Mme le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution exprimant le soutien du sénat à l’ukraine, condamnant la guerre d’agression menée par la fédération de russie et appelant au renforcement de l’aide fournie à l’ukraine
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la Charte des Nations unies, la Convention des Nations unies du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et la quatrième convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre,
Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale,
Vu l’ordonnance de la Cour internationale de justice du 16 mars 2022 sur les allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
Vu la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 14 novembre 2022 qui recommande la création d’un registre pour documenter les dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine,
Vu l’article 21 du traité sur l’Union européenne,
Vu l’article 196 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu le règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme,
Vu les conclusions du Sommet de Versailles des 10 et 11 mars 2022,
Considérant la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine depuis le 24 février 2022 ;
Considérant l’ordonnance du 16 mars 2022 de la Cour internationale de justice, appelant la Fédération de Russie à suspendre immédiatement ses opérations militaires contre l’Ukraine ;
Considérant que la Fédération de Russie continue de violer obstinément les principes de la Charte des Nations unies par ses actes d’agression contre la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et de violer de manière flagrante et grossière le droit humanitaire international, notamment en prenant délibérément pour cible des personnes et des biens de caractère civil qui ne devraient pas faire l’objet d’attaques conformément à l’article 52, paragraphe 1, du protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949 ; que ces crimes sont le reflet du mépris le plus total des règles et des lois de la guerre, comme on a pu le voir, notamment, dans le traitement inhumain des prisonniers de guerre, le recours généralisé à la torture à l’encontre des prisonniers de guerre ukrainiens ou les exécutions sommaires de ceux-ci, ainsi que le refus de tout accès pour des organisations humanitaires internationales, telles que le Comité international de la Croix-Rouge ;
Considérant que, depuis octobre 2022, la Fédération de Russie s’attaque délibérément aux infrastructures essentielles de l’Ukraine dans tout le pays dans le but de terroriser la population et de la priver de l’accès au gaz, à l’électricité, à l’eau, à l’internet et à d’autres biens et services de première nécessité, avec des effets catastrophiques ; que l’objectif de ces attaques est de terroriser la population ukrainienne, de saper sa résistance et sa détermination à continuer de défendre son pays, de forcer les Ukrainiens à accepter la puissance occupante et sa tentative illégale d’annexer plusieurs parties de l’Ukraine ;
Considérant que la Fédération de Russie est responsable de la crise mondiale de sécurité alimentaire, du fait de la guerre d’agression qu’elle mène contre l’Ukraine et du blocus des ports maritimes ukrainiens qu’elle impose ; que la Fédération de Russie utilise l’alimentation et la faim comme des armes depuis le début de la guerre ; que les actions délibérées de la Fédération de Russie, notamment la destruction de stocks, la perturbation de la production et l’imposition de quotas sur ses propres exportations de denrées alimentaires et d’engrais ont exacerbé la crise mondiale de la sécurité alimentaire ;
Considérant que la guerre en Ukraine a des conséquences mondiales et appelle une réponse coordonnée à l’échelle européenne et internationale ;
Considérant que les agissements de la Fédération de Russie constituent en outre une menace pour l’ensemble de l’Europe et rendent encore plus nécessaire l’achèvement de l’autonomie stratégique européenne ;
Réaffirme son plein soutien à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières reconnues au niveau international par le mémorandum de Budapest de 1994, confirmé par la Fédération de Russie en 2009 ;
Condamne la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine ;
Condamne l’utilisation répétée et irresponsable de la menace du recours à l’arme nucléaire par la Fédération de Russie dans la guerre menée contre l’Ukraine et l’occupation de la centrale nucléaire de Zaporijia par les forces russes, qui met en péril la sécurité de l’ensemble de la région ;
Condamne l’appui, y compris militaire, donné par les autorités biélorusses à l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie, ainsi que la livraison de drones et autres armements par le régime iranien aux forces russes ;
Condamne les simulacres de référendums qui ont conduit à la tentative d’annexion illégitime et illégale par la Fédération de Russie des territoires ukrainiens situés dans les oblasts de Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson, ainsi que de la Crimée et la ville de Sébastopol ;
Condamne les attaques et les atrocités perpétrées délibérément par la Fédération de Russie contre la population civile ukrainienne, la destruction de villes et d’infrastructures civiles et d’autres violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire international qui constituent des actes de terreur contre la population ukrainienne et des crimes de guerre ;
