Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi d'orientation agricole n'est rien d'autre que la botte de paille de Gabriel Attal, il y a un an, ce jeune « bobo » parisien en costume-cravate et chaussures Weston qui joue au paysan devant un parterre de journalistes sans apporter de réponses à la hauteur des enjeux. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Depuis les manifestations de colère historiques de nos paysans en février 2024, aucune des trois grandes promesses n'a été tenue. Les importations d'Ukraine continuent d'inonder notre marché national. Des accords internationaux autres que le Mercosur, comme l'Accord économique et commercial global (Ceta), sont toujours sur la table. Le pacte vert, pacte de décroissance et de corruption, avec ses 10 % de jachères et sa folie normative, est toujours là. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Le moment de clarté imposé par Donald Trump doit nous conduire à sortir du moment de confusion macronien dans lequel tous les partis politiques qui ont soutenu la construction européenne et l'idéologie décroissante se retrouvent aujourd'hui. Toute promesse à l'égard de la ruralité et du travail paysan sera vaine si vous ne décidez pas de sortir de vos ambiguïtés structurelles.
En effet, madame la ministre, vous ne pouvez pas parler de « souveraineté alimentaire et agricole » sans sortir des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). J'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle pour reconnaître cette exception agriculturelle. Il faut donc que vous préfériez nos paysans à l'OMC.
Madame la ministre, vous ne pouvez pas encourager la concurrence libre et non faussée à l'intérieur de l'Union européenne tout en poursuivant le harcèlement bureaucratique et la surtransposition des directives européennes en matière agricole qui aggravent la concurrence déloyale. Pour réussir, il faut préférer nos paysans à la fausse morale décroissante.
Madame la ministre, vous ne pouvez pas soutenir les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB), ou plutôt de l'organisation des fanatiques de la biodiversité, qui traitent nos paysans comme des dealers, ni supporter que des ONG fassent la loi à Bruxelles avec notre argent dilapidé par la Commission européenne. Il faut donc préférer nos paysans à l'OFB, aux ONG et à l'Union européenne.
Madame la ministre, vous ne pouvez pas participer à un exécutif qui soutient Ursula von der Leyen, la fédéraliste européenne, « en même temps » qu'il inscrit la souveraineté alimentaire et agricole dans la loi française. Vous devez définitivement préférer les paysans français à la Mère Fouettarde allemande !
Sans volonté d'avoir une action claire pour sortir de ces impasses, vous réduisez ce texte à un feu de paille porté par des hommes de paille et condamnant le reste de nos agriculteurs à finir… sur la paille !
L'agriculture française sera souveraine si les paysans vivent souverainement de leur travail et ont la capacité d'en transmettre le fruit sans être étouffés par la fiscalité, la souveraineté agricole et la dignité paysanne allant de pair.
Madame la ministre, nous savons que, depuis le mois de juillet dernier, l'agenda du président Macron s'est considérablement allégé, au point de lui permettre de s'occuper des prix du billet d'entrée au Louvre ou du paiement du péage autoroutier avec un smartphone. Aussi, conseillez-lui, je vous en prie, de s'intéresser enfin aux tarifs douaniers sur les importations alimentaires que souhaitent nos agriculteurs et dont ils ont tant besoin. Un peu de « trumpisme » ne fera pas de mal et cela permettra peut-être au Président de la République de visiter le salon de l'agriculture qui débutera le 22 février prochain entouré de paysans et non plus de CRS.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui dans une séquence intense de textes portant sur l'agriculture. Ils se bousculent enfin et c'est tant mieux, car il est plus qu'urgent de transformer notre modèle agricole.
Ces débats traînent depuis juin dernier, ce qui nous aura au moins permis d'avoir un peu plus de temps pour analyser la situation et choisir les combats prioritaires à mener. Nous sommes prêts aujourd'hui à en discuter et à faire de ce texte un nouveau moteur pour l'agriculture française. Cette réussite passe par des décisions claires, efficaces et, surtout, en adéquation avec les réalités auxquelles font face nos agriculteurs.
