Sommaire

Présidence de Mme Pascale Gruny

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.

1. Procès-verbal

2. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

3. Mise au point au sujet d’un vote

4. Conventions internationales. – Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission

Accord avec la Suisse relatif à une plate-forme douanière sur l’autoroute A35. – Adoption définitive, en procédure accélérée, du projet de loi dans le texte de la commission.

Convention d’entraide judiciaire en matière pénale avec Singapour. – Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission.

Déclaration relative à la phase d’exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au centre spatial guyanais. – Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission.

5. Développement économique de la filière du chanvre. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de résolution

Mme Corinne Imbert

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Thomas Dossus

Mme Nicole Duranton

M. Gilbert-Luc Devinaz

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Mme Daphné Ract-Madoux

M. Henri Cabanel

Mme Laure Darcos

M. Jean-Claude Tissot

Mme Annick Billon

M. Christian Klinger

Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Adoption, par scrutin public n° 55, de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

6. Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. – Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels

Texte de la commission mixte paritaire

Article 1er bis AA

Amendement n° 1 de la commission. – Réservé.

Article 4

Amendement n° 2 de la commission. – Réservé.

Vote sur l’ensemble

M. Emmanuel Capus

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Martin Lévrier

Mme Monique Lubin

Mme Éliane Assassi

M. Olivier Henno

Mme Guylène Pantel

Mme Chantal Deseyne

Adoption définitive, par scrutin public n° 56, du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.

7. Mise au point au sujet de votes

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

8. Rappel au règlement

Mme Nathalie Goulet

M. le président

9. Loi de finances pour 2023. – Discussion d’un projet de loi

Discussion générale :

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

10. Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

11. Loi de finances pour 2023. – Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale (suite)

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Exception d’irrecevabilité

Motion n° I-1419 de M. Daniel Breuiller. – M. Daniel Breuiller ; M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Daniel Breuiller. – Retrait.

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

Question préalable

Motion n° I-1287 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi ; M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie ; M. Éric Bocquet. – Rejet par scrutin public n° 57.

Discussion générale (suite)

M. Daniel Breuiller

M. Teva Rohfritsch

M. Thierry Cozic

M. Éric Bocquet

Mme Sylvie Vermeillet

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Claude Requier

Mme Christine Lavarde

M. Emmanuel Capus

M. Georges Patient

Mme Isabelle Briquet

M. Bernard Delcros

Suspension et reprise de la séance

M. Stéphane Sautarel

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Patrice Joly

M. Vincent Capo-Canellas

M. Gabriel Attal, ministre délégué

Clôture de la discussion générale.

Article liminaire

Amendement n° I-1662 du Gouvernement. – Adoption.

M. Éric Bocquet

Adoption, par scrutin public n° 58, de l’article modifié.

Première partie

Article 25 et participation de la France au budget de l’Union européenne

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

M. André Gattolin

M. Patrice Joly

M. Éric Bocquet

M. Claude Kern

M. Jean-Claude Requier

Mme Pascale Gruny

M. Emmanuel Capus

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

M. Jacques Fernique

M. Pascal Allizard

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe

Article 25

Amendement n° I-1662 du Gouvernement. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Renvoi de la suite de la discussion.

12. Candidature à une délégation sénatoriale

13. Ordre du jour

Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire

Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale

compte rendu intégral

Présidence de Mme Pascale Gruny

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

Mme Victoire Jasmin.

Mme le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Mme le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2022 ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

Mise au point au sujet d’un vote

Mme le président. La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux.

Mme Daphné Ract-Madoux. Lors du scrutin public n° 51, portant sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, notre collègue Jean-Marie Janssens souhaitait voter pour.

Mme le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Conventions internationales

Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de saint-louis – bâle sur l’autoroute a35, en france entre le gouvernement de la république française et le conseil fédéral suisse

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de Saint-Louis - Bâle sur l'autoroute A35, en France entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse
Article unique (fin)

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de Saint-Louis – Bâle sur l’autoroute A35, en France entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, signé à Berne le 31 mars 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée (projet n° 48, texte de la commission n° 77, rapport n° 76).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif à la restructuration de la plate-forme douanière de Saint-Louis - Bâle sur l'autoroute A35, en France entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse
 

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de singapour

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour
Article unique (fin)

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour, signée à Singapour le 22 juillet 2020, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 517 [2021-2022], texte de la commission n° 6, rapport n° 5).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour
 

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

projet de loi autorisant l’approbation de la déclaration relative à la phase d’exploitation des lanceurs ariane, vega et soyouz au centre spatial guyanais

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la déclaration relative à la phase d'exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais
Article unique (fin)

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de la déclaration relative à la phase d’exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais, adoptée à Paris le 30 mars 2007 et amendée le 4 décembre 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 876 [2020-2021], texte de la commission n° 75, rapport n° 74).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la déclaration relative à la phase d'exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais
 

5

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l'amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre
Discussion générale (suite)

Développement économique de la filière du chanvre

Adoption d’une proposition de résolution

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 769 [2021-2022]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l'amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre
Discussion générale (fin)

M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une grande satisfaction que je défends aujourd’hui devant le Sénat cette proposition de résolution, dont l’initiative revient au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, mais qui est cosignée par plus de cinquante collègues issus de tous les groupes de la Haute Assemblée, que je tiens une nouvelle fois à remercier vivement.

Cette proposition de résolution vise à encourager le développement de la filière du chanvre et à clarifier la réglementation des produits issus de cette culture. Ce thème aura constitué l’un des fils rouges de mon mandat, à Paris comme dans l’Isère, de ma participation, en 2018, à la mission d’information sur l’herboristerie, constituée à la demande de notre collègue Joël Labbé, à l’accueil dans nos murs, au mois de mai dernier, de la deuxième rencontre de l’interprofession du chanvre.

Entre-temps, l’Assemblée nationale s’est saisie du sujet dans le cadre d’une mission d’information hors norme, la réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui fait la part belle aux matériaux biosourcés, a été adoptée et la réglementation incompréhensible sur le cannabidiol (CBD) a défrayé la chronique judiciaire.

Je suis heureux de la place que prend la filière du chanvre dans le débat public et des progrès accomplis, même si beaucoup reste à faire. C’est tout l’objet de cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à accompagner cette filière indispensable pour la transition écologique et à clarifier une fois pour toutes la réglementation sur le CBD.

Vous me pardonnerez, mes chers collègues, si je répète ce matin certains éléments de mon propos du 3 février dernier. C’est d’ailleurs le débat tenu ce jour-là en séance sur l’initiative de mon groupe, au cours duquel était apparue une large majorité de vues sur cette problématique, qui a motivé le dépôt de la présente proposition de résolution. Néanmoins, nous avons choisi, en lien avec les acteurs de la filière, de ne pas nous cantonner à l’imbroglio juridique relatif au CBD, mais d’évoquer l’ensemble de la filière, qui, même si elle se porte bien, mérite toute l’attention du Gouvernement.

Je le disais en février dernier, depuis l’antiquité, le chanvre a continuellement habillé, nourri, soigné les hommes et recueilli leurs écrits. Aujourd’hui, il fait encore tout cela, mais pas seulement : il nous loge aussi et il peut également représenter un substitut au plastique.

Les débouchés industriels de cette filière sont considérables, mais largement sous-exploités. La France est le troisième producteur mondial de chanvre et le premier producteur européen, avec pourtant 22 000 hectares seulement. Les surfaces cultivées ont triplé depuis dix ans et devraient doubler au cours des cinq prochaines années.

Rappelons-le, la culture du chanvre ne nécessite pas de produits phytosanitaires ni d’irrigation, elle restructure et dépollue les sols et elle s’inscrit opportunément dans la rotation des cultures. Mieux, elle capte plus de carbone que la forêt, avec 15 tonnes par hectare et par an.

Le chanvre peut constituer une chance formidable pour nos agriculteurs, tant en bio qu’en conventionnel, à condition de multiplier les débouchés. Cela tombe bien, ces derniers sont nombreux et toute la plante est valorisable : les fleurs et les feuilles servent à produire le CBD ou à extraire des arômes pour la parfumerie ; les graines, très riches en protéines, nourrissent l’humain et les animaux – bétail, oiseaux, poissons ; enfin, la paille permet de produire, avec la fibre, du textile, de l’isolant thermique, du bioplastique ou des papiers spéciaux, et, avec le corps solide – la chènevotte –, du béton végétal et de la litière.

En ce qui concerne le CBD, je laisse mon collègue Thomas Dossus préciser les choses.

Je précise toutefois que nous demandons au Gouvernement de ne pas attendre la décision au fond du Conseil d’État pour autoriser la vente au détail des fleurs et des feuilles du catalogue autorisé, que nous proposons d’élargir à toutes les variétés contenant moins de 1 % de tétrahydrocannabinol (THC), contre 0,3 % actuellement. Des milliers d’acteurs économiques attendent la fin de cette mauvaise comédie judiciaire. Ce flou juridique n’est souhaitable pour personne. Nous avons besoin de règles claires, facilement contrôlables, et d’un encadrement adapté de la production, de la transformation et de l’utilisation du chanvre.

En outre, pour favoriser les contrôles, nous demandons la cartographie de toutes les cultures de chanvre, même celles qui ne font pas l’objet d’une déclaration dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Les agriculteurs et la filière le demandent.

Nous proposons par ailleurs d’équiper nos forces de l’ordre, comme en Suisse, de tests portatifs permettant de mesurer très rapidement le taux de THC de la fleur, afin de déterminer sa légalité.

Enfin, sur le volet alimentaire, l’arrêté de décembre 2021 ne règle pas toutes les questions posées par la consommation de CBD. Nous invitons donc le Gouvernement à définir les doses journalières recommandées de CBD, à exclure les produits qui ne sont pas enrichis en CBD de la réglementation relative aux nouveaux aliments et ingrédients alimentaires (Novel Food) et à définir clairement les produits issus du chanvre qui relèvent d’une consommation de bien-être et non du régime de la pharmacopée.

Venons-en à la filière textile, qui a, par rapport au coton, rappelons-le, un impact carbone cinq à huit fois inférieur et une consommation d’eau plus de deux fois moins importante, le différentiel de cette consommation, variable selon les climats, pouvant être beaucoup plus grand. Nous sommes en train de passer un cap sur cette question, avec une réglementation européenne plus exigeante sur l’origine des textiles et avec l’engagement de grands industriels du vêtement à utiliser la fibre de chanvre.

Néanmoins, les lignes de production et les outils industriels qui utilisent la fibre de coton ne sont pas toujours adaptés à la fibre de chanvre et ils exigent des réglages importants. Il faut donc procéder à de lourds investissements, qui doivent, selon nous, être accompagnés par la puissance publique. Nous pensons notamment aux crédits de France 2030, qui n’ont pas été intégralement consommés et qui, au-delà des technologies de rupture chères au Président de la République, doivent également financer le retour à des savoir-faire ancestraux, s’ils sont aussi bien adaptés que celui-ci au défi écologique.

Nous invitons également le Gouvernement à mettre en place un label pour le textile biosourcé, en s’appuyant sur la nouvelle réglementation européenne, sorte de « Nutri-score des textiles », puis à l’utiliser dans les critères environnementaux de la commande publique.

Le bioplastique, qui équipe principalement les tableaux de bord des voitures, est, je le rappelle, 30 % plus léger que le plastique, recyclable 7 fois et, sur le parc des 13 millions de véhicules équipés, il représente une économie de 100 000 tonnes d’équivalent CO2. Le Gouvernement devrait donc y accorder plus d’attention dans son soutien aux filières industrielles vertueuses, d’autant que la fibre de chanvre peut également remplacer aisément la fibre de verre dans de nombreux composites et faciliter le recyclage ; des études sont en cours pour la réalisation des pales d’éolienne.

Pour ce qui a trait au bâtiment, nous devons redoubler nos efforts, tant le chanvre répond aux exigences de la transition et de la rénovation énergétiques, et limite notre dépendance aux hydrocarbures. J’ai visité, en septembre dernier, l’une des premières entreprises produisant des modules préfabriqués en béton de chanvre. Mélangez de la chènevotte, de la chaux et du bois, et vous aurez un mur qui stocke 35,5 kilogrammes de carbone au mètre carré, quand le béton classique émet 126 kilogrammes de CO2 au mètre carré…

En outre, ce mur permet d’obtenir une hygrométrie inégalée, nécessitant très peu de chauffage et de climatisation, et entraînant 70 % d’économie d’énergie selon le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). J’ajoute qu’il est biodégradable ou recyclable, ce qui n’est pas un détail, le bâtiment étant responsable des trois cinquièmes des déchets du pays.

Pourtant, il reste des blocages réglementaires, issus notamment des réglementations professionnelles.

Le béton de chanvre étant plus qu’adapté aux exigences de la RE2020, il convient de massifier son développement et, pour ce faire, de former à l’utilisation des matériaux biosourcés les architectes mais également les métiers de la construction, les « accompagnateurs France Rénov’ » et les conseillers de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

Par ailleurs, grâce à la laine de chanvre, l’isolation thermique, dans le neuf ou dans la rénovation, n’est pas en reste. Actuellement, 90 % des matériaux du bâtiment sont issus de la filière pétrolière ou minière, et leur transformation est très énergivore. Selon une étude de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le polystyrène utilisé en isolation émet 2,8 tonnes de CO2 par tonne produite, alors que la laine de chanvre permet au contraire de stocker du carbone et est, au surplus, recyclable et biodégradable.

Aussi, en cohérence avec la RE2020, nous invitons le Gouvernement à fixer des critères ou des bonus pour les aides à la rénovation thermique – MaPrimeRénov’, éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) – en lien avec la performance environnementale des matériaux utilisés. Au passage, cela vaut non seulement pour le chanvre, mais encore pour l’ensemble des autres matériaux biosourcés. Je vous annonce d’ailleurs en exclusivité un amendement au projet de loi de finances pour 2023 émanant de notre groupe écologiste et allant en ce sens sur le PTZ.

Il découle de tout ce qui précède, vous l’aurez compris, mes chers collègues, qu’il faut massifier la culture et l’utilisation du chanvre. Cela passe notamment par une grande campagne de communication publique à destination des collectivités, des professionnels et du grand public, campagne promise en 2018 via le plan d’action Une Stratégie bioéconomie pour la France, mais qui n’a jamais été mise en œuvre.

Cela étant, nos capacités de production agricole pour 2023 nous inquiètent. La guerre en Ukraine a fait tellement exploser le prix des grandes cultures, notamment des céréales, que nos agriculteurs n’auront pas d’incitation financière à planter du chanvre cette année. En 2023, le chanvre rapportera entre 20 % et 25 % de moins à l’hectare que le maïs, le blé ou le colza.

