M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je comprends les propos du sénateur Omar Oili. Nous devrions trouver un compromis pour remédier à la situation de ces enfants qui sont abandonnés par leurs parents sur le territoire mahorais. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme Silvana Silvani. Ces enfants ne sont pas abandonnés. Leurs parents sont expulsés ! Ce n’est pas la même chose…
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. M. le sénateur Omar Oili connaît la situation et sait très bien de quoi je parle. Des enfants sont abandonnés par leurs parents sur le territoire mahorais, comme sur le territoire réunionnais d’ailleurs. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à vous rendre à Mayotte pour constater ce problème de vos propres yeux, car vous semblez vous contenter d’observer la situation depuis Paris.
La véritable question qui se pose est celle de l’expulsion de la fratrie, au sens large. Cette situation appelle deux solutions. Tout d’abord, on pourrait régulariser l’intégralité de ces enfants ; je précise que l’on ne parle pas ici de naturalisation. Or ce n’est pas ce que proposent les auteurs de ce texte, qui n’a pas non plus été amendé en cens.
Monsieur Omar Oili, lorsque vous étiez maire, vous aviez déclaré ne plus vouloir scolariser d’enfants dans votre commune pour alerter l’État sur les problèmes qui se posaient dans votre territoire. Qu’un maire socialiste agisse de la sorte montrait qu’une difficulté majeure se pose pour tous les élus municipaux mahorais, quelle que soit leur couleur politique… Je prends vos responsabilités au sérieux, monsieur Omar Oili. Si vous avez tenu ces propos très forts, d’ailleurs contraires aux règles de la République, c’est bien pour interpeller les pouvoirs publics.
L’autre solution, à l’inverse de la régularisation, consiste à expulser les enfants, indépendamment de leurs parents. Or la loi de la République ne le permet pas. Dès lors, que suggérez-vous de faire au travers de cette proposition de loi ? Il est très difficile de répondre à ce cas pratique.
Il arrive, en effet, que des enfants étrangers inscrits à l’école de la République obtiennent leur baccalauréat avec une mention très bien. On observe des réussites extraordinaires à Mayotte, soit par l’intermédiaire du système scolaire classique, soit dans le cadre du régiment du service militaire adapté (RSMA).
Toutefois, ce n’est pas parce que ces enfants ne sont pas français qu’ils ne peuvent pas faire d’études sur le territoire national. (Mme Evelyne Corbière Naminzo proteste.) Entre l’irrégularité et la nationalité, il y a le statut d’étranger régulier.
Cette proposition de loi ne prévoit pas de ne jamais donner de papiers à des gens qui sont nés à Mayotte. Elle entend simplement empêcher que les enfants étrangers accèdent par principe à la nationalité française. Mais ceux-ci peuvent toujours devenir français, à terme, par l’effet du double droit du sol, du mariage ou de la volonté.
Nombre d’individus deviennent français sans être nés en France ou avoir des parents français. Lorsque j’étais ministre de l’intérieur, je prenais chaque année entre 30 000 et 40 000 décrets de naturalisation. Il s’agit de l’un des plus importants accès à la nationalité dans notre pays. Et il est, me semble-t-il, conforme aux principes républicains depuis le début.
Je le répète, entre l’irrégularité et l’acquisition de la nationalité, il y a la régularisation. Celle-ci permet aux enfants étrangers d’avoir, à 18 ans, un titre de séjour sur le territoire de la République, ce qui est une très bonne chose lorsqu’ils ont un parcours scolaire exemplaire.
Ne faisons pas croire que cette proposition de loi n’accorde aucun droit, à défaut d’octroyer la nationalité française : de nombreux étrangers vivent des dizaines d’années sur le territoire national en situation régulière.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 10 et 12.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 7, présenté par MM. Szczurek, Hochart et Durox, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le titre Ier du livre V du code civil est ainsi modifié :
1° À l’article 2492, après le mot : « Mayotte », la fin de l’article est ainsi rédigée : « , à l’exception des articles 19-1, 19-3, 19-4, 20-5, 21-7 à 21-12, 21-13-1, 21-13-2. » ;
2° Les articles 2493, 2494 et 2495 sont abrogés.
