M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 2008, la France mène à Djibouti l’opération Atalante, pour lutter contre les pirates, qui, se livrant à de nombreux pillages, entravent la circulation dans le golfe d’Aden, passage clé du commerce mondial. Or, depuis plusieurs mois, l’opération engagée se heurte à de grandes difficultés.
En effet, les rebelles yéménites houthis, en conflit avec l’Arabie saoudite et soutenus par l’Iran, dont ils sont les « proxys », multiplient les assauts contre les navires occidentaux. La France se doit donc de lutter, non seulement contre les actes de piraterie, mais contre ces attaques à caractère politique.
Lundi dernier, les Houthis ont attaqué deux destroyers américains à l’aide de drones et de missiles dans le détroit de Bab el-Mandeb. Des navires de la CMA-CGM, ainsi que la frégate Languedoc, avaient déjà été directement ciblés il y a quelques mois.
À l’heure actuelle, plusieurs compagnies maritimes sont contraintes de contourner cette zone. Violant à la fois la liberté du commerce et le droit international, ces attaques menacent notre sécurité. Elles portent atteinte à notre économie nationale et, au-delà, à l’économie européenne. Elles empêchent les liaisons maritimes avec nos territoires de l’océan Indien, Mayotte et La Réunion, déjà fortement perturbées.
Dans ce contexte, le Sénat doit se prononcer sur une proposition de résolution du groupe RDPI condamnant les méfaits des Houthis en mer Rouge et appelant à une action internationale pour protéger le commerce maritime.
Madame Duranton, je ne reviendrai pas sur les conséquences écologiques et surtout économiques que vous détaillez dans ce texte. Vous avez raison d’appeler l’attention sur ces réalités préoccupantes, mais je regrette que vous n’insistiez pas davantage sur la menace internationale que représentent les Houthis.
Il s’agit là d’un sujet plus grave encore que les atteintes infligées au commerce. Alors que l’ombre du danger islamiste plane sur Israël, les Houthis, qui contrôlent de vastes régions du Yémen, appartiennent, comme le Hamas et le Hezbollah, à ce que l’Iran appelle l’axe de résistance contre Israël.
Ce sont les trois H de la terreur. Ce sont les trois H du terrorisme : Hezbollah, Hamas, Houthis.
Mme Nathalie Goulet. Exactement !
Mme Valérie Boyer. La devise que les Houthis ont adoptée en 2003 en dit long de leurs intentions et de la menace qu’ils incarnent : « Dieu est grand. Mort à l’Amérique. Mort à Israël. Maudits soient les Juifs. Victoire à l’Islam. » Dans plusieurs rapports, l’ONU a d’ailleurs démontré que l’Iran a fourni divers matériels militaires aux Houthis.
Je regrette donc la portée quelque peu limitée de cette proposition de résolution : ses auteurs se contentent de demander des mesures économiques compensatoires et d’adresser au Gouvernement des requêtes assez vagues. On pourrait aller plus loin.
Mes chers collègues, alors même que nous dénonçons le traitement réservé aux femmes afghanes et iraniennes, nous restons bien trop silencieux quant au sort des femmes yéménites dans les territoires tenus par les Houthis, lesquelles, à l’instar des enfants, endurent de grandes souffrances.
Ces femmes doivent porter de longues tenues couvrantes. Pour voyager dans les gouvernorats contrôlés par les Houthis ou dans d’autres régions du Yémen, elles doivent être accompagnées d’un tuteur masculin ou munies de son autorisation écrite.
Les Houthis empêchent de nombreuses femmes yéménites de travailler, en particulier celles qui doivent se déplacer au titre de leurs activités professionnelles.
Mes chers collègues, je précise que les contraintes liées au tutorat masculin s’étendent aux travailleuses humanitaires yéménites, qui luttent pour mener à bien leurs missions de terrain. En résultent des conséquences directes sur l’aide à la population, notamment pour les femmes, les jeunes filles et les enfants.
Le Yémen se trouve aujourd’hui dans une situation humanitaire extrêmement préoccupante. Au sein de la population, ce sont les petites filles, les jeunes filles et les femmes qui sont les plus menacées. Et je ne parle pas des mariages forcés, qui concernent souvent de très jeunes femmes, ou des grossesses précoces, qui sont malheureusement le lot des femmes yéménites.