Par conséquent, la filière formule une demande supplémentaire, qui n’était pas saillante au moment de la rédaction de cette proposition de résolution, mais qui nous semble désormais ô combien légitime : la reconnaissance sur le marché carbone réglementé du carbone stocké par l’ensemble de la filière. J’ai suffisamment détaillé, je crois, le bilan carbone phénoménal de la culture et de l’usage du chanvre pour vous convaincre du bien-fondé d’une telle demande.

Dans cette perspective, la filière a demandé un accompagnement de la part des corps d’inspection de l’État, afin de créer un mécanisme de reconnaissance du stockage du carbone au bénéfice des producteurs, car les spécificités de la filière chanvre – profondeur racinaire, poursuite du stockage de carbone dans les débouchés – sont mal prises en compte par le modèle du label bas-carbone.

La stratégie nationale bas-carbone pourrait également être renforcée par une prime au stockage de carbone dans la rénovation thermique des bâtiments, afin d’inciter à l’utilisation d’isolants biosourcés.

Enfin, il conviendrait de favoriser les matériaux biosourcés via la réduction de la TVA. Nous comptons sur le Gouvernement pour obtenir satisfaction à Bruxelles sur ce point, dans le cadre de la refonte de la directive TVA.

Voilà, mes chers collègues, une présentation succincte de notre proposition de résolution.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Guillaume Gontard. Notre collègue Thomas Dossus la complétera, afin d’envoyer un message fort au Gouvernement et de mettre davantage en lumière une filière pleine de promesses.

Mme le président. Nous avons un horaire à respecter, mon cher collègue !

M. Guillaume Gontard. Dans bien des territoires, notre vote est attendu par des centaines d’acteurs économiques. Ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme le président. Mon cher collègue, quand je vous demande de conclure, vous devez obtempérer. Si chacun se permet de dépasser son temps de parole, nous ne pourrons pas achever l’ordre du jour de ce matin.

Je vous demande donc, mes chers collègues, de vous respecter les uns les autres.

La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui permet de mettre en lumière une filière méconnue du grand public. Je salue donc cette initiative, qui permet d’évoquer un sujet d’avenir du point de vue économique pour nos territoires : la filière du chanvre.

L’opinion publique se passionne généralement pour les découvertes qui marquent une rupture avec leur temps. L’exemple du chanvre est au contraire symptomatique d’un engouement fort pour une redécouverte. En effet, si le sujet ne prend de l’ampleur que depuis quelques années, l’utilisation de ce matériau par l’être humain est multiséculaire.

L’évocation du chanvre fait souvent penser au cannabis et est donc souvent associée à la triste réalité du trafic de drogue et de ses conséquences tragiques, notamment chez les jeunes. La première des priorités sur ce sujet réside donc dans un travail de pédagogie. Il faut bien distinguer le drame que constitue le cannabis utilisé comme drogue de la filière du chanvre, qui représente une chance formidable dans de nombreux domaines économiques.

Le chanvre est une plante qui permet de stocker le carbone – son bilan carbone est excellent – et dont la production nécessite peu d’énergie, peu d’intrants et peu d’eau. Il peut s’utiliser dans les secteurs du bâtiment, des cosmétiques, de l’alimentaire ou encore du textile.

Dans le secteur du bâtiment, le crépi chaux-chanvre en intérieur, sur du bâti ancien ou récent, permet d’éviter l’usage de la climatisation. L’enduit chaux-chanvre absorbe l’humidité pendant les périodes froides et la restitue en période chaude. Dans la mesure où la sobriété énergétique s’impose comme une priorité nationale, le chanvre constitue une véritable solution de substitution à nos modes de fonctionnement traditionnels.

La nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020) va dans le bon sens, puisqu’elle met en avant les matériaux biosourcés. Néanmoins, certains verrous réglementaires pourraient être levés ou allégés. On pourrait ainsi imaginer la prise en compte d’autres critères que le coefficient thermique, comme la quantité de polluants ou le confort de vie.

Il pourrait également être pertinent de mieux accompagner financièrement la production et l’usage des matériaux biosourcés. Compte tenu de l’envolée des prix des matières premières, le chanvre représente également un excellent substitut à la laine de verre, à la laine de roche ou au polystyrène.

Par ailleurs, la formation des professionnels du bâtiment représente un véritable défi, car il faut ouvrir ces métiers à de nouvelles perspectives, en matière d’utilisation de la fibre de chanvre dans l’isolation des combles et des parois des bâtiments, mais également dans l’usage de la chènevotte dans les crépis isolants.

Il est fondamental d’informer les décideurs publics de ces atouts extraordinaires.

Dans le département de la Charente-Maritime, qui m’est cher, le projet de territoire pour la gestion de l’eau de la rivière de la Boutonne repose sur plusieurs axes : les aspects qualitatif et quantitatif de l’eau et la protection des milieux. Il y a également une forte volonté locale de trouver une culture se passant de pesticide et nécessitant peu d’engrais, tout en dégageant un revenu correct pour les producteurs. La filière chanvre est la seule solution à même de répondre à l’ensemble de ces critères…

Il existe également une filière alimentaire du chanvre, grâce à l’utilisation et à la transformation des graines de cette plante en huile, en tourteaux, en farines ou en chocolat. À une époque où le circuit court est plébiscité par nos compatriotes, le chanvre permet de répondre à ces nouveaux modes de consommation.

La filière textile est encore trop peu développée par rapport à son potentiel. Je rappelle que, avant d’être en coton, le jean, la toile denim – « de Nîmes » –, était historiquement produit à partir de chanvre !

M. Laurent Burgoa. Tout à fait !

Mme Corinne Imbert. Par ailleurs, tandis que le revenu des agriculteurs suscite un émoi légitime dans l’opinion publique, cette filière constitue une source de rémunération très correcte pour les producteurs.

Le levier économique du chanvre complète ainsi une palette déjà remarquable de vertus.

Enfin, alors que nous venons d’examiner en première lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale, je tiens à saluer la prolongation de l’expérimentation de l’usage thérapeutique du cannabis. Nous en sommes encore à un stade embryonnaire, du point de vue de la prescription d’un produit qui n’a pas un véritable statut de médicament, mais l’intérêt médical de ce produit est encourageant.

Pour toutes ces raisons – utilisation dans le bâtiment, dans l’alimentation, dans le textile et dans la médecine – et en souvenir des cordages de chanvre fabriqués à la Corderie royale de Rochefort-sur-Mer, je voterai, à titre personnel, cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution est une excellente occasion de parler d’une filière, le chanvre, à la fois complexe et prometteuse.

Elle est complexe, parce qu’elle regroupe de nombreux acteurs, de toutes tailles, et qu’elle concerne des industries très diverses. Cela en fait sa force, mais aussi sa faiblesse.

Elle est prometteuse à plusieurs égards. La France est le premier pays producteur de chanvre en Europe. Le département dont je suis élue, l’Aube, qui est à la pointe dans cette filière, assure presque 50 % de la production française et un tiers de la production européenne. Nous développons cette culture depuis des décennies, dans ce territoire à forte tradition industrielle.

La « maison de la Turque », bâtisse toute flaubertienne au cœur de Nogent-sur-Seine, a été rénovée avec du béton de chanvre. L’industrie du bâtiment place de grands espoirs dans les matériaux de construction à base de ce matériau.

L’industrie textile, très polluante, se tourne, elle aussi, de plus en plus vers le chanvre. À l’heure où la mode éthique fait son entrée dans les consciences, cette plante paraît pouvoir contribuer à changer la donne.

Plus largement, l’utilisation du chanvre dans certaines industries contribue activement à notre transition vers la neutralité carbone. Cette culture n’a besoin que de peu d’intrants et elle est très peu consommatrice d’eau, ce qui limite le besoin d’irrigation. C’est un atout agroécologique majeur dans le contexte de réchauffement climatique que nous connaissons.

Le chanvre a la capacité de stocker beaucoup de CO2, dans un laps de temps court. Un hectare de chanvre absorbe, en une année, environ 15 tonnes de CO2, autant qu’un hectare de forêt. Le chanvre est donc une culture aux multiples externalités positives, notamment pour les sols dans le cadre des rotations culturales.

Ce sont des atouts cruciaux pour notre agriculture, mais, pour que cette chance se transforme en marché, encore faut-il des débouchés stables pour la filière.

Bien sûr, les investissements sont indispensables. Être au fait des réalités du secteur nous permettra de gagner en compréhension et, donc, d’agir en conséquence.

Selon l’un des considérants de la proposition de résolution, dans cinq ans, cette filière pourrait avoir créé autour de 20 000 emplois et représenter un chiffre d’affaires annuel avoisinant 2,5 milliards d’euros. La France doit transformer l’essai. La poursuite du développement de cette filière participera à la réindustrialisation de notre pays, à laquelle je suis très attachée. Nous devons continuer à nous battre pour faire émerger des champions industriels. Je profite de cette occasion pour saluer les annonces récentes du ministre délégué chargé de l’industrie sur les stratégies de relocalisation industrielle et le « produire en France » dans nos territoires. La filière du chanvre peut contribuer à ces impératifs.

Nous avons de l’avance et, pourtant, nous devons aider cette filière à se structurer. Le chanvre offre de belles perspectives pour une réindustrialisation décarbonée de notre pays. Consolider une filière, c’est permettre à l’offre de rencontrer la demande, d’où l’importance des matériaux biosourcés et de leur développement.

À ce titre, les alinéas 30, 31 et 32 du texte sont très intéressants. Les matériaux biosourcés ont toute leur place dans nos démarches de rénovation et de lutte contre les passoires thermiques. Nous devons faire en sorte de mieux faire connaître ces produits des professionnels et des citoyens.

Je veux aborder un dernier point : le CBD. Dès janvier dernier, j’ai posé une question au Gouvernement sur l’avenir de la filière, après le fameux arrêté du 31 décembre 2021. Oui, une régulation est nécessaire et la filière n’y est pas opposée. La proposition de résolution met en lumière les millions de consommateurs et les milliers de points de vente. Les acteurs ont besoin de stabilité.

Je le répète, la position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la doctrine de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inscrivent dans la même optique : avec un taux de THC inférieur à 0,3 %, le CBD n’est pas un stupéfiant. Là encore, madame la secrétaire d’État, ne laissons pas nos voisins européens faire main basse sur le marché français, je vous en conjure ! Avançons ensemble dans un cadre respectant la santé publique et permettant à nos entrepreneurs d’innover.

En revanche, certains points de cette proposition de résolution me posent davantage problème. Je n’ai malheureusement pas le temps de les détailler. Je me contenterai donc d’indiquer que la pertinence de la multiplicité de labels proposés ne me paraît pas établie. De même, l’alinéa 26, par lequel on promeut l’« élargissement du catalogue des cultivars aux variétés contenant moins de 1 % de THC » me dérange.

Toutefois, pour toutes les raisons listées précédemment, le groupe Les Indépendants votera, dans sa majorité, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST, SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Guillaume Gontard vient de vous présenter le potentiel de la filière française du chanvre du point de vue industriel. Pour ma part, je souhaite me focaliser sur un produit particulier de cette filière : le CBD (cannabidiol).

En préambule, un effort de définition s’impose, tant la confusion peut régner sur ce sujet.

Quand on évoque le chanvre, le CBD ou le THC, on parle de deux espèces de plantes très proches biologiquement. Si le chanvre est un produit issu du traitement de la fibre de ces plantes, le CBD et le THC sont des molécules provenant des fleurs.

Lorsque l’on parle de cannabis récréatif, on parle du THC. Rappelons-le pour éviter tout amalgame : le CBD n’a strictement rien à voir avec le THC. Nous parlons bien de deux molécules différentes, avec des effets différents. Si le THC est considéré, à juste titre, comme un psychotrope, avec tous les risques d’addiction afférents d’un point de vue médical, le CBD n’engendre pas d’addiction et les effets psychotropes sont inexistants. À ce titre, il n’est pas recherché lors des tests de dépistage des stupéfiants par les forces de l’ordre.

Lorsque l’on parle de CBD en tant que produit commercialisé, on parle d’extrait de fleur de chanvre, que certains trouvent apaisant, antistress, présentant un taux de THC inférieur à 0,2 %, très largement au-dessous du seuil à partir duquel se manifestent les effets psychoactifs.

Pourtant, une certaine confusion existe parfois dans les esprits. Lorsque l’on regarde l’évolution de la législation autour du CBD, on constate que cette confusion règne jusqu’au sommet de l’État, et ce dès l’apparition de la filière en France, au grand dam du secteur agricole.

Les premières boutiques de vente de CBD apparaissent dans notre pays en 2018. La police en a fermé de manière régulière, en raison d’une mauvaise interprétation d’un arrêté de 1990, daté et inadapté à ce nouveau marché.

Pour y remédier, en juin 2018, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives a eu la brillante idée de distinguer le CBD synthétique du CBD récolté naturellement.

Sans même mentionner le côté scientifiquement inepte de cette distinction, celle-ci a mis la France en situation de non-respect du droit européen, non-respect confirmé par la Cour de justice de l’Union européenne en novembre 2020, en raison d’une entrave aux principes d’égalité devant la loi et de libre-échange au sein de l’Union.

Pour y remédier, le Gouvernement a eu une nouvelle idée plus brillante encore, donnant lieu à un arrêté en décembre 2021 : autoriser le CBD en tant que molécule, mais interdire la commercialisation de la fleur de chanvre ainsi que son utilisation en infusion.

Ce nouveau trait – bien français – de génie administratif n’a pas mis longtemps à recevoir le jugement qu’il méritait, à savoir une suspension par le Conseil d’État en janvier 2022. Le jugement au fond est encore attendu.

Ces deux décisions du Gouvernement témoignent bien d’un malaise sur le sujet, d’une confusion, d’une instrumentalisation de la filière CBD à finalité morale et d’une forme de déni de la science. Nous le disons et le répétons : le CBD n’est pas une drogue, même s’il contient des traces infimes de THC.

Il faut d’urgence en finir avec cette confusion entretenue à dessein, car des emplois et des filières agricole, industrielle et commerciale sont en jeu. Le CBD satisfait la demande de 7 millions de consommateurs, au travers de 1 800 boutiques spécialisées, et représente plus de 30 000 emplois si l’on prend en compte la production, la distribution et la commercialisation. Tous ces commerçants vivent une grande insécurité à cause de ces revirements réglementaires et craignent pour leur avenir.

Si, au contraire, on en finissait avec cette confusion permanente et que l’on soutenait réellement la filière, on pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires.

Le CBD n’est ni une drogue ni un produit addictif. Il est utilisé dans toutes les tranches de la société, à tous les âges. Les Françaises et les Français aiment ça !

