M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Excellent ! (Sourires.)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. … un durcissement des conditions d’obtention des titres de séjour ; ou encore la conduite d’une politique de coopération avec les Comores pour les accompagner dans un développement intelligent et susceptible de fixer ses populations, notamment sur l’île d’Anjouan.

Toutefois, nous avons aujourd’hui l’occasion d’apporter une première pierre à l’édifice, qui dissuadera sans aucun doute certains candidats à l’immigration, pour qui l’accès éventuel à la nationalité constitue un réel facteur d’attractivité.

C’est pourquoi, mes chers collègues, au bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter la proposition de loi, ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte (n° 467, 2024-2025).

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour la motion.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après le passage des cyclones Chido et Dikeledi, l’heure devrait être à la reconstruction et à un plan d’investissement massif pour Mayotte. La situation de l’île appelle un plan global et cohérent, encourageant le développement économique et favorisant la mise à niveau des services publics.

Mais, en réalité, ces enjeux sont occultés par votre obsession migratoire. Avec une loi visant à restreindre l’accès à la nationalité française, vous ne répondrez en rien aux besoins de la population mahoraise.

Dire aux Mahorais, qui doivent faire face à des difficultés d’accès à l’eau, à la santé, à l’éducation et à tous les services publics qu’une réforme du droit du sol améliorera leur quotidien revient à entretenir une illusion. Retirer des droits aux uns n’augmente pas mécaniquement ceux des autres !

Nous dénonçons cette proposition de loi, que nous jugeons contraire à la Constitution ; c’est pourquoi nous avons déposé cette motion.

Permettez-moi de citer l’article 73 de la Constitution de 1958 : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. »

Mayotte fait partie de la République française. À ce titre, les principes républicains et constitutionnels doivent s’y appliquer, comme dans tous les territoires français, dans l’Hexagone comme en outre-mer.

Ce texte institue une durée minimale de résidence ininterrompue d’un an pour le parent d’un enfant demandant l’acquisition de la nationalité à Mayotte. Si, conformément à l’article 73 de la Constitution, le droit à Mayotte peut en effet faire l’objet d’adaptations, celles-ci doivent être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières du territoire.

Le Conseil constitutionnel a lui-même posé des limites à ces règles particulières dans sa décision de 6 septembre 2018. Il juge que le législateur peut durcir les règles d’acquisition de la nationalité sur l’archipel, mais seulement « dans une certaine mesure ». Or, en l’espèce, cette proposition de loi est parfaitement disproportionnée.

En effet, aucun chiffre ne démontre l’efficacité d’une telle mesure sur les flux migratoires, alors que ses conséquences sur la vie des enfants concernés sont indéniables. Dès lors, comment la justifier tout en prétendant respecter la Constitution ? La disproportion est trop manifeste pour le permettre.

Du fait de cette entorse à l’article 73 de la Constitution, les dispositions de la présente proposition de loi deviennent discriminatoires, en ce qu’elles mettent en œuvre un traitement différencié et injustifié, fondé sur l’origine.

Aussi ce texte contrevient-il également au principe d’égalité entre tous, ancré dans notre droit depuis l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

Cette égalité vaut non seulement pour tous les êtres humains, mais aussi pour tous les territoires de la République, comme le dispose le seizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion. »

Édicter des dispositions discriminatoires et spécifiques au seul territoire mahorais, c’est, en substance, renouer avec une approche coloniale de la nationalité française. Nous refusons de revenir à un droit de la nationalité discriminatoire en outre-mer !

Je tiens à insister sur le caractère disproportionné et inefficace de ce texte.

Nous n’avons pas besoin de prévoir un nouveau durcissement de la loi Asile et Immigration de 2018. Celle-ci dispose qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière depuis trois mois. Mais qui choisit le lieu de sa naissance ? Qui est responsable de la situation administrative de ses parents lorsqu’il naît ?

Par ailleurs, cette loi de 2018 n’a jamais eu le moindre effet sur les migrations. Le ministère de l’intérieur assure que le nombre d’acquisitions de la nationalité française a été divisé par trois, passant de 2 900 en 2018 à 860 en 2022. Or les flux migratoires, eux, se sont intensifiés depuis.

