compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie Mercier,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 2 février 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Mise au point au sujet de votes
Mme le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Lors du scrutin n° 122 sur l’article 1er de la proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale, M. Bernard Fialaire souhaitait voter pour.
Par ailleurs, lors du scrutin n° 123 sur l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, Mme Guylène Pantel, M. Jean-Pierre Corbisez et moi-même souhaitions nous abstenir.
Mme le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
3
Précision du thème d’un débat d’actualité
Mme le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a inscrit le prochain débat d’actualité à l’ordre du jour du mercredi 8 février à seize heures trente.
Après concertation avec les groupes politiques, ce débat porterait, sur proposition du président du Sénat, sur le thème suivant : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? », sous forme de discussion générale d’une heure.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Soutien du Sénat à l’Ukraine
Adoption d’une proposition de résolution
Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du président du Sénat, de la proposition de résolution exprimant le soutien du Sénat à l’Ukraine, condamnant la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie et appelant au renforcement de l’aide fournie à l’Ukraine, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Claude Malhuret (proposition n° 201 rectifiée).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les présidents de groupe et les très nombreux sénateurs qui ont décidé de cosigner cette proposition de résolution. Je remercie également le président du Sénat qui lui a conféré une solennité particulière en ayant demandé lui-même son inscription à l’ordre du jour du Sénat.
Un an après l’invasion de l’Ukraine, nous avons appris plusieurs leçons fondamentales.
La première est l’ampleur des mensonges que le Kremlin a orchestrés sans relâche depuis des années pour justifier ses agressions successives : l’Occident est responsable de tout, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) menace la Russie, soutient des nazis et des criminels de guerre, multiplie les provocations ; l’Europe est le valet de l’impérialisme américain.
Ces discours délirants, relayés avec constance par le parti prorusse en Europe, ont trompé beaucoup de monde. Ils ont volé en éclat le jour de juin dernier à Saint-Pétersbourg où Poutine lui-même a fini par avouer ce qu’il pense depuis toujours : l’Ukraine est russe et, comme au temps de Pierre le Grand, la Russie va reprendre par la guerre ses territoires perdus.
Balayée la propagande, balayés tous les mensonges, balayée la fable de l’Occident menaçant ! Empire colonial sous les tsars, la Russie fut le dernier empire colonial sous le communisme après la fin des empires anglais et français. Elle veut le redevenir, et l’on comprend aujourd’hui le sens de la phrase prononcée par Poutine en 2005 : « La chute de l’URSS fut la plus grande catastrophe politique du XXe siècle. » Parce que la chute de l’URSS, c’était la fin de l’Empire russe.
La deuxième leçon de cette guerre est que l’ampleur de ces mensonges n’a eu d’égal que celle de nos illusions et de nos lâchetés. Ce n’est pas l’agressivité de l’Occident qui a conduit Poutine à envahir l’Ukraine, c’est sa passivité.
En 2008, les leaders européens ont refusé à l’Ukraine et à la Géorgie l’adhésion à l’Otan pour ne pas irriter Poutine. Quelques mois plus tard, il envahissait la Géorgie. Quand il a envahi la Crimée, nous avons de nouveau répondu avec des sanctions bien modestes. Il est clair que les craintes infondées de provoquer Poutine, en le convaincant de notre faiblesse, ont ouvert la voie à l’invasion totale de 2022.
Cette erreur majeure d’analyse fut d’abord celle de l’Allemagne et de la France. Depuis trente ans, la politique allemande est fondée sur la dépendance énergétique à la Russie, la dépendance commerciale à la Chine et le désarmement face aux deux. Celle de la France a consisté à courtiser la Russie pour trianguler sa relation avec les États-Unis, en espérant acquérir une position indépendante sans en avoir les moyens politiques et militaires.
