Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après des années de tergiversations, le projet de loi d'orientation agricole nous est enfin soumis. Alors qu'il ne portait initialement que sur l'installation, il a été complété sous la pression des manifestations. On a toutefois pris bien soin de ne pas y aborder les sujets qui fâchent, ce qui nous a conduits, pour y remédier, à voter la semaine dernière la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. À cet égard, permettez-moi de vous remercier, madame la ministre, de votre soutien.

Ce texte ne sera pas le Grand Soir de l'agriculture, tant il traite de sujets divers et variés, mais, après plus de huit mois de mise en pause et une nouvelle rédaction issue des travaux de la commission, nous espérons qu'il permettra un sursaut et qu'une nouvelle orientation sera donnée à l'agriculture française.

L'article 1er, qui prévoit que la souveraineté alimentaire est un intérêt fondamental de la Nation au sens de l'article 410-1 du code pénal, peut, je le pense, contribuer à inverser une tendance décroissante qui mine année après année notre souveraineté, à condition d'avoir une portée juridique. Nous y reviendrons.

La logique est la même lorsque nous déclarons que l'agriculture est d'intérêt général majeur et que nous inscrivons dans le code rural un principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, assorti d'un principe de non-surtransposition des règles européennes.

Le but est de freiner la folie normative qui tue notre compétitivité et entraîne une hausse de nos importations, qu'elles proviennent de nos voisins européens – ils n'ont pas choisi comme nous de se tirer des balles dans le pied – ou d'autres continents, dont les méthodes de production sont aux antipodes des nôtres, ce que nous refusons de voir par naïveté coupable.

Concernant l'installation, je laisserai Franck Menonville vous présenter nos grandes orientations. Je tiens d'ailleurs à le remercier publiquement pour son travail de long terme.

Pour ma part, je me concentrerai sur quelques-uns des autres articles que j'ai traités.

Avec l'article 9, madame la ministre, qui prévoit la réalisation de diagnostics des exploitations, nous passons de la politique du bâton à la politique de la carotte, comme l'ont d'ailleurs souhaité les députés. Nous avons rendu gratuit ce diagnostic destiné aux cédants ainsi qu'aux jeunes qui s'installent. Il vise à fournir une image fidèle de l'exploitation au jeune agriculteur, qui pourra ensuite bénéficier de conseils stratégiques, d'un accompagnement dans ses décisions et ainsi réussir son installation.

À l'article 12, nous avons suivi les députés et choisi de ne pas ouvrir le dossier du foncier. Nous avons craint que le lobby de gauche n'érige le foncier en bien commun (M. Jean-Claude Tissot proteste.) et qu'il ne contraigne encore un peu plus l'agriculteur à l'assolement.

L'article 13 prévoit de dépénaliser certaines infractions environnementales. Nous l'avons réécrit pour éviter, comme l'a déclaré pertinemment la ministre de la transition écologique, « cette dimension qui est extraordinairement intrusive d'une procédure pénale » qui donne « l'impression d'être un grand délinquant ».

J'en viens aux haies. Je ne vous cache pas que la tâche a été ardue sur ce sujet, tant nous avons affaire à un bijou de technocratie. Le but était pourtant tout simplement de simplifier. Nous avons essayé – je dis bien : essayé – de rendre cet article plus lisible et moins stigmatisant, et de concrétiser l'objectif de simplification des réglementations applicables aux haies.

En la matière, la seule politique qui vaille est celle de la territorialisation : dans certains départements, dont le mien, il n'y a jamais eu autant de haies depuis 1950, que cela plaise ou non. Il suffit de regarder les photos aériennes sur Géoportail, ce que nous pouvons tous faire. Je vous invite d'ailleurs à le faire ! (M. Jean-Claude Tissot s'exclame.) Je ne nie pas que, dans d'autres départements, le linéaire a eu tendance à décliner. Veillons donc à protéger les haies quand elles disparaissent, bien sûr, et à laisser les agriculteurs vivre quand ils en sont entourés !

Avec l'article 17, nous offrons à l'aquaculture française la possibilité de bénéficier des mêmes règles que ses concurrents européens, ni plus ni moins. Je rappelle que nous importons déjà 70 % du poisson que nous consommons. Peut-on s'en satisfaire ?