En réalité, l’accès à la nationalité est loin d’être la principale cause des migrations. Par le biais de cette proposition de loi, vous souhaitez dissuader les mères étrangères de venir donner vie à Mayotte. Mais la réalité, c’est qu’aucun étranger ne consultera les dispositions de ce texte avant d’immigrer à Mayotte !

Ce qui motive le départ pour cette île, c’est l’espoir d’une vie meilleure, le rêve de voir ses enfants aller à l’école, la peur, aussi, de mourir en accouchant si on le fait à l’endroit où l’on vit. L’acquisition de la nationalité n’est pas le principal levier d’attraction, et la limiter ne produira aucun effet dissuasif sur les personnes émigrant vers Mayotte.

En restreignant l’accès à la nationalité, vous ne ferez qu’augmenter le nombre de personnes en situation irrégulière à Mayotte ; vous ne ferez que créer de la clandestinité ! Et créer de la clandestinité, c’est augmenter la précarité.

Je rappelle que les résidents étrangers sont, pour la moitié d’entre eux, en situation régulière, et vivent à Mayotte depuis longtemps. Ils occupent des emplois formels. Ils assument des tâches difficiles et essentielles, dans les champs ou sur des chantiers. Ceux à qui l’on refuse des papiers doivent occuper des emplois informels, dans des conditions de travail indignes et illégales.

Je profite également de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour dénoncer une irrégularité créée artificiellement par le manque d’accessibilité des services préfectoraux. Depuis deux ans, la préfecture de Mayotte ouvre rarement ses portes. Cette restriction s’ajoute à la dématérialisation des demandes de titres et à l’obligation de prendre les rendez-vous en ligne. Entraver une personne dans sa démarche de régularisation revient à aggraver sa précarité, à l’exclure de la société et à la plonger dans la clandestinité.

Nous dénonçons une proposition de loi contre-productive. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2018, le nombre d’acquisitions de la nationalité a baissé. Je vous le demande, en quoi cela a-t-il amélioré la situation de l’île ? Quels progrès cela a-t-il permis en matière d’accès à l’eau et aux services publics ou de droit à la santé et à l’éducation ?

Pendant que nous discutons de ce texte, nous passons à côté des enjeux majeurs. Nous ne résolvons en rien le problème central de Mayotte, à savoir le sous-investissement de l’État dans tous les domaines. Je rappelle qu’il s’agit du département le plus pauvre de France : 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, soit une proportion cinq fois plus élevée qu’en métropole. Et jusqu’à présent, aucune solution politique n’a été apportée !

À Mayotte, les services de santé sont saturés. Les élèves n’ont cours que sur une demi-journée, à la faveur du système de rotation mis en place dans les écoles. Le droit de disposer de moyens convenables d’existence n’est ni réel ni prévu. Le même constat vaut pour le droit à l’instruction de tout enfant. Que fait l’État pour garantir ces droits à Mayotte ?

Je rappelle aussi que Mayotte est le département de l’injustice sociale et des promesses non tenues. Les droits sociaux y sont bafoués : les allocations familiales, les allocations aux personnes en situation de handicap et le revenu de solidarité active (RSA) n’y sont pas toujours versés.

Estimer, comme vous le faites, que l’immigration comorienne menace la culture mahoraise, c’est faire fi de l’histoire du peuple comorien. Comoriens et Mahorais partagent une même culture, une même langue, une même religion, une même organisation matrilinéaire. Tous les Mahorais ont de la famille aux Comores, et nombreux sont les couples mixtes.

Il n’y a nul besoin d’un nouveau durcissement du droit du sol à Mayotte. Il nous faut trouver des solutions concrètes pour relever les immenses défis auxquels les Mahorais sont confrontés.

Au moment où le Premier ministre évoque un sentiment de « submersion migratoire », nous pensons que ce texte menace le droit du sol partout sur le territoire français. Des associations déplorent que les territoires ultramarins soient devenus des laboratoires de la dégradation des droits, où l’on teste des mesures hostiles aux étrangers.

Nous défendons par conséquent une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à cette proposition de loi qui porte de graves atteintes aux droits et libertés que notre Constitution garantit, ainsi qu’à nos principes d’égalité et d’indivisibilité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, contre la motion.

