- AVANT-PROPOS
- I. LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU CoeUR DE L'ENJEU
DE SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE
- A. L'AGRICULTURE FRANÇAISE FACE AU
DÉFI DU RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET DU CHANGEMENT
CLIMATIQUE
- B. UN PROJET DE LOI AMBITIEUX VISANT À
RENFORCER L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
- 1. Des objectifs ambitieux d'augmentation des
effectifs de l'enseignement agricole
- 2. La promotion et la découverte des
métiers de l'agriculture, notamment auprès des enfants et des
personnels de l'éducation nationale
- 3. La définition d'une sixième
mission pour l'enseignement agricole
- 4. Une cartographie régionale pour
répondre à l'augmentation des effectifs
- 5. Un renforcement de la formation
supérieure : la création d'un nouveau diplôme national
de L3
- 1. Des objectifs ambitieux d'augmentation des
effectifs de l'enseignement agricole
- A. L'AGRICULTURE FRANÇAISE FACE AU
DÉFI DU RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET DU CHANGEMENT
CLIMATIQUE
- II. LA POSITION DE LA COMMISSION : UN TEXTE
DONNANT DES GAGES À L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE MAIS DES POINTS DE
VIGILANCE
- I. LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU CoeUR DE L'ENJEU
DE SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE
- EXAMEN EN COMMISSION
- AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA
COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 184
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 décembre 2024
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission de la culture, de
l'éducation, de la communication et du sport (1) sur le projet de loi,
adopté par l'Assemblée nationale après engagement
de la procédure accélérée,
d'orientation pour la
souveraineté
alimentaire et agricole
et le renouvellement des
générations en
agriculture,
Par M. Christian BRUYEN,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Mireille Conte Jaubert, Evelyne Corbière Naminzo, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Virginie Lucot Avril, Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Maurice Perrion, Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
2436, 2600 et T.A. 300 |
|
Sénat : |
639 (2023-2024) |
AVANT-PROPOS
40 ans après les lois portant sur la rénovation de l'enseignement agricole public ainsi que sur la réforme des relations entre l'État et les établissements agricoles privés, le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture fixe des objectifs ambitieux pour l'enseignement agricole, en termes d'augmentation des effectifs et d'adaptation des techniques au changement climatique.
La commission se félicite du consensus qui émerge entre l'ensemble des acteurs sur les articles 2, 3, 4, 5 et 6 du projet de loi consacrés à l'enseignement agricole. Sur proposition du rapporteur, elle a toutefois adopté 4 amendements visant à renforcer le dialogue entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole à l'échelle départementale, à préserver sa spécificité et à moderniser les procédures disciplinaires dans l'enseignement supérieur agricole.
Attachée à la diversité des métiers auxquels forme cette voie d'enseignement, la commission veillera à ce que l'augmentation des effectifs nécessaires à l'avenir de l'agriculture française ne se fasse pas au détriment des filières de services à la personne et d'animation des territoires : ces métiers sont en effet primordiaux dans la ruralité, où les structures peinent à recruter pour l'accompagnement des plus fragiles.
I. LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU CoeUR DE L'ENJEU DE SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE
A. L'AGRICULTURE FRANÇAISE FACE AU DÉFI DU RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Érigée par le Président de la République en septembre 2022 au rang de « mère de toutes les batailles », la souveraineté alimentaire et agricole française passe par une action forte en matière d'orientation et de formation professionnelle.
Le monde agricole est aujourd'hui confronté au défi du renouvellement générationnel des agriculteurs. En effet, 40 à 60 % des agriculteurs devraient partir à la retraite d'ici 2030 et 200 000 exploitations devraient chercher un repreneur dans un contexte de crise avait rappelé Marc Fesneau, alors ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en avril 2024.
Parallèlement au renouvellement générationnel, l'agriculture française doit faire face au défi du changement climatique. L'enseignement agricole est ainsi au coeur de l'avenir agricole français :
- pour attirer de nouveaux jeunes vers ses métiers : seuls 9 % des élèves de l'enseignement agricole sont issus d'un milieu agricole. Ils étaient 14 % en 2010 et 20 % en 2020 ;
- pour former aux nouvelles techniques agricoles prenant en compte le changement climatique. Cette mobilisation de l'enseignement agricole pour penser l'agriculture de demain n'est pas nouvelle : partant du constat que « la transition vers de nouveaux systèmes de production plus durables repose sur une modification majeure des cadres de pensée et des modes d'acquisition des savoirs et des pratiques », le ministère de l'agriculture a lancé il y a déjà 10 ans un plan « Enseigner à produire autrement » faisant de l'enseignement agricole un acteur majeur « pour adapter et anticiper l'évolution des connaissances et des modes de raisonnement ».
B. UN PROJET DE LOI AMBITIEUX VISANT À RENFORCER L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
Les articles 2 à 6 du projet de loi d'orientation visent à promouvoir et renforcer la formation en matière agricole.
1. Des objectifs ambitieux d'augmentation des effectifs de l'enseignement agricole
Après une décennie de baisse (-11 % entre 2009 et 2018), les effectifs de l'enseignement agricole connaissent depuis 2019 une augmentation régulière de 1 % par an. À l'initiative de l'Assemblée nationale, le texte fixe des objectifs ambitieux de hausse des effectifs d'ici 2030 (art. 2).
Il prévoit tout d'abord une augmentation de 30 % d'ici 2030 des effectifs dans les métiers de l'agriculture et de l'agro-alimentaire auxquels prépare l'enseignement agricole. Cet objectif correspond à un taux de remplacement de 1 pour 1 des exploitants et de leurs salariés à l'horizon 2030. Actuellement, 18 000 jeunes sont diplômés chaque année dans les métiers de l'agriculture. Pour atteindre cette cible, la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture (DGER) estime nécessaire de former annuellement 25 000 jeunes, soit 70 de plus par département.
