M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je m’exprime aujourd’hui en tant que représentante de Mayotte, un territoire confronté à une pression migratoire et à un traitement de la question migratoire sans équivalent dans notre République.

Plus de la moitié des habitants de Mayotte sont étrangers, et la population de l’île a augmenté de 43 % en dix ans. Ce taux est souvent considéré comme étant sous-estimé, tant l’ampleur de l’immigration illégale fausse les données démographiques et masque les besoins réels de la population mahoraise.

Cette situation compromet également l’accès légitime des Mahorais et des Mahoraises aux infrastructures publiques essentielles.

Mayotte, territoire français, suffoque sous la pression.

L’article unique de ce texte, qui vise à porter à un an la durée minimale de séjour régulier en France exigée de l’un des deux parents étrangers d’un enfant né à Mayotte pour l’acquisition de sa nationalité française, a crispé les débats.

D’abord, ce dispositif a été modifié, afin de revenir sur le délai de trois ans voté par l’Assemblée nationale. Du fait du risque d’inconstitutionnalité, nous avons mis un terme à l’espoir de tout un peuple d’obtenir un changement subséquent de l’actuelle politique migratoire.

À titre personnel, je reste sceptique quant à l’efficacité de cette réécriture de l’article unique pour revenir à l’objet initial du texte. Toutefois, il faut le reconnaître, le délai d’un an retenu par la commission reste un progrès par rapport à la période minimale de résidence actuelle de trois mois. Cette évolution témoigne d’un léger sursaut, consécutif à la mise à l’épreuve de nos services publics et de notre cohésion sociale.

Puisqu’il faut convaincre par l’exemple, je rappelle qu’en 2022 le centre hospitalier universitaire (CHU) de Mamoudzou, plus grande maternité de France et d’Europe, a enregistré plus de 10 000 naissances. Ce flux organisé contribue à l’aggravation de la précarité sociale, 77 % des habitants de Mayotte vivant sous le seuil national de pauvreté.

Par ailleurs, la suppression de l’exigence de résidence pour les deux parents, une décision qui vise à éviter toute discrimination à l’égard des familles monoparentales, soulève des inquiétudes.

En effet, l’une des raisons pour lesquelles le rapporteur a souhaité rétropédaler est pourtant déjà très prégnante sur le terrain. Ainsi, le recours à un père de nationalité française le temps d’un instant, celui de la reconnaissance administrative de l’enfant à la mairie, est un business lucratif qui prospère aujourd’hui à Mayotte et est bien connu des mères en situation irrégulière. Ne vous méprenez pas, les reconnaissances frauduleuses de paternité sont déjà largement répandues dans les circonstances actuelles.

Le retour à la rédaction initiale du code civil nous laisse penser que la réforme annoncée a été délaissée au profit d’un simple agencement des règles existantes. L’ambition s’est égarée en chemin…

Nous aurions espéré, si le véhicule législatif avait été prévu pour cela, et en écho à l’attente réelle des Mahorais, satisfaire à la nécessité la plus ultime, celle de la suppression du titre de séjour territorialisé.

Je le rappelle pour mémoire, Mayotte n’est ni un bagne ni un camp. La souveraineté de l’île est encore moins en discussion. Nous avons une fierté, celle d’ambitionner un avenir radieux au sein de la République.

Aussi, j’appelle le Gouvernement à se saisir de cette demande de réforme dans le cadre du futur projet de loi pour Mayotte, actuellement en cours de préparation. Car, sans une réponse de fond à cette problématique, tous les efforts des uns et des autres seront vains.

Pour faire face à la saturation à laquelle Mayotte est confrontée et dans l’attente d’un projet de loi téméraire, cette proposition de loi constitue, par défaut, une réponse partielle. Ce texte traduit la volonté de l’État de lutter contre l’immigration illégale sur un plan administratif.

