CHAPITRE III -
LES TÉLÉCOMMUNICATIONS : UNE NOUVELLE
ÈRE ?
UNE OUVERTURE VARIABLE À LA CONCURRENCE
LA CROISSANCE CONCURRENTIELLE DU MARCHÉ DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE
Une très vive croissance
Le
nombre d'abonnés à un service de téléphonie mobile
en France double chaque année depuis 3 ans. Il atteint, en octobre
1998, le chiffre de 9.425.000, soit de 16,2 % de la population.
Ce développement spectaculaire devrait se poursuivre : le taux de
pénétration français est en effet encore inférieur
à celui de certains de nos partenaires. Une étude
11(
*
)
réalisée au
début de 1998 prévoit dans notre pays entre 20 et
30 millions d'abonnés en 2002, soit un taux de
pénétration compris entre 34 % et 50 %, en fonction du
scénario envisagé.
L'ouverture à la concurrence
dès 1987, mais encore plus
avec le troisième réseau en 1996, a joué un rôle
essentiel dans le développement de ce marché,
au
bénéfice du consommateur
. Les nombreuses innovations
marketing (forfait, cartes prépayées, heures gratuites le
week-end) et la multiplication des offres promotionnelles ont été
deux leviers décisifs de la pénétration de la
téléphonie mobile.
L'évolution du taux de pénétration du
téléphone mobile en France est retracée dans le tableau
ci-dessous :
TAUX DE PÉNÉTRATION DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE
Janvier 96 |
Juillet 96 |
Janvier 97 |
Juillet 97 |
Janvier 98 |
Mars 98 |
Octobre 98 |
1,81 % |
2,69 % |
4,11 % |
6,29 % |
10,5 % |
11,5 % |
16,2 % |
Source : observatoire des mobiles.
Au-delà de la complexité et de la non-comparabilité
parfois regrettable des offres, c'est également
la facturation des
" appels entrants "
12(
*
)
qui avait fait l'objet
d'observations de votre rapporteur l'an passé.
Le coût élevé de ces appels est lié pour partie,
comme le fait remarquer l'ART
13(
*
)
, à un impératif
technique, les modalités d'interconnexion entre réseaux fixe et
mobile étant plus coûteuses car il est nécessaire de
localiser le poste mobile.
Toutefois, ce coût résulte également
des politiques
commerciales
des opérateurs. Ce secteur ayant été
ouvert à la concurrence avant l'intervention de la loi de
réglementation du 26 juillet 1996, les licences des
opérateurs mobiles ne comprennent pas les obligations qui s'appliquent
aux licences délivrées après cette date. Les
opérateurs mobiles peuvent donc fixer librement le coût de leurs
appels entrants.
L'ART a dressé un tableau comparatif de ces coûts :
LES
TARIFS DES APPELS ENTRANTS D'UN POSTE FIXE VERS UN MOBILE
(au 30 avril 1998)
(en francsTTC)
|
Première |
Par minute supplémentaire (2) |
|
|
Minute (1) |
Heures pleines |
Heures creuses |
Itinéris et SFR |
3,00 F |
2,00 F |
1,50 F |
Bouygues
Télécom
|
3,00 F
|
3,00 F
|
1,00 F
|
Source ART
(1) Due, même si la conversation n'a pas duré une minute
(2) Tarification à la seconde
La Commission européenne a d'ailleurs engagé un travail
d'analyse de ces tarifs entrants, jugés trop élevés dans
l'ensemble de la Communauté.
Le bilan de la couverture territoriale de la téléphonie mobile
Les
caractéristiques géographiques de notre pays rendent essentiel,
pour l'aménagement du territoire, que soit assurée une bonne
couverture territoriale par les services mobiles.
Lors de l'élaboration de la loi de réglementation
précitée, le législateur,
et en particulier le
Sénat, à l'initiative de votre commission
, a souhaité
"
assurer, à un terme rapproché,
la couverture des
zones faiblement peuplées du territoire ainsi que des routes nationales
et d'autres axes routiers principaux, par au moins un service de
radiotéléphonie mobile ou satellitaire
".
La loi comporte ainsi trois dispositions distinctes en faveur de
l'aménagement du territoire :
- conformément à l'article L.35-3 du code des postes et
télécommunications, les opérateurs de
téléphonie mobile peuvent être exemptés de la part
de financement du service universel correspondant au déséquilibre
de la structure courante des tarifs téléphoniques, s'ils
s'engagent à améliorer la couverture du territoire à
compter du 1er janvier 2001. L'Autorité de régulation des
télécommunications ayant jugé valides les engagements
proposés, les trois opérateurs bénéficient donc de
cette exemption ;
- le premier des rapports relatifs au service universel prévu
à l'article L.35-7 du code des postes et
télécommunications, qui doit avoir lieu "
au moins une
fois tous les quatre ans
" à compter de juillet 1996, devra
aussi comprendre "
un bilan de la couverture du
territoire
par les réseaux de
radiotéléphonie
" ;
- en application de l'article 23 de la loi, le gouvernement doit
présenter au Parlement un
rapport spécifique
concernant
les zones d'implantation, les délais de couverture et les modes de
fonctionnement des radiotélécommunication mobiles.