Par ailleurs, le projet de loi fixe d'ici 2030 une hausse de 75 % de vétérinaires formés en France par rapport à 2017. Cette cible s'inscrit dans le cadre du plan pluriannuel de renforcement des écoles vétérinaires, lancé par le ministère de l'agriculture en 2022, face à la pénurie de professionnels. La taille des promotions doit notamment être portée à 180 étudiants formés dans chaque école vétérinaire contre 120 par an et par école aujourd'hui. À l'augmentation de la taille des promotions s'ajoute l'agrément de l'école vétérinaire privée d'UniLaSalle permettant de disposer d'un établissement de formation supplémentaire.
Le dernier objectif fixé par l'article 2 est une croissance d'ici 2030 de 30 % d'ingénieurs agronomes formés par rapport à 2017. L'enseignement supérieur agricole connaît une dynamique forte en termes d'effectifs ces dernières années. Par rapport à l'objectif fixé, le nombre d'ingénieurs formés a déjà progressé de 20 %. Selon la DGER, pour atteindre la cible fixée, les effectifs doivent encore augmenter de 10 % « soit l'équivalent d'une promotion d'étudiants en plus ».
Si ces objectifs sont atteignables, ils nécessitent un choc d'attractivité.
2. La promotion et la découverte des métiers de l'agriculture, notamment auprès des enfants et des personnels de l'éducation nationale
L'article 2 du projet de loi prévoit des politiques de promotion et de sensibilisation au monde agricole ainsi qu'aux métiers agricoles et agro-alimentaires.
Celles-ci se traduisent notamment par des actions de découverte pour les élèves d'école primaire ainsi que des stages de découverte des métiers du vivant - appellation utilisée par le ministère de l'agriculture pour évoquer la pluralité des formations proposées par l'enseignement agricole - pour les élèves de collège.
La commission constate les difficultés rencontrées par de nombreux lycéens au printemps 2024 pour effectuer un stage obligatoire en fin d'année de seconde. Elles illustrent les conséquences d'un dispositif hors sol, lancé sans concertation ni réflexion sur sa mise en oeuvre concrète.
Pour éviter que les stages des collégiens visant à faire découvrir les métiers du vivant ne connaissent les mêmes déboires, un travail partenarial doit être mis en oeuvre entre l'éducation nationale, le ministère de l'agriculture et les acteurs professionnels. Les établissements d'enseignement agricole qui disposent pour la plupart d'exploitations ou d'ateliers1(*) et dont la pédagogie et la formation sont le coeur de métier doivent également être associés.
À compter de la rentrée 2025, l'ensemble des enseignants et personnels de direction de l'éducation nationale doivent bénéficier d'une information sur les formations proposées par l'enseignement agricole. La mission d'information sénatoriale sur l'avenir de l'enseignement agricole de 2021 a mis en évidence les connaissances souvent lacunaires des personnels de l'éducation nationale alors qu'ils ont un rôle essentiel dans l'orientation des élèves. L'enseignement agricole reste perçu comme une voie de formation réservée aux élèves en situation d'échec scolaire et le fait que près de deux tiers des diplômes auxquels il prépare ne concernent pas l'agriculture reste encore ignoré.
Aussi, bien que cette disposition d'information généralisée des personnels de l'éducation nationale soit inscrite dans un article dont le Conseil d'État a souligné l'absence de portée normative, la commission salue la prise en compte tant par le ministère de l'agriculture que par celui de l'éducation nationale de cette nécessité d'une meilleure formation des personnels de l'éducation nationale aux réalités de l'enseignement agricole.
Enfin, une campagne de promotion des « métiers du vivant » et des formations qui y préparent est prévue, s'appuyant notamment sur le service public audiovisuel.
3. La définition d'une sixième mission pour l'enseignement agricole
Doté historiquement de trois missions - assurer une formation professionnelle initiale et continue, participer à l'animation du milieu rural, contribuer à l'expérimentation et la recherche agricole et para-agricole -, l'enseignement agricole s'est enrichi en 1993 d'une mission de coopération internationale puis, en 1999, d'une cinquième mission d'insertion sociale et professionnelle.
25 ans plus tard, le projet de loi (article 3) attribue à l'enseignement agricole une sixième mission : « répondre durablement aux besoins d'emplois nécessaires pour assurer la souveraineté alimentaire et assurer le développement des connaissances et compétences en matière de transitions agroécologique et climatique ». Celle-ci consacre le rôle essentiel que l'enseignement agricole est amené à jouer face aux deux défis que doit relever l'agriculture française.
4. Une cartographie régionale pour répondre à l'augmentation des effectifs
L'article 4 prévoit la réalisation dans chaque région d'une analyse des besoins d'ouverture et de consolidation de sections de formation.
Le cas échéant, un objectif d'accroissement du nombre de personnes à former est fixé par le contrat de plan régional. Celui-ci se décline à l'échelle locale par la signature d'une convention avec chaque établissement concerné, y compris les établissements privés sous contrat, la région, la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ainsi que les représentants des branches professionnelles.
Le projet de loi actionne deux leviers pour atteindre cette cible : une augmentation du nombre d'élèves par classe, notamment en s'appuyant sur les classes « à petits effectifs », c'est-à-dire accueillant moins de 10 élèves et un engagement de l'État à pourvoir aux emplois de personnels enseignants et de documentation.
5. Un renforcement de la formation supérieure : la création d'un nouveau diplôme national de L3
Répondant à l'ambition d'élever le niveau général de formation, le texte crée un nouveau diplôme national du ministère de l'agriculture de niveau bac+ 3.
La création de ce diplôme répond à un double besoin : il s'agit tout d'abord de prendre en compte la complexification des métiers agricoles : le niveau bac+ 3 a vocation à devenir un niveau de référence pour l'installation et le conseil, entre le niveau bac professionnel, donnant la capacité agricole nécessaire pour bénéficier de certaines aides notamment de la Politique agricole commune, et le niveau ingénieur. Par ailleurs, ce nouveau diplôme doit permettre à l'enseignement supérieur agricole court de mieux répondre aux besoins de la profession.