Mme Frédérique Puissat. Nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ont déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Nous sommes évidemment, cela ne surprendra personne, en désaccord avec eux. Je rappelle que ce texte vise à adapter le droit de la nationalité pour les enfants nés de parents étrangers sur le territoire mahorais.

Située au milieu du canal du Mozambique, Mayotte est sujette à d’importants flux migratoires en provenance non seulement des Comores, mais aussi d’Afrique continentale. Comme cela a souvent été évoqué, la maternité de Mamoudzou est la première de France en termes de nombre de naissances. L’intensité de ce qui s’y passe est absolument unique dans le pays.

Nous considérons que, sans être l’unique facteur d’une situation éminemment complexe, les conditions d’accès à la nationalité française par le mécanisme du droit du sol ont contribué à renforcer l’attractivité de ce territoire comme destination de ces flux.

Une telle situation présente donc clairement des caractéristiques et contraintes particulières à un territoire ultramarin au sens de l’article 73 de la Constitution. Dans ces conditions, l’intervention du législateur, afin de procéder à un aménagement du droit en fonction des réalités locales, est pleinement justifiée.

En outre, en prolongeant de trois mois à un an la durée de séjour sur le sol mahorais exigée des parents, cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans la continuité du droit actuel.

Comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 septembre 2018, portant précisément sur le dispositif en vigueur, ce dernier ne méconnaît ni le principe d’égalité devant la loi ni les exigences découlant de l’article 1er de la Constitution. De la même manière, il ne méconnaît nullement le seizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ou le droit de mener une vie familiale normale.

À notre sens, aucun risque d’inconstitutionnalité ne pèse donc sur ce texte. Aussi, notre groupe votera contre cette motion, et nous invitons tous nos collègues à en faire de même, afin que la discussion puisse se tenir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. J’aurais pu comprendre qu’une telle motion soit déposée sur le texte, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, tant la durée de trois ans paraissait totalement disproportionnée. Cela a d’ailleurs été dit et redit en commission.

Mais nous nous sommes attachés à sécuriser juridiquement le dispositif proposé. Je rappelle que l’article 73 de la Constitution permet d’adapter les règles d’accès à la nationalité dans un territoire spécifique tel que celui de Mayotte.

En ce qui concerne la proportionnalité du dispositif, nous avons réduit de trois ans à un an – je le répète – la durée du séjour régulier en France du parent, et nous avons réfléchi à la meilleure manière de ne pas exclure les familles monoparentales, même si nous ne sommes pas parvenus à une solution satisfaisante en commission.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cette motion. Je serai bref, car mon propos liminaire constituait une forme de réponse à l’intervention de Mme Evelyne Corbière Naminzo. Je formulerai simplement trois remarques.

Tout d’abord, personne ne prétend que la question de la naturalisation serait le seul problème de Mayotte. L’archipel est confronté à bien d’autres difficultés. Si l’on n’y émigre pas pour la seule naturalisation, on le fait aussi pour cela. Ce serait ne pas voir la réalité que de ne pas le reconnaître.

Du reste, il est positif que la société française soit attractive. Cela montre que nous sommes une vraie démocratie, où l’égalité des droits est assurée et dont le système social est performant. Bien sûr, nous comprenons pourquoi des personnes émigrent à Mayotte. Nous savons qu’elles ne le font pas de gaîté de cœur.

Mais ne pas voir, madame la sénatrice, que l’ensemble des services que vous avez évoqués – l’école, l’eau, la santé, la sécurité – et l’égalité des chances sont compromis, parce que la population d’origine étrangère est trop nombreuse, c’est refuser de voir ce que nous disent les Mahorais eux-mêmes !

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ce n’est pas vrai !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C’est tellement vrai, madame la sénatrice, que cela fait longtemps que la République essaie de restreindre l’accès à la nationalité de droit dans plusieurs autres territoires. À cet égard, je vous invite à vous rappeler les positions de Manuel Valls sur la Guyane lorsqu’il appartenait à un gouvernement que vous avez soutenu.

