compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2022 ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Mise au point au sujet d’un vote
Mme le président. La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux.
Mme Daphné Ract-Madoux. Lors du scrutin public n° 51, portant sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, notre collègue Jean-Marie Janssens souhaitait voter pour.
Mme le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Conventions internationales
Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de saint-louis – bâle sur l’autoroute a35, en france entre le gouvernement de la république française et le conseil fédéral suisse
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de Saint-Louis – Bâle sur l’autoroute A35, en France entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, signé à Berne le 31 mars 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée (projet n° 48, texte de la commission n° 77, rapport n° 76).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de singapour
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour, signée à Singapour le 22 juillet 2020, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 517 [2021-2022], texte de la commission n° 6, rapport n° 5).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant l’approbation de la déclaration relative à la phase d’exploitation des lanceurs ariane, vega et soyouz au centre spatial guyanais
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de la déclaration relative à la phase d’exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais, adoptée à Paris le 30 mars 2007 et amendée le 4 décembre 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 876 [2020-2021], texte de la commission n° 75, rapport n° 74).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
5
Développement économique de la filière du chanvre
Adoption d’une proposition de résolution
Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 769 [2021-2022]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de résolution.
M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une grande satisfaction que je défends aujourd’hui devant le Sénat cette proposition de résolution, dont l’initiative revient au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, mais qui est cosignée par plus de cinquante collègues issus de tous les groupes de la Haute Assemblée, que je tiens une nouvelle fois à remercier vivement.
Cette proposition de résolution vise à encourager le développement de la filière du chanvre et à clarifier la réglementation des produits issus de cette culture. Ce thème aura constitué l’un des fils rouges de mon mandat, à Paris comme dans l’Isère, de ma participation, en 2018, à la mission d’information sur l’herboristerie, constituée à la demande de notre collègue Joël Labbé, à l’accueil dans nos murs, au mois de mai dernier, de la deuxième rencontre de l’interprofession du chanvre.
Entre-temps, l’Assemblée nationale s’est saisie du sujet dans le cadre d’une mission d’information hors norme, la réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui fait la part belle aux matériaux biosourcés, a été adoptée et la réglementation incompréhensible sur le cannabidiol (CBD) a défrayé la chronique judiciaire.
Je suis heureux de la place que prend la filière du chanvre dans le débat public et des progrès accomplis, même si beaucoup reste à faire. C’est tout l’objet de cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à accompagner cette filière indispensable pour la transition écologique et à clarifier une fois pour toutes la réglementation sur le CBD.
Vous me pardonnerez, mes chers collègues, si je répète ce matin certains éléments de mon propos du 3 février dernier. C’est d’ailleurs le débat tenu ce jour-là en séance sur l’initiative de mon groupe, au cours duquel était apparue une large majorité de vues sur cette problématique, qui a motivé le dépôt de la présente proposition de résolution. Néanmoins, nous avons choisi, en lien avec les acteurs de la filière, de ne pas nous cantonner à l’imbroglio juridique relatif au CBD, mais d’évoquer l’ensemble de la filière, qui, même si elle se porte bien, mérite toute l’attention du Gouvernement.
Je le disais en février dernier, depuis l’antiquité, le chanvre a continuellement habillé, nourri, soigné les hommes et recueilli leurs écrits. Aujourd’hui, il fait encore tout cela, mais pas seulement : il nous loge aussi et il peut également représenter un substitut au plastique.
Les débouchés industriels de cette filière sont considérables, mais largement sous-exploités. La France est le troisième producteur mondial de chanvre et le premier producteur européen, avec pourtant 22 000 hectares seulement. Les surfaces cultivées ont triplé depuis dix ans et devraient doubler au cours des cinq prochaines années.
Rappelons-le, la culture du chanvre ne nécessite pas de produits phytosanitaires ni d’irrigation, elle restructure et dépollue les sols et elle s’inscrit opportunément dans la rotation des cultures. Mieux, elle capte plus de carbone que la forêt, avec 15 tonnes par hectare et par an.
Le chanvre peut constituer une chance formidable pour nos agriculteurs, tant en bio qu’en conventionnel, à condition de multiplier les débouchés. Cela tombe bien, ces derniers sont nombreux et toute la plante est valorisable : les fleurs et les feuilles servent à produire le CBD ou à extraire des arômes pour la parfumerie ; les graines, très riches en protéines, nourrissent l’humain et les animaux – bétail, oiseaux, poissons ; enfin, la paille permet de produire, avec la fibre, du textile, de l’isolant thermique, du bioplastique ou des papiers spéciaux, et, avec le corps solide – la chènevotte –, du béton végétal et de la litière.
