M. Laurent Burgoa. Je pense que nous avons compris !

Mme Samantha Cazebonne. Quel message leur enverrions-nous si la discussion ne devait pas avoir lieu ? En tant que représentants de la Nation, nous ne pouvons pas ignorer leur souhait.

M. Laurent Burgoa. Le temps est écoulé !

Mme Samantha Cazebonne. À ceux qui me disent que ce texte est un premier pas vers l’abolition de la corrida, ou qu’il limite l’accès à ces spectacles avant d’interdire la chasse, je répondrai ceci : il nous incombe, à nous, législateurs, de regarder la loi, toute la loi, rien que la loi.

Comment, en toute bonne foi, pourriez-vous affirmer que leurs craintes se trouvent confirmées par ce texte ? Il n’y est à aucun moment fait mention de la chasse ni d’une quelconque abolition de la corrida.

Je fais appel à votre honnêteté intellectuelle, mes chers collègues. Je sais pouvoir compter dessus.

En conclusion, il est de notre devoir de refuser toute forme de complaisance face à cette réalité. (Marques dimpatience sur les travées des groupes Les Républicains et SER, ainsi quau banc des commissions.)

Nous devons agir avec conviction et voir la réalité en face, sans laisser penser ou dire que cette proposition de loi n’aurait pas lieu d’être, au prétexte que le canal législatif ne serait pas le bon, alors que nous n’avons que celui-ci.

M. Laurent Burgoa. Et le respect du temps de parole, monsieur le président ?

Mme Samantha Cazebonne. Invoquer la forme pour faire échec au fond serait un mauvais procès : nous sommes là pour écrire la loi et l’amender, si nécessaire.

Je le répète, ce véhicule législatif est le bon, car il s’agit de modifier un régime dérogatoire. La loi ne doit faire aucune exception quand elle entend protéger les enfants. (Nouvelles marques dimpatience.)

La proposition de loi ne mérite pas d’être présentée comme étant hors sujet, monsieur le rapporteur.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Samantha Cazebonne. Je termine, monsieur le président !

Protéger nos enfants contre la violence n’est pas uniquement une question de législation, c’est un impératif moral.

M. Laurent Burgoa. Déjà deux minutes de dépassement !

Mme Samantha Cazebonne. Ensemble, faisons en sorte que notre engagement mène à un avenir où les droits des enfants sont respectés sur l’ensemble du territoire national, sans exception. (Cest terminé ! sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. le président. Vous avez excédé votre temps de parole de deux minutes, ma chère collègue !

Mme Samantha Cazebonne. Je conclus, si vous me le permettez. (Exclamations.)

En une phrase, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies et les Français nous regardent : je vous prie donc de faire en sorte que le débat ait lieu. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Louis Vogel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à l’examen du Sénat vise à interdire la présence des mineurs de 16 ans aux courses de taureaux et aux combats de coqs.

La commission des lois n’a pas adopté le dispositif proposé, considérant qu’il n’était pas adapté à l’objectif du texte. Les auteurs de la proposition de loi ont pris en compte une partie des remarques juridiques formulées par la commission et proposent, par voie d’amendement, un dispositif de substitution.

Permettez-moi de rappeler très brièvement les éléments qui fondent la position de la commission des lois. Ils se situent sur deux plans.

D’abord, le texte a vocation à couvrir des situations très différentes au moyen d’un dispositif unique, fondé sur la notion de sévices faits aux animaux. Voilà qui est source d’incohérences, à la fois formelles et substantielles – j’y reviendrai.

Ensuite, il ne semble pas opportun que la loi se substitue aux parents dans le cadre d’un régime juridique reposant sur des traditions locales avérées.

La proposition de loi entend couvrir à la fois les combats de coqs et les courses de taureaux. Or il est apparu impossible à la commission des lois de traiter les deux situations de la même façon.

Alors que la tradition des combats de coqs semble sur le déclin dans les communes du Nord et du Pas-de-Calais, où elle est autorisée, elle demeure très vivante dans les outre-mer.

M. Louis Vogel, rapporteur. Les combats de coqs y sont liés à la pratique de paris, assimilables aux paris hippiques. De ce fait, il s’agit d’une activité réservée aux adultes.

