M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à souligner l’importance du compromis obtenu en commission mixte paritaire, qui a permis d’aboutir à une version consolidée du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024. Cet accord était indispensable, compte tenu de la nécessité d’adapter notre trajectoire budgétaire à la situation macroéconomique de notre pays et de préserver la mise en œuvre des politiques publiques prioritaires.
Alors que le projet de loi de finances pour 2024 avait été conçu sur des hypothèses macroéconomiques de sortie de crise, l’évolution des paramètres économiques s’est révélée particulièrement atypique, comme l’a souligné l’inspection générale des finances.
En effet, l’élasticité des prélèvements obligatoires par rapport au PIB qui mesure la croissance des prélèvements en fonction de celle de notre activité économique a atteint une valeur de 0,42, bien inférieure à sa moyenne de longue période, proche de 1. Les recettes fiscales ont donc connu un effondrement inédit, qui atteint 41 milliards d’euros cumulés sur les années 2023 et 2024, et le taux de croissance a été révisé à 1 % dès le mois de février.
Ces évolutions ont conduit à une réévaluation du déficit public pour 2024, qui est désormais estimé à 6,1 % du PIB ; un écart notable est donc apparu par rapport aux prévisions initiales.
Confronté à ces chiffres, le Gouvernement a rapidement mobilisé ses outils de pilotage budgétaire : un décret d’annulation de crédits a été publié dès février, permettant de geler 10 milliards d’euros de dépenses. De même, la réserve de précaution a été renforcée et portée à 16,1 milliards d’euros.
Ces mesures ont permis de limiter les effets immédiats de la dégradation économique sur les finances publiques, mais elles nécessitaient d’être complétées par un certain nombre d’ajustements législatifs pour assurer un pilotage budgétaire précis et réactif. Tel est l’objet de ce projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024.
Le texte prévoit ainsi des annulations de crédits, principalement sur les fonds mis en réserve dès cet été, comme c’est le cas, par exemple, sur les programmes « Équipement des forces » – 530 millions d’euros annulés – et « Soutien de la politique de la défense » – 400 millions d’euros annulés.
Je salue, en ce sens, le travail de la commission mixte paritaire et, a fortiori, celui des rapporteurs, qui ont permis l’annulation de reliquats sur la mission « Investir pour la France de 2030 » et, donc, contribué à ce que nous obtenions une version du texte encore plus responsable.
Pour autant, ce texte ne se limite pas à nous permettre de faire face à la situation macroéconomique actuelle ; il apporte aussi son soutien aux secteurs qui en ont besoin. Des crédits supplémentaires sont ainsi alloués à des secteurs stratégiques : 677 millions d’euros pour la défense, afin de couvrir les surcoûts opérationnels liés aux jeux Olympiques et aux missions internationales, 350 millions d’euros pour l’enseignement scolaire, principalement pour les dépenses de personnel, et 231 millions d’euros pour la Nouvelle-Calédonie.
Mes chers collègues, la situation actuelle engage notre responsabilité collective. Notre dette publique, qui pourrait atteindre 112,8 % du PIB, illustre le défi majeur de notre époque : rétablir la soutenabilité de nos finances publiques, tout en préservant notre capacité à investir dans l’avenir.
Ce projet de loi de finances de fin de gestion incarne une stratégie budgétaire claire : réduire de manière ciblée et concertée le niveau de nos dépenses publiques pour dégager les marges de manœuvre indispensables à la poursuite de nos priorités nationales et européennes.
En adoptant ce texte, nous réaffirmerons notre engagement à maîtriser la dépense publique et à répondre aux attentes de nos partenaires européens, de nos concitoyens et des générations futures. Il s’agit de montrer que la France dispose des moyens et de la volonté nécessaires pour concilier rigueur budgétaire et ambition sociale.
Aussi, au nom du groupe RDPI, je vous confirme que nous voterons, comme en première lecture, en faveur de ce texte. Mes chers collègues, redressons nos finances pour garantir la pérennité et la souveraineté de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, ne pas s’opposer à ce texte, dénoncer la gestion passée et rester attentif à la sincérité budgétaire, c’était la position de notre groupe lors de l’examen de ce texte en première lecture. C’est une manière d’envisager notre responsabilité collective face à l’avenir de nos finances publiques et face aux besoins, réels, qui nécessitent des ajustements de crédits.