La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Nous avons eu largement l’occasion d’en discuter, les Mahorais connaissent trop bien les conséquences de l’immigration irrégulière : insécurité endémique, difficulté d’accès aux ressources de base, dont l’eau, surpopulation dans les écoles, développement d’un habitat anarchique, et j’en passe.
Il nous faut, pour Mayotte et pour le reste de la France, tarir les sources légales de cette situation. Aussi, nous proposons une mesure simple et symbolique, à savoir la suppression du droit du sol sur le territoire de Mayotte. Libre à chacun de considérer qu’il s’agit d’un amendement d’appel…
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par MM. Szczurek, Hochart et Durox, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 2493 est ainsi modifié :
a) Les mots : « l’un de ses parents au moins résidait » sont remplacés par les mots : « ses deux parents résidaient » ;
b) Les mots : « plus de trois mois » sont remplacés par les mots : « au moins trois ans » ;
2° Le premier alinéa de l’article 2495 est ainsi modifié :
a) Les mots : « de justificatifs » sont remplacés par les mots : « d’un titre de séjour mentionné au titre III du livre II ou au titre II du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, accompagné d’un passeport biométrique en cours de validité et comportant une photographie permettant l’identification du titulaire » ;
b) Les mots : « il réside » sont remplacés par les mots : « ses deux parents résident » ;
c) Les mots : « plus de trois mois » sont remplacés par les mots : « au moins trois ans ».
La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 9 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 7 ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Supprimer le droit du sol à Mayotte nécessiterait de réviser la Constitution.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par Mme Ramia, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
a) Les mots : « l’un de ses parents au moins résidait » sont remplacés par les mots : « ses deux parents résidaient » ;
La parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Cet amendement vise à rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale à l’issue de ses débats.
Des mesures inédites et ambitieuses doivent être mises en œuvre pour lutter contre l’immigration à Mayotte, territoire pénalisé par le titre de séjour territorialisé qui oblige les étrangers à séjourner sur ce seul territoire.
Aucune répartition n’est assurée ni avec le Drom voisin de La Réunion, ni avec l’Hexagone. Dans ces conditions, nous sollicitons une vraie politique de durcissement, à défaut d’appliquer le principe de solidarité qui prévaut pourtant entre tous les territoires européens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je comprends vos objectifs, ma chère collègue : il convient aussi de lutter contre la reconnaissance frauduleuse de paternité, qui est un phénomène en pleine expansion, même si je note que les chiffres du ministère de la justice, notamment ceux qui ont été publiés en 2023, ne sont pas en adéquation avec le ressenti des habitants mahorais quant à ce phénomène.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, la mesure que vous proposez, telle qu’elle est rédigée, est totalement inconstitutionnelle, car elle exclut de facto les familles monoparentales. Il faudrait veiller à ce que l’on n’use pas d’autres voies de contournement si jamais on appliquait cette notion aux deux parents, notamment lorsque le père est en situation irrégulière : on ne viendrait pas chercher un père en situation régulière ou un père français.
Je vous propose, avant la réunion de la commission mixte paritaire, de trouver une rédaction qui tienne compte des familles monoparentales, tout en essayant d’appliquer aux deux parents cette disposition.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Ramia, l’amendement n° 14 est-il maintenu ?
Mme Salama Ramia. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 14 est retiré.
L’amendement n° 15, présenté par Mme Ramia, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
au moins
par les mots :
depuis plus d’
La parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Cette modification serait sans effet sur le fond du dispositif. Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par Mme Ramia, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
au moins
par les mots :
depuis plus d’
La parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Il s’agit également d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Là encore, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article unique, modifié.
