M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la corrida et les combats de coqs sont définis, en droit français, comme des actes de cruauté bénéficiant d’une exception pénale en cas de tradition locale ininterrompue.

Je sais à quel point cette assemblée est attachée à la défense des territoires et de leurs traditions locales, dont la corrida fait incontestablement partie. Ainsi, les fêtes taurines sont devenues des corridas ritualisées à partir du XVIe siècle, à la faveur d’une convergence entre facteurs sociaux et volonté politique. Ce sont en réalité les Rois catholiques espagnols qui, les premiers, ont utilisé ce spectacle comme un outil d’unification de leurs différents royaumes.

N’oublions donc pas que ce que l’on nomme tradition a des racines politiques, et que la forme actuelle de la corrida est le résultat de son adaptation aux multiples prohibitions, venant aussi bien de l’Église que des autorités qui se sont succédé, auxquelles elle a été confrontée au cours des siècles.

Car la corrida n’a jamais fait l’unanimité. Elle a toujours eu ses détracteurs, et c’est parce qu’elle a eu des détracteurs qu’elle s’est transformée.

Ainsi, la proposition de loi portée par notre collègue Samantha Cazebonne – je tiens d’ailleurs à saluer son initiative, ne serait-ce que parce qu’elle nous permet de débattre de ce sujet – prévoit une nouvelle forme d’adaptation. Il s’agit non pas d’interdire une tradition, mais de l’encadrer et de la mettre en conformité avec notre sensibilité actuelle, ce qui est singulièrement différent.

Je ne crois pas, comme certains d’entre vous ici, que le fait de s’intéresser à la perception des mineurs soit une excuse ou un précédent pour aller vers une interdiction généralisée.

Je trouve d’ailleurs étrange, après le vote hier, dans cet hémicycle, d’un texte en faveur de la protection des enfants, que l’on crie aujourd’hui que cette protection ne serait qu’un leurre. Et quand bien même, qu’est-ce qui est le plus important ? Pour le législateur, compte tenu des mœurs d’aujourd’hui, ce devrait être l’enfant, toujours l’enfant.

Je comprends, et je partage, les inquiétudes que soulève ce texte – je pense surtout à ses insuffisances juridiques. Plusieurs amendements tendent à les corriger. Mais, au fond, le sens du dispositif proposé est très simple : modifier le code pénal afin que seules les personnes de plus de 16 ans puissent assister aux spectacles de tauromachie et aux combats de coqs.

Pourquoi ? Car assister à ces spectacles, d’une violence certaine et d’une cruauté déjà reconnue par la loi, n’a absolument rien d’anodin. Comme nous y invite la CIDE, un seul commandement doit nous guider : l’intérêt supérieur de l’enfant.

De fait, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a fait part de sa préoccupation concernant l’état émotionnel des enfants spectateurs exposés à la violence de la tauromachie. C’est à la demande de ce comité que l’Équateur a interdit l’accès des mineurs à ces spectacles, de même que plusieurs États du Mexique, dont celui de Veracruz, ou encore le Portugal. Cette question est donc loin de faire l’unanimité parmi les pays de tradition taurine.

S’il est vrai qu’aucune analyse poussée n’a été réalisée spécifiquement sur ce sujet, de nombreuses études démontrent les conséquences délétères sur les plus jeunes de la vue d’actes de cruauté envers les animaux, ce qu’ont confirmé les pédopsychiatres auditionnés par le rapporteur.

Toutefois, j’interviens au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE). Aussi me dois-je de défendre les arguments contraires de mes collègues, qui rejoignent largement ceux que nous avons déjà entendus.

Tout d’abord, l’on voudrait encore une fois se substituer à l’autorité parentale, qui ne cesse de reculer alors que nous devrions faire confiance aux parents, lesquels savent mieux que nous ce qui est bon pour leurs enfants. D’ailleurs, il serait préférable que nous réglementions l’accès aux écrans plutôt qu’aux spectacles.

Ensuite, l’on relève l’absence de logique à vouloir voter un texte sur des pratiques qui concernent uniquement les taureaux et les coqs. Pourquoi ne pas légiférer sur le bien-être animal dans son ensemble ?

Enfin, l’on cite l’absence de concertation avec les principaux intéressés.

