SUISSE
La
constitution fédérale, ainsi que le code pénal,
protègent la vie de manière absolue et condamnent donc
l'euthanasie active, même si celle-ci est demandée par le malade.
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I. LE CADRE JURIDIQUE
1) Les dispositions constitutionnelles
La
constitution fédérale ne garantit pas expressément le
droit à la vie, qui constitue un droit constitutionnel non écrit,
mais reconnu par le Tribunal fédéral, tout comme le droit
à l'autodétermination. Ces deux droits fondamentaux
découlent de la garantie constitutionnelle de la liberté
personnelle.
Le droit à la vie oblige le médecin à respecter la vie de
son patient, même si celui-ci est un malade incurable souffrant
atrocement.
Le droit à l'autodétermination permet à un patient capable
et informé d'accepter ou de refuser un traitement, même si, ce
faisant, il hâte sa mort.
2) Le code pénal
Le code
pénal protège la vie de manière absolue quelle que soit la
personne, et même contre sa volonté. Il condamne non seulement le
fait de mettre fin à la vie d'autrui, mais aussi le fait
d'abréger celle-ci à la demande de la victime.
L'article 111 considère que "
celui qui aura
intentionnellement tué une personne
" est "
coupable
d'homicide ou de meurtre
". L'
article 114
condamne
également "
celui qui cédant à un mobile
honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort
à une personne sur la demande sérieuse et instante de
celle-ci ".
La personne, médecin ou non, qui met fin à
la vie d'un malade en phase terminale à la demande de ce dernier, engage
donc sa responsabilité pénale.
En revanche,
l'article 115
qui énonce : "
Celui qui,
poussé par un mobile égoïste, aura incité une
personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du
suicide (...) sera (...) puni (...)
"
autorise
a contrario
l'aide au suicide
si le mobile égoïste de l'assistant n'est
pas établi.
3) Le code civil
Il garantit le droit à l'intégrité corporelle. Tout acte médical est considéré comme une atteinte à la personnalité, et nul n'est tenu de subir un traitement sans en être d'accord. L'article 28 du code civil prévoit qu'une atteinte à la personnalité est présumée illicite " à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime ".
4) Les lois cantonales
Le
domaine de la santé publique relève de la compétence des
cantons. Ceux-ci n'ont pas véritablement pris position sur la question
de l'euthanasie, se réfugiant derrière les directives
médico-éthiques de l'Académie suisse des sciences
médicales.
En revanche, plusieurs (parmi lesquels le Valais et les cantons de
Genève, de Lucerne, de Neuchâtel et de Zurich) ont
légiféré sur les droits du patient et sur les
directives anticipées
, dont la validité avait d'abord
été reconnue par la jurisprudence. Par ces directives, une
personne fait connaître à l'avance sa volonté de refuser
tout acharnement thérapeutique ou son maintien en vie artificiellement,
pour le cas où elle deviendrait incapable.
Ainsi, la loi genevoise du 6 décembre 1987 concernant les rapports
entre membres des professions de la santé et patients a
été modifiée en 1996 pour intégrer le paragraphe
suivant :
"
Les directives anticipées rédigées par le
patient avant qu'il ne devienne incapable de discernement doivent être
respectées par les professionnels de la santé s'ils interviennent
dans une situation thérapeutique que le patient avait envisagée
dans ses directives
".
5) Les directives médico-éthiques de l'Académie suisse des sciences médicales
L'Académie suisse des sciences médicales se
présente comme une autorité morale de premier plan, si bien que
les autorités politiques ont tendance à considérer les
normes qu'elle émet dans les domaines de la déontologie et de la
pratique médicales comme des lois supplétives. Cependant,
l'Académie étant une fondation de droit privé, ses
directives ne sont pas des normes légales. Elles ont cependant une
portée juridique certaine puisque les tribunaux s'y
réfèrent pour apprécier les cas qui leur sont soumis.
