PAYS-BAS
Le
code pénal condamne l'euthanasie et l'aide au suicide
. Cependant, la
jurisprudence admet que ces actes puissent être réalisés
par un médecin en cas de
force majeure
, c'est-à-dire
lorsque le médecin est confronté au choix entre son devoir de
sauver une vie et celui d'abréger une vie rendue intolérable par
la souffrance.
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I. LE CADRE JURIDIQUE
1) Le code pénal
Deux
articles du code pénal visent explicitement l'euthanasie. Il s'agit des
articles 293 et 294 qui concernent respectivement
l'homicide commis sur
demande de la victime
et
l'assistance au suicide
.
L'article 293
énonce : "
Celui qui met fin aux jours
d'un autre, à la demande expresse et sérieuse de ce dernier, est
puni d'une peine de prison d'une durée maximale de douze ans ou d'une
amende de cinquième catégorie (2(
*
))
". Une telle amende ne peut
dépasser 100.000 florins, soit environ 300.000 francs.
L'article 294
est ainsi formulé : "
Celui qui pousse
intentionnellement autrui au suicide, qui l'aide à se suicider est, en
cas de décès, puni d'une peine de prison d'une durée
maximale de trois ans ou d'une amende de quatrième
catégorie
". Une amende de quatrième catégorie ne
peut dépasser 25.000 florins, soit environ 75.000 francs.
Par ailleurs,
l'article 40
, que la jurisprudence a beaucoup
utilisé pour justifier la pratique de l'euthanasie dans une situation de
conflits de devoirs, prévoit que "
N'est pas punissable celui
qui commet un fait auquel il est contraint par la force majeure
".
2) La procédure de déclaration des interruptions de vie
La
réforme adoptée en décembre 1993 et entrée en
vigueur le 1
er
juin 1994 confirme une pratique en vigueur
depuis le début des années 1990.
En effet, les
médecins qui pratiquaient une euthanasie
(3(
*
))
ou qui aidaient un patient à se
suicider n'étaient pas poursuivis dans la mesure où ils
respectaient certains
critères, dits critères de minutie,
que la jurisprudence avait peu à peu dégagés depuis
1973, et qui justifiaient l'application de l'article 40 du code
pénal. Chacun des critères devait être
respecté :
- situation médicale désespérée, sans que le
malade se trouve nécessairement en phase terminale ;
- souffrance intolérable ;
- absence d'autre solution ;
- décision libre et consciente du malade ;
- demande réitérée ;
- consultation d'un autre médecin confirmant le fondement de
l'euthanasie ;
- information de la famille et du personnel paramédical.
a) La loi sur les pompes funèbres
Cette
loi a deux objets principaux : garantir l'hygiène publique et
permettre la découverte des décès dont l'origine n'est pas
naturelle, et donc notamment des euthanasies.
En effet, elle énonce à l'article 7 :
"
1. Celui qui a procédé à l'examen du corps
fournit un certificat de décès s'il est convaincu que la mort est
d'origine naturelle.
"
2. Si le médecin traitant pense ne pas pouvoir procéder
à la délivrance d'un certificat de décès, il
l'indique immédiatement au médecin légiste (ou à
l'un des médecins légistes) de la commune
".
Les modifications adoptées en 1993 concernent
l'article 10
selon lequel :
"
1. Si le médecin légiste de la commune pense ne pas
pouvoir procéder à la délivrance d'un certificat de
décès, il adresse immédiatement au procureur de la Reine
un compte rendu, en remplissant un formulaire dont les caractéristiques
seront précisées dans un règlement d'administration
publique et prévient en outre immédiatement le fonctionnaire de
l'état civil (4(
*
)). Le projet (5(
*
)) du règlement mentionné à
la phrase précédente est établi par le ministre de la
Justice et par le ministre du Bien-être, de la santé et de la
culture
".