Ces arguments ne m’ont pas convaincue. J’y insiste, le seul intérêt de ce texte réside dans une meilleure protection des enfants.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, les membres du groupe du RDSE voteront, comme à leur habitude, librement sur ce texte, qui aura eu le mérite de nous faire débattre franchement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et GEST. – MM. Arnaud Bazin et Christopher Szczurek applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 3 228 milliards d’euros de dette publique, les ravages du narcotrafic, les enjeux migratoires et écologiques : je pourrais évidemment continuer la liste des défis majeurs qui sont devant nous et qui donnent déjà lieu à des échanges vifs et animés.

Dans une période où le débat public est souvent très tendu, avec une Assemblée nationale morcelée, y avait-il urgence à se préoccuper de l’accès des mineurs aux corridas et aux combats de coqs ? Avant d’aborder le fond du débat, je pense qu’il est légitime de se poser cette question.

Mme Isabelle Florennes. À une très large majorité, notre groupe considère que, non, cela n’est pas le plus urgent et que, oui, cela pourrait raviver des tensions dont nous n’avons pas besoin en ce moment.

M. Christopher Szczurek. C’est absurde !

Mme Isabelle Florennes. Ces tensions sont d’autant plus certaines que le débat est en réalité semé de faux-semblants.

En effet, la cible n’est pas celle qui nous a été présentée par les auteurs de la proposition de loi. In fine, le véritable enjeu – chacun ici l’a bien compris –, c’est l’interdiction des corridas et des combats de coqs, moins par souci de protection des mineurs que pour défendre une certaine vision de la condition animale. Cette position peut être défendue par certains et est parfaitement légitime, mais encore faut-il le dire clairement et l’assumer.

Si nous partageons de toute évidence la volonté de protéger les enfants, les mesures présentées ne constituent pas, en tout état de cause, la voie adéquate pour atteindre cet objectif.

Bien entendu, il ne s’agit en aucun cas de nier le caractère violent des spectacles de combats d’animaux. Cependant, nous partageons les nombreux griefs exprimés par le rapporteur Louis Vogel, qui a rappelé, comme il l’avait fait la semaine passée en commission, les importantes difficultés de droit et de fait que soulève le texte, le rendant inadapté et inopportun.

Je vois plusieurs raisons à cela.

Tout d’abord, nous regrettons que la proposition de loi mêle plusieurs situations qui, pourtant, sont distinctes à bien des égards. Ainsi, nous ne saurions appliquer un dispositif pénal identique aux corridas et aux combats de coqs, dans la mesure où ces activités présentent des différences non seulement pratiques, mais aussi territoriales et culturelles. Par exemple, si l’extinction du combat de coqs représente un objectif pour le législateur, les courses de taureaux font l’objet d’un régime moins restrictif – en témoigne la possibilité de construire de nouvelles infrastructures taurines.

Par ailleurs, comme cela a été évoqué en commission, le combat de coqs, spécialement dans les outre-mer, correspond à une activité d’adultes : c’est en tout cas ce que montrent les travaux de notre rapporteur. En outre, il s’agit généralement de manifestations en libre accès, souvent associées à des paris. En contrôler l’accès serait coûteux et difficile alors même que nous ne disposons d’aucune certitude quant à l’intérêt d’un tel dispositif, puisqu’il est fait état d’une très faible présence de mineurs.

Mais, de manière plus pragmatique, l’on voit bien qu’un tel encadrement pourrait, tout simplement, aboutir au développement de combats illégaux. Tentons d’éviter de favoriser de telles dérives, mes chers collègues…

De même, il conviendrait de distinguer les courses de taureaux avec ou sans mise à mort, là où le texte, de manière peu subtile, prévoit une interdiction globale.

Enfin, nous pourrions dissocier les cas du mineur spectateur de celui qui participe au spectacle, car ces deux situations ont des conséquences différentes sur l’enfant.

Sur le plan pénal, plusieurs difficultés se posent, à commencer par la question de la responsabilité, qui incomberait de manière disproportionnée à l’organisateur de l’événement en cas de présence d’un mineur. Qu’en est-il du jeune qui aurait enfreint la loi et de ses parents ?

En outre, la présence d’un mineur aurait pour conséquence de requalifier les corridas et les combats de coqs en sévices graves envers les animaux, entraînant de fait de lourdes peines et ouvrant la voie à une interdiction de principe. Cela n’est tout simplement pas entendable, sauf à assumer clairement qu’il s’agit bel et bien là de l’objectif recherché.

Par ailleurs, au-delà de la problématique de la responsabilité des parents, se pose la question de leur appréciation, puisqu’une telle interdiction limiterait de facto l’exercice de l’autorité parentale.