Le regard des Français sur l'agriculture doit changer. Il est temps de stopper le bashing des détracteurs de la ferme France. Nos agriculteurs souffrent, le métier n'attire plus, faute de rémunération suffisante. Les précédentes crises, notamment l'invasion de l'Ukraine, nous ont rappelé à quel point notre indépendance énergétique et alimentaire est aujourd'hui indispensable.
Stop à la surréglementation, à l'inflation normative et à la surtransposition ! Notre agriculture doit retrouver son rang de premier exportateur européen.
Je tiens à saluer la réactivité du gouvernement Attal, qui avait su apporter des réponses concrètes lors de la crise agricole de janvier 2024, notamment face à la maladie hémorragique épizootique (MHE), monsieur Ravier. C'était il y a un an. Depuis lors, les tensions se sont à nouveau exacerbées lors des négociations entre l'Europe et le Mercosur.
Alors oui, des solutions conjoncturelles et rapides sont indispensables. C'est pourquoi je nous félicite d'avoir adopté la semaine dernière la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. C'est une réponse directe à certaines difficultés rencontrées par la profession.
Cependant, à quelques semaines du salon de l'agriculture, nous savons que les attentes sont aussi fortes que justifiées.
Au-delà des crises ponctuelles, la multiplicité des enjeux auxquels nous sommes collectivement confrontés appelle des solutions structurelles. Tel est l'objet de ce projet de loi.
Il ne s'agit ni d'une loi d'urgence ni d'une loi de circonstance, mais d'un texte d'orientation, qui déterminera la direction que nous entendons donner à notre agriculture à l'avenir. Celle-ci doit assurer notre souveraineté alimentaire, la transmission et le renouvellement des générations.
Ce projet de loi doit s'inscrire dans la durée comme une première étape de planification.
Dans le contexte international actuel, nous devons nous demander si une nation incapable de produire ce qu'elle consomme peut encore espérer rester indépendante.
Je tiens à saluer le travail réalisé sur ce texte par plusieurs de nos collègues députés pour enrichir certaines définitions et préciser des dispositions. Le projet de loi initial était déjà issu d'un long travail de contributions et de réflexion.
Néanmoins, toutes les évolutions ne sont pas au niveau des enjeux, et le texte reste insatisfaisant en l'état.
Je salue le premier travail effectué par mes collègues issus des différentes commissions saisies, notamment au sein de la commission des affaires économiques. Nos échanges nous permettront de simplifier certaines dispositions et d'en préciser d'autres.
À l'article 1er, les précisions apportées à l'Assemblée nationale, sous la houlette du groupe Horizons & Indépendants, étaient les plus susceptibles de répondre à ces défis.
Largement réécrit en commission, cet article doit consacrer la souveraineté alimentaire, sans complexification supplémentaire. C'est pourquoi plusieurs sénateurs de mon groupe ont déposé des amendements visant à le reformuler.
Si nous n'arrivons pas à faciliter l'installation et la transmission, le futur de la profession risque de s'assombrir de manière dramatique. N'oublions pas que, derrière ces questions, se pose un important enjeu d'aménagement du territoire.
Nous savons depuis longtemps que les trop nombreuses cessations d'activité ne sont pas compensées. Malheureusement, le temps perdu ne se rattrape pas. Aussi, je vous propose d'employer celui qui nous reste avec une efficacité redoublée.
En matière de communication, il sera donc indispensable de faire connaître les métiers de l'agriculture, de moderniser l'enseignement et de faire suffisamment de pédagogie pour changer le regard des Français.
Innovations techniques et scientifiques, New Breeding Techniques : il faudra faire preuve de flexibilité pour inclure les nouvelles pratiques qui ont fait la preuve de leur efficacité le plus rapidement possible, tout en s'adaptant au changement climatique et à la baisse de la ressource en eau. Nous ne devons pas avoir peur des avancées technologiques, car elles sont indispensables.