Madame la secrétaire d’État, finissons-en avec la confusion permanente et revenons à la science, laquelle fait bien la distinction entre les molécules du THC et du CBD. Permettons l’essor de toute une filière composée d’emplois locaux et de commerces de proximité. Le pouvoir réglementaire est entre vos mains : utilisez-le à bon escient ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsqu’on additionne toutes les vertus du chanvre, on ne peut être que conquis.

Aucune autre plante ne semble cumuler autant d’avantages, ne coche autant de cases en ce qui concerne les bénéfices environnementaux et économiques.

Nous sommes tous d’accord pour dire que le chanvre – cela a déjà été avancé par mes collègues – est avant tout une plante consommant peu d’eau. Au sortir d’une année marquée par la sécheresse, alors que la question de la préservation de la ressource en eau est de plus en plus aiguë, cet atout est considérable.

Notre climat est particulièrement propice à son développement ; ce dernier est rapide : entre la graine et la récolte, il ne s’écoule que quatre mois, pour un rendement maximal.

Cette plante n’a pas besoin d’herbicides, de fongicides ou d’insecticides. Là encore, c’est une bonne nouvelle pour la ressource en eau : pour se développer, cette plante n’a pas besoin de polluer les nappes phréatiques avec des traitements ou des intrants chimiques.

Autre atout : cette plante est tout indiquée dans la rotation des cultures. En effet, elle régénère la terre et permet, à la culture suivante, un gain de rendement de 5 % à 10 % pour les céréales.

En outre, le chanvre est un excellent piège à carbone ; on considère qu’un hectare de chanvre absorbe au moins autant de CO2 qu’un hectare de forêt.

Le chanvre a également l’avantage d’intéresser de multiples secteurs, ce qui lui garantit de nombreux débouchés, comme mes collègues l’ont déjà indiqué.

Dans l’alimentaire, les graines de chanvre et l’huile de graines sont des compléments alimentaires reconnus pour l’humain comme pour l’animal.

Dans l’industrie cosmétique, de nombreux produits utilisent de l’huile de graines de chanvre, dont les vertus sont reconnues.

Dans le bâtiment, la laine de chanvre est l’un des isolants naturels les plus efficaces. De même, le béton de chanvre est de plus en plus reconnu pour ses qualités naturelles.

Dans l’industrie automobile, le lin et le chanvre ont de nombreuses propriétés communes ; on les retrouve dans les matériaux composites.

Dans l’industrie textile, les tiges de chanvre, possédant une forte résistance, peuvent être utilisées pour faire des vêtements et des cordages.

Dans mon département, l’Eure, une coopérative du Neubourg vient d’inaugurer une toute nouvelle usine de teillage du lin : la French Filature. C’est une petite révolution dans le milieu textile. En effet, la Normandie, terre de lin, détient la moitié des surfaces de culture en Europe, mais elle n’avait plus aucune filature, le lin étant systématiquement expédié vers l’Asie. Avec cette filature, on peut désormais produire pour l’habillement du lin 100 % tracé made in France. Cette usine représente un investissement de 5 millions d’euros, qui va permettre de produire plus de 250 000 tonnes de fils de lin par an. À l’avenir, cette filature pourrait aussi servir au filage du chanvre.

En Normandie, l’enjeu est réel : 10 500 agriculteurs ont plus de 60 ans et se préparent à partir à la retraite d’ici à 2028. Autrement dit, un agriculteur sur trois va cesser son activité et devra être remplacé.

La culture du chanvre pourrait constituer un marché extrêmement prometteur, ouvrir de nouveaux horizons à nos agriculteurs et, même, motiver les plus jeunes à s’installer ou à reprendre les exploitations familiales.

Tout bien considéré, cette plante a un seul inconvénient, mais pas des moindres : il faut maîtriser et limiter son taux de THC, cette substance psychotrope qui la différencie de la marijuana. En dépit des propriétés formidables de cette plante, de ses nombreuses applications et de toutes ses perspectives prometteuses, il nous faut donc faire preuve de prudence sur les produits de consommation à base de cannabidiol.

En effet, le CBD n’est pas classé comme un stupéfiant, mais il demeure tout de même une substance à effet psychoactif, dont les risques pour la santé des consommateurs n’ont pas encore été complètement évalués. Malgré la pression de tout un secteur et le fait que ce sont les cultivateurs de chanvre de pays étrangers qui profitent à l’heure actuelle de notre marché intérieur, nous devons approfondir nos connaissances scientifiques sur le CBD avant de délimiter un cadre législatif.

Le CBD est autorisé à la commercialisation en France, mais des progrès doivent être faits pour mieux contrôler les produits mis sur le marché. La filière, qui voit dans ce débouché « bien-être » une opportunité de développement, pousse pour établir des normes, pour procéder à des contrôles de teneur, mais aussi pour encadrer les méthodes d’extraction et d’analyse, et fixer des seuils réglementaires transitoires.

Ce sujet est technique, mais il est fondamental et ne supporte pas l’approximation. En effet, lors de l’extraction du CBD de la plante – le chanvre –, il existe un risque, si l’extraction est mal maîtrisée, de concentrer l’extrait en THC. Or le seuil de toxicité aiguë de celui-ci est très bas.

Une réflexion interministérielle en cours vise à délimiter le cadre d’une politique de contrôle pour écarter du marché les produits les plus problématiques ; le ministère de la santé s’interroge sur la toxicité du CBD, le ministère de l’intérieur sur son caractère addictif. La proposition de résolution prévoit des orientations intéressantes sur une telle politique de contrôle ; elles méritent d’être approfondies.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA, ou EFSA, selon l’acronyme anglais) procède actuellement à des évaluations plus précises sur le CBD. Nous gagnerions, sans nul doute, à définir nos politiques publiques sur la base de ces données scientifiques affinées, même si les résultats de ces études ne seront pas connus avant plusieurs mois.

En outre, il faut être attentif à ce que le développement de la filière CBD n’assèche pas mécaniquement, par sa rentabilité, les autres débouchés, porteurs de souveraineté alimentaire ou énergétique.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’abstiendra sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si, depuis la nuit des temps, la culture du chanvre a accompagné l’histoire de l’humanité, cette plante a bien failli disparaître au XXe siècle avec l’arrivée de la pétrochimie. La France est restée le seul pays à maintenir sa production. C’est pourquoi elle est leader sur le marché européen.

La nécessité actuelle de produire sain, sûr, durable et accessible à tous remet cette plante au goût du jour. Elle répond parfaitement aux attentes sociétales et environnementales, ne nécessitant pas de produits phytopharmaceutiques, d’irrigation et d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Le chanvre est un réservoir à biodiversité et absorbe autant de CO2 que la forêt. De plus, sur notre territoire, la filière est, de la sélection variétale à la transformation, 100 % française. Ajoutons que les produits qui en sont issus sont compostables ou recyclables en fin de vie.

Toutefois, cette culture entraîne un travail important. Elle nécessite souvent de quatre à sept passages d’outils agricoles et du matériel spécifique très coûteux. La récolte est donc un frein au développement du chanvre auprès des agriculteurs.

Le chanvre est probablement la plante la plus polyvalente connue de l’humanité. Elle n’est malheureusement connue du grand public que par sa fleur !

Dans le secteur du bâtiment, le recours au chanvre y est en expansion depuis plusieurs années du fait de ses qualités en matière de régulation thermique, de résistance au feu ou de légèreté. L’interprofession se fixe comme objectif majeur la construction du village olympique de Paris 2024 avec du chanvre. Le recours à la paille ainsi qu’aux fibres de lin et de chanvre sera notamment accru ; il pourrait alors représenter un débouché important et une vitrine médiatique forte pour la filière.

Avec mes collègues de la délégation sénatoriale aux entreprises, j’ai visité, en mars dernier, l’entreprise de ciment Vicat située à Feyzin, dans la métropole de Lyon, au cœur de la vallée du Rhône. La solution de blocs de chanvre à emboîtement conçue par Vicat a été primée par l’Institut français pour la performance du bâtiment. Cette solution brevetée utilise des granulats de chènevotte et un liant à base de ciment, ce qui lui confère des performances exceptionnelles. Cela représente un débouché important pour ce secteur en total renouvellement.

Plus généralement, la culture du chanvre peut représenter l’un des piliers de notre réindustrialisation écologiquement responsable.

Elle peut être utilisée dans la filière de la construction locale, s’appuyant sur les cultures durables du chanvre et du bois. Elle peut intéresser l’industrie textile locale, étant beaucoup plus économe en eau et en intrants que celle du coton. Elle peut être employée dans le développement des bioplastiques, plus légers et compostables, ou dans la réinvention de la filière papier. Elle peut être exploitée pour le développement de protéines végétales, afin de diversifier notre alimentation. Elle peut servir dans les industries cosmétiques, pharmaceutiques et de bien-être.

Néanmoins, cette filière à usage industriel n’a pas bénéficié du plan de relance ; l’examen de ce texte me donne l’occasion de le souligner. En effet, les projets n’étaient pas prêts. Or l’accompagnement de l’État est nécessaire pour la massification industrielle de la filière. Cette dernière a l’avantage d’être en phase avec les objectifs de neutralité carbone de la France, tout en étant une industrie au savoir-faire local bien implantée territorialement.

Dans le secteur textile, le chanvre est une solution écologique qu’il est urgent de déployer pour transformer le modèle de production. Pour cela, des investissements industriels importants sont nécessaires.

La rémunération des producteurs est également un enjeu majeur pour permettre aux chanvrières de répondre à la demande en hausse face à de tels débouchés, et ne pas freiner leur développement.

En outre, si nous voulons que les qualités du chanvre et le dynamisme de sa filière soient reconnus, il faut accompagner le développement des matériaux biosourcés dans le cadre de la rénovation énergétique des bâtiments. Former, informer, inciter !

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le chanvre doit être au cœur de la relance de notre économie, pour accroître notre souveraineté, renforcer nos territoires et réduire les impacts environnementaux de nos activités. Qu’attendons-nous ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRCE votera en faveur de cette proposition de résolution visant au développement économique de la filière du chanvre et à l’amélioration de la réglementation des produits issus de ces plantes.

Tout devrait assurer un développement majeur de la culture et de la transformation du chanvre dans notre pays. Nos collègues l’ont déjà dit : la plante et sa culture sont parfaitement adaptées au climat français, consomment peu d’eau et d’intrants, n’entraînent pas de destruction des sols – bien au contraire – et retiennent efficacement le carbone.

Les usages sont variés, cela a également été dit : tissu, nourriture, bâtiment, substitut naturel au plastique et – bien sûr – vertus thérapeutiques.

Dès lors, pourquoi de telles opportunités ne se concrétisent-elles pas, ou, en tout cas, pas assez ?

La raison est qu’une variété de chanvre, à savoir le cannabis, produisant une fleur aux effets psychotropes, est considérée comme un stupéfiant. Au motif de combattre cette plante et son usage, les réglementations sont restrictives, bien au-delà de ce qui serait nécessaire ; elles sont également instables, freinant le développement de cette filière très utilisée pour la transition écologique.

Pourtant, il existe désormais – nous le savons, mais il faut le rappeler – des variétés avec un très faible taux de THC, sans effets psychotropes et stupéfiants. De surcroît, on sait qu’un autre principe actif, le CBD (cannabidiol), a des propriétés apaisantes, produisant, dans certains cas, un effet sur des douleurs que d’autres formes de produits ne parviennent pas à affaiblir. Il est issu d’une variété unique de cannabis, cannabis sativa L.

On ne sait pour quelle raison, dans le pays de la rationalité, on a instauré une réglementation aussi peu intelligente, et qui n’est cohérente ni avec les exigences de la législation contre les stupéfiants ni avec notre capacité à développer dans tous les domaines l’usage du chanvre, consommation de CBD comprise.

Soyons clairs : nous n’ouvrons pas ici ni ne contournons le débat sur la légalisation du cannabis. Le sujet est tout autre ; il ne faut pas entretenir la confusion. Pourtant, chaque fois que le chanvre est évoqué, j’ai l’impression que nous avons les yeux rivés, avec une sorte d’angoisse, sur le cannabis. Je le répète : il faut avoir une attitude rationnelle et ne pas tout confondre.

Sur la réglementation du CBD, nos collègues ont déjà évoqué les imbroglios, les enjeux, les incompréhensions, comme nous-mêmes l’avons fait maintes fois dans cet hémicycle. À mon sens, en l’état actuel de la situation, il faut nous en tenir à la réglementation européenne. Les autres pays ne sont pas plus insouciants par rapport aux risques de santé ou au problème des stupéfiants.

Il faut nous saisir de cette réglementation, l’adapter, de manière claire, à notre pays et permettre, en particulier, l’usage direct de la fleur et des tisanes à base de cette plante, car ces dernières ne sont pas stupéfiantes.

J’entends nos collègues nous répliquer que l’Europe s’interroge sur la révision de cette législation. Prenons cette dernière telle qu’elle est : nous la ferons évoluer quand l’Europe l’aura fait évoluer ! L’argumentaire prétextant qu’il faut attendre l’Europe avant de faire évoluer une réglementation, nous l’avons entendu au sujet des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft)… et nous attendons toujours ! Je suggère d’agir dans le cadre de la législation actuelle et de la faire évoluer le moment venu.

Cela suppose de développer, conformément à l’objectif mentionné dans la proposition de résolution, des organes de contrôle. Ils donneraient l’occasion de se pencher sur les tests de dépistage des stupéfiants, certains séparant désormais les agents actifs – cannabis d’un côté, CBD de l’autre – selon les teneurs en THC. Établir une cartographie des plantations de chanvre permettrait, d’une part, de contrôler plus facilement les cultures illégales et, d’autre part, de voir comment la filière évolue pour vérifier si elle est au rendez-vous de son développement.

Je voudrais insister sur un point : la consommation de CBD en France, qui se développe énormément, provient à 90 % de produits de l’étranger. Franchement, c’est aberrant, et d’autant plus aberrant qu’il est répété à longueur de temps qu’il faut regagner notre souveraineté…

Mme le président. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, pour les autres usages du chanvre, le consensus me semble assez large et d’aucuns auront peut-être l’occasion de nuancer leur propos. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux.

Mme Daphné Ract-Madoux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les multiples qualités du chanvre semblent, ce matin, faire l’unanimité. Mon propos reprendra peu ou prou ce que vous avez précédemment entendu dans les différentes interventions.

Des tout premiers livres imprimés au XVe siècle aux voiles de bateaux qui ont permis de découvrir l’Amérique, le chanvre a eu, au fil des siècles, le vent en poupe. La culture du chanvre a ainsi, discrètement mais sûrement, accompagné notre histoire. Fleurs, fibres, granulés ou chènevottes, la plante, sous toutes ses formes, est utilisée dans des secteurs aussi nombreux qu’éclectiques : agriculture, pharmacie, BTP, alimentation, cosmétiques, textile et, même, oisellerie.