Même s’il existe des exceptions, la pratique générale est celle d’un accès libre, sans vente de billets. Le dispositif proposé nécessiterait donc, pour être applicable, la mise en place d’un contrôle de l’accès et une implication très forte des pouvoirs publics, alors même que le nombre de mineurs présents à ces spectacles reste très limité.

La pratique traditionnelle des combats de coqs, en particulier dans les outre-mer, s’en trouverait fortement affectée, sans qu’il y ait eu de concertation préalable avec les acteurs de terrain.

Outre le risque d’un déport vers des pratiques de combats illégaux, il est à craindre que cette mesure soit perçue comme une remise en cause des traditions locales et une source de tensions inutile, surtout dans le contexte actuel.

En ce qui concerne les courses de taureaux, je voudrais formuler différentes observations, qui ne relèvent pas de questions de forme.

Tout d’abord, la proposition de loi interdirait la présence de mineurs de 16 ans, y compris pour les courses de taureaux sans mise à mort, dès lors qu’il sera considéré que des sévices sont exercés sur des taureaux. : au-delà des corridas, cela ne pourra que rendre très complexe l’organisation de courses de taureaux landaises ou camarguaises.

M. Laurent Burgoa et Mme Monique Lubin. Absolument !

M. Louis Vogel, rapporteur. Ensuite, le texte prévoit d’interdire deux situations distinctes : celle dans laquelle le mineur de moins de 16 ans assiste à la course ou au combat – cette hypothèse est visée dans l’exposé des motifs –, mais également celle dans laquelle il participe à une telle activité.

Pour la clarté de la loi, il faudrait, d’un point de vue juridique, que les deux circonstances soient explicitement visées et distinguées, surtout s’agissant d’un texte pénal, lequel devrait instituer des sanctions différentes selon les cas.

À l’inverse, la proposition de loi ne dit rien des écoles taurines. Si l’effet des mesures proposées est d’interdire aux mineurs de 16 ans de participer aux corridas, la question de l’apprentissage de ces pratiques dans les écoles de tauromachie reste entière.

Je note qu’un amendement de Mme Poncet Monge entend répondre à cette difficulté.

En effet, la loi pénale étant d’interprétation stricte, les écoles qui forment à la tauromachie n’entrent pas dans le champ d’application de ce texte, qui ne vise que les courses de taureaux.

Le dispositif proposé interdirait donc aux mineurs de 16 ans d’assister aux corridas, mais permettrait aux parents d’inscrire leurs enfants, dès l’âge de 6 ans ou de 8 ans, dans les quelques écoles de tauromachie que compte notre pays.

Plus grave encore du point de vue du droit, la proposition de loi entend traiter la question de la protection des mineurs, en l’insérant dans deux articles du code pénal relatifs au bien-être animal.

Le texte n’apportant aucune modification au régime pénal, il fait reposer sur l’organisateur la responsabilité liée à la présence d’un mineur de 16 ans.

En effet, il ne prévoit de régime de responsabilité ni pour les parents – adultes ou mineurs de 16 à 18 ans – qui auraient facilité la présence du mineur de 16 ans ni, a fortiori, pour le mineur lui-même qui se serait introduit malgré les contrôles et les interdictions.

On peut faire un parallèle entre le régime de responsabilité de l’organisateur et, par exemple, celui qui pèse sur les exploitants de salles de cinéma. Néanmoins, la responsabilité de ces derniers s’exerce conjointement à celle des parents et n’est sanctionnée que par une contravention. La peine paraît plus adaptée à la gravité des faits.

La proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, laisse entendre que la présence d’un seul mineur de 16 ans transformerait, du point de vue pénal, un spectacle légal en sévices graves infligés à un animal, avec plusieurs circonstances aggravantes, dont celle d’avoir commis un acte ayant entraîné la mort de l’animal en présence d’un mineur.

Cela aurait pour effet d’exposer les personnes physiques à la peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende – contre, je le rappelle, une simple contravention pour les exploitants de salles de cinéma – et les personnes morales à l’interdiction d’exercer une activité professionnelle, en application de l’article 131-39 du code pénal.

De fait, si elles étaient mises en œuvre par le juge, de telles sanctions aboutiraient, sans le dire, à interdire les corridas. En outre, elles ne paraissent pas conformes à l’échelle des peines, si l’on se place sur le terrain de la protection des mineurs.