Malgré les réticences que j’expose, la présente proposition de loi permet de poser un premier jalon. Celui-ci devra être complété par des moyens encore accrus sur le terrain pour endiguer les flux migratoires et, enfin, répondre à la demande initiale des Mahorais, qui luttent pour se réapproprier leurs terres et leurs droits.

Dans un esprit de responsabilité, en tant que cheffe de file du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, je vous invite à voter en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « la France est une République indivisible ». Une phrase, six mots d’une concision et d’une précision exemplaires, inscrits à l’article 1er de notre Constitution.

Ce n’est pas une simple formule. Ce n’est pas un concept juridique à géométrie variable, même si nous connaissons tous l’article 73 de notre loi fondamentale, qui instaure une faculté d’adaptation de notre corpus législatif.

Tout raisonnement juridique repose sur ce que l’on appelle le syllogisme. Cela fonctionne ainsi : majeure : « la France est une République indivisible » ; mineure : « Mayotte est un territoire de la République » ; conclusion : « Mayotte ne peut être séparée du reste de la France ».

Voilà un premier fait qu’il me semblait important d’établir d’emblée, sauf à remettre en cause le fait que Mayotte est un territoire français.

Deuxième fait : le droit du sol simple n’existe pas en France. Nous ne sommes pas aux États-Unis. On ne devient pas Français, simplement parce que l’on est né sur le territoire national. On est Français par le droit du sang. C’est d’ailleurs le cas de l’immense majorité des Français que je représente, qui vivent à l’étranger. On peut également l’être par le double droit du sol, c’est-à-dire en étant né en France, d’un parent lui-même né en France. Ce sont les seuls cas où l’on est automatiquement Français à la naissance.

En revanche, on ne peut acquérir la nationalité française du simple fait que l’on est né en France qu’à partir de ses 13 ans, et seulement après y avoir vécu au moins cinq ans depuis ses 8 ans.

Par conséquent, que Mamoudzou soit la plus grande maternité de France ne change rien. On ne devient pas Français parce qu’on est né dans le pays : il faut ensuite y rester, et y rester longtemps.

Or le droit de la nationalité à Mayotte présente déjà une particularité notable, qui en fait de facto un territoire en marge de la République. En effet, à la naissance de l’enfant, pour que celui-ci obtienne la nationalité française, il faut justifier du fait que l’un des deux parents y réside de manière régulière et ininterrompue depuis au moins trois mois. La proposition de loi remaniée que nous examinons aujourd’hui tend à porter ce délai à un an. Dans les deux cas, bien entendu, cette condition ne sera jamais remplie par les migrants clandestins.

Introduite par amendement en 2018, cette disposition constitue, selon les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, une entaille profonde dans notre droit républicain.

Donc, lorsque le Président de la République affirme que « Mayotte est la première maternité de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire de petits Français », il se trompe. Il faut mettre fin à ce fantasme auquel on veut faire croire, à tort, nos concitoyens : ce n’est pas parce que l’on naît à Mayotte que l’on devient Français. Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit, mais d’une réalité juridique.

Troisième fait à établir : Mayotte doit faire face à un incommensurable problème d’immigration.

Cette immigration, comme le rapporteur nous l’a expliqué, vient des pays voisins, et principalement des Comores, dont Mayotte faisait partie jusqu’au référendum de 1974.

La moitié des enfants nés à Mayotte sont issus de couples mixtes, comprenant un Mahorais et un migrant – la moitié ! C’est bien là la preuve d’une culture commune, et même le signe qu’il faudrait réfléchir à l’acquisition de la nationalité française par le mariage plutôt que par le droit du sol. Mais passons…

La question qui se pose, la seule question intéressante d’ailleurs si l’on cherche des solutions, est la suivante : pourquoi les migrants vont-ils à Mayotte ?

Ils n’y vont certainement pas pour obtenir un passeport : il a été rappelé que ce n’était pas si simple. Ils y vont, car les liens familiaux y sont déjà intenses, car la culture, y compris la religion, est commune et, surtout, car Mayotte est toute proche : elle n’est séparée des Comores que de 70 kilomètres, alors qu’elle en est à des années-lumière en termes de développement.