Le rapport sur la couverture territoriale de la téléphonie mobile
vient d'être remis au Parlement (juillet 1998).
Si votre commission pour avis déplore qu'il ait fallu plus de deux
années pour l'élaborer, elle se félicite toutefois de la
parution de ce document et incite le Gouvernement à produire les autres
rapports demandés par la loi de réglementation des
télécommunications.
Le rapport présente tout d'abord le bilan de la couverture
territoriale par les services mobiles.
Il estime qu'au-delà des
simples obligations de leurs cahiers des charges, en termes de
couverture de
la population
, l'importance du niveau de
couverture
géographique
dans l'argumentaire commercial des opérateurs
les a conduits à un déploiement de leurs réseaux allant
au-delà de leurs strictes obligations réglementaires.
Ainsi, le déploiement des réseaux de
radiotéléphonie en France permet d'offrir un service en
téléphonie 2 watts à
94 % de la population
sur 70 % du territoire
à la mi-1997.
La couverture du territoire métropolitain par au moins un
opérateur de radiotéléphonie GSM
14(
*
)
courant 1997 est estimée
comme suit :
COUVERTURE GÉOGRAPHIQUE ET DÉMOGRAPHIQUE
PAR AU MOINS UN OPÉRATEUR MOBILE EN FRANCE
Taux de couverture |
Population |
Territoire |
Terminal 2 W ou 1 W |
94 % |
70 % |
Terminal 2 W " car-kit " |
97 % |
82 % |
Terminal 8 W |
98 % |
89 % |
Source : SAGATEL pour le secrétariat d'Etat
à
l'Industrie.
Si on doit se féliciter du chemin parcouru, peut-on s'en
satisfaire ? Votre commission pour avis ne le pense évidemment
pas
.
Le rapport estime que le développement naturel du marché devrait
conduire à une stabilisation à moyen terme de la couverture
autour de 90 à 95 % de la population pour chaque
opérateur, ce qui correspond à
une couverture
géographique de l'ordre de 75 % du territoire d'ici l'an 2000, soit
un gain de l'ordre de 5 points de taux de couverture géographique
par rapport à la couverture actuelle
.
La stabilisation de la couverture aux trois quarts de la surface du pays
laisserait donc de côté les zones les plus fragiles.
Le rapport permet d'identifier les zones non couvertes. Les 30 % du
territoire actuellement non couverts en 2 W, soit 166.000 km²,
se répartissent en deux ensembles de structures très
différentes :
-
un ensemble diffus de zones de petite taille
, de quelques
km² à quelques dizaines de km², qui représente
3,5 % du territoire et moins de 1 % de la population. Le rapport
précise que l'existence de zones diffuses correspondant à des
" trous " de la couverture résulte plutôt de la
qualité -ou de l'absence de qualité- du service offert par les
opérateurs. Ceux-ci vont donc poursuivre leurs efforts
d'amélioration et d'extension de la couverture dans ces zones qui ne se
différencient guère, en terme de potentialité de
marché, des territoires mieux couverts qui les entourent ;
-
un ensemble de zones non-couvertes
plus structurées, ayant
une plus grande dimension et
une unité géographique
réelle
; la surface de chaque zone s'échelonne de
100 à 300 km² pour les plus petites à près
de 9.000 km² pour la plus étendue.
La couverture de ces zones est un problème de nature très
différente dans la mesure où il s'agit souvent de régions
moins peuplées ou de nature physique plus difficile : montagnes,
forêts, collines, zones marécageuses. La conjonction entre des
coûts de couverture plus élevés et des perspectives de
marché limitées signifient que ces zones ne devraient pas
être couvertes par le simple jeu du marché et la volonté
commerciale d'extension de couverture mise en oeuvre par les opérateurs,
sauf quelques cas limités.
Le rapport dresse un constat bien connu de votre commission pour avis et qui
l'avait d'ailleurs incitée à se déterminer lors de la
discussion de la loi de 1996 :
"
Une analyse approfondie au niveau des 3.695 cantons de la France
métropolitaine révèle l'existence d'environ 190 zones
incomplètement couvertes.
Généralement, ces zones englobent des communes rurales qui sont
restées dans leur espace traditionnel et qui n'ont pas les mêmes
chances d'accéder aux moyens modernes de communications que celles qui
bénéficient de l'attractivité et de la proximité
d'un ou plusieurs pôles urbains
"
.