Dénonce les actes de torture, les viols, l’enlèvement d’enfants, les déplacements forcés, les exécutions et les autres crimes perpétrés par la Fédération de Russie dans le cadre de cette guerre ;
Apporte son soutien plein et entier à l’enquête engagée par le procureur de la Cour pénale internationale sur la guerre menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, aux travaux de la commission d’enquête relevant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme ainsi qu’aux organisations indépendantes de la société civile qui s’efforcent de recueillir et de conserver les preuves des crimes de guerre perpétrés par la Fédération de Russie ;
Exige que la Fédération de Russie et les forces qui agissent pour son compte cessent sans délai toutes leurs actions militaires, en particulier les attaques contre des zones résidentielles et des infrastructures civiles, et que la Fédération de Russie retire sans condition la totalité des forces militaires, des forces agissant pour son compte et des équipements militaires de l’ensemble du territoire ukrainien internationalement reconnu, et mette fin à ses exactions et à ses actes visant à terroriser la population ;
Invite le Gouvernement et l’Union européenne à favoriser toute initiative destinée à élucider et à juger les faits susceptibles de constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par la Fédération de Russie afin que l’impunité ne puisse en aucun cas prévaloir ;
Invite le Gouvernement à œuvrer à la mise en place par l’Union européenne et les États membres d’un mécanisme international d’indemnisation et de réparation par la Fédération de Russie, assorti d’un registre international des dommages aux victimes et aux biens, et à collaborer activement avec les autorités ukrainiennes à cet égard ;
Invite le Gouvernement, à titre bilatéral et en lien avec ses partenaires européens à poursuivre et à renforcer, de manière significative, son soutien politique, économique, militaire, technique et humanitaire afin d’aider l’Ukraine à se défendre contre la guerre d’agression russe et contre les tentatives menées par la Fédération de Russie pour déstabiliser les institutions de l’État ukrainien, miner la stabilité macroéconomique du pays et détruire les infrastructures stratégiques dans les domaines de l’énergie, des communications, de l’eau et des transports, ainsi que les infrastructures civiles dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la culture ;
Invite le Gouvernement, en lien avec ses partenaires européens, à poursuivre et à renforcer en particulier les livraisons d’armes à l’Ukraine, dans les domaines identifiés comme les plus nécessaires par les autorités ukrainiennes, si besoin en augmentant le montant des crédits dévolus à la Facilité européenne pour la paix ;
Souligne à quel point il importe de concrétiser rapidement tous les engagements pris, en matière d’assistance militaire et humanitaire notamment ;
Invite le Gouvernement à œuvrer, au sein de l’Union européenne et de la communauté internationale, à renforcer le régime des sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie, en identifiant de façon ciblée les domaines dans lesquels elles sont les plus efficaces, et à l’encontre des États biélorusse et iranien qui apportent leur soutien opérationnel à l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie ;
Invite le Gouvernement, en relation avec ses partenaires de l’Union européenne, à prévenir, à instruire, à poursuivre ou à répliquer, par les moyens appropriés, y compris diplomatiques, à tout contournement des sanctions ;
Invite le Gouvernement et ses partenaires de l’Union européenne à étendre la liste des personnes visées par les sanctions, en la complétant et en l’élargissant à l’ensemble des personnes, groupes et entités impliqués de quelque façon que ce soit dans l’agression de l’Ukraine ;
Invite le Gouvernement à inciter l’Union européenne et les États membres à prendre toute initiative destinée à obtenir l’inscription du groupe Wagner, du 141e régiment spécial motorisé russe (« Kadyrovites ») et de leurs membres sur la liste établie en application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ;
Invite le Gouvernement, avec ses partenaires de l’Union européenne, à renforcer les corridors de solidarité permettant de faciliter l’exportation de denrées en provenance de l’Ukraine et à lutter contre la désinformation et la propagande russes en Europe et dans les pays tiers, en mettant en exergue la responsabilité de la Fédération de Russie dans les conséquences de la guerre ;
Invite le Gouvernement, avec les institutions de l’Union européenne et ses partenaires européens, en lien avec les autorités ukrainiennes, à élaborer sans tarder un plan européen pour la reconstruction de l’Ukraine, assorti des moyens adéquats ;
Invite le Gouvernement à œuvrer au maintien de l’unité de tous les États membres de l’Union européenne dans la réponse qu’ils opposent à la guerre d’agression russe contre l’Ukraine et à user de son influence pour que les pays candidats à l’adhésion à l’Union s’alignent sur la politique de sanctions de l’Union.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 124 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 324 |
Contre | 16 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures une, est reprise à seize heures trois.)
