Mme Mélanie Vogel. Dans le plus pauvre des départements français, où les services publics ne sont pas financés, où l’hôpital est totalement saturé, où l’accès aux soins est pratiquement impossible, où il y a tellement d’élèves et si peu de moyens que certaines écoles doivent organiser une rotation dans les classes, et où l’eau potable n’est pas accessible à tous, personne n’a rien à gagner à voir s’effriter l’État de droit et les valeurs de la République.

Mayotte a besoin que la République lui soit utile, et non d’être utilisée pour détricoter la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, contre la motion.

M. Laurent Somon. Nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont déposé une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Nous venons de l’entendre : ils partent du principe que les questions d’accès à la nationalité française sont sans incidence sur la situation de Mayotte. Ils nous disent que seules comptent les lourdes problématiques sociales et économiques affectant ce territoire, ainsi que le différentiel de développement constaté entre l’île et son environnement régional. Ils oublient ainsi les conséquences démographiques de l’afflux de population immigrée – à Mayotte, un habitant sur deux est d’origine étrangère –, de même que son impact en matière de santé et d’insécurité, souligné tant par M. le garde des sceaux que par M. le rapporteur.

Personne, au sein de notre groupe, ne saurait être soupçonné de méconnaître la Constitution. De même, personne ne sous-estime la réalité économique de Mayotte et de sa région, en particulier dans le difficile contexte de l’après-Chido. L’archipel mahorais devra effectivement faire l’objet de mesures législatives spécifiques et ambitieuses. Le moment venu, nous participerons bien sûr pleinement à leur discussion. (M. le rapporteur le confirme.)

Dans l’objet de la motion, il est observé que les lois et règlements ne changeront pas l’équation économique régionale : certes. Mais il ne faut pas pour autant s’interdire d’agir là où c’est possible, là où les Mahorais attendent notre aide.

Nous pensons notamment à l’attractivité du territoire au regard des flux migratoires, auxquels contribue selon nous un régime d’acquisition de la nationalité trop favorable, en tout cas comparativement. Pour cette raison, les élus de notre groupe voteront contre la motion.

J’observe au passage, madame Vogel, que les saignées ont parfois du bon – elles sont encore pratiquées sur les patients atteints d’hémochromatose… Surtout, j’insiste sur le fait que la population de Nouvelle-Calédonie a déjà été appelée à décider de son avenir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Et même par trois fois !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Mes chers collègues, je l’ai moi-même rappelé dans mon propos liminaire, l’acquisition de la nationalité française par le droit du sol n’est pas le seul facteur d’attractivité observé à Mayotte.

S’y ajoute notamment l’économie informelle. Au total, 100 millions d’euros transitent chaque année de Mayotte vers Anjouan, 100 millions d’euros qui manquent cruellement à l’économie mahoraise, alors même qu’en 2024 le taux de croissance de l’île s’élevait à 7 %.

Il faudra s’attaquer à l’ensemble de ces problématiques et, à cette fin, j’ose espérer que le Gouvernement est en train de préparer un projet de loi complétant le présent texte.

Quoi qu’il en soit, personne ne peut nier le facteur d’attractivité que constitue l’acquisition de la nationalité française.

Madame Vogel, vous relevez que le nombre de naturalisations, quoique divisé par trois, passant d’un peu moins de 3 000 à 860, était déjà très faible avant la baisse constatée.

Mais il y a quand même un chiffre encourageant relatif à la maternité de Mamoudzou. Le préfet de Mayotte nous a fait savoir que le nombre de naissances dans cette maternité était passé de 12 000 à 9 000 par an. Ce net infléchissement mérite d’être salué.

À présent, il faut aller beaucoup plus loin dans ce domaine, ce qui suppose d’envoyer un message fort aux Mahorais et, surtout, aux Comoriens : insistons sur le fait que les conditions d’obtention de la nationalité vont se durcir.

Je vous rappelle que la loi de 2018 ne donnera son plein effet qu’en 2032. Mais, d’ici là, les mesures dont nous débattons permettront également de réduire les flux migratoires.