Pour finir, je dirai un mot sur l'article 18, qui nous a étonnés, car il est totalement hors sujet. Il aborde en effet le petit cycle de l'eau et les compétences des collectivités locales. Quitte à parler compétences en matière d'eau, profitons de l'occasion et « injectons » dans le texte la proposition de loi de notre collègue Jean-Michel Arnaud, que le Gouvernement semble d'ailleurs soutenir ! Il s'agit, dans ce domaine également, de rendre de la liberté aux élus locaux, comme aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Très bien !

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Ce texte doit rendre de la liberté : liberté d'entreprendre, liberté d'agir, liberté de ne plus subir une concurrence déloyale à l'échelle de l'Union européenne.

Mme la présidente. Veuillez conclure !

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Soyons fiers de nos agriculteurs et de notre agriculture ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Franck Menonville, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici enfin réunis pour examiner le projet de loi d'orientation agricole tant attendu par nos agriculteurs, après de multiples imprévus, détours et reports. Que de chemin parcouru depuis le dépôt du texte !

Je ne doute pas que, au-delà de nos différends politiques, nous saurons au cours des deux prochaines semaines nous montrer à la hauteur de ce texte important pour nos agriculteurs, développer une vision sur l'agriculture de demain et faire preuve d'anticipation.

Dans le temps qui m'est imparti, je centrerai mon propos sur deux volets fondamentaux de ce projet de loi d'orientation. J'évoquerai premièrement l'enseignement agricole, la sixième mission qui lui sera assignée et la place de l'enseignement privé ; deuxièmement l'installation et la transmission, notamment la création d'un guichet unique.

Je me suis efforcé en commission de consolider l'enseignement agricole en veillant à placer l'acquisition des compétences au centre des priorités. Sans jeunes formés, compétents et motivés, nous ne pourrons ni assurer le renouvellement des générations ni faire face aux défis économiques et environnementaux de demain.

L'Assemblée nationale a déjà renforcé et amélioré plusieurs points clés. Madame la ministre, vous y avez pris part lorsque vous étiez députée. Je pense par exemple à l'article 5 concernant le « Bachelor Agro « , dont je soutiens pleinement à la fois le principe et la dénomination. En effet, il faut reconnaître les réalités internationales du marché du travail et l'attrait que peut exercer un tel intitulé. Il faut aussi différencier cette formation des nombreuses licences professionnelles qui existent dans notre pays.

Cette formation, que doivent pouvoir également assurer les structures de l'enseignement privé, doit permettre non seulement de répondre aux enjeux techniques de production, de gestion, mais également de valoriser et de renforcer la compétence entrepreneuriale. À l'avenir, un agriculteur devra plus que jamais maîtriser la gestion, la stratégie commerciale, les outils numériques, tous ces éléments étant indispensables pour diriger une exploitation agricole viable, vivable et résiliente.

Par ailleurs, je reste très attaché à la diversité de l'enseignement agricole français, qui a toujours comporté une part non négligeable de structures privées non lucratives, majoritaires d'ailleurs en effectifs. Je souhaite que l'on consolide l'équilibre trouvé dans ce domaine.

En matière d'installation et de transmission, mon ambition première était de rendre le parcours plus simple, plus clair, de favoriser toutes les incitations et toutes les dynamiques positives, notamment la qualité de l'accompagnement, plutôt que les contraintes.

Le guichet unique prévu à l'article 10 est une mesure phare destinée à simplifier le parcours administratif de tous ceux qui souhaitent s'installer, à mieux les accompagner, à mieux les orienter et plus efficacement. Nous avons proposé de le renommer France installations-transmissions. Cette appellation fait débat, madame la ministre. Il s'agit pour nous d'éviter toute confusion avec les maisons France Services et de concentrer les missions de ce guichet sur l'accompagnement des cédants et des repreneurs plutôt que de l'ensemble des agriculteurs.

Nous proposons donc un accueil en deux étapes : une information pour toutes les personnes intéressées par l'agriculture et un accompagnement uniquement pour celles qui ont un projet formalisé d'installation ou de reprise. Quoi qu'il en soit, il me semble que la priorité doit être de donner envie aux jeunes de s'installer et de rester.

Enfin, permettez-moi de rappeler que la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, adoptée la semaine dernière par notre assemblée, constitue à mes yeux un complément logique du présent projet de loi d'orientation. Installer des jeunes ne suffira pas si les normes les découragent ou si la rentabilité n'est pas au rendez-vous.