J'en viens à la transmission. Les jeunes qui s'installent ne sont plus enfants, ni même petits-enfants, d'agriculteurs. Les nouveaux exploitants ne veulent pas forcément être propriétaires de leurs terres, ou ne le peuvent simplement pas. Nous devons donc réfléchir à de nouveaux outils, et leur en proposer.
C'est en cela que le mécanisme des groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI) présenté par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, dont la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises a été adoptée par le Sénat en 2023, se révèle intéressant. Le Gouvernement l'avait inscrit dans le projet de loi initial. Nous vous proposons de l'y réintroduire.
Nous aurons également l'occasion de revenir sur la haie, le défrichement et les installations d'assainissement.
Le groupe Les Indépendants est, et restera, très investi et attentif durant nos échanges, qui s'annoncent longs et passionnés, en se plaçant toujours aux côtés de nos agriculteurs et de nos concitoyens. Il y va de l'état de la France et de sa souveraineté.
Ainsi, nous réservons notre position quant au vote final en fonction de l'évolution du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Guislain Cambier et Jean-François Longeot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le monde agricole traverse depuis de trop longues années une succession de crises graves et persistantes au point d'en devenir existentielles.
Les origines de ces crises sont bien connues. Entre les surtranspositions pénalisantes, une bureaucratie tatillonne, des règles de négociations commerciales trop peu respectées et mal sanctionnées, des accords de libre-échange mortifères et un climat politico-médiatique qui alimente l'agri-bashing, comment s'étonner de l'effondrement de notre compétitivité et du découragement du monde paysan ?
Notre agriculture est confrontée à des défis immenses, et je veux souligner ici le soutien inconditionnel et constant de la majorité sénatoriale au monde agricole. Le travail mené par les deux rapporteurs du texte que nous examinons aujourd'hui en est une nouvelle illustration.
Comme l'a rappelé Laurent Duplomb, ce projet de loi d'orientation agricole porte assez mal son nom, tant il se montre trop bavard sur certains sujets et étonnamment muet sur d'autres. Les amendements adoptés en commission ont heureusement permis d'en corriger de nombreux aspects, d'en renforcer la normativité et d'en simplifier le contenu.
Le Sénat a par exemple enrichi les dispositions en matière d'installation et de transmission des exploitations agricoles. Il y a urgence à agir quand on sait que, d'ici à 2030, la France pourrait perdre encore 47 000 exploitations et qu'un tiers des agriculteurs seront partis à la retraite.
Je pourrais aussi citer toutes les dispositions permettant d'alléger les contraintes et la pression psychologique pesant sur les agriculteurs en cas de contrôle et de sanction, ou encore la réécriture complète de l'article sur le statut et le régime juridique des haies.
Je salue également la réécriture des dispositions relatives à l'enseignement agricole, lesquelles reprennent d'ailleurs certaines propositions que nous avions formulées en 2021 dans le rapport de la mission d'information sénatoriale portant sur le sujet.
Chacun le sait, si ce projet de loi contient des avancées importantes, il ne produira pas non plus de miracle. Ce texte ne doit être que l'un des maillons d'une séquence agricole plus vaste, composée de textes parlementaires et de mesures budgétaires.
Je pense en particulier à la réforme des retraites agricoles sur les vingt-cinq meilleures années que nous défendons depuis longtemps au Sénat. Un nouveau mode de calcul est rendu nécessaire par l'aggravation des aléas climatiques et l'instabilité croissante des revenus des agriculteurs.
Cette réforme entrera en vigueur dès le 1er janvier 2026, si et seulement si le projet de loi de financement de la sécurité sociale est adopté. Elle permettra d'augmenter la pension des polypensionnés et de rendre les travailleurs non salariés agricoles exerçant leur activité à titre secondaire éligibles aux minima de pension.
J'en profite pour rappeler, madame la ministre, qu'il est indispensable que la rétroactivité, prévue à partir de mars 2028, ne soit appliquée que pour des cas très exceptionnels.