Du point de vue français, Mayotte est un département pauvre, qui détient tous les records : de chômage, de pauvreté, d’insécurité. Nous connaissons les immenses difficultés des Mahorais, amplifiées par le cyclone Chido. Mais, pour les Comoriens, la France est un pays riche, un territoire où l’on a moins de chances de mourir lorsqu’on est enceinte. Ainsi, le taux de mortalité maternelle est douze fois plus élevé aux Comores qu’à Mayotte.

C’est aussi un territoire où l’on gagne davantage d’argent : les transferts de fonds des migrants vers les Comores représentent 20 % du PIB comorien. Le pays en est totalement dépendant.

Nous avons donc créé, en plein milieu de l’océan Indien, une frontière entre le Nord et le Sud. Mayotte est huit fois plus riche que les Comores. Cet écart de développement est comparable à celui qui existe entre les États-Unis et le Mexique.

Voilà pourquoi les migrants viennent à Mayotte : parce qu’ils pensent y trouver une vie meilleure. C’est une aspiration profondément humaine.

Nous saluons l’honnêteté intellectuelle de M. le rapporteur, qui a modifié le texte pour le rendre plus acceptable d’un point de vue constitutionnel. En effet, la version du texte issue des travaux de l’Assemblée nationale était une aberration.

Pour autant, nous ne pensons pas que c’est en modifiant une seconde fois notre droit du sol spécifiquement pour Mayotte, sans même avoir pu évaluer l’impact du changement décidé en 2018, que nous arriverons à stopper l’immigration illégale. D’ailleurs, les chiffres indicatifs dont nous disposons ont plutôt tendance à montrer que cela n’a rien changé en termes de flux migratoires.

Bien évidemment, la situation actuelle est insupportable pour les Mahorais. Mais, pour y remédier, notre droit n’y pourra rien.

Alors, plutôt que de ronger encore un peu plus ce principe structurant de notre République qu’est l’indivisibilité, peut-être pourrions-nous engager une véritable politique publique visant à s’attaquer aux réelles causes de l’immigration illégale et massive : la pauvreté aux Comores. Cette politique existe. Elle a un même un nom, souvent décrié aujourd’hui, alors que nous avons là un exemple patent de son utilité : l’aide publique au développement.

Parce que la réponse à apporter à Mayotte n’est, malheureusement, pas juridique, et parce que mon groupe est radicalement républicain, nous refuserons de voter cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 6 février dernier. Elle y a provoqué bien des tumultes, imbroglios et erreurs de vote, dont j’espère que nous arriverons à corriger les effets aujourd’hui.

Ce texte fait écho au récent rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer, rédigé par notre collègue Victorin Lurel et notre ancien collègue Philippe Bas, et intitulé Laction de lÉtat outre-mer : pour un choc régalien. Les travaux préparatoires de ce rapport, publié en janvier 2025, ont duré une année : ils ont donc commencé bien avant le passage catastrophique du cyclone Chido à Mayotte, le 14 décembre 2024. Cet évènement a remis en lumière la situation particulière de ce territoire français en termes d’immigration.

Deux objectifs majeurs ont guidé la réflexion de nos deux collègues : s’interroger sur la capacité de l’État à assurer pleinement ses missions fondamentales et engager des politiques publiques permettant de répondre efficacement aux réalités des territoires et, avant tout, aux besoins et aux attentes des habitants.

Or lutter contre l’immigration clandestine est une demande constante exprimée par les Mahorais.

Pour y répondre, la recommandation n° 22 dudit rapport vise à réexaminer le mode d’acquisition de la nationalité française par les enfants nés à Mayotte de parents étrangers, en envisageant de revoir la durée exigée de résidence régulière et ininterrompue sur place des deux parents, avant la naissance.