Les premières directives de l'Académie sur l'assistance aux
mourants datent de 1976. Elles ont fait l'objet de plusieurs révisions,
les dernières, plus fondamentales, remontent à 1995. Il s'agit
des " Directives médico-éthiques sur l'accompagnement
médical des patients en fin de vie ou souffrant de troubles
cérébraux extrêmes ".
Elles établissent
le devoir du médecin
"
d'assister le patient dans tous les cas en l'aidant et en soulageant
sa souffrance et en s'efforçant de préserver sa vie
".
Elles rappellent
l'interdiction de l'euthanasie active
:
"
Des interventions ayant pour but direct de mettre fin à la vie
sont légalement interdites, même chez les mourants et les
personnes souffrant de troubles cérébraux
extrêmes
".
Elles interdisent l'assistance au suicide
, "
qui n'est pas un
acte médical
".
Elles autorisent l'euthanasie passive
: "
S'agissant de
personnes en fin de vie amenées par leur affection à une mort
inéluctable (...) et de personnes souffrant de troubles
cérébraux extrêmes (...), le médecin peut soit
renoncer à administrer des traitements de survie, soit interrompre ces
derniers
". Par traitements de survie, elles entendent "
entre
autres, la réhydratation et l'alimentation artificielles,
l'administration d'oxygène, la respiration assistée, la
médication, la transfusion sanguine et la dialyse
".
Par ailleurs, "
la gravité et l'intensité des
interventions et des contraintes (...) doivent être raisonnablement
proportionnelles aux résultats thérapeutiques escomptés
ainsi qu'à l'espérance de vie du patient
".
Elles admettent l'euthanasie indirecte
:
"
S'agissant de personnes en fin de vie ou souffrant de troubles
cérébraux extrêmes (...) le médecin peut utiliser
les techniques de la médecine palliative pour combattre la douleur (...)
même si elles impliquent un risque éventuel d'abréger la
survie du patient
".
Elles reconnaissent la validité des testaments de vie
.
II. LA PRATIQUE ET LE DEBAT
La pratique médicale est guidée par les directives médicales de l'Académie suisse des sciences médicales. Les sondages réalisés depuis une dizaine d'années donnent entre 75 % et 80 % d'opinions favorables à la reconnaissance du droit, pour une personne atteinte d'une maladie incurable, de demander à un médecin de mettre fin à ses souffrances en lui donnant la mort.
1) L'euthanasie active et l'aide au suicide
Les
articles 114 et 115 du code pénal font l'objet d'une demande de
révision depuis plusieurs années
. Les promoteurs de ces
initiatives souhaitent légaliser, d'une part, l'euthanasie active
réalisée par un médecin à la demande du malade et,
d'autre part, l'aide médicale au suicide. Ils ont ainsi publié en
1993 une proposition visant à introduire dans le code pénal un
nouvel article 115 bis intitulé " Interruption non punissable
de la vie ".
Le Conseil fédéral, c'est-à-dire le gouvernement, a
été interpellé à deux reprises en 1994 sur la
question d'une réglementation pénale de l'assistance au
décès et a répondu qu'il jugeait inopportun de
légiférer sur ce sujet "
incompatible avec le devoir de
protection de la vie humaine incombant à l'Etat et découlant de
l'ordre des valeurs sur lequel se fonde la constitution
". Les
parlementaires ont alors déposé une motion connue sous le nom de
"
motion Ruffy
"
priant le gouvernement de soumettre au
Parlement un projet tendant à l'adjonction d'un article 115 bis au
code pénal
dont la teneur pourrait être la suivante :
"
Il n'y a pas de meurtre au sens de l'article 114, ni assistance au
suicide au sens de l'article 115 lorsque sont cumulativement remplies les
conditions suivantes :
1.
La mort a été donnée à une personne sur la
demande sérieuse et instante de celle-ci.
2.
La personne défunte était atteinte d'une maladie
incurable ayant pris un tour irréversible avec un pronostic fatal lui
occasionnant une souffrance physique ou psychique intolérable.
