Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Union européenne a fait de la motorisation électrique un axe central de son paquet mobilité. La fin de la vente des véhicules thermiques neufs est prévue pour 2035. Quinze ans après, en 2050, les émissions de CO2 du parc effectif de véhicules devront respecter l’objectif de neutralité carbone.
Les batteries sont une priorité en vue de la relance et de la mutation de l’industrie automobile. Le marché des véhicules électriques décolle. Il reste qu’au rythme actuel de leur renouvellement, si l’équipement en voitures restait similaire à celui d’aujourd’hui, nous n’atteindrions pas la neutralité carbone en 2050.
De plus, la seule conversion à la voiture électrique ne répond pas à tous les enjeux. Je pense en particulier à celui de la réduction de la pollution par les particules fines liée à l’abrasion des chaussées et à l’usure des pneumatiques.
Il faut également réfléchir à la réduction de l’empreinte des matériaux employés pour la construction des véhicules – qui représente 75 % de leur bilan carbone –, à leur durée de vie et à leur recyclage. Il est également nécessaire de s’interroger sur leur empreinte sociale, car cette industrie contraint des personnes à travailler dans des conditions indignes, dans des mines lointaines.
Enfin, nous devrions encourager la mutualisation des automobiles, pour en accroître la durée réelle d’usage et en diminuer le nombre, le report modal vers les transports collectifs, pour agir sur la congestion, et le soutien aux mobilités actives, afin que celles-ci déploient tout leur potentiel.
Au-delà de la mutation électrique des moteurs, le Gouvernement a-t-il l’intention de favoriser, en même temps, une mutation des usages et une véritable politique de réduction de la place de l’automobile et de l’autosolisme dans nos mobilités ?
Dans la mesure où nos constructeurs s’enferrent dans une stratégie qui consiste à miser essentiellement sur les SUV, ce qui nous expose de fait à la concurrence étrangère pour ce qui est des véhicules électriques légers qui s’imposeront demain, je me demande également si le Gouvernement a pour but de contrecarrer cette dérive qui minera notre compétitivité industrielle et nuira à l’emploi ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Salmon, vous abordez plusieurs sujets.
Je rappelle tout d’abord que, contrairement à d’autres filières, les émissions du secteur des transports continuent d’augmenter en raison de notre dépendance aux carburants fossiles, du maintien d’un niveau élevé d’émissions par véhicule et de la croissance des trafics. La conversion vers les véhicules électriques est donc un levier essentiel.
Malgré la fin de la commercialisation des véhicules thermiques en Europe en 2035, il en restera énormément en circulation. On estime d’ailleurs que la moitié du parc automobile français, soit 20 millions de véhicules, sera encore carbonée à cet horizon.
Il nous faut donc accélérer la décarbonation du secteur des transports – je pense que l’on aura l’occasion d’en reparler – en misant sur le « rétrofit », par exemple, c’est-à-dire notre capacité à remplacer un moteur thermique par une propulsion à moindre émission, comme un moteur électrique ou un moteur à pile combustible à hydrogène.
Cette opération reste encore coûteuse et insuffisamment mise en œuvre. C’est pourquoi nous sommes en train de travailler avec le ministre des transports, Clément Beaune, à la démocratisation du rétrofit. Nous souhaitons en effet faciliter la conversion du parc automobile dans les prochaines années, notamment les 20 millions de véhicules, dont je viens de parler, qui resteraient carbonés en 2035.
Je précise à cet égard que l’État a lancé, entre novembre 2022 et janvier 2023, une consultation au sujet du rétrofit pour recueillir les propositions des industriels spécialistes de cette opération concernant les véhicules particuliers.
Le ministre de l’industrie et le ministre des transports étudient actuellement ces propositions. Ils définiront un plan d’action dans le courant du mois de mars, ce qui devrait permettre aux particuliers, comme nous le souhaitons, de convertir leurs véhicules thermiques en véhicules électriques à un coût moins élevé et plus facilement, notamment dans les garages présents sur nos territoires.