Les travaux de la commission mixte paritaire confirment la pertinence de cette approche. Je salue par ailleurs le souci du Gouvernement de faire la transparence sur les chiffres et d’actualiser le montant des recettes fiscales.
Ce projet de loi de finances de fin de gestion prend une dimension toute particulière aujourd’hui – les orateurs qui m’ont précédé l’ont dit. Il pourrait devenir, dans les heures qui viennent, le garant de la continuité de certains de nos engagements les plus essentiels.
Dans le moment d’incertitude institutionnelle que nous vivons, marqué par une potentielle censure du Gouvernement et le risque d’une France sans budget au début de l’année 2025, ce texte, supposément technique, est sur le point de se transformer en point d’ancrage, en garantie de continuité de l’action publique.
Oui, ce texte est devenu très important : il sécurise provisoirement un certain nombre de missions vitales avant une possible période de turbulences politiques. Les ajustements budgétaires qu’il prévoit, bien que modestes, offrent en effet des marges de manœuvre précieuses pour les personnes directement concernées. Cette situation nous rappelle l’importance de disposer d’un cadre budgétaire stable pour certaines missions essentielles de l’État qui ne sauraient souffrir des aléas politiques à venir.
Je pense tout particulièrement aux 20 millions d’euros destinés à soutenir les viticulteurs victimes du mildiou, aux 70 millions d’euros à destination des collectivités locales pour réaliser des travaux de voirie, au versement des primes de ceux qui ont assuré la sécurité des jeux Olympiques. Je pense aussi aux crédits de soutien à l’Ukraine, plus que jamais nécessaires, ou à ceux que nous consacrons à la Nouvelle-Calédonie.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, ces mesures illustrent parfaitement la plus-value qu’apporte le travail parlementaire lorsqu’il est mené dans un esprit constructif, lorsqu’il s’appuie sur l’intelligence collective et la recherche du consensus.
La révision à la baisse de certaines recettes traduit également une approche plus réaliste des prévisions. C’est un premier pas vers une plus grande rigueur dans l’appréciation de la situation du pays que nous appelons de nos vœux.
Mais ne nous y trompons pas : ces ajustements ne répondent pas à notre préoccupation fondamentale. Nous continuons à naviguer en nous fiant à des instruments imprécis. Une réforme profonde de nos méthodes de prévision et d’exécution budgétaire demeure urgente.
Aussi, pas de triomphalisme. Ces ajustements techniques, aussi bienvenus soient-ils, ne constituent qu’une première étape vers l’assainissement de nos finances publiques. L’amélioration du solde général ne peut être une fin en soi, particulièrement si elle doit se faire au détriment de l’investissement public ou de notre cohésion sociale.
Notre responsabilité collective face à l’avenir de nos finances publiques exige de notre part une vision plus ambitieuse, qui concilie rigueur budgétaire et préservation de notre modèle social. C’est dans cet esprit que nous devons poursuivre notre travail, quel que soit le contexte, avec la même exigence de sincérité et le même esprit de responsabilité qui ont prévalu lors de la réunion de cette commission mixte paritaire.
Le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste veut exprimer un certain nombre de motifs d’inquiétude.
Le premier concerne la séquence politique qui se joue, ce mercredi, au sein de l’autre chambre du Parlement, à l’Assemblée nationale, à la suite des motions de censure qui ont été déposées par plusieurs groupes politiques.
En cet instant, nous, membres du groupe Union Centriste du Sénat, appelons les députés à la responsabilité, parce que nous estimons, madame, monsieur les ministres, que le Gouvernement n’a pas encore eu le temps d’exercer la plénitude de ses compétences pour mener à bien son action, redresser les comptes publics et apporter des réponses adaptées à nos concitoyens.
