Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains, soutenu par le Gouvernement, nous propose aujourd’hui de revenir sur le droit du sol à Mayotte, poursuivant ainsi sa confusion progressive, voire sa fusion, avec l’extrême droite (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Après le passage du cyclone Chido, qui a dévasté Mayotte, et face aux terribles problèmes qui touchent le territoire – manque d’investissements chronique fragilisant les services publics, déficit criant de logements décents, absence d’accès à l’eau potable –, certains ici estiment avoir trouvé la solution. Des investissements publics massifs, notamment en faveur de l’hôpital et de l’éducation nationale ? Nullement ! En réalité, le véritable problème est encore et toujours l’immigration… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Depuis 1515, le droit du sol permet à l’enfant d’un étranger né et résidant en France de devenir Français. En 1889, ce principe est devenu un fondement de la République. Patrick Weil a dit : « Le droit du sol républicain, progressif et conditionnel, est tellement au fondement de notre identité nationale que même le régime de Vichy l’a maintenu dans le projet de réforme de la nationalité qu’il avait préparé ».
Mme Corinne Narassiguin. Contrairement à ce que certains prétendent dans notre hémicycle, le simple fait de naître sur le territoire français ne confère pas la nationalité française. Il n’y a aucune automaticité pour les enfants qui naissent sur le territoire mahorais. C’est la double condition cumulative de la naissance couplée à la résidence en France au moment de la demande et pendant au moins cinq années durant l’adolescence, qui permet d’acquérir la nationalité française.
Vous nous proposez donc de violer l’indivisibilité de notre République, après l’avoir fait une première fois en 2018 via la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite Asile et immigration. Depuis plus de six ans, pour qu’un enfant devienne français à Mayotte, il faut qu’au moins l’un de ses parents ait résidé sur le territoire mahorais de manière régulière et ininterrompue pendant plus de trois mois, sous couvert d’un titre de séjour.
En dépit de nombreuses demandes formulées par des parlementaires, il n’existe aucune évaluation du régime dérogatoire mis en place en 2018 qui permette de mesurer l’effet escompté sur l’immigration irrégulière.
Pire, si le nombre des acquisitions de la nationalité française à Mayotte à la majorité a été divisé par trois, celui des étrangers en situation régulière a été multiplié par dix. Quant au nombre de naissances sur l’île, il n’a cessé d’augmenter, avec une hausse de 47 % entre 2014 et 2022. Comment osez-vous sérieusement prétendre qu’il existe une corrélation entre le droit de la nationalité et la lutte contre l’immigration régulière ?
J’ai souvent l’impression, chers collègues de droite, que votre aveuglement vous empêche de vous mettre à la place de ces hommes et de ces femmes qui fuient les Comores et d’autres pays de la région et de vous poser cette question : qu’aurais-je fait dans l’espoir d’une vie meilleure, pour pouvoir accoucher sans risquer ma vie, pour pouvoir offrir à mes enfants une éducation, pour percevoir un revenu décent, pour nourrir ma famille ?
Vous préférez plutôt imaginer ces personnes en train de peser le pour et le contre d’une traversée où elles risquent leur vie en se demandant si leurs futurs enfants pourront bénéficier de la nationalité française… Quelle déconnexion et quel cynisme !
Je le dis à ce gouvernement et à certains qui se croient encore de gauche sur une partie des travées de notre hémicycle : c’est une véritable compromission !
Avec cette réforme, vous violez une fois de plus notre Constitution. L’atteinte manifeste et disproportionnée de cette proposition de loi au droit du sol n’est ni justifiée ni adaptée.
Il n’a jamais été démontré, depuis 2018, que la réforme du droit du sol avait endigué les flux migratoires. Au contraire, elle n’a fait qu’accroître la grande précarité de nombreuses familles et de jeunes privés d’accès à la nationalité française et contraints de survivre sur le territoire. Quant aux visas territorialisés, ils n’ont fait qu’aggraver cette situation, comme notre collègue Saïd Omar Oili l’a rappelé.