Je pense fermement que l'attractivité du métier repose avant tout sur des conditions d'exercice équitables, par rapport à nos partenaires européens en particulier, et des conditions d'exercice vivables. C'est pourquoi il nous faut aussi réfléchir à d'autres organisations, notamment à des formes d'installation en commun, plus progressives, auxquelles je tiens beaucoup.

Ce texte ne réglera pas tout, madame la ministre, mais il fixe assurément un cap : il s'agit de permettre à une nouvelle génération de femmes et d'hommes de vivre et de réussir en agriculture et d'assurer ainsi la continuité et la souveraineté alimentaires de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Christian Bruyen, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quarante ans après la loi Rocard, fondatrice de l'enseignement agricole, ce texte ouvre un nouveau chapitre. C'est là une nécessité urgente, tant les chiffres sont vertigineux s'agissant du besoin de renouveler les générations. Laurent Duplomb et Franck Menonville, dont je veux saluer l'excellent travail, l'ont fort justement souligné.

Notons-le d'abord positivement : ce projet de loi assigne à l'enseignement agricole une nouvelle mission, celle d'assurer la souveraineté alimentaire et d'adapter notre agriculture au changement climatique.

Ce qui frappe également dans ce texte, ce sont les objectifs très ambitieux d'augmentation des effectifs d'apprenants, atteignables, selon le ministère, par la mise en œuvre d'un « choc d'attractivité ». Le texte prévoit pour cela d'abord une meilleure articulation entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole, car les familles comme le corps enseignant ont trop souvent des connaissances assez lacunaires sur les perspectives offertes.

Le texte prévoit également une autre innovation : la création d'une cartographie régionale des besoins de consolidation et d'ouverture de sections de formation. Ce dispositif donnera une visibilité pluriannuelle aux classes à faible effectif et devrait leur garantir des moyens supplémentaires en cas d'augmentation significative du nombre d'élèves.

Enfin, le texte crée un nouveau diplôme de l'enseignement supérieur court, afin de répondre à un double objectif : offrir une formation plus lisible que les 176 licences professionnelles actuelles et un niveau bac+3, relevant du ministère de l'agriculture, plus en phase avec les attentes de la profession.

Les dispositions relatives à ce projet ont suscité, et c'est normal, des remarques ou des inquiétudes plus ou moins vives chez les acteurs que nous avons reçus en audition, mais aussi quelques divergences d'analyse au sein de la commission de la culture. Beaucoup de points font toutefois aussi l'objet d'un réel consensus, il faut le dire.

Quatre amendements déposés par la commission de la culture ont été intégrés au texte de la commission des affaires économiques.

Premièrement, toute référence au service national universel (SNU) a été supprimée dans le texte.

Deuxièmement, l'expérimentation de conventions entre les lycées de l'éducation nationale et ceux de l'enseignement agricole a été supprimée afin de ne pas risquer un affaiblissement très préjudiciable de ces derniers. Concrètement, l'éloignement géographique entre ces établissements rend difficile la mise en œuvre de ce projet.

Troisièmement, nous avons modifié les dispositions relatives au correspondant départemental de l'enseignement agricole, en allant plus loin que l'Assemblée nationale.

Il ne saurait en effet y avoir de hiérarchie entre le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) et son équivalent agricole. Il est donc essentiel d'étendre le champ de compétences de ce dernier à l'enseignement privé sous contrat, très présent dans l'enseignement agricole.

Enfin, la commission de la culture souhaite que soit modernisée une procédure disciplinaire devenue obsolète dans l'enseignement supérieur. C'est une demande forte des établissements concernés.

En commission, nous avons aussi évoqué plusieurs points de vigilance.

D'abord, si ce texte se concentre sur la formation dans les domaines agricole et agroalimentaire, n'oublions pas que l'enseignement agricole forme au-delà des métiers de l'agriculture. Je pense aux métiers des services à la personne et d'animation des territoires par exemple.

Alors, veillons à ce que l'augmentation des moyens alloués aux formations agricoles et agroalimentaires ne se fasse pas au détriment de ceux qui sont octroyés aux filières des services à la personne et de l'animation des territoires. Les besoins sont très nombreux, particulièrement dans les départements ruraux.