En ce qui concerne le CBD, je laisse mon collègue Thomas Dossus préciser les choses.
Je précise toutefois que nous demandons au Gouvernement de ne pas attendre la décision au fond du Conseil d’État pour autoriser la vente au détail des fleurs et des feuilles du catalogue autorisé, que nous proposons d’élargir à toutes les variétés contenant moins de 1 % de tétrahydrocannabinol (THC), contre 0,3 % actuellement. Des milliers d’acteurs économiques attendent la fin de cette mauvaise comédie judiciaire. Ce flou juridique n’est souhaitable pour personne. Nous avons besoin de règles claires, facilement contrôlables, et d’un encadrement adapté de la production, de la transformation et de l’utilisation du chanvre.
En outre, pour favoriser les contrôles, nous demandons la cartographie de toutes les cultures de chanvre, même celles qui ne font pas l’objet d’une déclaration dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Les agriculteurs et la filière le demandent.
Nous proposons par ailleurs d’équiper nos forces de l’ordre, comme en Suisse, de tests portatifs permettant de mesurer très rapidement le taux de THC de la fleur, afin de déterminer sa légalité.
Enfin, sur le volet alimentaire, l’arrêté de décembre 2021 ne règle pas toutes les questions posées par la consommation de CBD. Nous invitons donc le Gouvernement à définir les doses journalières recommandées de CBD, à exclure les produits qui ne sont pas enrichis en CBD de la réglementation relative aux nouveaux aliments et ingrédients alimentaires (Novel Food) et à définir clairement les produits issus du chanvre qui relèvent d’une consommation de bien-être et non du régime de la pharmacopée.
Venons-en à la filière textile, qui a, par rapport au coton, rappelons-le, un impact carbone cinq à huit fois inférieur et une consommation d’eau plus de deux fois moins importante, le différentiel de cette consommation, variable selon les climats, pouvant être beaucoup plus grand. Nous sommes en train de passer un cap sur cette question, avec une réglementation européenne plus exigeante sur l’origine des textiles et avec l’engagement de grands industriels du vêtement à utiliser la fibre de chanvre.
Néanmoins, les lignes de production et les outils industriels qui utilisent la fibre de coton ne sont pas toujours adaptés à la fibre de chanvre et ils exigent des réglages importants. Il faut donc procéder à de lourds investissements, qui doivent, selon nous, être accompagnés par la puissance publique. Nous pensons notamment aux crédits de France 2030, qui n’ont pas été intégralement consommés et qui, au-delà des technologies de rupture chères au Président de la République, doivent également financer le retour à des savoir-faire ancestraux, s’ils sont aussi bien adaptés que celui-ci au défi écologique.
Nous invitons également le Gouvernement à mettre en place un label pour le textile biosourcé, en s’appuyant sur la nouvelle réglementation européenne, sorte de « Nutri-score des textiles », puis à l’utiliser dans les critères environnementaux de la commande publique.
Le bioplastique, qui équipe principalement les tableaux de bord des voitures, est, je le rappelle, 30 % plus léger que le plastique, recyclable 7 fois et, sur le parc des 13 millions de véhicules équipés, il représente une économie de 100 000 tonnes d’équivalent CO2. Le Gouvernement devrait donc y accorder plus d’attention dans son soutien aux filières industrielles vertueuses, d’autant que la fibre de chanvre peut également remplacer aisément la fibre de verre dans de nombreux composites et faciliter le recyclage ; des études sont en cours pour la réalisation des pales d’éolienne.
Pour ce qui a trait au bâtiment, nous devons redoubler nos efforts, tant le chanvre répond aux exigences de la transition et de la rénovation énergétiques, et limite notre dépendance aux hydrocarbures. J’ai visité, en septembre dernier, l’une des premières entreprises produisant des modules préfabriqués en béton de chanvre. Mélangez de la chènevotte, de la chaux et du bois, et vous aurez un mur qui stocke 35,5 kilogrammes de carbone au mètre carré, quand le béton classique émet 126 kilogrammes de CO2 au mètre carré…
En outre, ce mur permet d’obtenir une hygrométrie inégalée, nécessitant très peu de chauffage et de climatisation, et entraînant 70 % d’économie d’énergie selon le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). J’ajoute qu’il est biodégradable ou recyclable, ce qui n’est pas un détail, le bâtiment étant responsable des trois cinquièmes des déchets du pays.