En ce qui concerne la seconde partie de votre question, monsieur le sénateur, faute de temps, je me propose plutôt de vous adresser une réponse écrite.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Madame la ministre, vous avez insisté à juste titre sur le rétrofit, technique fort intéressante, car elle permet de ne pas gaspiller l’énergie grise contenue dans une voiture. Il s’agit effectivement d’un élément essentiel pour l’avenir.
En revanche, on ne pourra faire l’économie d’une véritable politique en faveur de la sobriété d’usage et de dimensionnement ainsi que d’une stratégie d’aménagement du territoire contribuant à revoir nos mobilités.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. En ce qui concerne la lutte contre l’autosolisme et la promotion du covoiturage, sachez qu’une réflexion est en cours et que le ministre des transports, Clément Beaune, vient justement d’annoncer un plan pour les encourager. Je reste à votre disposition pour en discuter.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Je me réjouis de cette nouvelle et suis tout à fait disposé à échanger avec vous au sujet du covoiturage.
Pour ne prendre que cet exemple, sachez que des relevés effectués à l’entrée de Rennes Métropole ont montré que, aux heures de pointe le matin, 100 véhicules ne transportaient que 102 personnes, c’est-à-dire qu’il n’y a en réalité qu’une seule personne dans 98 véhicules sur 100. Il suffirait que les automobilistes fassent du covoiturage, pas tous les jours, mais simplement une fois par semaine, pour faire disparaître tout embouteillage aux portes de la ville.
Les solutions existent. Il faudra faire en sorte que ce qui fonctionne bien sur les longs trajets, grâce à la plateforme BlaBlaCar, pour ne pas la nommer, fonctionne également au quotidien avec des lignes de covoiturage.
Plusieurs expérimentations sont en cours au sein de Rennes Métropole ; j’espère qu’elles s’étendront à l’échelle nationale, parce que le covoiturage est une vraie solution pour limiter les embouteillages. En effet, la voiture électrique, comme les autres véhicules, crée des embouteillages et des problèmes de stationnement.
Mme le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenir du tout électrique pour la filière automobile passe par la région des Hauts-de-France, première région automobile française, notamment du fait de son passé industriel et du savoir-faire reconnu de ses ouvriers.
Cette ambition est, par exemple, celle de Renault, pionnier du véhicule électrique, qui a investi massivement dans cette solution, comme en témoigne son modèle vedette Zoé, dont les ventes ont atteint 32 000 exemplaires l’an dernier. La marque française est également numéro un sur le créneau des utilitaires électriques avec la Kangoo, produite à Maubeuge dans le département du Nord.
La batterie est le corollaire indispensable du véhicule électrique. La région des Hauts-de-France n’est pas en reste dans ce domaine, en particulier dans le département du Nord, devenu the place to be de la batterie électrique en quelques années.
En effet, après l’implantation du pôle ElectriCity de Renault et du groupe chinois Envision près de Douai, celle de Stellantis et de TotalEnergies à Douvrin, Dunkerque accueillera la troisième « giga-usine » française de production de batteries électriques avec l’implantation de Verkor, société qui permettra de faire des Hauts-de-France la vallée de la batterie, un segment plus qu’indispensable pour produire les voitures électriques de demain sur notre sol.
Nous ne pouvons que nous réjouir de ce renouveau et de la réindustrialisation de la région. Les trois gigafactories que je viens de citer contribueront à la création, à terme, de 7 500 emplois directs et de 15 000 emplois indirects. C’est un pari ambitieux qui passe par la mise en place d’un véritable écosystème, notamment dans le domaine de la formation en amont des futurs salariés de ces usines.
Cette évolution doit être anticipée. Afin d’alimenter ces entreprises en personnel qualifié, il faudra en particulier veiller à favoriser la formation des locaux, dont le savoir-faire ancien n’est plus à démontrer.
À cet égard, les difficultés rencontrées par la filière nucléaire pour trouver du personnel à même de concrétiser ses ambitions et ses projets doivent nous servir de référence et de garde-fou.
La perspective de ces emplois est une véritable bouffée d’air pour un territoire longtemps meurtri, mais elle constitue aussi un énorme défi. La réussite du tout-électrique dans notre pays passe par la mobilisation de tous les acteurs de la formation, et notamment ceux de l’éducation nationale.