Ce diplôme sera, à la différence de la licence professionnelle, un diplôme du ministère de l'agriculture. Celui-ci aura donc la main pour définir le cahier des charges des formations. Lors de son audition en mai 2024, Marc Fesneau, alors ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, a indiqué que certaines licences professionnelles actuelles ne répondent pas aux besoins et donc ne sont pas reconnues par la profession.
Le ministère de l'agriculture sera également compétent pour définir leur implantation territoriale : le maillage actuel dépend des universités ainsi que du ministère de l'enseignement supérieur. Une licence professionnelle agricole peut fermer en cas de redéploiement des postes ou de départ de la personne-ressource. Enfin, le ministère de l'agriculture ne peut actuellement pas accorder de moyens spécifiques à ces licences, car elles ne relèvent pas de sa compétence.
Initialement appelé « Bachelor Agro », son nom a été modifié par l'Assemblée nationale en diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie. Le rapporteur a constaté que l'usage du terme « Bachelor Agro » fait l'objet d'un accueil partagé par les acteurs concernés. Si certains y voient la possibilité d'une meilleure visibilité du diplôme2(*), notamment par rapport aux 176 licences professionnelles proposant des formations agricoles, d'autres font remarquer que celui-ci n'a aucune signification pour les professionnels du secteur.
Le rapporteur alerte toutefois sur le risque de confusion entre titres et diplômes sur lesquels jouent certaines officines privées lucratives pour proposer à des jeunes des formations basées sur des titres loués au répertoire national des compétences du ministère du travail3(*).La DGER a déclaré que l'enseignement supérieur lucratif est peu présent dans les formations agricoles. La commission appelle à être attentive aux éventuelles dérives que pourrait générer l'utilisation d'une dénomination anglaise.
II. LA POSITION DE LA COMMISSION : UN TEXTE DONNANT DES GAGES À L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE MAIS DES POINTS DE VIGILANCE
A. LES PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION : PRÉSERVER LA SPÉCIFICITÉ DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE, RENFORCER SA CONNAISSANCE PAR L'ÉDUCATION NATIONALE ET MODERNISER LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE
1. Préserver la spécificité de l'enseignement agricole
Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-642 supprimant l'article 2 ter. Introduit par l'Assemblée nationale, cet article permet à titre expérimental, dans trois régions et pour trois ans, la signature de conventions entre un lycée de l'éducation nationale et un lycée de l'enseignement agricole pour permettre à un élève de seconde de suivre une spécialité non présente dans son établissement.
Pour le rapporteur, une telle disposition est de nature à remettre en cause la spécificité de l'enseignement agricole qui est le seul à proposer l'option « écologie, agronomie, territoire et développement durable » ou encore la spécialité « biologie-écologie ».
Par ailleurs, dans le contexte budgétaire actuel,
la tentation sera grande pour les DRAAF d'avoir recours
à ce conventionnement et de s'appuyer sur l'éducation nationale
pour proposer certaines options et spécialités indispensables
dans de nombreux métiers auxquels prépare l'enseignement
agricole : SVT, option mathématiques expertes ou
mathématiques complémentaires par exemple. Or, loin de renforcer
l'enseignement agricole, une telle pratique risque de l'affaiblir
- les
élèves faisant au final le choix de retourner dans un
établissement de l'éducation nationale.
Enfin, une telle disposition interroge quant à sa mise en oeuvre. En effet, les établissements de l'enseignement agricole sont souvent éloignés des lycées de l'éducation nationale.
2. Mieux définir les missions du représentant départemental de l'enseignement agricole
Reprenant une recommandation de la mission d'information sénatoriale sur l'enseignement agricole, l'Assemblée nationale a créé un délégué de l'enseignement agricole à l'échelle départementale (art. 3). Toutefois, cette rédaction pose plusieurs problèmes.
Le texte prévoit actuellement que ce correspondant de l'enseignement agricole « assiste le directeur des services départementaux de l'éducation nationale en matière d'orientation». La commission estime qu'il ne peut pas y avoir de hiérarchie entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole. Le rôle de ce délégué ne peut pas non plus être restreint uniquement à l'orientation.
Par ailleurs, le représentant départemental de l'enseignement agricole ne serait compétent que pour l'enseignement agricole public. Or, le rapporteur rappelle que l'enseignement privé sous contrat est un partenaire essentiel et historique de l'enseignement agricole : il accueille plus de 60 % des élèves, étudiants et apprentis.
Sur proposition du rapporteur COM-643, la commission a supprimé toute notion de hiérarchie entre éducation nationale et enseignement agricole au profit d'un renforcement de la coopération à l'échelle locale entre ces deux ministères. Elle a également élargi les compétences de ce délégué à la promotion des métiers auxquels prépare l'enseignement agricole et permet d'associer à celle-ci les établissements d'enseignement agricole privés sous contrat ainsi que l'enseignement agricole supérieur. Elle a également renforcé ses missions vis-à-vis de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale en charge de l'orientation : psychologues de l'éducation nationale, centres d'orientation et d'information, établissements scolaires.
3. Moderniser la procédure disciplinaire dans l'enseignement agricole supérieur
Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-644 visant à moderniser la procédure disciplinaire applicable dans l'enseignement agricole supérieur. Il permet de renforcer l'impartialité des conseils disciplinaires en prévoyant une procédure de récusation en cas de doute sur l'impartialité d'un de ses membres ou en instaurant un dépaysement de la procédure.
Afin de renforcer la sécurité juridique des décisions disciplinaires, il confie la présidence du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche agricole, agroalimentaire et vétérinaire (CNESERAAV) statuant en matière disciplinaire à un conseiller d'État. Il permet également au ministre en charge de l'agriculture de suspendre un personnel de l'enseignement supérieur agricole de ses fonctions pour une durée maximale d'un an, sans perte de salaire.
La procédure disciplinaire est ainsi alignée sur celle applicable dans l'enseignement supérieur depuis sa réforme en 2019 par la loi pour la transformation de la fonction publique.