Ensuite, je m’étonne de vous entendre dire que le principe d’égalité d’accès à la nationalité doit s’appliquer partout sur le territoire national pour tous les peuples d’outre-mer. En effet, vous ne semblez pas défendre cette position lorsque nous parlons de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française…

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ce n’est pas la même situation !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Vous avez vous-même défendu des restrictions d’accès à la nationalité très fortes, par exemple, en Nouvelle-Calédonie. Pourtant, l’universalité pour laquelle vous plaidez devrait vous inciter à apporter les mêmes réponses partout sur le territoire national ! Je crains que vous ne changiez de position idéologique selon que l’on parle de Mayotte ou de la Nouvelle-Calédonie…

Soit dit en passant, je n’ai pas compris le parallèle que vous avez fait avec les Comores, comme si ceux-ci avaient raison de revendiquer le territoire mahorais, ce qui, j’imagine, n’est évidemment pas votre opinion en tant que sénatrice de la République. (Mme Evelyne Corbière Naminzo fait un signe de dénégation.)

En tout état de cause, l’intégralité des familles politiques qui sont représentées dans cet hémicycle ont soutenu la restriction de l’accès à la nationalité en Nouvelle-Calédonie.

Enfin, ne pas voir, madame la sénatrice – vous ne l’avez pas dit une seule fois, et je le regrette ! –, que des fraudes, nombreuses et organisées, sont commises en matière de reconnaissance d’enfants, c’est ne pas regarder la vérité en face à Mayotte ! Il est non plus seulement question d’immigration et d’accès à la nationalité, mais tout simplement de fraudes !

J’ai dénoncé à plusieurs reprises une forme d’hypocrisie qui a cours dans la société mahoraise vis-à-vis de ces comportements frauduleux, qui doivent être condamnés. D’ailleurs, lorsque j’étais ministre de l’intérieur, la police judiciaire a démantelé à trois reprises de tels réseaux frauduleux à Mayotte, y compris impliquant certains élus locaux.

Ne pas voir que des pères, qu’ils soient Français ou étrangers en situation régulière, reconnaissent des centaines d’enfants par de faux certificats de paternité, c’est évidemment ne pas voir l’exploitation que l’on fait de ces gamins et de ces femmes !

Pour toutes ces raisons, il est temps d’adopter la présente proposition de loi. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Allez-y ! Allez voir !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. Le groupe socialiste votera cette motion d’irrecevabilité. Si je reconnais le travail qui a été réalisé en commission par M. le rapporteur pour éliminer une grande partie des dispositions manifestement inconstitutionnelles du texte, dans sa rédaction issue des débats à l’Assemblée nationale, nous doutons toujours de la constitutionnalité de cette proposition de loi en l’état.

Nous nous interrogeons tout particulièrement sur l’interprétation qui est faite de l’article 73 de la Constitution. En effet, il reste à établir qu’il existe un lien véritable et des effets réciproques manifestes entre l’immigration irrégulière et la modification des conditions d’accès au droit du sol. Nous aurons le temps d’en parler plus longuement au cours de la discussion.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué d’autres territoires d’outre-mer, notamment la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Or vous êtes trop fin connaisseur de vos dossiers pour faire une comparaison aussi irresponsable : la situation de la Nouvelle-Calédonie n’est en rien comparable à celle de Mayotte !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Ce ne sont pas des Français ?

Mme Corinne Narassiguin. Lorsqu’il a été question de toucher au droit du sol dans le cadre des accords de Nouméa, c’était non pas pour s’attaquer à l’identité française, mais pour protéger l’identité kanake. Il s’agissait d’un processus de décolonisation et de construction de la citoyenneté calédonienne.

Cela n’a rien à voir avec la situation du territoire de Mayotte, qui a choisi de rester français et d’entrer pleinement dans notre République indivisible en devenant un département. Dès lors, ses habitants doivent pouvoir jouir de la totalité des droits fondamentaux de la République, et en particulier de l’accès à la nationalité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mme M. Vogel, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, d’une motion n° 2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte (n° 467, 2024-2025).

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Annie Le Houerou applaudit également.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur cette proposition de loi, parce que nous considérons que son examen ne devrait pas avoir lieu.

En effet, on ne peut pas légiférer sur des fantasmes ni encadrer des mythes. Or c’est bien ce qu’il nous est proposé de faire aujourd’hui : traiter d’un sujet dépourvu de réalité. Je parle non pas de la pression migratoire à Mayotte – qui existe –, mais de l’attractivité qu’y exercerait le droit du sol, qui supposerait qu’il existe un lien entre ce droit, pilier de la République, et la réalité migratoire sur ce territoire.