Non contents de vos errements passés, vous poursuivez dans cette voie avec entêtement et populisme. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera de nouveau à toute tentative d’atteinte au droit du sol et de violation des droits fondamentaux d’hommes et de femmes, mais surtout d’enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à mayotte
Avant l’article unique
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4, présenté par M. Omar Oili, Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport dressant un bilan de la mise en œuvre des dispositions relatives aux conditions d’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France des enfants nés à Mayotte de parents étrangers telles qu’elles résultent de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Ce rapport évalue notamment l’évolution des flux migratoires à Mayotte depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Absence d’avis du Conseil d’État, absence d’étude d’impact et absence d’évaluation des dispositions de la loi de 2018, qui a porté une première atteinte au droit du sol à Mayotte. Voilà les conditions dans lesquelles nous allons légiférer aujourd’hui, et nous comprenons bien pourquoi : ce texte est d’abord un tract politique ! Il n’a pas pour objet d’apporter une réponse juridique solide aux difficultés que rencontrent Mayotte et les Mahorais.
Avant d’envisager toute modification du droit de la nationalité à Mayotte, la priorité aurait été d’évaluer la loi de 2018 et la restriction du droit du sol qui s’applique depuis le 1er mars 2019 aux enfants qui naissent sur le territoire mahorais de parents étrangers.
Non seulement ces évaluations n’ont pas été faites, mais les demandes en ce sens sont restées lettre morte. Lors de l’examen du précédent projet de loi relatif à l’immigration, les demandes d’évaluation ont été rejetées.
Plus récemment, au mois de janvier dernier, Victorin Lurel et notre ancien collègue Philippe Bas, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, ont rendu un rapport sur l’action de l’État en outre-mer dans lequel ils recommandaient la réalisation d’une étude d’impact sérieuse sur la réforme des modes d’acquisition de la nationalité française par les enfants nés à Mayotte de parents étrangers, adoptée en 2018.
Ce qui paraît évident pour tout le monde ne l’est donc ni pour la commission des lois, qui se retranche derrière le rejet habituel des demandes de rapport, ni pour le Gouvernement, qui, depuis cinq ans, fait obstruction à toute évaluation de la loi de 2018.
Je relève d’ailleurs que le groupe RDPI lui-même, qui défendait le principe d’une évaluation en 2024, a désormais renoncé à cette idée ; c’est absolument regrettable !
La position de notre groupe, elle, n’a pas varié : il est inadmissible qu’une réforme aussi majeure que celle qui vise à restreindre, sur un territoire de la République, les conditions d’accès à la nationalité française soit réalisée sans évaluation sérieuse préalable. Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme M. Vogel, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant la mise en œuvre de l’article 16 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 relative à une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Le rapport dresse le bilan des effets de la mesure sur l’arrivée de personnes migrantes, sur la nature et l’ampleur des fraudes ainsi que sur l’évolution des acquisitions de la nationalité française par le droit du sol à Mayotte.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Dans le même esprit que l’amendement précédent, celui-ci a pour objet que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les effets de la loi de 2018.
On se plaint souvent, au Sénat, d’une régulation excessive, d’une inflation des normes, de l’excès de législation, etc. Aussi, je ne vois pas pourquoi notre assemblée accepterait de durcir une loi qui ne sera pleinement mise en œuvre qu’en 2032 sans avoir une idée objective quant aux effets qu’elle a eus sur les flux migratoires, car tel était l’intention du législateur, ou sur toute autre question.
Les données objectives dont nous disposons aujourd’hui ont plutôt tendance à montrer que la loi de 2018 n’a eu strictement aucun impact.
J’y insiste, il me semble assez curieux que le Sénat ne cherche pas à savoir si l’intention supposée du législateur à cette époque est bien satisfaite aujourd’hui.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, MM. Brossat, Bacchi et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant la mise en œuvre de l’article 16 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 relative à une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Le rapport porte notamment sur les conséquences de la loi sur les droits des enfants, ses effets sur les flux migratoires et l’évolution du nombre de titres de séjour délivrés à Mayotte.
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Par cet amendement, nous demandons que le Gouvernement produise un rapport d’évaluation de la loi de septembre 2018, qui introduisait l’exigence du caractère régulier et ininterrompu de la résidence en France de l’un des parents pendant les trois mois précédant la naissance de l’enfant.
Ce document devra analyser les conséquences de la loi sur les droits des enfants, les flux migratoires et l’évolution du nombre de titres de séjour délivrés à Mayotte.
Le texte que nous étudions aujourd’hui s’inscrit dans la continuité des mesures de 2018 et les renforce, sans que nous les ayons évaluées. Modifier un principe aussi fondamental que le droit du sol nécessite pourtant de juger les impacts d’une telle réforme.