La réponse à la crise agricole passe aussi par l'Union européenne, et l'on ne peut que regretter ici la perte d'influence de la France à Bruxelles, où notre voix ne porte plus. La résolution européenne sur la politique agricole commune (PAC) adoptée par notre assemblée en décembre dernier montre que le chemin est encore long. Les solutions futures de la PAC seront cruciales pour la sécurité alimentaire et la stabilisation des revenus des agriculteurs.
Pour conclure, mes chers collègues, l'agriculture est à un tournant de son histoire. Si nous ne réagissons pas maintenant, il sera bientôt trop tard. Défendre notre agriculture, ce n'est pas seulement défendre nos agriculteurs : c'est aussi défendre les Français et leur droit à une alimentation saine et sûre. Il s'agit aussi d'un enjeu de santé publique.
Madame la ministre, nous vous attendons donc ici comme à Bruxelles !
Pour cette raison, et parce que les attentes sur le terrain n'ont jamais été aussi fortes, nous voterons en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Jacquemet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après plusieurs mois d'attente et de reports, l'examen de ce texte, quelques jours après l'adoption de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, est une excellente nouvelle.
La vocation de ce texte, tant attendu par les acteurs du monde agricole, est double.
D'une part, il s'agit de traiter les problématiques liées à l'orientation, à la formation, à la transmission et à l'installation.
D'autre part, ce texte doit apporter des réponses concrètes à la mobilisation des agriculteurs qui a eu lieu au début de l'année 2024.
Alors qu'un agriculteur sur deux aura atteint l'âge de la retraite d'ici à 2030, l'immense défi du renouvellement des générations est devant nous. Si ce projet de loi entérine la création d'un guichet unique d'accueil, d'orientation et d'accompagnement, dénommé France installations-transmissions, chacun sait que cette seule mesure ne suffira pas.
La crise démographique à l'œuvre dans le monde agricole n'est pas une fatalité. J'en veux pour exemple mon département, le Doubs, où l'agriculture est principalement orientée vers l'élevage bovin laitier. En raison des débouchés offerts par la production de fromages d'appellation d'origine contrôlée (AOC), la population d'exploitants y est la plus jeune de France, avec un âge moyen avoisinant les 47 ans. Le taux de remplacement y est proche de 95 %, grâce à une bonne dynamique d'installation : on dénombre ainsi 80 à 100 installations par an.
Mon territoire en est la preuve : le sujet de l'attractivité des métiers agricoles auprès des jeunes est intimement lié à celui de la viabilité du modèle économique des exploitations.
Tout en s'adaptant aux multiples transitions qu'ils observent en première ligne, celles et ceux qui nous nourrissent doivent continuer d'assurer leur mission première. Nous soutenons l'initiative des rapporteurs d'introduire à l'article 1er un principe de non-régression de la souveraineté alimentaire de la Nation.
L'ambition de ce texte en matière de formation est louable tant l'enseignement agricole constitue un puissant levier pour transmettre aux jeunes générations les compétences d'aujourd'hui et de demain. La formation à l'agriculture biologique, financée à hauteur de 180 millions d'euros chaque année, ne doit pas être oubliée. Il serait contre-productif et incohérent d'opposer les modèles.
Plus largement, nous devons retisser des liens entre l'agriculture et notre société. J'ai la conviction que l'établissement du programme national d'orientation et de découverte des métiers agricoles, prévu par ce texte, y contribuera.
J'en viens au volet consacré à la simplification normative. Il est urgent de faciliter la vie de nos agriculteurs, victimes de la complexité du cadre réglementaire et législatif qui leur est imposé. Si ce texte comporte bien quelques réponses en matière de gestion des haies ou d'approvisionnement en eau, il nous faudra aller beaucoup plus loin.
Je veux dire un mot du devenir de la profession vétérinaire, dont chacun sait le rôle essentiel qu'elle joue dans le monde agricole. L'article 7 du projet de loi, travaillé avec les organisations professionnelles concernées, vise à autoriser les auxiliaires vétérinaires justifiant de compétences certifiées à réaliser certains actes de médecine et de chirurgie vétérinaires. Madame la ministre, afin de préserver le fruit d'un large compromis, nous comptons sur votre extrême vigilance pour que le décret d'application demeure fidèle au contenu de cet article.