J’en viens maintenant à la question de fond : la loi doit-elle déterminer, à la place des parents, l’âge auquel il est possible de voir une corrida ?

Mme Samantha Cazebonne. C’est déjà le cas dans d’autres domaines !

M. Louis Vogel, rapporteur. La commission des lois n’a pas trouvé de cause déterminante justifiant de retenir l’âge de 16 ans.

Ce seuil correspond à la fin de l’obligation scolaire et à la possibilité d’émancipation, ainsi qu’à l’une des limites d’âge prévues par le système de classification des œuvres cinématographiques.

L’âge retenu dans le texte a été critiqué par les personnes que nous avons entendues.

Certains le jugent trop bas, pour des raisons juridiques. Notons que l’article 521-1 du code pénal considère les sévices sur animaux en présence de mineurs comme une circonstance aggravante sans distinction d’âge, donc jusqu’à l’âge de 18 ans. L’argument selon lequel il est nécessaire de protéger le développement cognitif et psychologique des adolescents jusqu’à bien au-delà de l’âge de 16 ans a également été invoqué.

À l’inverse, ce seuil est apparu à d’autres comme élevé au regard de celui de la majorité sexuelle, fixée à 15 ans. Des personnes auditionnées ont évoqué, par exemple, des seuils de 14 ans ou 12 ans.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il n’existe pas de consensus sur le seuil de 16 ans.

En prévoyant une telle interdiction, la proposition de loi tend à substituer l’appréciation du législateur à celle des collectivités concernées. Or ce choix pose question, étant donné le régime juridique spécifique qui s’applique aux courses de taureaux et aux combats de coqs.

Les traditions locales ininterrompues sont la condition prévue par le législateur pour faire exception au régime des sévices prévu par le code pénal et organiser des corridas. D’un point de vue juridique, elles sont identifiables à des coutumes.

En conséquence, le législateur ne saurait intervenir en matière de traditions locales reconnues comme légitimes sans toucher à la nature même du régime des corridas ou des combats de coqs, qui suppose la possibilité pour les parents de transmettre une coutume établie à leurs enfants.

Dans ces conditions, les règlements taurins adoptés par chacune des municipalités concernées par l’organisation de corridas me semblent un véhicule bien mieux adapté pour encadrer le fonctionnement des écoles taurines et faire évoluer les conditions de présence et de participation des mineurs, en fonction du contexte local et du souhait des collectivités concernées, lesquelles ont des niveaux d’attachement divers à ce type de spectacles.

Enfin, la commission des lois a estimé inopportun de substituer l’appréciation du législateur à celle des parents. Eux seuls, dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale, elle-même encadrée par le code civil et, éventuellement, par le juge aux affaires familiales, déterminent si leurs enfants mineurs peuvent assister ou non à un spectacle fondé sur une tradition reconnue par la loi.

Pour toutes ces raisons, sans nier le caractère intrinsèquement violent des spectacles de combats d’animaux, la commission des lois a estimé que la proposition de loi était inapplicable et que ses effets juridiques étaient disproportionnés au regard de l’objectif visé.

Aussi la commission vous propose-t-elle de ne pas adopter ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Marc Laménie, Mme Monique Lubin et M. Denis Bouad applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que garde des sceaux, je partage la préoccupation légitime des auteurs de cette proposition de loi relative à la protection des enfants. Elle traite en particulier du risque de surexposition des mineurs à des images violentes, en direct ou diffusées via différents supports de communication.

L’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours être la boussole qui nous guide. Le ministère de la justice est certes celui qui sanctionne, mais c’est aussi celui qui protège, notamment les plus vulnérables.

Toutefois, cet objectif bien légitime de protection des enfants ne doit pas nous faire perdre de vue que les premiers protecteurs de l’intérêt de ceux-ci sont ses propres parents.

L’autorité parentale est définie par le code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Ses titulaires sont donc, j’y insiste, les premiers gardiens de l’intérêt supérieur de l’enfant : c’est à eux que revient la tâche d’apprécier, à chaque instant, si telle ou telle activité va dans le sens de la protection de leur enfant.

Il est très rare que le législateur se substitue aux parents dans cette appréciation casuistique.

Ainsi, il est de la liberté de chacun de choisir sa culture, ses coutumes, ses pratiques. L’État ne doit pas intervenir, sous peine de se montrer paternaliste, voire invasif, et in fine de déresponsabiliser les parents. À chacun son rôle.

