B. DES CHANTIERS INACHEVÉS

En dépit de cet abandon, il convient néanmoins de souligner que le domaine des services de la société de l'information n'est pas complètement étranger au Parlement.

En effet, la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a déjà donné lieu à d'importants débats sur deux questions essentielles, la définition de la communication en ligne et le régime de responsabilité des prestataires techniques à raison des contenus mis à disposition du public, sans pour autant parvenir à des solutions acceptables.

• Une définition en creux des services en ligne

L'intitulé du nouveau chapitre VI du titre II de la loi de 1986, introduisant dans la législation un régime particulier de responsabilité des prestataires techniques, a fait l'objet d'un vif débat entre le rapporteur de l'Assemblée nationale et celui du Sénat, mettant en évidence la difficulté de trouver une dénomination consensuelle aux services en ligne. Entre « services en ligne autres que de correspondance privée » et « services de communication audiovisuelle en ligne », l'Assemblée nationale, en dernière lecture, a néanmoins tranché en faveur de la première expression. Cette définition « en creux » ou « négative » selon les termes du rapporteur du texte au Sénat 4( * ) permettait de ménager l'avenir en attendant qu'une définition adéquate soit trouvée dans un texte ultérieur.

• La censure du régime de responsabilité des prestataires techniques

Mais l'examen du texte qui allait devenir la loi du 1 er août 2000 a avant tout été l'occasion pour les parlementaires de se saisir, pour la première fois, de la question de la responsabilité des prestataires techniques à raison des contenus des « services de communication en ligne autre que de correspondance privée. »

Comme l'a explicité le Conseil d'Etat dans son rapport précité, deux types de services relèvent de l'intermédiation technique :

- le fournisseur d'accès est un prestataire technique qui met son serveur, connecté en permanence aux réseaux électroniques, à la disposition de ses abonnés pour leur permettre de circuler dans le réseau Internet, d'accéder aux sites et d'échanger du courrier électronique ;

- les sites sont généralement hébergés sur le serveur informatique d'un prestataire technique appelé fournisseur d'hébergement , qui permet l'accès au site depuis les réseaux ; un hébergeur stocke sur des disques informatiques les données préparées par l'éditeur du site et achemine ces pages vers l'ordinateur de tout utilisateur des réseaux qui en fait la demande par voie électronique.

Pour un certain nombre de juristes, le développement de l'Internet et de la communication en réseau n'aurait pas dû conduire à remettre en cause le principe de non-responsabilité du fait des contenus arrêté depuis de nombreuses années tant pour les opérateurs de télécommunication (auxquels les fournisseurs d'accès peuvent être assimilés), soumis à une obligation de neutralité, que pour les centres serveurs télématiques (qui remplissent des fonctions comparables à celles des hébergeurs). Pour ces derniers, la Cour de cassation a notamment affirmé que le responsable d'un centre serveur minitel est un « outil entre les mains du fournisseur de service » et qu'il apparaît impossible « d'envisager que le directeur d'un tel centre -lequel héberge souvent des dizaines de services- assure une responsabilité quelconque quant au contenu des messages. »

Leur responsabilité ne saurait donc être mise en cause dès lors qu'ils s'abstiennent d'intervenir sur les contenus qu'ils stockent ou diffusent et n'ont pas connaissance de leur éventuel caractère illicite.

Cependant, le développement exponentiel des services en ligne a conduit le juge à revenir sur ce principe d'irresponsabilité pour préciser ses modalités de mise en oeuvre dans le monde de l'Internet et son articulation avec le droit commun. Celui-ci a progressivement nuancé sa position sur les intermédiaires techniques et construit une définition de leur responsabilité (en particulier pour les fournisseurs d'hébergement) en se fondant sur le droit commun décrit par l'article 1383 du code civil. Le fait que les prestataires d'hébergement soient de simples transmetteurs d'informations a donc été remis en cause.