4. Supprimer toute référence au service national universel dans ce texte
L'article 2 prévoit l'organisation d'actions de découverte des métiers du vivant dans le cadre du service national universel (SNU).
Résultant d'une volonté présidentielle, le SNU n'a eu de cesse de prendre de l'ampleur - augmentations annuelles des crédits, volonté présidentielle de le généraliser à toute une classe d'âge - sans que la représentation nationale n'ait été associée. De manière constante, la commission a demandé l'organisation d'un débat devant le Parlement sur la finalité du service national universel. Alors qu'il s'agit d'un dispositif coûteux qui ne parvient pas à attirer les jeunes en dehors d'une minorité intéressée par l'engagement en uniforme, la volonté d'élargir le SNU à la promotion des métiers du vivant témoigne de l'absence de cohérence de ce dispositif et de vision claire sur ses objectifs.
Par ailleurs, lors de l'examen du PLF 2025, la commission s'est prononcée en faveur de la fin du SNU.
Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-641 visant à supprimer toute référence au SNU dans ce texte.
B. TROIS POINTS DE VIGILANCE POUR GARANTIR L'AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
Bien que le texte fasse dans l'ensemble consensus entre les acteurs, trois points de vigilance doivent être pris en compte.
1. L'enseignement agricole : une diversité de formations à protéger
Au-delà des formations agricoles, l'enseignement agricole forme à une diversité de métiers, avec une répartition des élèves, étudiants et apprentis d'environ un tiers pour les formations agricoles et de production, un tiers pour les formations relatives à l'aménagement, l'environnement et la forêt et un tiers pour les formations de services4(*).
Or, le contrat de plan régional prévu à l'article 4 fixant des objectifs d'accroissement du nombre de personnes formées concerne uniquement les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire.
L'étude d'impact estime à 200 ETP supplémentaires pour atteindre l'objectif visé de 30 % d'augmentation des effectifs et précise que cet effort financier pourrait être partiellement couvert par « un redéploiement de moyens par la fermeture de classes à petits effectifs dans d'autres secteurs ». Ces termes interpellent la commission sur un éventuel risque de « vases communicants » entre les moyens alloués aux formations non agricoles et agricoles. Elle souligne son attachement à l'ensemble des domaines de formation de l'enseignement agricole et notamment les services aux personnes et l'animation des territoires.
Interrogée par le rapporteur, Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, s'est engagée sur l'absence de redéploiement des moyens vers les formations agricoles et agro-alimentaires : « les deux filières [agricole et des métiers de services] sont essentielles à mes yeux ».
La commission prend acte de cette déclaration ministérielle qui rejoint les propos de son prédécesseur, Marc Fesneau. Celui-ci a déclaré devant le Sénat en mai dernier « si les effectifs augmentent, les moyens augmenteront en conséquence » et précisé que « l'on ne peut pas avoir un enseignement agricole attractif avec un effet de vases communicants entre les filières ». Elle veillera au respect des engagements ministériels d'une préservation de toutes les filières de l'enseignement agricole.
2. La formation vétérinaire : une spécialisation vers les animaux agricoles à encourager
Le texte inscrit dans la loi l'objectif de former en France d'ici 2030 75 % de vétérinaires de plus qu'en 2017 pour lutter contre la désertification vétérinaire. Au-delà de cette augmentation des effectifs, le rapporteur alerte sur l'orientation choisie par les vétérinaires qui préfèrent se consacrer aux animaux de compagnie et les équidés au détriment des animaux de traite.
3. L'avenir de l'agriculture française : agir au-delà de la seule formation
Les efforts pour attirer les jeunes vers les métiers de l'agriculture seront vains sans amélioration des conditions de travail et de revenus des agriculteurs. Ces points dépassent le champ de compétences de la commission mais constituent des conditions sine qua non pour relever le défi de l'agriculture française.
*
* *
La commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles dont elle s'est saisie pour avis, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle a ainsi adoptés.
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 4 DÉCEMBRE 2024
M. Laurent Lafon, président. - La suite de notre ordre du jour appelle l'examen du rapport pour avis de notre collègue Christian Bruyen sur la partie consacrée à l'enseignement agricole du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole.
Je vous précise que ce texte, renvoyé à la commission des affaires économiques, devrait être inscrit à l'ordre du jour de nos séances de janvier prochain.
Je laisse la parole à notre rapporteur pour nous présenter son analyse des articles en question et ses propositions sur ce texte.
M. Christian Bruyen, rapporteur. - Nous devions examiner en juin dernier ce projet de loi, mais la dissolution avait alors stoppé net la navette parlementaire deux jours avant son examen en commission. Cette fois, cela s'est peut-être joué à quelques heures, mais nous y sommes. Le texte que nous examinons est celui adopté par l'Assemblée nationale au printemps dernier. Le contexte agricole reste le même aujourd'hui qu'hier, s'agissant en particulier de l'enjeu du renouvellement des générations. Les chiffres sont vertigineux, puisque d'ici 10 ans, la moitié des exploitants agricoles seront partis à la retraite. Les politiques de formation et d'installation des futurs agriculteurs ont un rôle majeur à tenir dans un avenir proche.
Les dispositions relatives à l'enseignement agricole présentes dans ce projet de loi font certes l'objet de remarques, de divergences parfois et d'inquiétudes. Toutefois, elles font globalement consensus entre l'ensemble des acteurs que j'ai auditionnés. Elles reprennent d'ailleurs plusieurs recommandations qui sont issues de notre commission et du Sénat.
Ce projet de loi propose quatre évolutions importantes dans les domaines relevant de la compétence de notre commission. Il vise avant tout à fortement augmenter le nombre d'apprenants. Ces effectifs s'étiolaient année après année entre 2009 et 2019. On note un petit rebond salutaire ces quatre dernières années, avec 1 % de croissance annuelle. La marche reste cependant haute pour atteindre les objectifs ambitieux fixés pour 2030 par nos collègues députés : une augmentation de 30 % des effectifs dans les formations préparant aux métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire par rapport à 2022 ; une croissance de 75 % de vétérinaires formés en France par rapport à 2017 et enfin une hausse de 30 % d'ingénieurs agronomes formés par rapport à 2017.