La commission émet évidemment un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Le Gouvernement émet à son tour un avis défavorable, pour les raisons indiquées en réponse à Mme Corbière Naminzo.

Madame Vogel, nous avons déjà eu l’occasion de souligner que cette proposition de loi n’a pas pour but de supprimer le droit du sol à Mayotte. En outre, si le débat relatif au droit du sol est intéressant en soi, vos propos sont contraires à la réalité historique.

Vous pouvez bien sûr opposer ceux qui aiment la Constitution du général de Gaulle et ceux qui ne l’aiment pas, quitte à manier le paradoxe – pour ce qui est de cette Constitution, nos familles politiques respectives ont des positions claires et bien connues… Toujours est-il que le principe républicain, c’est le droit du sang.

Le droit du sol, c’est le droit d’Ancien Régime, le droit du seigneur à disposer de ses serfs. (M. Éric Kerrouche proteste.) Monsieur le sénateur, nous pouvons discuter longuement de ce sujet : je n’y vois aucun inconvénient.

Qui a instauré le droit de la volonté ? Les révolutionnaires de 1789. Selon la législation de 1792, confirmée par la Constitution robespierriste, est Français quiconque est fidèle aux idées de la Révolution. Le droit du sol, puis le droit du sang sont dès lors supprimés. (Murmures sur les travées du groupe CRCE-K.) J’entends diverses réactions à ma gauche, ce qui n’est pas pour me surprendre : je sais combien les communistes sont sensibles à l’évocation de la Constitution de 1793, qui, comme chacun sait, n’a jamais été appliquée… J’ignore s’il faut regretter que Robespierre n’ait pu mettre en œuvre sa Constitution, mais c’est ainsi…

Qui est revenu au droit du sol ? Napoléon Bonaparte. Ce droit a été instauré par le code civil napoléonien pour les seuls besoins de la guerre ; il a été choisi, non pas par la République française, mais par une dictature portant le nom de Consulat, puis d’Empire. On peut discuter longuement de l’héritage que Napoléon a laissé à la Nation, des qualités et des défauts du personnage, une chose est sûre, ce n’est pas un parangon de démocratie…

Après la chute de l’Empire, la monarchie constitutionnelle privilégie le droit du sol. Puis, en 1851, quelques mois avant son coup d’État, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, opte pour le double droit du sol, mêlant droit du sol et droit du sang.

En résumé, il a fallu attendre le début, voire le milieu du XIXe siècle pour que le droit du sol se combine avec le droit du sang, ce droit de la transmission d’inspiration républicaine et révolutionnaire.

Je rappelle que le droit du sol n’est guère appliqué dans les pays qui nous entourent. (M. le rapporteur acquiesce.) Il n’existe ni en Italie ni en Grèce, États de culture latine, et notre propre droit du sol n’est pas, en soi, automatique.

Contrairement à ce que vous avez pu affirmer à la tribune, madame la sénatrice, ce n’est pas parce que l’on naît en France que l’on est Français. À 13, 16 et 18 ans, après un certain nombre d’années passées sur le sol national, il faut manifester sa volonté de devenir Français et formuler une demande à cette fin – je confirme d’ailleurs que cette procédure me paraît, personnellement, trop automatique. Puis la naturalisation peut être accordée par décret.

On peut être attaché au droit du sol : je le comprends très bien. On peut également être attaché au droit du sang et au droit de la volonté. On peut même être attaché à ces trois droits ! J’observe toutefois qu’à travers le monde la majorité des pays démocratiques n’appliquent pas le droit du sol : leurs dirigeants ne sont pas pour autant des amis de M. Trump ou des fascistes en herbe. (Mme Mélanie Vogel le concède.)

Bref, ne caricaturons personne. Ne prétendons pas que le droit du sol est un droit fondamentalement républicain, tandis que le droit du sang serait, lui, d’inspiration fasciste : l’histoire de France nous prouve le contraire.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. Les élus du groupe socialiste voteront également cette motion.

On devine déjà que notre débat va porter sur la nature du droit du sol et sur la nature même de notre République. On voit bien ainsi à quoi sert cette proposition de loi.