Il n’en est rien ! Et ce n’est pas moi qui le dis, c’est la réalité implacable des chiffres, que l’on peut parfaitement vérifier en étudiant les effets de la loi Asile et Immigration de 2018. Celle-ci, qui procédait du même raisonnement consistant à imaginer un lien entre le droit de la nationalité et l’immigration, a durci les règles d’accès à la nationalité française à Mayotte.

Elle prévoit ainsi, par dérogation au droit commun, qu’un enfant né à Mayotte ne peut obtenir la nationalité française au titre du droit du sol que si, à sa naissance, l’un de ses parents résidait en France régulièrement depuis au moins trois mois.

Que s’est-il passé depuis la promulgation de cette loi ? Indiscutablement, le nombre d’acquisitions de la nationalité française par le droit du sol a diminué à Mayotte. En effet, cette réforme a fait chuter de 72 % le nombre de personnes naturalisées. C’est une baisse considérable ! Ce chiffre est passé – et c’est là que cela devient intéressant – de 2 900 en 2018 à 860 en 2022.

Permettez-moi de m’arrêter un instant sur ces chiffres : 2 900 personnes naturalisées avant la loi, 860 actuellement ; autant dire presque personne avant, et quasiment personne après ! Le phénomène dont nous parlons et sur lequel vous considérez qu’il y a urgence à agir, c’est que, sur un territoire où se trouvent environ 50 % d’étrangers, soit 150 000 personnes, 860 individus ont acquis la nationalité française par le droit du sol en 2022, soit 0,57 % du nombre total d’étrangers…

La loi de 2018 a donc eu pour effet d’empêcher 2 000 personnes par an de devenir françaises. Et c’est bien le seul effet qu’elle ait jamais eu ! En effet, la part des étrangers présents sur le territoire mahorais est restée stable, autour de 50 % de la population.

Le nombre d’enfants nés à Mayotte de parents étrangers n’a pas diminué, bien au contraire. En 2022, le nombre de nouveau-nés ayant une mère étrangère était même supérieur de 14 % par rapport à 2018. En 2023, le nombre d’étrangers interpellés en mer a augmenté de 128 % par rapport à 2020. Cela prouve bien l’absence totale d’impact de la réforme sur l’attractivité du territoire mahorais.

En revanche, il est vrai que la loi de 2018 a alimenté la clandestinité forcée et le trafic des reconnaissances de paternité. Évidemment, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne fera qu’aggraver cette situation.

Pour résumer, cette loi a bel et bien eu un effet sur le phénomène très résiduel de l’accès à la nationalité par le droit du sol à Mayotte, puisque l’exercice de ce droit y est désormais quasi nul – il ne concerne que quelques centaines de personnes par an –, mais elle n’en a eu aucun sur le phénomène migratoire à proprement parler. Aucun !

Ni le durcissement du droit du sol ni les autres dispositions tendant à durcir les politiques migratoires n’ont eu le moindre effet sur le phénomène migratoire. Mayotte est à la fois le département français dans lequel la politique migratoire est la plus sévère – absence d’aide médicale de l’État (AME), absence d’effet suspensif des obligations de quitter le territoire français (OQTF), enfermements et expulsions massives, titres de séjours territorialisés, etc. – et celui qui est le plus concerné par l’arrivée de personnes migrantes.

Cet arsenal juridique dérogatoire du droit commun n’a pas d’effet dissuasif : les flux ne varient pas selon ses évolutions. Car, que ce soit vers Mayotte ou ailleurs, les gens n’émigrent ni pour le droit du sol, ni pour l’AME, ni pour une quelconque prestation sociale !

C’est encore plus vrai à Mayotte : bien qu’il s’agisse du département français le plus pauvre, son PIB reste huit fois plus élevé que celui des Comores. Ceux qui y émigrent cherchent avant tout une terre de sécurité matérielle, même toute relative. En effet, l’archipel est situé dans la même zone que certains des États les plus pauvres de la planète, d’où proviennent l’écrasante majorité de ses résidents étrangers, en situation régulière ou non.

