Mme le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque le sujet de ce texte concerne les affaires étrangères, avant d’évoquer l’Ukraine, je voudrais que nous ayons une pensée forte pour les populations syriennes et turques victimes du séisme qui s’est produit le week-end dernier et que nous leur exprimions notre solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP. – M. Olivier Cadic applaudit également.)
Depuis un an, l’actualité internationale est dominée par la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, membre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Conseil de l’Europe notamment, autant dire que la Russie n’ignore rien des principes du droit international.
Et pourtant, les autorités russes n’ont pas hésité à déclencher une violente opération militaire contre un État souverain, l’Ukraine. Baptisée pudiquement « opération spéciale », elle est en fait une véritable guerre d’invasion visant à la conquête de territoires, au remplacement d’autorités légales démocratiquement élues, à la mise au pas du peuple ukrainien et à la mainmise sur l’économie et l’agriculture.
Ce coup de force illégal, nous ne pouvons l’accepter. Ce serait la fin de l’ordre international et le retour à la loi du plus fort.
Dans ce contexte, l’initiative de notre collègue Claude Malhuret est à saluer. Elle adresse un message fort et clair du Sénat. Nous avons d’ailleurs reçu ici même, voilà quelques jours, une importante délégation ukrainienne, conduite par le président de la Rada. Cette visite avait été précédée d’un entretien avec le ministre ukrainien de la défense.
Quelles que soient les causes invoquées par les autorités russes à l’appui de leur politique belliqueuse, il reste que, dans ce conflit, il y a tout de même un agresseur et un agressé, que l’Ukraine est un État souverain dont l’intégrité territoriale doit être respectée et que les règles du droit international ont été volontairement ignorées par la Russie.
Ce conflit brutal décime les civils ukrainiens, détruit des installations vitales, rase des villes et aboutit à l’occupation illégale de territoires. Pire encore, une partie des opérations est sous-traitée à des mercenaires recrutés dans des prisons russes ainsi qu’à des forces tchétchènes dont les méthodes sont destinées à terroriser.
En déplacement en Ukraine, avec le président Larcher et quelques collègues, nous avons vu in situ cette « sale guerre » dans laquelle des exactions sont commises quotidiennement contre des civils, sans compter les missiles qui ciblent des habitations.
Des comptes devront être rendus par les responsables de ces actions criminelles contraires à toutes les lois, y compris celles de la guerre. C’est le sens de cette proposition de résolution.
Le conflit a ravivé la peur sur le continent européen qui, après deux guerres mondiales, se croyait à l’abri dans sa bulle de prospérité économique. L’économie européenne est désormais victime des effets collatéraux de cette guerre, lesquels s’étendent jusqu’à la rive sud de la Méditerranée et même au-delà. L’Europe a aussi dû faire face à un flot historique de réfugiés.
Ainsi, les Européens ont eu tort de considérer les questions stratégiques comme secondaires quand d’autres États renforçaient leurs outils de puissance et diversifiaient leurs modes d’action.
Les inquiétudes les plus fortes s’expriment chez les voisins immédiats de la Russie, où la confiance, vous le savez, n’a jamais véritablement régné. Je pense ainsi à la neutralité contrainte de la Finlande et au rideau de fer, qui amputa l’Europe de son flanc est. Un certain nombre de pays, traumatisés par cette expérience, ont souhaité rejoindre l’Union européenne et l’Otan.
Les vagues successives d’élargissement ont porté l’Union européenne et l’Otan aux frontières russes avec des conséquences géopolitiques mal anticipées, et parfois même niées par certains. Il s’agissait en effet de l’adhésion à un projet politique et économique européen d’un côté, et à une alliance militaire menée par les États-Unis de l’autre. Cette « occidentalisation » rapide de territoires longtemps liés à la Russie et leur passage sous protection américaine ne sont pas des changements anodins. À l’époque, on croyait fermement – peut-être à tort – à la « fin de l’histoire » et à l’affaiblissement durable de la Russie.
De plus, la politique européenne de Partenariat oriental, conçue au départ comme la création d’un « cercle d’amis », est devenue plus ambiguë. Selon les Russes, l’Union européenne travaille dans leur « arrière-cour ». Pour l’Union européenne, au contraire, les pays du Partenariat oriental sont des pays souverains qui comparent librement les offres et dont la liberté de choix doit être respectée.