Mme le président. La séance est reprise.
5
Automobile : tout électrique en 2035, est-ce réalisable ?
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Automobile : tout électrique en 2035, est-ce réalisable ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Serge Babary, pour le groupe auteur de la demande.
M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en juillet 2015, la commission d’enquête sénatoriale présidée par notre collègue Jean-François Husson évaluait le coût économique et financier de la pollution de l’air entre 67 et 98 milliards d’euros par an pour la France.
À ce chiffre s’ajoute le bilan humain. Selon le ministère de l’écologie, notre pays enregistrerait 48 000 décès prématurés par an, soit 9 % de la mortalité.
En octobre dernier, le Conseil d’État a condamné l’État français à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros en raison du dépassement des valeurs maximales fixées par les directives européennes.
Le trafic routier est responsable de 28 % du total des émissions de gaz à effet de serre en France, dont la moitié provient des véhicules des particuliers.
Aussi, la transformation du secteur automobile est certainement un élément clé de la transition climatique. Encore faut-il que la restructuration de la filière soit réfléchie dans son ensemble et que les objectifs assignés soient réalisables.
Depuis les années 2000, la filière automobile française réduit ses capacités de production nationale. Le solde commercial des échanges extérieurs du secteur est passé d’un excédent de 13 milliards d’euros en 2004 à un déficit de 15 milliards d’euros en 2019. Dans le même temps, l’industrie automobile allemande augmentait son excédent commercial de près de 30 milliards d’euros.
La filière automobile a également subi une succession de crises conjoncturelles.
Avant la crise sanitaire, constructeurs, équipementiers et fournisseurs employaient environ 400 000 salariés ; la filière représentait plus de 10 % des exportations de biens, pour les trois quarts d’entre elles à destination de l’Union européenne, et plus de 20 milliards d’euros de valeur ajoutée.
La crise sanitaire a eu un impact significatif sur l’industrie automobile, entraînant une diminution de la production en France et une chute des exportations.
En 2021, la sortie de crise a été perturbée par les difficultés des fournisseurs à s’approvisionner en matières premières et en composants électroniques. Cette année-là, 11 millions de véhicules n’ont pu être produits. En octobre dernier, on a estimé que le nombre de véhicules non produits s’élèverait à 4,5 millions pour 2022.
Enfin, dernièrement, la filière a souffert des conséquences de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique.
Parallèlement à ces crises conjoncturelles, la filière fait face au défi de la décarbonation, qui l’a conduite à développer son offre électrique depuis 2018.
Le 8 juin 2022 a été franchie une première étape vers la fin des véhicules thermiques au sein de l’Union européenne. Le Parlement européen a en effet voté la révision des normes d’émission de CO2 pour les véhicules particuliers et utilitaires légers neufs dans le cadre du paquet « Ajustement à l’objectif 55 » pour 2030.
Le texte adopté exprime le soutien des députés à la proposition de la Commission d’atteindre une mobilité routière à émission nulle d’ici à 2035.
Le 28 juin 2022, sous la présidence française, la deuxième étape a été franchie. Les ministres européens de l’environnement ont en effet convenu de relever les objectifs en matière de réduction des émissions de CO2 à 55 % pour les voitures neuves et à 50 % pour les camionnettes neuves d’ici à 2030.
