B. UNE MONDIALISATION QUI S'ACCOMPAGNE DE LA CONCLUSION D'ALLIANCES INTERNATIONALES
1. Une concurrence désormais totale
a) Une libéralisation européenne qui ne s'est pas accompagnée d'une harmonisation pourtant indispensable sur le plan fiscal et social
Initié par les Etats-Unis en 1997, le processus de
libéralisation du transport aérien
international s'est
développé de manière plus ou moins rapide suivant les
régions du monde.
En Europe, avec le " troisième paquet " de
libéralisation, l'accès au marché et la tarification sont
libres : la notion de marché intérieur communautaire du
transport aérien est devenue une réalité.
Dans un tel contexte de libéralisation européenne et mondiale,
votre commission pour avis rappelle à nouveau que la disparité
des législations fiscales et sociales confère aux transporteurs
de certains Etats membres un avantage compétitif certain.
Même si ces phénomènes restent marginaux, certaines
opérations de délocalisation d'activités (notamment des
services de réservation) ont été observées en
Europe, au profit de l'Irlande et des Iles britanniques, essentiellement pour
réduire le poids des charges sociales.
Votre commission des affaires économiques souhaite qu'une
réflexion sur l'harmonisation européenne des conditions d'emploi
et de travail des salariés du transport aérien soit rapidement
menée.
Elle propose la mise en place d'un observatoire social européen du
transport aérien.
En effet, la crainte est de plus en plus vive de voir le transport
aérien connaître le même sort que la marine marchande.
La libéralisation du trafic entre l'Europe et les Etats-Unis a, elle
aussi, connu des avancées significatives.
b) L'accord signé avec les Etats-Unis le 18 juin 1998
Avec un
trafic annuel vers les Etats-Unis de l'ordre de 4 millions de passagers,
la France se place juste après le Royaume-Uni (12 millions) et
l'Allemagne (6 millions) pour le marché du transport aérien
transatlantique.
L'enjeu de
l'accord franco-américain
signé le 18 juin
dernier est donc d'importance : conclu après six ans de
négociations, il fixe le cadre des relations aériennes
bilatérales franco-américaines, après la
dénonciation par la France, en mai 1992, du traité dit des
" Bermudes ", conclu en 1946.
Malgré des positions de départ assez éloignées, les
négociateurs américains souhaitant initialement arriver à
une politique de " ciel ouvert ", -c'est-à-dire à une
libéralisation totale, à laquelle la partie française ne
pouvait souscrire-, l'accord aérien du 18 juin 1998 offre une
ouverture progressive et réciproque
de ce marché.
A la demande de la France, l'accord prévoit, en effet, outre une
libéralisation progressive et afin d'éviter l'émergence de
situations inacceptables (tarifs prédateurs, surcapacités, abus
de position dominante...) un
mécanisme de résolution des
conflits
assorti de mesures conservatoires si les intérêts de
l'une des parties se trouvaient gravement menacés.
Cet accord n'est pas un accord de " ciel ouvert ". Il prévoit
une
libéralisation progressive du trafic aérien
franco-américain
au terme d'une
période de transition des
cinq ans,
au cours de laquelle les capacités seront progressivement
augmentées : 21 fréquences supplémentaires sont
prévues en 1998, 7 en 1999, 14 en 2000, 7 en 2001 et 14 en 2002.
Les possibilités de
vols en " partage de code "
entre
les transporteurs des deux pays sont entièrement
libéralisées.
En conséquence de cet accord, la compagnie Air France a ouvert deux
nouveaux vols quotidiens, l'un vers Boston et l'autre vers Atlanta, tandis
qu'United Airlines a proposé un deuxième service hebdomadaire
vers Washington et US Airways un nouveau service quotidien Pittsburg-Paris.
Dans un contexte concurrentiel plus vif que jamais, la conclusion
d'alliances internationales devient une arme indispensable, utilisée par
un nombre croissant de compagnies.
2. La constitution d'alliances internationales entre compagnies aériennes
a) Une forte augmentation du nombre d'alliances internationales
La
mondialisation de l'économie, particulièrement rapide et sensible
dans le domaine du transport aérien, s'accompagne d'un
développement des rapprochements entre compagnies.
Depuis 1994, cette évolution est particulièrement sensible. Tous
types confondus,
502 alliances
étaient
recensées
8(
*
)
en mai
1998, contre 363 un an plus tôt (+ 38 %) et 280 seulement en
1994 (+ 80 %).
196 compagnies
de par le monde sont aujourd'hui concernées par
une alliance, contre 177 l'année passée.
Les concentrations
par achats et fusions d'entreprise, ou par
échanges de participation financière
, concernent 11 %
de l'ensemble des alliances : l'élément capitalistique est
donc une composante importante de ces rapprochements.
Par ailleurs, les
accords commerciaux
entre plusieurs transporteurs se
multiplient.