De 2900 avant notre ère à la fin des années 1930, la culture millénaire du chanvre est un impondérable des sociétés humaines. Le chanvre est même qualifié de produit de première nécessité, au même titre que le pain, jusqu’au XIXe siècle !

Pourtant, peu avant la moitié du XXsiècle, cet âge d’or se termine : la filière dépérit progressivement, souffrant de la concurrence des plastiques et de l’amalgame fait avec la production du cannabis, avant de connaître un nouveau souffle dans les années 1990.

Mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même souhaitons d’ores et déjà être clairs : nous voterons aujourd’hui cette proposition de résolution afin de promouvoir la filière économique du chanvre. THC, cannabis, substances psychotropes, là n’est pas le sujet.

Oui, la culture du chanvre, sous ses différentes formes, est une filière économique d’avenir pour notre pays. Leader européen en la matière, la France peut voir plus grand. La filière doit, à ce titre, être pleinement soutenue dans le cadre du plan France 2030.

Oui, nous pouvons nous appuyer sur le chanvre pour contribuer, dès maintenant, à bâtir notre transition écologique. Préservant la qualité de nos sols, faiblement vorace en eau et requérant peu ou pas de produits phytosanitaires, le chanvre présente des qualités écologiques évidentes, que nous ne pouvons ignorer.

Oui, la culture du chanvre peut être un atout pour notre agriculture en offrant une diversification des activités et des revenus complémentaires.

Non, le chanvre n’est pas portion congrue dans l’équation économique actuelle. En 2020, cette culture comptait près de 1 414 producteurs et représentait environ 30 000 emplois directs et indirects.

Dans mon département, l’Essonne, la culture du chanvre passe par l’entreprise Gâtichanvre, laquelle travaille avec près de cent agriculteurs partenaires pour produire 1 000 hectares de chanvre, dont la moitié en bio. Cette société réalise la première transformation de la plante : le défibrage de la paille. Cela permet, par la suite, la production de papier, d’isolants, de routes ou encore de biocomposites. Preuve de la variété des productions de la filière, l’entreprise produit également de la chènevotte, qui alimente les marchés du paillis, de la litière, mais également le bâtiment pour des enduits, bétons et blocs de chanvre. Je tiens à saluer le travail d’excellence fait par l’ensemble des acteurs du groupe, en Gâtinais et, dorénavant, dans les départements limitrophes.

À l’aune des atouts de cette filière méconnue, je souhaite féliciter nos collègues du groupe écologiste pour la qualité de leur travail sur cette proposition de résolution. Loin des clichés éculés et d’un inventaire à la Prévert dépourvus d’intérêt, c’est un texte de qualité, qui permet d’alerter les pouvoirs publics sur les changements nécessaires pour développer sereinement la filière.

Cependant, nous devons rester vigilants et nous assurer que nous posons les bases d’une filière souveraine et écoresponsable, en construisant des écosystèmes économiques locaux et des débouchés industriels en France.

Chers collègues, c’est pour cela que, avec ma collègue Annick Billon et le groupe Union Centriste, je voterai ce texte afin de développer, dès demain, avec exigence et ambition, la filière chanvre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il a fallu attendre un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, en 2020, pour que la France autorise enfin les extraits de chanvre et le CBD en tant que molécule. Néanmoins, il nous faudra encore compter sur le Conseil d’État pour que la commercialisation de la fleur de chanvre soit possible.

Les auteurs de la proposition de résolution l’ont souligné, ce dont je tiens à les remercier : les revirements insécurisent la filière, laquelle représente déjà 30 000 emplois directs et indirects. Si ces aléas juridiques ne cessent pas, la France prendra un retard considérable dans le développement de la culture du chanvre, alors même que notre pays en est le premier exploitant d’Europe grâce à des conditions climatiques favorables.

Bien entendu, nous savons qu’en toile de fond il y a l’image du chanvre et de ses usages psychotropes. En effet, les enjeux sanitaires n’échappent à personne.

Mon groupe soutient toutes les politiques de lutte contre les addictions aux stupéfiants. La consommation régulière de cannabis met en péril la santé physique et psychique de nombreux jeunes ; il est important de le souligner. Toutefois, ne nous trompons pas de débat, car la légalisation du cannabis en est un autre.

Par conséquent, je le rappelle clairement : ce qui nous intéresse, au travers de ce texte, c’est l’avenir des produits CBD dépourvus d’actif psychotrope ou contenant moins de 0,3 % de THC. Il s’agit d’apprécier le large potentiel de développement du chanvre au regard de ses atouts sur le marché : textile, construction, papier ; il ne faut pas non plus oublier ses vertus cosmétiques et pharmaceutiques.

Face à cela, comme nous y invitent les auteurs de la proposition de résolution, l’agriculture française pourrait profiter d’une filière plus dynamique encore, à condition que le Gouvernement prenne une position claire et éclairée.

Mes collègues ont parfaitement présenté les qualités du chanvre : économe en eau, adapté pour la rotation des cultures, et offrant une qualité de drainage. Son exploitation peut donc s’inscrire dans une démarche durable et bénéficier de labels, comme cela est proposé.

En outre, le développement du chanvre peut être, dans certains territoires ruraux, un pilier de la reconquête industrielle.

Le RDSE souhaite toutefois poser quelques conditions.

La première est que son exploitation ne concurrence pas d’autres cultures essentielles à l’objectif de souveraineté alimentaire, que nous sommes nombreux à défendre sur ces travées. Sa bonne rotation avec d’autres cultures apporte une première garantie.

La seconde condition est que sa production et sa commercialisation répondent à des critères de sécurité et de contrôle.

L’interprofession se dit prête à un contrôle renforcé des parcelles de chanvre et à leur déclaration pour la traçabilité des fleurs. Je retiens également les propositions, présentes dans le texte, relatives à la conduite de tests sur les teneurs en CBD et en THC des produits bruts.

Les flux de marché doivent être surveillés. Pour cela, le développement de la filière doit s’exercer dans un environnement réglementaire sécurisé sur le plan national – comme je l’ai dit – ainsi que sur le plan européen par une uniformisation du taux de THC.

Le fameux arrêt Kanavape impose à chaque pays, au nom de la libre circulation des marchandises, la reconnaissance des teneurs légalement fixées par ses partenaires, ce qui crée des normes différentes d’un pays à l’autre. Cette situation peut compliquer la tâche des services de contrôle, que ce soit la douane ou la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Au titre des services que les producteurs de chanvre pourraient rendre, au travers du stockage de carbone ou le développement de matériaux biosourcés, je souhaite que l’amont de la filière soit soutenu comme le sont les autres filières.

Mes chers collègues, la culture du chanvre présente un intérêt certain pour notre économie. Disons-le aussi : ses produits dérivés répondent à une demande sociétale autour du bien-être. Dans ces conditions, la majorité de notre groupe approuve la proposition de résolution et vous demande, madame la secrétaire d’État, de ne pas laisser la filière perdre pied au profit d’autres pays mieux préparés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC, SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution de nos collègues du groupe écologiste, lesquels souhaitent alerter le Gouvernement sur les contraintes réglementaires pesant sur la culture du chanvre.

Je vous surprendrai certainement en vous disant que je partage une partie de leurs préoccupations et de leurs attentes.

Mme Laure Darcos. En effet, le chanvre est une plante disposant d’un formidable potentiel d’avenir, mais dont les débouchés sont actuellement limités pour des raisons dont la logique m’échappe.

Pour nos agriculteurs, elle représente une possibilité de revenus complémentaires. Je parle bien de revenus complémentaires : il serait totalement illusoire d’imaginer qu’elle se substitue aux autres cultures.

Pour notre pays, le chanvre peut être un des moyens d’atteindre une partie des objectifs en matière de transition énergétique, grâce à son utilisation massive dans le cas de la construction et de la rénovation des logements.

Toutefois, la proposition de résolution de nos collègues met l’accent sur les principes actifs de cette plante et sur les usages récréatifs qu’elle permet. C’est sa principale faiblesse.

Or son utilisation dans de nombreux secteurs de l’économie est possible, en particulier le bâtiment, comme je viens de le souligner.

Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la première rénovation d’une maison d’habitation avec un enduit constitué de chaux et de chanvre en 1986.

La filière est aujourd’hui parfaitement structurée avec un unique producteur de semences certifiées, qui investit puissamment dans l’innovation variétale afin de créer les nouvelles variétés de haute qualité adaptées aux marchés.

L’association Construire en chanvre est, quant à elle, un acteur majeur pour les professionnels du bâtiment. Elle est à l’origine des règles professionnelles d’exécution d’ouvrages en bétons de chanvre, qui constituent le premier et, à ce jour, le seul texte de référence sur l’utilisation du chanvre dans le secteur de la construction.

Dans ce cadre sécurisant et sécurisé, de plus en plus d’agriculteurs optent pour cette voie de diversification agronomique, respectueuse de l’environnement et prometteuse en termes de retombées économiques.

Mon département, l’Essonne, est d’ailleurs l’un des plus importants producteurs de chanvre industriel, avec un millier d’hectares en culture et une centaine d’exploitants agricoles mobilisés.

Entreprise essonnienne emblématique, Gâtichanvre assure le défibrage de la paille, première étape de la transformation du chanvre permettant la réalisation d’isolants, d’enduits, de bétons et de blocs de chanvre.

Comment, dans ces conditions, expliquer les difficultés de mise en œuvre des produits issus du chanvre dans le bâtiment ?

Certes, la décision de l’Agence Qualité Construction, qui avait rejeté l’an dernier les règles professionnelles édictées dans le but de massifier la construction en chanvre, est derrière nous. Et nous devons nous féliciter du soutien apporté aux nouvelles règles professionnelles, dont la validation devrait intervenir prochainement.

Mais une autre entrave à l’usage du chanvre dans le bâtiment résulte de l’impossibilité pour les maîtres d’ouvrage de valoriser financièrement le béton de chanvre par le biais des certificats d’économies d’énergie. Ce dispositif requiert en effet une certification sur les matériaux employés, garantie par l’Association pour la certification des matériaux isolants. Les règles professionnelles ne sauraient tenir lieu de certification.

Or les performances thermiques remarquables du chanvre, ses capacités hygrothermiques inégalées, son pouvoir d’absorption des sons et sa résistance au feu sont amplement démontrés.

Un sujet d’inquiétude supplémentaire tient au fait que la plupart des maîtres d’œuvre sont des entreprises artisanales ou des PME spécialisées ne disposant pas toujours des moyens de financer la démarche de qualité permettant l’obtention du label « reconnu garant de l’environnement ». Les maîtres d’œuvre ne peuvent donc prétendre aux aides de l’État au titre de la rénovation de l’habitat.

En outre, la filière manque singulièrement de moyens pour financer des fiches de déclaration environnementale et sanitaire, nécessaires au respect de la nouvelle réglementation environnementale 2020, la RE2020.

Tous ces freins normatifs ont une conséquence majeure : l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments n’est obtenue que par l’emploi de matériaux issus de grands groupes industriels, dont l’impact environnemental et énergétique à la production est plus défavorable que pour les matériaux biosourcés.

Alors que l’optimisation des ressources naturelles est indispensable pour assurer la transition énergétique et que la France peut se prévaloir d’être le leader européen de la production de chanvre, je souhaiterais que le Gouvernement prenne des initiatives importantes pour obtenir la levée des contraintes pesant sur son utilisation dans le secteur de la construction.

En particulier, il me paraît indispensable d’accompagner cette levée des restrictions par des mesures fiscales propres à soutenir le développement significatif des filières locales biosourcées, dont celle du chanvre. Permettez-moi de vous demander, madame la secrétaire d’État, d’engager une concertation interministérielle sur le sujet.

Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. C’est fait !

Mme Laure Darcos. C’est à ces conditions que notre pays pourra participer pleinement et rapidement à la transition énergétique, rendue indispensable par la hausse exponentielle du prix de l’énergie, dont souffrent nos concitoyens et des pans entiers de notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann ainsi que MM. Guillaume Gontard et Patrick Kanner applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour commencer, je tiens à saluer les auteurs de cette proposition de résolution, notamment notre collègue Guillaume Gontard et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Alors que le sujet de la filière chanvre semble être récemment revenu sur le devant de la scène, il est important de rappeler qu’il s’agit d’une culture très ancienne, qui a connu une institutionnalisation en France dès 1932, avec la création de la Fédération nationale des producteurs de chanvre.

Grâce à la multiplicité de ses usages et ses nombreuses vertus, la filière chanvre possède déjà un poids économique non négligeable et, surtout, des perspectives de développement particulièrement importantes.

En effet, en 2020, la filière française du chanvre comptait plus de 1 400 producteurs pour 17 000 hectares exploités, avec une surface de production multipliée par trois en quinze ans. Grâce à ce dynamisme, la France est le premier producteur européen de chanvre et le quatrième mondial.

Pour une fois – je pense notamment aux auteurs du récent rapport sénatorial sur la compétitivité de la ferme France –, nous pouvons collectivement nous féliciter du dynamisme de cette filière.

Malheureusement, cette culture a toujours eu mauvaise presse, principalement à cause de la production de sa fleur aux effets psychotropes, le cannabis. Avec les connaissances scientifiques et techniques que nous avons aujourd’hui, il convient de sortir des clichés et de se rendre compte de la diversité des usages et des bénéfices du chanvre.

En tant qu’agriculteur, je souhaite insister sur les opportunités agroécologiques de la production du chanvre. En effet, cette dernière ne nécessite ni insecticides, ni fongicides, ni herbicides. Elle est également particulièrement économe en eau.

Par sa hauteur et sa densité, cette plante est également un formidable réservoir à biodiversité, qui peut pleinement s’inscrire dans l’indispensable rotation des cultures et dans l’entretien des sols.

C’est donc une culture particulièrement saine, qui peut être une puissante créatrice de vocations pour les jeunes agriculteurs ayant la volonté de développer une agriculture plus vertueuse sur le plan environnemental. Cela apporterait une partie de la solution aux problèmes du renouvellement des générations.

Face aux difficultés économiques que rencontrent de nombreux agriculteurs, le prix de revente du kilo de fleurs CBD, fixé à environ 600 euros pour l’année 2022, peut également être une opportunité de développement pour le monde agricole.

Bien sûr, pour permettre cela, et c’est l’objectif principal de cette proposition de résolution, il est nécessaire d’avoir une réglementation adaptée à la filière, notamment en permettant la vente de fleurs et de feuilles brutes, et un juste accompagnement par les pouvoirs publics.

Sur ces derniers points, je rejoins pleinement les recommandations figurant dans la proposition de résolution, tout particulièrement sur l’ouverture du label Agriculture biologique à cette filière et l’obligation de déclaration des cultures pour être en compatibilité avec les obligations de la PAC.