Ils ont également approuvé l’introduction d’un objectif de réduction des émissions de CO2 de 100 % d’ici à 2035 pour les voitures et camionnettes neuves. Fort heureusement, une clause de revoyure a été ajoutée pour tenir compte des développements technologiques.
Selon Marc Mortureux, délégué général de la plateforme automobile française, les dépenses en matière de recherche et développement de la filière automobile représentent environ 7 milliards d’euros par an en France. Lors de son audition par la commission des affaires économiques, celui-ci a notamment déclaré : « Les choses sont lancées ; il faut réussir, car nous n’avons pas le choix. […] On y est : c’est irréversible ! »
Les inquiétudes sont pourtant nombreuses.
Le premier risque identifié touche à notre souveraineté. En France, 18 % des immatriculations concernaient des véhicules électriques et hybrides rechargeables en 2021, contre 3 % seulement en 2019.
Actuellement, 640 000 véhicules électriques sont en circulation en France, alors qu’il en faudra un peu plus de 15 millions en 2035.
Comment s’assurer que ces véhicules seront fabriqués en France ou en Europe et qu’ils ne seront pas importés de pays étrangers comme la Chine ? Pourra-t-on produire les batteries et les bornes de recharge en France ?
Par ailleurs, la production de véhicules électriques dépend de l’approvisionnement en métaux rares, tels que le cobalt, le lithium ou le nickel. Or la France et l’Europe ne sont pas productrices de ces métaux.
À l’occasion de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 12 janvier dernier, M. le ministre de l’économie a évoqué son souhait de rouvrir une usine de lithium. Les Français sont-ils prêts à rouvrir des mines et à accueillir ce type d’usines sur leur territoire ? Dispose-t-on des compétences pour le faire ? Serons-nous capables de respecter les délais fixés par l’Europe ? Aura-t-on le temps d’implanter des entreprises de fabrication de bornes de recharge ?
Se pose également la question de l’énergie et du bilan carbone des véhicules électriques. Pour calculer la quantité de CO2 produite par une voiture, il faut tenir compte non seulement du CO2 qu’elle émet lorsqu’elle roule, mais aussi des quantités émises durant sa fabrication puis lors de sa destruction. Or la production et la destruction d’une voiture électrique sont moins respectueuses de l’environnement que celles d’une voiture équipée d’un moteur à combustion. La manière de produire notre électricité est donc cruciale.
Les atermoiements des précédents gouvernements au sujet du nucléaire nous exposent à la menace de coupures d’électricité. Avec le « zéro artificialisation nette », serons-nous en mesure de mettre en œuvre les projets de centrales nucléaires annoncés ?
En 2035, parviendrons-nous à alimenter les 15 millions de véhicules électriques prévus avec de l’énergie bas-carbone ? Serons-nous obligés au contraire d’importer une énergie carbonée produite à l’étranger ?
La France n’émet qu’entre 0,9 et 1,5 % des émissions mondiales de CO2, quand la Chine et les États-Unis sont responsables respectivement de 29 % et de 14 % de ces émissions. Cette différence s’explique, pour une large part, par le fait que la France a délocalisé ses émissions de dioxyde de carbone.
Il ne faudrait pas que la brièveté du délai imposé nuise in fine au bilan carbone des véhicules électriques. Sans compter que nous ne savons pas recycler les batteries de ces véhicules. Lorsqu’il y en aura 15 millions en circulation sur le territoire français, qu’en ferons-nous ?
Enfin, tous les citoyens et entrepreneurs pourront-ils bénéficier de cette révolution ? Il faut en effet songer aux obstacles liés aux coûts d’achat et d’usage, au défi du déploiement des bornes de recharge, mais aussi à l’évolution technologique. À l’instar des camions présents sur les marchés, de nombreux véhicules utilitaires et professionnels n’ont aujourd’hui pas d’homologues en électrique. Dès lors, ces véhicules bénéficieront-ils de dérogations s’ils circulent dans des zones à faibles émissions (ZFE) ?