Le moyen de la pénalisation, en outre, n’apparaît pas adapté. Va-t-on pénaliser les parents qui laissent leur enfant regarder des vidéos sur les réseaux sociaux ou jouer à des jeux vidéo violents ?

Cela ne viendrait à l’idée de personne, non pas parce que l’intérêt poursuivi n’est pas compréhensible, mais parce que ce n’est pas en sanctionnant que nous pourrons résoudre le problème. Au contraire, on risquerait de braquer, qui plus est lorsque la question est culturelle. Une politique de prévention est bien plus efficace en la matière.

De la même manière, je comprends l’objectif général de lutte contre la maltraitance animale de cette proposition de loi.

Un ensemble de dispositions du code rural et de la pêche maritime, du code pénal et du code de procédure pénale répriment déjà les sévices graves, les actes de cruauté, l’abandon, les expériences illicites, les atteintes volontaires et involontaires à la vie de l’animal, ainsi que les mauvais traitements. Nous nous assurons de fixer les orientations et suivons la bonne application de cette politique pénale sur l’ensemble du territoire français.

La proposition de loi dont l’examen nous réunit aujourd’hui prévoit de modifier les articles 521-1 et 522-1 du code pénal.

L’article 521-1 tend à réprimer les sévices graves et les actes de cruauté envers un animal : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. » Il prévoit un certain nombre de circonstances aggravantes, en particulier si ces actes sont commis en présence d’un mineur.

Quant à l’article 522-1, il sanctionne « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité ».

Ces deux articles excluent néanmoins l’application de ces infractions pour les courses de taureaux et les combats de coqs en cas de « tradition locale ininterrompue ». Cette notion est strictement encadrée, notamment par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 juin 2004, qui a fait date.

Ainsi, l’exigence d’une tradition « locale » doit faire l’objet d’une appréciation relativement stricte, qui nécessite de constater l’existence de la tradition non pas dans la localité voisine, mais bien dans celle qui est en cause.

Quant au terme « ininterrompue », il implique que l’organisation de courses de taureaux soit régulière, ce qui interdit de constater cette tradition lorsqu’aucune course n’a été organisée depuis un grand nombre d’années.

La persistance d’une tradition taurine peut toutefois être déduite de l’intérêt que lui porte un nombre suffisant de personnes, comme l’a décidé la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2006.

Une tradition locale ininterrompue permettant la tenue de courses de taureaux a ainsi été reconnue pour certaines communes des régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Sud – Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

Les territoires concernés par les combats de coqs couvrent une cinquantaine de communes des départements du Nord et du Pas-de-Calais, mais aussi La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Polynésie française.

C’est bien la preuve du caractère circonscrit du périmètre géographique concerné.

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur cette question. Dans une décision du 21 septembre 2012, il a jugé que l’exclusion de responsabilité pénale applicable uniquement dans les parties de territoire national où une tradition ininterrompue est établie ne méconnaissait pas le principe d’égalité devant la loi pénale, dès lors que « la différence de traitement instaurée par le législateur entre agissements de même nature accomplis dans des zones géographiques différentes est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

L’étude attentive de la jurisprudence démontre, de même, que le Conseil constitutionnel a entendu exercer un contrôle sur la nature même de la pratique.

À l’occasion de l’examen de l’incrimination de la création de nouveaux gallodromes, prévue au huitième alinéa de l’article 521-1 du code pénal, le juge constitutionnel a déclaré une telle incrimination conforme à la Constitution, considérant que « si le législateur a entendu, tant pour les courses de taureaux que pour les combats de coqs, fonder l’exclusion de responsabilité pénale sur l’existence d’une tradition ininterrompue, il s’agit toutefois de pratiques distinctes par leur nature ; qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 1964 susvisée que le législateur a entendu encadrer plus strictement l’exclusion de responsabilité pénale pour les combats de coqs afin d’accompagner et de favoriser l’extinction de ces pratiques ; qu’en interdisant la création de nouveaux gallodromes, le législateur a traité différemment des situations différentes ».

Là aussi, la jurisprudence est venue encore restreindre le périmètre concerné et trouver un point d’équilibre qu’il serait préjudiciable de venir bousculer.