Le rapport évalue ensuite le coût d'une couverture de ces
zones.
Le Gouvernement a effectué des modélisations
technico-économiques tendant à identifier les coûts
nécessaires à une extension de la couverture territoriale. La
conclusion de cette évaluation économique que le rapport assortit
d'une illustration cartographique est la suivante :
5 points supplémentaires de couverture
peuvent
être atteints grâce au simple jeu du marché ; ces zones
sont a priori rentables pour les opérateurs et correspondent au niveau
de complément de couverture qu'ils envisagent à l'horizon de l'an
2000 (voir supra) ;
7 points supplémentaires de couverture
correspondent
à des zones qui pourraient devenir rentables dans quelques années
à condition qu'un seul opérateur exploite cette zone. Le
développement spontané du marché peut conduire à de
telles situations qui peuvent, en outre, être favorisées de
façon plus volontariste. Le rapport estime qu'un mécanisme
d'exemption similaire à celui instauré par le Parlement pourrait
prendre en charge le financement de la couverture géographique de ce
deuxième niveau ;
8 points supplémentaires de couverture
pourraient
résulter d'une coordination des opérateurs, c'est-à-dire
d'une " organisation de marché " visant à éviter
la duplication des réseaux, assortie soit d'une aide à
l'investissement, soit du comblement du déficit d'exploitation ;
10 points résiduels
nécessiteraient, pour être
couverts, de très lourdes aides à l'investissement et à
l'exploitation : 2,3 milliards de francs pour l'investissement et
1,2 milliard de francs pour couvrir le déficit d'exploitation, pour
10 % du territoire et 1,4 % de la population.
Le rapport préconise de recourir, pour ces derniers points
géographiques, à la couverture par les services de communication
satellitaire.
Votre rapporteur ne souhaite pas s'exprimer aujourd'hui sur les propositions
que fait, à l'issue de ce constat, le rapport du Gouvernement.
Votre commission pour avis sera en effet saisie " au moins une fois tous
les quatre ans " à compter de 1996, soit au plus tard en 2000, de
ce thème lors du " rendez-vous " sur le service universel
fixé par la loi du 26 juillet 1996
.
Elle estime toutefois que cette question doit être étudiée
parallèlement aux solutions que proposent désormais les
communications satellitaires.
Les services de communication personnelle par satellite
Le
développement spectaculaire des services mobiles
" terrestres " trouve son prolongement dans l'arrivée de
nouveaux services, fonctionnant sur une technologie satellitaire : les
services de communication personnelle par satellite (S-PCS).
L'objectif des S-PCS (tels Iridium, Globalstar, ou ICO) est de fournir,
à l'échelle planétaire, au moyen d'une interconnexion
entre satellites d'un même " réseau ", des services de
télécommunications à destination de terminaux mobiles ou
fixes.
Ces nouvelles offres, dont l'une est déjà disponible, devraient
dans un premier temps être complémentaires et non concurrentes des
services mobiles terrestres, en raison notamment de leur coût. Mais nul
doute que ce coût ne diminue rapidement et ne
" démocratise " ces services.
La " première génération " de services
satellitaires offrira une gamme de services similaire à celle des
réseaux mobiles terrestres : téléphonie,
télécopie, transfert de données à bas débit.
Les principaux projets de ce type sont les suivants :
LES PRINCIPAUX PROJETS DE COUVERTURE SATELLITAIRE
Projets |
Iridium |
ICO |
Globalstar |
East |
Groupes industriels de réfé-rence |
Motorola |
Inmarsat |
Loral |
Matra Marconi Space |
Nombre de satellites |
66 |
10 |
48 |
1 |
Couverture |
mondiale |
mondiale |
mondiale |
régionale |
Date d'ouverture du service |
1998 |
2000 |
1998 |
2001 |
Coût du projet en milliards de dollars |
3 |
3 |
2,5 |
0,8 |
Prix envisagé de la minute de communication hors coûts d'interconnexion terrestre (airtime) en francs |
15 |
15 |
5 |
1,5 |
Source : Idate et opérateurs
La " deuxième génération " de projets
satellitaires (tel Télédesic) au tout début du prochain
siècle, proposera des services dits " à large
bande " : vidéo communication et accès Internet
notamment.
L'ÉMERGENCE DE LA CONCURRENCE SUR LA TÉLÉPHONIE ENTRE POINTS FIXES
Si la
concurrence sur le marché de la téléphonie mobile est
très vive et a permis, en dix ans, à au moins un opérateur
de faire jeu presqu'égal avec l'opérateur historique, tel n'est
pas encore le cas de la téléphonie entre points fixes,
libéralisée, il est vrai, plus récemment (1er janvier
1998), même si ce secteur est lui aussi l'objet de mutations très
rapides, comme le montre l'irruption récente de la grande distribution
sur ce marché.