Les premiers résultats dont nous disposons sont les chiffres du ministère de l’intérieur et des professionnels sur le terrain. Ils ne démontrent pas que les durcissements législatifs précédents ont répondu à l’objectif des pouvoirs publics d’endiguer les flux migratoires.
Nous l’avons dit, ce texte nous semble par ailleurs comporter des menaces sérieuses pour les droits des enfants. Voilà pourquoi nous demandons qu’un rapport décrive de manière explicite quel a été l’impact de la loi de 2018 en ce domaine.
J’ajoute que la précarité dans laquelle les enfants vivent à Mayotte est organisée par la République elle-même. Sur les bancs de l’école, ces enfants souffrent de la faim ; ils subissent chaque jour les discriminations de la part de l’État français.
Bref, il est opportun de dresser un bilan de la loi de 2018, afin de légiférer en connaissance de cause, à partir d’éléments concrets.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Chers collègues, vous connaissez la jurisprudence constante de la commission des lois sur les demandes de rapport. L’avis sera donc défavorable.
Néanmoins, il faudra un jour ou l’autre que nous réalisions une étude d’impact sur l’ensemble du dispositif qui sera mis en œuvre dans quelques années. Tel était d’ailleurs le sens du rapport coécrit par Philippe Bas et Victorin Lurel, remis en janvier 2025.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je veux revenir sur ce qui a été dit lors de la discussion générale, notamment sur les visas territorialisés. Si j’ai bien compris, les amendements déposés sur ce sujet par certains sénateurs n’ont pas été jugés recevables par la commission des lois, mais leurs dispositions pourront sans doute être discutées à l’occasion de l’examen d’un autre texte.
Je pense que vous connaissez mon opposition à la fin des visas territorialisés. Je connais bien le sénateur Omar Oili. Aussi, je comprends les raisons qui l’ont conduit à déposer l’amendement n° 4. Ce serait une bonne chose de supprimer les visas territorialisés. Toutefois, ils ne pourront l’être que lorsque la question fondamentale de l’immigration irrégulière à Mayotte aura été réglée.
Nos compatriotes mahorais connaissent des difficultés extrêmement fortes et attendent que la situation s’améliore. Celle-ci dure depuis un certain temps, madame Narassiguin, ces visas ayant été mis en place sous le gouvernement d’Édouard Balladur. Notez que la gauche, qui a été au pouvoir depuis lors au cours de deux périodes de cinq ans, ne les a jamais abolis !
Il serait bon que vous ne soyez pas contre lorsque vous êtes dans l’opposition et pour quand vous êtes aux responsabilités,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est vrai que ce n’est pas du tout votre genre à vous !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. … sans quoi vous risquez de vous voir reprocher une posture politicienne. Il faut faire attention aux propos que l’on tient.
Je peux très bien comprendre que le sénateur Omar Oili formule cette demande, car Mayotte vit des difficultés extrêmement fortes, dues à une immigration irrégulière qui reste bloquée sur l’île. D’ailleurs, cette immigration est en train de toucher l’île de La Réunion, avec son lot de difficultés ; je pense notamment à la situation des mineurs isolés.
Du point de vue du territoire national, il semble que l’on ne peut résoudre le problème des visas territorialisés tant que l’on n’aura pas résolu celui de l’immigration irrégulière. Or cela passe par une modification en profondeur du droit du sol pour les étrangers présents à Mayotte.
À l’avenir, néanmoins, nous aurons de nouveau l’occasion d’évoquer la question des visas territorialisés avec le groupe socialiste, entre autres. Le ministre des outre-mer, Manuel Valls, pourra sans doute exprimer la position du Gouvernement sur ce sujet.
J’émets donc un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article unique
Le titre Ier du livre V du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 2493 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) À la fin, les mots : « plus de trois mois » sont remplacés par les mots : « au moins un an » ;
2° Le premier alinéa de l’article 2495 est ainsi modifié :
a et b) (Supprimés)
c) Les mots : « plus de trois mois » sont remplacés par les mots : « au moins un an ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par Mme Narassiguin, M. Omar Oili, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 10 est présenté par Mme M. Vogel, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
L’amendement n° 12 est présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, MM. Brossat, Bacchi et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 3.
Mme Corinne Narassiguin. Au cours de la discussion générale et de l’examen de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, nous avons largement développé les arguments qui, à nos yeux, justifient le rejet de ce texte.
Au travers de cet amendement, je souhaite vous alerter sur un risque de contournement de l’article 73 de la Constitution. Celui-ci permet d’adapter la législation dans les départements et régions d’outre-mer (Drom), pour tenir compte de leurs spécificités.