La proposition de loi tend à interdire aux mineurs de 16 ans l’accès aux courses de taureaux et aux combats de coqs, alors que le droit en vigueur ne contient aucune restriction d’âge.

Il est nécessaire d’avoir à l’esprit le fait que cette disposition, au-delà du bouleversement de l’équilibre jurisprudentiel évoqué, pourrait avoir un effet secondaire important, puisqu’elle sous-tendrait un contrôle de l’âge légal des participants, mesure lourde, contraignante, qui n’existe – je le redis – nullement jusqu’à présent et qui n’apparaît pas proportionnée. Cet effet de bord serait d’autant plus marqué que, s’agissant des combats de coqs, l’accès est libre, sans vente de billets.

En conclusion, le Gouvernement, s’il partage les préoccupations légitimes liées à l’intérêt supérieur de l’enfant et à la lutte contre la maltraitance animale, n’estime pas que les dispositions proposées soient à même d’atteindre l’objectif visé. Au contraire, celles-ci remettent en question l’équilibre jurisprudentiel et pourraient entraîner des effets de bord non négligeables. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, SER, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quelle ne fut pas ma surprise de voir qu’une telle proposition de loi avait été déposée alors même que notre pays connaît bien des difficultés.

Vous l’aurez compris à mon accent : je vous parlerai surtout de la corrida. Je conçois parfaitement, et je le dis sans ironie aucune, qu’une personne qui n’a pas été initiée à la tauromachie puisse être troublée. C’est d’ailleurs ce trouble qui en fait un art aussi populaire, comme en témoigne la fréquentation de nos arènes.

La corrida et ses acteurs ont pour tutelle le ministère de la culture. Ce n’est pas anodin, car il s’agit là d’un pan de notre culture que l’on voudrait pouvoir librement transmettre aux jeunes générations. Comme toute culture, elle nécessite que l’on s’y intéresse sans préjugés afin de l’apprécier pleinement ; or je doute qu’elle soit connue d’un grand nombre de ses détracteurs. Les arènes sont l’aspect le plus connu de la tauromachie, mais il faut savoir que celle-ci est née d’un culte du taureau, qui remonte à l’Antiquité.

J’invite chacun d’entre vous à visiter un élevage de toros bravos, lieu où les jeunes aficionados se familiarisent avec cette culture. Vous y verrez des taureaux qui ne sont pas ceux du salon de l’agriculture : sans les férias, leur race ne serait jamais parvenue jusqu’à nous. Ils vivent en semi-liberté en terre de Camargue, choyés par les éleveurs – à qui je souhaite rendre hommage tant ils sont en proie à d’importantes difficultés.

Bien qu’ils se battent régulièrement entre eux, ces taureaux mènent une vie bien plus paisible, et surtout plus libre, que leurs congénères destinés à l’abattoir. Leur mort, nous la souhaitons digne d’eux ; nous ne détournons pas le regard, mais cherchons, autant que possible, à la magnifier. Étrangement, dans une société toujours plus aseptisée et numérisée, où l’on parle de plus en plus de transhumanisme, la corrida et son récit trouvent davantage de sens et nous interrogent sur notre rapport à la mort, et donc à la vie.

Les aficionados, dont je fais partie, n’ont jamais manifesté une quelconque volonté de prosélytisme dans les différents départements où ils se trouvent. Ils souhaitent simplement que cette culture soit respectée et puisse être transmise, comme cela a toujours été le cas.

Les collectivités membres de l’Union des villes taurines françaises (UVTF) n’ont d’ailleurs pas attendu le législateur pour prévoir, à l’article 30 du règlement taurin, que les mineurs de moins de 12 ans doivent être accompagnés.

Notre pays rencontre de nombreuses difficultés, mais je vous prie de croire, mes chers collègues, que la culture taurine n’en est pas une. Si vous souhaitiez souligner une certaine impuissance à régler les difficultés quotidiennes des Français, si vous souhaitiez nous diviser davantage, du nord au sud en passant par les outre-mer – je pense aux combats de coqs –, vous ne vous y seriez pas pris autrement ! Respectons nos identités et notre culture, et laissons aux parents le choix de celles qu’ils veulent transmettre.