En définitive, le projet d’accord entre l’Union européenne et l’Ukraine et les velléités ukrainiennes d’adhérer à l’Otan ont donné lieu à la réactivation de tensions avec la Russie et à un enchaînement de faits tragiques.
Au cours de cette période, je crois que les Occidentaux ont mal appréhendé les ressorts du fonctionnement russe.
D’abord, le puissant et historique complexe obsidional tourne aujourd’hui à l’obsession, voire à la paranoïa, surtout pour des dirigeants formés dans l’appareil sécuritaire soviétique. Tout le narratif russe s’appuie sur ce sentiment d’encerclement et de marginalisation, qui justifie les investissements massifs dans le domaine de la défense et les actions militaires à l’extérieur.
De plus, les Russes ont eu le sentiment, avec les élargissements successifs, d’un abus de faiblesse commis au moment où leur pays était au plus bas.
Aujourd’hui, où allons-nous ? Quels sont nos objectifs ? Aider l’Ukraine à se défendre ? Récupérer la Crimée ? Changer le régime à Moscou ? Ces objectifs sont-ils partagés par tous les soutiens de l’Ukraine ? En mesure-t-on bien toutes les conséquences ?
Toutes ces questions mériteraient une réponse claire des autorités françaises et européennes, car l’émotion, si légitime soit-elle, ne peut en aucun cas être notre boussole.
Beaucoup de choses ont été faites en matière de dénonciation de la Russie, de sanctions et d’aide à l’Ukraine. Un nouveau paquet de sanctions contre Moscou est en préparation, ce qui est une bonne chose. Nous avons aussi fourni des équipements individuels, des munitions, du renseignement et du matériel de guerre, dont des systèmes d’artillerie. Le débat récent porte sur l’envoi de chars – légers ou lourds ? En quelle quantité ?
Cette évolution doctrinale comporte nombre de difficultés d’ordre stratégique, opérationnel et politique alors que, déjà, les autorités ukrainiennes réclament des avions, ce que nous pouvons comprendre.
Par ailleurs, le président Macron annonce que « rien n’est interdit par principe » – on peut l’entendre aussi. Cependant, si une telle montée en puissance se confirmait, il serait de plus en plus délicat de se déclarer extérieurs au conflit et d’être considérés comme tels. Il faut bien le mesurer.
Malgré ces décisions et les dernières annonces, nous ne voyons pas d’inflexion des autorités russes. Au contraire, nous assistons à une radicalisation des discours et à l’émergence sur la scène politique de personnages inquiétants.
Comme il l’a fait durant la Seconde Guerre mondiale ou, plus récemment, en Tchétchénie, le pouvoir russe mise sur le temps long dans une guerre de saturation, une guerre d’attrition, grâce aux immenses stocks accumulés et au peu de cas fait de la vie de ses soldats, surtout lorsqu’ils viennent des confins de la Fédération.
Enfin, l’économie russe résiste au FMI, qui prévoit, en 2024, une croissance pour la Russie supérieure à celle de la zone euro. Comprenne qui pourra… (M. Bruno Sido acquiesce.)
Nos sanctions et nos moyens militaires contingentés, même s’ils sont technologiquement supérieurs, suffiront-ils à changer la donne ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller face à une puissance dotée ? Nous sommes désormais sur un terrain glissant. Les opinions publiques commencent à s’interroger, y compris aux États-Unis. La question du contrôle des armes livrées et du bon usage des aides est aussi un sujet majeur.
Par ailleurs, cette situation fait malheureusement le jeu de la Chine et des États-Unis. Je constate aujourd’hui combien il est judicieux pour les Chinois d’avoir mis en place des outils financiers alternatifs permettant d’échapper aux sanctions occidentales et qui peuvent être proposés à leurs alliés comme la Russie.
De plus, les entreprises russes se tournent vers le yuan pour leurs contrats, pratique qui pourrait durablement s’ancrer. En janvier 2023, la Russie a annoncé que la relance du marché des changes allait lui permettre de privilégier le yuan pour se « dédollariser ».
Les rapprochements russo-chinois dans de nombreux domaines doivent donc nous interpeller. L’Europe pourrait se trouver « cornérisée » entre deux grands axes : Chine-Russie, d’une part ; États-Unis et leurs alliés anglo-saxons, d’autre part.