Précipiter la chute de ce gouvernement ne pourrait conduire qu’au chaos. À notre avis – soyons clairs –, il importe que celui-ci puisse poursuivre son travail, et que nous puissions aller jusqu’au terme de l’examen du projet de loi de finances dont nous discutons par ailleurs, en parallèle de ce texte. Bref, il faut faire en sorte que, demain, notre pays puisse être dirigé.
Imaginons qu’une motion de censure soit adoptée : que se passera-t-il ensuite ? Personne ne le sait, et on ne peut pas se satisfaire de cette plongée dans l’incertitude. Il est indispensable, pour les jeunes qui sont dans nos tribunes ce matin, pour tous nos concitoyens, que nous fixions un cap très clair. Celui qu’avait proposé le Premier ministre me semblait aller dans le bon sens. Aussi, laissons à ce gouvernement la possibilité de continuer à aller de l’avant.
Mon second motif d’inquiétude a trait à ce projet de loi de finances de fin de gestion. Souvenez-vous, mes chers collègues, nous avions prévu un déficit déjà considérable de 146,9 milliards d’euros dans le cadre de la loi de finances pour 2024, texte pour lequel le Gouvernement avait recouru au 49.3, sans tenir compte, hélas ! d’un certain nombre de propositions que le rapporteur général de notre commission des finances et beaucoup de nos collègues avaient formulées en vue d’améliorer l’état de nos comptes publics.
Malheureusement, le constat est particulièrement accablant, puisque notre déficit devrait atteindre 162,4 milliards d’euros si ce texte, modifié par les deux amendements que le Gouvernement vient de présenter, était adopté. C’est dire le niveau de déficit public de l’État. Et cette situation perdure, il faut le dire, car, depuis déjà cinq ans, notre déficit s’élève à plus de 160 milliards d’euros par an.
Chacun a bien évidemment conscience de l’impact qu’un tel niveau de déficit a sur notre dette, sur les comptes publics et sur notre avenir, dans la mesure où une dette doit, par définition, être remboursée, tout au moins la charge des intérêts de celle-ci, laquelle est prise en compte chaque année dans notre comptabilité publique et croît au fil du temps.
C’est dire aussi notre préoccupation : les déficits et la dette risquent de grever l’action publique dans le futur.
Le Gouvernement vient d’apporter un certain nombre de précisions : elles justifient les dépenses supplémentaires qui devront être engagées et qu’il faut, en conséquence, faire figurer dans le présent projet de loi de finances de fin de gestion.
Nous observons une baisse assez significative des recettes de TVA. Le groupe Union Centriste considère pourtant que cet impôt est sans doute l’un de ceux qui nous permettront d’améliorer la trajectoire de nos finances publiques et de rétablir notre équilibre financier. C’est pourquoi nous invitons le Gouvernement à réfléchir à une hausse de celui-ci.
Nous sommes également préoccupés par la volatilité des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS). Nous appelons là encore le Gouvernement à empêcher les reports de déficit auxquels se livrent les entreprises, afin que les prévisions de recettes en matière d’IS soient les plus justes possible.
Cela étant, nous aurions souhaité une meilleure équation financière pour notre pays, mais nous nous satisfaisons de l’accord trouvé en commission mixte paritaire sur ce texte. C’est la raison pour laquelle le groupe Union Centriste le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous trouvons aujourd’hui dans une séquence de confusion politique et budgétaire, dont le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 est la triste illustration.
Depuis quelques jours, certains nous qualifient, nous, parlementaires de gauche, d’« incohérents » et d’« irresponsables ». Ce récit, que nous devons à la majorité gouvernementale, est la plus incroyable des fake news du moment. La réalité est tout autre, et c’est à la lecture de ce texte que l’on comprend à quel point c’est la gestion du Gouvernement qui est incohérente et irresponsable.
Mes chers collègues, permettez-moi de rappeler quelques faits.
Tout commence, il y a un an ou presque, le 27 novembre 2023. Ce jour-là, une note fait état d’une baisse de 1,1 milliard d’euros des recettes de TVA par rapport aux prévisions arrêtées deux semaines plus tôt. Et, alors que la situation dérape, M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances de l’époque, décide de dissimuler cette information aux parlementaires et de ne rien rectifier. Élisabeth Borne, Première ministre, était, quant à elle, bien informée – je vous renvoie aux travaux de la mission d’information du Sénat sur la dégradation des finances publiques.