Mélanie Vogel l’a démontré : il ne s’agit pas de traiter des conditions de vie à Mayotte, des nombreux problèmes, à la fois réels et insupportables, que l’immigration irrégulière fait peser sur ce territoire. Il s’agit de s’attaquer au principe même du droit du sol. On commence par Mayotte,…

Mme Corinne Narassiguin. … avant de continuer ailleurs ; peut-être dans d’autres territoires d’outre-mer ou dans mon département de Seine-Saint-Denis, où il y a également beaucoup d’immigration. Et, pour finir, on étendra ces dispositions à la France entière.

Monsieur le garde des sceaux, le droit du sol est effectivement antérieur à la République. Sauf erreur, il remonte à 1515. Il a traversé les époques et les régimes. Mais, aujourd’hui, nul ne peut prétendre qu’un quelconque patrimoine génétique détermine le fait d’être Français.

Depuis la République, être Français, c’est faire sien un patrimoine immatériel…

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Oui !

Mme Corinne Narassiguin. C’est adhérer à un ensemble de valeurs et d’idées constituant le projet de la République française.

Nul ne saurait instrumentaliser le fait d’être Français à des fins d’affichage politique. (M. le garde des sceaux manifeste son incompréhension.) Procéder ainsi, c’est faire semblant de résoudre les problèmes.

Mes chers collègues, on ne changera rien aux difficultés de Mayotte en restreignant le droit du sol. Pourquoi ne commencerait-on pas par organiser les migrations régulières avec l’archipel des Comores ? Pourquoi ne parle-t-on pas des accords migratoires que la France et même l’Union européenne devraient nouer avec les pays de la Corne de l’Afrique ?

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Saïd Omar Oili. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.)

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi qui nous vient de l’Assemblée nationale a fait couler beaucoup d’encre et de salive quant aux principes de la République, que je ne saurais bien sûr mettre en cause.

Mon propos sera très pragmatique. Depuis plus de vingt ans, je suis élu local de l’archipel de Mayotte, de ces îles comptant depuis 1841 au nombre des « confettis » de la France.

En matière législative, il faut avant tout tenir compte des politiques publiques que l’on veut encourager.

L’objet de cette proposition de loi est de lutter contre l’immigration clandestine. Au moins douze rapports traitant de l’immigration à Mayotte ont été publiés depuis l’an 2000, que ce soit par l’Assemblée nationale, le Sénat ou la Cour des comptes. En moyenne, un rapport a donc été consacré à ce sujet tous les deux ans. Pas moins de 492 pages ont été dédiées à cette problématique spécifique, contenant 77 recommandations et propositions.

Objectivement, les résultats de la lutte contre l’immigration démontrent l’échec patent de cette politique publique à Mayotte.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi de comparer deux chiffres. Entre 2000 et 2024, soit en près d’un quart de siècle, 338 000 personnes ont été expulsées de Mayotte, si l’on en croit les rapports officiels. Or Anjouan dénombre en tout et pour tout 350 859 habitants. Alors que 99 % des personnes expulsées viennent de cette île, on peut s’interroger sur l’efficacité de cette politique…

Avec cette proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, on nous propose une disposition d’une nouveauté toute relative. En 2018, soit il y a près de sept ans, la loi Asile et Immigration restreignait déjà, à Mayotte, l’accès à la nationalité française.

Mes chers collègues, soyons pragmatiques. Cette disposition législative visait à réduire l’attractivité de Mayotte pour la population venant d’Anjouan. Or, force est de le constater, le nombre de personnes reconduites à la frontière n’a jamais été si élevé que depuis 2019. Malgré mes nombreuses demandes, l’évaluation de ces mesures figurant dans la loi de 2018 est restée lettre morte.

En prétendant limiter l’accès à la nationalité française, on va une nouvelle fois donner de faux espoirs aux Mahorais. Je ne participerai pas à cette opération. Avec cette disposition, on leur vend plus précisément la fin du droit du sol. Or une telle mesure se heurterait à nos principes constitutionnels : on sait très bien qu’elle est impossible en l’état et que ce texte restera sans effet sur les flux migratoires.