Comme pour toutes les filières, la labélisation et la mise en conformité avec les critères PAC permettront de réaliser un cadrage et, ainsi, d’éviter des dérives, qui peuvent être facilement associées à cette culture.

Enfin, sur un plan économique plus global, il est important de le souligner : grâce à la diversité de ses usages, le chanvre peut avoir des perspectives de débouchés dans des filières très variées.

Mon collègue Gilbert-Luc Devinaz a justement évoqué les secteurs du textile et du bâtiment. Nous pourrions également citer l’alimentation humaine, avec des graines particulièrement riches en protéines, l’alimentation animale, avec les graines de chènevis, ou, bien sûr, la filière papier.

Avec près de 7 millions de consommateurs, le CBD peut également être une réelle opportunité pour les buralistes, dont le nombre a diminué de 27 % en vingt ans et qui possèdent l’expertise et les compétences pour assurer la vente d’un tel produit.

Ainsi, madame la secrétaire d’État, alors que le Gouvernement s’est engagé à plusieurs reprises à soutenir le développement de la filière du chanvre, il est aujourd’hui essentiel d’apporter une clarification sur la réglementation autour du CBD.

Comme le prévoit l’alinéa 49 de cette proposition de résolution, seuls un appui aux acteurs de la filière et une précision sur le cadre légal et réglementaire permettront un réel développement de la filière française du chanvre.

Mes chers collègues, en soulignant sa qualité et ses différents objectifs mis en avant, je vous invite à largement soutenir l’adoption de cette proposition de résolution, comme nous le ferons au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, RDSE, INDEP et UC. – M. Guillaume Gontard applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si, aujourd’hui, les voiles des monocoques du Vendée Globe ne sont pas constituées de fibres de chanvre, celles de la flotte de Louis XIV l’étaient.

La filière économique et industrielle du chanvre a ainsi connu ses heures de gloire aux XVIIe et XVIIIsiècles, avant de péricliter, la confusion, compréhensible, entre le cannabis et la fleur de chanvre ayant conduit à une marginalisation de sa production.

À partir des années 1990, s’émancipant complètement de l’ombre du cannabis, la filière renaît en s’appuyant sur des acteurs locaux créateurs d’emplois.

Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution présentée par nos collègues du groupe écologiste. Je salue une telle initiative, car elle nous permet de mettre en lumière de belles entreprises dans nos territoires, d’encourager une filière, tout en ne donnant aucun signal en faveur de la légalisation ou de la dépénalisation du cannabis.

Agriculture, textile ou BTP, la filière du chanvre sous ses différentes expressions a ainsi un véritable potentiel économique, qu’il ne faut pas négliger.

Cela fait plus de vingt ans que le secteur de la construction et du bâtiment s’appuie sur le chanvre, tant pour ses propriétés isolantes que pour la restauration d’habitations. Je tiens à saluer à ce titre la création, voilà bientôt vingt-cinq ans, de l’association Construire en chanvre, qui œuvre pour la valorisation de la filière.

Depuis deux décennies, c’est ainsi toute une économie qui s’est développée pour favoriser l’utilisation du chanvre en s’appuyant sur ses qualités hygrothermiques, sa durabilité et sa très bonne régulation de l’humidité. Qu’il s’agisse de chènevotte ou de la fibre de chanvre, cette plante possède des débouchés économiques qu’il convient de valoriser.

En Vendée, cela fait plus de dix ans que la coopérative Cavac, que je connais bien, a fait du chanvre un matériel essentiel dans le cadre de la construction biosourcée. À l’heure où la rénovation énergétique des bâtiments est un pilier de la relance verte appelée de ses vœux par le Gouvernement, il nous faut donner les moyens aux entreprises de la filière.

Les matériaux biosourcés doivent contribuer à la décarbonation de nos bâtiments. Cette proposition de résolution pourrait, à ce titre, être utilement complétée par trois dispositifs.

Premièrement, il convient d’élargir la formation des accompagnateurs France Rénov’ aux matériaux biosourcés, afin que les rénovations financées par l’outil MaPrimeRénov’ s’appuient également sur le chanvre.

Deuxièmement, il est nécessaire de mieux valoriser la capacité de stockage de carbone du chanvre, dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone.

Troisièmement, une réflexion doit être lancée au sujet de la mise en œuvre d’un taux de TVA prenant mieux en compte les atouts des matériaux biosourcés.

Pour conclure, je souligne que l’adoption de cette proposition de résolution est un geste fort pour dire clairement notre soutien aux acteurs économiques de la filière : producteurs, coopératives, industriels, ainsi que l’ensemble des transformateurs.

Avec plus de 17 000 hectares en France, il est temps de donner à la filière chanvre un cadre légal stable permettant à l’activité de prospérer durablement et de se développer sainement.

C’est la raison pour laquelle, avec ma collègue Daphné Ract-Madoux et l’ensemble du groupe Union Centriste, je voterai en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE, GEST, SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Christian Klinger.

M. Christian Klinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « tout est bon dans le cochon » a-t-on coutume dire. Aujourd’hui, j’ai envie de dire « tout est bon dans le chanvre », à la lecture de cette proposition de résolution !

Au sortir d’un été marqué par la sécheresse et à l’heure des économies de chauffage, le développement en France de la filière du chanvre, plante sobre en eau et aux usages multiples, paraît donc une évidence. C’est une plante qui pousse vite, résiste à la sécheresse et ne réclame pas d’apports en produits chimiques. Les chiffres de la filière démontrent son intérêt.

De moins de 4 000 hectares en 1990, nous sommes passés à près de 22 000 hectares en 2022. Cultiver du chanvre, mais pour quoi faire ? Tout ou presque, si l’on en croit ses zélateurs. Tee-shirts, nappes, papiers, le chanvre est encore utilisé pour produire des fibres textiles et permet aussi de fabriquer du papier sans abattre d’arbres. Est apparu également le béton de chanvre, un matériau de construction biosourcé, dont les propriétés isolantes en font aujourd’hui un précieux atout. Puis des fibres encore plus techniques, notamment dans l’industrie automobile, sont devenues des substituts aux fibres de verre beaucoup plus polluantes.

Les graines riches en protéines sont utilisables dans l’alimentation animale comme humaine.

Cette plante est donc au cœur de nombreuses innovations, d’une forte demande sociale et d’opportunités économiques. J’ai relevé plus de 600 produits dérivés brevetés dans le monde, dont la moitié proviennent malheureusement toujours de Chine.

D’autres pays ont bien compris l’intérêt de cette culture et se sont d’ores et déjà saisis de cette chance de développement. À titre d’exemple, lorsque les États-Unis ont décidé de soutenir la filière, ils sont passés de 9 000 à 33 000 hectares en un an.

À notre tour, nous devons soutenir la filière et créer un écosystème favorable, avec des règles claires. Surtout, dépassionnons le débat autour du caractère psychotrope du cannabis. Fibres, graines… la plante, vous le savez, a aussi des feuilles et des fleurs. Se pose dès lors un problème de réglementation au sujet du chanvre « bien-être », réglementation qui paraît, à ce jour, assez confuse. Autorisée par l’Europe, la commercialisation des fleurs et des feuilles a été suspendue par un arrêté, lequel a été invalidé par le Conseil d’État en janvier dernier. Quant à la Cour de cassation, elle a légalisé la commercialisation de ces produits.

Bref, si nous voulons une nouvelle filière française d’excellence, celle des extraits de chanvre, il s’agit de donner à nos entreprises la possibilité d’investir sereinement et pleinement ces marchés d’avenir, en clarifiant les réglementations applicables aux différents produits finis et en les alignant sur celles de nos homologues européens et britanniques, pour jouer à armes égales.

Si le chanvre a une croissance très simple depuis la plantation jusqu’à la récolte, cette dernière nécessite un matériel spécifique et un temps d’intervention plus long que pour la majorité des cultures, la graine étant fragile et la paille demandant plusieurs interventions avant sa transformation.

La culture du chanvre nécessite donc des outils spécialisés et, partant, des investissements. Or les investisseurs demeureront frileux tant que les règles ne seront pas claires ni pérennes.

La position de la France, si elle reste figée, reviendra donc à favoriser ses pays voisins, sans aucune justification rationnelle.

Voilà un an, nous avons débattu ici même de ce sujet. Le Gouvernement annonçait sa volonté de « mettre en place un cadre réglementaire pour permettre le développement sécurisé de la filière ». Force est de le constater, le dossier n’a pas bougé. Pourquoi attendre ?

La loi relative à la transition énergétique prévoit la conception de bâtiments à énergie positive. Faisons en sorte que ces matériaux de construction biosourcés soient disponibles sur le marché.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si tout est bon dans le cochon, c’est aussi le cas du chanvre ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Dominique Faure, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois reconnaître au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et à son président, Guillaume Gontard, une constance qui l’honore, puisque le Sénat avait lancé ce débat important sur l’avenir de la filière du chanvre en février dernier, sur son initiative.

Cette proposition de résolution nous permettra d’approfondir les échanges que vous aviez alors eus avec le Gouvernement. Elle montre, par la diversité des soutiens qu’elle a recueillis sur ces travées, toute l’importance de ce sujet, ainsi que sa complexité.

Cela a été dit, il s’agit d’un point de consensus. Toutefois, je me permets de le souligner de nouveau : le chanvre est une filière dont nous devons soutenir le développement, en raison des opportunités qu’elle offre d’un point de vue agroécologique.

Il s’agit en effet d’une culture qui nécessite une quantité relativement limitée d’azote et pas d’irrigation, hors conditions climatiques exceptionnelles, du fait de ses racines profondes.

Elle ne nécessite aucun traitement phytosanitaire, ce qui, du fait également de la biomasse produite, en fait un réservoir de biodiversité d’insectes et d’arthropodes, dont notamment des espèces régulatrices des ravageurs de cultures.

En outre, le chanvre participe à l’allongement des rotations des exploitations de grandes cultures et à la diversité des assolements.

Enfin, l’utilisation de plus en plus répandue de ses produits dans le bâtiment en fait un produit agricole contribuant à stocker du carbone au lieu d’en émettre.

En cela, il sera important de veiller à ce que l’amont agricole soit bien considéré dans le calcul des « crédits carbone » générés. L’enjeu est que les producteurs soient équitablement rémunérés par la vente de ces crédits carbone, ce qui participera à l’attractivité de la culture du chanvre pour les agriculteurs.

Nous veillerons donc à ce que cela soit bien pris en compte par le Groupe scientifique et technique du label bas-carbone dans les méthodologies de calcul, pour le chanvre et, plus globalement, pour les biomasses agricoles valorisées dans les autres secteurs industriels. (Des bruits de conversation se font entendre sur diverses travées.)

Je voudrais vous assurer que mon collègue Marc Fesneau œuvre significativement en faveur du développement de la filière au ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, au travers du dialogue constant qu’il entretient avec Interchanvre, l’interprofession.

Le Gouvernement intervient aussi financièrement : outre les aides classiques de la politique agricole commune, la filière chanvre bénéficie d’une aide couplée de 96 euros à l’hectare, si la production est contractualisée et que la variété est certifiée. (Les bruits de conversation persistent.)

Les enjeux sont majeurs pour la France, premier producteur de chanvre au niveau européen, mais aussi mondial. Le développement de la filière chanvre n’est d’ailleurs pas uniquement un objectif que nous devons nous fixer en matière agricole et alimentaire, puisque les débouchés qu’elle offre peuvent constituer des atouts intéressants pour notre pays en matière énergétique, écologique ou industrielle. (Les bruits de conversation se font plus intenses.)

Mme le président. Chers collègues, je vous demande, par respect, d’écouter Mme la secrétaire d’État !

Mme Dominique Faure, secrétaire dÉtat. Dans un contexte d’accroissement des surfaces, multipliées par trois en dix ans, la culture du chanvre alimente ainsi de nombreux marchés, qui vont de la papeterie à l’automobile, du bâtiment au jardinage, en passant par la plasturgie, l’alimentation animale et humaine ou encore le textile.

J’ajoute – il s’agit d’un point absolument essentiel du point de vue du dynamisme et de la vitalité économique de nos territoires, notamment ruraux – que la filière se caractérise, notamment, par l’existence d’un grand nombre d’acteurs de taille modeste, fonctionnant en circuits courts, avec un ancrage territorial particulièrement fort. J’y suis, comme vous, profondément attachée.

La proposition de résolution examinée aujourd’hui s’inscrit résolument dans cette logique de soutien au développement de la filière chanvre en France. Le Gouvernement estime que cette initiative sénatoriale viendra utilement enrichir les réflexions à mener dans cette perspective.

Le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire est prêt à continuer à travailler en lien très étroit avec le Sénat sur la dimension agricole du sujet.

J’en viens maintenant au second volet de cette proposition de résolution, qui concerne un sujet dépassant largement le champ de l’agriculture, celui de l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre.

Il s’agit d’un sujet auquel le Gouvernement apporte une attention toute particulière et sur lequel, loin des caricatures qui peuvent parfois caractériser ces débats – tel n’est pas ici le cas –, nous souhaitons poser les enjeux avec exigence et méthode.

Je voudrais aller dans le sens de ce qui a été dit par plusieurs orateurs. Oui, il existe incontestablement des enjeux autour de la réglementation des produits issus du chanvre, dont la consommation de cannabidiol est naturellement le plus évident, mais pas le seul.

Ces sujets importants ont été posés avec plus d’acuité encore avec la suspension, par le Conseil d’État, du cadre réglementaire global dont la France s’était dotée.

Ce dernier devait permettre le développement sécurisé de la filière agricole du chanvre, ainsi que des activités économiques liées à la production d’extraits de chanvre, à la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommatrices et des consommateurs ainsi que le maintien de la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.

L’absence d’une réglementation claire soulève, il est vrai, un certain nombre de difficultés. J’en citerai trois.

Tout d’abord, je pense à une forme d’instabilité pour les acteurs de la filière, que ce soit le monde agricole et industriel, les laboratoires ou le commerce de détail, qui manquent de visibilité dans la conduite de leurs projets économiques.

Ensuite, si la commercialisation est possible en France, elle concerne une immense majorité de fleurs et d’extraits commercialisés issus de l’importation, ce qui constitue un enjeu pour notre filière et sa place de leader.

Enfin, il s’agit d’assurer la sécurité en termes de consommation. En effet, je tiens à le souligner ici, si le cannabidiol n’est pas classé comme un stupéfiant, il s’agit tout de même d’une substance à effet psychoactif, dont les risques pour la santé continuent d’être expertisés.

Partant de ces constats, je voudrais partager avec vous quelques éléments de réflexion.

Premièrement, que nous dit le Conseil d’État ? Que les produits dont la teneur en tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0,3 % ne revêtent pas un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente et de leur consommation.