Ensuite, nous souhaitons alerter sur les dérives potentielles de l'appellation « Bachelor Agro ». Aujourd'hui, dans l'enseignement supérieur, certaines officines privées lucratives jouent sur la confusion entre diplômes et titres. Elles proposent des formations souvent dénommées « Bachelor », sur la base de titres loués au répertoire national des compétences, mais qui ne débouchent sur aucune qualification et ne bénéficient d'aucune reconnaissance.

J'entends dire que ces officines sont absentes du secteur de l'enseignement agricole et que ce risque est écarté. Je ne partage pas du tout cet optimisme et je crains, au contraire, d'éventuelles dérives préjudiciables.

Par ailleurs, nous tenons à vous alerter sur la formation vétérinaire, pas seulement quantitativement. La problématique est aussi ailleurs : il s'agit de répondre aux besoins des exploitations agricoles.

Enfin, les efforts en faveur de l'enseignement agricole seront vains sans amélioration des revenus et des conditions de travail des agriculteurs. À cet égard, la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur a toute sa pertinence : elle est même, disons-le, intrinsèquement liée à ce choc d'attractivité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte dont nous commençons l'examen a connu un destin contrarié. Mais nous sommes enfin à la dernière étape du marathon législatif, avec la première lecture de ce projet de loi.

La raison de ces retards est simple : ce texte, attendu par le monde agricole, a été une victime collatérale des soubresauts politiques de l'année 2024, qui ont conduit au report de son examen et à des délais inhabituellement longs – qui nous ont fait relativiser l'efficacité de la procédure accélérée. Ces retards successifs ont désespéré une partie du monde agricole. Ils ont d'ailleurs conduit à une mobilisation inédite des syndicats agricoles pour sortir ce texte de son enlisement législatif.

Depuis plus d'un an, ce projet de loi fait en effet miroiter aux agriculteurs et aux paysans des solutions pour les accompagner face aux défis multiformes qu'ils doivent relever : déprise rurale, concurrence extérieure, changement climatique, stress hydriques à répétition, évolution des attentes et des préférences des consommateurs, mais également instabilité réglementaire en matière sanitaire et environnementale. Il était temps que le supplice législatif prenne fin et que notre assemblée puisse travailler avec un exécutif prêt à prendre des engagements pérennes, pour donner un cap et des orientations à ce que sera l'agriculture de demain.

À l'aune de cette exigence, ce projet de loi est-il à la hauteur des défis ? Ses objectifs sont nobles : préparer l'avenir de l'agriculture, assurer le renouvellement des générations et former suffisamment d'actifs agricoles, tout en amorçant une trajectoire d'adaptation pour sortir de l'impasse climatique. Mais il faut se rendre à l'évidence, ce projet de loi ne deviendra aucunement la grande loi d'orientation que nous espérions. Il fut un temps où le législateur était capable de synthétiser les préférences collectives en matière agricole, mais cette époque est manifestement révolue, peut-être parce que les représentations sociales de l'agriculture ont changé.

Mais ce projet de loi ne doit pas pour autant être jeté aux orties. L'État doit accompagner des modèles agricoles à la croisée des chemins et innover dans son soutien pour faciliter la vie de l'agriculteur et lui faire confiance. La forte demande de simplification répond à une impérieuse nécessité pour ne pas désespérer des acteurs qui font preuve de bon sens et qui ont déjà bien assez à faire, au champ ou à l'étable.

Offrir un cadre simplifié d'action, pour libérer l'activité agricole de normes excessivement lourdes ou contradictoires, sans diminuer l'ambition environnementale : voilà le mandat que le monde rural nous confie. La voie est étroite, nous le savons. L'objectif, à mes yeux, est de garantir notre souveraineté agricole et de promouvoir une agriculture compétitive, et économiquement viable.

L'agriculture doit être érigée au rang d'intérêt fondamental de la Nation. La souveraineté alimentaire ne se décrète pas : elle se construit en sécurisant nos filières de production, en soutenant nos agriculteurs et en investissant dans une agriculture durable, capable de produire une alimentation saine, sûre et accessible à tous, conformément au principe de souveraineté alimentaire. C'est ce que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est efforcée de promouvoir.