Interrogé sur la faisabilité de ces objectifs, le ministère les considère atteignables grâce notamment à un choc d'attractivité décliné en quatre points. Il s'agira tout d'abord d'enclencher un processus de promotion de l'enseignement agricole. Cela passe en premier lieu par une promotion dès l'école primaire en permettant aux plus jeunes d'établir des contacts avec le monde agricole par la mise en oeuvre d'actions de découverte. Par ailleurs, des stages de découverte des métiers du vivant seront organisés pour tous les élèves du niveau collège. Il ne s'agira que de temps d'observation et donc limité sur le plan des responsabilités. On peut le regretter, mais il ne peut évidemment pas en être autrement avec un public aussi jeune. Sans accompagnement local, ce dispositif risque toutefois de connaître les mêmes difficultés que celles rencontrées par les élèves de seconde en juin dernier pour trouver un stage de fin d'année obligatoire. L'annonce de cette mesure huit mois auparavant a malheureusement fait l'objet d'une insuffisante collaboration entre les acteurs pour sa mise en oeuvre.
Dernier échelon de cette campagne de promotion, l'ensemble des enseignants et personnels de l'éducation nationale bénéficieront d'une information renforcée sur les différentes formations qui sont proposées par l'enseignement agricole. À plusieurs reprises notre commission a alerté sur les connaissances souvent lacunaires de ces personnels qui jouent pourtant un rôle essentiel dans l'orientation des élèves.
La seconde avancée portée par ce texte consiste en la création d'une sixième mission pour l'enseignement agricole. Celle-ci ancre le rôle de l'enseignement agricole en matière de renforcement de la souveraineté alimentaire et de préparation aux transformations majeures que connaît le monde agricole.
Le troisième point concerne à l'article 4 la mise en place d'une cartographie à l'échelle des régions des besoins de consolidation ou d'ouverture de sections de formation.
Il s'agit, au regard des besoins identifiés, d'établir un contrat de plan régional entre la région, l'État, les établissements d'enseignement ainsi que les branches professionnelles. Ce document fixera des objectifs d'accroissement du nombre de personnes à former et déterminera les engagements de chacun pour y parvenir.
Cette analyse territoriale donnera une visibilité pluriannuelle aux établissements. C'est une avancée importante, notamment pour les classes à petits effectifs : aujourd'hui, elles sont en sursis avant chaque nouvelle rentrée.
L'État, pour sa part, s'engagera à accorder localement des moyens supplémentaires aux filières pour lesquelles un accroissement du nombre de jeunes à former est prévu dans le plan régional.
Enfin, dernière avancée majeure de ce texte, un « bachelor Agro » renommé à l'Assemblée nationale en « diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie » est créé. Il répond à un double besoin de l'enseignement agricole supérieur court : une meilleure lisibilité dans l'échelle des diplômes et une réponse aux attentes des professionnels.
Selon les informations transmises par le ministère, ce diplôme devrait contenir huit mentions. Il sera de cette manière bien plus visible que les 176 licences professionnelles actuelles qui ne répondent pas aux attentes des exploitants agricoles. Par ailleurs, le maillage des licences professionnelles dépend des universités et du ministère de l'enseignement supérieur. Dès lors, ces formations peuvent être amenées à fermer du fait d'un redéploiement de postes au sein d'une université ou bien du départ d'une personne-ressource.
Surtout, il s'agira d'un diplôme du ministère de l'agriculture : celui-ci aura la main sur le cahier des charges des formations et pourra, dans ce cadre nouveau, accorder des moyens spécifiques, notamment des postes enseignants, pour préparer à ce diplôme.
Se pose encore la question de la dénomination de ce diplôme. Les avis sont partagés sur ce terme de « bachelor » qui peut parler aux jeunes. Je souligne toutefois le risque que des officines privées jouent sur la confusion entre titres et diplômes, comme elles le font déjà dans bien d'autres filières de l'enseignement supérieur. Elles proposent ainsi des formations dénommées bachelor, sur la base de titres loués au répertoire national des compétences. Mais au final, la formation ne débouche sur aucune qualification véritable ni reconnaissance. Nous aurons sans doute à débattre du nom de ce diplôme en séance.
Une plus forte promotion de l'enseignement agricole, une meilleure articulation entre éducation nationale et enseignement agricole, une possible prise en compte de la spécificité des classes à petits effectifs et un diplôme d'études supérieures en adéquation avec les besoins des métiers agricoles : ce texte répond sur ces points aux attentes de notre commission.
Je dois toutefois nuancer ce tableau positif par trois alertes qui ne relèvent pas d'amendements.
Premièrement, il me semble important de ne pas oublier que l'enseignement agricole forme au-delà des métiers de l'agriculture. Je pense aux métiers de services, d'animation et de développement des territoires. J'avais interrogé Marc Fesneau, alors ministre de l'agriculture, sur un risque de transfert de moyens entre les formations de services aux personnes et les formations agricoles. Il avait affirmé qu'il n'y avait pas de volonté du gouvernement de « vases communicants » entre les différentes formations. Il a toutefois précisé qu'il s'agissait d'un engagement « à date ».
J'ai posé la même question à Annie Genevard, il y a quelques semaines. Là encore, les propos se sont voulus très rassurants. Elle a affirmé devant nous que les deux filières, filière agricole et filière des métiers de services, sont essentielles, en précisant qu'il s'agissait bien d'un point de vue personnel. Il nous faudra être vigilants dans le contexte budgétaire actuel : les métiers des services aux personnes sont essentiels, particulièrement dans la ruralité - mais pas seulement.
Mon second point d'alerte concerne la formation vétérinaire. Certes, le texte fixe un objectif ambitieux d'augmentation de 75 % du nombre de vétérinaires formés en France et lance les réflexions sur une cinquième école vétérinaire publique. Mais il faut également réfléchir sur la manière d'attirer ces jeunes vétérinaires sur la « médecine des champs » plutôt que sur la « médecine des villes », aujourd'hui bien plus séduisante pour eux.