Enfin, sénatrice d'un territoire dont les éleveurs subissent la présence du loup, force est de constater que les dispositions prévues par l'article 16 n'auront qu'une portée limitée. Cette question devrait continuer à être traitée dans les prochaines années, car c'est bien l'avenir de l'élevage français qui est en jeu.
Le projet de loi, sans résoudre tous les problèmes, contient des avancées réelles pour les acteurs du monde agricole. Le groupe Union Centriste votera ce texte qui apporte des solutions concrètes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, mes chers collègues, « vieux monde qui se meurt », « clair-obscur d'où surgissent les monstres » : vous vous êtes inspirée, madame la ministre, de la pensée d'Antonio Gramsci, communiste italien, penseur marxiste-léniniste, pour introduire votre discours. Excellente référence ! (Sourires.)
Nous devons comprendre le moment présent et dire « le nouveau monde » que nous voulons pour demain. Tel sera l'objet de mon intervention.
En 2014, prenant acte de la nécessité et de l'urgence d'une action publique en faveur du climat et de l'environnement, la France se dotait d'une loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
Cette loi portait sur les fonts baptismaux l'agroécologie, en lui fixant un triple objectif de performance économique, sociale et environnementale.
Dix ans plus tard, une évaluation, ou du moins un point de situation au regard de ces objectifs, aurait été utile pour répondre aux difficultés identifiées et prolonger la démarche avec une efficacité accrue.
En effet, sauf à considérer qu'il n'y a rien à faire et que les tendances observées doivent se poursuivre, certains sujets conditionnent fortement le devenir de l'agriculture française à l'ère des transitions écologique et énergétique.
La diminution très forte du nombre d'exploitations et d'emplois, les difficultés à recruter du personnel, les pertes de surface utile ou encore le niveau des rémunérations illustrent le caractère darwinien des évolutions à l'œuvre. La sélection économique naturelle se poursuit inéluctablement !
Dans ce contexte, les expressions récentes et diverses de la profession agricole auraient mérité d'être mieux entendues et prises en compte pour répondre aux difficultés.
Je pense en premier lieu à celles qui sont relatives au revenu.
À partir d'une très bonne idée, celle des États généraux de l'alimentation, les lois Égalim se sont succédé sans apporter de solutions satisfaisantes ou pérennes aux agriculteurs les plus en difficulté.
Tant que cette question ne sera pas résolue, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les agriculteurs manifesteront, à juste titre, et on trouvera de moins en moins de candidats à l'installation ou à la reprise… Rien, hélas, dans le texte dont nous allons débattre ne nous permettra de leur apporter des solutions sur ce point.
La formation, le conseil et le diagnostic des exploitations, au demeurant nécessaires et même développés à haut niveau, ne répondront pas à la question du revenu pour le plus grand nombre.
Dans un contexte de concurrence souvent exacerbée où le marché fait loi, le développement de l'agroécologie nécessite aussi la définition et la mise en œuvre d'outils de régulation des marchés et des prix.
Pourtant, des outils disponibles pourraient être mis en œuvre, comme le fonds de stabilisation du revenu agricole que le groupe socialiste avait fait adopter ici même en 2016 ; Henri Cabanel s'en souvient.
La PAC actuelle contribue au revenu des agriculteurs, mais de façon uniforme et rigide. Sans pouvoir de marché – et c'est le cœur du problème –, les producteurs subissent d'autant plus la volatilité des prix que tous les mécanismes de régulation qui existaient ont disparu.
Le dernier en date était celui des quotas laitiers. Sa suppression a entraîné la quasi-disparation du cheptel productif et a ouvert la voie à une nouvelle étape de réduction de la polyculture-élevage sur certains territoires, comme dans mon département du Gers.
Dans l'Union européenne, peu de pays ont mis en place des dispositifs de gestion des risques de marché, alors que le règlement n° 1305/2013 du 17 décembre 2013 le permet toujours.