Enfin, ainsi que nous l’avons évoqué en commission, comment pouvons-nous envisager d’intervenir dans des traditions locales sans consulter les acteurs de terrain ? Cela vaut pour les régions métropolitaines de tradition taurine, mais aussi, bien sûr, pour les nombreux territoires ultramarins où la tradition des combats de coqs est encore très implantée. Le Sénat, chambre des territoires, enverrait alors un message totalement en décalage par rapport à ce qu’il tente toujours de faire : privilégier le dialogue et la concertation locale. Ce serait la caricature d’une décision venue d’en haut, sans concertation.

Si des adaptations doivent être trouvées, notamment pour protéger les mineurs, cela ne peut que s’accompagner, j’y insiste, d’une concertation au niveau local, ce qui ne nécessite pas de modification du code pénal.

Je terminerai en saluant le travail précis et éclairant de notre collègue Louis Vogel. Sa mission n’était pas aisée, mais il a su trouver les arguments aussi bien juridiques que politiques pour nous démontrer le caractère inopportun de la proposition de loi.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe Union Centriste voteront très majoritairement contre le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. Évidemment !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, spectacle culturel pour certains, infâme torture pour d’autres, la corrida et les combats de coqs sont de ces sujets qui font débat, parfois jusque tard dans la nuit, qui divisent et qui, en occupant notre ordre du jour de ce soir, nous invitent à nous poser une question différente de celle à laquelle beaucoup souhaiteraient pourtant répondre.

La dérogation introduite dans le code pénal en 1951 autorise ces représentations, lesquelles font partie intégrante de la culture catalane, de celle du Sud-Ouest, de l’Occitanie et de la Provence pour la corrida, sans pour autant obliger les habitants de ces régions à y assister tous les week-ends. Nous pourrions nous interroger sur la pertinence de maintenir une telle dérogation. Pour celles et ceux qui y sont attachés, la réponse sera forcément affirmative. Conformément à la loi, sont concernés les territoires où l’on retrouve une « tradition locale ininterrompue ».

Les corridas sont d’ailleurs plus facilement encadrées que les combats de coqs, pour la simple raison qu’il est plus facile d’organiser ces derniers au fond de son jardin ou dans un vieil entrepôt, et qu’il est plus simple de dissimuler un coq dans un sac qu’un taureau… (Sourires.) De là naît une certaine incompréhension autour de ce texte qui, en mélangeant deux pratiques différentes, saute du coq au taureau. (Nouveaux sourires.) N’oublions d’ailleurs pas que les combats de coqs n’intègrent pas de participation humaine.

Mais la question d’aujourd’hui n’est pas celle de la culture, puisque les auteurs du texte abordent davantage la composition du public que le spectacle proprement dit. Faut-il interdire aux mineurs d’être présents ? Derrière cette question, il y en a une autre : est-ce à nous de l’interdire, plutôt qu’aux parents qui le souhaiteraient ?

Si nous légiférons sur ce point, comme cela nous est demandé, nous déciderions alors à leur place de ce qui est une bonne ou une mauvaise activité pour leur famille, en partant du principe qu’il y aurait un danger pour les enfants à assister à une corrida ou un combat de coqs. Or le danger est d’abord pour ceux qui se trouvent dans l’arène : le taureau bien sûr, mais aussi les toreros.

Le sujet de l’empreinte psychologique que laisse une corrida, même occasionnelle, est semblable à celui de l’accusation faite aux jeux vidéo pratiqués quotidiennement de rendre les enfants violents. Sans trancher dans un sens ou dans l’autre, une chose est certaine : les jeux vidéo sont toujours autorisés, et même considérés comme des œuvres culturelles, faisant l’objet de nombreux salons.

Là aussi, nous faisons confiance aux parents pour encadrer, réguler et décider de la pratique de leurs enfants, et nous ne mettons pas au même niveau les actes de violence sexuelle et ce qui se produit durant une corrida ou un combat de coqs.

Certes, le fait d’assister à une corrida peut parfois conduire à un rejet de cette pratique, mais cela peut aussi éveiller des passions et pousser certains enfants à vouloir entrer plus tard dans l’arène, après être passés par une école et avoir appris les règles de cette culture. C’est d’ailleurs ainsi que s’est perpétuée la tradition qui justifie l’inscription de cette exception dans la loi.