La France doit être la porte-parole de ces femmes. Elle doit demander à la communauté internationale de faire pression sur les Houthis pour qu’ils mettent immédiatement fin à ces procédés.
Même si nous regrettons que l’on n’aille pas plus loin, nous voterons bien sûr cette proposition de résolution déposée par le groupe RDPI sur l’initiative de Mme Duranton. Dénoncer les actes de piraterie des Houthis est une manière de lutter contre la pieuvre iranienne, dont les tentacules s’étendent désormais un peu partout ; de combattre l’Iran, qui mène cette guerre de déstabilisation et porte, avec d’autres, une lourde responsabilité dans les récentes entreprises terroristes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe RDPI.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à saluer l’ambassadeur du Yémen, présent dans nos tribunes. Je le remercie de sa confiance et de son amitié, sur laquelle je peux compter depuis de nombreuses années.
De même, je salue l’auteure de cette proposition de résolution. Roger Karoutchi et Valérie Boyer l’ont souligné avec raison : le Hamas, le Hezbollah et les Houthis font partie de la même internationale du terrorisme.
Dernier orateur de cette discussion générale, je tiens à rappeler que les Houthis ne se sont pas improvisés pirates au lendemain du 7 octobre 2023.
Ces mercenaires, qui sont absolument prêts à tout et pratiquent la piraterie depuis très longtemps,…
Mme Valérie Boyer. Oui !
Mme Nathalie Goulet. … ont mis le Yémen à feu et à sang.
Lorsque la coalition menée par l’Arabie saoudite a commencé à lutter contre ces milices, elle a suscité énormément de réactions. Mais vous comprenez bien que l’Arabie saoudite, comme les Émirats arabes unis, n’a aucun intérêt à avoir un Hezbollah bis à ses frontières. C’est exactement de cela qu’il s’agit. (Mme Nicole Duranton le confirme.)
Je me suis rendue au Yémen à de très nombreuses reprises – ma dernière visite remonte à 2017. Ce pays est placé dans une situation tragique. À tout le moins, cette proposition de résolution permettra d’attirer l’attention sur son sort, et c’est déjà une très bonne chose.
Il faut surtout faire preuve du plus grand volontarisme pour engager un certain nombre de procédures et, notamment, prononcer des sanctions financières. Il faut décréter un embargo. Il faut lutter contre le trafic de drogue. Il faut veiller à ce que l’argent de la piraterie ne vienne pas alimenter le terrorisme : c’est ainsi que nous devons agir, pour que cette piraterie endogène ne déstabilise pas davantage encore l’ensemble de la région. Je le répète, ces flux financiers doivent être interrompus.
Chère Nicole Duranton, je vous invite donc à déposer une autre proposition de résolution, détaillant un certain nombre de sanctions financières. À cet égard, je vous recommande l’excellent ouvrage que j’ai consacré au financement du terrorisme : vous y trouverez un chapitre relatif à la piraterie, traitant entre autres des Houthis.
Monsieur le secrétaire d’État, nous disposons en la matière d’un faisceau d’indices à la fois denses et concordants. Il faut adopter des sanctions financières, en particulier pour lutter contre le trafic de drogues – la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France nous a récemment permis d’insister sur cet enjeu.
Aujourd’hui, cette proposition de résolution nous permet de parler du Yémen. L’ensemble des orateurs l’ont rappelé : ce pays est essentiel à la stabilité régionale et même mondiale. Je crois pouvoir affirmer que M. l’ambassadeur du Yémen est à votre disposition pour travailler avec vous.
C’est une chance que cette proposition de résolution ait été inscrite à l’ordre du jour, et les élus du groupe Union Centriste ne manqueront évidemment pas de la voter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi avant tout d’exprimer ma gratitude aux auteurs de cette proposition de résolution, à commencer par Nicole Duranton. (Mme Nicole Duranton apprécie.) C’est le premier texte sur lequel j’ai l’honneur d’intervenir, en tant que secrétaire d’État, dans cette maison qui m’est si chère.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans la pleine continuité de l’action déterminée menée par le Gouvernement pour répondre aux attaques inacceptables perpétrées par les rebelles houthis en mer Rouge.