Que signifie « puissance d’équilibre » quand il y a, d’un côté, une démocratie qui est notre alliée depuis plus de deux siècles, qui nous a sauvés lors de deux guerres mondiales et nous a évité de devenir la province occidentale du Reich allemand ou de l’Union soviétique, et, de l’autre, une cleptocratie mafieuse qui succède à un régime totalitaire ayant asservi l’Europe pendant des décennies ?
Les avertissements répétés des Européens de l’Est, qui savent, eux, ce qu’est l’impérialisme russe, ont été rejetés avec mépris comme des agitations de va-t-en-guerre hystériques. L’invasion de l’Ukraine nous montre l’échec de ces deux politiques et surtout l’urgence à ne pas les poursuivre.
L’apaisement et les compromis avec un dictateur n’ont jamais marché. Le dictateur avance devant la faiblesse et recule devant la force. C’est aussi simple que ça depuis toujours. Si l’Europe veut une paix durable sur le continent, elle doit apprendre le langage de la puissance, le seul que les dictateurs comprennent.
La troisième leçon est le degré de nuisance, de bassesse et de complicité du parti prorusse en Europe, particulièrement en France. Cette « cinquième colonne » des extrémistes, qui cherchent sans relâche à nous désarmer face à un loup qu’ils présentent comme un mouton, qui nous répètent depuis des années que Poutine est le plus grand dirigeant du monde, reprennent mot à mot sur les réseaux « antisociaux », avec les milliers de faux comptes, de trolls et de bots pilotés depuis Moscou, sur les télés Russia Today (RT) et autres, la propagande de Poutine : l’Ukraine n’existe pas, elle est russe, ses dirigeants sont des nazis.
Pouchkine, le grand poète russe, disait : « Pourvu que l’on ait une auge, on trouvera les cochons. » Ils sont la boussole qui indique sans jamais se tromper la direction du déshonneur par le chemin le plus sordide.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, Le Pen, la baronnette des guichets de Moscou, et Mélenchon, le génuflecteur des plus infâmes dictatures, condamnent du bout des lèvres, car ne pas le faire serait un suicide, mais ils ne changent pas d’avis : tout est de la faute de l’Occident, surtout pas d’armes, surtout pas de sanctions !
Leurs députés européens ont même refusé de voter l’aide humanitaire à l’Ukraine, leurs parlementaires français ont refusé de voter l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’Otan. Lors du discours du président de la Rada ukrainienne à l’Assemblée nationale, mardi dernier, ils ont déserté l’hémicycle pendant que tous leurs collègues étaient debout pour l’applaudir.
N’écoutez pas ce que disent les dirigeants des partis de la France russe, regardez leurs votes, regardez leurs gestes et vous comprendrez qu’ils n’ont rien lâché, qu’ils sont toujours en embuscade, comme des crapauds blottis sous une grosse pierre en attendant que passe l’orage…
Que faire aujourd’hui ? D’abord, il convient de tirer les leçons de nos erreurs passées. Car nous ne les avons pas toutes tirées. Nous nous félicitons, à juste titre, que l’Europe ne soit pas divisée, comme l’espérait Poutine, qu’elle soit au contraire unie, que notre alliance avec les États-Unis et les autres démocraties se soit renforcée, que le soutien à l’Ukraine reste constant. Nous nous félicitons également que les opinions publiques, horrifiées par les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité relayés chaque jour sur les écrans, tiennent bon.
Mais attention : les différences d’appréciation entre Européens de l’Ouest et Européens de l’Est et du Nord n’ont pas disparu. Chaque étape du conflit voit réapparaître l’écart entre ceux qui se qualifient de « réalistes » et ceux qui veulent aller plus loin et plus vite.
Les « réalistes » craignent l’escalade. Ils pensent qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Chaque épisode de cette guerre prouve qu’ils ont tort. En refusant l’escalade, ils en laissent le monopole à Poutine et font perdre à chaque fois les semaines nécessaires à la contre-offensive. Durant ces semaines, ces mois parfois, des milliers d’Ukrainiens meurent.