Dans les communes où l’on trouve des arènes, les enjeux touristiques sont aussi centraux, pour les corridas d’abord, mais aussi pour tout ce qu’il y a autour et pour les retombées économiques qui en découlent. Priver les familles de ces spectacles auxquels elles souhaitent se rendre, que ce soit par passion, par curiosité ou pour se forger une opinion, c’est aussi priver ces territoires d’une forme d’attractivité, sans les avoir consultés.

Dans l’ensemble, vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte ne nous a pas convaincus. La question posée n’est pas à la hauteur des enjeux auxquels est confronté notre pays, qui se fracture et s’oppose, du nord au sud, entre jeunes et vieux, entre villes et campagnes.

Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera majoritairement contre cette proposition de loi, même si la liberté de vote, inscrite dans les statuts de notre groupe, reste la règle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, est-il bien légitime de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant en le préservant d’un spectacle cruel, s’interrogeait une oratrice précédente, alors que notre dette dépasse les 3 000 milliards d’euros ? Bien plus, il me semble, que de s’interroger sur l’interdiction du voile chez les accompagnateurs scolaires… (M. Max Brisson ironise.)

Alors que le code pénal condamne l’exposition d’un enfant à des contenus violents impliquant des animaux et le commerce de tels contenus, ces mêmes enfants, censés être protégés, peuvent assister à une corrida, dont le droit ne nie pas qu’elle constitue un acte de maltraitance et de cruauté, mais le tolère au nom de la tradition.

Ainsi, j’y insiste, alors qu’une disposition protège les enfants de l’exposition à la violence, une autre, qui ne réfute pas la violence de la corrida, la permet. Comment accepter cette contradiction ?

D’autres pays, comme l’Équateur, ont fait un choix clair en interdisant les corridas aux mineurs, se conformant ainsi aux recommandations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui s’est dit « préoccupé par l’état de santé mentale des enfants exposés à la violence de la tauromachie ».

En 2016, le même comité demandait à la France de « redoubler d’efforts pour faire évoluer les traditions et les pratiques violentes qui ont un effet préjudiciable sur le bien-être des enfants, et notamment d’interdire l’accès des enfants aux spectacles de tauromachie ». Or cela n’a pas abouti à la disparition totale de la corrida dans ces régions, à l’inverse de ce que prétend l’UVTF, qui n’hésite pas à parler d’« ethnocide » : il s’agit simplement de respecter les fondamentaux de la protection de l’enfance.

Contrairement aux dires de l’UVTF, ces recommandations s’appuient sur de nombreux travaux qui ont démontré un lien entre l’exposition à des actes de cruauté envers les animaux et le fait d’en commettre – le risque est multiplié par huit, selon une étude de l’Université de New York. Cette probabilité que les enfants ou les adolescents perpétuent des actes violents résulte d’un apprentissage par l’observation de faits de maltraitance réalisés ou approuvés par leurs proches.

Des études, comme celle de l’université de Madrid en 2009, montrent clairement que la majorité des enfants réprouvent spontanément la corrida. Ces derniers sont soumis à un conflit émotionnel, source d’anxiété, lorsque leurs émotions de chagrin, d’empathie et de réprobation morale face à la souffrance infligée à l’animal sont confrontées à l’approbation et à la joie manifestées par leurs proches de référence. Tout cela est bien documenté.

Une fois passé le traumatisme initial, l’exposition répétée à ces spectacles peut s’avérer préjudiciable, car l’attitude approbatrice des proches de référence produit l’effet d’une forme d’apprentissage. Cela entraîne, selon les études, une perturbation des valeurs, une diminution de l’empathie et une fragilisation du sens moral, qui peuvent les pousser à réaliser eux-mêmes des actes répréhensibles envers les animaux ou même les humains. Des études ont ainsi démontré que « le fait d’être témoin de maltraitance animale est un facteur prédictif […] pour […] le harcèlement scolaire chez les enfants ».

Allons-nous continuer d’ignorer ces éléments, bien documentés, et le droit pénal sous le seul prétexte de l’existence de traditions ?

La protection de l’enfance repose sur le fait, avéré, que l’exposition à des actes de violence contrevient au bon développement de l’enfant. Il n’est plus acceptable que la corrida, dont la seule justification légale est d’être une tradition ininterrompue, échappe à l’ensemble des prescriptions morales et juridiques de la protection de l’enfance : celle-ci doit pouvoir s’appliquer en toute chose et partout.

Le groupe écologiste avait récemment déposé une proposition de loi semblable à celle que nous examinons. Dans notre exposé des motifs, nous développions longuement nos arguments.