En effet, à ce stade, il n’a pas été établi que le CBD est dangereux. Mais il n’a pas non plus été établi scientifiquement qu’il ne l’est pas ni dans quelle limite de consommation il ne l’est pas.

C’est la raison pour laquelle je nous invite collectivement à faire preuve de prudence sur ce sujet, mais aussi à suivre le travail scientifique que mène actuellement l’Autorité européenne de sécurité des aliments, car seule la science, me semble-t-il, doit éclairer nos décisions s’agissant d’un sujet aussi délicat. Il s’agit, je crois, du chemin que nous devons emprunter, sans précipitation.

Deuxièmement, je tiens à le souligner, en l’état actuel de la réglementation, les services de police et de gendarmerie sauront rechercher et relever les infractions comme la provocation, même non suivie d’effet, à l’usage illicite de stupéfiants. Il n’est pas acceptable, par exemple, que des publicités en faveur du cannabidiol entretiennent la confusion avec le cannabis, faisant ainsi indirectement la promotion de ce stupéfiant.

En dépit de la suspension de certaines dispositions de l’arrêté du 31 décembre 2021, nous ne sommes donc pas dans un no mans land juridique. Nous sommes bel et bien en mesure de lutter contre tout ce qui peut s’apparenter à la promotion et à la banalisation du cannabis. Il s’agit, je le rappelle, de la manière la plus claire possible, de la position ferme et constante du Gouvernement sur ces sujets.

Naturellement, au-delà de ces réponses, qui sont absolument nécessaires, des réflexions interministérielles sont en cours sur ce qui pourrait constituer une politique de contrôle aboutie de la commercialisation des extraits de chanvre. Certaines des orientations de cette proposition de résolution pourraient d’ailleurs en partie être intégrées dans le cadre de ces réflexions.

Je vois trois enjeux à ces contrôles, qui relèvent de la compétence à la fois de nos services et des services de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes).

Le premier est de contrôler l’absence de pratiques commerciales trompeuses et de tromperie sur les qualités substantielles du produit relevant du code de la consommation, notamment en cas d’allégations trompeuses, par exemple en matière de santé, non autorisées ou thérapeutiques, en lien avec l’utilisation d’extraits de chanvre.

Le deuxième enjeu est de donner des informations claires aux consommateurs sur les « bonnes pratiques d’utilisation » et sur les publics pour lesquels la consommation d’extraits de chanvre est à éviter, à savoir les jeunes enfants et les femmes enceintes.

Le troisième enjeu concerne la réalisation de contrôles aléatoires sur les produits commercialisés en France, afin de vérifier notamment l’absence de contamination des extraits par le THC et d’éviter ainsi des risques de santé publique. Ces produits n’échapperont pas aux retraits et rappels en cas de non-conformité.

J’ajoute, s’agissant du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qu’un nouveau conseil scientifique, piloté par l’interprofession Interchanvre, a été créé en février 2022, afin d’accompagner au mieux les agriculteurs qui souhaitent produire des fleurs de chanvre. Trois groupes de travail ont été constitués sur la génétique, sur l’itinéraire technique du chanvre à destination de la production de fleurs, sur la mécanisation de la récolte des fleurs. Une feuille de route est donc en cours de définition.

Enfin, je tiens tout de même à vous faire partager des interrogations sur les conséquences agricoles, alimentaires et environnementales que pourrait avoir un développement débridé des débouchés liés à la consommation de cannabidiol et autres extraits de chanvre qui se vendent à prix d’or. Allons-nous nous nourrir d’extraits de chanvre ? À ce jour, la production de chanvre à fleurs est bien distincte de celle du chanvre destiné à la production de graines et de fibres.

Il nous appartient ainsi de peser les conséquences d’un tel choix sur les autres débouchés, qui pourraient mécaniquement perdre de leur attractivité, parfois déjà fragile. Je pense en particulier à l’alimentation humaine et animale, enjeu de souveraineté alimentaire, ou encore à l’isolation des bâtiments, enjeu d’indépendance énergétique et de transition écologique. Or ce sont bien ces priorités qui sont à l’agenda des priorités du Gouvernement.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, sans en partager toutes les orientations, en particulier s’agissant des préconisations formulées sur la réglementation des produits issus du chanvre, le Gouvernement considère que cette proposition de résolution est très utile au débat et se saisira du vote du Sénat pour poursuivre et accélérer les réflexions indispensables à un développement maîtrisé et ambitieux de cette filière. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Daphné Ract-Madoux et M. Emmanuel Capus applaudissent également.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution portant sur le développement économique de la filière du chanvre en france et l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu le règlement (UE) 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relatif aux nouveaux aliments, modifiant le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 1852/2001 de la Commission,

Vu l’article L. 228-4 du code de l’environnement, tel que modifié par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets,

Vu le décret n° 2020-26 du 14 janvier 2020 relatif à la prime de transition énergétique,

Vu le décret n° 2021-1004 du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine,

Vu l’arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique,

Vu l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 novembre 2020 dans l’affaire C-663/18,

Vu l’ordonnance du Conseil d’État du 24 janvier 2022 (n° 460055),

Vu l’avis de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) du 11 juin 2018 concernant l’arrêté du 22 août 1990 portant application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique pour le cannabis,

Vu le plan d’action 2018-2020 « Une stratégie bioéconomie pour la France »,

Vu le rapport d’étape sur le « chanvre bien-être » du 10 février 2021 de MM. Jean-Baptiste Moreau et Ludovic Mendes, députés, au nom de la mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis,

Vu le rapport n° 727 (2017-2018) du 25 septembre 2018 de M. Joël Labbé, sénateur, fait au nom de la mission d’information sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, des filières et métiers d’avenir,

Considérant l’insécurité juridique de l’ensemble des acteurs de la filière du chanvre (agriculteurs, industriels, laboratoires, détaillants) ;

Relevant les non-conformités des dispositions réglementaires pour les produits issus du chanvre aux normes législatives du code de la santé publique et à la réglementation européenne ;

Considérant les perspectives économiques offertes par le développement de la filière du chanvre, à savoir une projection d’ici à 5 ans d’un marché de 1,5 à 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et l’emploi, directs et indirects, de 18 000 à 20 000 personnes supplémentaires ;

Relevant que la culture française du chanvre constitue une diversification de la production des agriculteurs à même de procurer des ressources financières complémentaires ;

Constatant le potentiel d’attractivité de la culture du chanvre pour les nouveaux professionnels du secteur agricole, alors que 45 % des agriculteurs actuels auront pris leur retraite d’ici 2026 ;

Considérant les projections de recettes fiscales et sociales supplémentaires issues de la filière du chanvre estimées entre 0,7 et 1,1 milliard d’euros par an ;

Considérant que 90 % des produits à base de cannabidiol (CBD) vendus dans les 2 000 points de vente auprès de 7 millions de consommateurs ne sont pas issus d’une production sur le territoire français ;

Observant le retard économique de la France dans la filière CBD comparativement aux autres États européens et aux États d’Amérique alors même qu’elle est le premier producteur européen de chanvre ;

Constatant l’existence de tests opérationnels permettant la mesure du taux de tétrahydrocannabinol (THC) contenu dans les fleurs de cannabis et la détermination en conséquence de leur légalité ;

Invite le Gouvernement à instaurer une obligation de déclaration des cultures de chanvre et de leur destination compatible avec les obligations de la politique agricole commune (PAC) et permettant la réalisation d’une cartographie de la production française de chanvre dans la perspective d’une vision précise de la réalité de la filière et d’une meilleure compréhension de ses enjeux, mais également afin de permettre la mise en place de contrôles par les autorités publiques et de fournir aux consommateurs la plus grande sécurité sanitaire ;

Propose l’ouverture de l’obtention du label « Agriculture biologique » à tous les produits du chanvre destinés à la consommation humaine et animale ;

Souhaite un élargissement du catalogue des cultivars aux variétés contenant moins de 1 % de THC, tel que pratiqué notamment en République tchèque, en Suisse, en Australie et, vraisemblablement, prochainement aux États-Unis, au Canada et dans de nombreux autres pays ;

Encourage l’autorisation de l’usage de techniques agricoles de base par les producteurs de chanvre, notamment la sélection variétale, le bouturage et la capacité de replantation des graines ;

Invite le Gouvernement à faire de la commande publique, par son devoir d’exemplarité, un levier de la massification des filières biosourcées locales ;

Pour ce faire, dans le respect du droit communautaire, propose la création d’un label public exigeant pour les produits biosourcés français ainsi que la prise en compte des économies d’énergie dans les critères des marchés publics ;

Demande de corréler l’obtention des aides à la rénovation énergétique (MaPrimeRénov, éco-PTZ…) à des critères liés aux caractéristiques environnementales des matériaux, en cohérence avec les objectifs de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) sur les bâtiments neufs ;

Propose d’intégrer dans l’ensemble des cursus de formation des architectes et des métiers du bâtiment des cours portant sur la construction biosourcée et les critères environnementaux ;

Invite le Gouvernement à lancer une campagne de communication à grande échelle à destination des collectivités territoriales, du grand public et des professionnels, mettant en avant les produits de la bioéconomie, tel que le prévoyait le plan d’action 2018-2020 du ministère de l’Agriculture « Une stratégie bioéconomie pour la France » ;

Appelle le Gouvernement à s’assurer que les représentants de la filière définissent une feuille de route, un planning, et des règles professionnelles stabilisées s’agissant des matériaux biosourcés afin de répondre au cahier des charges de la RE2020 avant la fin de l’année 2022 ;

Propose au Gouvernement la création d’un label qualité textile biosourcé et à terme l’intégration de ce label dans les critères des marchés publics relatifs aux textiles ;

Invite le Gouvernement à une harmonisation des analyses de cycle de vie qui corresponde aux exigences européennes en matière d’empreinte environnementale et à déployer le plus rapidement possible les dispositifs d’affichage environnemental des textiles actuellement imaginés au niveau européen ;

Propose que le Gouvernement mette en place des dispositifs de subventions et d’investissement pour répondre aux besoins d’équipement de la filière française du chanvre afin de contribuer à la décarbonation de l’économie en soutenant l’industrialisation d’une filière vertueuse ;

Appelle le Gouvernement à soutenir la recherche en appui à la filière chanvre industrielle mais également la recherche sur les bienfaits du CBD pour le bien-être, le confort et l’entretien de la bonne santé des consommateurs ;

Propose l’élaboration par le Gouvernement de normes homogènes, pour les procédures d’analyse des produits CBD, pouvant se baser sur le modèle d’agrément du Comité français d’accréditation ou de la norme « appellation d’origine protégée » ;

Suggère au Gouvernement la fixation de normes d’étiquetage et d’un seuil de résidus de THC dans les produits finis issus du chanvre ;

Appelle le Gouvernement à définir des doses journalières recommandées (DJR) non contraignantes de consommation de CBD, à mentionner sur les emballages des produits, afin de prévenir toute forme de consommation problématique des produits à base de CBD ;

Appelle le Gouvernement à mettre rapidement en place un encadrement de l’utilisation du CBD dans les compléments alimentaires ;

Invite le Gouvernement, en ce qui concerne la réglementation européenne dite « Novel Food » (règlement (UE) 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 précité), à considérer que seuls les produits alimentaires enrichis en CBD au-delà de ce que comporte naturellement la plante (soit 5 % de CBD) relèvent de la catégorie « Novel Food », comme le prévoyait la Commission européenne jusqu’en 2019, date à partir de laquelle tous les produits alimentaires contenant des extraits de chanvre sont considérés comme relevant de la catégorie « Novel Food » ;

Suggère d’ajuster les taux de la taxe sur la valeur ajoutée concernant les différentes typologies de produits contenant du CBD selon leur usage ;

Invite le Gouvernement à catégoriser clairement les produits issus du chanvre à principe actif afin d’identifier ceux relevant du bien-être et de la consommation courante et ceux relevant du soin médical et du régime de la pharmacopée ;

Suggère de mettre à la disposition des forces de l’ordre (douane, police, gendarmerie) des tests portatifs permettant de distinguer précisément les teneurs respectives en CBD et en THC des produits brut ;

Suggère au Gouvernement de préciser les modalités d’autorisation et d’extraction, en particulier concernant le dépassement temporaire en cours de processus de THC et de contrôle de l’élimination des résidus THC ;

Demande l’autorisation de la vente au détail de la fleur et de la feuille de chanvre (du catalogue des variétés autorisées) sous toutes leurs formes ;

Propose au Gouvernement de créer un label de qualité pour les produits français de CBD ;

Invite le Gouvernement à un assouplissement, un complément et une précision du cadre légal et réglementaire pour la filière du chanvre et à un appui des acteurs de la filière pour son développement économique en prenant appui sur les propositions susmentionnées.

Vote sur l’ensemble

Mme le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 55 :

Nombre de votants 208
Nombre de suffrages exprimés 186
Pour l’adoption 179
Contre 7

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Mme Éliane Assassi, M. Martin Lévrier et Mme Vanina Paoli-Gagin applaudissent également.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures deux, est reprise à douze heures quatre.)

Mme le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l'amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre
 

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Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi
Article 1er

Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi

Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (texte de la commission n° 112, rapport n° 111).

Avant de vous donner la parole, madame le rapporteur, je demande à ceux de nos collègues qui souhaitent discuter de le faire dans le couloir.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire (CMP) réunie le 9 novembre dernier est parvenue à un accord sur le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, un texte auquel le Sénat s’est attaché à donner du sens au-delà d’une prorogation des règles actuelles du régime d’assurance chômage.

Avec mon collègue rapporteur Olivier Henno, je tiens à saluer Marc Ferracci, rapporteur pour l’Assemblée nationale, avec qui nos échanges en amont de la CMP ont été nourris et empreints de sincérité, mais aussi de beaucoup d’exigence.

Je ne reviendrai ici que sur les points les plus saillants du texte qu’il vous est proposé d’adopter aujourd’hui.

À l’article 1er, point central des discussions, la CMP a adopté une rédaction de compromis, qui répond à la volonté du Sénat de restaurer la place des partenaires sociaux dans la définition des règles de l’assurance chômage.

Comme le prévoyait le texte initial, le Gouvernement sera autorisé à prendre par décret en Conseil d’État les mesures d’application du régime d’assurance chômage jusqu’au 31 décembre 2023, ainsi qu’à prolonger l’application du « bonus-malus » sur les contributions d’assurance chômage jusqu’au 31 août 2024.