Madame la ministre, quelles sont les orientations retenues par le Gouvernement pour relever le défi de la formation, garant essentiel de la réussite du tout électrique ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Marchand, comme vous l’avez souligné avec raison, le Nord est au cœur du déploiement de l’écosystème de l’automobile électrique.
Le constructeur Renault s’engage avec détermination dans l’électrification de sa gamme, avec la constitution du pôle ElectriCity dans le nord de la France, autour des villes de Douai, Maubeuge et Ruitz, qui vise un objectif de 1 million de véhicules produits par an en 2031.
En parallèle, trois entreprises ont des projets de construction de « méga-usines » de batteries de véhicules électriques dans les Hauts-de-France : ACC à Douvrin, Verkor à Dunkerque et Envision à Douai. Ces usines devraient contribuer à la création d’au moins 6 500 emplois directs à l’horizon de 2030 – nous nous fondons sur un étiage équivalent, monsieur le sénateur, puisque vous avez parlé de 7 500 postes.
Comme vous, nous nous réjouissons de la possible constitution d’une filière complète des véhicules de demain en France, mais aussi et surtout, de la création d’emplois induite.
Vous évoquiez – et je vous en remercie – la question fort légitime de la formation. Il nous faut apporter une réponse rapide et parvenir à former à ces métiers, qui diffèrent des métiers « classiques » de l’automobile, et qui seront les véritables métiers de demain.
Comme vous le savez, une enveloppe de 2,5 milliards d’euros est aujourd’hui dédiée à la formation et aux compétences, ne serait-ce qu’au travers du plan France 2030. Il est inutile d’insister ici sur les efforts réalisés durant le précédent quinquennat.
À titre d’exemple, l’État a soutenu le projet Remed, (Réussir l’efficience des mobilités d’excellence décarbonées), à hauteur de 14,5 millions d’euros. Ce projet, lauréat d’un appel à manifestation d’intérêt lancé dans le cadre de France 2030, vise à accélérer la structuration de nouvelles formations autour des technologies automobiles d’avenir.
« L’école de la batterie », projet de Verkor à Grenoble, a obtenu 14 millions d’euros d’aides grâce à ce même appel à manifestation d’intérêt. Deux autres projets lauréats dans les Hauts-de-France permettront de répondre aux besoins à court terme d’Envision en matière de formation.
Enfin, nous travaillons au niveau des comités stratégiques de filière du Conseil national de l’industrie pour mieux identifier les compétences dont nous aurons besoin.
Mme le président. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Madame la ministre, ma question, assez proche de celle de M. Marchand, va vous donner l’occasion d’approfondir votre réponse.
Décarboner au plus vite le parc automobile afin de respecter nos engagements environnementaux est un impératif. Reste à savoir comment atteindre cet objectif.
En aucun cas, nous ne pouvons mettre sous le tapis les implications sociales et économiques pour les personnes les plus vulnérables concernées par cette mue incontournable. Je pense évidemment à nos compatriotes aux fins de mois difficiles, pour lesquels l’achat d’un nouveau véhicule électrique est hors de portée, en dépit des aides déjà mises en place.
Je pense aussi, en tant que sénatrice du Nord, à mon territoire, qui a particulièrement souffert d’une désindustrialisation massive depuis la fin des Trente Glorieuses. Que ce soit pour des constructeurs ou des équipementiers, pas moins de 50 000 employés y travaillent à ce jour dans le secteur automobile.
Le Président de la République a fixé comme objectif de produire 2 millions de véhicules électriques et hybrides en France à l’horizon de 2030. En outre, trois projets de gigafactories à Douai, à Dunkerque et à Maubeuge ont été annoncés.
Toutefois, un chiffre attire mon attention : en raison d’un nombre de pièces inférieur, alors que cinq ouvriers étaient nécessaires pour la production d’un véhicule thermique, seuls trois suffisent désormais pour celle d’un véhicule électrique. Vous évoquez seulement 7 500 emplois.