Les lignes rouges, nous savons désormais qu’elles ne sont que le fruit de nos peurs. Chaque fois que Poutine les trace et qu’elles sont franchies, il ne se passe rien : comment pourrait-il frapper plus fort alors que son armée, minée par la corruption qui ronge son matériel, l’incompétence de ses chefs et la défiance de ses soldats, est déjà au-delà de son maximum et paralysée sur tous les fronts ?
Quant à la rengaine du danger nucléaire, Poutine laisse désormais Medvedev le pochard et Lavrov le croque-mort la brandir sur les plateaux des trash télés de Moscou. Il a compris, depuis la mortifiante réunion de Samarcande où Xi et Modi l’ont mis publiquement au piquet, qu’elle lui est interdite, y compris par ses plus proches alliés. Cessons de nous faire peur avec ce disque rayé depuis cinquante ans !
Le but est de permettre à l’Ukraine non de résister, mais de chasser l’occupant. Si nous lui avions livré dès le début le matériel que nous nous apprêtons à lui fournir aujourd’hui, l’Ukraine n’aurait pas seulement reconquis Kharkiv et Kherson, mais elle aurait aussi largement progressé dans le Donbass, profitant de la déroute russe. Ce sera bien plus difficile maintenant qu’on a laissé aux Russes le temps de se retrancher.
C’est néanmoins un bon signe que de plus en plus de dirigeants européens, hier dans le camp des « réalistes », soient en train de comprendre que la livraison massive d’armes aurait eu pour conséquence non pas de prolonger la guerre, mais au contraire de l’écourter par la débâcle des envahisseurs. Mieux vaut tard que jamais ! C’est maintenant qu’il faut livrer les chars, les missiles, les défenses sol-air et les avions si nous voulons, comme le promettait le Président de la République lors de ses vœux « accompagner l’Ukraine jusqu’à la victoire finale ».
Il est enfin une dernière raison, encore plus essentielle, de ne pas répéter les erreurs du passé. Les démocraties, au terme d’une lutte implacable, ont vaincu au XXe siècle les deux totalitarismes qui ont fait des dizaines de millions de morts. Certains les croyaient disparus à jamais. Or, sous nos yeux, l’internationale des tyrans se reforme. Le boucher de Moscou, le génocidaire des Ouïghours en Chine, le docteur Folamour de Corée du Nord, le massacreur de femmes de Téhéran et quelques autres se sont regroupés. Leur seul but : se venger, abattre l’Occident, mettre à bas la liberté.
La deuxième guerre froide a commencé, et ce depuis plusieurs années. Beaucoup de dirigeants occidentaux proclament que nous ne sommes pas en guerre contre la Russie. J’espère bien que ce discours n’est que tactique et qu’ils n’en croient pas un mot. Les dictateurs, eux, l’annoncent clairement : ils sont en guerre contre nous. Ils veulent achever les démocraties qu’ils pensent agonisantes. Il n’y aurait rien de pire que de penser que nous ne sommes pas en guerre contre des gens qui, eux, sont en guerre contre nous, et qui le disent.
Quant au reste du monde, il attend l’issue du conflit pour voler au secours de la victoire. Ceux qui en espéraient une certaine sympathie se trompent lourdement. Les dirigeants bien peu démocratiques de la plupart de ces pays se moquent de savoir si Poutine a violé les lois internationales. Ils ont même pour mantra la justification de leurs méfaits actuels par la condamnation de notre domination passée.
L’Europe doit comprendre qu’il est urgent de redevenir une puissance militaire, d’avoir une stratégie commune et de consolider notre alliance avec les autres démocraties du monde, à commencer par les États-Unis.
Si nous n’y arrivons pas, si nous laissons les cinquièmes colonnes des fachos, des trotskistes, des populistes et des idiots utiles nous conduire à l’aveuglement et au renoncement, alors ce n’est pas seulement l’Ukraine demain qui sera vaincue, mais c’est la liberté. Il est temps de réarmer les démocraties face aux tyrannies du XXIe siècle. Le peuple héroïque de l’Ukraine nous montre le chemin. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente monsieur le ministre, mes chers collègues, sidérés par la brutalité des événements d’Ukraine depuis le 24 février dernier, nous nous devons de garder la mémoire du temps long pour en saisir le sens et la portée.