Les spécificités et contraintes que connaît Mayotte sur le plan migratoire ne sont contestées par personne ; chacun, ici, en reconnaît la réalité et l’ampleur. Cependant, ce constat n’autorise pas à faire tout et n’importe quoi. Ainsi, on ne peut pas procéder à des adaptations de la loi qui n’ont aucun lien avec les difficultés du territoire. Or c’est exactement ce qui est proposé dans ce texte.
Nous n’allons pas résoudre les difficultés migratoires à Mayotte en remettant en cause le droit de la nationalité. Nous avons d’ailleurs déjà énuméré les éléments qui démentent tout lien entre migration et droits de la nationalité. Certains d’entre vous finissent par admettre qu’il n’y a pas de corrélation. Mais cela n’a pas d’importance, car l’essentiel est de continuer à faire de la politique, plutôt que de résoudre les véritables problèmes à Mayotte, tels que le défaut d’infrastructures…
Vous ne tenez pas compte de la réalité de la migration historique familiale qui existe entre l’archipel des Comores et Mayotte et que nous ne pourrons endiguer ni en mettant fin aux visas territorialisés pour les Comoriens ni en refusant toute politique de développement en faveur des pays de la région, à commencer par les Comores.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 10.
Mme Mélanie Vogel. J’ajouterai aux propos de notre collègue Narassiguin une considération liée à la constitutionnalité du dispositif.
En exigeant une durée minimale de trois mois de résidence régulière pour l’un des deux parents, contrairement au droit commun, on a réduit de trois quarts le nombre de naturalisations fondées sur le droit du sol. C’est considérable !
Les auditions que nous avons menées ont révélé ceci : édicter une obligation de trois ans de résidence et étendre la condition de régularité du séjour aux deux parents est absolument disproportionné et manifestement anticonstitutionnel.
Un délai de résidence d’un an apparaît tout aussi excessif, car, en édictant une durée minimale de résidence de trois mois, nous avons réduit de trois quarts l’exercice du droit du sol dans un territoire de la République où il y a fort à parier qu’il était déjà peu utilisé.
Aujourd’hui, seuls 25 % des immigrés peuvent faire valoir ce droit. En l’affaiblissant encore, on réduit presque à néant son exercice dans l’un des territoires de la République.
Or l’article 73 de la Constitution, qui autorise seulement à adapter certains droits aux situations particulières de certains territoires, n’offre pas la possibilité de supprimer le droit du sol. Ainsi, vous ne pouvez pas utiliser un article qui permet d’adapter l’exercice d’un droit pour vider celui-ci de sa substance.
J’en suis convaincue, imposer un délai de résidence d’un an ou de trois ans ne changera pas grand-chose pour le Conseil constitutionnel, qui déclarera votre dispositif contraire à la Constitution. (M. Jacques Fernique applaudit. – M. le garde des sceaux proteste.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour présenter l’amendement n° 12.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Cet amendement vise à supprimer l’article unique, car celui-ci est contraire à la Constitution, comme nous l’avons dit lors de l’examen de la motion. En effet, instaurer une durée minimale de résidence ininterrompue d’un an pour le parent d’un enfant qui demande l’accès à la nationalité à Mayotte revient à mettre en place un traitement différencié et injustifié, fondé sur l’origine.
Une telle disposition est proprement discriminatoire. Elle va à l’encontre du principe d’égalité entre tous, qui est proclamé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et qui vaut pour tous les êtres humains, dans tous les territoires de la République.
Le plus inquiétant, c’est que ce texte attaque précisément les enfants qui naissent à Mayotte et dont la République française ne veut pas, alors qu’ils ne connaissent qu’elle. En conséquence, ces enfants se retrouvent piégés à Mayotte et ont pour seul sort les bidonvilles, la peur, la faim et la haine.
Il y a moins d’une semaine, nous votions à l’unanimité une résolution visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants. C’était un vote généreux et républicain, qui ne faisait aucune discrimination.
Avec cette proposition de loi, c’est aux droits fondamentaux des enfants que l’on s’attaque. En effet, il est proposé que l’ensemble de leurs droits fondamentaux dépendent de la régularité administrative du séjour de leurs parents. Restreindre l’accès à la nationalité à ces enfants, c’est leur rendre l’accès à l’éducation plus difficile, les affamer et compromettre leur avenir.