Pouvez-vous nous assurer que, au 1er janvier 2035, la filière automobile française sera prête et que nos territoires industrialisés ne seront pas une nouvelle fois sinistrés ? Que prévoit l’État pour prévenir la disparition de certains postes dans l’industrie automobile et assurer la reconversion des salariés ? Au moyen de quelles dispositions ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Comme Mme la sénatrice Filleul m’y invite, et si vous m’y autorisez, madame la présidente, je vais compléter ma réponse à la question précédente.
Au-delà des projets que la région Hauts-de-France a remportés, rendons hommage au territoire lauréat de ces appels à manifestation d’intérêt. Nous travaillons actuellement, dans le cadre des comités stratégiques de filières du Conseil national de l’industrie, à l’identification des compétences nécessaires pour ces nouvelles productions et ces nouveaux métiers.
Je rappelle également que Bruno Le Maire présentera, d’ici à quelques mois, un important projet de loi relatif à la réindustrialisation verte. Un pan entier de ce texte sera consacré, madame la sénatrice, à la question majeure de la formation des compétences et des talents.
Aussi deux pilotes ont-ils été désignés pour ce chantier spécifique, conduit dans le cadre du projet de loi portant sur la réindustrialisation verte : Mme la députée Astrid Panosyan-Bouvet, que vous connaissez certainement, et M. Moussa Camara, président fondateur de l’association Les Déterminés.
Ils travaillent ensemble depuis quelques semaines et sont disponibles pour échanger avec vous, si vous le souhaitez, sur des propositions concrètes en matière de formation, notamment à destination des personnes les plus éloignées de l’emploi ou les plus fragiles en termes d’employabilité.
Les propositions défendues par ces deux personnalités ont vocation à « nourrir » le futur projet de loi en matière de formation professionnelle et d’enseignement aussi bien professionnel que supérieur.
Au-delà de Bruno Le Maire, le ministre de l’éducation, le ministre du travail ainsi que l’ensemble du Gouvernement s’attelleront à renforcer le plus possible l’employabilité et la qualité des formations dans le secteur de l’industrie automobile électrique.
Je vous invite également à enrichir ce travail, nous en avons besoin.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la ministre, l’objectif d’interdiction de vente de véhicules thermiques et hybrides en 2035 a été entériné sans véritable étude d’impact et sans planification globale, selon le principe « Décidons, l’intendance suivra ».
Dès lors, nous avançons sans stratégie claire, en laissant la main aux industriels pour définir nos objectifs de production et en courant le risque de ne pas réussir ou de le faire dans les pires conditions, au prix de nouvelles inégalités et d’une perte de souveraineté.
Parmi tous ces problèmes mal maîtrisés, je souhaite vous interroger sur les perspectives d’approvisionnement en matières premières critiques composant les batteries, au titre desquelles figurent la volonté déclarée de « retour des mines en Europe » et la constitution de stocks stratégiques.
Le principal projet de mine de lithium européen, à Jadar, en Serbie, qui devait être exploitée par le tristement célèbre groupe Rio Tinto, a été abandonné pour des raisons écologiques. L’Union européenne s’apprête, quant à elle, à assouplir dans l’urgence les règles environnementales afin de faciliter l’implantation des mines.
Disposerons-nous, et à quelle échéance, d’une véritable étude d’impact sur les besoins en matériaux critiques pour satisfaire la demande européenne de véhicules électriques ?
Comptez-vous renforcer le soutien public, dans le cadre du plan France 2030, dont 132,3 millions d’euros ont été décaissés en un an pour le volet « matières premières », tout en garantissant que cet argent serve, en France, à des projets d’exploration et de raffinage conformes à nos ambitions industrielles et écologiques ?
Enfin, quelles nouvelles règles de commerce international la France entend-elle promouvoir contre les logiques de rentabilité prédatrices de quelques grands groupes mondiaux, qui dominent le secteur aujourd’hui, pour garantir et sécuriser l’approvisionnement des matières premières critiques nécessaires aux transitions écologiques ?
Dans ce cadre, êtes-vous prête, avec le Gouvernement, à agir pour sortir d’une logique de souveraineté égoïste, fondée sur la guerre concurrentielle entre États et entre filières au profit d’un marché mondial fondé sur une logique de biens communs…
Mme le président. Je vous remercie, cher collègue. Vous avez deux minutes pour vous exprimer, pas davantage.