En revanche, la rédaction issue de la CMP conserve l’apport du Sénat prévoyant que le Gouvernement devra, conformément à l’article L. 1 du code du travail, engager une concertation avec les partenaires sociaux sur la gouvernance de l’assurance chômage, mais aussi sur les conditions de l’équilibre financier du régime, concertation qui pourra déboucher sur une négociation. Le document d’orientation prévu au même article L. 1 invitera notamment les partenaires sociaux à négocier sur l’opportunité de maintenir le document de cadrage issu de la réforme de 2018, que le Sénat avait entendu supprimer.

L’inscription par le Sénat dans la loi du principe de contracyclicité, que le Gouvernement souhaitait mettre en œuvre par décret, a été maintenue par la CMP.

Par ailleurs, afin de revenir à la vocation première de l’assurance chômage, qui est d’indemniser la privation involontaire d’emploi, le Sénat avait introduit deux articles visant à supprimer l’allocation en cas de refus de CDI.

La CMP a pris en compte le risque juridique que comportait la différence de traitement entre différentes catégories de salariés et a donc adopté, à l’article 1er bis AA, une rédaction de compromis concernant à la fois les fins de CDD et les fins de mission d’intérim : dans les deux cas, l’indemnisation du chômage sera supprimée après deux refus d’une proposition de CDI sur un emploi similaire.

Elle a également renvoyé les modalités d’application du dispositif à un décret en Conseil d’État et clarifié son articulation avec le projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE). Nous pouvons nous féliciter que le Sénat ait été entendu sur ce point.

Nous serons néanmoins particulièrement attentifs, madame la ministre, à ce que son application donne lieu non pas, comme j’ai pu le lire dans la presse, à une « usine à gaz », mais bien à des solutions opérationnelles, permettant une mise en œuvre effective de cette mesure. La balle est dorénavant dans le camp du Gouvernement !

À l’article 2, le Sénat avait proposé des évolutions substantielles du bonus-malus sur les contributions d’assurance chômage. La CMP est revenue à la rédaction de l’Assemblée nationale, qui apporte une transparence bienvenue aux employeurs concernés. Il conviendra toutefois, après deux ans d’application du dispositif, de tirer les conséquences qui s’imposent s’il s’avère inadapté.

À l’article 4, concernant la validation des acquis de l’expérience (VAE), le Sénat avait souhaité sortir d’une approche par statut en posant le principe d’une VAE ouverte à toute personne dont l’expérience est en lien avec la certification visée. La CMP a conservé cet apport, qui doit contribuer à donner un nouveau souffle à cette voie d’obtention d’une certification. Elle a également maintenu la précision en vertu de laquelle les missions du groupement d’intérêt public (GIP) national créé par le projet de loi pour mettre en œuvre le service public de la VAE seront exercées « en tenant compte des besoins en qualifications selon les territoires ».

À l’inverse, la CMP est revenue sur l’ajout par le Sénat de deux membres de droit supplémentaires au sein du GIP et sur le principe de sa présidence par un président de conseil régional : ces précisions pourront être définies dans le cadre de la convention constitutive du GIP sans que la loi en fige excessivement la gouvernance. Mon collègue Olivier Henno, qui a travaillé sur ce point, en parlera bien mieux que moi.

Au total, ce texte reflète notre ambition de redonner une chance au paritarisme et notre préoccupation d’adapter les règles d’indemnisation du chômage aux réalités actuelles du marché du travail. Au nom de la commission mixte paritaire, je vous propose donc, mes chers collègues, de l’adopter.

Et je profite de cette intervention pour remercier les administrateurs du Sénat et adresser un petit clin d’œil à celui qui fut sur ce texte mon fidèle compagnon, Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Emmanuel Capus et Mme Nicole Duranton applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (MM. Martin Lévrier et Emmanuel Capus applaudissent.)

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens en premier lieu à excuser Olivier Dussopt, qui n’a pas pu être présent aujourd’hui.

Je me réjouis de l’accord trouvé entre votre chambre et celle des députés en commission mixte paritaire. Cet accord s’explique notamment par la qualité constante des débats tout au long de l’examen de ce projet de loi.

Je remercie l’ensemble des parlementaires qui ont œuvré à rendre possible un compromis au profit de l’intérêt général. L’esprit de responsabilité et, précisément, le sens de l’intérêt général ont permis de parvenir à un texte qui est à la fois équilibré et à la hauteur des enjeux ; une étape supplémentaire est ainsi franchie vers le plein emploi.

Je salue également le travail exigeant des deux rapporteurs, Mme Frédérique Puissat et M. Olivier Henno. Vous avez, par voie d’amendement, apporté au texte de nombreuses modifications importantes, et nous pouvons tous vous en remercier.

Par ce texte, nous préservons les droits des demandeurs d’emploi.

Le projet de loi confère au Gouvernement la possibilité de prolonger les droits d’indemnisation pour quatorze mois, jusqu’au 31 décembre 2023. Quant au bonus-malus, il est prolongé jusqu’au 31 décembre 2024 ; ce dispositif nous permet d’encourager les entreprises à moins recourir aux contrats de très longue durée.

Par ailleurs, à la faveur d’un amendement proposé par votre chambre, le texte issu de la commission mixte paritaire prévoit explicitement la possibilité de faire varier les règles de l’assurance chômage en fonction de la situation du marché du travail. Cette disposition est non seulement utile par ses vertus de lisibilité, mais il témoigne de la volonté commune des législateurs de sécuriser, de soutenir et d’encourager la réforme que nous sommes en train de mener en concertation avec les partenaires sociaux. Olivier Dussopt réunira d’ailleurs les partenaires sociaux le 21 novembre prochain, afin de conclure les concertations que nous avons conduites depuis le 17 octobre dernier. La solution que nous retiendrons, qui sera juste et équilibrée, s’appuiera sur une modulation de la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi au regard des offres disponibles sur le marché du travail.

Cette modulation permettra de soutenir notre activité économique dans un contexte où le besoin s’en fait considérablement ressentir : par exemple, 30 % des entreprises renoncent à une partie de leur activité pour des raisons de pénurie de main-d’œuvre.

Contrairement à ce qu’il nous est arrivé d’entendre, cette réforme ne pénalisera pas les demandeurs d’emploi les plus fragiles. Elle ne reviendra pas sur les conditions d’affiliation minimale et ne diminuera donc pas le nombre de personnes dont s’ouvrent les droits à l’assurance chômage.

Vous avez également apporté, mesdames, messieurs les sénateurs, une clarification législative relative à l’abandon de poste. Désormais, l’abandon de poste vaudra présomption – il s’agit bien d’une « présomption », j’y insiste – de démission. La nuance étant importante, je m’y arrête quelques secondes.

Cette disposition sera suivie d’un décret : l’abandon de poste n’étant pas vraiment formalisé par le code du travail, elle aboutissait par défaut à une situation de faute grave ; or il n’est pas anodin d’être licencié pour faute grave, et ce processus excluait la possibilité de toucher des indemnités de licenciement.

La nouvelle procédure qui verrait le jour en cas d’adoption du projet de loi permettrait d’expliciter les véritables causes sous-jacentes à l’abandon de poste. La démission s’imposera lorsque le salarié arrête sans prévenir d’exécuter son contrat de travail. Une procédure de mise en demeure par l’employeur est prévue ; ainsi la démission pourra-t-elle être écartée lorsque l’abandon de poste se justifie par des motifs de santé ou de sécurité par exemple.

Prenons également acte de la volonté des législateurs d’encadrer les refus de proposition d’embauche en CDI qui font suite à des contrats d’intérim ou à des contrats à durée déterminée. Les ajustements et encadrements nécessaires proposés en commission mixte paritaire et l’investissement transpartisan sur ce sujet ont permis d’aboutir à un compromis. Vous avez ainsi pris soin de préciser que les CDI refusés doivent être conformes au profil de l’offre raisonnable d’emploi prévu par le projet personnalisé d’accès à l’emploi du demandeur.

Cette précision paraît nécessaire afin de ne pas risquer de réduire la proportion de demandeurs d’emploi qui acceptent d’occuper un emploi dans l’attente de trouver un poste plus conforme à leur projet professionnel.

Cette disposition a également été l’occasion d’ouvrir un débat intéressant sur l’attractivité de certains métiers et les conditions de fidélisation des salariés, ainsi que sur les nouveaux comportements observés, chez les jeunes notamment, sur le marché du travail.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité intégrer les centres de gestion de la fonction publique territoriale dans le processus d’accès à l’assurance chômage des agents territoriaux démissionnaires qui, dans la suite de leur trajectoire, sont susceptibles de percevoir une allocation de l’assurance chômage.

Selon la réglementation de l’assurance chômage, dans certains cas, les collectivités locales se retrouvent en situation de devoir payer le montant des allocations versées. Nous sommes sensibles à cette curiosité du droit, qui peut mettre certaines collectivités dans la difficulté financière. Une telle évolution a ainsi naturellement trouvé place dans ce texte. Je précise que cette nouvelle disposition ne suffira sans doute pas totalement. Olivier Dussopt s’est engagé devant votre chambre à examiner ce sujet avec mes collègues ministres respectivement chargés de la fonction publique et des collectivités territoriales, afin de trouver une solution définitive.

Vous avez également confirmé la volonté parlementaire forte de refonder un dispositif de validation des acquis de l’expérience plus moderne, plus simple, plus sécurisant pour les candidats, en offrant un nouveau cadre de coopération. Nous réussirons ainsi à concilier, j’y ai été sensible, les objectifs nationaux et des stratégies locales de développement des emplois et des compétences.

Ce texte fonde un nouveau service public pour notre pays, celui d’une reconnaissance élargie des compétences des actifs, organisé selon une véritable logique d’universalité, celle-là même que la majorité sénatoriale a promue tout au long des débats. Nous sommes fiers d’avoir ouvert grand les portes de la validation des acquis de l’expérience !

Les avancées à mettre au compte de ce projet de loi sont nombreuses et importantes ; elles constituent des jalons sur le chemin du plein emploi, aux côtés d’autres leviers que nous souhaitons actionner.

Cette réforme est une première réalisation, dont nous pouvons collectivement nous féliciter. Vous l’aurez compris, le Gouvernement est évidemment favorable à l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Olivier Henno applaudit également.)

Mme le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

En conséquence, le vote sur les amendements et sur les articles est réservé.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi
Article 1er bis AA

Article 1er

I. – Par dérogation aux articles L. 5422-20 à L. 5422-24 et L. 5524-3 du code du travail, un décret en Conseil d’État, pris après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, détermine, à compter du 1er novembre 2022, les mesures d’application des dispositions législatives relatives à l’assurance chômage mentionnées au premier alinéa de l’article L. 5422-20 du même code. Ces mesures sont applicables jusqu’à une date fixée par décret, et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2023, et peuvent faire l’objet de dispositions d’adaptation en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Toutefois, les mesures d’application des deuxième à avant-dernier alinéas de l’article L. 5422-12 dudit code peuvent recevoir application jusqu’au 31 août 2024. Le décret en Conseil d’État mentionné au premier alinéa du présent article précise notamment les périodes de mise en œuvre de la modulation du taux de contribution des employeurs concernés ainsi que les périodes au cours desquelles est constaté le nombre de fins de contrat de travail et de contrat de mise à disposition pris en compte pour le calcul du taux modulé.

II. – (Supprimé)

III. – À compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement engage, dans les conditions prévues à l’article L. 1 du code du travail, une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel sur la gouvernance de l’assurance chômage, suivie le cas échéant d’une négociation. Le document d’orientation prévu au même article L. 1 invite les partenaires sociaux à négocier notamment sur les conditions de l’équilibre financier du régime et sur l’opportunité de maintenir le document de cadrage prévu à l’article L. 5422-20-1 du même code.

Article 1er
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Article 1er bis ABA

Article 1er bis AA

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 1243-11, il est inséré un article L. 1243-11-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1243-11-1. – Lorsque l’employeur propose que la relation contractuelle de travail se poursuive après l’échéance du terme du contrat à durée déterminée sous la forme d’un contrat à durée indéterminée pour occuper le même emploi, ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente pour une durée de travail équivalente, relevant de la même classification et sans changement du lieu de travail, il notifie cette proposition par écrit au salarié. En cas de refus du salarié, l’employeur en informe Pôle emploi en justifiant du caractère similaire de l’emploi proposé.

« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. » ;

1° bis Après l’article L. 1251-33, il est inséré un article L. 1251-33-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1251-33-1. – Lorsque, à l’issue d’une mission, l’entreprise utilisatrice propose au salarié de conclure un contrat à durée indéterminée pour occuper le même emploi, ou un emploi similaire, sans changement du lieu de travail, elle notifie cette proposition par écrit au salarié. En cas de refus du salarié, l’employeur en informe Pôle emploi en justifiant du caractère similaire de l’emploi proposé.

« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. » ;

2° La sous-section 1 de la section 1 du chapitre II du titre II du livre IV de la cinquième partie est ainsi modifiée :

a) Le I de l’article L. 5422-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« S’il est constaté qu’un demandeur d’emploi a refusé à deux reprises, au cours des douze mois précédents, une proposition de contrat de travail à durée indéterminée dans les conditions prévues à l’article L. 1243-11-1, ou s’il est constaté qu’il a refusé à deux reprises, au cours de la même période, une proposition de contrat de travail à durée indéterminée dans les conditions prévues à l’article L. 1251-33-1, le bénéfice de l’allocation d’assurance ne peut lui être ouvert au titre du 1° du présent I que s’il a été employé dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée au cours de la même période. Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque la dernière proposition adressée au demandeur d’emploi n’est pas conforme aux critères prévus par le projet personnalisé d’accès à l’emploi mentionné à l’article L. 5411-6-1 si celui-ci a été élaboré antérieurement à la date du dernier refus pris en compte. » ;

b) Il est ajouté un article L. 5422-2-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 5422-2-2. – Les conditions d’activité antérieure pour l’ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l’allocation d’assurance peuvent être modulées en tenant compte d’indicateurs conjoncturels sur l’emploi et le fonctionnement du marché du travail. »

Article 1er bis AA
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Article 1er bis AB

Article 1er bis ABA

(Supprimé)

Article 1er bis ABA
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Article 1er bis A

Article 1er bis AB

Le code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° À l’article L. 263-3, après la référence : « L. 553-2 », est insérée la référence : « , L. 557-1-1 » ;

2° Après l’article L. 557-1, il est inséré un article L. 557-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 557-1-1. – Pour l’application de l’article L. 5424-1 du code du travail aux agents territoriaux, s’agissant des décisions individuelles prises dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article L. 5312-10 du même code, l’agent territorial ou la collectivité ou l’établissement mentionné à l’article L. 4 du présent code concerné peut saisir sous deux mois le président du centre de gestion de la fonction publique territoriale, qui statue dans un délai de deux mois, après avis rendu par la commission administrative paritaire compétente. »

Article 1er bis AB
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Article 2

Article 1er bis A

La sous-section 1 de la section 1 du chapitre VII du titre III du livre II de la première partie du code du travail est complétée par un article L. 1237-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1237-1-1. – Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

« Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

« Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’État. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article. »

Article 1er bis A
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Article 2 bis

Article 2

I. – L’article L. 5422-12 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les données nécessaires à la détermination du nombre mentionné au 1°, y compris celles relatives aux personnes concernées par les fins de contrat prises en compte qui sont inscrites sur la liste des demandeurs d’emploi, peuvent être communiquées à l’employeur par les organismes chargés du recouvrement des contributions d’assurance chômage, dans des conditions prévues par décret. »

bis. – (Supprimé)

II. – Le I est applicable aux taux notifiés aux employeurs pour les périodes courant à compter du 1er septembre 2022.

Article 2
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Article 2 ter

Article 2 bis

I. – À titre expérimental et par dérogation au 1° des articles L. 1242-2 et L. 1251-6 du code du travail, dans les secteurs définis par décret, un seul contrat à durée déterminée ou un seul contrat de mission peut être conclu pour remplacer plusieurs salariés.