Ce texte est loin d'être parfait. Il a quelque chose d'un fourre-tout, reflète de nombreux impensés, comporte des incohérences et des orientations brouillées, à force d'empiler des dispositifs, parfois à la limite du bavardage législatif. Il manque aussi d'ambition pour renforcer la durabilité des productions alimentaires. Aucun mécanisme n'est élaboré pour protéger les agriculteurs de la concurrence déloyale et des défaillances de marché.

N'attendons donc pas de ce projet de loi qu'il résolve tous les problèmes ou qu'il fixe de façon intangible le cadre optimal pour accompagner les agriculteurs face aux défis. Il ne fera certainement pas date et il ne pourra que décevoir ceux qui placent de trop grandes attentes dans un texte finalement plus de circonstance que d'orientation. Cependant, malgré ses défauts et ses lacunes, ce projet de loi apporte des évolutions bienvenues et nécessaires, tout en ayant le mérite de traiter de sujets qui concernent l'activité quotidienne des agriculteurs. Il pose les bonnes questions, même s'il apporte rarement les bonnes réponses.

En l'état, il est cependant de notre devoir d'apporter une partie des évolutions attendues par la profession agricole et d'imaginer des dispositifs pour limiter l'insécurité juridique qui entoure certains projets agricoles. Sur ce point, je me félicite de l'ajout proposé par notre commission à l'article 18, qui étend les compétences des départements en matière de production, de transport et de stockage de l'eau potable, et qui devrait permettre des assouplissements dans la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».

Mme la présidente. Il faut conclure.

M. Jean-Claude Anglars, rapporteur pour avis. Au total, notre commission s'est prononcée en faveur de ce projet de loi, quoiqu'il soit perfectible. Mais elle veillera à ce que les amendements que nous adopterons répondent aux défis et ne retardent pas l'adaptation des pratiques aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Guylène Pantel applaudit également.)

Mme la présidente. J'invite chacune et chacun à respecter le temps de parole qui lui est imparti.

M. Jean-Raymond Hugonet. Il y a une tolérance pour les Aveyronnais ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylviane Noël.

Mme Sylviane Noël. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c'est au nom de mon collègue Jean-Marc Boyer, retenu par un impératif, que je m'exprime devant vous.

Le renouvellement des générations en agriculture impose de répondre à la question suivante : quel avenir souhaitons-nous pour l'enseignement agricole, qui forme nos agriculteurs de demain, et qui est fondamental dans la transmission des exploitations ? La mission d'information sur l'enseignement agricole, que Jean-Marc Boyer avait menée avec la sénatrice Nathalie Delattre en 2021, avait conclu à l'urgence d'une transition agropolitique afin de donner une stratégie et des objectifs clairs à l'enseignement agricole.

Or la mobilisation des agriculteurs – et en particulier des jeunes agriculteurs – ces derniers mois a bousculé quelques fondamentaux. Certes, les missions essentielles confiées à l'enseignement agricole restent la base d'un enseignement innovant et performant avec une formation générale, technologique et professionnelle, initiale et continue, une animation de développement des territoires, une insertion sociale, scolaire et professionnelle, le développement, l'expérimentation et l'innovation, des actions de coopération internationale.

Mais il s'avère aujourd'hui nécessaire de traiter deux enjeux majeurs de développement des filières de production : la transformation agricole, qui allie performance économique, sociale, environnementale et sanitaire, et le développement de modèles économiques agricoles adaptés à chaque région, prenant en compte les conditions géographiques et climatiques, notamment en zone de montagne.

Le réseau de l'enseignement agricole, avec ses 825 établissements, est indispensable pour répondre au défi d'une transition agropolitique et du renouvellement des générations d'agriculteurs. L'enseignement agricole doit regagner ses lettres de noblesse. Il s'est trouvé modifié et dogmatisé vers les filières environnementalistes, et en décalage avec une partie de la profession agricole. Il doit rester ouvert à tous et à tous les types d'agriculture. Il y a vingt ou trente ans, 80 % des élèves étaient d'origine rurale et agricole. Aujourd'hui ils ne sont plus que 30 %, et les 70 % restants sont sensibilisés aux notions agricoles, mais pas aux milieux agricoles et à leur environnement naturel.