Depuis le début de la guerre à Gaza, ces combattants yéménites insurgés se réclamant de la cause palestinienne multiplient les assauts indiscriminés contre les navires de commerce internationaux battant pavillon au large du Yémen. Soutenus et armés par la République islamique d’Iran, ils portent la responsabilité de plus de 150 actes d’agression depuis le mois de novembre 2023. Ils ont, en outre, visé à de nombreuses reprises le territoire israélien.
Cette escalade belliqueuse fait planer une menace croissante sur la sécurité de la région. Dotés de moyens de plus en plus sophistiqués, grâce aux armes venues d’Iran, les Houthis ont franchi un cap supplémentaire dans la violence : le recours aux drones et aux missiles balistiques est devenu une réalité tristement ordinaire.
Le sort du cargo britannique Rubymar, en février dernier, illustre cette montée de la brutalité. Frappé par deux missiles, ce vraquier chargé de 22 000 tonnes d’engrais chimiques a fait naufrage, suscitant de vives inquiétudes environnementales. Aucune victime n’avait toutefois été déplorée parmi l’équipage.
Le bilan de l’attaque conduite contre le navire True Confidence, le 6 mars dernier, s’est malheureusement révélé plus lourd. Plusieurs marins y ont en effet trouvé la mort. Ces victimes innocentes témoignent de l’horreur et de la gravité de ces assauts, qui font régner la terreur sur les mers.
Parce qu’il entrave le commerce international, ce climat de peur porte directement atteinte aux intérêts de la France, ainsi qu’à ceux de l’Europe et de nos partenaires à travers le monde.
Au début de l’année 2024, le Fonds monétaire international (FMI) enregistrait une baisse de 30 % du trafic de conteneurs via la mer Rouge, tandis que la Commission européenne évoquait une diminution des flux de 22 % dans cette région stratégique.
La perturbation des chaînes d’approvisionnement fait pression sur les prix de consommation et risque d’aggraver l’inflation qui pèse sur nos concitoyens. Face à cet engrenage dangereux, la France appelle à l’arrêt immédiat des exactions commises par les Houthis.
Voilà des mois que nous dénonçons avec vigueur leur comportement irresponsable. En novembre 2023, ils ont notamment détourné le navire Galaxy Leader. Depuis lors, nous appelons sans relâche à sa libération ainsi qu’à celle de son équipage.
Face à l’ampleur de cette menace, nous ne nous contentons pas d’élever la voix : avec l’appui de nos partenaires européens, nous avons adopté une posture défensive en mer Rouge.
Le 19 février dernier, sous l’impulsion de la France, l’Union européenne a donné le coup d’envoi de l’opération maritime Aspides, dont l’objectif est de rétablir la sécurité maritime et de garantir la liberté de navigation au large du Yémen. Les résultats obtenus à ce titre sont significatifs : plus de 270 navires ont été escortés. De surcroît, de nombreux drones et missiles lancés par les Houthis ont été interceptés.
Cette opération est un témoignage fort de la volonté sans faille de la France et de l’Union européenne de restaurer la sécurité dans cette zone de passage cruciale. Le succès du remorquage du pétrolier Sounion, pris pour cible par les Houthis, a notamment permis d’éviter une catastrophe environnementale d’envergure.
Cette action coordonnée le confirme : l’Union européenne est déterminée à stabiliser cette région stratégique et à prévenir toute escalade.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, là où le droit international est menacé, la France, fidèle à son héritage et guidée par les idéaux qui la façonnent, s’érigera toujours pour le protéger.
La sûreté maritime et la liberté de navigation en mer Rouge, garanties fondamentales des échanges mondiaux et de la sécurité de nos partenaires, traduisent des principes intangibles qui mobilisent toute notre vigilance.
À l’unisson des autres nations européennes, la France continuera de veiller sur ces eaux, afin qu’elles deviennent libres et sûres. C’est pourquoi, au nom du Gouvernement, je tiens de nouveau à saluer cette proposition de résolution, dont je souligne la parfaite cohérence avec les actions menées par la France.