(L’article unique est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme Ramia, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Remplacer le mot :
renforcer
par le mot :
encadrer
La parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le ministre, permettez-moi de reprendre à mon compte une question qui vous a déjà été posée : qu’êtes-vous donc en train de faire ?
Ces dernières semaines, nous avons eu droit à la remise en cause du mariage des couples mixtes dont l’un des membres n’était pas en situation régulière ; nous avons allongé les durées de rétention pour les personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ; nous avons touché droit aux allocations des familles étrangères en situation régulière ; aujourd’hui, il est question de durcir les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, avec la possibilité, évoquée durant le débat, d’étendre cette mesure à d’autres territoires.
Tous ces textes ont été examinés sans données et sans étude d’impact illustrant notamment leurs conséquences en termes de flux migratoires, alors que c’est précisément l’enjeu invoqué pour les justifier, et parfois même en dépit des données dont nous disposons. Qu’êtes-vous donc en train de faire, si ce n’est saturer le débat public en désignant les étrangers comme les responsables de toutes nos difficultés ?
Il y a peu de temps, notre pays faisait face à d’autres défis autrement plus pressants, mais ceux-ci semblent désormais oubliés : ce sont les étrangers qui sont pointés du doigt.
Ce que vous faites est extrêmement grave. Nous étions déjà familiarisés avec l’instrumentalisation de la question de l’immigration par l’extrême droite ; nous sommes maintenant forcés de constater que la droite – ou les droites – et le Gouvernement se livrent exactement à la même instrumentalisation.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement dans la procédure accélérée, visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents (proposition n° 343, texte de la commission n° 464, rapport n° 463).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine ce soir la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents, déposée par le président Gabriel Attal.
Vous le savez, nous entamons nos travaux sur ce texte dans un contexte de mutations profondes qui secouent notre société et nous mettent au défi de répondre à l’attente forte de nos concitoyens en matière d’autorité, à une jeunesse à la fois auteur et victime d’actes de délinquance et de criminalité, ainsi que des faits divers récents, qui touchent tous les parents et tous les citoyens.
L’actualité de ces derniers mois, de ces dernières semaines et de ces derniers jours souligne l’importance de faits graves commis par des mineurs, parfois très jeunes, à l’encontre d’autres mineurs, parfois très jeunes également, et qui suscitent toujours l’indignation et l’incompréhension de tous. J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises : si la justice est l’affaire de tous, c’est encore plus vrai de la justice des mineurs. Celle-ci nous concerne tous ; elle intéresse toute la société.
L’État lui-même se révèle trop souvent apparemment défaillant, à la fois dans la protection d’une jeunesse en danger et dans la réponse à apporter lorsque cette jeunesse transgresse les règles qui fondent notre société.
Nous savons que nous pouvons compter sur l’engagement et le travail remarquables de l’ensemble des acteurs qui interviennent dans la chaîne pénale relative à la justice des mineurs : les magistrats, les éducateurs, les greffiers, les avocats, les surveillants pénitentiaires, les acteurs sociaux, ainsi que les policiers et les gendarmes, qui, par leur accompagnement et leur humanité, s’efforcent de recadrer ceux qui sont nos enfants.
Chacun mesure combien notre société est actuellement confrontée à une délinquance des mineurs toujours plus prégnante et à des situations de plus en plus violentes qui heurtent et qui ne sont en aucun cas tolérables.
Force est de le constater, la France n’est pas la seule concernée parmi les pays occidentaux : cette violence des mineurs les touche tous. Selon les statistiques de 2024 basées sur les données remontées par les forces de sécurité intérieure, parmi les personnes mises en cause pour crimes et délits élucidés en 2023, quelque 21 % ont moins de 18 ans. Dans le détail, les mineurs sont plus particulièrement impliqués dans des faits de violence tels que le vol, avec ou sans arme, et les trafics de stupéfiants.