Il serait également utile de réfléchir à la régulation de certains marchés à partir de corridors de prix, entre prix plancher et prix plafond, comme c'est le cas dans d'autres secteurs économiques.
Des évolutions structurelles de la PAC doivent donc être envisagées. Alors que le budget qui lui est consacré est le premier de l'Union européenne, la légitimité de la PAC est de plus en plus remise en cause par le grand public.
Plus fondamentalement, la question des modèles agricoles que les États membres entendent soutenir se pose.
Dans l'objectif d'un approfondissement du modèle agroécologique et d'une meilleure prise en compte du travail des agriculteurs, la PAC devrait progressivement passer de primes surfaciques à des paiements pour services environnementaux.
L'application de l'article 45 du règlement du Sénat nous empêche d'aborder ces sujets dans le cadre du texte que nous allons examiner cette semaine. Pour autant, il serait intéressant, madame la ministre, que vous nous exposiez votre vision des évolutions souhaitables de la PAC pour soutenir le revenu du plus grand nombre d'agriculteurs dans un contexte de transition écologique qui reste à approfondir.
Je pense tout particulièrement à la qualité biologique et sanitaire des sols et au maintien de la polyculture-élevage, absolument vitale pour le devenir de pans entiers de notre territoire national.
Il n'est pas trop tôt pour engager ce débat à propos de la prochaine PAC et du plan stratégique national de la France qui en résultera.
Nous regrettons aussi que ce projet de loi ne contienne pas de mesures concrètes sur le foncier. De même, nous déplorons l'abandon du projet de grande loi foncière dont nous avons besoin pour infléchir les tendances constatées, qui, en l'état, semblent inéluctables.
Quels sont vos objectifs en matière d'emplois agricoles, de nombre d'exploitations et de surface agricole utilisée (SAU) moyenne ?
Je rencontre de nombreux agriculteurs, dans le Gers et ailleurs, qui sont inquiets et n'arrivent plus à se projeter dans un avenir souhaitable pour eux. Ils dissuadent souvent leurs enfants de prendre leur suite… Cela, hélas, en dit long.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. Ce n'est pas étonnant, avec tout ce qu'on leur raconte !
M. Franck Montaugé. Ces attitudes et ces questionnements masquent un désespoir, qui – on le sait – conduit parfois au pire.
Se pose aussi la question du modèle agricole que l'on veut se donner. Souhaitons-nous aller vers une agriculture d'industrie, faite de sociétés d'investissements et d'exécutants ? Préférons-nous une agriculture qui laisse sa place à un modèle agroécologique pleinement inséré dans des territoires ruraux socialement et économiquement vivants ? Devrions-nous plutôt chercher une coexistence de ces deux modèles au profit d'un développement territorial assumé ?
Telle est, au fond, la véritable question politique qui se pose.
Il faut d'abord répondre à cette interrogation centrale pour ensuite débattre de la reconnaissance de l'agriculture comme « d'intérêt général majeur » que vous proposez d'introduire dans ce texte.
Dans le même esprit, la notion de souveraineté alimentaire doit être débattue pour que soient prises en compte les composantes sociale, environnementale et économique du concept en même temps que le rapport du global au local. C'est ainsi que nous pourrons appréhender la question territoriale dans une perspective humaniste, voire universaliste.
En définitive, et sans préjuger des apports de ce débat, nos attentes relatives à l'approfondissement nécessaire de la transition agroécologique ne sont que très peu, voire pas du tout, prises en compte dans ce texte, pas davantage que les revendications légitimes d'une grande partie du monde agricole en difficulté.
Puisse notre débat éclairer les choix de société que reflètent les modèles agricoles en présence ! Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain y contribuera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Laurent Somon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « le paysan meurt de faim et son maître de gourmandise », mais aussi de suradministration ou d'idéologie, pour reprendre, en le paraphrasant, un proverbe polonais !