Enfin, les efforts pour attirer les jeunes vers les métiers de l'agriculture seront vains, sans amélioration des conditions de travail et de revenus des agriculteurs.
Ces points vont bien sûr au-delà du champ de compétences de notre commission, mais sont pourtant des conditions essentielles pour relever le défi qui nous attend.
Je vous proposerai tout à l'heure quatre amendements qui s'inscrivent dans les positions portées par notre commission. Les voici en quelques mots. Le premier supprime toute référence au service national universel (SNU) dans ce texte. C'était déjà mon intention en juin dernier. La position de la commission sur le SNU lors de l'examen du PLF 2025 justifie d'autant plus cet amendement.
Le deuxième amendement supprime l'article 2 ter qui prévoit une expérimentation pour trois ans de conventions entre les lycées de l'éducation nationale et ceux de l'enseignement agricole permettant de suivre en seconde une option non proposée par l'établissement de base. Cet article fragilise l'enseignement agricole.
Le troisième amendement améliore le dispositif du « DASEN agricole » pour renforcer son rôle et en faire un homologue du directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN). Actuellement, le texte prévoit que le représentant de l'enseignement agricole assiste le DASEN. Or, il ne doit pas y avoir de hiérarchie entre eux.
Enfin, je vous proposerai d'actualiser la procédure disciplinaire dans l'enseignement supérieur agricole, aujourd'hui obsolète.
Chers collègues, 40 ans après les lois Rocard fondatrices de l'enseignement agricole, ce projet de loi consolide l'enseignement agricole. Toutefois, au-delà des textes, l'avenir de l'enseignement agricole dépendra d'actions concrètes. Notre commission, j'en suis sûr, y sera particulièrement attentive.
Mme Annick Billon. - Je remercie notre rapporteur pour ses travaux et ses propositions d'amendements. Cette loi est certes attendue, mais elle n'est pas suffisante. Ce texte va sans doute contribuer au renouvellement générationnel chez les agriculteurs, mais il n'y parviendra pas seul.
Pour y parvenir, le métier d'agriculteur doit redevenir attractif. Cela passe bien sûr par la rémunération. Les différentes lois Egalim n'ont pas réussi à atteindre leurs objectifs. Cela nécessite également une reconnaissance de leur métier, en mettant fin à l'agribashing, l'arrêt des contrôles intempestifs de l'office français de la biodiversité (OFB), une décision ferme contre l'accord avec le Mercosur ainsi que l'arrêt d'une surtransposition des normes. Le refus de l'accord avec le Mercosur participe de notre souveraineté alimentaire.
Nous le constatons dans nos départements : le métier d'agriculteur est un métier de passionnés. Il faut en effet l'être pour travailler autant et gagner si peu.
Le nombre d'apprenants a augmenté ces dernières années. Cette augmentation doit s'accompagner de moyens. Or, la situation financière d'un certain nombre d'établissements d'enseignement agricole ainsi que de leurs exploitations est inquiétante.
Ce texte évoque la question de l'orientation qui ne peut être éclairée sans fluidité entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole.
Quant au manque de vétérinaires, prenons en compte la féminisation de ces métiers et ses conséquences en termes d'organisation du travail : il faut anticiper cette évolution.
Enfin, comme le rapporteur, je me réjouis de la création du « bachelor agro ».
Je déposerai à l'occasion de l'examen du texte en séance, quelques amendements d'ajustement techniques.
M. Bernard Fialaire. - Je partage la position du rapporteur à une nuance près : le SNU. Je rappelle que le SNU a été mis à contribution pour accueillir des élèves qui ne trouvaient pas de stage, par manque de réseaux ou de connaissances. Pour ceux-ci, le SNU peut être l'occasion de découvrir de nouveaux horizons.
Mme Karine Daniel. - Je lie les ambitions de cette loi d'orientation au budget que nous sommes en train d'examiner. Or, les moyens ne sont pas à la hauteur des objectifs affichés par ce texte. Certes ce texte prend en compte les enjeux agroécologiques et environnementaux, mais sans moyens fléchés.
Par ailleurs, nous partageons les interrogations du rapporteur sur la notion de « bachelor » et les effets concurrentiels qu'elle pourrait entraîner.
L'enseignement agricole accueille une proportion importante de filles. Toutefois, au moment de l'installation en exploitation agricole, on constate un fort taux de décrochage : ce sont principalement les hommes qui créent leur exploitation. Une politique d'encouragement et d'accompagnement des jeunes filles à l'installation doit être menée.
Notre avis est plutôt réservé au regard du manque de moyens pour atteindre les objectifs que fixe ce texte.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Ce texte est attendu. Pour répondre aux enjeux de l'agriculture et du monde agricole, il est indispensable de prendre en compte les contraintes des territoires. Ce projet de loi évoque la souveraineté alimentaire. Pour certains territoires, il faut même aller jusqu'à l'autonomie alimentaire. Je pense notamment aux territoires ultramarins, qui peuvent très rapidement subir de fortes contraintes du fait des conflits internationaux. Je note d'ailleurs que les territoires d'outre-mer ne sont pas oubliés, même si, comme toujours, les dispositions les concernant sont reléguées à la fin du texte.
Enfin, ce texte prévoit un plan national pour la souveraineté agricole. Il me parait indispensable de prévoir des déclinaisons régionales y compris en termes d'enseignement. Les dimensions agricoles, culturelles et territoriales sont liées. Ce que l'on produit et consomme raconte notre identité et notre culture.
Je souhaite préciser qu'en matière agricole les Outre-mer sont un atout pour l'agriculture française. Nos productions agricoles représentent un patrimoine génétique très important pour le pays qui pourrait être mis à contribution dans les études menées pour adapter les cultures et méthodes d'élevage au changement climatique. Je terminerai ce point en évoquant l'industrie de la canne à sucre. Celle-ci est critiquée et contestée mais elle reste un pilier d'une économie locale et une fierté française.