En définitive, c’est une moins-value de 2,4 milliards d’euros de TVA qui sera enregistrée pour les deux derniers mois de l’année 2023. S’ajoute à cela une pseudo-taxe sur les superprofits des énergéticiens, qui rapportera 11,7 milliards d’euros de moins qu’escompté. Les vrais superprofits, eux, s’accumulent malheureusement.
Tout cela explique pourquoi Bruno Le Maire décidera, par un décret du 21 février 2024, d’annuler 10 milliards d’euros de crédits budgétaires, moins de deux mois après le 49.3 ayant permis l’adoption de la loi de finances pour 2024. Ces annulations correspondent à un coup de rabot inédit sur les investissements essentiels à la Nation : la transition écologique, pour ne citer que ce poste budgétaire, se voit ainsi amputée de 2,2 milliards d’euros.
On le voit, le Gouvernement revient, seul, sur un budget qu’il a élaboré seul. Il est donc le seul responsable de cette dérive !
L’exécutif continuera à laisser le pays s’acheminer vers un déficit abyssal : au mépris du Parlement, il reportera de 2023 à 2024 pour 16,1 milliards d’euros de crédits. À cette époque, les sénateurs étaient nombreux, sur quasiment toutes les travées de cet hémicycle, à réclamer un projet de loi de finances rectificative. Nous voulions qu’un débat se tienne au Parlement sur les moyens de résorber le déficit qui filait et de réorienter la politique budgétaire. Refus de l’Élysée : pas de budget rectificatif avant les élections européennes… Le choix est fait, celui de la confusion budgétaire, politicienne et électoraliste !
À partir du mois de mai, des crédits sont gelés, puis la dissolution est prononcée. Le Gouvernement gère les affaires courantes et continue à mettre de l’argent de côté. Les ministères sont en grande difficulté budgétaire, les services publics aussi.
Les urnes parlent, mais le Président de la République décidera de les ignorer. Il laissera traîner la nomination d’un nouveau Premier ministre durant soixante jours. Ensuite, il restera encore à Michel Barnier à constituer son gouvernement. On le voit, l’élaboration des budgets n’est donc pas la priorité : elle attendra !
Le nouveau Premier ministre fait des annonces et consomme les crédits gelés. Finalement, ce sont 6 milliards d’euros qui sont annulés dans ce projet de loi de finances de fin de gestion, contre 16,5 milliards d’euros initialement gelés. Et tout cela pour aboutir à un déficit de 6,1 % du PIB…
La gestion budgétaire opaque et passive du Gouvernement aura eu raison de la crédibilité budgétaire de notre pays. Qui est donc responsable de cette situation ?
Cette semaine, une commission mixte paritaire, ce verrou antidémocratique de la Ve République, s’est accordée une fois encore – c’était le cas pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale la semaine passée – sur un texte budgétaire, alors que l’Assemblée nationale en avait décidé autrement.
Le Parlement est décidément réduit à bien peu de chose. De même, le ministre du budget, avec le soutien de la majorité sénatoriale, a décidé, lors d’une séance dominicale – c’était le 1er décembre – de nous faire revoter ici même, au Sénat, sur des mesures de recettes que nous avions pourtant adoptées.
En conséquence, le relèvement de trois points de l’imposition des actifs financiers, qui représentait un montant de 2 milliards d’euros, a disparu du texte ; la hausse de la taxe sur les transactions financières a été amoindrie de 550 millions d’euros ; enfin, nous sommes revenus sur la taxe sur les géants du numérique, les Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (Gafam) pour une perte estimée à 1,5 milliard d’euros.
Toutes ces dispositions, adoptées par le Sénat, ont été balayées sous la pression du Gouvernement lors d’une seconde délibération demandée par celui-ci. Même des amendements, pourtant adoptés avec l’avis favorable du ministre, ont subi ce sort. Qui est donc incohérent ? Est-ce vraiment la gauche ?