La peur viscérale de mourir en couches, l’impossibilité de scolariser ses enfants ou de les nourrir à leur faim, en somme, la certitude d’une vie bien pire, rendront toujours davantage acceptable de vivre dans la misère au sein d’un bidonville mahorais, fait de tôles et de pneus et risquant d’être arraché par les cyclones, que de rester dans son pays d’origine. Aucune réforme législative ou réglementaire relative à la nationalité ne pourra changer cela !

C’est d’ailleurs ce qu’indique, en creux, le rapport de la commission des lois du Sénat sur ce texte : « Si cette réforme – celle de 2018 – a permis de diminuer le nombre d’acquisitions de la nationalité française au titre du “droit du sol” à Mayotte, force est de constater que la pression migratoire n’a pas été pour autant endiguée. » Nous sommes donc d’accord, la réforme de 2018 n’a eu aucun effet !

Pourtant, le texte du rapport poursuit ainsi : « Dans ce contexte – le contexte étant, je le répète, que cela n’a aucun lien –, la [présente] proposition de loi tend à durcir à nouveau, à Mayotte, les règles d’acquisition de la nationalité française. »

Je traduis : cela n’a aucun effet, donc allons un peu plus loin… Ce raisonnement me fait penser à celui qu’ont adopté certaines personnes pendant la guerre froide et qui consistait à répondre aux critiques sur les régimes communistes par un : « si le communisme ne fonctionne pas, c’est que l’on n’est pas allé assez loin dans le communisme ! »

C’est un peu dans la même logique que les saignées qui étaient pratiquées autrefois : lorsqu’un patient était malade, on lui faisait une saignée ; si son état se dégradait, on lui faisait une plus grosse saignée encore. Sauf qu’à l’époque, on ne savait pas que cette pratique était idiote. Dans le cas qui nous occupe, on le sait !

Je suis convaincue que vous savez très bien que le droit du sol n’a pas de lien réel avec la pression migratoire. Aussi, une question se pose : pourquoi proposez-vous de restreindre le droit du sol à Mayotte ?

Je pense que vous le faites pour deux raisons.

La première, c’est que vous souhaitez vous attaquer au droit du sol tout court. Vous le faites non pas pour éviter 860 naturalisations par an, mais pour rendre acceptable, petit bout par petit bout, la remise en cause de l’un des fondements de la République qu’est le droit du sol.

Et pourtant, « un enfant né en France est Français. C’est notre histoire. C’est notre tradition. C’est comme ça que la France est devenue un grand pays. » Ces mots sont de… Nicolas Sarkozy.

La seconde raison, c’est que vous avez adopté une stratégie constante et persistante de fragilisation de l’État de droit en France. Cela fait des semaines que nous devons examiner, au Sénat, parfois plusieurs fois par semaine, des propositions de loi venant de la droite, du centre ou du camp présidentiel, qui comportent des mesures manifestement inconstitutionnelles : allonger le maintien en rétention de personnes condamnées ; créer une condition de durée de résidence pour obtenir des prestations sociales ; complexifier l’exercice du droit de vote pour les personnes emprisonnées ; interdire le mariage lorsque l’un des futurs époux est en situation irrégulière sur le territoire français ; interdire le port du voile dans le sport.

Aujourd’hui, vous proposez de réduire à néant, de fait, le droit du sol dans un territoire de la République. Ce faisant, vous vous inscrivez dans la droite ligne de l’un des premiers actes signés par Trump après son investiture.

Vous le faites non pas parce que vos connaissances en droit constitutionnel seraient défaillantes, mais parce qu’au fond la Constitution et ses principes vous dérangent. (M. Akli Mellouli applaudit.) Le cœur de votre projet est incompatible avec notre loi fondamentale, alors vous racontez aux Français que la Constitution de la République est un obstacle, et vous le matérialisez.

Or la Constitution est un rempart contre les discriminations, contre le racisme et contre l’arbitraire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

Dans votre fuite en avant décomplexée vers la remise en cause de ce qui a fait ce dont la France peut être la plus fière, épargnez, s’il vous plaît, les Mahoraises et les Mahorais ! Mayotte ne mérite pas d’être ainsi instrumentalisée.