Le "
partage de code "
, par exemple, est un accord qui permet
de commercialiser sous son propre code des sièges sur des vols
assurés par un autre transporteur : en réalité le vol
apparaît donc dans les systèmes de réservation sous les
deux codes des compagnies partenaires. En mettant en commun tout ou partie de
leur réseau par ce moyen, les compagnies assurent une présence
commerciale sur le réseau de la compagnie partenaire, augmentent leurs
parts de marché et attirent ainsi des passagers en correspondance sur
leurs " hubs " respectifs, sans mettre en oeuvre de nouveaux moyens.
D'autres formes d'accords commerciaux existent : accords
d'assistance
technique ou commerciale, accords de franchise
par lesquels un transporteur
de petite taille verse une redevance pour pouvoir voler sous les couleurs d'une
grande compagnie en utilisant ses éléments d'identité
commerciale, son code et son réseau de distribution, mais en assurant
lui-même le risque commercial de l'exploitation.
b) Une structuration concurrentielle autour de grandes alliances stratégiques
Au
delà de " simples " accords de coopération liant une
compagnie à une autre, des
alliances dites stratégiques
sont peu à peu apparues, ramifiées en plusieurs pôles,
chacun organisé autour d'une compagnie américaine majeure :
" Star ", " Wings ", " Qualifyer ",
" Oneworld " sont autant d'alliances qui façonnent le nouveau
visage du secteur aérien mondial.
Autour de United Airlines, la "
Star Alliance
",
constituée dès l'été 1997, regroupe Lufthansa, SAS,
Air Canada, Thaï Airways et Varig. Elle est alliée également
à Air New Zealand, Ansett, Mexicana et All Nippon Airways. Elle compte
184 millions de passagers et 45 milliards de dollars de chiffre
d'affaires. C'est aujourd'hui le partenariat le plus abouti.
Dans "
Qualifyer
", se trouvent, avec Delta Airlines,
Swissair, Sabena, Turkish Airlines, TAP-Air Portugal, Austrian Airlines, AOM,
Aeromexico, Aero Peru, soit 144 millions de passagers et 28 milliards
de dollars de chiffre d'affaires.
"
Wings
" est le nom officieux de l'alliance
constituée autour du noyau
" Northwest-KLM ", où
se sont regroupés Alitalia, qui a préféré rejoindre
cet ensemble plutôt que de se rapprocher d'Air France, Braathens, Kenya
Airways, Japan Air System, mais cette alliance peut encore évoluer avec
la participation financière de Northwest dans le capital de la compagnie
américaine Continental. Son poids est de 182 millions de passagers
et de 34 milliards de dollars de chiffre d'affaires.
Avec American Airlines et British Airways, on retrouve, dans
"
Oneworld
", Canadian Airlines, Cathay Pacific et Qantas, qui
représentent environ 18 % du trafic mondial, avec une flotte de
1.500 avions, 174 millions de passagers et un chiffre d'affaires de
42,3 milliards de dollars.
Cette alliance vise, au travers d'une mise en commun du réseau des cinq
partenaires, à accroître notamment l'offre de services aux
passagers et à optimiser les programmes de fidélisation. D'autres
compagnies pourraient rejoindre rapidement " Oneworld ".
Outre le rapprochement de nature capitalistique entre Northwest et Continental,
deux autres rapprochements de type commercial
9(
*
)
, limités au trafic
intérieur des Etats-Unis pour l'instant entre United et Delta
10(
*
)
, d'une part, entre American et US
Airways, d'autre part, apparaissent, en outre, comme les prémisses de
gigantesques alliances mondiales dont il est prématuré d'imaginer
le développement.
L'importance prise par ces alliances stratégiques dans le trafic
aérien mondial est illustrée dans le graphique
ci-dessous :
Source : Aéroports magazine, nov.98
NB : Le périmètre d'alliances retenu dans ce graphique est le
suivant : pour " Oneworld ", Oneworld, US Airways, Japan
Airlines, Iberia, Finnair, Aerolinas Argentinas ; pour " Star
Alliance ", Star Alliance, British Midland, Spanair ; pour
" Qualifyer ", Delta Airlines et ses alliés
européens ; pour " Wings ", Northwest, Continental,
American West, KLM, Alitalia.
Dans ce vaste jeu de rapprochements, les compagnies n'hésitent pas
à réajuster leurs engagements antérieurs au profit de
nouvelles alliances qui leur semblent plus prometteuses.
Dans ce contexte, votre commission pour avis redoute que la situation de
concurrence redoublée entre Delta et Continental ne prive la compagnie
Air France, par ailleurs déjà dangereusement exclue de ce
mouvement de partenariats stratégiques, du bénéfice des
accords qu'elle avait conclus en 1997 avec ces deux compagnies.
Elle estime dangereux l'isolement actuel d'Air France, à l'heure
où des partenariats mondiaux de transport aérien se constituent,
qui offrent, au travers des croisements des programmes de fidélisation,
d'harmonisation des correspondances et de mise en commun des installations,
d'importantes opportunités aux compagnies comme aux passagers.
Votre commission pour avis souhaite interroger le Gouvernement sur
l'éventuelle participation d'Air France à une alliance
stratégique internationale. Début octobre, n'évoquait-on
pas une alliance possible entre la compagnie française, Northwest
Airlines, KLM et Alitalia ?