Sachons ne pas oublier la longue période de dictature et d’oppression du régime communiste dans l’URSS d’alors et l’enfermement de ce régime dans une confrontation toujours plus acharnée. Sachons ne pas oublier ce qu’ont signifié la chute du mur de Berlin et la partition de son empire, source de nostalgie et de ressentiment parmi ses dirigeants et ses forces armées.
Vladimir Poutine n’a jamais fait mystère de ses sentiments sur cette page d’histoire, qu’il a appelée en 2005 « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Remodeler les frontières de la Russie, s’inscrire dans l’histoire comme le dirigeant qui lavera les affronts de l’histoire contemporaine de son pays, c’est son obsession. En 2008, Vladimir Poutine a jeté son dévolu sur l’Ossétie et l’Abkhazie en Géorgie, puis, six ans plus tard, sur le Donbass et la Crimée.
Le 24 février 2022, l’emballement de l’histoire nous rappela que la Russie n’avait pas renoncé à conquérir l’Ukraine. Dans l’esprit des nationalistes russes, une victoire militaire en quelques semaines contre l’Ukraine se serait traduite par le triomphe de Vladimir Poutine.
Poutine tente aujourd’hui de réhabiliter Staline pour remotiver un nationalisme russe confronté au doute que lui inspirent les revers de l’armée russe. La réalité est bien là : la Russie est loin d’avoir pu conquérir l’Ukraine et remplacer le gouvernement de Kiev !
Vladimir Poutine a sous-estimé la réaction occidentale, en particulier la capacité de l’Union européenne d’organiser son unité pour porter secours à une nation voisine envahie.
Les États-Unis, par leur envoi massif d’équipements militaires, leur aide financière, affichent leur soutien moral et politique à l’Ukraine.
Vladimir Poutine et ses généraux ont également sous-estimé la force du patriotisme de l’Ukraine, ses capacités militaires, tactiques, mécaniques et, bien sûr, le courage, la force politique du Président Zelenski, qui a su mobiliser son peuple et obtenir le soutien d’un grand nombre de démocraties.
Mes chers collègues, l’indicible de cette guerre, ses crimes, sa barbarie, ses milliers et milliers de morts, la déportation de citoyens, voire d’enfants : tout cela, l’histoire ne l’oubliera pas !
Tôt ou tard, les dirigeants russes devront rendre des comptes, mais aujourd’hui, chaque Français voudrait voir cesser cette guerre qui a désormais des conséquences sur leur vie quotidienne. Monsieur le ministre, beaucoup s’interrogent sur le rôle de la France.
Ici, au Sénat, nous savons que la France, plus qu’aucun autre pays, a conscience que son soutien sans réserve à l’Ukraine ne la dispense pas de poursuivre une action diplomatique ambitieuse. Au contraire, elle se doit de le faire, tout comme elle doit dans le même temps livrer de l’armement aux Ukrainiens et sécuriser sa présence sur tous les continents.
La France, dont l’engagement pour la paix n’est plus à démontrer, seul État de l’Union européenne à disposer d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, se doit de développer une diplomatie de temps de guerre. C’est sa ligne politique depuis toujours.
La France, voix de la paix, sait anticiper les cataclysmes. Souvenons-nous, il y a vingt ans, presque jour pour jour, de la position de Jacques Chirac et du discours de Dominique de Villepin à l’ONU, contre la guerre en Irak. Le message de la supériorité du droit sur la force reste plus que jamais d’actualité.
Aujourd’hui, qui peut imaginer que le Président de la République, sa ministre des affaires étrangères et notre diplomatie ne sont pas dans la même stratégie de lucidité pour aider à jeter les bases d’une paix durable en Ukraine, sans renier ou affaiblir le soutien occidental à cette nation martyre et encore moins l’amener à renoncer à ses frontières reconnues par les Nations unies ?