L'alinéa 2 de cet article concerne la date d'entrée en vigueur du
règlement susmentionné.
b) Le règlement mentionné à l'article 10 de la loi sur les pompes funèbres
Après l'amendement apporté en 1993 à la loi
sur les pompes funèbres, le Parlement a approuvé, en
décembre 1993, le règlement relatif au contrôle des
interruptions de vie pratiquées par des médecins. Il
prévoyait une seule procédure de contrôle pour toutes les
catégories d'interruption de vie. Il a été abrogé
par un règlement adopté en novembre 1997 qui ne s'applique qu'aux
interruptions de vie réalisées avec l'accord du patient.
Le texte régissant les interruptions de vie pratiquées sans
l'accord du patient n'ayant pas encore été adopté, le
règlement de 1993 continue de s'appliquer dans ce cas.
Le règlement du 19 novembre 1997
Le règlement du 19 novembre 1997 relatif à la
détermination des formulaires mentionnés à
l'article 10 de la loi sur les pompes funèbres est en vigueur
depuis le 1
er
novembre 1998
. Il s'applique aux cas
où le décès est consécutif à l'un des actes
suivants, à condition qu'il soit pratiqué par un
médecin
:
-
euthanasie, c'est-à-dire interruption de vie
réalisée à la demande du patient
;
-
assistance au suicide.
Le médecin légiste de la commune doit alors adresser à
une commission régionale de contrôle ainsi qu'au procureur de la
Reine un compte rendu
dans lequel il déclare notamment :
- avoir vérifié comment la mort était survenue ;
- avoir examiné personnellement la personne
décédée ;
- avoir reçu communication du médecin du fait que celui-ci avait
pratiqué l'un des deux actes énumérés plus
haut ;
- avoir reçu du médecin un rapport rédigé
conformément au modèle qui figure en annexe du règlement.
Ce rapport se présente sous la forme d'un questionnaire comportant une
vingtaine de points (voir annexe, p. 51), qui permettent de
vérifier si le médecin a respecté les critères de
minutie susceptibles de justifier son impunité.
Les commissions régionales de contrôle
, au nombre de cinq,
ont été constituées par un règlement du 27 mai
1998. Chacune d'elle est constituée d'un médecin, d'un juriste et
d'un spécialiste des questions éthiques
(6(
*
))
.
Aux termes de l'article 9 du règlement du 27 mai 1998,
"
la commission régionale de contrôle juge que le
médecin a agi avec rigueur si :
-
le patient a formulé sa demande librement, de façon
mûrement réfléchie et constante ,
-
les souffrances du patient étaient insupportables et sans
perspective d'amélioration, selon les conceptions médicales
prédominantes du moment ;
-
le médecin a consulté au moins un autre médecin
indépendant ;
-
et si l'interruption de la vie a été pratiquée avec
toute la rigueur médicalement requise ".
La commission vérifie donc que le médecin a respecté les
critères de minutie, qui, pour la première fois, figurent
textuellement dans la réglementation.
La commission adresse dans le délai de six semaines (ce délai est
allongé de six semaines supplémentaires en cas de
nécessité) son rapport au ministère public qui, en
application du
principe d'opportunité,
prend la décision
de poursuivre ou non le médecin.
Pour autant que le médecin a
respecté les critères dits de minutie, l'affaire est
classée sans suite.
La commission de contrôle envoie généralement son rapport
à l'inspecteur régional de la santé, qui peut porter
l'affaire devant le conseil de l'ordre des médecins,
indépendamment de toute procédure pénale.
Le règlement du 17 décembre 1993
La procédure prévue par le règlement du 19 novembre
1997 remplace celle instituée par le règlement du
17 décembre 1993 qui avait permis, pour la première fois,
d'institutionnaliser les déclarations d'interruption de vie
pratiquées par des médecins.