Enfin, ce texte souhaite promouvoir l'enseignement agricole dès l'école primaire. C'est une bonne chose, encore faut-il que cette promotion soit accompagnée de formations. Or, lors de l'examen du budget pour 2025, la formation des enseignants est largement impactée par les réductions de crédits.
Mme Mathilde Ollivier. - Notre groupe salue l'objectif d'une augmentation des effectifs de 30 %. Mais comme cela vient d'être mentionné par certains collègues, les moyens ne sont pas à la hauteur de cette cible.
Le rapporteur a évoqué le défi du départ à la retraite d'un nombre important d'agriculteurs ces prochaines années, avec un risque de concentration accrue des terres agricoles.
Je souhaite revenir sur l'importance de former à l'adaptation au changement climatique, mais aussi à l'agro-écologie et à la préservation de la fertilité des sols : 89 % des sols agricoles français sont aujourd'hui dégradés, entraînant une perte de biodiversité et de matières organiques, ou encore de l'érosion. Certes, ces thématiques sont présentes dans les programmes d'enseignement, mais elles doivent disposer de moyens bien supérieurs pour former correctement les agriculteurs de demain.
J'ai entendu les propos concernant la nécessité d'arrêter les contrôles intempestifs de l'office français de la biodiversité. Ce qui m'étonne, c'est que personne ne condamne les attaques et intimidations directes dont sont victimes les agents de l'OFB.
Enfin, en tant que sénatrice représentant les Français de l'étranger, je suis régulièrement interpellée par des étudiants français qui font leurs études vétérinaires à l'étranger faute de places en France, pour ensuite revenir grâce à des équivalences de diplômes. Celles-ci existent, mais sont compliquées à obtenir.
Comme nos collègues socialistes, nous réservons notre avis sur ce texte.
M. Christian Bruyen. - Je partage vos remarques sur la nécessité de disposer des moyens nécessaires pour atteindre les augmentations d'effectifs ambitieuses portées par ce texte. À moyen terme, ils seront nécessaires. Je pense toutefois qu'actuellement, notamment en raison du recul des effectifs entre 2009 et 2019, l'enseignement agricole est en capacité d'absorber la légère croissance des effectifs qu'il connait depuis 2019.
La question de la féminisation de la profession a été évoquée. C'est un enjeu important sur lequel notre commission pourrait se pencher.
En ce qui concerne la promotion de l'enseignement agricole dès le primaire, il est essentiel de former les enseignants. Le « DASEN agricole » a également un rôle à jouer. Je vous proposerai tout à l'heure un amendement visant à étendre ses compétences.
Je ne partage pas la position de Bernard Fialaire sur le SNU. C'est l'un de nos rares points de désaccord sur l'enseignement agricole. Je ne suis pas certain que le SNU soit la bonne réponse à apporter à des élèves qui auraient des difficultés à trouver des stages. Par ailleurs, en raison de leur âge et pour des questions de responsabilité, ils seront cantonnés à des stages d'observation, limitant l'intérêt de la démarche.
En ce qui concerne le bachelor, je partage vos interrogations sur sa dénomination anglaise. Je l'ai d'ailleurs indiqué à nos collègues de la commission des affaires économiques, mais je ne suis pas sûr d'avoir été entendu. Certains considèrent que les dérives observées dans l'enseignement supérieur ne pourraient pas arriver dans la formation agricole. Je les pense au contraire possibles.
Il faut former les enseignants pour les aider à appréhender les nouvelles pratiques agricoles à transmettre face au double défi du changement climatique et de la souveraineté alimentaire - ce qui constitue désormais la sixième mission de l'enseignement agricole. Celui-ci s'est déjà engagé depuis plusieurs années dans cette démarche mais doit poursuivre ses efforts.
Enfin, l'enjeu de l'installation est un sujet très important qui va au-delà des compétences de notre commission. Aujourd'hui, deux tiers des jeunes en formation agricole souhaitent s'installer en tant que responsable agricole. Sur les deux tiers, la moitié peut s'appuyer sur des exploitations familiales. Il reste l'autre moitié pour laquelle les obstacles à franchir sont nombreux.
J'ai écouté avec attention les difficultés que rencontrent les étudiants français partis suivre leurs études vétérinaires à l'étranger lorsqu'ils veulent ensuite revenir en France. La création d'une cinquième école vétérinaire vise notamment à répondre partiellement au nombre insuffisant de places au sein des formations vétérinaires. Toutefois, selon moi, la priorité est d'inciter les vétérinaires à exercer à la campagne.
M. Laurent Lafon, président. - Notre rapporteur nous propose quatre amendements.
M. Christian Bruyen, rapporteur. - L'amendement COM-641 vise à supprimer du texte toute mention du SNU.
L'amendement COM-641 est adopté.
M. Christian Bruyen, rapporteur. - L'amendement COM-642 vise à supprimer l'article 2 ter, inséré par nos collègues députés. Cet article ouvre la voie à un conventionnement entre lycées de l'éducation nationale et lycées de l'enseignement agricole. Il s'agit de permettre à un élève de suivre dans un lycée de l'autre voie de formation une spécialité ou une option qui n'existe pas dans son établissement. Une telle démarche risque de remettre en cause la spécificité de l'enseignement agricole. Je pense par exemple à l'option « écologie, agronomie, territoire et développement durable » ou encore à la spécialité « biologie-écologie ». Les enseignants de collège connaissent mal l'enseignement agricole et sont parfois réticents à ce que leurs élèves y poursuivent leurs études. La tentation sera sans doute grande pour l'éducation nationale de présenter cette mesure comme permettant à un élève de suivre sa scolarité dans un lycée de l'éducation nationale, à l'exception d'une option. L'enseignement agricole y perdrait des élèves.
Par ailleurs, pour l'enseignement agricole, certaines directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) y verront peut-être une solution pour économiser quelques postes de spécialités et d'options dans leurs établissements. Enfin, cette disposition interroge sur sa mise en oeuvre : les établissements sont souvent éloignés géographiquement les uns des autres. Pour toutes ces raisons, je vous propose la suppression de cet article.