Pour ma part, je propose une solution que la population mahoraise soutient très majoritairement : la suppression des cartes de séjour territorialisées pour les étrangers en situation régulière.

Selon les chiffres officiels, près de 90 000 étrangers en situation régulière sont assignés à résidence à Mayotte. Héritage de la législation coloniale, ces cartes de séjour sont une aberration dans un territoire devenu département il y a plus de dix ans, et où une grande majorité des textes législatifs et réglementaires français s’appliquent.

Mayotte ne veut plus être un territoire à statut particulier.

J’avais déposé un amendement tendant à supprimer les cartes de séjour territorialisées ; je ne serai pas en mesure de le défendre cet après-midi, pour des raisons de procédure, mais je ne renoncerai pas à cette bataille.

La semaine dernière, j’ai déposé une proposition de loi visant à la suppression des titres de séjour territorialisés à Mayotte, afin que, dans ce domaine également, notre archipel entre dans le droit commun. Vous aurez prochainement à vous prononcer sur cette mesure, qui aura des effets très concrets sur la vie quotidienne des Mahorais et sera bénéfique pour les finances publiques.

La persistance des cartes de séjour territorialisées est lourde de conséquences : ces titres ne cessent de se multiplier dans notre île, dont les côtes ne sont qu’à soixante kilomètres d’Anjouan. Nous sommes face à une véritable pompe aspirante pour l’immigration vers Mayotte.

M. le président. Il faut conclure.

M. Saïd Omar Oili. Pour mettre fin à l’immigration clandestine, il faut supprimer les cartes de séjour territorialisées.

M. Saïd Omar Oili. Nous aurons évidemment l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Mayotte souffre, et sa souffrance ne date pas du passage dévastateur du cyclone Chido. Elle dure depuis des années, nourrie par une immigration massive, incontrôlée et destructrice de la paix publique comme de la prospérité.

Malgré les visites officielles, malgré les opérations Wuambushu et malgré les promesses répétées, les gouvernements successifs ont failli. Par mépris pour un territoire jugé lointain ou par idéologie, ils ont échoué à protéger Mayotte et ses habitants.

Ce département, le plus pauvre de France, est submergé par une immigration anarchique, abandonné par ceux qui, à Paris, détiennent les moyens d’agir. L’insécurité y est insoutenable, les services publics y sont exsangues et les Mahorais eux-mêmes se sentent étrangers sur leur propre terre.

Qui peut tolérer que des Français vivent ainsi dans la peur des vagues d’immigration clandestine ? Chaque jour, de nouveaux migrants franchissent la frontière maritime depuis les Comores.

La réalité, mes chers collègues, c’est que Mayotte est un territoire au bord de l’explosion. Près de la moitié de sa population est étrangère. Chaque année, des milliers d’enfants y naissent de parents en situation irrégulière, profitant du droit du sol pour obtenir la nationalité française. Les conséquences sont connues : un hôpital saturé, un système social débordé et une criminalité endémique, menaçant le quotidien des habitants.

Ce constat, Marine Le Pen l’a fait depuis longtemps.

M. Christopher Szczurek. En 2018 déjà, elle lançait l’alerte en déposant une proposition de loi spécifiquement dédiée à ce sujet. Elle a écouté la détresse des Mahorais et leur a adressé un message clair : nous ne vous abandonnerons pas. Nous ne vous trahirons pas.

Le présent texte, qui vise à restreindre l’accès à la nationalité française à Mayotte, va dans la bonne direction, mais il reste selon nous insuffisant. Non seulement il arrive tard, mais il n’apporte qu’une réponse partielle à un problème que nous dénonçons depuis des années.

Formons le vœu que la majorité sénatoriale, à l’instar du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, qui, à l’insu de son plein gré, a soutenu un durcissement substantiel de cette proposition de loi, sache saisir cette occasion pour adopter un dispositif efficace.

Pour notre part, nous visons un objectif clair dont témoignent nos amendements : faire de cette disposition, locale en apparence, une réforme d’ampleur nationale. Il est inacceptable que la nationalité française soit bradée, réduite à un simple acquis administratif dépourvu de toute exigence d’intégration.

