N° 453

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 mars 2025

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
contre toutes les fraudes aux aides publiques,

Par M. Antoine LEFÈVRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée,
MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre,
Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek,
Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) :

447, 633 et T.A. 32

Sénat :

274 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné le 18 mars 2025 le rapport pour avis de M. Antoine Lefèvre sur la proposition de loi n° 274 (2024-2025) contre toutes les fraudes aux aides publiques, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 27 janvier 2025.

Le texte a été envoyé à la commission des affaires économiques du Sénat, qui a délégué à la commission des finances l'examen des articles 2, 2 bis, 2 ter, 2 quater, 3 bis C, 3 ter et 3 quater.

La commission des finances a adopté 9 amendements du rapporteur dont :

- un amendement visant d'une part, à garantir l'effectivité du dispositif d'encadrement de la sous-traitance en cascade pour les travaux de rénovation ouvrant droit à des aides publiques de type « MaPrimeRénov' », et d'autre part, à décaler au 1er janvier 2027 l'entrée en vigueur de l'obligation pour l'entreprise qui réalise la facturation de ces travaux de disposer de la qualification « reconnu garant de l'environnement » (RGE), afin de ne pas déstabiliser le marché à court terme ;

- deux amendements visant à prendre en compte l'adoption de la loi de finances initiale (LFI) pour 2025, qui satisfait certaines dispositions également prévues dans le texte ;

- un amendement visant à décaler l'entrée en vigueur de certaines dispositions de la proposition de loi, afin de s'assurer que Tracfin puisse continuer à transmettre les informations aux entités habilitées le temps de la publication d'un arrêté ;

- cinq amendements rédactionnels et de coordination.

I. LA PROPOSITION DE LOI S'INTÈGRE DANS LE MOUVEMENT DE RENFORCEMENT DES MOYENS DE LUTTE CONTRE LES PHÉNOMÈNES DE FRAUDE AUX AIDES PUBLIQUES

A. FACE À L'ACCROISSEMENT DES CAS DE FRAUDE AUX AIDES PUBLIQUES ET ALORS QUE LES GOUVERNEMENTS SUCCESSIFS MANIFESTENT UNE SENSIBILITÉ ACCRUE AU SUJET, LA PROPOSITION DE LOI TEND À RENFORCER LES DISPOSITIFS DE LUTTE EXISTANTS

Dans un contexte de raréfaction des ressources publiques, la lutte contre toutes les fraudes s'impose comme une priorité que les gouvernements mettent en avant depuis plusieurs années. Ainsi, en mai 2023, le ministre des comptes publics Gabriel Attal présentait une feuille de route de « Lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques », qui proposait plusieurs axes de progression, dont un renforcement des sanctions, un meilleur partage d'informations et une utilisation renforcée des technologies de l'information.

La proposition de loi aujourd'hui étudiée, présentée à l'Assemblée nationale par le député Thomas Cazenave, constitue en réalité l'aboutissement de travaux qu'il a menés lorsqu'il était ministre des comptes publics.

Elle s'inscrit dans un contexte d'accroissement des phénomènes de fraude aux aides publiques.

B. LA PROPOSITION DE LOI S'INSCRIT AUSSI DANS UN CONTEXTE SPÉCIFIQUE DE MASSIFICATION DE LA FRAUDE AUX AIDES À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE

Le déploiement et le renforcement ces dernières années de la politique de l'État en faveur de la rénovation des logements, et singulièrement en matière de rénovation énergétique avec les dispositifs MaPrimeRénov' ou les certificats d'économie d'énergie (CEE), se sont accompagnés d'une exposition accrue aux risques de fraudes.

Les aides à la rénovation énergétique constituent une manne financière pour les organisations criminelles, qui investissent dans le montage de sociétés avec pour seul but de ponctionner les aides, subventions ou financement publics de manière systématique. D'après l'Office national anti-fraude, « le préjudice aux finances publiques se chiffre en millions d'euros captés par les organisations criminelles.1(*) »

En 2023, Tracfin a repéré

En 2024, près de

Depuis début 2025, près de

 
 
 

de mouvements financiers suspects sur les versements MaPrimRénov'

de fraude aux aides publiques évitée

de mouvements frauduleux détectés par Tracfin.

Ces structures criminelles s'appuient souvent sur des sociétés éphémères dont le but est avant tout de percevoir ces subventions puis de disparaître rapidement. Ces structures deviennent des coquilles vides au moment du contrôle a posteriori des subventions, privant ainsi l'administration de la possibilité de récupérer les aides.

Exemple de schéma de fraude aux aides à la rénovation énergétique

Source : Bilan 2024 « Lutter contre toutes les fraudes », ministère des comptes publics

II. BIEN QU'ELLE NE CONSTITUE PAS LE « GRAND SOIR » DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE, CETTE PROPOSITION DE LOI CONTIENT PLUSIEURS MESURES UTILES POUR ENTRAVER LES SCHÉMAS FRAUDULEUX

L'analyse et les développements qui suivent concernent uniquement les articles 2, 2 bis, 2 ter, 2 quater, 3 bis C, 3 ter et 3 quater, dont l'examen a été délégué à la commission des finances.