Mme Karine Daniel. - Pour ma part, je pense que cet article peut aussi permettre à des élèves de l'enseignement général de découvrir l'enseignement agricole et d'y poursuivre ensuite leur formation. Nous voterons contre cet amendement.
L'amendement COM-642 est adopté.
M. Christian Bruyen. - L'amendement COM-643 concerne le correspondant départemental de l'enseignement agricole. Cette idée est régulièrement portée par notre commission. Elle a été introduite dans le texte à l'Assemblée nationale.
Toutefois, telle que rédigée, cette disposition ne concerne que les lycées agricoles publics. Or, l'enseignement agricole privé sous contrat est un partenaire historique de l'enseignement agricole. De plus, le représentant de l'enseignement agricole serait chargé d'assister le DASEN en matière d'orientation. Il ne saurait y avoir de hiérarchie entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole. Par ailleurs, ses missions doivent être élargies à la promotion des métiers du vivant et inclure des actions à destination de l'ensemble des acteurs de l'orientation, notamment les Psy-EN ainsi que les conseillers d'information et d'orientation.
L'amendement COM-643 est adopté à l'unanimité.
Article additionnel après l'article 3
M. Laurent Lafon, président. - L'amendement COM-644 concerne la modernisation de la procédure disciplinaire dans l'enseignement agricole supérieur. Ce sujet avait notamment été abordé par les représentants de l'enseignement agricole supérieur que nous avions auditionnés au printemps.
M. Christian Bruyen. - Cet amendement aligne la procédure disciplinaire des établissements d'enseignement agricole supérieur sur celle existante dans l'enseignement supérieur, modifiée par la loi de transformation de la fonction publique de 2019.
Il s'agit de renforcer l'impartialité des conseils disciplinaires en prévoyant une procédure de récusation en cas de doute sur son impartialité et en instaurant une possibilité de dépaysement de la procédure. Par ailleurs, la présidence du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche agricole, agroalimentaire et vétérinaire (CNESERAAV) sera confiée à un conseiller d'État lorsqu'il statue en matière disciplinaire. Enfin, le ministre pourra suspendre un personnel de l'enseignement supérieur agricole de ses fonctions pour une durée maximale d'un an.
Lors de son audition en mai dernier, le directeur général d'AgroParisTech avait souligné l'urgence de moderniser ces procédures disciplinaires.
M. Pierre Ouzoulias. - Nous voterons cet amendement. Toutefois, il me semble important d'avoir une réflexion globale sur les procédures disciplinaires dans l'enseignement supérieur. Il s'agit de l'une des recommandations du rapport sur l'antisémitisme à l'université. De nombreux présidents d'université demandent une mise à niveau d'un système dont ils estiment qu'il fonctionne de moins en moins bien.
M. Christian Bruyen, rapporteur. - Cet amendement permettra de ne pas oublier l'enseignement agricole supérieur lors d'une réflexion future éventuelle.
L'amendement COM-644 est adopté à l'unanimité.
La commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles de ce projet de loi dont elle s'est saisie pour avis, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle a ainsi adoptés.
AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION
sur proposition de Christian Bruyen, rapporteur pour avis
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mardi 21 mai 2024
Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire - Direction générale de l'enseignement et de la recherche : M. Benoît BONAIMÉ, directeur général de l'enseignement et de la recherche.
Jeudi 30 mai 2024
Table ronde des syndicats de l'enseignement agricole public :
M. Jean-François LE CLANCHE et Mme Béatrice LAUGRAUD, secrétaires fédéraux du Sgen-CFDT, M. Manuel DEVEAUD, secrétaire général adjoint du SEA UNSA, et M. Frédéric CHASSAGNETTE, co-secrétaire général du SNETAP-FSU.
- Fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif (Fésic) : M. Philippe CHOQUET, président, Mme Théophane BRICHE BLIDA, chargée des affaires publiques, M. Germain COMERRE, chargé de relations institutionnelles et animation réseau.
- Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) : M. Jérôme VOLLE, vice-président, Mme Violaine TROSSEILLE, cheffe de service Formation initiale et continue, M. Xavier JAMET, responsable des affaires publiques, et Mme Romane SAGNIER, chargée de mission affaires publiques.
- E2TAP, réseau des établissements d'enseignement agricole public : MM. Jean-Baptiste AUROY, président, et Nicolas PETIT, directeur.
Vendredi 31 mai 2024
- Coordination rurale : Mme Émilie VANDIERENDONCK, représentante de Coordination rurale, M. Laurent DEVAUX, représentant de Coordination rurale.
- Confédération paysanne : M. Stéphane GALAIS, représentant du groupe de travail sur les relations humain animal.
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl23-639.html
* 1 Il existe 192 exploitations agricoles dans les établissements publics et 43 ateliers technologiques et équestres (Source : ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire).
* 2 Selon les informations transmises au rapporteur, ce diplôme devrait comporter huit mentions : stratégie d'entreprise, économie d'entreprise, chef d'entreprise ; agronomie ; zootechnie élevage ; commerce, vente-conseil ; questions énergétiques ; transformation agroalimentaire ; forestière ; hydraulique agricole.
* 3 Cf. compte rendu de la table ronde du 9 octobre 2023 sur l'essor du secteur privé lucratif dans l'enseignement supérieur, commission de la culture.
* 4 Les formations proposées par l'enseignement agricole se répartissent en six familles : la production agricole, forestières, aquacole et des produits de la mer ; la transformation et la commercialisation de ces produits ; l'industrie agroalimentaire et l'alimentation ainsi que les industries liées à l'agriculture ; la santé et la protection animale et végétale, l'hygiène, la qualité et la sécurité de l'alimentation ; l'aménagement, le développement, la gestion et la protection de l'espace rural, de la forêt, de l'eau et des milieux naturels et du paysage ; le service aux personnes et aux territoires (source : ministère de l'agriculture).