Je me réjouis du rejet de ce texte par notre commission des lois et remercie sincèrement M. le rapporteur Louis Vogel de son écoute. Passons à des sujets plus préoccupants pour notre pays et rejetons ce texte, ce que fera très majoritairement le groupe Les Républicains, même si quelques-uns de ses membres auront un vote différent. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – MM. Jean-Pierre Grand, Denis Bouad et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par mes collègues Samantha Cazebonne et Arnaud Bazin, que nous examinons aujourd’hui, permet d’aborder des sujets de société qui, malgré les apparences, ne sont pas foncièrement opposés : la protection des mineurs et le respect des traditions culturelles de notre pays.

Je sais que beaucoup d’entre vous se positionnent contre l’interdiction de la corrida et des combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans. Je remercie mes collègues d’avoir déposé leur texte, qui nous permet d’avoir un débat démocratique sur ces enjeux dans notre hémicycle. L’ayant moi-même cosigné, je commencerai par exposer les raisons pour lesquelles il mérite d’être débattu.

Comme l’exposé des motifs de la proposition de loi l’indique, le code pénal comporte de nombreuses dispositions protégeant les mineurs de messages ou d’images, quels qu’ils soient, à caractère violent. Or les corridas et les combats de coqs peuvent être violents et sanglants, et débouchent généralement sur la mise à mort d’un animal.

L’encadrement de la diffusion de ces pratiques auprès des mineurs existe lorsque ces événements sont diffusés à la télévision ou en ligne, mais pas dans la vie réelle. Pourquoi ne pas protéger nos enfants de cette violence, alors que le droit français prémunit déjà les mineurs contre une trop grande exposition à la violence virtuelle dans les films ou les jeux vidéo ?

Bien que je sois favorable à la mise en cohérence de notre législation, je comprends les réticences de celles et ceux qui craignent que le texte porte atteinte à l’autorité parentale, et surtout à la liberté de chaque parent d’éduquer ses enfants comme il l’entend.

La tauromachie et les combats de coqs sont des pratiques profondément ancrées dans le patrimoine culturel français. Il est légitime de vouloir préserver cet héritage ; par conséquent, il est fondé de ne pas chercher à s’ingérer dans le parcours éducatif des familles, et de laisser le choix plein et entier aux parents de transmettre ces traditions à leurs enfants.

Je reconnais aussi la complexité soulevée par l’argument de la discrimination. Interdire aux mineurs l’accès aux arènes tout en leur permettant de participer à d’autres activités impliquant la mise à mort d’animaux, comme la chasse, pourrait ainsi être perçu comme une atteinte au principe d’égalité. Cette contradiction mérite notre attention, ne serait-ce parce qu’elle pourrait nuire à la crédibilité du texte.

D’un point de vue économique, il est indéniable que les écoles de tauromachie et les élevages de taureaux représentent un secteur d’activité qui crée des emplois dans nos territoires. En outre, les écoles taurines ne se contentent pas de former de futurs toreros : elles transmettent également des valeurs de discipline, de courage et de respect et participent à l’ancrage culturel de nos territoires. Nous ne pouvons pas ignorer l’impact financier de l’interdiction de la corrida aux mineurs pour ces écoles et pour les passionnés qui, depuis des générations, font vivre cette culture.

Cela vaut également pour les combats de coqs, encore autorisés dans certains départements comme la Guadeloupe, où de nombreuses personnes se réunissent chaque année, lorsque c’est la saison, pour des moments conviviaux.

Cependant, mes chers collègues, il est essentiel de se demander si une tradition peut justifier l’exposition des enfants à des scènes montrant parfois une violence crue. Nos sociétés évoluent, et il est parfois nécessaire de réévaluer certaines pratiques culturelles à l’aune des valeurs que nous défendons aujourd’hui. Encourager l’évolution de nos traditions n’est pas synonyme d’une éradication de notre patrimoine ; c’est, au contraire, leur offrir une voie de renouvellement et leur permettre de s’inscrire dans la modernité.

Cette question délicate nous incite à trouver un équilibre entre la préservation de notre patrimoine culturel et la nécessité de protéger nos mineurs et de favoriser le bien-être animal.

Malgré les avis contradictoires, qu’il convient de considérer avec respect, j’espère que nous débattrons de manière éclairée des enjeux de ce texte.

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants est partagé. Chacun aura la liberté de vote sur ce texte et suivra la boussole de sa conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Laurent Somon et Christopher Szczurek applaudissent également.)