Être Français est un honneur, une responsabilité et un engagement. C’est pourquoi nous demandons que l’obtention de la nationalité française repose sur des critères stricts et cohérents. On ne doit devenir Français que par adhésion.

Mayotte est aujourd’hui le présage de ce qui menace la France si nous ne réagissons pas. La situation y est hors de contrôle, et elle préfigure ce qui nous attend si nous laissons l’immigration de masse détruire notre cohésion nationale.

Si ce texte, édulcoré pour des raisons que nous comprenons intellectuellement, devait être maintenu en l’état, nous serions contraints de nous abstenir ; et, s’il est jugé inconstitutionnel, cela signifie qu’il faudra modifier la Constitution. Ne soyons pas à la merci de l’« impossibilisme » tant décrié par Bruno Retailleau !

M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis trop longtemps, nos compatriotes mahorais souffrent en silence.

Mayotte traverse une situation dramatique, inédite dans notre République. J’ai pu le constater de visu il y a deux ans, lors d’une visite accomplie aux côtés de Stéphane Le Rudulier et de François-Noël Buffet, alors président de notre commission des lois.

Cette crise dépasse les seuls enjeux migratoires : elle est à la fois sociale, sanitaire, sécuritaire et institutionnelle et met aujourd’hui en péril notre pacte républicain.

Les Mahorais n’en peuvent plus. Ils ont le droit de vivre dignement, en sécurité, et dans le respect des principes qui fondent notre République. Ils doivent bénéficier, au même titre que tout citoyen français, de la justice et de la sécurité.

Or l’immigration irrégulière massive sature les infrastructures de l’archipel. La violence, croissante, et l’économie informelle gangrènent la société mahoraise. Accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation ou encore aux soins : rien n’est garanti, tout est devenu l’objet de luttes quotidiennes.

Avec plus de 10 000 naissances chaque année, Mayotte occupe le deuxième rang des départements français en matière de natalité. Les trois quarts des mères y sont toutefois de nationalité étrangère. Quant au système hospitalier, il y est à bout de souffle. L’hôpital de Mamoudzou croule sous les urgences et les pompiers interviennent pour des centaines d’accouchements hors maternité. La situation n’est plus tenable.

Face à cette réalité, le droit du sol, tel qu’il s’applique aujourd’hui à Mayotte, ne fonctionne plus ; et pour cause, il a été détourné.

Alors que la population vit un enfer, les passeurs, eux, se frottent les mains. Les reconnaissances de paternité frauduleuses sont légion ; on dénombre même parfois plusieurs dizaines de reconnaissances par père.

Mayotte est arrivée à un point de rupture : il est plus que temps d’agir avec responsabilité. Il est de notre devoir de répondre à l’urgence, dans le respect de nos principes constitutionnels – M. le rapporteur l’a souligné.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue une étape nécessaire. Elle vise à adapter les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte. Il s’agit plus précisément d’allonger le délai de résidence régulière des parents avant la naissance, en le portant de trois mois à un an.

Ces mesures ne remettent pas en cause le droit du sol dans son principe : elles visent à empêcher son instrumentalisation, ce qui paraît bel et bien indispensable.

En commission, M. le rapporteur a proposé de s’en tenir au délai d’un an, alors que nos collègues députés ont proposé une durée de trois ans. Il s’agit là d’une question délicate. La situation exige sans doute un délai de trois ans : les élus du territoire ont eu l’occasion de nous le rappeler. Néanmoins, comme l’a relevé M. le rapporteur, un tel délai, sans doute justifié en pratique, ne serait sans doute pas conforme à notre Constitution.

Ce constat doit nous conduire collectivement à mesurer l’urgence de la situation.

Bien entendu, ce texte ne suffira pas à résoudre tous les maux qui accablent Mayotte, mais il constitue un premier pas indispensable. Il nous faudra également renforcer les moyens de lutte contre l’immigration clandestine en exigeant une coopération accrue des Comores. Les infrastructures, notamment le réseau de transport, devront être modernisées, et un nouvel hôpital devra être aménagé.