Comme nous l’avons fait dans le domaine énergétique, ne faut-il pas envisager un mix ? Je pense à l’hydrogène, mais aussi aux innovations relatives au moteur thermique. Il existe des études, notamment australiennes, sur la dépollution des moteurs diesel. Faut-il se priver de ces leviers d’innovation ? L’électrique est-il la solution universelle ?
Toutes ces inquiétudes nous invitent à ne pas confondre vitesse et précipitation. La politique de soutien à l’automobile doit avant tout profiter à notre économie et viser l’équilibre de notre société. Il faut la penser avec les entreprises, pour nos concitoyens.
La lutte contre le dérèglement climatique doit constituer une chance pour l’économie française et non l’occasion de valoriser des économies étrangères. Avec mes collègues du groupe Les Républicains, nous avons conçu ce débat comme un point d’alerte.
Alerte à ne pas reproduire les atermoiements et erreurs commises dans le domaine du nucléaire.
Alerte à ne pas adopter des mesures qui entraveraient notre économie et excluraient toute forme d’innovation.
Alerte, enfin, à veiller à la cohésion de la société, sans marginaliser une partie de nos concitoyens.
Le tout électrique recouvre de nombreux enjeux en matière d’infrastructures, de souveraineté industrielle et de lutte contre les inégalités socio-économiques. Le présent débat doit être l’occasion de réfléchir ensemble à une stratégie de long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la voiture de demain sera électrique.
Les voitures électriques tiennent une place de plus en plus significative dans les ventes de voitures neuves de l’Union européenne : 1,1 million de véhicules électriques ont ainsi été vendus en 2022, soit 28 % de plus que l’année précédente.
Selon les chiffres publiés par l’Association des constructeurs européens d’automobiles, elles représentent au total 12,1 % des voitures neuves vendues en 2022, contre 9,1 % en 2021 et 1,9 % en 2019. En France, cette proportion est même plus élevée, puisque 13,3 % des véhicules vendus étaient entièrement électriques en 2022 – soit 200 000 sur 1,5 million.
Au-delà des chiffres, je profite de ce débat pour porter trois messages clés sur le développement du véhicule électrique en France.
Le premier est que la voiture électrique est indispensable, essentielle pour décarboner notre secteur des transports.
Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) alerte sur l’urgence climatique. Il reste quelques années, comme vous le savez, pour agir et éviter les conséquences les plus dramatiques d’un changement climatique non maîtrisé pour les générations futures. Les années qui sont devant nous seront décisives : il nous faudra déployer des solutions nous permettant de contenir ce réchauffement en deçà des 2 degrés Celsius.
Le véhicule électrique, en tant que solution d’ores et déjà disponible et mature, fait partie des leviers absolument indispensables. D’après le Giec, les véhicules électriques alimentés par de l’électricité à faibles émissions offrent le plus grand potentiel de décarbonation pour le transport terrestre.
Les émissions dans le secteur des transports, qui pèsent pour 25 % du total des émissions en Europe et pour 30 % des émissions en France, ne baissent pas, voire continuent de s’accroître : on constate en effet qu’elles ont augmenté de 12 % entre 1990 et 2015. Sont en cause la dépendance aux carburants fossiles, le maintien d’un niveau élevé d’émissions de CO2 par véhicule ainsi que la croissance des trafics.
La fin des voitures thermiques et la conversion à l’électrique sont donc des leviers absolument essentiels, une étape sur le chemin d’une mobilité décarbonée. La décision d’interdire la commercialisation des véhicules thermiques à compter de 2035 en Europe a le mérite de la clarté.
Une voiture électrique achetée en 2022 et roulant en France émet cinq fois moins de CO2 que son homologue à essence, grâce à une électricité produite essentiellement à partir d’énergie nucléaire, mais aussi d’énergies renouvelables, sources d’énergie bas-carbone. Ailleurs en Europe, c’est en moyenne trois fois moins.
D’ici à 2030, l’empreinte carbone des véhicules électriques est amenée à se réduire encore davantage grâce à une électricité de plus en plus souvent produite à partir d’énergies bas-carbone et en raison de l’amélioration de la performance environnementale des batteries.