« L'écologie ne pourra pas se faire contre les gens ni sans eux », disait Michel Barnier, qui, avant d'être Premier ministre, fut également ministre de l'agriculture et ministre de l'environnement. Le projet de loi d'orientation agricole qui nous réunit aujourd'hui démontre le besoin de relever ensemble le défi d'entreprendre ensemble en agriculture.
Les Français seront les grands gagnants de cette réussite, tant pour la qualité des productions que la protection de notre biodiversité. La véritable question est donc celle de la compétitivité des agriculteurs français, de la confiance que leur accorde la société et des orientations que notre pays souhaite pour le développement et la pérennisation de son agriculture.
« Le monde agricole ne peut pas être géré par des théories, il est régi par la réalité », comme le disait Olivier de Kersauson, un laboureur des mers amoureux des grands espaces.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. Très bien !
M. Laurent Somon. Ce défi d'entreprendre est aujourd'hui un casse-tête, en agriculture également. Les agriculteurs expriment leur lassitude face à l'avalanche de normes, aux interdictions – responsabilité juridique, installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) –, aux impératifs, dont l'application est parfois complexe – rotation des cultures, jachères, entretien des haies –, et aux accords commerciaux déséquilibrés.
La crise agricole de 2023 nous conduit à prendre des mesures qui seront votées définitivement avant le salon de l'agriculture, étape annuelle importante pour les agriculteurs, mais aussi pour les pouvoirs publics, et plébiscité par les Français.
Il n'y a pas, d'un côté, le monde agricole et, de l'autre, les défenseurs de l'environnement. L'agriculture, c'est de l'intérêt général, et le Sénat y veille.
Nous faisons face à deux enjeux à cet égard : le vieillissement inédit de la population agricole et le déficit d'attractivité des métiers en agriculture, eu égard au manque de perspectives et aux incertitudes de revenus.
Le projet de loi d'orientation agricole a été voté en mai 2024 par les députés, à la suite d'une promesse faite par Emmanuel Macron en 2022. Le travail des rapporteurs a permis de clarifier le texte et d'améliorer les outils prévus afin qu'ils soient vraiment au service des agriculteurs. Les rapporteurs ont souhaité inscrire en ouverture du code rural et de la pêche maritime que « la souveraineté alimentaire est un intérêt fondamental de la Nation » et que « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur ».
Les travaux en commission ont conduit à proposer à notre assemblée un principe de non-régression agricole, afin que notre souveraineté alimentaire soit protégée au même titre que l'environnement, ainsi qu'un principe de non-surtransposition, de manière à ce que la France cesse de pénaliser la compétitivité de son agriculture par un suractivisme normatif.
Les rapporteurs rappellent que la future loi d'orientation agricole est le maillon d'une vaste séquence agricole, dans laquelle figurent également les mesures budgétaires contenues dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, l'excellente proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie ou encore la proposition de loi relative à l'exercice de la démocratie agricole. Nous sommes donc loin, très loin, de la loi d'orientation de 1962.
La commission des affaires économiques a examiné 644 amendements. Le Sénat a donc réalisé un excellent travail de réécriture et de simplification pour améliorer le texte. Je remercie nos deux corapporteurs, Laurent Duplomb, du groupe Les Républicains, et Franck Menonville, du groupe Union Centriste.
Ce projet de loi ne réglera pas tous les problèmes de l'agriculture. Il fixe principalement des objectifs louables, mais encore insuffisants pour faire face aux défis de la transmission des exploitations.
On peut souligner l'importance du dispositif de l'article 10. L'article 9, quant à lui, permettra aux repreneurs d'appuyer leurs projets sur un diagnostic.
Sans dresser une liste exhaustive de toutes les mesures, mentionnons aussi la volonté d'anticiper la fin d'activité et de promouvoir la formation, la suppression des GFAI, la création d'un guichet unique, la réécriture des dispositions sur les diagnostics modulaires des exploitations, la cartographie des opportunités et risques de marché à vingt ans pour aider les candidats à l'installation, la dépénalisation de certaines infractions environnementales non intentionnelles ou résultant d'un conflit de normes, ou encore la simplification du dispositif relatif aux haies.