3. Deux médecins diplômés et indépendants tant l'un
envers l'autre qu'à l'égard du patient ont tous deux
préalablement certifié que les conditions fixées au
chiffre 2 sont remplies.
4. L'autorité médicale compétente s'est assurée
que le patient a été convenablement renseigné, qu'il est
capable de discernement et qu'il a réitéré sa demande.
5. L'assistance au décès doit être pratiquée par un
médecin titulaire du diplôme fédéral que le
demandeur aura choisi lui-même parmi ses médecins
".
Cette motion a été acceptée en novembre 1994. Depuis, le
Conseil fédéral a constitué un groupe de travail qui lui
remettra son rapport au printemps 1999.
Dans les faits, l'aide au suicide est surtout mise en oeuvre par l'Association
Exit ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), car les
médecins en sont empêchés par leur déontologie.
Cette association a été très active en Suisse dans le
débat sur l'assistance au décès. Elle utilise l'article
115 du code pénal, qui autorise l'assistance, médicale ou
non médicale, au suicide en l'absence de mobile égoïste.
Elle indique aider chaque année environ 120 personnes gravement
malades et en phase terminale à mourir et n'avoir jamais fait l'objet
d'aucune plainte ou poursuite. L'aide au suicide qu'elle apporte consiste
à fournir le produit létal et être
représentée par deux de ses membres jusqu'au dernier moment, le
malade accomplissant seul le geste ultime. Auparavant, ce dernier a
signé de sa propre main une demande d'assistance au suicide et a fourni
un certificat médical faisant état d'un problème de
santé irrémédiable et provoquant des souffrances
intolérables.
2) L'euthanasie passive
La question se pose différemment selon que le malade est ou non conscient et capable de discernement.
a) Les malades capables de donner un consentement juridique valable
Si le
malade est capable, le médecin, après l'avoir dûment
informé sur le traitement envisagé, sur son coût, sur les
répercussions de la maladie et du traitement sur son mode de vie, ainsi
que sur les alternatives thérapeutiques, recueille ses instructions. Le
médecin a l'obligation de s'y soumettre, en application des
règles du contrat de mandat. Il n'encourt alors aucune sanction en cas
de décès du patient.
Certaines lois cantonales, comme la loi genevoise précitée,
prévoient que le médecin peut demander une confirmation
écrite de la décision du patient, si celle-ci devait avoir des
conséquences graves.
b) Les malades incapables de donner leur consentement
Si le
malade est incapable, il a pu faire connaître sa volonté dans une
directive anticipée alors qu'il était capable de discernement.
Plusieurs lois cantonales ont admis la force juridique des directives
anticipées.
L'Académie des sciences médicales estime qu'elles sont seulement
"
déterminantes
" et que, si elles exigent "
un
comportement illégal de la part du médecin ou requièrent
l'interruption des mesures de conservation de la vie alors que, selon
l'expérience générale, l'état du patient permet
d'espérer un retour à la communication sociale et la
réapparition de la volonté de vivre
", elles ne doivent
pas être prises en considération.
Il semble que les milieux médicaux aient eu beaucoup de mal à
admettre la validité de ces documents et qu'ils fassent encore preuve de
quelques réticences.
Le malade incapable peut également avoir désigné un
représentant légal ou thérapeutique. Dans ce cas, la
doctrine est divisée sur l'étendue de ses pouvoirs s'agissant de
l'interruption du traitement de fin de vie.
Si le malade est incapable et n'a pas de représentant, le
médecin doit agir conformément aux règles de la gestion
d'affaire sans mandat, en obéissant à deux critères :
la dignité humaine et la qualité de la vie, ce qui doit le
conduire à rechercher l'intérêt du malade, sa
volonté présumée, son appréciation de la
qualité de la vie en tenant compte également de l'avis des
proches. Il doit écarter toute action thérapeutique dont le poids
et les contraintes dépassent les bénéfices.