S'agissant des
réseaux longue distance
, de nombreuses licences
ont été accordées ou sont en cours d'instruction. Des
opérateurs ont ainsi obtenu des autorisations générales,
permettant l'exploitation de réseaux et la fourniture de services de
télécommunications, accompagnées d'engagements en termes
de déploiement des équipements sur l'ensemble du territoire. Pour
se déployer, les opérateurs utilisent principalement les
infrastructures alternatives au réseau de France Télécom,
complétées d'investissements propres souvent importants.
Eu égard à leur importance en la matière, et aux
développements récents qu'ils ont occasionnés, votre
rapporteur pour avis abordera rapidement les thèmes de l'interconnexion
et de la sélection du transporteur.
Pour ce qui est de la concurrence, moins développée,
sur la
boucle locale
, votre rapporteur s'y arrêtera quelques instants, en
raison de son principal intérêt : l'accès à
l'abonné final.
L'interconnexion : un véritable " curseur " concurrentiel
L'interconnexion
15(
*
)
est
l'une des conditions
essentielles de l'établissement de la concurrence
sur les
réseaux longue distance. En effet, même les opérateurs
disposant de réseaux alternatifs longue distance doivent
s'interconnecter avec le réseau de France Télécom pour la
partie locale de l'appel. Les tarifs d'interconnexion sont donc un
élément déterminant de leur décision
d'investissement.
Compte tenu de l'importance de l'interconnexion pour le développement de
la concurrence, la loi précitée du 26 juillet 1996, comme le
décret n° 97-188 du 4 mars 1997, ont
réglementé cette activité.
Le principe de base est que les exploitants de réseaux ouverts au public
sont tenus de faire droit dans des conditions "
objectives,
transparentes et non discriminatoires
" aux demandes d'interconnexion
des autres opérateurs.
En outre, les opérateurs dominants doivent publier un catalogue
comportant les prix des principaux services d'interconnexion à leur
réseau.
L'ART a résumé ainsi les prix d'interconnexion au réseau
de France Télécom en 1998 :
TARIFS
MOYENS D'INTERCONNEXION POUR UN OPÉRATEUR NOUVEL ENTRANT
(CENTIMES PAR MINUTE)
Trafic terminal sur commutateurs de raccordement d'abonnés (30.000 abonnés) |
6,09 |
Simple transit à partir du point de raccordement opérateur (2 millions d'abonnés) |
12,80 |
Double transit (toute la France) |
17,57 |
Source : ART
Le catalogue d'interconnexion de France Télécom pour 1999 est
actuellement en cours d'élaboration.
La sélection du transporteur et la portabilité des numéros : deux leviers essentiels de la concurrence
•
Le mécanisme de
sélection du transporteur longue
distance
permet à un abonné de choisir le réseau
téléphonique qui acheminera ses appels longue distance, sans pour
autant changer d'opérateur local.
Il s'agit donc d'un facteur là aussi essentiel pour le
développement de la concurrence sur le marché longue distance,
puisqu'il permet aux opérateurs nouveaux entrants de proposer leurs
services à des clients qui ne sont pas directement raccordés
à leur réseau.
Depuis le 1er janvier 1998, il est possible de choisir son transporteur
" appel par appel "
.
Pour chaque appel longue distance, l'abonné peut indiquer quel
réseau de transport il a choisi, en composant, à la place du
réseau figurant en tête du numéro à composer, le
préfixe " E " ou le préfixe " 16XY "
- c'est-à-dire le chiffre identifiant - de l'opérateur
qu'il a choisi.
La " présélection " du transporteur sera possible au
1er janvier 2000
.
La présélection du transporteur consiste à orienter a
priori l'ensemble des communications longue distance d'un abonné vers un
transporteur de son choix, lui évitant ainsi une opération
spécifique à chacun des appels. Ce mécanisme, le plus
simple pour le consommateur, est donc le plus efficace en termes d'ouverture de
marché.
En ce qui concerne l'attribution des préfixes
, votre rapporteur
rappellera brièvement le litige né de la
" rareté " des préfixes " E " disponibles au
regard du nombre d'opérateurs souhaitant en disposer.
A l'issue d'une instruction des demandes par l'ART, des procédures de
réservation des préfixes à un chiffre ont, en effet,
été organisées.
Toutes les valeurs disponibles ont ainsi été
réservées. En 1997, les réservations ont concerné
le 2 pour Siris, le 5 pour Omnicom, le 7 pour Cégétel, le 8 pour
France Télécom, le 9 pour Bouygues. Le
13 février 1998, le 4 et le 6 ont été
réservés respectivement à Tele2 France et à Esprit
Télécom. Les autres opérateurs devaient dont se contenter
d'un préfixe à quatre chiffres de type
" 16 X Y ".
