ALLEMAGNE
Le mot
" euthanasie " reste tabou en Allemagne, à cause des
atrocités commises pendant la période nationale-socialiste. On
emploie donc l'expression " aide à la mort "
(
Sterbehilfe
).
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I. LE CADRE JURIDIQUE
1) Les dispositions constitutionnelles
La Loi
fondamentale protège à la fois le
droit absolu à la
vie
et le
droit d'autodétermination
.
L'article 1-1, selon lequel "
la dignité de l'homme est
intangible
", interdit toute discrimination et apporte la même
protection à la vie des mourants qu'à celle des bien-portants.
L'article 2 énonce au premier alinéa que "
chacun a
droit au libre développement de sa personnalité
" et au
second que "
chacun a droit à la vie et à
l'intégrité physique
". Ces deux préceptes ne
sauraient justifier que chacun dispose d'un droit sur sa propre vie, et donc du
droit de se suicider par exemple. Ils constituent en revanche une protection
contre les agissements de tiers. Cependant, la doctrine comme la jurisprudence
estiment que la Loi fondamentale ne condamne pas le suicide.
Par ailleurs, le droit d'autodétermination de chacun empêche toute
intervention thérapeutique sans accord de l'intéressé. Par
conséquent, un mourant peut, sur la base de ce droit, refuser un
traitement médical qui prolongerait sa vie.
2) Le code pénal
Si l'on
excepte les dispositions relatives à l'homicide, à la
non-assistance à personne en danger, et aux coups et blessures, le seul
article qui vise explicitement l'euthanasie (même s'il ne vise pas que
l'euthanasie) est
l'article 216
relatif à
l'homicide sur
demande
.
Il énonce en effet : "
Si quelqu'un a été
conduit à commettre un homicide à la demande expresse et
sérieuse de la victime, une peine de prison d'une durée comprise
entre six mois et cinq ans doit être prononcée
".
L'article 216 prévoit donc une sanction allégée. En effet,
lorsqu'il n'est pas commis sur les instances expresses et sérieuses de
la victime, l'homicide se traduit par une peine de prison d'au moins
cinq ans.
3) Les directives de la Chambre fédérale des médecins
La
Chambre fédérale des médecins a émis pour la
première fois en 1979 des directives sur l'euthanasie. Elles ont
été actualisées une première fois en 1993, puis une
deuxième en septembre 1998 après un long débat.
Le document rendu public en septembre dernier s'intitule " Principes pour
l'accompagnement médical de la mort " et non plus
" Directives ". Il réaffirme le devoir qu'ont les
médecins de maintenir en vie leurs patients. Cependant, une telle
conduite n'est pas adaptée à toutes les situations. Dans
certaines circonstances, la thérapie doit être remplacée
par les soins palliatifs.
Quel que soit le but du traitement qu'il suit et quel que soit son état,
chaque patient a droit à un minimum de soins (toilette, soulagement de
la douleur, des nausées et de la dyspnée, satisfaction de la faim
et de la soif).
Le droit d'autodétermination du patient, qui fonde son droit à
être renseigné sur l'évolution de sa maladie, doit
être pris en compte en toute circonstance.
La Chambre fédérale des médecins rappelle également
son hostilité à l'euthanasie active.
II. LA PRATIQUE ET LE DEBAT
1) L'euthanasie active
Juristes et médecins sont unanimes pour estimer que
l'euthanasie active est illicite et doit le rester
.
Cependant, en
1986
, un groupe de travail composé de professeurs
de droit pénal et de médecine avaient élaboré une
proposition de loi
sur l'euthanasie, aux termes de laquelle
l'article 216 du code pénal (qui prévoit une sanction
allégée lorsque l'homicide est commis sur les instances expresses
et sérieuses de la victime) aurait dû être modifié.
Le texte prévoyait de ne pas punir les auteurs d'homicides commis
à leur demande sur des malades incurables et dont les souffrances ne
pouvaient pas être apaisées. Ces homicides auraient cependant
continué à être considérés comme des
infractions.
2) L'aide au suicide
Le
suicide n'est pas punissable, et l'aide au suicide n'est pas
répréhensible non plus
dans la mesure où celui qui
aide ne prend pas une part active à l'acte et ne peut pas être
considéré comme auteur.
A ce jour, la Cour fédérale suprême considère les
suicides comme des accidents au sens de l'article 323c du code pénal,
qui condamne la non-assistance à personne en danger en cas d'accident,
de danger général ou de nécessité. Par
conséquent, en cas de suicide, seule la non-assistance à personne
en danger est susceptible d'être punie (amende ou peine de prison d'un an
au plus).
En règle générale, la jurisprudence estime qu'après
le passage à l'acte, dans la mesure où le candidat au suicide a
perdu toute conscience et capacité à agir, l'attitude de celui
qui l'a assisté est déterminante pour sa survie. Ce dernier est
donc, selon les circonstances, punissable (pour non-assistance à
personne en danger ou pour homicide sur demande) ou non punissable (pour
complicité de suicide). La doctrine considère que ce raisonnement
conduit à des situations contradictoires.