Monsieur le garde des sceaux, reconnaître que le problème est celui de la fraude à la reconnaissance de paternité, c’est dire que ce texte est hors sujet et que nous ne nous occupons pas du vrai problème.
Nous refusons que Mayotte et les territoires d’outre-mer deviennent le laboratoire des lois hostiles aux étrangers, dont les enfants sont les premières victimes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Ces amendements de suppression tendent à discuter de nouveau de l’irrecevabilité ou la question préalable.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas juges constitutionnels ; nous devons jouer notre rôle de législateur. Laissons le texte prospérer et voyons ce que dit le Conseil constitutionnel, s’il est saisi. Dans sa décision du 6 septembre 2018, ce dernier précise que l’article 73 de la Constitution permet d’adapter, « dans une certaine mesure », les règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers.
En l’occurrence, je pense que cette proposition de loi est mesurée, au vu des vagues migratoires successives que subit le territoire mahorais.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Des arguments relatifs à l’anticonstitutionnalité du dispositif avaient déjà été opposés à l’obligation de justifier d’une résidence d’au moins trois mois, voulue par Gérard Collomb au travers de la loi Asile et Immigration. Il n’empêche que cette dernière a été validée par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, ce n’est pas parce que l’on annonce que le Conseil constitutionnel va censurer qu’il le fait. La preuve en a été apportée à de multiples reprises.
J’entends votre opposition franche à cette disposition, madame Corbière Naminzo, et je la respecte profondément. Toutefois, je ne puis vous laisser dire que l’on affame les enfants et que ces derniers ne vont pas à l’école. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
En effet, la loi de République exige de scolariser les enfants, même s’ils ne sont pas français et ne possèdent pas un titre de séjour régulier sur le territoire national. Et vous savez très bien que la présente proposition de loi ne revient pas sur ce principe.
À Mayotte, la République est extrêmement généreuse. Compte tenu des difficultés rencontrées sur ce territoire, elle veille à accompagner toutes les personnes, a fortiori les enfants, quelle que soit leur nationalité.
Le service public de la santé est pleinement mobilisé : 90 % des personnes reçues à l’hôpital de Mayotte sont soignées gratuitement par la République française. (Mme Silvana Silvani s’exclame.) C’est tellement vrai que la prise en charge de ces individus est inscrite au budget non pas de l’aide médicalisée de l’État (AME), mais de la sécurité sociale.
Il suffit de discuter avec les élus mahorais pour se rendre compte de l’importance du soutien de l’État.
Vous pouvez évidemment être contre cette disposition, mais abstenez-vous de dire des choses qui sont à la fois horribles et complètement contraires à ce que fait la République.
J’aimerais, madame la sénatrice, que vous puissiez rectifier vos propos sur le fait que l’on affame les enfants étrangers à Mayotte et que l’on ne les scolarise pas. (Mme Evelyne Corbière Naminzo proteste.) Ce dont nous débattons, c’est de la naturalisation. Il n’est pas question que les étrangers n’aient aucun droit, quand bien même ils se trouveraient en situation irrégulière sur le territoire national.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili, pour explication de vote.
M. Saïd Omar Oili. Il est vrai que vous connaissez bien Mayotte, monsieur le garde des sceaux. Vous y êtes venu plusieurs fois et je vous ai moi-même accueilli sur le territoire.
Le problème, c’est que l’on expulse les parents tout en laissant leurs enfants à Mayotte. Ainsi, nous produisons des enfants qui ne sont ni expulsables ni régularisables. (M. le garde des sceaux acquiesce.)
La délinquance est souvent le fait de ces enfants, qui n’ont pas plus de 10 ou 12 ans. Heureusement, nous les scolarisons à Mayotte, en vertu de l’obligation scolaire. Il arrive que ces enfants décrochent leur diplôme du baccalauréat, certains avec une mention très bien. Ainsi, ils pourraient avoir intérêt à poursuivre leurs études dans d’autres endroits du territoire national. Or on leur dit qu’ils ne sont pas Français. Dès lors, ils retombent dans la délinquance.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation très délicate. On pourrait, en soi, expulser les parents avec leurs enfants, mais la loi nous l’interdit. Dans ces conditions, plus de 6 000 enfants abandonnés vivent à Mayotte, souvent dans les poubelles, et causent des désordres.
Nous devons examiner la situation dans son ensemble, car, nous, les Mahorais, souhaitons tout simplement vivre en liberté.