La Chine se garde bien de soutenir ouvertement l’invasion russe, sans pour autant la désavouer. Et déjà, au travers de ce conflit et de la politique de sanctions qui en découle, la division du monde prend corps entre le camp occidental et le reste du monde, autour d’un pôle russo-chinois, tandis que l’ONU est de plus en plus marginalisée.
En raison des sanctions, les difficultés financières de la Russie et ses besoins en biens d’équipements de haute technologie la rapprochent encore de la Chine. Quant aux États-Unis, après une période « Trump » assez désastreuse pour leur image internationale et l’évacuation difficile et non concertée de Kaboul, ils ont amorcé un réengagement en Europe, malgré la primauté accordée à la zone indo-pacifique. À la faveur de la guerre en Ukraine, dans toute l’Europe, les achats sur étagère de matériel américain se multiplient. À terme, c’est l’avenir de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne et française qui est en jeu.
Si les Européens, à juste titre, ont montré une certaine unité et une vraie fermeté face à la Russie, je ne suis pas sûr qu’ils aient gagné en crédibilité dans la mesure où la plupart d’entre eux considèrent que seuls l’Otan et les États-Unis sont en capacité de les protéger. L’Europe-puissance est encore loin et Washington n’a aucun intérêt à une trop grande autonomie politique et militaire européenne.
Pour la France, le chemin de crête est étroit : tout en gardant ouverts les canaux de dialogue, il semble important de tenir une ligne de fermeté vis-à-vis de l’agresseur russe, de poursuivre le soutien au peuple ukrainien, mais également de porter une attention plus soutenue aux actions indirectes menées par la Russie en Afrique francophone et dont nous sommes la cible.
Le moment venu, il faudra aussi, en lien avec nos partenaires, aider à la reconstruction de l’Ukraine et aux réformes nécessaires, notamment en matière d’État de droit, de lutte contre la corruption et d’économie.
Nous voterons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà près d’un an, la Fédération de Russie a décidé d’envahir l’Ukraine. Mes premiers mots seront pour la population ukrainienne et sa résistance admirable face à la barbarie de l’envahisseur.
L’occasion nous est donnée, avec cette résolution transpartisane du président Malhuret, de réaffirmer le soutien du Sénat envers l’Ukraine, une semaine après avoir ovationné le président de la Rada ukrainienne.
Anne de Kiev, reine des Francs il y a près de mille ans, aurait toute sa place parmi les femmes illustres qui ornent le jardin du Luxembourg. En érigeant sa statue, le Sénat pourrait rappeler ainsi les liens indissolubles qui unissent l’Ukraine à la France.
Ce soutien à l’Ukraine, nous avions voulu l’apporter, avec le président Malhuret, en nous rendant à Kiev le 20 avril dernier, quelques jours après que les Russes ont été chassés de ses environs. À Irpin, à Borodianka, à Boutcha, villes martyres où les Russes ont commis des massacres, nous avions découvert un cadre indescriptible de ruines, où même les statues avaient reçu une balle dans la tête.
À Boutcha, avec des enfants, nous avions planté des arbres pour rappeler que l’espérance, le bien et nos valeurs l’emporteront au final. Ces enfants ukrainiens connaissent désormais les abris et la terreur des bombardements. Leur regard vide et triste me hante. Je suis revenu d’Ukraine avec la conviction que tout doit être entrepris pour arrêter cette guerre.
En détruisant les infrastructures énergétiques de nombreuses villes, l’armée russe utilise l’hiver et le froid comme une arme pour faire céder la population. Les frappes incessantes sur les immeubles, sur les hôpitaux ou encore sur les écoles et les crèches constituent une véritable stratégie de la terreur à l’encontre des Ukrainiens. Nous déplorons des dizaines de milliers de civils morts ou blessés. La cruauté de M. Poutine peine à trouver ses limites.
Un crime impuni est un crime récompensé, selon la formule de Melhem Khalaf, député libanais qui occupe son parlement depuis vingt jours, avec sa collègue Najat Saliba, afin d’exiger l’élection d’un président au Liban. Que prévoient le Gouvernement et l’Union européenne pour que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par la Fédération de Russie soient jugés et leurs auteurs punis ?
Depuis un an, la France se tient aux côtés de l’Ukraine, avec ses partenaires européens. Dès le début du conflit, des trains de sanctions ont été décidés à l’encontre de la Russie pour affaiblir sa base économique, pour la priver de technologies et de marchés critiques et pour réduire sa capacité à faire la guerre.