Le texte que nous examinons tend à donner une suite législative à cette préconisation en renforçant les conditions d’accès à la nationalité française, spécifiquement sur le territoire français qu’est Mayotte, en régissant notamment le statut des futurs parents, duquel découlera l’obtention ou non de la nationalité française de leur enfant.

Si j’emploie le verbe « renforcer », c’est pour rappeler qu’une mesure du même ordre a été introduite dans le cadre de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Asile et Immigration. Cette dernière a en effet créé, à Mayotte, une condition supplémentaire à l’acquisition de la nationalité via le droit du sol. Cette nouvelle modalité porte sur la régularité du séjour de l’un des parents au moment de la naissance de l’enfant sur le sol mahorais.

Une telle mesure, adoptée il y a sept ans, et qu’il nous est aujourd’hui demandé de modifier en allongeant le délai minimal de séjour de trois mois à un an, n’est pas une spécificité française. En effet, plusieurs pays européens disposent de règles limitant l’accès à la nationalité à une résidence régulière des parents sur leur territoire – je pense notamment à la Belgique et à l’Irlande.

En outre, la France se distingue du Canada, du Mexique, ou encore des États-Unis, pays dont les enfants obtiennent automatiquement la citoyenneté en y naissant. Sur notre territoire, ce principe d’acquisition de la nationalité par le sol ne s’applique pas.

Il ne suffit ainsi pas de naître en France pour être Français d’origine, autrement dit Français de plein droit à la naissance. La nationalité est attribuée en principe, parce qu’au moins l’un des parents est Français. Le droit du sol ne joue qu’un rôle plus modeste.

C’est cette spécificité française, et même européenne, qui rend possible l’application de mesures propres à Mayotte. Il y a donc là, non pas la violation d’un principe démocratique, mais l’adaptation de notre droit à des circonstances précises.

C’est d’ailleurs le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 6 septembre 2018, a réaffirmé que la différence de traitement prévue à l’article 2493 du code civil tenait compte des caractéristiques et contraintes particulières spécifiques à Mayotte. Vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire, monsieur le garde des sceaux.

Comme l’ont écrit plusieurs auteurs, la mesure proposée pour Mayotte pourrait très bien s’appliquer à d’autres parties du territoire national si des circonstances particulières le justifiaient, et ce en vertu de l’article 73 de la Constitution. Ce dernier dispose en effet que « dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui tend à instituer une durée minimale de résidence régulière d’un an, et non de trois ans, comme la version du texte issue des travaux de l’Assemblée nationale le prévoyait.

Au-delà de cette modification, et pour ne pas porter atteinte aux exigences constitutionnelles, le texte écarte en outre deux dispositions adoptées par nos collègues députés, ce dont je vous remercie, monsieur le rapporteur, et ce dont nous nous réjouissons.

La première est l’extension de l’obligation de résidence aux deux parents, disposition qui ne tient pas compte de la situation des familles monoparentales, ce qui contrevient au principe d’égalité devant la loi.

La seconde est l’obligation, pour les parents de l’enfant, de présenter un passeport biométrique à l’officier d’état civil français. En effet, puisque ce type de document n’est délivré que par un nombre limité d’États, l’application de cette mesure aurait pu être source de discriminations selon le pays d’origine.

Au regard de cette approche réaliste, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, qui ne vise qu’à modifier les articles 2493 et 2495 du code civil, afin de fixer un nouveau délai minimal de séjour pour les parents étrangers d’enfants nés à Mayotte. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’île de Mayotte et ses habitants ont subi il y bientôt quatre mois les effets d’un cyclone dévastateur, ravageant un territoire déjà abandonné. Je souhaite d’ailleurs rendre ici hommage aux victimes de ce drame.

Dans le cent unième département français, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et le taux de chômage y atteint 37 %. Avant l’arrivée du cyclone, 30 % des foyers n’étaient pas raccordés à l’eau, et un logement sur quatre était en tôle.

