CHAPITRE II -

LA POLITIQUE DE LA VILLE EN 1998

Voici un an, votre Commission des Affaires économiques avait déploré que dans le gouvernement de M. Lionel Jospin aucun ministre ne soit titulaire du portefeuille de la ville. L'année 1998 a été marquée par la nomination d'un ministre délégué à la ville 7( * ) et par la publication du programme de travail établi par le comité interministériel des villes (CIV) du 30 juin 1998. Votre Commission des Affaires économiques se réjouit de la désignation d'un ministre chargé de la ville, même avec un retard d'un an !

Le CIV du 30 juin 1998 a, quant à lui, décidé de donner quatre orientations principales à la politique de la ville : garantir le pacte républicain ; renforcer la cohésion sociale dans les villes ; mobiliser autour d'un projet collectif ; construire un nouvel espace démocratique avec les habitants. Votre Commission des Affaires économiques adhère sans réserves aux deux premiers de ces objectifs. Elle s'interroge, en revanche, sur le flou qui caractérise les deux suivants , comme le montrera le présent chapitre.

I. LA SÉCURITÉ ET LA PAIX PUBLIQUES

Votre rapporteur pour avis a, depuis la publication du rapport sur la politique de la ville que lui avait confié votre Commission des Affaires économiques en 1992, constamment insisté sur la nécessité de rétablir la paix publique. Aussi s'étonne-t-il que, parmi les 50 propositions du rapport Sueur, celles relatives à l'insécurité et à la délinquance des mineurs ne figurent qu'en 37e et 38e position 8( * ) . Les événements récents survenus dans les transports en commun montrent pourtant que la lutte contre ces deux fléaux nécessite plus que jamais de figurer au premier rang des objectifs de la politique de la ville.

A. UN INDICATEUR PRÉOCCUPANT : LE REGAIN DE LA VIOLENCE DANS LES TRANSPORTS

Au mois d'octobre dernier, plusieurs grèves dans les transports publics ont traduit l'exaspération des agents de conduite qui sont journellement confrontés à des violences intolérables que relèvent aussi bien des travaux universitaires que la presse quotidienne. Dans le Rapport sur les violences urbaines publié en avril 1998 à la demande du ministre de l'intérieur, Mmes Body-Gendrot et Le Guennec dressent, pour une ligne d'autobus de la région parisienne, un constat qui vaut, hélas, pour d'autres modes de transports collectifs : " [...] les machinistes se sentent impuissants face à la banalisation des injures ou des dégradations, [...]. La répétition journalière de certains incidents les inquiète particulièrement : si un jeune monte tous les jours dans le bus, à la même heure, pour injurier le même conducteur qu'il reconnaît, et ouvrir lui-même les portes au même endroit, en dehors de l'arrêt, cela entraîne chez les conducteurs un " sentiment de psychose ", [...]. Beaucoup ont l'assurance que leur travail de service public n'est plus respecté, et certains estiment qu'ils ne peuvent plus exercer leur métier classique de conducteur. La plupart " ferment les yeux " et ne réclament plus de titres de transport sur certaines lignes. D'autres servent à transporter des scooters volés sans oser intervenir. L'incompréhension est totale de part et d'autre : les jeunes gens perçoivent le bus comme leur appartenant, puisqu'il roule sur leur " territoire ", et pour cette raison ils peuvent le taguer et tutoyer le conducteur " 9( * ) .

Cette violence n'est d'ailleurs pas l'apanage des transports publics puisque les mêmes auteurs relèvent que des incidents analogues se produisent lors de l'intervention des voitures de pompiers, de la police, voire même des ambulances 10( * ) . Enfin, selon un haut fonctionnaire de la police également cité par Mmes Body-Gendrot et Le Guennec : " les statistiques ne disent pas tout : les infractions contre les personnes sont en augmentation, les violences s'étendent sur l'ensemble du territoire, mais 80 % d'entre elles sont plus particulièrement concentrées dans vingt-six départements et pour 25 % dans la région Île-de-France[...] " 11( * ) . Elu de cette région qui regroupe le quart de la population française, votre rapporteur pour avis ne peut rester insensible aux préoccupations manifestées par nos concitoyens.