À ce jour, l’Union européenne a mis en œuvre neuf trains de sanctions, qui intègrent également la Biélorussie et l’Iran pour l’aide qu’ils apportent à la Russie, ce dont nous nous félicitons. Fidèle à sa devise « unis dans la diversité », l’Union a démontré la volonté d’agir ensemble pour relever les défis. La Pologne a affirmé un rôle de leadership, avec les États baltes et la Roumanie, pour mobiliser l’Union européenne et ne pas tergiverser.
L’aide de l’Union en matière de protection civile et son soutien aux forces armées ukrainiennes ont contribué à soutenir la résistance héroïque du peuple ukrainien face à son envahisseur. Soyons-en fiers.
Nous pouvons également participer à la reconstruction économique ukrainienne en facilitant le retour des investisseurs. Il faudrait pour cela, monsieur le ministre, changer la couleur – aujourd’hui rouge – de la carte des conseils aux voyageurs du ministère de l’Europe et des affaires étrangères à l’ouest du pays.
Pour accompagner l’Ukraine dans sa lutte pour sa liberté et la défense de nos valeurs, nous devons aller plus loin dans nos livraisons d’armes. Le Président de la République a annoncé vouloir aider à renforcer les systèmes antiaériens en Ukraine. Pouvez-vous nous préciser si le sujet a été évoqué lors du sommet Union européenne-Ukraine du 3 février dernier ?
Vous l’aurez compris, le groupe UC votera pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de résolution porte sur un enjeu particulièrement important pour la France et pour l’avenir du continent européen.
Avec l’agression russe de l’Ukraine, déclenchée le 24 février dernier, après près de huit ans de conflit larvé et d’ingérences militaires russes en Ukraine, nous assistons au retour de la guerre interétatique de haute intensité en Europe, impliquant un État doté de l’arme nucléaire.
Par cet acte d’une extrême gravité, la Russie a franchi toutes les limites et violé les règles régissant les relations internationales depuis 1945, notamment les principes fondateurs de la Charte des Nations unies que sont la souveraineté des États et le respect de leur intégrité territoriale.
Cette invasion, les objectifs mis en avant par Moscou pour justifier sa prétendue « opération militaire spéciale » et l’annexion illégale de quatre régions ukrainiennes à l’issue de simulacres de référendums démontrent, si besoin était, la volonté russe de nier l’existence de l’Ukraine en tant que nation indépendante et libre de choisir son destin.
Alors que nous approchons du premier anniversaire de cette agression barbare, injustifiée et injustifiable, force est de constater que la Russie n’a en rien abandonné ses objectifs et qu’elle cherche à soumettre la nation ukrainienne par la force militaire.
Malgré les revers sérieux qu’elle a connus – retrait de la région de Kiev au printemps dernier, contre-offensive ukrainienne réussie dans la région de Kharkiv en septembre, abandon de Kherson, seule capitale régionale qu’elle avait conquise et prétendait avoir annexée, en novembre – la Russie poursuit son agression avec une violence sans limites.
Elle exerce aujourd’hui une pression extrême dans le Donbass, où elle a réussi à progresser dans le secteur de Bakhmout, sans la moindre considération pour ses propres soldats qu’elle utilise comme de la chair à canon.
Seule la Russie est responsable de la poursuite des hostilités, alors que l’Ukraine a montré sa disponibilité à travailler à une paix juste et durable au travers du plan de paix en dix points présenté par le président Zelensky et que la France soutient.
La Russie poursuit par ailleurs sa stratégie lâche et cynique de destruction des infrastructures essentielles de l’Ukraine dans le but de mettre le pays à genoux. Depuis le début du mois d’octobre, des salves successives de missiles et de drones visent les infrastructures électriques, gazières ou de distribution d’eau, nécessaires à la survie de la population civile pendant l’hiver.
La dernière salve a eu lieu le 26 janvier dernier, soit le jour où la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Mme Catherine Colonna, visitait la ville d’Odessa, qui a été touchée. L’objectif russe est clair : désorganiser l’arrière ukrainien et semer la terreur dans la population pour infléchir la résistance de l’Ukraine à l’agression. Cette prise pour cible systématique de la population civile, Mme la Ministre l’a rappelé, cela ne veut pas dire faire la guerre, mais commettre des crimes de guerre.