Mécontente de cette situation, la société AXS
Télécom a saisi le Conseil d'Etat d'un recours en annulation de
ces procédures de réservation. Par un arrêt du 26 juin
1998, le Conseil d'Etat a statué sur le fond du recours. Il a notamment
admis la légalité de la distinction entre préfixes
à un chiffre et préfixes à quatre chiffres dans la mesure
où le mécanisme de présélection par abonnement
était indisponible et compte tenu de la position dominante de France
Télécom. Il a considéré que l'Autorité de
régulation des télécommunications, en imposant des
obligations d'investissements aux bénéficiaires du préfixe
à un chiffre, n'avait pas méconnu le principe de
non-discrimination ni l'équivalence des formats de numérotation.
Aux termes de cet arrêt, le Conseil d'Etat a donc validé les
attributions de préfixes effectuées par l'Autorité de
régulation des télécommunications et rejeté la
demande d'AXS.
La portabilité des numéros de
téléphone
est un autre levier du développement de la
concurrence. Elle consiste en effet à garder le même numéro
de téléphone en cas de changement d'opérateur
(c'est-à-dire en cas d'abonnement à un autre opérateur que
France Télécom) ou de changement d'adresse. Les études
montrent que
la perspective de changer de numéro
est en effet
un frein important
au changement d'opérateur pour les
consommateurs.
La loi précitée de 1996 a prévu une portabilité en
deux étapes.
Depuis le 1er janvier 1998, il est théoriquement possible de changer
d'abonnement sans changer de numéro. En pratique, cette
possibilité est peu utilisée car le faible degré de
concurrence dans la boucle locale (voir ci-dessous) fait de France
Télécom, dans la plupart des cas, le seul opérateur de ce
type. Pour les numéros de " libre appel " (les 0.800)
utilisés par des professionnels, une portabilité en cas de
changement d'opérateur sera assurée à partir de 1999.
A partir de 2001, tout utilisateur pourra obtenir auprès de son
opérateur un numéro " non géographique "
(c'est-à-dire ne commençant pas par 01, 02, 03, 04, 05) qu'il
pourra conserver, qu'il change de localisation géographique ou
d'opérateur. Les caractéristiques exactes de ce service sont en
cours de définition.
La concurrence sur la boucle locale : l'enjeu de l'accès à l'abonné
La
" boucle locale " est la partie des réseaux
-téléphoniques, câblés, voire hertziens- qui
pénètre jusque chez l'abonné.
L'ART la définit comme "
l'ensemble des liens filaires ou
radioélectriques qui relient l'abonné au commutateur auquel il
est rattaché. De façon plus concrète, elle
représente l'ensemble des moyens techniques qui permettent aux
opérateurs
d'accéder directement à l'abonné
grâce à leur propre réseau de
télécommunications
".
La boucle locale est un enjeu décisif pour le développement de la
concurrence. L'expérience montre en effet que la maîtrise de
l'accès direct à l'utilisateur final représente un atout
considérable pour un opérateur.
Force est de constater que l'instauration de la concurrence n'est que
progressive sur ce segment de marché.
En effet, alors que l'investissement dans la construction de nouveaux
réseaux téléphoniques locaux raccordés à
l'abonnés s'avère coûteux, un moyen d'y
pénétrer -les réseaux câblés de
télévision existants- ne sont pas encore utilisés comme
ils le pourraient.
La question de l'utilisation des infrastructures câblées
Un
potentiel important
Votre rapporteur tient tout d'abord à souligner que certaines
expériences très innovantes ont déjà pu être
menées sur les réseaux câblés. Certains
développements sont en cours, notamment du fait d'opérateurs
câblés, petits ou moins petits, qui proposent déjà
ou vont proposer des services de téléphonie vocale et d'Internet
sur des infrastructures jusqu'alors exclusivement dédiées
à la télévision.
Au 31 mars 1998, le câble comptait 3544 abonnés
au service
d'accès à Internet
. En juillet 1998, des déclarations
préalables d'ouverture d'un service d'Internet sur le câble ont
été transmises à l'ART pour environ 75 communes.
Le service téléphonique
est offert sur le réseau
câblé d'Annecy
16(
*
)
depuis décembre 1997. Une
autorisation a récemment été
délivrée
17(
*
)
par
l'ART pour un projet analogue dans l'Est parisien.
Il existe un important potentiel en matière d'utilisation des
réseaux câblés.
Comme l'a rappelé l'ART dans son rapport annuel, l'utilisation des
réseaux câblés qui desservent potentiellement près
de
7 millions de foyers en France,
représente une solution
d'avenir pour le développement des services de
télécommunications, et en particulier du service
téléphonique sur la boucle locale. Au 30 novembre 1997, on
comptait 1 607 797 abonnés au câble pour
2 322 583 logements raccordés et 6 829 531 logements
commercialisables
18(
*
)
.