La presse quotidienne s'est d'ailleurs faite l'écho, à l'occasion des dernières grèves de transport, de témoignages analogues : C'est ainsi que Libération relevait récemment les problèmes récurrents rencontrés par les chauffeurs de bus de certaines lignes de région parisienne, en soulignant qu'" au fil des ans, les machinistes sont devenus une des cibles favorites de l'excitation des jeunes ". Ce même quotidien citait également le témoignage d'un conducteur qui évoquait ses relations avec certains jeunes dans les termes suivants : " Parfois, le simple fait de les regarder monter, ils le vivent comme une embrouille. Les crachats, on ne les signale même plus tellement c'est devenu banal. On a des gars qui grimpent dans les voitures avec leur scooter et qui laissent tourner le moteur. [...] ça énerve les collègues quand ils se font agresser par des gosses qui refusent de payer un ticket à 8 francs alors qu'ils portent des Nike à 800 balles ". [...] " Les agressions ont commencé à devenir sérieuses depuis à peu près cinq ans et elles s'aggravent chaque année, [...]. On constate une augmentation du nombre de femmes qui se font taper très violemment. En septembre 1997, le tramway Bobigny-Saint-Denis a été attaqué à coup de cocktails Molotov, vers La Courneuve, par une trentaine de jeunes de la cité des 4.000. En janvier, trois gars masqués et armés de pistolets ont braqué la recette du 347, qui contenait à peine plus de 500 francs. Même chose le 4 août dans le 173. On sait que les armes circulent dans les cités, mais qu'elles sortent pour ça, c'est grave " 12( * ) .

Votre rapporteur pour avis constate d'ailleurs que la violence s'exprime dans les transports en commun aussi bien en province qu'en région parisienne. Un chauffeur de bus d'Angoulême n'était-il pas récemment blessé par un adolescent de 14 ans armé d'un pistolet à air comprimé 13( * ) ? Devant cette situation inacceptable, les pouvoirs publics doivent poursuivre leur action contre la violence qui passe aussi bien par des mesures préventives que par la lutte contre la violence.

B. LES ACTIONS DE PRÉVENTION

Lors du colloque de Villepinte, fin 1997, le Premier ministre a souhaité renforcer la place des conseils départementaux et communaux de prévention et signer des contrats locaux de sécurité, ce dont se félicite votre Commission des Affaires économiques. Sur le terrain, la prévention se traduit par le recours à :

- l' îlotage (qui concerne près de 2.600 îlots dont 524 sont situés en ZUS) ;

- au renforcement de la présence des gendarmes en zone de gendarmerie ;

- au partenariat entre la police , la justice et l' éducation nationale , destiné à lutter contre la violence scolaire (ce partenariat peut même aller jusqu'à la réquisition permanente de la police pour effectuer des patrouilles dans certains établissements) ;

- à l'opération ville-vie vacances (VVV) qui a concerné, en 1997, 865.000 jeunes de 13 à 18 ans dans 91 départements ;

- à la lutte contre la toxicomanie (formation des policiers à la lutte contre la drogue, campagne itinérante dite " camion anti-drogue ", actions de sensibilisation menées par les formateurs de la gendarmerie).

Votre commission des Affaires économiques estime également essentiel de renforcer la sécurité des commerçants et des artisans par une politique de prévention. Elle souligne qu'un appel à projet a été lancé par la DIV à l'occasion du pacte de relance afin de remettre les équipements de sécurité des locaux aux normes requises par les assureurs ; de doter les sites commerciaux d'une protection collective (éclairage, dispositifs anti-franchissement, vidéo-surveillance) ; et de former les commerçants à la prévention. A l'issue du concours, 39 projets ont été sélectionnés. Ils ont reçu des subventions allant jusqu'à 2 millions de francs. Votre Commission des Affaires économiques souhaite que le Gouvernement lui présente, d'ici à un an, les premiers résultats de cette opération.