Enfin – cet impératif vaut à Mayotte comme dans de nombreux autres territoires ultramarins –, il faudra réinterroger le modèle économique local afin de créer de l’emploi et de sortir de l’économie informelle.

Tout ne se fera pas en un jour, mais il faut avant tout restaurer le pacte républicain. Nous le devons à nos concitoyens.

Les Mahorais attendent des actes. La République doit être à la hauteur de ses engagements. Elle doit assurer la sécurité, la justice et l’égalité.

Mayotte est française, et cela nous oblige. Dès lors, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Merci !

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier M. le rapporteur et la commission des lois tout entière du travail accompli sur ce texte.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Très bien !

M. Pascal Allizard. Comme d’autres sujets importants mal gérés par la France, la situation de Mayotte nous revient sous la forme d’une crise grave. Dans l’archipel, nos compatriotes doivent vivre au quotidien dans des conditions de plus en plus dégradées.

Les causes de cette situation sont multiples, mais nous ne pouvons accepter cet état de fait. Ce département est déjà le plus pauvre de France et ses habitants ne sauraient être traités comme des citoyens de seconde zone. Or, lorsque l’État y agit, ses initiatives portent davantage sur la gestion des conséquences que sur les causes réelles et profondes.

Les faits et les chiffres sont pourtant connus et objectivés. Mayotte est devenue la première des maternités de France, mais la moitié des 320 000 habitants de l’île seraient de nationalité étrangère.

Drapeau français en main, les Mahorais ont régulièrement exprimé le mécontentement que leur inspire l’anarchie migratoire régnant sur leur territoire et les désordres qui en découlent – l’insécurité, l’insalubrité, la dégradation de l’environnement et des ressources, l’aggravation des problèmes sanitaires ou encore la saturation des services publics. Les femmes, inquiètes pour elles-mêmes comme pour leurs enfants, sont souvent en première ligne dans ce combat.

Il aura fallu les images terribles prises après le passage du cyclone Chido pour que les Français de métropole voient concrètement l’état de Mayotte, ses collines déforestées où des milliers de familles s’entassent dans des baraquements insalubres et illégaux.

L’accroissement incontrôlé de la population, couplé à l’accélération de bouleversements climatiques suscitant eux-mêmes des flux migratoires, représente un risque majeur pour l’avenir de Mayotte.

Au-delà de l’augmentation des flux, on constate la diversification de l’origine des migrants qui rejoignent ou tentent de rejoindre Mayotte. Si l’immigration provient majoritairement des Comores voisines, on relève l’augmentation des arrivées irrégulières depuis les pays de l’Afrique des Grands Lacs. Compte tenu de leur démographie et de leur niveau de vie moyen, ces États représentent un réservoir de migrants absolument considérable, d’autant que les filières criminelles et leurs trafics y sont bien organisés.

Dès lors, comment limiter l’attraction exercée par Mayotte ? Quand il est question de limiter les flux migratoires, certains – je le sais – préfèrent toujours ne rien faire, ou prétendent que les dispositions envisagées ne changeront rien. Je déplore à cet égard une position idéologique marquée à la fois par un refus du débat et par un déni des réalités.

Outre le différentiel de niveau de vie, les conditions d’accès à la nationalité française d’un enfant et les conséquences qui en découlent sur le droit au séjour de la famille contribuent à l’attractivité du territoire.

Combinés, ces différents facteurs d’attractivité expliquent la situation exceptionnelle que vit Mayotte et qui ne peut qu’empirer si aucune mesure drastique n’est prise.

Aujourd’hui, devant la loi du nombre et dans de telles conditions, il n’est plus question d’intégration ou d’assimilation. Veut-on voir se généraliser les violences entre les populations autochtones et étrangères ou entre les migrants eux-mêmes ? Veut-on tuer l’économie mahoraise ?

