B. UN PROJET DE LOI AMBITIEUX VISANT À RENFORCER L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
Les articles 2 à 6 du projet de loi d'orientation visent à promouvoir et renforcer la formation en matière agricole.
1. Des objectifs ambitieux d'augmentation des effectifs de l'enseignement agricole
Après une décennie de baisse (-11 % entre 2009 et 2018), les effectifs de l'enseignement agricole connaissent depuis 2019 une augmentation régulière de 1 % par an. À l'initiative de l'Assemblée nationale, le texte fixe des objectifs ambitieux de hausse des effectifs d'ici 2030 (art. 2).
Il prévoit tout d'abord une augmentation de 30 % d'ici 2030 des effectifs dans les métiers de l'agriculture et de l'agro-alimentaire auxquels prépare l'enseignement agricole. Cet objectif correspond à un taux de remplacement de 1 pour 1 des exploitants et de leurs salariés à l'horizon 2030. Actuellement, 18 000 jeunes sont diplômés chaque année dans les métiers de l'agriculture. Pour atteindre cette cible, la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture (DGER) estime nécessaire de former annuellement 25 000 jeunes, soit 70 de plus par département.
Par ailleurs, le projet de loi fixe d'ici 2030 une hausse de 75 % de vétérinaires formés en France par rapport à 2017. Cette cible s'inscrit dans le cadre du plan pluriannuel de renforcement des écoles vétérinaires, lancé par le ministère de l'agriculture en 2022, face à la pénurie de professionnels. La taille des promotions doit notamment être portée à 180 étudiants formés dans chaque école vétérinaire contre 120 par an et par école aujourd'hui. À l'augmentation de la taille des promotions s'ajoute l'agrément de l'école vétérinaire privée d'UniLaSalle permettant de disposer d'un établissement de formation supplémentaire.
Le dernier objectif fixé par l'article 2 est une croissance d'ici 2030 de 30 % d'ingénieurs agronomes formés par rapport à 2017. L'enseignement supérieur agricole connaît une dynamique forte en termes d'effectifs ces dernières années. Par rapport à l'objectif fixé, le nombre d'ingénieurs formés a déjà progressé de 20 %. Selon la DGER, pour atteindre la cible fixée, les effectifs doivent encore augmenter de 10 % « soit l'équivalent d'une promotion d'étudiants en plus ».
Si ces objectifs sont atteignables, ils nécessitent un choc d'attractivité.
2. La promotion et la découverte des métiers de l'agriculture, notamment auprès des enfants et des personnels de l'éducation nationale
L'article 2 du projet de loi prévoit des politiques de promotion et de sensibilisation au monde agricole ainsi qu'aux métiers agricoles et agro-alimentaires.
Celles-ci se traduisent notamment par des actions de découverte pour les élèves d'école primaire ainsi que des stages de découverte des métiers du vivant - appellation utilisée par le ministère de l'agriculture pour évoquer la pluralité des formations proposées par l'enseignement agricole - pour les élèves de collège.
La commission constate les difficultés rencontrées par de nombreux lycéens au printemps 2024 pour effectuer un stage obligatoire en fin d'année de seconde. Elles illustrent les conséquences d'un dispositif hors sol, lancé sans concertation ni réflexion sur sa mise en oeuvre concrète.
Pour éviter que les stages des collégiens visant à faire découvrir les métiers du vivant ne connaissent les mêmes déboires, un travail partenarial doit être mis en oeuvre entre l'éducation nationale, le ministère de l'agriculture et les acteurs professionnels. Les établissements d'enseignement agricole qui disposent pour la plupart d'exploitations ou d'ateliers1(*) et dont la pédagogie et la formation sont le coeur de métier doivent également être associés.
À compter de la rentrée 2025, l'ensemble des enseignants et personnels de direction de l'éducation nationale doivent bénéficier d'une information sur les formations proposées par l'enseignement agricole. La mission d'information sénatoriale sur l'avenir de l'enseignement agricole de 2021 a mis en évidence les connaissances souvent lacunaires des personnels de l'éducation nationale alors qu'ils ont un rôle essentiel dans l'orientation des élèves. L'enseignement agricole reste perçu comme une voie de formation réservée aux élèves en situation d'échec scolaire et le fait que près de deux tiers des diplômes auxquels il prépare ne concernent pas l'agriculture reste encore ignoré.
Aussi, bien que cette disposition d'information généralisée des personnels de l'éducation nationale soit inscrite dans un article dont le Conseil d'État a souligné l'absence de portée normative, la commission salue la prise en compte tant par le ministère de l'agriculture que par celui de l'éducation nationale de cette nécessité d'une meilleure formation des personnels de l'éducation nationale aux réalités de l'enseignement agricole.
Enfin, une campagne de promotion des « métiers du vivant » et des formations qui y préparent est prévue, s'appuyant notamment sur le service public audiovisuel.