Le deuxième message que je souhaite vous adresser est que le Gouvernement travaille à bâtir une filière industrielle complète pour les véhicules électriques. Cette décarbonation, vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur Babary, ne doit pas se faire au détriment de l’industrie française – c’est une évidence.
Il faut que la France prenne sa part dans le renouvellement du parc automobile français. On ne peut importer massivement des véhicules électriques fabriqués dans d’autres pays.
Le Président de la République l’a encore rappelé lors du Mondial de l’Auto, en octobre dernier. Nous avons une stratégie claire pour faire de la France une grande nation de véhicules électriques et pour maintenir une industrie automobile forte et souveraine dans notre pays.
Nous voulons qu’en 2030 2 millions de véhicules électriques, ainsi que les composantes stratégiques de leur chaîne de valeur, que sont les batteries électroniques, les logiciels et les bornes de recharge, soient produits chaque année en France.
Nous devons réussir à maîtriser les technologies de pointe, qui vont des moteurs électriques jusqu’aux batteries, en passant par les composants de l’électronique de puissance et les systèmes qui serviront aux véhicules automatisés.
Par ailleurs, le maintien de la localisation sur le territoire national des usines d’assemblage de véhicules est absolument primordial pour notre filière automobile d’excellence et pour tous ceux qui y contribuent. Lors du Mondial de l’Auto, les constructeurs Renault et Stellantis ont ainsi annoncé la production de quinze nouveaux modèles de véhicules électriques dans leurs usines françaises.
L’État met des moyens sans précédent pour atteindre cet objectif d’une production annuelle de 2 millions de véhicules électriques à l’horizon de 2030.
Nous mobilisons ainsi, via le plan France 2030, pas moins de 5 milliards d’euros pour l’ensemble de la filière automobile, à la fois pour soutenir la recherche et le développement et pour favoriser l’industrialisation des véhicules et de leurs composants en France.
Mon troisième et dernier message concerne les conséquences industrielles et sociales de l’arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2035. Le Gouvernement reste très vigilant sur ce point, car il s’agit d’un tournant majeur pour la filière automobile.
La décarbonation du parc automobile va dans le sens de l’histoire et nous sommes évidemment prêts à soutenir tous les acteurs dans cette mutation industrielle. Il est indispensable d’accompagner nos entreprises, de former les salariés, pour faire face à cette révolution et faire en sorte que la France garde une industrie automobile performante et souveraine.
Plusieurs activités en lien avec la production de véhicules thermiques vont naturellement décroître. Je pense notamment aux conséquences majeures de cette évolution sur certaines filières de sous-traitance. Le décolletage, la fonderie de fonte, la forge figurent parmi les activités qui seront confrontées à des baisses de commandes dans les prochaines années.
L’État accompagne d’ores et déjà les entreprises de ces secteurs dans leurs projets de diversification, qu’elles s’orientent vers la fabrication de véhicules électriques ou qu’elles sortent de la filière automobile ; des reconversions sont en effet possibles dans d’autres domaines.
Outre les entreprises, ce sont aussi nos territoires qu’il faut accompagner dans l’évolution du tissu industriel. C’est la raison pour laquelle l’État a lancé, en lien avec la Banque des territoires, l’appel à manifestation d’intérêt « Rebond industriel » dans le cadre du programme Territoires d’industrie.
Nous consacrons une enveloppe de 100 millions d’euros aux territoires touchés par les mutations du secteur automobile : il s’agit d’identifier des projets industriels dans les bassins d’emplois affectés et de garantir à chaque salarié de l’industrie automobile des perspectives d’emploi dans son bassin de vie ainsi que dans les secteurs d’avenir.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’État est conscient de la révolution que nous avons à engager ensemble et met tout en œuvre pour accompagner la filière automobile dans cet effort de décarbonation absolument stratégique.
Bien sûr, l’objectif est ambitieux, mais il n’est plus temps de tergiverser, car les décisions des entreprises en matière d’investissement se prennent aujourd’hui. Ces dernières doivent désormais clairement s’orienter vers l’électrification de notre parc automobile.
Nous aurons bien évidemment le loisir d’en discuter lors de ce débat, au cours duquel je répondrai avec la plus grande clarté possible.
Débat interactif