Notre pays, qui peut compter sur l’appui indéfectible de ses partenaires et œuvre sous l’égide de l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Hans Grundberg, ne reculera devant aucun effort pour ranimer la flamme de la paix au Yémen. C’est notre devoir, au nom de la justice et de l’humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution visant à condamner les actions des rebelles houthis en mer rouge et à appeler à une action internationale pour protéger le commerce maritime et l’environnement dans cette zone
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le Chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,
Vu la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982,
Vu les résolutions 2216 (2015), 2675 (2023), 2691 (2023), 2707 (2023) et 2722 (2024) du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Yémen,
Vu la résolution du Parlement européen du 11 février 2021 (2021/2539(RSP)) sur la situation humanitaire et politique au Yémen,
Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 25 juin 2018 sur la situation au Yémen,
Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 19 février 2024 sur la sûreté maritime et la liberté de navigation en mer Rouge,
Considérant que les attaques des rebelles houthis sont une menace pour le commerce international, l’environnement, la stabilité régionale et la sécurité mondiale ;
Réaffirmant l’importance de l’exercice des droits et des libertés de navigation des navires dans la mer Rouge, y compris les navires marchands et les navires de commerce passant par le détroit de Bab el-Mandeb, conformément au droit international ;
Soulignant que la hausse du coût du transport des biens et des marchandises a des répercussions négatives sur la situation économique mondiale, et notamment sur l’économie française ;
Condamne avec la plus grande fermeté les attaques des rebelles houthis en mer Rouge contre des navires marchands et commerciaux, qui constituent une menace pour la sécurité maritime, l’environnement et le commerce international, et portent atteinte à la paix et à la sécurité régionales comme mondiales ;
Exprime sa solidarité aux victimes et aux pays touchés par ces attaques, notamment l’équipage retenu en otage du navire de marchandises Galaxy Leader capturé le 19 novembre 2023 ;
Réaffirme que le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriales des États côtiers de la mer Rouge est une condition essentielle à la stabilité régionale, elle-même nécessaire à une cessation des violences en mer Rouge ;
Appelle à poursuivre les actions de la coalition internationale pour améliorer la sûreté et la sécurité des navires marchands et commerciaux en mer Rouge, ainsi que pour faire cesser les attaques houthies qui menacent la sécurité régionale, mondiale, l’environnement et le commerce global ;
Soutient les efforts diplomatiques visant à trouver une solution politique au conflit au Yémen, dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays ;
Appelle les États membres de l’Union européenne à réfléchir à des solutions permettant de protéger l’industrie et l’économie européennes des conséquences des actions des rebelles houthis en mer Rouge ;
Demande au Gouvernement français d’être attentif à la situation de la mer Rouge et de sa région afin d’éviter toute aggravation de la situation et dans le but de faire cesser les attaques ;
Demande au Gouvernement français de réfléchir à des solutions pour protéger l’économie de notre pays de sorte à ce que la situation en mer Rouge n’ait pas d’impact négatif sur le pouvoir d’achat des Français ;
Demande au Gouvernement français de continuer à jouer un rôle actif et constructif dans ce sens.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 36 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 322 |
Contre l’adoption | 0 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Corrida et combats de coqs
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, la discussion de la proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans, présentée par Mme Samantha Cazebonne et plusieurs de ses collègues (proposition n° 475 [2023-2024], résultat des travaux n° 116, rapport n° 115).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi.
Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour aborder une question qui transcende les clivages politiques et les traditions, celle de la protection de nos enfants contre l’exposition à la violence, en particulier à l’occasion de spectacles tels que les corridas et les combats de coqs.
Ces pratiques sont reconnues comme des actes de cruauté aux termes de l’article 521-1 du code pénal, mais bénéficient d’une exception pénale lorsqu’une tradition locale est invoquée. Ce motif dérogatoire, d’ordre culturel, ne saurait pour autant atténuer leur caractère cruel et violent.