Cette proposition de loi n’épuise bien sûr pas le sujet. Elle ne résoudra pas toutes les difficultés structurelles de Mayotte : ce serait trop simple. L’État doit prendre d’autres mesures économiques et sociales en faveur de l’île. En parallèle, peut-être l’aide au développement doit-elle être renforcée dans la région. Mais il faut bien, d’une part, amorcer un mouvement en proposant des solutions opérationnelles et, de l’autre, répondre aux attentes et à l’exaspération des Mahorais.

Nous devons l’admettre, l’exercice est délicat. En vertu de l’article 73 de la Constitution, les lois et règlements peuvent faire l’objet, dans les départements et régions d’outre-mer, « d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

En 2018, le législateur a ajouté une condition spécifique à Mayotte pour l’acquisition de la nationalité par un enfant né de parents étrangers. Il a exigé qu’au moment de la naissance l’un des parents réside en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. Ces dispositions figurent à l’article 2 493 du code civil.

Le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition conforme à la Constitution, en reconnaissant qu’il existe à Mayotte « une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé et croissant d’enfants nés de parents étrangers ». Ces circonstances constituent bien des « caractéristiques et contraintes particulières » au sens de l’article 73 de la Constitution.

Afin de lutter contre l’immigration irrégulière à Mayotte, le législateur peut donc « y adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant l’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France ».

Le texte de la proposition de loi, tel qu’il a été modifié par la commission des lois, prévoit une durée minimale d’un an de résidence régulière en France à la date de naissance de l’enfant, au lieu de trois mois dans le droit actuel et de trois ans dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Une autre modification apportée par la commission, pour limiter tout risque d’inconstitutionnalité, consiste en la suppression de l’application aux deux parents de cette exigence d’une durée minimale.

Enfin, la commission a supprimé l’obligation de présentation d’un passeport biométrique à l’officier d’état civil par le parent étranger, car tous les pays n’en disposent pas.

Il me semble que ces mesures équilibrées devraient contribuer à réduire la pression à Mayotte.

L’autre sujet que je souhaite évoquer est d’ordre géopolitique. Il est lié aux bouleversements de l’ordre mondial en cours.

Ainsi, depuis plusieurs années, certains de nos compétiteurs et leurs vassaux ont développé des stratégies hybrides pour contester notre présence dans certaines espaces géographiques. Ces espaces, d’un intérêt stratégique ou économique réel, sont de plus en plus convoités. C’est le cas de nos outre-mer et de leurs zones économiques exclusives (ZEE), que la France, avec ses moyens modestes, peine à surveiller et à protéger. La présence française dans le sud de l’océan Indien et le canal du Mozambique est ainsi une cible clairement identifiée.

En s’appuyant sur un narratif anticolonial, sur de la propagande et de la désinformation, ces discours façonnent un environnement cognitif hostile à la France. Cela fonctionne : regardons ce qui se passe actuellement dans certaines zones de l’Afrique francophone, voire en Nouvelle-Calédonie.

Chacun a aussi pu observer comment certaines puissances instrumentalisent les flux de migrants vers l’Europe, pour fragmenter les sociétés et créer une situation de chaos. Cette stratégie indirecte, je vous l’assure, n’est pas une vue de l’esprit ; elle figure clairement dans la doctrine d’action de plusieurs pays.

Dans le contexte dégradé de Mayotte, l’immixtion de rivaux stratégiques et leur rapprochement intéressé avec des États voisins ont de quoi inquiéter. Dans leur propre intérêt, ces compétiteurs soutiennent la « restitution » de Mayotte aux Comores, ainsi que celle des îles Éparses à Madagascar. Pour eux, tous les moyens de déstabilisation sont bons, qu’ils soient informationnels, de droit – contestation de la validité du référendum d’indépendance, référence au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes –, ou qu’il s’agisse d’autres actions indirectes.

Dans le climat actuel de tension à Mayotte, tous ces éléments contribuent, d’une manière ou d’une autre, à cette stratégie. Par conséquent, tout ce qui peut être engagé pour réduire les tensions, pour contrôler l’immigration et pour faciliter un retour à la vie normale des Mahorais doit l’être.

Dans ce cadre, cette proposition de loi est, me semble-t-il, un élément important du dispositif à mettre en œuvre. Je vous invite à la voter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)