C’est donc sans surprise, par souci de défendre les principes qui fondent la protection de l’enfance et la lutte contre la maltraitance animale, que nous voterons ce texte. Nous remercions le groupe RDPI de l’avoir inscrit dans sa niche parlementaire aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe RDPI. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Christopher Szczurek applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, …

M. Loïc Hervé. Vous allez nous parler des corridas à Paris ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … je m’exprime au nom de mon groupe, le groupe socialiste, qui, une fois n’est pas coutume, ne votera pas de manière unanime puisqu’il est partagé, de manière quasi parfaite, entre ceux qui sont favorables à cette proposition de loi et ceux qui y sont défavorables.

On peut regretter que nous n’assumions pas de débattre du véritable sujet. J’ai salué, en commission, le grand talent d’équilibriste de notre collègue Louis Vogel, qui a trouvé des arguments juridiques pour s’opposer à cette proposition de loi. Certains l’ont salué, mais cela nous amène à contourner le vrai sujet, qui est – soyons francs ! – de savoir si l’on est pour ou contre la corrida.

Je me permettrai de parler également des combats de coq, mais de manière moins enflammée, même si, au fond, le raisonnement est le même.

Mme Laurence Rossignol. Vous n’en avez jamais vu !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pour ma part, je voterai ce texte, mais je souhaite présenter les arguments de mes collègues, dont certains sont présents et s’exprimeront sans doute tout à l’heure, qui s’opposent à cette proposition de loi.

Les orateurs précédents ont évoqué – je n’y reviendrai donc pas – la tradition, l’identité locale, l’activité économique.

Qui n’a jamais vu de corrida ne peut pas comprendre de quoi on parle. Pour ma part, j’y ai assisté : ces spectacles sont absolument époustouflants, et l’ambiance est inouïe. J’ai presque envie de dire, y compris à ceux qui ne sont pas favorables aux corridas, qu’il faut un jour y assister pour voir comment cela se passe, assister à l’entrée des toreros, les regarder faire avec le pied un signe de croix et porter la coiffe s’ils ont déjà toréé dans cette arène. Et je ne parle pas de l’ambiance générale, des fanfares, des paso doble, etc.

On peut aussi évoquer l’argument de l’activité économique. En revanche, je mettrai de côté l’argument relatif à l’autorité parentale. Nous avons débattu hier d’un texte sur la protection des enfants. On ne peut pas, à la fois, trouver normal que la vente d’alcool ou les jeux de hasard soient interdits aux mineurs, que l’accès à certains films soit réservé aux plus de 16 ans, et considérer que, en l’espèce, l’autorité parentale serait toute-puissante. À chaque fois que nous nous sommes efforcés d’agir pour la protection des enfants, nous avons défendu l’idée que la société devait parfois s’intéresser à la façon dont les mineurs sont traités par leurs propres parents.

Cependant, rien ne peut se faire sans discussion, sans partage, avec les populations concernées. Je le répète, même si cela paraîtra paradoxal, car je voterai ce texte, il faut avoir assisté à une corrida pour se faire une opinion sur le sujet.

Les arguments en faveur de la proposition de loi sont importants : la protection des enfants, la prévention de l’accoutumance à la violence. Nous cherchons constamment au Sénat à faire en sorte que les enfants ne considèrent pas comme normales les agressions en tous genres, quelles qu’elles soient. Cette acclimatation à la violence passe notamment par les jeux vidéo, les films, les comportements.

La proposition de loi soulève évidemment la question de la condition animale, qui a émergé dans le débat public de manière beaucoup plus prégnante depuis un certain nombre d’années. Cet argument a toutefois ses limites. Lorsque l’on assiste à une corrida, il y a des moments pénibles, en effet, mais c’est un combat entre un animal et un homme, lequel risque aussi sa vie. Il est important de prendre en compte la condition animale, mais je dirai aussi à ceux qui considèrent que toute mise à mort d’un animal est insupportable qu’ils doivent, dans ce cas, aller jusqu’au bout de leur raisonnement et devenir véganes.

Le sujet est compliqué ; c’est pourquoi je préférerais qu’on assume franchement d’en débattre, plutôt que de nous livrer à des contorsions juridiques difficiles à suivre.

Certains pays ont réussi à modérer ces pratiques. C’est d’ailleurs d’ores et déjà le cas en France, puisque les corridas sont interdites, sauf lorsqu’elles sont autorisées au nom des traditions locales. Celles-ci sont parfaitement identifiées territorialement : certains représentants des régions concernées sont d’ailleurs présents dans cet hémicycle.