M. Pierre Laurent. … écologiquement responsable et soumis à des quotas équitablement répartis ?
Mme le président. Je rappelle que les interventions sont limitées à deux minutes.
Pour bénéficier du temps prévu pour la réplique, vous devez vous arrêter avant la fin des deux minutes imparties. Ainsi, le débat peut être interactif.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Laurent, en ce qui concerne la filière automobile en France et l’objectif européen que nous nous sommes fixé, votre jugement est dur : je ne crois pas possible de dire que nous n’avons aucune stratégie claire en la matière. Certes, la bascule à réaliser est majeure, peut-être même anxiogène, mais nous avons une stratégie. Comme vous le savez, des points d’étape sont prévus avant 2035.
La stratégie est assez claire : afin de donner de la visibilité aux industriels et aux consommateurs, nous prévoyons de produire 2 millions de véhicules électriques par an en 2030, de mobiliser massivement les moyens de l’État, avec pas moins de 5 milliards d’euros investis dans le cadre du plan France 2030, et ce hors du champ compétences et formation, évoqué à l’instant, qui sera abondé par ailleurs.
Sur le sujet majeur des matériaux critiques, je rappelle qu’il est possible de recycler jusqu’à 99 % des métaux composant les batteries – lithium, nickel ou cobalt. Recycler davantage ces métaux permettrait d’en extraire moins, ce qui serait moins délétère pour notre planète. De nombreux projets émergent en France afin de bâtir ces sites de recyclage de batteries de véhicules électriques.
Par ailleurs, nous disposons dans notre pays de gisements de matériaux constitutifs des batteries. Le groupe Imerys a ainsi annoncé, en octobre 2022, le lancement d’un important projet d’exploitation de lithium dans l’Allier, qui devrait permettre d’équiper 700 000 véhicules par an en batteries lithium-ion.
J’ajoute qu’un délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, Benjamin Gallezot, a été nommé voilà un mois. Il est à la disposition de l’ensemble des parlementaires pour aborder ce sujet des matériaux critiques.
Mme le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.
M. Patrick Chauvet. Madame la ministre, le 20 octobre dernier, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’alertai le ministre délégué chargé des transports sur les dangers d’une interdiction pure et dure des véhicules thermiques à partir de 2035.
Je ne suis pas certain qu’elle soit souhaitable au regard des investissements colossaux consentis par nos constructeurs pour améliorer les performances écologiques des moteurs thermiques.
En outre, la montée en charge du véhicule électrique suscite également des interrogations sur la pérennité de notre souveraineté industrielle. En effet, nous sommes actuellement dépendants de certaines filières d’approvisionnement, notamment pour l’importation de terres rares, ces précieux métaux décisifs pour le fonctionnement des batteries. Ainsi, en cas de conflit géopolitique d’ampleur, notre filière automobile serait vulnérable et nous ne pourrions continuer à la faire fonctionner.
Il est toutefois impératif que nous soyons compétitifs sur le marché du véhicule électrique à l’horizon de 2035.
Mes chers collègues, nous sommes tous conscients que la concurrence internationale ne nous fera aucun cadeau. La Chine a ainsi fait très tôt le pari de l’électrique. En contrôlant 56 % de la production mondiale de batteries, Pékin s’est doté d’une industrie automobile électrique ultra-compétitive. Les véhicules chinois coûtent jusqu’à 30 % moins chers que ceux de leurs concurrents européens.
De leur côté, les États-Unis soutiennent massivement leurs constructeurs et leur industrie verte avec des investissements de 370 milliards de dollars.
Avec l’aide de nos partenaires européens et de nos constructeurs automobiles, nous devons donc dessiner les contours d’un nouveau pacte industriel pour relever le défi du véhicule électrique.
À ce titre, je salue les annonces de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, des 17 et 31 janvier dernier, sur la mise en place d’un plan industriel européen pour la compétitivité de nos industries vertes.