Ces chiffres se doublent de l’impuissance de l’autorité judiciaire, ainsi perçue par nos concitoyens, qui nous oblige collectivement à réadapter nos méthodes d’intervention et de sanction, sans pour autant renier les objectifs premiers de la justice des mineurs : l’éducation et l’accompagnement.
Ne fermons pas les yeux sur les causes de cette délinquance : la précarité, l’isolement et la défaillance de certains parents, les questions migratoires, l’intégration mal réussie, les logements insalubres, les réseaux de prostitution ou de drogue, les structures éducatives qui fragilisent parfois le lien entre le jeune et l’autorité, les parents qui ne jouent pas toujours leur rôle, l’école, les structures culturelles, nous-mêmes, qui parfois ne renforçons pas suffisamment l’autorité, le respect des règles et la reconnaissance des responsabilités individuelles.
Autrement dit, chacun doit assumer sa part de la situation ; les parents en premier lieu, tant on ne met pas au monde un enfant impunément – cela implique des responsabilités pour chacun.
Des parents doivent être sanctionnés, parfois parce qu’ils accompagnent même les actes de délinquance de leurs propres enfants, tant certains d’entre eux ont démissionné face à la violence et aux difficultés de la vie. D’autres, en revanche, doivent être accompagnés. C’est notamment le cas des familles monoparentales, un mot savant pour qualifier les femmes seules, qui travaillent souvent très tard le soir ou très tôt le matin. Celles-ci se retrouvent face à des adolescents auxquels l’autorité du père manque et qui ont besoin de l’État et des acteurs publics.
Il ne s’agit pas de sanctionner les mineurs pour le principe, non plus que les parents, qui seraient ainsi encore plus touchés par le monde qui les entoure. Il s’agit d’éduquer. Des parents sont défaillants, il faut les sanctionner ; des parents crient à l’aide, nous devons les aider.
Il nous faut donc réfléchir collectivement à la réponse à apporter, à chaque mesure et à chaque accompagnement mis en place par notre justice à l’encontre des mineurs qui ont besoin de cadre et qui ont surtout besoin que nous les respections.
Il nous faut réfléchir collectivement à la façon de renforcer l’autorité, qui va de pair avec l’éducation, une éducation sans sanction ne pouvant que mener aux difficultés que nous connaissons.
La délinquance des mineurs est ressentie comme toujours plus forte dans notre débat social, au point d’apparaître comme une tendance inexorable. Gageons que le travail que feront nos deux assemblées permettra à la justice, à l’autorité, de se réaffirmer.
Mon prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, vous a présenté le code de la justice pénale des mineurs (CJPM), qui est entré en vigueur le 30 septembre 2021, avec pour objectif premier de rendre plus lisible et plus cohérent l’ensemble des textes relatifs à l’enfance délinquante.
Cette réforme d’ampleur, que vous avez accompagnée, portait déjà en son sein l’ambition d’une meilleure efficacité dans la lutte contre la délinquance des mineurs, notamment le principe d’un jugement plus rapide de ces derniers. C’est chose faite : les mineurs qui attendaient deux à trois ans, voire plus longtemps encore, pour être jugés devant un tribunal pour enfants, alors qu’ils étaient parfois devenus majeurs, sont désormais en moyenne jugés en moins de neuf mois.
Il reste beaucoup à faire, mais je salue le travail considérable réalisé par le précédent garde des sceaux et par le Parlement, ainsi que par les magistrats et les éducateurs spécialisés, pour prendre en compte cette demande.
La justice pénale des mineurs est régie par trois principes fondamentaux consacrés par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 29 août 2002, et rappelés par l’article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs que vous avez adopté.
Le premier principe est celui de la spécialisation : ce texte ne revient pas, monsieur le rapporteur, sur le principe de la spécialisation des acteurs de la procédure. Les mineurs doivent être jugés par des juridictions spécialisées, selon une procédure appropriée, et c’est une excellente chose.