Le texte de 1993 prévoyait que le médecin légiste,
après avoir reçu du médecin un rapport dans lequel ce
dernier déclarait avoir "
examiné
rationnellement
" et "
complètement rempli
"
la liste des "
questions essentielles
"
(7(
*
))
figurant en annexe du règlement,
adressait directement son rapport au ministère public. La réforme
a donc permis de créer, entre le médecin légiste et le
ministère public, un " filtre " constitué de
professionnels particulièrement conscients des problèmes
juridiques, médicaux et moraux suscités par l'euthanasie. Le
gouvernement pense ainsi inciter les praticiens à davantage
déclarer les interruptions de vie.
Le règlement de 1993 continue à s'appliquer pour les
interruptions de vie réalisées par les médecins en dehors
de toute demande expresse du patient, car le règlement relatif à
la procédure de contrôle de ces euthanasies est actuellement en
préparation. A l'avenir elles devraient être
contrôlées par une
commission nationale
qui les examinera
une par une avant de rendre compte au ministère public.
3) La loi sur l'accord en matière de traitement médical
Entrée en vigueur le 1
er
avril 1995 et
incorporée au code civil, cette loi régit les relations entre
médecins et patients en matière de traitement médical.
Elle oblige le médecin à informer le patient sur les examens et
traitements qu'il entreprend ainsi que sur son état de santé.
Parallèlement, elle prévoit que
le médecin ne peut
pratiquer aucun des actes qu'elle régit sans l'accord du patient
.
Elle permet donc notamment d'empêcher qu'un malade soit maintenu en vie
artificiellement et contre son gré.
Le champ d'application de la loi est déterminé par l'article
446-2 du code civil, qui définit le traitement médical
comme :
"
a) tous les actes -y compris les examens et conseils- qui ont un
rapport direct avec une personne et qui visent à la guérir d'une
maladie, à prévenir l'apparition d'une maladie ou à
apprécier son état de santé, ainsi qu'à lui
prêter assistance en matière obstétricale ;
"
b) les autres actes que ceux mentionnés au a) qui ont un
rapport direct avec une personne et qui sont pratiqués par un
médecin ou par un dentiste ès
qualités.
"
II. LA PRATIQUE ET LE DEBAT
A la
demande du gouvernement, une commission indépendante a
réalisé en 1996 une étude sur l'euthanasie et sur les
autres formes d'interruptions de vie pratiquées par des
médecins.
Les résultats de cette étude proviennent des entretiens
réalisés avec 405 médecins, ainsi que des
questionnaires remplis de façon anonyme par un peu plus de
6.000 praticiens ayant déclaré avoir déjà
procédé à des interruptions de vie.
En tout,
plus de 42 % des 135.500 décès
enregistrés en 1995 seraient survenus à la suite d'une
décision médicale
.
1) L'euthanasie passive et l'euthanasie indirecte
L'euthanasie passive et l'euthanasie indirecte sont unanimement
considérées comme des actes médicaux, qui relèvent
de l'exercice normal de la médecine
.
D'après l'étude de 1996 :
-
environ
19 % des décès seraient dus à
l'administration massive d'opioïdes
(euthanasie indirecte) ;
- un peu plus de 20 % seraient la conséquence de l'abstention ou
de l'interruption des soins
(euthanasie passive).
2) L'euthanasie active et l'aide au suicide
Selon
l'étude réalisée en 1996 :
-
2,4 % des décès
(soit environ 3.200)
seraient
consécutifs à une euthanasie
, c'est-à-dire à
l'administration de substances létales à la demande expresse du
patient ;
-
0,3 %
(environ 400)
à une aide au suicide
;
-
0,7 %
(environ 950)
à une interruption de vie par voie
médicamenteuse pratiquée sans demande du patient
.
Les chiffres de l'étude de 1996 n'ont qu'une valeur relative, car ils
constituent une extrapolation des résultats, différents, fournis
par les deux groupes de médecins (l'un consulté par oral et
l'autre par écrit). De plus, dans chacun de ces deux groupes, un certain
pourcentage (respectivement 11 % et 23 %) s'est abstenu de
répondre aux questions posées.