Il est indéniable que, ces dernières années encore, l’État et le législateur ont exprimé la volonté de protéger les mineurs de l’exposition à la violence, en raison de leur vulnérabilité, laquelle a été reconnue par des dispositions légales. Je pense en particulier aux articles 226-14 et 434-3 du code pénal.
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) encadre, quant à elle, la diffusion de la tauromachie à la télévision afin d’éviter de heurter la sensibilité des téléspectateurs, en imposant une signalétique jeunesse et en interdisant la diffusion de la mise à mort.
Selon un sondage mené par l’Institut français d’opinion publique (Ifop), une écrasante majorité des Français soutient cette proposition de loi qui vise à interdire l’accès des mineurs de moins de 16 ans à des spectacles violents : 80 % dans les territoires taurins et 86 % sur l’ensemble du territoire.
Ce soutien transcende les divisions partisanes, même dans les départements taurins, et témoigne d’une conscience collective, qui appelle une action législative cohérente en faveur de la protection de nos enfants sur l’ensemble du territoire national.
Je me permets d’insister sur l’importance d’assurer une cohérence entre le droit et certaines recommandations. Comment comprendre que, comme le préconisent les experts de l’enfance dans un souci de protection, on demande à des parents d’empêcher leurs enfants de regarder une corrida sur un écran, mais que ceux-ci puissent assister aux mêmes scènes de cruauté in vivo ? Pourquoi, dans ce cas-là, les recommandations et la loi s’effaceraient-elles ?
Qui parmi nous – j’y insiste – peut comprendre que l’Arcom et le législateur demandent aux parents de ne pas exposer leurs enfants à des scènes violentes et de cruauté à la télévision, mais les affranchissent dans le même temps de leurs obligations s’il s’agit de voir les mêmes scènes dans la réalité ?
Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas la corrida, je me permets de vous livrer le témoignage d’une femme, qui a assisté, alors qu’elle était une petite fille de 6 ans, à une course de taureaux, pour la première et dernière fois. J’appelle votre attention sur le fait que ce témoignage a été fait à l’âge adulte, donc bien des années après : il montre l’impact du traumatisme, encore vif aujourd’hui.
« Vers l’âge de 6 ans, en vacances, j’assiste à un divertissement qui me refroidira pour le reste de ma vie : la mise à mort d’un animal, dont l’incapacité de s’enfuir, cloîtré dans cette arène close, et la compréhension d’une fin proche le rendent agressif envers les hommes à cheval et ceux qui se trouvent dans l’arène. On le fait donc courir dans tous les sens, on le pousse, on le pique, on le harcèle jusqu’à son épuisement. Et la foule qui hurle, massée autour de moi, des “olé” à qui mieux mieux… C’est donc ça, une corrida ? Hurler de manière insensée, fatiguer un animal, jusqu’à lui enfoncer des piques dans son corps meurtri ? C’est donc ça, une fête, pour certaines personnes ? Regarder, jusqu’à être obnubilé, la mort d’un taureau ? Le taureau s’est effondré sur ses pattes avant, et le coup de grâce est venu, mettant fin à ce carnage. Je n’arrive même pas à trouver un mot plus fort exprimant ma colère, mon impuissance et mon étonnement face à ce spectacle. Tout se mélange, tout le monde hurle de joie, l’animal meurt, et je suis dégoûtée. »
C’est parce qu’elle était forcée d’assister à cette cruauté que, dans son livre intitulé Grand-père, Marina Ruiz Picasso évoquait avec franchise les traumatismes douloureux qu’elle a subis pendant l’enfance et qui sont encore bien présents.
Quelle place doit avoir une scène de violence, pendant laquelle un taureau souffre, pour un enfant de 5 ans ou de 14 ans ? Est-il acceptable que des mineurs soient témoins de la souffrance d’un être vivant, alors que leur compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation ?
Nous avons le devoir de protéger leur innocence.
Par ailleurs, il faut prendre en compte le conflit de loyauté auquel nos enfants peuvent être confrontés. En effet, combien d’entre eux osent dire non lorsqu’ils se trouvent sous l’influence d’un parent enthousiaste et déterminé à l’idée d’assister à une telle atrocité ? Cette pression émotionnelle peut les pousser à participer à des spectacles qui violent les normes fondamentales fondant le respect pour la vie.