Nos élèves agricoles sont formés pour être des jardiniers de la nature, ce qui ne leur offre pas de réels débouchés. Beaucoup s'orientent donc vers des filières vertes et non plus vers l'élevage ou l'agriculture qualifiée de conventionnelle, qui, pourtant, reste très présente sur notre territoire.

Il est vrai que notre société est désormais téléguidée par une image de l'agriculteur qui serait un criminel, un pollueur, relayée par des réseaux sociaux où le bien-être animal passe avant celui de l'agriculteur. Cet agri-bashing porte un vrai préjudice à la profession agricole, ainsi stigmatisée.

L'enseignement agricole a su montrer ses facultés d'adaptation à l'évolution de l'agriculture et à sa modernisation tout au long du XXe siècle. Il a su évoluer avec la révolution technique et la mécanisation.

Aussi, tous les moyens de communication, d'information et d'orientation doivent-ils être mis en œuvre pour sensibiliser les parents, les enseignants, les collégiens, les lycéens. Pour cela, j'approuve la proposition de la nomination dans chaque département d'un correspondant pour l'enseignement agricole.

L'enseignement agricole doit retrouver son essence et permettre l'installation de jeunes agriculteurs pour toutes les agricultures, de la viticulture à la production laitière, fromagère, bovine, ovine.

La lutte contre les stéréotypes de genre doit permettre de donner aux filles et aux femmes toute leur place et favoriser un accès diversifié à l'enseignement supérieur agricole.

Dès lors que la souveraineté alimentaire redevient une priorité politique, l'enseignement agricole doit permettre aux nouveaux agriculteurs qui s'installent de bâtir un projet économique et entrepreneurial viable, en s'adaptant aux nécessités de la transition agronomique et climatique, aux attentes du citoyen et du consommateur. Il doit aussi intégrer une ruralité vivante, dynamique et porteuse de projets.

Il importe enfin de lutter contre la désertification vétérinaire dans les territoires ruraux et de mobiliser l'enseignement agricole sur l'enjeu du bien-être de l'agriculteur, ses conditions de travail et sa rémunération, qui constitue des problématiques majeures. Nous devons aussi renforcer l'attractivité de l'enseignement, avec une attention accrue aux enjeux de desserte et de conditions d'accueil des apprenants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Bleunven applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « en France, on parle quelquefois de l'agriculture, mais on n'y pense jamais ». Cette phrase date du milieu du XIXe siècle, et est une citation d'Alphonse Karr, journaliste, ami de Victor Hugo – un ancien sénateur ! Elle trouverait sûrement encore un écho auprès de nos agriculteurs. En tous cas, depuis un an, dans cet hémicycle, comme dans notre société, on parle de nos agriculteurs, peut-être plus qu'auparavant. Mais pensons-nous suffisamment à eux ?

Mes chers collègues, plutôt que de faire des déclarations, nous avons deux semaines pour leur prouver que oui ! Nous devons leur montrer qu'ici, au Sénat, nous avons conscience des enjeux colossaux de l'agriculture du XXIe siècle.

Avec ce projet de loi, dont la fermentation a été exceptionnellement longue, nous voulons voter du concret pour changer leur vie ; voter pour affirmer le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture ; voter pour créer des outils qui formeront les nouvelles générations d'agriculteurs ; voter pour faciliter les transmissions et les installations, notamment d'un point de vue financier ; voter pour leur simplifier la vie ; voter, enfin, pour renforcer la préservation de notre environnement, car c'est en agissant ainsi que nous protégerons nos agriculteurs des conséquences déjà dramatiques du dérèglement climatique.

Mes chers collègues, tous ces enjeux sont cruciaux et j'espère que nos débats permettront d'enrichir, une fois de plus, les mesures contenues dans ce texte.

En premier lieu, garantir notre souveraineté alimentaire dans les années à venir exige de notre part, en tant que législateur, d'affirmer juridiquement le caractère d'intérêt général majeur de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture. Affirmer cela, c'est influencer pour l'avenir les politiques publiques qui seront menées par le Gouvernement et envoyer un signal clair pour les prochains contentieux concernant ces activités. Évidemment, il ne s'agit pas de placer l'agriculture au-dessus de l'environnement, mais de mieux équilibrer la balance.