Le nombre de logements potentiellement desservis représente ainsi
entre 20 et 25 % du nombre d'abonnés au téléphone de
France Télécom
.
Une utilisation qui n'est pas encore optimale
Pourtant, des freins importants existent pour l'utilisation à d'autres
fins que la télévision de ces infrastructures. Ils tiennent
notamment à
l'absence de clarification de la situation juridique
héritée du plan câble.
Le développement du câble dans notre pays a été mis
en oeuvre à l'initiative des pouvoirs publics. Sa réalisation ne
s'est toutefois pas accompagnée d'une définition claire des
responsabilités. On peut ainsi distinguer trois catégories
juridiques de réseaux câblés en France :
- les réseaux du plan câble
, qui ont
été construits par France Télécom à partir
de 1982 dans le cadre d'un vaste plan national d'équipement du
territoire. L'exploitation commerciale de ces réseaux, dont France
Télécom demeure le propriétaire, a été dans
de nombreux cas
confiée à des câblo-opérateurs
privés
qui les ont jusqu'à présent utilisés
pour fournir des services de télévision. Ils représentent
40 % de l'ensemble des logements desservis ;
- les réseaux concessifs
dont l'exploitation commerciale
est confiée à un câblo-opérateur dans le cadre d'une
concession de service public consentie par la collectivité territoriale
(en général la commune) propriétaire du
réseau ;
- les réseaux détenus en propre
par les
câblo-opérateurs qui les exploitent.
Pour les réseaux du " plan câble ", la situation est la
suivante : la libéralisation du secteur des
télécommunications au 1er janvier 1998 a
autorisé
les exploitants privés de ces infrastructures appartenant à
France Télécom à fournir des services de
télécommunications sur ces réseaux, concurrençant
ainsi France Télécom
. On se doute bien que la
résolution des problèmes techniques posés par la
nécessaire adaptation desdits réseaux à la fourniture de
ces nouveaux services n'a pas été facilitée par cette
situation juridique !
On a même assisté à un
véritable blocage de la situation
, au détriment de
l'utilisateur.
L'ART souligne d'ailleurs dans son rapport annuel que "
cette situation
a pour effet de
retarder le développement de la concurrence ainsi que
la bonne utilisation des réseaux
. L'imbrication des
responsabilités, dans un cadre juridique déjà complexe, ne
favorise pas la solution des difficultés techniques ; cela retarde
la mise en oeuvre de projets dont les consommateurs devraient être les
principaux bénéficiaires. L'ampleur des difficultés
rencontrées souligne la nécessité de mieux identifier le
rôle de chacun.
Il est souhaitable que des négociations
s'engagent entre France Télécom et les
câblo-opérateurs exploitant ces réseaux, afin de trouver
une issue à cette situation paralysante ".
Notons qu'une cession des réseaux concernés aux exploitants est
envisagée même si ses conditions -de prix notamment- ne font pas
l'objet d'un accord entre les parties concernées.
Votre rapporteur corrobore ce souhait d'une disparition rapide de cette
pomme de discorde qui nuit à la sérénité du secteur
et à l'offre de services au consommateur.
Vers une " juridiciarisation " des
télécommunications ?
On a assisté sur ce sujet à une véritable
" juridiciarisation " du droit des télécommunications,
à l'anglo-saxonne, avec un recours croissant à l'arbitrage de
l'ART et aux juridictions compétentes. Votre rapporteur citera à
cet égard deux exemples -sans parler de la question des tarifs
proposé pour le raccordement des établissements scolaires
à Internet, tranchée par le Conseil de la concurrence- :
L'arbitrage sur la fourniture d'Internet sur les réseaux du
plan câble.
L'ART a dû arbitrer un litige portant sur l'utilisation de certains
réseaux câblés pour la fourniture d'Internet.
Le 1er avril 1997, Paris TV Câble (groupe Suez-Lyonnaise des eaux) a
déposé une demande de règlement d'un différend
l'opposant à France Télécom, portant sur la location de
capacités supplémentaires afin de permettre la fourniture
d'accès à Internet sur le réseau câblé
parisien. Le 18 avril 1997, la Compagnie générale de
vidéocommunication (Groupe Générale des eaux, aujourd'hui
Vivendi) a déposé une demande de même nature pour
18 réseaux dont elle assure l'exploitation commerciale. Ces
différends portaient sur les relations entre les
câblo-opérateurs, exploitants commerciaux, et France
Télécom, propriétaire des réseaux.
Les sociétés Paris TV Câble et Compagnie
générale de vidéocommunication souhaitaient offrir sur les
réseaux câblés qu'elles exploitent -qui sont des
réseaux du plan câble- l'accès à des services en
ligne et en conséquence obtenir la mise en conformité des
conventions d'exploitation signées avec France Télécom.