Les traumatismes résultant de l’exposition à des images de violence ne doivent pas être sous-estimés. De nombreuses études documentent leur impact négatif sur le développement moral et comportemental de nos jeunes.
Comment, alors, justifier une exposition réelle à de telles violences ?
Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, chargé de surveiller la mise en œuvre de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), laquelle a été ratifiée par la France, a recommandé depuis 2016 à notre pays de redoubler d’efforts pour interdire l’accès des enfants aux spectacles de tauromachie, soulignant l’importance de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les États signataires de cette convention doivent rendre des comptes et veiller à ce que toute recommandation soit suivie. L’absence de mention de ces pratiques dans les rapports fournis au Comité témoigne d’une complaisance que nous ne pouvons plus accepter.
Mes chers collègues, nous qui ratifions régulièrement des conventions internationales, comment pouvons-nous, en toute conscience, ignorer les recommandations de ce comité ?
Nous le savons, en ratifiant une convention, nous nous engageons. Nous ressentons une fierté collective et individuelle chaque fois que les droits des enfants progressent et que nous votons en leur faveur.
Alors, pourquoi ne serions-nous pas tout aussi fiers de voir l’interdiction d’exposer les enfants à la violence et à la cruauté appliquée sans exception ? Pourquoi une exception existerait-elle ici, en France, pays de l’égalité ?
Là encore, Arnaud Bazin, l’ensemble des sénateurs qui ont cosigné ce texte dans un esprit transpartisan et moi-même ne demandons qu’une seule chose : de la cohérence pour protéger les enfants.
Je tiens aussi à souligner qu’Élisabeth Badinter et Simone Veil ont soutenu une telle interdiction. Ce soutien de femmes si estimables, dont l’engagement et les convictions sont remarquables, constitue un puissant appel à agir : nous ne pouvons l’ignorer.
Enfin, permettez-moi de saluer l’engagement de toutes celles et de tous ceux qui se battent pour protéger les enfants et faire reconnaître la souffrance imposée à des êtres vivants, y compris aux animaux, que nous sommes nombreux, ici, à respecter. Ils défendent depuis des années la demande que je porte aujourd’hui et s’élèvent avec force contre la cruauté. Leur mobilisation est un exemple de courage et de détermination.
Mes chers collègues, j’ai suivi avec attention le travail que vous avez effectué au sein de la commission des lois. Celle-ci a estimé que « le dispositif proposé était inapplicable en l’état », que le texte « n’apportait pas de solution adaptée au renforcement de la protection des mineurs et était susceptible de poser d’importantes difficultés de droit et de fait ».
Ceux qui nous écoutent pourraient en déduire que le présent texte n’aurait pas été rédigé dans les règles et que le fond du débat serait détourné au prétexte de mettre l’accent sur la forme.
La forme devient soudainement primordiale dans l’argumentation de la commission. Pourtant, le recours à des contorsions juridiques pour maintenir un état d’exception permettant d’exposer des enfants à une pratique que nous interdisons partout ailleurs semble paradoxal.
L’argument selon lequel la proposition de loi serait inapplicable en l’état pourrait bien dévoiler une énième stratégie consistant à éviter de voter ce texte, ou, pire encore, à ne pas lui donner une chance d’être débattu. C’est pourtant ce que réclament 80 % des Français.
En outre, pourquoi ne pas avoir réfléchi à la question des peines, jugées surdimensionnées ? Pourquoi, si la forme est le problème, monsieur le rapporteur, n’a-t-il pas été proposé une solution de substitution, d’autant qu’elle est envisageable ? C’est ce que mon collègue Arnaud Bazin et moi-même avons fait, dans une logique de coconstruction, en déposant un amendement. Nous espérons qu’il permettra la tenue du débat, que de nombreux citoyens, je le redis, attendent aujourd’hui.
Dans cette perspective, nous vous demandons, mes chers collègues, de bien vouloir retirer vos amendements de suppression.
J’y insiste, ce débat de société doit avoir lieu, comme le souhaite une écrasante majorité de Français.