En parallèle, en matière de prestations sociales, les habitants de l’île restent particulièrement discriminés. Par exemple, ils ne perçoivent que 50 % du montant de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), de la prime d’activité et du revenu de solidarité active (RSA) versé dans l’Hexagone.

Malgré cette situation particulièrement alarmante, à en croire les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, l’urgence ne serait pas là. Le véritable enjeu serait l’accession à la nationalité française des enfants nés sur l’île et y ayant passé dix-huit années.

Pourtant, aucun chiffre, aucune analyse ne permet de démontrer que les conditions d’accès à la nationalité à Mayotte sont un facteur d’attractivité au regard des flux migratoires. J’en veux pour preuve le fait que si, depuis le durcissement législatif de 2018, le nombre de personnes devenues françaises a diminué, tel n’est pas le cas de celui des personnes étrangères sur le territoire mahorais.

À l’inverse, cette mesure profondément discriminatoire aura pour effet certain de placer la population locale dans une précarité administrative, sociale et économique encore plus grande. En effet, nombreuses sont les dispositions propres à ce territoire qui enferment et condamnent encore davantage ses habitants. C’est le cas des titres de séjour délivrés à Mayotte, qui ne permettent pas de circuler librement sur l’ensemble du territoire français et dans l’espace Schengen.

La population de Mayotte est abandonnée par notre État et discriminée par nos lois.

Et pourtant, Mayotte s’inscrit dans une géographie et dans une histoire trop souvent ignorées pour servir des intérêts électoraux.

Ainsi, l’archipel des Comores est composé des îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mohéli et de Mayotte. À l’amorce du processus d’indépendance des Comores en 1974, l’archipel est encore considéré dans son entièreté, et c’est le peuple comorien uni qui est appelé à se prononcer lors du référendum. Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, le rappelait en ces termes : « les Comores sont une unité, ont toujours été une unité. […] Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel » des Comores.

Cependant, après le référendum, le gouvernement français adopta une attitude opposée, interprétant les résultats à son avantage et s’assurant de garder une position stratégique dans le canal du Mozambique, au détriment de l’unité du peuple.

En effet, dans l’ensemble de l’archipel, plus de 95 % du peuple comorien s’était prononcé en faveur de l’indépendance. Mais, en son sein, les habitants de l’île de Mayotte avaient voté à 65 % contre l’indépendance. L’État français a alors divisé l’archipel et le peuple comoriens.

Aujourd’hui cette histoire résonne.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il y a eu deux votes !

M. Jérémy Bacchi. Dire cela ne résulte pas, comme vous le déclariez tout à l’heure à ma collègue Corbière Naminzo, monsieur le garde des sceaux, d’une volonté a posteriori, cinquante ans après, de voir Mayotte redevenir un territoire comorien. Au contraire, il s’agit d’essayer de comprendre les causes ayant conduit à une situation d’une telle complexité.

Cette proposition de loi, discriminatoire selon nous, ne produira aucun effet en matière de lutte contre les flux migratoires, car elle concerne un peuple divisé administrativement, mais qui, pas sa géographie, par sa culture et par son histoire, reste uni.

Le droit du sol est un fondement de notre République depuis 1789. Y attenter à Mayotte, c’est faire reculer la République française sur ce territoire. C’est pourquoi le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, aujourd’hui, nous débattons d’une proposition de loi indécente.

Elle est indécente d’abord, parce qu’elle détourne l’attention d’une catastrophe humanitaire, sociale et écologique sans précédent à Mayotte.

Elle est indécente ensuite, parce qu’elle instrumentalise la détresse des Mahoraises et des Mahorais au profit, j’ose le dire, d’une stratégie électorale dangereuse.

Elle est indécente enfin, parce que Mayotte souffre. Et face à cette souffrance, quelle est votre réponse ? Durcir encore l’accès à la nationalité ? Restreindre encore un peu plus le droit du sol ? Ajouter de nouvelles contraintes aux enfants nés à Mayotte ? Quelle indécence !

Mayotte est un département de la République que vous traitez comme une exception permanente, comme le territoire de toutes les régressions.