Cette sale guerre, menée par la Russie, s’étend aussi dans un même temps dans les pays émergents dont les peuples, qui vivent dans la pauvreté, sont une proie facile pour Vladimir Poutine et sa milice Wagner.
Les récents coups d’État militaires en Afrique facilitent le retournement contre la France des populations abusées. Une déstabilisation de l’Afrique conduira mécaniquement à l’exode de ses populations vers le continent européen. Voilà une arme redoutable imaginée par le Kremlin pour déstabiliser l’Europe. Déstabiliser l’Afrique pour déstabiliser l’Europe, c’est aussi cela la guerre que nous mène Vladimir Poutine !
Enfin, la guerre en Ukraine et la stratégie russe ont une autre conséquence, que la France doit gérer avec ses partenaires, dans sa diversité et sa complexité, à savoir le risque du retour d’un sentiment politique contre l’Occident, lequel ne manquera pas, là aussi, de créer de multiples problèmes de tous ordres aux quatre coins du monde. Des alliances improbables, il y a encore quelques mois, pourraient devenir une réalité dès lors qu’elles serviraient les intérêts de nations continents.
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean-Pierre Grand. Voilà quelques raisons, mes chers collègues, qui forgent notre détermination à soutenir l’Ukraine ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a près d’un an, jour pour jour, Vladimir Poutine plongeait l’Europe et le monde dans le chaos en agressant son voisin ukrainien.
Un an plus tard, le bilan de cette invasion, devenue une guerre de tranchées d’un autre âge, est terrifiant. Alors que les soldats se battent dans la neige et le froid glacial de l’hiver continental, le conflit aurait déjà fait plusieurs centaines de milliers de victimes, dont plusieurs dizaines de milliers de civils ukrainiens. La Russie, qualifiée par le Parlement européen « d’État promouvant le terrorisme », devra répondre de ses crimes.
Qu’il me soit permis, à cette tribune, de rendre un vibrant hommage au peuple ukrainien et de lui faire part de notre admiration devant l’immense courage qui est le sien.
Nous admirons tant le courage des militaires, qui défendent la ligne de front pied à pied face aux vagues des malheureux conscrits russes envoyés à la mort, que celui des civils vivant à l’arrière, sous la menace des bombes et des drones, lesquels prennent des vies, détruisent les infrastructures civiles et plongent le pays dans le noir, le froid, la soif et la solitude de l’hiver.
Un an plus tard, le bilan de cette guerre est déjà planétaire : crise énergétique, inflation, pénurie alimentaire. L’économie mondiale, qui était à peine sortie de la pandémie de covid-19, est de nouveau plongée la tête sous l’eau. Les perspectives à court terme sont alarmantes. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, nous sommes face à la pire crise alimentaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plus que jamais nos efforts de coopération doivent être décuplés pour éviter de jeter sur les routes des millions d’affamés.
Un an plus tard, nous remercions le groupe Les Indépendants – République et Territoires et son président, Claude Malhuret, dont nous déplorons toutefois certaines outrances déplacées dans son propos liminaire (Sourires sur les travées du groupe INDEP. - M. Claude Malhuret rit.), de soumettre à notre examen cette proposition de résolution pour exprimer le soutien du Sénat à l’Ukraine.
Cette guerre a trop duré. Nous devons tout faire pour y mettre un terme. Cela passe par un renforcement du soutien à l’Ukraine pour lui permettre de repousser l’envahisseur russe et de recouvrer ses frontières de 1991. On peut légitimement s’en inquiéter et le déplorer, mais aucune autre solution n’est sur la table.
La France recevait la semaine dernière M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada d’Ukraine, qui nous a expliqué que nous étions face à la situation suivante : soit nous livrons à l’Ukraine davantage d’armements de pointe pour lui permettre de percer de nouveau le front et d’avancer vers l’est, soit la guerre s’enlisera inévitablement dans un conflit de tranchées meurtrier, dans lequel périront beaucoup de soldats, ceux de la Russie étant en nombre supérieur.