Ces chiffres sont proches de ceux obtenus en 1991 (pour l'année 1990)
par la commission Remmelink, dont les travaux avaient
précédé l'adoption de la réforme de 1993 :
- 1,8 % pour euthanasie ;
- 0,3 % pour l'aide au suicide ;
- 0,8 % pour l'interruption de vie sans demande du patient.
Le questionnaire de 1996 était beaucoup plus détaillé que
celui de 1991. De plus, l'adoption du règlement de 1993, et donc la
légalisation des critères de minutie, a certainement
influencé les réponses fournies par les praticiens en 1996.
En revanche, les chiffres relatifs aux déclarations d'interruptions
médicales de vie ont beaucoup évolué :
41 %
de ces interruptions auraient été déclarées en
1995
, contre 18 % en 1990. Ces chiffres traduisent la confiance
croissante des médecins dans la procédure instituée en
1994.
Si le nombre des interruptions de vie pratiquées par les médecins
est mal connu, le ministre de la Justice publie des chiffres sur les
déclarations. Il y en a eu 1.927 en 1997, ce qui représente une
augmentation de 15 % par rapport à l'année
précédente.
L'immense majorité des dossiers est
classée sans suite
: en 1997, sur les
1.927 déclarations, seules 8 ont donné lieu à
enquête judiciaire et une seule condamnation a été
prononcée
(8(
*
))
.
Par ailleurs, d'après une enquête universitaire
réalisée en 1997, il semble que plusieurs (entre 2 et 5)
euthanasies soient pratiquées chaque année pour raisons
psychiques
(9(
*
))
.
* *
*
Depuis la réforme de 1994, le droit néerlandais ne
condamne plus guère que les euthanasies actives pratiquées sans
le consentement exprès des malades. Le débat actuel aux Pays-Bas
concerne donc principalement cette question.
Or, ces cas d'interruptions de vie ne sont presque jamais signalés par
les médecins. La jurisprudence est donc limitée sur ce point. A
plusieurs reprises, les tribunaux ont reconnu la culpabilité des
médecins ayant réalisé de tels actes mais ont
refusé de prononcer des peines à leur égard
(bébés atteints de malformations extrêmement graves,
malades comateux...).
Pour clarifier la situation, des voix s'élèvent dans le pays pour
demander que les déclarations de volonté relatives à
l'euthanasie active, comme celles que fournit à ses adhérents
l'Association néerlandaise pour l'euthanasie volontaire, soient
dotés d'un statut législatif. En effet, à la
différence des interdictions de traitement, qui, d'après la loi
sur l'accord en matière de traitement médical, doivent être
respectées, les demandes d'euthanasie n'ont pas de valeur juridique pour
l'instant.
Il est vraisemblable que le règlement, actuellement en
préparation, qui régira la procédure de déclaration
des euthanasies pratiquées sans le consentement des malades
réglera le problème en distinguant quatre cas :
- les patients qui souffrent essentiellement de troubles psychiques ;
- ceux qui n'ont plus la faculté d'exprimer une demande mûrement
réfléchie, parce qu'ils sont atteints de démence
sénile par exemple ;
- ceux qui ne sont plus capables de s'exprimer, mais dont la demande a
été couchée dans un testament de vie ;
- les mineurs.
De manière générale, certains, notamment parmi les
médecins, critiquent
l'incohérence due à la coexistence
d'une législation qui condamne l'euthanasie et d'une
réglementation qui indique, sans le préciser explicitement, dans
quelles circonstances l'euthanasie n'est pas poursuivie.
Dans l'accord conclu avant les dernières élections
législatives, les partis vainqueurs (socialistes, libéraux et
progressistes D66) ont prévu de légiférer sur
l'euthanasie. Ils prévoient de reprendre une proposition de loi
déposée en avril 1998 et qui vise à modifier le code
pénal pour y introduire une disposition selon laquelle les
médecins auteurs d'euthanasies et d'aides au suicide ne seraient pas
punissables s'ils respectaient les critères de minutie.