Pourtant, il reste des blocages réglementaires, issus notamment des réglementations professionnelles.
Le béton de chanvre étant plus qu’adapté aux exigences de la RE2020, il convient de massifier son développement et, pour ce faire, de former à l’utilisation des matériaux biosourcés les architectes mais également les métiers de la construction, les « accompagnateurs France Rénov’ » et les conseillers de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
Par ailleurs, grâce à la laine de chanvre, l’isolation thermique, dans le neuf ou dans la rénovation, n’est pas en reste. Actuellement, 90 % des matériaux du bâtiment sont issus de la filière pétrolière ou minière, et leur transformation est très énergivore. Selon une étude de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le polystyrène utilisé en isolation émet 2,8 tonnes de CO2 par tonne produite, alors que la laine de chanvre permet au contraire de stocker du carbone et est, au surplus, recyclable et biodégradable.
Aussi, en cohérence avec la RE2020, nous invitons le Gouvernement à fixer des critères ou des bonus pour les aides à la rénovation thermique – MaPrimeRénov’, éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) – en lien avec la performance environnementale des matériaux utilisés. Au passage, cela vaut non seulement pour le chanvre, mais encore pour l’ensemble des autres matériaux biosourcés. Je vous annonce d’ailleurs en exclusivité un amendement au projet de loi de finances pour 2023 émanant de notre groupe écologiste et allant en ce sens sur le PTZ.
Il découle de tout ce qui précède, vous l’aurez compris, mes chers collègues, qu’il faut massifier la culture et l’utilisation du chanvre. Cela passe notamment par une grande campagne de communication publique à destination des collectivités, des professionnels et du grand public, campagne promise en 2018 via le plan d’action Une Stratégie bioéconomie pour la France, mais qui n’a jamais été mise en œuvre.
Cela étant, nos capacités de production agricole pour 2023 nous inquiètent. La guerre en Ukraine a fait tellement exploser le prix des grandes cultures, notamment des céréales, que nos agriculteurs n’auront pas d’incitation financière à planter du chanvre cette année. En 2023, le chanvre rapportera entre 20 % et 25 % de moins à l’hectare que le maïs, le blé ou le colza.
Par conséquent, la filière formule une demande supplémentaire, qui n’était pas saillante au moment de la rédaction de cette proposition de résolution, mais qui nous semble désormais ô combien légitime : la reconnaissance sur le marché carbone réglementé du carbone stocké par l’ensemble de la filière. J’ai suffisamment détaillé, je crois, le bilan carbone phénoménal de la culture et de l’usage du chanvre pour vous convaincre du bien-fondé d’une telle demande.
Dans cette perspective, la filière a demandé un accompagnement de la part des corps d’inspection de l’État, afin de créer un mécanisme de reconnaissance du stockage du carbone au bénéfice des producteurs, car les spécificités de la filière chanvre – profondeur racinaire, poursuite du stockage de carbone dans les débouchés – sont mal prises en compte par le modèle du label bas-carbone.
La stratégie nationale bas-carbone pourrait également être renforcée par une prime au stockage de carbone dans la rénovation thermique des bâtiments, afin d’inciter à l’utilisation d’isolants biosourcés.
Enfin, il conviendrait de favoriser les matériaux biosourcés via la réduction de la TVA. Nous comptons sur le Gouvernement pour obtenir satisfaction à Bruxelles sur ce point, dans le cadre de la refonte de la directive TVA.
Voilà, mes chers collègues, une présentation succincte de notre proposition de résolution.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Guillaume Gontard. Notre collègue Thomas Dossus la complétera, afin d’envoyer un message fort au Gouvernement et de mettre davantage en lumière une filière pleine de promesses.
Mme le président. Nous avons un horaire à respecter, mon cher collègue !
M. Guillaume Gontard. Dans bien des territoires, notre vote est attendu par des centaines d’acteurs économiques. Ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme le président. Mon cher collègue, quand je vous demande de conclure, vous devez obtempérer. Si chacun se permet de dépasser son temps de parole, nous ne pourrons pas achever l’ordre du jour de ce matin.
Je vous demande donc, mes chers collègues, de vous respecter les uns les autres.
La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui permet de mettre en lumière une filière méconnue du grand public. Je salue donc cette initiative, qui permet d’évoquer un sujet d’avenir du point de vue économique pour nos territoires : la filière du chanvre.