N'ayant pu parvenir à un accord avec l'opérateur historique, ces
deux sociétés ont demandé à l'Autorité de
trancher ces litiges, et notamment de décider que les conventions
seraient mises en conformité, en prévoyant les adaptations
nécessaires des réseaux établis pour exploiter des
services audiovisuels, ainsi que les conditions juridiques et
financières de ces adaptations (délai,
rémunération, propriété, maintenance). Au plan
technique, les litiges portaient notamment sur la propriété des
" routeurs câbles ", qui sont des dispositifs de tri
placés sur le réseau et permettant d'orienter les communications
vers l'abonné. Chacune des deux parties revendiquait la
propriété et l'exploitation de ces équipements.
L'ART a rendu sa décision d'arbitrage le 25 juin 1997.
France Télécom a formé un recours contre chacune de ces
deux décisions devant la Cour d'appel de Paris le 10 août
1997. Ces affaires ont été plaidées par les parties le
24 mars 1998. Par deux arrêts rendus le 28 avril, celle-ci a
rejeté ces recours.
Saisie à nouveau par Paris TV Câble le 11 juin 1998, l'ART
s'est prononcée une deuxième fois sur ce sujet le 31 juillet
dernier
19(
*
)
, puis une
troisième fois le 5 août dernier. Des retards importants dans
l'ouverture de ces services en sont résultés.
L'arbitrage sur la fourniture du téléphone sur les
réseaux du plan câble.
Un problème similaire s'est posé pour la fourniture du service
téléphonique.
Le 19 décembre 1997, la société Paris TV Câble et la
société Lyonnaise communications ont déposé chacune
une demande à l'ART de règlement des différends les
opposant à France Télécom pour la fourniture du service
téléphonique sur les réseaux câblés.
Un arbitrage a été rendu par l'ART le 19 juin
dernier
20(
*
)
.
Lever les freins concurrentiels dans la " boucle locale " ?
On le
voit, la concurrence dans la boucle locale n'avance pas toujours au rythme
souhaité, notamment, par les opérateurs nouveaux entrants. L'ART
elle-même a fait part
21(
*
)
de propositions pour
accélérer l'introduction de la concurrence sur la boucle locale.
Parmi celles-ci figurent :
• l'introduction d'une " boucle locale radio ",
c'est-à-dire d'une terminaison hertzienne et non filaire des
réseaux, comme cela a été réalisé aux
Etats-Unis ;
• la levée des freins que constituent l'absence d'annuaire
universel ou la situation juridique décrite ci-dessus pour les
réseaux du plan câble.
Enfin, l'ART estime que : "
la question du dégroupage de
la boucle locale mérite d'être posée
. Dans le
cadre des accords d'interconnexion, les opérateurs longue distance
utilisent les commutateurs pour se connecter au réseau de France
Télécom, dont la partie locale achemine les communications depuis
et à destination de l'abonné. Ainsi, l'acheminement
jusqu'à l'abonné et la commutation des communications sont
groupés au sein d'une même offre d'interconnexion proposée
par France Télécom dans son catalogue et
rémunérée par les tarifs d'interconnexion. Le
dégroupage de la boucle locale consisterait à distinguer ces deux
offres en
permettant aux nouveaux opérateurs de raccorder directement
leur propre réseau aux fils de cuivre de France Télécom
pour acheminer les communications jusqu'à l'utilisateur final, moyennant
le versement d'une rémunération à l'opérateur
public
".
Cette éventualité, réclamée par certains
opérateurs privés et rejetée par l'opérateur
dominant, est donc encore loin de faire l'unanimité. Pourtant,
l'idée fait son chemin.
Interrogé sur ce point par votre rapporteur lors de son audition par
la commission des affaires économiques le 4 novembre dernier, le
secrétaire d'Etat à l'industrie déclarait ainsi qu'une
" offre dégroupée " pourrait, sans céder pour
autant à une quelconque précipitation, être mise en place.
Votre commission des affaires économiques souhaite que des solutions
satisfaisantes et loyales soient rapidement trouvées, dans le respect de
l'intérêt des utilisateurs et de l'ensemble des
opérateurs.
LE SERVICE UNIVERSEL DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
Son coût et sa structure
Comme
votre rapporteur pour avis l'indiquait l'an passé, pour l'année
1998, l'Autorité de régulation des
télécommunications a évalué le coût du
service universel, à titre prévisionnel,
à
6 043 millions de francs
.
Ce coût net est formé de trois composantes globales :
-
Le coût net lié au déséquilibre de la
structure courante des tarifs de France Télécom.