Depuis 2018, les conditions d’accès à la nationalité française y ont déjà été réduites par la loi Collomb. Cette dérogation territoriale impose déjà des critères plus stricts aux enfants nés à Mayotte.

Pour quel résultat, monsieur le garde des sceaux ? Mélanie Vogel a déjà répondu à cette question : aucun effet sur l’immigration. J’ajoute : aucun effet non plus sur la pauvreté ou sur les tensions sociales.

La réforme a eu pour seule conséquence de priver de nombreux jeunes d’une nationalité à laquelle ils avaient droit, de fabriquer des « invisibles », de créer une citoyenneté de seconde zone.

Avant le cyclone, la situation était déjà catastrophique. En effet, depuis des années, Mayotte subit une crise multiforme.

Il s’agit d’une crise sociale tout d’abord, avec un taux de pauvreté qui dépasse les 80 %, un chômage endémique et des inégalités croissantes.

Il s’agit d’une crise écologique ensuite, avec des ressources en eau épuisées, une gestion des déchets chaotique et un territoire asphyxié par l’absence d’infrastructures adaptées.

Il s’agit d’une crise humanitaire enfin, avec des milliers de familles qui vivent dans des conditions indignes, et pour lesquelles l’accès aux soins, à l’éducation, aux services publics relève du parcours du combattant.

Et puis, le cyclone Chido est venu balayer ce qui restait, détruisant des milliers de foyers, arrachant les toits, inondant les terres, laissant un paysage de désolation derrière lui.

Face à cette situation d’urgence absolue, l’action de l’État devrait être multiple : protéger, afin de garantir sécurité et dignité, en reconstruisant des logements, des écoles et des routes ; préserver la solidarité, afin d’assurer un accès immédiat à l’eau potable, à l’électricité et aux soins ; reconstruire, pour donner un avenir durable à Mayotte, en investissant massivement dans les infrastructures et en mettant fin aux politiques d’exception, qui condamnent l’île à l’abandon.

Ce texte ne répond en rien aux défis auxquels Mayotte est confrontée. Il détourne l’attention en désignant un bouc émissaire commode : l’immigration. Et désormais, sans étude d’impact des décisions précédemment prises, vous voudriez aller encore plus loin, comme si Mayotte était une terre étrangère à qui l’on refuserait l’application du droit commun…

Mayotte est française. Ses habitants sont Français. Ils doivent avoir les mêmes droits que tous les autres citoyens.

Mayotte ne peut devenir le territoire de la régression des droits. S’agirait-il de l’expérimentation de restrictions que vous souhaiteriez ensuite étendre à tout le territoire national ? Je pose la question.

Le droit du sol n’est pas une faille, ni une erreur, ni une faiblesse. C’est une conception de la nation, qui repose sur l’inclusion et l’intégration. Vous voulez faire croire que l’immigration est le problème, alors que le véritable problème de Mayotte est son abandon par l’État.

Depuis plusieurs mois, votre majorité multiplie les attaques contre les étrangers et contre les principes républicains. Hier, vous avez voulu interdire le port du voile dans le sport, et aujourd’hui, vous vous en prenez au droit du sol. À force de relayer les obsessions de l’extrême droite, vous lui préparez le terrain, vous alimentez l’opinion avec ses thèmes, vous normalisez son discours.

Alors, nous allons nous battre pour nos valeurs républicaines : nous allons nous battre dans cet hémicycle ; nous allons nous battre dans la rue ; nous allons nous battre partout, parce que nous refusons cette musique nauséabonde de l’exclusion et du rejet de l’autre !

La France a besoin de solidarité, pas de discrimination ! La France a besoin d’un État qui assume ses responsabilités, pas d’un État qui stigmatise ! La France a besoin de justice sociale, pas d’une surenchère sécuritaire et inefficace !

M. le président. Il faut conclure !

Mme Antoinette Guhl. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre cette proposition de loi indécente, dangereuse et indigne. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)