3. La définition d'une sixième mission pour l'enseignement agricole
Doté historiquement de trois missions - assurer une formation professionnelle initiale et continue, participer à l'animation du milieu rural, contribuer à l'expérimentation et la recherche agricole et para-agricole -, l'enseignement agricole s'est enrichi en 1993 d'une mission de coopération internationale puis, en 1999, d'une cinquième mission d'insertion sociale et professionnelle.
25 ans plus tard, le projet de loi (article 3) attribue à l'enseignement agricole une sixième mission : « répondre durablement aux besoins d'emplois nécessaires pour assurer la souveraineté alimentaire et assurer le développement des connaissances et compétences en matière de transitions agroécologique et climatique ». Celle-ci consacre le rôle essentiel que l'enseignement agricole est amené à jouer face aux deux défis que doit relever l'agriculture française.
4. Une cartographie régionale pour répondre à l'augmentation des effectifs
L'article 4 prévoit la réalisation dans chaque région d'une analyse des besoins d'ouverture et de consolidation de sections de formation.
Le cas échéant, un objectif d'accroissement du nombre de personnes à former est fixé par le contrat de plan régional. Celui-ci se décline à l'échelle locale par la signature d'une convention avec chaque établissement concerné, y compris les établissements privés sous contrat, la région, la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ainsi que les représentants des branches professionnelles.
Le projet de loi actionne deux leviers pour atteindre cette cible : une augmentation du nombre d'élèves par classe, notamment en s'appuyant sur les classes « à petits effectifs », c'est-à-dire accueillant moins de 10 élèves et un engagement de l'État à pourvoir aux emplois de personnels enseignants et de documentation.
5. Un renforcement de la formation supérieure : la création d'un nouveau diplôme national de L3
Répondant à l'ambition d'élever le niveau général de formation, le texte crée un nouveau diplôme national du ministère de l'agriculture de niveau bac+ 3.
La création de ce diplôme répond à un double besoin : il s'agit tout d'abord de prendre en compte la complexification des métiers agricoles : le niveau bac+ 3 a vocation à devenir un niveau de référence pour l'installation et le conseil, entre le niveau bac professionnel, donnant la capacité agricole nécessaire pour bénéficier de certaines aides notamment de la Politique agricole commune, et le niveau ingénieur. Par ailleurs, ce nouveau diplôme doit permettre à l'enseignement supérieur agricole court de mieux répondre aux besoins de la profession.
Ce diplôme sera, à la différence de la licence professionnelle, un diplôme du ministère de l'agriculture. Celui-ci aura donc la main pour définir le cahier des charges des formations. Lors de son audition en mai 2024, Marc Fesneau, alors ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, a indiqué que certaines licences professionnelles actuelles ne répondent pas aux besoins et donc ne sont pas reconnues par la profession.
Le ministère de l'agriculture sera également compétent pour définir leur implantation territoriale : le maillage actuel dépend des universités ainsi que du ministère de l'enseignement supérieur. Une licence professionnelle agricole peut fermer en cas de redéploiement des postes ou de départ de la personne-ressource. Enfin, le ministère de l'agriculture ne peut actuellement pas accorder de moyens spécifiques à ces licences, car elles ne relèvent pas de sa compétence.
Initialement appelé « Bachelor Agro », son nom a été modifié par l'Assemblée nationale en diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie. Le rapporteur a constaté que l'usage du terme « Bachelor Agro » fait l'objet d'un accueil partagé par les acteurs concernés. Si certains y voient la possibilité d'une meilleure visibilité du diplôme2(*), notamment par rapport aux 176 licences professionnelles proposant des formations agricoles, d'autres font remarquer que celui-ci n'a aucune signification pour les professionnels du secteur.
Le rapporteur alerte toutefois sur le risque de confusion entre titres et diplômes sur lesquels jouent certaines officines privées lucratives pour proposer à des jeunes des formations basées sur des titres loués au répertoire national des compétences du ministère du travail3(*).La DGER a déclaré que l'enseignement supérieur lucratif est peu présent dans les formations agricoles. La commission appelle à être attentive aux éventuelles dérives que pourrait générer l'utilisation d'une dénomination anglaise.
* 1 Il existe 192 exploitations agricoles dans les établissements publics et 43 ateliers technologiques et équestres (Source : ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire).
* 2 Selon les informations transmises au rapporteur, ce diplôme devrait comporter huit mentions : stratégie d'entreprise, économie d'entreprise, chef d'entreprise ; agronomie ; zootechnie élevage ; commerce, vente-conseil ; questions énergétiques ; transformation agroalimentaire ; forestière ; hydraulique agricole.
* 3 Cf. compte rendu de la table ronde du 9 octobre 2023 sur l'essor du secteur privé lucratif dans l'enseignement supérieur, commission de la culture.