L’opinion publique se passionne généralement pour les découvertes qui marquent une rupture avec leur temps. L’exemple du chanvre est au contraire symptomatique d’un engouement fort pour une redécouverte. En effet, si le sujet ne prend de l’ampleur que depuis quelques années, l’utilisation de ce matériau par l’être humain est multiséculaire.
L’évocation du chanvre fait souvent penser au cannabis et est donc souvent associée à la triste réalité du trafic de drogue et de ses conséquences tragiques, notamment chez les jeunes. La première des priorités sur ce sujet réside donc dans un travail de pédagogie. Il faut bien distinguer le drame que constitue le cannabis utilisé comme drogue de la filière du chanvre, qui représente une chance formidable dans de nombreux domaines économiques.
Le chanvre est une plante qui permet de stocker le carbone – son bilan carbone est excellent – et dont la production nécessite peu d’énergie, peu d’intrants et peu d’eau. Il peut s’utiliser dans les secteurs du bâtiment, des cosmétiques, de l’alimentaire ou encore du textile.
Dans le secteur du bâtiment, le crépi chaux-chanvre en intérieur, sur du bâti ancien ou récent, permet d’éviter l’usage de la climatisation. L’enduit chaux-chanvre absorbe l’humidité pendant les périodes froides et la restitue en période chaude. Dans la mesure où la sobriété énergétique s’impose comme une priorité nationale, le chanvre constitue une véritable solution de substitution à nos modes de fonctionnement traditionnels.
La nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020) va dans le bon sens, puisqu’elle met en avant les matériaux biosourcés. Néanmoins, certains verrous réglementaires pourraient être levés ou allégés. On pourrait ainsi imaginer la prise en compte d’autres critères que le coefficient thermique, comme la quantité de polluants ou le confort de vie.
Il pourrait également être pertinent de mieux accompagner financièrement la production et l’usage des matériaux biosourcés. Compte tenu de l’envolée des prix des matières premières, le chanvre représente également un excellent substitut à la laine de verre, à la laine de roche ou au polystyrène.
Par ailleurs, la formation des professionnels du bâtiment représente un véritable défi, car il faut ouvrir ces métiers à de nouvelles perspectives, en matière d’utilisation de la fibre de chanvre dans l’isolation des combles et des parois des bâtiments, mais également dans l’usage de la chènevotte dans les crépis isolants.
Il est fondamental d’informer les décideurs publics de ces atouts extraordinaires.
Dans le département de la Charente-Maritime, qui m’est cher, le projet de territoire pour la gestion de l’eau de la rivière de la Boutonne repose sur plusieurs axes : les aspects qualitatif et quantitatif de l’eau et la protection des milieux. Il y a également une forte volonté locale de trouver une culture se passant de pesticide et nécessitant peu d’engrais, tout en dégageant un revenu correct pour les producteurs. La filière chanvre est la seule solution à même de répondre à l’ensemble de ces critères…
Il existe également une filière alimentaire du chanvre, grâce à l’utilisation et à la transformation des graines de cette plante en huile, en tourteaux, en farines ou en chocolat. À une époque où le circuit court est plébiscité par nos compatriotes, le chanvre permet de répondre à ces nouveaux modes de consommation.
La filière textile est encore trop peu développée par rapport à son potentiel. Je rappelle que, avant d’être en coton, le jean, la toile denim – « de Nîmes » –, était historiquement produit à partir de chanvre !
M. Laurent Burgoa. Tout à fait !
Mme Corinne Imbert. Par ailleurs, tandis que le revenu des agriculteurs suscite un émoi légitime dans l’opinion publique, cette filière constitue une source de rémunération très correcte pour les producteurs.
Le levier économique du chanvre complète ainsi une palette déjà remarquable de vertus.
Enfin, alors que nous venons d’examiner en première lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale, je tiens à saluer la prolongation de l’expérimentation de l’usage thérapeutique du cannabis. Nous en sommes encore à un stade embryonnaire, du point de vue de la prescription d’un produit qui n’a pas un véritable statut de médicament, mais l’intérêt médical de ce produit est encourageant.
Pour toutes ces raisons – utilisation dans le bâtiment, dans l’alimentation, dans le textile et dans la médecine – et en souvenir des cordages de chanvre fabriqués à la Corderie royale de Rochefort-sur-Mer, je voterai, à titre personnel, cette proposition de résolution. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution est une excellente occasion de parler d’une filière, le chanvre, à la fois complexe et prometteuse.