Si cette guerre s’étire sur plusieurs années, ses conséquences seront désastreuses pour l’Ukraine et pour le monde entier. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à ce que la France et ses alliés renforcent leurs efforts en matière de soutien militaire, financier et de ravitaillement.
À cet égard, nous demandons solennellement au Président de République de livrer quelques chars Leclerc à l’Ukraine. Même si l’efficacité militaire de ce char, nous le savons, est limitée, une telle décision est indispensable politiquement. Elle doit garantir à nos alliés que la France est à leurs côtés dans toutes les décisions importantes que cette guerre exige de nous.
Dès à présent se pose la question de la fourniture d’avions de chasse demandés par le président Zelensky, la plus épineuse à ce jour. Ayant constaté le grand sang-froid dont font preuve le pouvoir politique et l’état-major ukrainien, nous pensons qu’il est possible de fournir collectivement des chasseurs à l’Ukraine sans risquer de la voir les utiliser à d’autres fins que la défense de son territoire. Aussi nous invitons les partenaires de l’Otan à entamer des discussions en ce sens.
Nous saluons le nouveau paquet de sanctions annoncé par la présidente de la Commission européenne et nous appelons, comme le demande le président ukrainien, à y inclure les dirigeants de Rosatom, à défaut de pouvoir nous passer de l’uranium enrichi en Russie pour notre fourniture électrique…
Nous saluons la décision historique de la Norvège d’allouer une aide pluriannuelle de près de 7 milliards d’euros à l’Ukraine tant pour le soutien immédiat au pays que pour sa reconstruction future. Nous invitons la France et l’Union européenne à agir dans le même sens, mais aussi à prévoir une aide matérielle afin de satisfaire les besoins logistiques immédiats de l’Ukraine, en lui fournissant notamment des groupes électrogènes.
Enfin, pour finir sur une perspective optimiste, nous saluons les progrès réalisés par l’Ukraine dans son parcours vers l’adhésion à l’Union européenne, chemin que nous souhaitons le plus court possible. L’une des causes de ce conflit est justement la volonté de l’Ukraine de rejoindre l’Europe.
Comme nous le faisons depuis un an, nous nous devons d’être indéfectiblement à la hauteur de l’idéal de liberté et de démocratie que défend le peuple ukrainien.
Mes chers collègues, nous voterons naturellement cette proposition de résolution, que nous souhaiterions voir adoptée à l’unanimité de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, INDEP et RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule à mon propos, je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement Claude Malhuret de son initiative. Nous connaissons tous, ici, sa vigilance de longue date à l’endroit du régime de Vladimir Poutine. Les propos fermes et constants qu’il tient à ce sujet au Sénat depuis 2014 l’honorent, lui et, indirectement, notre assemblée.
Au-delà, je tiens également à saluer l’ampleur du soutien qui s’est déjà exprimé en faveur de cette proposition de résolution, en particulier son caractère éminemment transpartisan, puisque pas moins de cinq présidents de groupe en sont cosignataires. Ce quasi-consensus est d’autant plus remarquable que les termes employés dans cette proposition de résolution sont fermes, précis et sans équivoque.
C’est, il est vrai, le moins que nous puissions faire face à l’agression horrible perpétrée contre l’Ukraine, à cette guerre hybride et de haute intensité, avec son cortège inouï d’exactions et de crimes de guerre, dont la liste s’allonge malheureusement chaque jour davantage.
Ce texte arrive aussi à un moment clé du conflit, et ce pas seulement parce que nous approchons du 24 février, date anniversaire du début de cette guerre. Non, nous sommes à un moment clé parce que, contrairement à ce qu’avaient prédit certains commentateurs, le fameux « général Hiver » n’a pas gelé ce conflit. Bien au contraire ! Les combats redoublent d’intensité dans les zones qui s’étendent du sud de Zaporijia au nord de Bakhmout.