Le montant
prévisionnel de cette composante a été
évalué à 2 242 millions de francs en 1998. Les
opérateurs mobiles en sont exemptés, comme cela a
déjà été signalé, en contrepartie
d'engagements spécifiques de couverture du territoire. France
Télécom doit avoir résorbé ce
déséquilibre au plus tard le 31 décembre 2000 ;
-
Le coût net lié aux obligations de
péréquation tarifaire géographique.
Le montant de
cette composante a été évalué à
2 717 millions de francs à titre prévisionnel pour
1998 ;
-
Le coût net des autres obligations de service
public
:
desserte du territoire en cabines
téléphoniques ; annuaire universel et service de
renseignements correspondant ; tarifs spécifiques destinés
à certaines catégories de personnes, en raison notamment de leur
faible niveau de revenu ou de leur handicap (tarifs sociaux). L'ensemble de ces
obligations de service universel a été évalué
à 1,084 milliard de francs dans le cadre de l'évaluation
prévisionnelle de l'année 1998.
Votre rapporteur pour avis rappelle que la mise en place d'un système de
partage du coût net du service universel,
si elle est autorisée
par les directives, est suivie avec une particulière attention par la
Commission européenne
, tant par la Direction
générale XIII en charge du secteur des
télécommunications, que par la Direction générale
IV en charge des questions de concurrence.
Ainsi, la Commission européenne a adressé une lettre de mise en
demeure au Gouvernement français concernant la transposition des
directives européennes sur le service universel, sur la base de
l'article 169 du traité.
Parallèlement, deux associations professionnelles françaises
d'opérateurs privés de télécommunications ont
déposé une plainte à la Direction
générale IV de la Commission européenne sur les
modalités de partage des coûts du service universel en France.
Cette plainte a été notifiée au Gouvernement
français, le 27 juillet 1998.
Sans aucunement se prononcer sur ces procédures en cours, votre
commission des affaires économiques réaffirme son attachement au
service public des télécommunications.
Deux lacunes regrettables
Votre commission pour avis déplore que deux importantes questions soient toujours pendantes, bien qu'elles soient directement liées au service universel des télécommunications, en faveur duquel votre commission des affaires économiques s'était prononcée lors de l'examen de la loi précitée du 26 juillet 1996. Il s'agit de la mise en place de l'annuaire universel des télécommunications et des tarifs téléphoniques dits " sociaux ".
L'annuaire universel des télécommunications
L'annuaire universel prévu par la loi du
26 juillet 1996
comme une garantie de simplicité du service public
téléphonique malgré la libéralisation, doit
rassembler les numéros de
la totalité des abonnés au
téléphone fixe ou mobile.
Dans le cadre de l'ouverture
à la concurrence du secteur, il permettrait de disposer d'un annuaire de
l'ensemble des abonnés quel que soit l'opérateur que ceux-ci ont
choisi.
Il s'agit donc d'une composante essentielle du service public des
télécommunications
.
L'article L. 34-4 du code des postes et télécommunications
prévoit qu'un organisme indépendant des opérateurs
établit et gère la liste universelle des abonnés au
téléphone nécessaire à l'élaboration de
l'annuaire universel. Cet article prévoit par ailleurs que, dans le
cadre de ses missions de service public, France Télécom
édite un annuaire universel.
Un décret en Conseil d'Etat doit préciser la procédure de
désignation et les missions de l'organisme prévu à
l'article L. 35-4. En dépit de l'importance de ce sujet, des
arguments techniques et économiques sont avancés pour expliquer
un retard que votre commission pour avis considère comme inacceptable.
Les mesures qui s'imposent pour combler cette lacune doivent être
prises au plus vite.
La mise en place de " tarifs sociaux "
La loi
précitée du 26 juillet 1996 a prévu la mise en place
de tarifs spécifiques pour certaines catégories de personnes
rencontrant des difficultés dans l'accès au service
téléphonique en raison notamment de leur niveau de revenu ou de
leur handicap.
L'application de cette disposition qui figure au 2
ème
alinéa de l'article L. 35-1 du code des postes et
télécommunications a été précisée par
l'article R. 20-34 du même code (décret du 13 mai 1997
relatif au financement du service universel des
télécommunications). Il est prévu, entre autres, que les
départements désignent les ayants-droit à ces tarifs.
Or, le dispositif proposé par le gouvernement en 1997 n'a pas pu
recueillir l'assentiment des acteurs concernés. Le gouvernement est donc
en train de réviser ses propositions.
Les nouvelles propositions devraient, d'après les informations
communiquées à votre rapporteur, être fondées sur
les principes suivants :
- une réduction tarifaire pour certains allocataires de minima
sociaux pourvu qu'ils en fassent la demande ;
- un fonds de gestion d'impayés, géré au niveau
départemental par une commission placée sous l'égide du
Préfet.
Un décret modifiant l'article R. 20-34 du code des postes et
télécommunications est en tout état de cause
nécessaire.