La Cour d'appel de Paris a ainsi condamné, le 10 février 1999, dans l'affaire Estelle Halliday/Valentin Lacambre, l'hébergeur (Altern) d'un site ayant diffusé, sans autorisation, des photos de Mme Estelle Halliday. Elle a donc retenu la responsabilité civile de l'hébergeur à l'égard d'un contenu dont il n'était pas l'auteur, en considérant que, pour s'exonérer de sa responsabilité, l'hébergeur devait veiller à la bonne moralité de ceux qu'il héberge et au respect par ceux-ci des lois, des règlements et des droits des tiers.

L'hébergeur s'est vu, de plus en plus souvent, imposer une « obligation générale de diligence et de prudence ». Il lui appartient, à ce titre, de « prendre les précautions nécessaires pour ne pas léser les droits des tiers » et de mettre en oeuvre, à cette fin, des moyens raisonnables d'information (en attirant l'attention des créateurs de sites sur « le nécessaire respect des droits des tiers »), de vigilance (en prenant « les mesures raisonnables qu'un professionnel avisé mettrait en oeuvre pour évincer de son serveur les sites dont le caractère illicite est apparent ») et d'action (en procédant, le cas échéant, au retrait des informations en cause ou à la fermeture du site incriminé).

Le comportement de l'intermédiaire technique étant dès lors soumis au crible de l'appréciation du juge, la non-responsabilité des hébergeurs du fait des contenus stockés est devenue largement conditionnelle. Les prestataires techniques ont pu parfois avoir le sentiment de jouer un rôle de victime de substitution, en lieu et place des véritables responsables, à savoir les éditeurs de contenus, le plus souvent protégés par l'anonymat.

Face à cette incertitude juridique, le législateur a donc décidé d'intervenir, sous la forme d'amendements au projet de loi portant modification de la loi de 1986 relative à la liberté de communication. L'objectif des auteurs des amendements était de clarifier les responsabilités à mettre en oeuvre au sein des services de communication en ligne tout en restant dans le droit commun.

Après de nombreuses modifications au cours des navettes, le texte définitif adopté le 29 juin 2000 définit, dans un nouveau chapitre VI du titre II de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, un ensemble de dispositions applicables aux « services de communication en ligne autres que de correspondance privée ». Ces dispositions concernent essentiellement les hébergeurs.

L'article 43-8 dispose ainsi que la responsabilité civile ou pénale d'un hébergeur ne peut être engagée que dans deux conditions :

- si, lorsqu'il a été saisi par une autorité judiciaire, il n'a pas agi « promptement pour empêcher l'accès à ce contenu » (deuxième alinéa) ;

- si, lorsqu'il a été saisi par un tiers s'estimant lésé par un contenu hébergé ou estimant que ce contenu est illicite, il n'a pas procédé aux « diligences appropriées » (troisième alinéa).

Un nouvel article 43-9 organise par ailleurs les conditions de conservation et de communication des données de connexion par les fournisseurs d'accès et les hébergeurs, dont les conditions d'application doivent être fixées par décret en Conseil d'Etat après avis de la CNIL et un article 43-10 organise une obligation d'identification pour les éditeurs de contenus en ligne.

Cette construction juridique, longuement pesée et destinée à clarifier les responsabilités des intermédiaires techniques, a cependant été aussitôt très largement amputée par une décision du Conseil constitutionnel 5( * ) . Celui-ci a en effet déclaré non conforme à la Constitution le troisième alinéa de l'article 43-8, considérant que les conditions de cette saisine par un tiers n'étaient pas assez précises et que l'article ne déterminait pas de façon suffisamment claire « les caractéristiques du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité des intéressés ».

Après cette censure, le régime de mise en cause de la responsabilité civile ou pénale des hébergeurs s'est donc retrouvé limité à la seule saisine du juge. La loi se contente donc de dire que ces opérateurs doivent déférer aux injonctions de la justice et ne sont tenus à aucun autre type de vigilance.

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