Les déficits publics et le progrès social sauront s’en souvenir. L’exécutif, les locataires de l’Élysée et de Matignon, doivent être tenus pour seuls responsables du chaos politique.
Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas ce projet de loi de finances de fin de gestion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 147 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 243 |
Contre | 97 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures trente-deux.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Loi de finances pour 2025
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale, pour 2025 (projet n° 143, rapport n° 144, avis nos 145 à 150).
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
seconde partie (suite)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Administration générale et territoriale de l’État
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
La parole est à Mme la rapporteure spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les crédits demandés pour la mission « Administration générale et territoriale de l’État » (AGTE) s’élèvent à 4,9 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) et à 4,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE), soit une hausse de 6 % en CP et une baisse de 15 % en AE par rapport à 2024. Si elle représente une masse budgétaire assez faible dans le budget de l’État, de l’ordre de 1 %, cette mission n’en demeure pas moins intrinsèquement liée à la présence de l’État dans les territoires, et par là même à la vitalité de nombreux services publics au plus près de nos concitoyens, qui en sont les usagers.
Tout d’abord, la hausse des crédits de paiement pour 2025 est portée par les dépenses immobilières principalement liées à deux projets d’ampleur pour le ministère de l’intérieur : le site unique de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Saint-Ouen et le projet Universeine, qui a vocation à accueillir plusieurs services de l’administration centrale du ministère de l’intérieur à Saint-Denis sur l’ancien site du village olympique.
Dans une moindre mesure, les dépenses immobilières des préfectures et des sous-préfectures contribuent également à cette hausse. Il s’agit de dépenses contraintes : la situation de l’immobilier de l’administration territoriale de l’État (ATE) est particulièrement dégradée et il convient de rattraper le retard par rapport aux objectifs énergétiques, à la fois européens et nationaux. Au vrai, cette hausse est très éloignée des besoins réels.
La hausse des crédits traduit donc un besoin de rattrapage pour une administration territoriale qui est « clairement à l’os », pour employer les termes prononcés par le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau ici même au Sénat. De nombreux services sont en souffrance à cause des baisses d’effectifs drastiques qui ont été menées jusqu’en 2020 – 11 000 postes ont été supprimés. Je pense en particulier aux services chargés de la délivrance des titres et à ceux qui assurent le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales.
Ces missions ont pourtant été jugées prioritaires de manière explicite : elles figurent dans le document du ministère de l’intérieur intitulé Missions prioritaires des préfectures 2022-2025. Au regard de la situation délabrée des services chargés de l’accueil des étrangers et du contrôle de légalité, je peine à imaginer quel pourrait être l’avenir de ces services après 2025, lorsqu’ils ne relèveront plus d’une mission dite prioritaire…
Alors que 45 postes devaient être créés en 2025 dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), il n’en est rien : les effectifs stagnent, loin du mirage d’un « réarmement » de l’État territorial. Dans ce contexte, il serait bon de recourir aux nombreux usages de l’intelligence artificielle pour améliorer le quotidien des agents publics, à défaut de compenser cette stabilisation des effectifs. L’intelligence artificielle pourrait notamment être utilisée pour exécuter des tâches répétitives et pour réaliser des contrôles dans le cadre de la délivrance de titres sécurisés.
Or force est de constater qu’il n’en sera rien avant 2030. C’est d’autant plus regrettable que, selon la trajectoire financière de la Lopmi, la « révolution numérique » du ministère de l’intérieur devait intervenir à l’horizon de 2027.
Mon dernier point de préoccupation porte sur les dépenses de vidéoprotection, qui relèvent à la fois du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR), pour ce qui concerne les établissements scolaires et les lieux de culte, et de la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa) pour ce qui concerne la voie publique. Alors que ces dépenses sont en augmentation de 27 % par rapport à 2024, de nombreuses préfectures et communes ne voient pas arriver les crédits, alors même qu’elles ont déjà engagé des dépenses.