Voilà pourquoi les membres du groupe socialiste, selon qu’ils sont attachés à tel ou tel aspect, voteront de manière différenciée.

Ce sujet, dit-on, ne semble pouvoir donner lieu qu’à des positions inconciliables. Mais peut-être trouvera-t-on une solution avec le temps.

Notre vote sera donc partagé. Pour ma part, il sera favorable, et je remercie les collègues de mon groupe qui m’ont fait confiance pour traiter cette proposition de loi, dont la présentation était, d’ailleurs, extrêmement aisée… (Sourires. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)

M. Loïc Hervé. C’était parfait !

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour une fois je m’exprimerai à titre personnel, et non pas au nom de la formation politique que je représente habituellement ici.

J’ai des convictions animalistes profondes et ancrées. Si je n’ai, par exemple, jamais assimilé la chasse à de la violence gratuite, il me paraît délicat de mettre les pratiques visées par ce texte dans le même sac.

J’ai un profond problème avec les violences inutiles et symboliques. Si l’usage de celles-ci peut évidemment se comprendre dans la fiction, pour des raisons d’expression et d’illustration du propos, il me semble que l’ultraviolence est déjà suffisamment présente dans notre société pour que l’on fasse l’économie d’un esthétisme morbide, à plus forte raison lorsque l’exposition des mineurs est en jeu.

Évitons d’utiliser des exutoires sensibles et vivants, qui n’ont rien demandé. Les mêmes qui nous disent qu’il ne faut pas humaniser l’animal à outrance sont ceux qui nous expliquent qu’il est glorifié et honoré dans la corrida, afin de chercher à parer celle-ci de noblesse.

Vous admettrez toutefois qu’une fois qu’il a été dépecé, débité et servi dans les barquettes de la grande distribution, l’animal n’éprouve qu’une faible reconnaissance à l’honneur qui lui a été rendu !

Ce débat soulève la question du rapport à la tradition, considérée par certains comme un ennemi systématique, par d’autres comme un dogme à préserver quoi qu’il en coûte. À mon sens, celle-ci n’est ni l’un ni l’autre : la tradition n’est pas bonne par nature. Ce qui fait une civilisation, c’est aussi la manière dont elle garde les traditions bienfaitrices et écarte progressivement les autres. Le législateur a évidemment son mot à dire en la matière.

Après tout, les ordalies et l’écartèlement ont été des traditions judiciaires : on peut se féliciter qu’elles n’aient pas été préservées. Même la pensée conservatrice, dont je ne me réclame pas à titre personnel, sépare le bon grain de l’ivraie et ne voit pas dans toute tradition une sainte chose incontestable.

On pourrait par ailleurs s’interroger sur la réalité du caractère historique et traditionnel de la corrida en France, mais, vous l’admettrez, il ne me sera pas possible de le faire aujourd’hui puisque je ne dispose que de trois minutes de temps de parole.

Les auteurs du texte ont délibérément voulu aborder la corrida et les combats de coqs sous le prisme de la protection de l’enfance. Il me paraît dès lors délicat de ne pas souligner l’importance de la dignité animale.

Je ne suis ni végane ni antichasse, parce que je reconnais l’utilité sociale, alimentaire et régulatrice de certaines pratiques. Il ne me paraît toutefois pas honnête, là encore, d’avancer l’argument d’ordre économique et culturel de la préservation de la race des taureaux de combat pour justifier leur mise à mort.

Alors que des solutions de substitution, sans souffrance et sans mise à mort, existent, qui permettraient de maintenir les aspects culturels et économiques de cette pratique, elles sont systématiquement rejetées avec mépris et condescendance.

Quoi qu’il en soit, soyez assurés, mes chers collègues auteurs de la proposition de loi, de mon soutien personnel en cette occasion. Aucune formation politique n’est monolithique et la mienne respecte la liberté de conscience de chacun de ses membres. J’ai pu exprimer mon opinion, qui me semble rejoindre celui d’une forte majorité de nos compatriotes.

En conclusion, je profite de cette tribune pour féliciter et remercier tous ceux qui œuvrent quotidiennement, et souvent bénévolement, à faire en sorte que la dignité et la souffrance animales soient mieux prises en considération. (Mmes Samantha Cazebonne et Nicole Duranton, ainsi que M. Arnaud Bazin, applaudissent.)