Le deuxième principe est celui de la primauté de l’éducatif sur le répressif, selon lequel un mineur déclaré coupable d’une infraction doit d’abord faire l’objet de mesures éducatives, puis, seulement si les circonstances et sa personnalité l’exigent, de peines.
Pour autant, l’éducatif seul ne permet pas l’exercice de l’autorité, tandis que le répressif sans l’éducatif pour des enfants n’aurait pas de sens. Il faut donc l’éducatif et le répressif, et non l’un ou l’autre. Monsieur le rapporteur, il me semble que le travail que nous allons mener ensemble privilégie bien ce « et » de coordination, plutôt que le « ou » de substitution.
Le troisième principe est celui de l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, communément appelé excuse de minorité.
Il ne serait ni constitutionnel ni conventionnel de revenir sur la modulation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge ; il faudrait pour cela opérer des changements bien plus profonds dans notre droit. Cette proposition de loi approche toutefois cette question en renversant, d’une certaine manière, la charge, pour savoir si le juge peut ou non écarter l’excuse de minorité dans le cadre du procès.
Les grands principes de rang constitutionnel et conventionnel engagent la France. Quel que soit le gouvernement en place, la France a ratifié et a accompagné la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qui a fêté ses 35 ans le 20 novembre dernier. Il s’agit du texte international le plus largement ratifié au monde, par 196 pays, signe de l’importance et de l’universalité des principes qu’il porte.
Cette convention, notamment son article 40, souligne l’impérieuse nécessité de respecter la spécificité de la situation des mineurs et d’adapter la réponse judiciaire en conséquence.
Pour autant, il importe également de rappeler clairement que ces principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs ne confèrent nullement à ces derniers une quelconque impunité ; ils doivent être conciliés, comme le rappelle le Conseil constitutionnel, avec l’indispensable nécessité de prévenir les atteintes à l’ordre public, notamment l’intégrité des personnes et des biens.
Il s’agit donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de garantir d’une main tremblante, certes, mais ferme, l’autorité de la justice sur les mineurs, tout en respectant les trois principes que j’évoquais précédemment.
Dans le cadre de ces travaux sur la réponse pénale à apporter aux mineurs délinquants, un juste équilibre entre ces principes doit donc être trouvé. Tel est l’exercice délicat auquel nous devons nous prêter dans le cadre de l’examen de cette réforme. Nous l’avons fait à l’Assemblée nationale au cours de débats longs et passionnés, mais toujours respectueux.
Si j’en crois les comptes rendus de votre commission des lois, vous avez vous-mêmes déjà goûté à cet exercice délicat auquel nous allons nous consacrer dans quelques instants. Quoi de plus normal que des débats enflammés, discutés, mais toujours, j’en forme le vœu, éclairés par l’intérêt général s’agissant de la justice pour nos enfants ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, un mineur délinquant doit être puni. Mais un mineur délinquant est aussi souvent un mineur en danger. Agir sur la délinquance des mineurs implique donc également d’agir en amont au titre de la protection de l’enfance, qui est une politique défaillante des pouvoirs publics. Il importe de le rappeler, car la proposition de loi qui vous est soumise aborde les volets pénal et civil.
Le juge des enfants intervient dans ce cadre en ordonnant des mesures d’assistance éducative, sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil, si « la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ».
Cette procédure visant à protéger le mineur intervient indépendamment de la commission d’une infraction par le mineur. Elle peut donc concerner les mineurs qui ont commis une infraction comme ceux qui n’en ont commis aucune.
Les parents et les mineurs doués de discernement sont entendus par le juge des enfants avant que celui-ci prenne sa décision. Et ce magistrat, précise le code civil, doit « toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée ».