Elle est complexe, parce qu’elle regroupe de nombreux acteurs, de toutes tailles, et qu’elle concerne des industries très diverses. Cela en fait sa force, mais aussi sa faiblesse.
Elle est prometteuse à plusieurs égards. La France est le premier pays producteur de chanvre en Europe. Le département dont je suis élue, l’Aube, qui est à la pointe dans cette filière, assure presque 50 % de la production française et un tiers de la production européenne. Nous développons cette culture depuis des décennies, dans ce territoire à forte tradition industrielle.
La « maison de la Turque », bâtisse toute flaubertienne au cœur de Nogent-sur-Seine, a été rénovée avec du béton de chanvre. L’industrie du bâtiment place de grands espoirs dans les matériaux de construction à base de ce matériau.
L’industrie textile, très polluante, se tourne, elle aussi, de plus en plus vers le chanvre. À l’heure où la mode éthique fait son entrée dans les consciences, cette plante paraît pouvoir contribuer à changer la donne.
Plus largement, l’utilisation du chanvre dans certaines industries contribue activement à notre transition vers la neutralité carbone. Cette culture n’a besoin que de peu d’intrants et elle est très peu consommatrice d’eau, ce qui limite le besoin d’irrigation. C’est un atout agroécologique majeur dans le contexte de réchauffement climatique que nous connaissons.
Le chanvre a la capacité de stocker beaucoup de CO2, dans un laps de temps court. Un hectare de chanvre absorbe, en une année, environ 15 tonnes de CO2, autant qu’un hectare de forêt. Le chanvre est donc une culture aux multiples externalités positives, notamment pour les sols dans le cadre des rotations culturales.
Ce sont des atouts cruciaux pour notre agriculture, mais, pour que cette chance se transforme en marché, encore faut-il des débouchés stables pour la filière.
Bien sûr, les investissements sont indispensables. Être au fait des réalités du secteur nous permettra de gagner en compréhension et, donc, d’agir en conséquence.
Selon l’un des considérants de la proposition de résolution, dans cinq ans, cette filière pourrait avoir créé autour de 20 000 emplois et représenter un chiffre d’affaires annuel avoisinant 2,5 milliards d’euros. La France doit transformer l’essai. La poursuite du développement de cette filière participera à la réindustrialisation de notre pays, à laquelle je suis très attachée. Nous devons continuer à nous battre pour faire émerger des champions industriels. Je profite de cette occasion pour saluer les annonces récentes du ministre délégué chargé de l’industrie sur les stratégies de relocalisation industrielle et le « produire en France » dans nos territoires. La filière du chanvre peut contribuer à ces impératifs.
Nous avons de l’avance et, pourtant, nous devons aider cette filière à se structurer. Le chanvre offre de belles perspectives pour une réindustrialisation décarbonée de notre pays. Consolider une filière, c’est permettre à l’offre de rencontrer la demande, d’où l’importance des matériaux biosourcés et de leur développement.
À ce titre, les alinéas 30, 31 et 32 du texte sont très intéressants. Les matériaux biosourcés ont toute leur place dans nos démarches de rénovation et de lutte contre les passoires thermiques. Nous devons faire en sorte de mieux faire connaître ces produits des professionnels et des citoyens.
Je veux aborder un dernier point : le CBD. Dès janvier dernier, j’ai posé une question au Gouvernement sur l’avenir de la filière, après le fameux arrêté du 31 décembre 2021. Oui, une régulation est nécessaire et la filière n’y est pas opposée. La proposition de résolution met en lumière les millions de consommateurs et les milliers de points de vente. Les acteurs ont besoin de stabilité.
Je le répète, la position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la doctrine de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inscrivent dans la même optique : avec un taux de THC inférieur à 0,3 %, le CBD n’est pas un stupéfiant. Là encore, madame la secrétaire d’État, ne laissons pas nos voisins européens faire main basse sur le marché français, je vous en conjure ! Avançons ensemble dans un cadre respectant la santé publique et permettant à nos entrepreneurs d’innover.
En revanche, certains points de cette proposition de résolution me posent davantage problème. Je n’ai malheureusement pas le temps de les détailler. Je me contenterai donc d’indiquer que la pertinence de la multiplicité de labels proposés ne me paraît pas établie. De même, l’alinéa 26, par lequel on promeut l’« élargissement du catalogue des cultivars aux variétés contenant moins de 1 % de THC » me dérange.
Toutefois, pour toutes les raisons listées précédemment, le groupe Les Indépendants votera, dans sa majorité, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST, SER et CRCE.)