A. UN RENFORCEMENT DES L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS ENTRE LES DIFFÉRENTS ACTEURS DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET DU DROIT DE COMMUNICATION DE CERTAINS SERVICES D'ENQUÊTE ET DE CONTRÔLE

1. La proposition de loi contient plusieurs mesures visant à fluidifier les échanges d'informations entre services engagés dans la lutte contre la fraude aux aides publiques

L'article 2 ouvre la possibilité à Tracfin de transmettre des informations à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et à la Mission interministérielle de coordination antifraude (MICAF). Il prévoit en outre une clause générale permettant à l'ensemble des administrations d'échanger librement des informations en cas de suspicion de fraude. Enfin, il offre la possibilité aux agents de services préfectoraux, dans l'accomplissement de leurs missions de délivrance et de contrôle des titres d'identité, de voyage et de séjour, de recevoir des informations de la part de certains organismes de protection sociale. La commission a adopté un amendement COM-32 de son rapporteur visant à s'assurer que Tracfin puisse continuer à transmettre les informations aux entités habilitées le temps de la publication d'un arrêté précisant les administrations concernées. Elle a également adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement rédactionnel COM-30 et un amendement de coordination COM-31.

L'article 2 ter prévoit de donner accès au fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) à l'ANAH, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et à l'Agence de services et de paiement (ASP). Si le rapporteur partage pleinement l'objectif, il relève que l'ANAH et l'ADEME peuvent déjà accéder au FICOBA par une disposition de la loi de finances initiale pour 2025. La commission a adopté, sur proposition du rapporteur, un amendement COM-34 pour tirer les conséquences de cette évolution, ainsi qu'un amendement rédactionnel COM-35.

L'article 3 bis C permet aux administrations fiscales et aux organismes et de sécurité sociale de se communiquer entre eux toutes les informations sur leurs usagers respectifs et qui s'avèrent pertinentes pour faciliter le recouvrement des impôts et des cotisations sociales. Cet article est également satisfait depuis l'adoption de l'article 162 de la LFI pour 2025 qui contient déjà cette mesure. Par conséquent, son maintien dans la présente proposition de loi est inutile et la commission a adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement COM-37 de suppression de cet article.

2. Un renforcement des moyens d'enquête de Tracfin et de l'Inspection générale des finances grâce à l'extension de leur droit de communication

L'article 2 bis permet à Tracfin de demander des informations dans le cadre de l'exercice de ses missions à trois nouvelles entités : les conseillers en gestion d'affaires, les plateformes de facturation électronique et les plateformes de domiciliation d'entreprises. Afin de s'assurer que ces nouvelles entités ne divulguent pas les informations que Tracfin leur demande, la commission a adopté un amendement COM-33 du rapporteur. Ce dernier intègre les nouvelles entités auxquelles Tracfin peut demander des informations parmi celles soumises à l'interdiction de divulguer à des tiers ces dites informations.

L'article 2 quater renforce les moyens d'investigation des membres de l'Inspection générale des finances (IGF) en leur permettant d'accéder à certaines informations sans que ne puisse leur être opposé un secret protégé par la loi. Cet article répond à des difficultés opérationnelles rencontrées par l'IGF, notamment dans le cadre de ses contrôles des établissements « Orpéa » et « Médicharme ». La commission souscrit à cet article, qui apporte une réponse équilibrée à des difficultés opérationnelles rencontrées par l'IGF. Elle a adopté amendement rédactionnel COM-36 du rapporteur.

B. UN ENCADREMENT DE LA SOUS-TRAITANCE SUR LES TRAVAUX ÉLIGIBLES AUX AIDES PUBLIQUES AFIN DE LIMITER LES RISQUES DE FRAUDE

L'article 3 ter de la proposition de loi vise à limiter à deux rangs le niveau de sous-traitance pour pouvoir bénéficier de certaines aides à la rénovation énergétique telles que « MaPrimeRénov' » ou l'éco-prêt à taux zéro dit « « éco-PTZ ». Cette disposition se justifie par les risques importants de fraude permis par la sous-traitance en cascade. Toutefois le dispositif proposé dans le présent article est, en l'état, partiellement inopérant. La commission a donc adopté un amendement COM-38 rect. du rapporteur visant à préciser ces dispositions pour en garantir l'effectivité.

Ce même article 3 ter prévoit une obligation pour l'entreprise qui réalise la facturation des travaux de disposer du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) pour qu'un projet soit éligible aux aides à la rénovation énergétique. Cette mesure permettra notamment de prévenir les comportements frauduleux favorisés par l'émergence sur le marché de la rénovation énergétique de sociétés opportunistes qui ne disposent d'aucune qualification et sous-traitent des marchés à des entreprises RGE. Toutefois, l'introduction immédiate de cette disposition dans le droit conduirait à exclure du marché des entreprises dont le modèle ne leur permet pas de disposer du label RGE, et qui proposent pourtant à leurs clients des parcours de travaux de rénovation éligibles aux aides publiques, sans risque de fraude avéré. L'amendement  COM-38 rect. du rapporteur prévoit donc de décaler l'entrée en vigueur de cette disposition au 1er janvier 2027, afin de laisser le temps au Gouvernement de prendre les mesures réglementaires nécessaires à la bonne application de cette mesure, sans déstabiliser à court terme le marché de la rénovation énergétique.

Enfin, dans le droit fil de l'article précédent, l'article 3 quater vise à limiter à deux rangs le niveau de sous-traitance pour pouvoir bénéficier des aides de l'ANAH pour l'accessibilité et l'adaptation des logements, c'est-à-dire, pour obtenir une aide MaPrimeAdapt'.

La commission des finances propose à la commission des affaires économiques d'adopter les articles dont elle était saisie ainsi modifiés.


* 1 Audition de l'ONAF par le rapporteur.

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