Votre rapporteur pour avis estime également que les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la violence dans le métro New-Yorkais pourraient être, au moins en partie, réutilisés dans les transports en commun français. Le " plan de reconquête " du métro de New-York prévoit, en effet, de lutter de façon systématique et rapide contre les graffitis et les dégradations, car il est prouvé que les " casseurs " sont soucieux que les usagers des transports voient le résultat de leurs activités. Cette action se conjugue avec une politique de répression des délits -de tous les délits, quel qu'en soit le niveau- (condamnation rapide à des peines d'intérêt général à effectuer sur les lieux mêmes où le délit a été commis). D'autre mesures tendant à rendre l'atmosphère du métro plus sûre ont un effet bénéfique : interdiction de boire de l'alcool et de mendier, lutte contre les resquilleurs, création d'un poste de chef de station responsable de chaque site, affectation de nouveaux moyens de police ont également contribué à rétablir la sécurité.

Pour votre rapporteur pour avis, ils est indispensable de retenir trois principes de l'exemple américain : la petite délinquance doit être systématiquement sanctionnée, notamment par la réparation ; l'environnement doit être préservé et les équipements publics réparés dès qu'ils ont été dégradés ; enfin la présence humaine doit être renforcée.

Lorsque la prévention ne suffit pas, le Gouvernement doit, sans faiblesses, mettre un terme aux agissements des délinquants et sanctionner leurs auteurs.

C. LES ACTIONS DE LUTTE CONTRE LA VIOLENCE

Votre Commission des Affaires économiques se félicite que le Premier ministre ait publiquement manifesté la volonté de punir plus sévèrement les agissements des auteurs de violences dans les transports. M. Lionel Jospin a, en effet, indiqué le jeudi 9 octobre 1998 sur France 2 que deux mesures spécifiques figureraient dans le projet de loi portant réforme de la justice. Il a souhaité que les agressions contre les agents des transports publics soient, à l'avenir, considérées comme des circonstances aggravantes et que les dispositions du code pénal qui sanctionnent les violences sur les " dépositaires de l'autorité publique " soient étendues aux agents des services publics de transport. Il a également évoqué la possibilité d'autoriser les contrôleurs des transports publics à utiliser une procédure nouvelle, le " relevé d'identité " qui leur permettrait de demander aux contrevenants de présenter leurs papiers et de les retenir jusqu'à l'arrivée d'un officier de police judiciaire en cas de refus.

Pour votre commission des Affaires économiques, il est, en outre, urgent d'affecter de nouveaux moyens de police et de gendarmerie dans les zones urbaines sensibles, en pleine concertation avec les collectivités locales. Selon le rapport présenté à l'Assemblée nationale par MM. Carraz et Hyest, députés, un redéploiement des effectifs permettrait d'affecter 3.000 policiers dans les zones urbaines spécialement touchées par la délinquance sur la voie publique et de dégager un effectif de 1.200 gendarmes afin de les affecter dans les secteurs périurbains particulièrement sensibles et dans les nouvelles zones relevant de la gendarmerie.

Votre commission des Affaires économiques souhaiterait connaître le résultat de la procédure de concertation qui est actuellement menée avec les élus et les personnels, ainsi que le délai dans lequel cette réforme, annoncée voici sept mois lors du Conseil de sécurité intérieure du 27 avril 1998, entrera en vigueur. Elle regrette que, dans bien des cas, l'affectation d'auxiliaires de sécurité dans les commissariats de police n'ait pas d'autre but que de pallier les conséquences du départ en retraite de policiers plus aguerris. Elle souhaite, en outre, que les auxiliaires de police reçoivent une réelle formation professionnelle qui les mette en mesure d'accomplir leurs fonctions dans les quartiers difficiles où l'expérience est essentielle.

Page mise à jour le

Partager cette page