Dans l'ensemble, la jurisprudence tolère assez largement l'aide au
suicide lorsque le patient est physiquement capable d'accomplir le geste
décisif. En revanche, elle est très exigeante pour
déterminer s'il y a bien eu suicide lorsqu'il s'agit de personnes
très handicapées.
3) L'euthanasie indirecte
Considérée comme un effet secondaire de la lutte contre la douleur , l'euthanasie indirecte est admise aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence. En effet, dans une décision rendue le 15 novembre 1996, la Cour fédérale suprême a affirmé sa préférence pour une mort digne, sans souffrances et conforme à la volonté du patient, par rapport à la perspective d'une courte période de vie dans d'atroces souffrances.
4) L'euthanasie passive
a) Les malades capables de donner un consentement juridique valable
Selon la
jurisprudence et la doctrine, l'euthanasie passive, que la Cour
fédérale suprême définit comme
l'interruption des
soins médicaux intensifs visant uniquement à prolonger la vie
est licite, voire obligatoire, lorsque le patient est d'accord, la
souffrance inéluctable, l'agonie commencée et le
décès prévisible à court terme.
Ceci constitue
une conséquence du droit d'autodétermination, garanti par la Loi
fondamentale.
L'euthanasie passive inclut notamment les actes suivants : non-transfert
dans une unité de soins intensifs, non-traitement d'une nouvelle
complication. En revanche, elle ne peut en théorie pas justifier
l'arrêt des soins généraux comme l'alimentation ou
l'hydratation artificielles. Cependant, la Cour fédérale
suprême, en 1994 (
Kemptener Urteil
), dans une affaire où le
fils d'une septuagénaire dans le coma depuis plusieurs années
avait demandé que sa mère cessât d'être
alimentée de façon artificielle, a admis cette solution sur la
base de la volonté présumée du patient. Le tribunal
régional supérieur de Francfort a pris la même position en
juillet 1998 dans une affaire similaire. Ces deux décisions ont
suscité beaucoup d'émoi, d'autant plus que, dans les deux cas, le
décès n'était pas prévisible à court terme.
A l'opposé, l'arrêt de la respiration artificielle est
communément admis par la jurisprudence, car il est
considéré comme l'interruption d'un traitement.
b) Les malades incapables de donner leur consentement
La Cour
fédérale suprême admet que l'euthanasie passive puisse
être pratiquée sur un
patient incapable de jugement ou
d'expression
. Dans une telle hypothèse, le médecin traitant
doit se fonder sur la
volonté présumée du malade
,
que des opinions précédemment formulées par écrit
ou par oral et des convictions religieuses ou philosophiques peuvent par
exemple permettre de mettre en évidence. Les proches ne peuvent prendre
aucune décision, leurs dires ne constituent que des indices. En cas de
doute, la vie doit être préservée. En revanche, les
testaments de vie, dans la mesure où ils se rapportent très
précisément à la situation concrète dans laquelle
se trouve le malade, constituent pour le médecin un
élément d'appréciation très important. Aucune
condition de forme n'est requise pour l'établissement d'un tel document,
auquel les directives de la Chambre fédérale des médecins
confèrent force obligatoire.
En outre, la loi de septembre 1990 sur les incapables majeurs, entrée en
vigueur le 1
er
janvier 1992 et qui modifie le code civil,
apporte une solution au problème des patients qui ne peuvent plus donner
leur consentement. Elle prévoit en effet la possibilité pour un
incapable de désigner, ou de faire désigner par le tribunal des
tutelles, un
mandataire
habilité à prendre, à la
place de l'intéressé, les décisions dans des domaines
déterminés par avance. En ce qui concerne les décisions
médicales, l'article 1904 du code civil prévoit que l'avis du
mandataire doit être confirmé par le tribunal des tutelles si la
décision prise risque de causer un préjudice important au
patient, voire de provoquer son décès. La Cour
fédérale suprême admet l'utilisation de cette
procédure pour l'euthanasie passive. Cependant, une controverse
juridique s'est développée récemment. Certains voudraient
exclure du champ d'application de l'article 1904 du code civil les
décisions relatives à l'interruption des soins.
* *
*
Deux
événements ont récemment relancé le débat en
Allemagne : la publication au mois de septembre 1998 des nouvelles
directives de la Chambre fédérale des médecins, qui
mettent le droit d'autodétermination du patient au premier plan et
précisent que, dans certaines circonstances, le médecin doit
aider les mourants à mourir dignement, ainsi qu'un jugement, fort
contesté, rendu par le tribunal régional supérieur de
Francfort
(1(
*
))
en juillet 1998. Se
fondant sur le fait que l'intéressée avait émis, à
plusieurs reprises dans le passé, le voeu de ne pas connaître une
longue agonie, le tribunal régional supérieur de Francfort a en
effet estimé que le tribunal des tutelles pouvait donner son accord pour
qu'il soit mis fin à l'alimentation artificielle d'une
octogénaire dans le coma depuis plus de six mois.
A l'occasion de cette affaire, le ministre de la Justice (contrairement
à celui de la Santé) s'est prononcé pour une interdiction
législative explicite de l'euthanasie, afin d'éviter tout risque
de glissement de l'euthanasie passive vers l'euthanasie active.