Pour conclure, vous voyez bien, mes chers collègues, que derrière la hausse des crédits de la mission AGTE se cachent des services publics bien trop longtemps délaissés et peinant à retrouver un peu d’air. Je tiens à le rappeler, le domaine d’intervention du ministère de l’intérieur va bien au-delà de la sécurité des personnes. Cette mission, qui reste le parent pauvre de la programmation budgétaire du ministère, l’illustre bien.
Ainsi, sous bénéfice de ces observations et au regard du contexte budgétaire particulièrement dégradé, la commission des finances vous propose d’adopter les crédits de la mission. (M. le président de la commission des finances applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la hausse des crédits du programme 354 « Administration territoriale de l’État », qui constitue l’élément central de la mission budgétaire, se concentre essentiellement sur les dépenses immobilières, pour répondre à la pression liée aux impératifs de rénovation et aux coûts énergétiques. Si les efforts consentis permettent de sauver les apparences, ils ne sauraient occulter une réalité plus insidieuse : celle d’institutions n’étant plus que l’ombre d’elles-mêmes, car elles sont privées des moyens humains nécessaires pour assumer pleinement leurs missions.
Je prendrai l’exemple des maisons France Services. À ce jour, 41 sous-préfectures et 5 préfectures ont obtenu ce label, mais cette montée en puissance se heurte à une réalité plus complexe. À l’heure actuelle, la moitié des sous-préfectures fonctionnent avec moins de dix équivalents temps plein (ETP). En conséquence, un tiers des sous-préfectures labellisées doivent recourir à des partenariats externes pour maintenir une présence minimale.
Ces constats mettent en lumière une fragilisation persistante de l’administration territoriale, fruit d’une décennie d’érosion que la stabilisation budgétaire prévue pour 2025 ne saurait compenser.
La commission des lois, parce qu’elle est consciente des incertitudes budgétaires actuelles et des efforts déployés pour préserver les moyens de l’administration territoriale, a choisi d’émettre un avis favorable sur l’adoption de ces crédits. Cet avis est loin d’être un quitus. Au contraire, nous appelons à ce que ce budget ne soit pas un renoncement voilé aux objectifs de la Lopmi, car l’État ne saurait être absent ou défaillant dans les territoires.
À cet égard, la vigilance est de mise : au-delà de la question des effectifs, c’est l’illisibilité croissante de l’action territoriale qui doit nous interpeller. En effet, la clarté de cette dernière est mise à mal par une multiplication du nombre d’opérateurs, qui oblige paradoxalement les préfectures à créer de nouveaux postes pour en assurer la coordination. En s’éparpillant ainsi, l’État territorial se fragilise.
S’ajoute à ce manque de clarté le défi de la dématérialisation des services publics. Cette transformation sous l’impulsion du plan Préfectures nouvelle génération, qui franchit une nouvelle étape avec le déploiement en 2024 de l’ambitieux programme France identité numérique, exacerbe une fracture numérique déjà préoccupante. À titre d’exemple, le dispositif de dématérialisation des procurations de vote – que j’ai eu l’occasion d’examiner en détail – révèle des contraintes propres, parmi lesquelles l’usage d’un téléphone portable de dernière génération.
Par ailleurs, l’insuffisance des mesures d’accompagnement ne fait qu’accentuer les difficultés, dans un contexte où les crédits destinés aux conseillers numériques seront drastiquement réduits dès 2025.
En outre, ces projets de dématérialisation, aussi innovants soient-ils, exigent une réflexion profonde sur la reconfiguration des pratiques qui en découlent. Par exemple, la procuration de vote est un mécanisme historiquement dérogatoire et rigoureusement encadré. Elle ne saurait être réduite à une solution de facilité, exécutable en quelques clics. Pour préserver la cohérence du dispositif, il est impératif d’introduire des limites adaptées, notamment en matière de délais.
C’est pourquoi la commission des lois, malgré son avis favorable, s’inquiète de certains risques de dérive. Elle rappelle que la présence de l’État territorial ne saurait se limiter à des bâtiments rénovés ou à des outils numériques modernisés. Celle-ci doit avant tout s’incarner dans une présence humaine, accessible, lisible et pleinement engagée, car un État fort ne saurait exister sans ancrage territorial.