Le deuxième sujet majeur, c'est la formation. Comment pourrons-nous être souverains demain si nous ne formons pas davantage d'agricultrices et d'agriculteurs ? Selon les statistiques de l'Agreste, le service de la statistique et de la prospective du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en 1988, on dénombrait 1 million d'exploitations agricoles en France. En 2022, leur nombre n'est plus que de 380 000. Ce phénomène touche particulièrement l'élevage. En dix ans, la Drôme, mon département, a perdu 18 % de ses exploitations, notamment dans les secteurs bovin, porcin et caprin. Dans mon canton du Diois, en dix ans, la population de bovins a diminué de 30 %.

Face au défi du renouvellement des générations, ce projet de loi apporte des réponses concrètes et utiles. Je pense à la création du « Bachelor Agro », qui sera reconnu comme un diplôme de niveau bac+3. Le groupe RDPI proposera d'ailleurs, au cours des débats, de préciser le contenu des enseignements de cette formation, afin qu'elle prenne en compte les enjeux agricoles des territoires ultramarins.

Je pense aussi à la création du contrat territorial de consolidation ou de création de formations, qui permettra d'augmenter le nombre de jeunes formés par la voie initiale scolaire dans les établissements de l'enseignement agricole technique.

Mais, si nous voulons attirer davantage de jeunes agriculteurs, nous devons également penser à l'attractivité financière. De ce point de vue, l'aide au démarrage prévue dans le texte pour les nouveaux professionnels sera la bienvenue.

Il en est de même de l'expérimentation, pendant trois ans, d'une option intitulée « Écologie, agronomie, territoires et développement durable » pour quelques élèves de seconde dans notre pays. Je ne doute pas que cette option suscitera la curiosité, et peut-être même des vocations.

Toutes ces solutions seront utiles pour sensibiliser les jeunes générations et former les nombreux professionnels dont nous aurons besoin pour être souverains.

Il y a une troisième urgence, mes chers collègues, que nous ne cessons de rappeler : simplifier le quotidien des professions agricoles. Ce projet de loi doit y répondre. Qu'il s'agisse de la création du réseau France services agriculture, qui peut être un véritable levier pour aider nos agriculteurs à transmettre leurs exploitations et à préparer la suite, ou de la mise en place d'un droit à l'erreur pour les agriculteurs, nous avons l'occasion, neuf mois après la présentation de ce texte en Conseil des ministres, de débattre et de voter des mesures pour simplifier la vie des professions agricoles.

Lorsqu'on parle de simplification, je pense aussi aux chiens de protection de troupeaux et à la responsabilité pénale de leurs propriétaires, que nous aborderons également dans nos débats. Notre groupe proposera d'élargir la non-protégeabilité aux troupeaux caprins face aux attaques de prédateurs comme les loups ou les jaguars dans les outre-mer.

En matière de simplification, je me réjouis également des mesures que nous avons votées dans le projet de loi de finances, et en particulier des allégements du coût du travail pour l'agriculture, avec la reconduction du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) et les engagements pris s'agissant du gazole non routier.

Enfin, mes chers collègues, j'ai l'intime conviction qu'opposer agriculture et environnement est très dangereux. Au contraire, en agissant pour l'un, nous pouvons renforcer l'autre. C'était l'un des objectifs de la proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie, présentée par notre collègue Daniel Salmon et que nous avons adoptée la semaine dernière à l'unanimité, à l'issue d'un travail transpartisan.

Je proposerai donc un amendement ayant pour objet d'inclure le texte de cette proposition de loi après l'article 14 du projet de loi. Cela permettra de clarifier les choses pour nos agriculteurs, avec une définition claire et une stratégie nationale.

Mes chers collègues, à nous de saisir cette opportunité pour répondre aux agriculteurs, pour les rassurer et voter une loi d'orientation pour l'avenir de notre agriculture, véritable symbole d'un message de confiance et de soutien envers celles et ceux qui travaillent pour nous nourrir.

Pour conclure, je citerai, à l'orée de nos débats, un bel extrait de Nourrir sans dévaster, un livre de Julien Denormandie – l'un de vos prédécesseurs, madame la ministre – et Erik Orsenna : « Entre les paysans et notre pays, le lien s'est déchiré. Remplacé, trop souvent, par un nauséabond mélange de nostalgie, de mépris et d'accusations. Il est temps, plus que temps, de retisser. » Ensemble, retissons ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Monique de Marco applaudit également.)