Dans ces circonstances, la résistance dont font preuve depuis près d’une année l’armée et la population ukrainiennes force notre admiration. En conjuguant la bravoure et la détermination de ses soldats aux équipements sophistiqués que nous lui avons livrés, l’Ukraine a montré qu’elle était capable de résister et de repousser l’envahisseur russe.
Nous le redisons : la Russie ne parviendra pas à briser la résistance du peuple ukrainien, qui se bat pour sa liberté. Et dans cette lutte, l’Ukraine n’est pas seule : nous nous tenons à ses côtés et continuerons de le faire pour l’aider à recouvrer son intégrité territoriale et sa souveraineté. C’est ce message de soutien indéfectible qu’a porté aux autorités ukrainiennes la ministre de l’Europe et des affaires étrangères lors de sa visite à Odessa.
C’est ce même message que le Président de la République a transmis au président de la Rada et au ministre ukrainien de la défense, la semaine dernière. Dès le début de cette agression, que nous avons cherché à éviter jusqu’aux dernières heures, la France s’est placée du côté du respect du droit et de la liberté en apportant son plein soutien à l’Ukraine dans l’exercice de sa légitime défense.
Ce conflit, nous le savons, ne se réglera pas intégralement par les armes. Il faudra, à un moment, se mettre autour de la table et négocier. Mais ce moment n’est pas venu et ce sera à l’Ukraine, et à l’Ukraine seule, de décider quand et à quelles conditions elle souhaitera le faire.
Nous avons donc consenti un effort considérable de livraison d’équipements militaires et nous continuerons de le faire afin de mettre l’Ukraine en position de force pour recouvrer son intégrité territoriale. Ainsi, la décision du Président de la République, début janvier, de livrer des chars légers a entraîné une dynamique positive parmi nos partenaires et a ouvert la voie à la livraison de matériels cruciaux pour les forces armées ukrainiennes. De nouvelles annonces ont été faites par le Président de la République et le ministre des armées à l’occasion de la venue du ministre ukrainien de la défense à Paris, le 31 janvier dernier.
Nous allons fournir à l’Ukraine douze canons Caesar, qui s’ajouteront aux dix-huit déjà livrés. Nous allons poursuivre notre soutien dans le domaine antiaérien, avec l’envoi d’une batterie SAMP/T, conjointement avec l’Italie, d’un radar GM200 et de missiles pour les batteries antiaériennes Crotale. C’est essentiel pour protéger la population civile ukrainienne des frappes russes.
Nous travaillons également à des solutions pour fournir à l’Ukraine des munitions, de nouveaux véhicules blindés et du carburant ainsi que pour assurer le maintien en condition opérationnelle des équipements livrés et assurer le ravitaillement en carburant.
Nous avons participé au lancement de la mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (Eumam) et le ministre Sébastien Lecornu a annoncé que nous formerions 2 000 soldats ukrainiens sur le territoire français d’ici à l’été, tandis que 150 militaires français se rendront à la fin du mois en Pologne pour former jusqu’à 600 soldats ukrainiens par mois.
Nous sommes également l’un des plus importants contributeurs à la facilité européenne pour la paix, qui apporte un soutien en équipement militaire létal inédit au niveau européen.
Enfin, nous avons mis en place un fonds bilatéral, que vous avez porté à 200 millions d’euros, pour que l’Ukraine puisse se fournir en matériels auprès de notre base industrielle et de technologie de défense.
La France est donc, comme les Ukrainiens le disent eux-mêmes, un soutien de premier plan à la fois par l’ampleur des montants mobilisés, par la fiabilité du matériel qu’elle fournit et par la rapidité avec laquelle elle parvient à répondre aux besoins exprimés par Kiev.
Cependant, notre aide ne se limite évidemment pas au domaine militaire. Nous consacrons au total plus de 2 milliards d’euros à l’aide civile à l’Ukraine.
Ainsi, face aux conséquences humanitaires dramatiques des frappes russes contre les infrastructures ukrainiennes, nous avons organisé, le 13 décembre dernier, à Paris, la conférence internationale « Solidaires du peuple ukrainien », afin d’aider l’Ukraine à passer l’hiver. Pas moins de quarante-sept États et vingt-quatre organisations internationales ont répondu présents et ont promis plus de 1 milliard d’euros d’aide d’urgence, qu’il s’agisse de dons matériels ou de financements, dans les domaines de l’énergie, de l’eau, de la santé, de l’alimentation et des transports.