Les mineurs délinquants – les émeutes urbaines de 2023 l’ont montré –, ont bien souvent un parcours marqué par des mesures d’assistance éducative, par des mesures de protection d’un mineur isolé, par une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Nombreux sont ceux qui ont subi les conséquences de la déstructuration de leur famille.
Il est donc essentiel, mais je le sais que votre assemblée en est consciente, d’agir sur les deux volets de la justice des mineurs. Ces derniers sont en effet complémentaires, et c’est en agissant sur ces deux volets que nous éviterons, demain, de créer de nouveaux délinquants.
Ce texte permettra, je l’espère, de juger plus vite et de façon plus ferme, mais il dotera également la justice de moyens pour prévenir plus efficacement, en lien avec les départements.
Ces rappels généraux effectués, j’en viens aux propositions de Gabriel Attal, de l’Assemblée nationale et de votre rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs.
La procédure d’audience unique sur comparution immédiate me paraît tout d’abord nécessaire, en dépit des critiques qu’elle suscite.
Lors de l’examen du texte élaboré par votre commission et des amendements qui vous seront soumis, le Gouvernement accompagnera l’élaboration de ce dispositif. Il s’agit, sans tomber dans la démagogie et en tenant compte de la réalité de l’office des juges des enfants, de permettre la rapidité d’intervention qui est essentielle pour limiter les conséquences négatives d’une accumulation de procédures, tant sur les victimes que sur les jeunes en conflit avec la loi.
L’amélioration de la représentativité des tribunaux pour enfants par la modernisation de leur composition est ensuite, vous le savez, une demande du Gouvernement. Je me réjouis que nous puissions débattre des amendements nos 28 rectifié quater et 40 rectifié, qui, dans un premier temps, avaient été déclarés irrecevables. Ce débat sera l’occasion de saluer le travail colossal des assesseurs des tribunaux pour enfants, qui, aux côtés des juges des enfants, enrichissent les décisions de leur compréhension in situ du contexte socio-économique et familial des jeunes qu’ils jugent.
L’enrichissement des mesures éducatives judiciaires provisoires doit enfin permettre de conjuguer fermeté et accompagnement. Cette mesure fait écho au drame qui a touché le jeune Élias et sa famille, à Paris. Les deux jeunes mis en examen étaient bien connus des services de la justice des mineurs. Or la violation des mesures éducatives auxquelles ils étaient soumis n’aurait entraîné aucune sanction.
Telle est l’absurdité de notre système et les difficultés auxquelles il confronte les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les magistrats.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, à une époque où la défiance envers les institutions se fait de plus en plus prégnante, nous devons redonner son autorité à la justice de manière générale, et à celle des mineurs en particulier, tout en garantissant son efficacité sur le terrain et son humanité. La fermeté que nous instaurons est non pas une fin en soi, mais bien la condition indispensable pour restaurer la confiance des citoyens dans notre système judiciaire.
Le sujet qui nous réunit aujourd’hui est donc particulièrement sensible. La justice des mineurs ne peut pas être celle des majeurs, mais les mineurs d’aujourd’hui ne sont pas ceux de 1945. Forts de ces deux certitudes, nous saurons trouver de quoi écrire une loi efficace, qui nous permettra un jugement rapide et protecteur.
Il est des moments où l’on regrette des dispositions absentes d’un texte. En l’occurrence, le Gouvernement aurait souhaité que la protection de l’enfance trouve sa place dans cette proposition de loi. Nous aurons sans doute prochainement l’occasion d’évoquer ce sujet ici même, au Sénat.
Les modifications prévues par votre rapporteur n’emportent certes pas toujours l’adhésion du Gouvernement, mais je ne doute pas que nous trouverons lors des débats une voie d’entente, qui permette de préserver à la fois la force du texte proposé par Gabriel Attal et les enrichissements et l’efficacité souhaités par le Gouvernement, tout en faisant droit à la voix du Sénat, qui a toujours respecté les grands principes constitutionnels et conventionnels…