Nous ne disposons pas de chiffres officiels, mais on évalue à plus de 120 000 le nombre de soldats russes tués et à plus de 100 000 le nombre d’Ukrainiens, civils et militaires, ayant connu le même sort.
Le moment est clé, car, après une phase de reconquête territoriale entamée par l’Ukraine à l’automne passé, nous sommes désormais dans une guerre de position où les forces ukrainiennes sont sur la défensive tant les moyens humains déployés par la Russie sont importants.
Les moyens militaires de l’Ukraine, en dépit de l’aide prodiguée, sont insuffisants pour tenir sérieusement une ligne de front qui, à l’Est, s’étend sur plus de 1 500 kilomètres, à laquelle il faut ajouter les 900 kilomètres de frontière avec la Biélorussie, où le régime de M. Loukachenko, définitivement vassalisé par le Kremlin, fait figure de complice de celui-ci.
Condamner fermement l’attitude de la Russie, qui, dans tous les domaines, rompt avec le droit international, le droit humanitaire et le droit de la guerre, est indispensable.
Oleksandra Matviïtchouk, présidente du Centre pour les libertés civiles, déclarait il y a dix jours, devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, que son organisation, lauréate du prix Nobel de la paix en 2022, avait recensé et documenté plus de 31 000 crimes de guerre perpétrés par les troupes russes ! Et encore ne s’agit-il là que des crimes possiblement recensables…
Car il en est certains, dans les territoires de l’est de l’Ukraine, annexés ou occupés par la Russie, qui ne peuvent être ni documentés ni précisément quantifiés. C’est la raison pour laquelle, sans doute, en dépit de leur extrême gravité, plusieurs de ces crimes sont si elliptiquement évoqués dans cette proposition de résolution.
Je pense notamment à la situation de centaines de milliers d’enfants qui ont été déplacés de force en territoire russe. Osons le mot, c’est bien une déportation de masse sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale qui est à l’œuvre.
Les médias propagandistes russes regorgent de reportages chantant les louanges de cet élan de prétendue « solidarité humanitaire » de familles russes adoptant « spontanément » de pauvres orphelins de guerre, lesquels, en réalité, ont encore souvent des parents en Ukraine !
En réalité, le Kremlin ne s’en cache guère : il procède à ce qu’il appelle la « dénazification » des territoires occupés en « désukrainisant » les déportés, en procédant à leur « russification forcée », y compris en modifiant leurs noms et leurs origines à l’état civil.
Bien plus qu’une épuration ethnique, constitutive en soi d’un crime contre l’humanité, ce procédé honteux, visant à éradiquer l’identité d’enfants et à les prendre en otages, s’apparente à un acte constitutif d’un génocide !
Au-delà de cette résolution, en faveur de laquelle le groupe RDPI se prononcera favorablement de manière unanime, je conclurai mon propos en interpellant notre Haute Assemblée sur une question qui, jusqu’à présent, n’a guère fait l’objet de son attention.
On le sait, « Rome ne s’est pas construite en un jour ». Le pouvoir autoritaire de Vladimir Poutine non plus ! Son attitude n’a pas soudainement basculé dans la nuit du 23 au 24 février 2022, qui a entraîné son pays dans cette guerre ignoble. Depuis quinze ans, au moins, des signes avant-coureurs, jalonnés de sang, préfiguraient déjà les charniers que nous commençons à déterrer aujourd’hui. Pourquoi n’avons-nous pas vu venir cette guerre ni la dérive autocratique et belliciste de son principal artisan ? Avons-nous été aveuglés ou nous sommes-nous laissés aveugler ?
L’argument de l’imprévisibilité et de l’irrationalité supposées de Vladimir Poutine a bon dos pour expliquer les erreurs d’analyse stratégique que nous avons commises. À l’heure où de multiples travaux de « retour d’expérience » sur cette guerre sont engagés, un peu d’introspection sur nos faiblesses passées ne serait sans doute pas, selon moi, inutile ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)