Pourtant, les récentes prises de position de certains dirigeants des États membres semblent mettre en péril cette initiative. Je terminerai par ma question…
Mme le président. Je vous remercie, cher collègue. La règle est la même pour tous. Elle a été fixée avec les présidents des groupes parlementaires ; nous n’allons pas la modifier aujourd’hui.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Tenter de répondre à une question que je ne peux qu’imaginer est un exercice périlleux ! (Sourires.)
Certes, il s’agit d’un mouvement majeur, mais le Gouvernement considère que nous sommes capables d’atteindre nos objectifs. L’Europe se met d’ailleurs en position de le faire.
Je voudrais concentrer mon propos sur ce que nous faisons en France et sur les efforts considérables que nous déployons pour accompagner les acteurs, mais aussi tous les sous-traitants, qui sont au cœur de la filière. Le président Babary l’a indiqué dans son intervention : l’enjeu ne porte pas uniquement sur les batteries électriques, mais plus largement sur la chaîne de valeur.
Comme à chaque mutation industrielle majeure, des savoir-faire et des emplois disparaîtront, mais de nombreuses innovations et opportunités industrielles sont déjà en train d’émerger dans notre pays. Ce sont autant de secteurs de croissance et de création d’emplois.
Les sous-traitants de la filière automobile traditionnelle se diversifient, soit vers des segments de la filière non exposés aux motorisations thermiques, soit vers de nouveaux secteurs, hors automobile.
Pour accompagner les sous-traitants dans ces changements, l’État leur dédie un cinquième des 5 milliards d’euros consacrés au soutien de la filière automobile, soit 1 milliard d’euros. Cela permettra de soutenir leur croissance, de faciliter leur transition, d’accompagner la reconversion des salariés des sites et des territoires concernés.
Enfin, Bercy a mandaté le Conseil général de l’économie, mais aussi l’inspection générale des finances, pour évaluer les conséquences de l’arrêt du moteur thermique sur le tissu industriel français et proposer des actions très spécifiques. Les résultats de ces travaux sont attendus à la fin du premier semestre 2023.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la ministre, si les ventes de voitures électriques ont connu un bond sans précédent pour atteindre 12 % des ventes en 2022, notre pays accuse un retard sérieux sur nos homologues européens, notamment nordiques – ce taux atteint ainsi 90 % en Norvège, par exemple.
Avec un parc de près de 300 millions de voitures circulant en Europe, il nous faudra beaucoup de temps, voire énormément, pour réaliser une conversion au tout électrique.
De surcroît, le développement intensif de la voiture électrique pose de nombreuses questions, tout d’abord d’ordre économique.
En effet, le véhicule électrique coûte cher : environ 20 000 euros pour les premiers prix, soit souvent le double d’un véhicule thermique. Tous les automobilistes ne peuvent donc se le permettre, sans compter les inquiétudes légitimes des consommateurs sur le coût de l’électricité dans les années à venir.
Des questions d’ordre industriel ensuite : la crise de la covid-19 a mis en péril les circuits d’acheminement des matériaux nécessaires à la fabrication des batteries. Des gisements ont été découverts en Europe, mais il faudra des années avant de pouvoir en tirer les fruits.
Par ailleurs, le déploiement des bornes de chargement sera-t-il en mesure de suivre le rythme de la progression attendue des voitures électriques ?
Il est donc peu probable que l’objectif du tout électrique en 2035 soit atteignable, d’autant que les fabricants ont d’ores et déjà atteint leurs premiers objectifs de réduction de gaz à effet de serre et qu’ils seraient peut-être tentés de « mettre la pédale douce » – sans mauvais jeu de mots – sur la production électrique pour écouler leur stock de véhicules thermiques.
Ne serait-il pas opportun, madame la ministre, de miser aussi sur l’hybride en relançant, par exemple, le dispositif fiscal qui a été supprimé ? Et qu’en est-il de l’hydrogène ? Ne faut-il pas accompagner la transition énergétique et la conversion de notre parc actuel de véhicules thermiques, afin qu’il soit moins émetteur de gaz à effets de serre ?
Enfin, pouvez-vous rassurer nos industriels de l’automobile, légitimement inquiets, au regard du plan d’aide américain massif, qui risque de les fragiliser ?