La France, pour sa part, a annoncé un effort total de 125 millions d’euros sur les seuls mois de l’hiver. L’intégralité de cette somme aura été engagée au 15 février, ce qui correspond, rapporté à la fenêtre calendaire, à l’effort humanitaire le plus important jamais déployé par notre pays.
Cette aide aura un impact concret sur la vie de milliers d’Ukrainiens victimes de la stratégie russe visant à faire de l’hiver une arme de guerre. Pour vous donner des exemples concrets, 63 générateurs haute puissance sont en train d’être fournis à l’Ukraine, en plus des 100 déjà livrés début décembre, ainsi que 5 millions d’ampoules LED qui permettront de réaliser d’importantes économies d’énergie.
L’effort total dans le secteur humanitaire s’élève à 200 millions d’euros en faveur de l’Ukraine et des pays limitrophes. Notre centre de crise et de soutien a mené plus de quarante opérations pour un total de 2 700 tonnes d’aide acheminées.
Nous avons également apporté un soutien précieux aux juridictions ukrainiennes et internationales en matière de lutte contre l’impunité. C’est l’une de nos priorités, car il n’y aura pas de paix durable en Ukraine sans justice.
Nous avons ainsi appuyé les enquêtes ukrainiennes de la Cour pénale internationale (CPI) et d’Eurojust, afin de contribuer à la collecte des preuves de crime de guerre. Nous avons aussi envoyé deux équipes de médecins légistes et de gendarmes de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) à Boutcha, en avril dernier, et dans la région de Kharkiv, fin septembre, et fait don de deux laboratoires d’analyse ADN. Nous participons aux réflexions sur la poursuite, engagée par l’Ukraine, du crime d’agression, dans le cadre du core group, qui s’est réuni à Prague les 26 et 27 janvier derniers. Nous accueillerons la prochaine réunion de ce groupe à Strasbourg, fin mars.
Nous sommes aussi mobilisés pour apporter une aide financière à l’Ukraine, à titre bilatéral et au niveau européen, et pour participer à l’effort de reconstruction à plus long terme, qui se structure sous l’égide de la plateforme de coordination des donateurs, mise en place à Bruxelles par le G7.
Parmi nos deux milliards d’euros d’aide, nous avons octroyé un prêt budgétaire direct de 400 millions d’euros via l’Agence française de développement (AFD) et fléché 1,2 milliard d’euros vers des garanties à l’export, qui bénéficient à un large spectre de projets économiques essentiels à la reconstruction de l’Ukraine. Un exemple concret est celui de la plateforme numérique de modélisation de la reconstruction de l’oblast de Tchernihiv, portée par trois entreprises françaises.
Enfin, nous poursuivrons nos efforts visant à accroître les difficultés de la Russie à financer sa guerre d’agression par l’adoption de nouvelles sanctions. Celles-ci sont une preuve de l’unité européenne : les États membres ont réagi avec une rapidité sans précédent en adoptant les premières mesures quarante-huit heures après l’invasion russe.
Nous avons, depuis lors, adopté neuf paquets de sanctions, sectorielles comme individuelles, au niveau européen, mais aussi bâti des coalitions avec nos partenaires du G7 et l’Australie afin de plafonner le prix du pétrole russe.
Ces sanctions, ciblées et proportionnées, portent leurs fruits, comme en atteste la baisse du prix du pétrole brut russe depuis la mise en œuvre de ce dispositif de plafonnement.
Dans la perspective de l’adoption d’un dixième paquet de sanctions dans les prochaines semaines, la France prépare de nouvelles initiatives visant à entraver le fonctionnement de l’économie de guerre russe et à sanctionner ses responsables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, le soutien de la France est total. Il engage l’ensemble de l’État français, mais il mobilise aussi, au-delà, les collectivités, les ONG, les entreprises et, je le sais parfaitement, votre Haute Assemblée.
Le soutien que nous apportons à l’Ukraine, c’est notre devoir, notre honneur et nos valeurs, celles d’une République qui s’est bâtie sur la défense du droit et des libertés. Le vote de la présente proposition de résolution le confirmera, j’en suis persuadé.
Ensemble, nous nous tenons debout, sans faiblir, aux côtés de l’Ukraine, et nous continuerons aussi longtemps qu’il le faudra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC, Les Républicains et SER.)