidence très positive de la création d'entreprises tant sur le " moral " des responsables que sur la dynamique urbaine et sur les finances des collectivités locales . A Mantes, la création de la ZFU s'intègre dans un projet urbain qui tend à faire sortir le quartier du Val Fourré de sa seule fonction de logement. L'installation des entreprises permet, en outre, à la commune de collecter un montant de taxe professionnelle qu'elle n'aurait jamais pu recouvrer sans la création de la ZFU. Les communes qui sont composées, au moins en partie, de quartiers sensibles, ne sont jamais riches. C'est pourquoi la création d'une ZFU leur permet d'amorcer un " cercle vertueux " dans lequel, grâce à la création d'entreprises, elles perçoivent de nouvelles recettes fiscales et sortent de la spirale du déclin ou de la pauvreté.

Les détracteurs des zones franches estiment souvent que celles-ci favorisent les délocalisations d'entreprises et les agissements des " chasseurs de primes ". Votre rapporteur pour avis s'étonne, sur ce point, que les comités d'orientations prévus par la loi portant pacte de relance, dont le rôle est de surveiller les atteintes à la concurrence, n'aient pas été réunis plus fréquemment par le représentants de l'Etat, alors même que des " comités de pilotage " étaient mis place par des collectivités locales elles mêmes pour suivre l'évolution de leur zone franche.

Votre rapporteur pour avis observe en outre que, sur le terrain, les habitants se félicitent bien souvent de la venue de personnes extérieures au quartiers qui viennent travailler dans les ZFU. Une buraliste de Mantes II observait, par exemple, que grâce à la zone franche : " on revoyait enfin des gens en cravate ". Au total, la création des zones franches concourt à améliorer l'image des quartiers en difficulté. La réussite de cette opération serait plus éclatante si elle était accompagnée de l'octroi de tous les moyens qu'avait définis le pacte de relance pour la ville. Celui-avait notamment prévu une augmentation de l'effectif des policiers affectés dans les quartiers sensibles de 4.000 postes qui n'ont pas vu vraiment le jour !

Votre commission des affaires économiques considère donc que le dispositif des zones franches doit aller jusqu'à son terme et qu'il appartient, dès à présent, aux pouvoirs publics d'envisager les décisions qui devront être prises à l'expiration du délai de cinq ans que prévoit la loi de 1996 pour permettre aux entreprises qui s'y sont installées d'y rester.

2. L'EPARECA

Deux ans après sa création, l'établissement public de restructuration des activités commerciales et artisanales est entré en action.

Cet organisme est conçu pour faciliter le remembrement des commerces et locaux artisanaux dont la propriété est divisée entre de nombreux intervenants. La mission de préfiguration réalisée par l'EPARECA a mis en lumière la situation de plusieurs sites, au nombre desquels figurent, par exemple, Garge-les-Gonesse et Grigny en Île-de-France, Le Mans et Mulhouse en province, dont la commission spéciale du Sénat sur le projet de loi portant pacte de relance pour la ville avait souligné le caractère prioritaires.

Le conseil d'administration de l'EPARECA s'est réuni pour la première fois à l'automne 1998. Doté de 130 millions de francs, l'établissement public devrait engager une dizaine d'opérations d'ici à la fin 1999. Votre Commission des Affaires économiques souhaiterait connaître les principes qui présideront au choix des projets qui bénéficieront de l'aide de L'EPARECA et souligne la nécessite de mettre rapidement les crédits nécessaires en oeuvre.

C. LE FLOU DES ORIENTATIONS GOUVERNEMENTALES

Votre rapporteur pour avis constate que le développement des activités économiques a perdu la place prééminente que lui réservait le pacte de relance, dans la politique de la ville. Le rapport Sueur, qui a largement inspiré le Gouvernement, ne lui consacre que des développements succincts. Quant au CIV du 30 juin dernier, il insiste seulement sur la nécessité d'encourager : " l'esprit d'initiative des habitants des quartiers pour créer leur propre emploi ou développer une activité marchande ou à but d'utilité sociale [...] " avant d'ajouter : " Aussi, l'ensemble des outils d'aide à la création d'entreprises sera particulièrement mobilisé à leur intention, notamment le dispositif d'avance remboursable prévu pour les jeunes et les bénéficiaires de minima sociaux " et d'indiquer en outre que " des programmes de fourniture de locaux d'activités pour le développement de très petites entreprises devront être mis en oeuvre " 19( * ) .

Il est, certes, très souhaitable que les habitants des quartiers sensibles puissent, lorsqu'ils en ont l'ambition et l'énergie, créer leur entreprise. Toutes les initiatives des pouvoirs publics qui pourront les y encourager sont donc utiles. Peut-on, pour autant, réduire la politique de développement de l'activité à ce seul type d'actions ? Votre Commission des Affaires économiques ne le croit pas.

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