L’expérimentation ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

II. – Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard trois mois avant le terme de l’expérimentation prévue au I du présent article, un rapport d’évaluation de cette expérimentation évaluant en particulier, dans les secteurs mentionnés au premier alinéa du même I, les effets de l’expérimentation sur la fréquence de la conclusion des contrats à durée déterminée et des contrats de mission ainsi que sur l’allongement de leur durée et les conséquences des négociations de branche portant sur les thèmes mentionnés au 7° de l’article L. 2253-1 du code du travail, afin de déterminer notamment les conditions appropriées d’une éventuelle généralisation du dispositif prévu au premier alinéa du I du présent article.

III. – La durée de l’expérimentation prévue au I du présent article est de deux ans à compter de la publication du décret mentionné au même I.

Article 2 bis
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Article 3

Article 2 ter

L’article L. 1251-58-6 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 1251-58-6. – La durée totale du contrat de mission prévue à l’article L. 1251-12-1 n’est pas applicable au salarié lié par un contrat à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire. »

Article 2 ter
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Article 3 bis

Article 3

I. – L’article L. 2314-18 du code du travail est ainsi rétabli :

« Art. L. 2314-18. – Sont électeurs l’ensemble des salariés âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques. »

II. – Le premier alinéa de l’article L. 2314-19 du code du travail est complété par les mots : « ainsi que des salariés qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le comité social et économique ».

III. – Le I est applicable à compter du 31 octobre 2022.

Article 3
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Article 4

Article 3 bis

Par dérogation aux articles L. 2121-1 et L. 2122-5 du code du travail, jusqu’à la deuxième mesure de l’audience prévue au 3° du même article L. 2122-5 suivant la publication de la présente loi, le ministre chargé du travail arrête la liste et le poids des organisations syndicales reconnues représentatives dans les branches regroupant des établissements mentionnés aux articles L. 442-5 du code de l’éducation et L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime sur le fondement de l’ensemble des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires aux comités sociaux et économiques de ces établissements et au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés lors de la période prise en compte pour la dernière mesure de l’audience prévue au 3° de l’article L. 2122-5 du code du travail.

Article 3 bis
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Article 4 bis

Article 4

I. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° L’article L. 335-5 est ainsi modifié :

aa) Au I, les mots : « ou les titres à finalité professionnelle » sont supprimés ;

a) Les II et III sont abrogés ;

b) (Supprimé)

1° ter Au deuxième alinéa de l’article L. 611-4, les mots : « et L. 613-3 à L. 613-5 » sont supprimés et sont ajoutés les mots : « et au livre IV de la sixième partie du code du travail » ;

1° quater Le I de l’article L. 612-3 est ainsi modifié :

a) À la fin de la première phrase du premier alinéa, les mots : « premier alinéa de l’article L. 613-5 » sont remplacés par les mots : « livre IV de la sixième partie du code du travail » ;

b) (nouveau) À la deuxième phrase du deuxième alinéa, après la référence : « L. 612-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

1° quinquies Au premier alinéa de l’article L. 612-6, les mots : « de l’article L. 613-5 » sont remplacés par les mots : « du livre IV de la sixième partie du code du travail » ;

1° sexies À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 613-1, les mots : « des dispositions des articles L. 613-3 et L. 613-4 » sont remplacés par les mots : « du livre IV de la sixième partie du code du travail » ;

2° (Supprimé)

3° La section 2 du chapitre III du titre Ier du livre VI est abrogée ;

4° À l’article L. 641-2, les mots : « et du quatrième alinéa du II » sont supprimés ;

5° Au dernier alinéa de l’article L. 671-1, les mots : « à L. 613-5 » sont remplacés par les mots : « et L. 613-2 » ;

6° Les vingt et unième, vingt-deuxième et vingt-troisième lignes du tableau du second alinéa du I des articles L. 685-1, L. 686-1 et L. 687-1 sont supprimées ;

7° À la première phrase de l’article L. 711-6 et au premier alinéa de l’article L. 752-1, les mots : « à L. 613-5 » sont remplacés par les mots : « et L. 613-2 ».

II. – La sixième partie du code du travail est ainsi modifiée :

1° AA Au troisième alinéa de l’article L. 6111-1, les mots : « engagée dans la vie active » et, à la fin, les mots : « , liée à l’exercice d’un mandat d’élu au sein d’une collectivité territoriale ou liée à l’exercice de responsabilités syndicales » sont supprimés ;

1° A Au second alinéa de l’article L. 6113-9, les mots : « au sens de l’article L. 6412-2 » sont supprimés ;

1° Après le mot : « candidats », la fin de la deuxième phrase du 4° de l’article L. 6121-1 est supprimée ;

2° (Supprimé)

2° bis L’article L. 6313-5 est complété par les mots et un alinéa ainsi rédigé : « ou d’un bloc de compétences d’une certification enregistrée dans ce répertoire.

« Le parcours de validation des acquis de l’expérience comprend les actions d’accompagnement prévues à l’article L. 6423-1 et, le cas échéant, les actions de formation mentionnées à l’article L. 6313-1 ou les périodes de mise en situation en milieu professionnel mentionnées à l’article L. 5135-1. » ;

3° Après le premier alinéa de l’article L. 6323-17-6, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Cette commission peut, sous réserve du caractère réel et sérieux du projet, financer les dépenses afférentes à la validation des acquis de l’expérience du salarié, dans des conditions définies par voie réglementaire. » ;

4° Le chapitre Ier du titre Ier du livre IV est ainsi modifié :

a) L’intitulé est ainsi rédigé : « Service public de la validation des acquis de l’expérience » ;

b) L’article L. 6411-1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 6411-1. – Le service public de la validation des acquis de l’expérience a pour mission d’orienter et d’accompagner toute personne demandant la validation des acquis de son expérience et justifiant d’une activité en rapport direct avec le contenu de la certification visée. » ;

c) Il est ajouté un article L. 6411-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 6411-2. – Un groupement d’intérêt public met en œuvre, au niveau national, les missions du service public de la validation des acquis de l’expérience mentionné à l’article L. 6411-1.

« Le groupement contribue à l’information des personnes et à leur orientation dans l’organisation de leur parcours. Il contribue également à la promotion de la validation des acquis de l’expérience, en tenant compte des besoins en qualifications selon les territoires, ainsi qu’à l’animation et à la cohérence des pratiques sur l’ensemble du territoire et permet d’assurer le suivi statistique des parcours.

« L’État, les régions, dans le cadre de leurs compétences définies aux articles L. 6121-1 et L. 6121-2, Pôle emploi, l’organisme mentionné à l’article L. 5315-1, les opérateurs de compétences et les commissions paritaires interprofessionnelles régionales sont membres de droit du groupement, auquel peuvent adhérer d’autres personnes morales publiques ou privées. » ;

5° Le chapitre II du titre Ier du livre IV est ainsi modifié :

a) L’intitulé est ainsi rédigé : « Régime juridique de la validation des acquis de l’expérience » ;

b) L’article L. 6412-1 est abrogé ;

c) Après le même article L. 6412-1, il est inséré un article L. 6412-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 6412-1-1. – Le ministère ou l’organisme certificateur prévu à l’article L. 6113-2 qui se prononce sur la recevabilité d’une demande peut prendre en compte des activités mentionnées à l’article L. 6411-1, de nature différente, exercées sur une même période, les périodes de stage et les périodes de formation initiale ou continue en milieu professionnel mentionnées à l’article L. 124-1 du code de l’éducation ainsi que les périodes de mise en situation en milieu professionnel mentionnées à l’article L. 5135-1 du présent code. » ;

d) L’article L. 6412-2 est abrogé ;

e) Il est ajouté un article L. 6412-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 6412-3. – La validation des acquis de l’expérience est prononcée par un jury dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret. » ;

6° L’article L. 6422-2 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, le mot : « vingt-quatre » est remplacé par le mot : « quarante-huit » ;

b) Après le mot : « collectif », la fin de la seconde phrase est supprimée ;

7° La section 4 du chapitre II du titre II du livre IV est abrogée ;

8° Le chapitre III du même titre II est ainsi modifié :

a) L’article L. 6423-1 est abrogé ;

b) Il est ajouté un article L. 6423-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 6423-3. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent livre, notamment les modalités de collecte, de traitement et d’échange des informations et des données à caractère personnel, parmi lesquelles le numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, nécessaires à l’orientation des personnes et au suivi de leur parcours au niveau national, par l’organisme mentionné à l’article L. 6411-2. »

III. – Au 18° de l’article L. 444-2 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « , L. 6412-1 » est supprimée.

IV. – Au dernier alinéa de l’article L. 812-1 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « à L. 613-5 » sont remplacés par les mots : « et L. 613-2 ».

V. – Au dernier alinéa de l’article L. 120-1 du code du service national, les mots : « aux articles L. 335-5 et L. 613-3 » sont remplacés par les mots : « à l’article L. 335-5 ».

Article 4
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Article 5

Article 4 bis

Afin de favoriser l’accès à la certification et à l’insertion professionnelles dans les secteurs rencontrant des difficultés particulières de recrutement, à titre expérimental, pour une durée de trois ans à compter d’une date fixée par décret, et au plus tard le 1er mars 2023, les contrats de professionnalisation conclus par les employeurs de droit privé peuvent comporter des actions en vue de la validation des acquis de l’expérience.

Pour la mise en œuvre de cette expérimentation, il peut être dérogé aux articles L. 6314-1, L. 6325-1, L. 6325-2, L. 6325-11, L. 6325-13 et L. 6332-14 du code du travail.

Les conditions de mise en œuvre de cette expérimentation, notamment les qualifications ou blocs de certifications professionnelles pouvant être obtenus par la validation des acquis de l’expérience, sont déterminées par décret.

Au plus tard six mois avant son terme, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de cette expérimentation.

Article 4 bis
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Article 1er bis AA

Article 5

Sont ratifiées :

1° L’ordonnance n° 2020-322 du 25 mars 2020 adaptant temporairement les conditions et modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire prévue à l’article L. 1226-1 du code du travail et modifiant, à titre exceptionnel, les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation ;

2° L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos ;

3° L’ordonnance n° 2020-324 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l’article L. 5421-2 du code du travail ;

4° L’ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière d’activité partielle ;

5° L’ordonnance n° 2020-386 du 1er avril 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d’autorisation d’activité partielle ;

6° L’ordonnance n° 2020-388 du 1er avril 2020 relative au report du scrutin de mesure de l’audience syndicale auprès des salariés des entreprises de moins de onze salariés et à la prorogation des mandats des conseillers prud’hommes et membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles ;

7° L’ordonnance n° 2020-389 du 1er avril 2020 portant mesures d’urgence relatives aux instances représentatives du personnel ;

8° (Supprimé)

9° L’ordonnance n° 2020-770 du 24 juin 2020 relative à l’adaptation du taux horaire de l’allocation d’activité partielle ;

10° L’ordonnance n° 2020-1255 du 14 octobre 2020 relative à l’adaptation de l’allocation et de l’indemnité d’activité partielle ;

11° L’ordonnance n° 2020-1441 du 25 novembre 2020 portant adaptation des règles relatives aux réunions des instances représentatives du personnel ;

12° L’ordonnance n° 2020-1442 du 25 novembre 2020 rétablissant des mesures d’urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l’article L. 5421-2 du code du travail ;

13° L’ordonnance n° 2020-1502 du 2 décembre 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire ;

14° L’ordonnance n° 2020-1597 du 16 décembre 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés et de jours de repos, de renouvellement de certains contrats et de prêt de main-d’œuvre ;

15° L’ordonnance n° 2020-1639 du 21 décembre 2020 portant mesures d’urgence en matière d’activité partielle ;

16° L’ordonnance n° 2021-135 du 10 février 2021 portant diverses mesures d’urgence dans les domaines du travail et de l’emploi ;

17° L’ordonnance n° 2021-136 du 10 février 2021 portant adaptation des mesures d’urgence en matière d’activité partielle ;

18° L’ordonnance n° 2021-797 du 23 juin 2021 relative au recouvrement, à l’affectation et au contrôle des contributions des employeurs au titre du financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage ;

19° L’ordonnance n° 2021-1013 du 31 juillet 2021 modifiant l’ordonnance n° 2020-324 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l’article L. 5421-2 du code du travail ;

20° L’ordonnance n° 2021-1214 du 22 septembre 2021 portant adaptation de mesures d’urgence en matière d’activité partielle ;

21° L’ordonnance n° 2022-543 du 13 avril 2022 portant adaptation des dispositions relatives à l’activité réduite pour le maintien en emploi.

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Mme le président. Nous passons à la présentation des amendements de la commission avant d’en venir aux explications de vote des groupes.

article 1er

Mme le président. Sur l’article 1er, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Le vote est réservé.

article 1er bis aa

Article 5
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Article 4

Mme le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Puissat et M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 6, seconde phrase

Remplacer le mot :

employeur

par les mots :

entreprise utilisatrice

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle, madame la présidente.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Favorable.

Mme le président. Le vote est réservé.

articles 1er bis aba (supprimé) à 3 bis

Mme le président. Sur les articles 1er bis ABA à 3 bis, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Le vote est réservé.

article 4

Article 1er bis AA
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme Puissat et M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 24

Remplacer les mots :

les actions d’accompagnement prévues à l’article L. 6423-1

par les mots :

un accompagnement

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Coordination !

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Avis favorable.

Mme le président. Le vote est réservé.

articles 4 bis et 5

Mme le président. Sur les articles 4 bis et 5, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements de la commission, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Article 4
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, atteindre le plein emploi, c’est évidemment un objectif économique. Le plein emploi, c’est plus de ressources et moins de dépenses. C’est la formule la plus simple pour équilibrer le régime sans diminuer le montant des allocations.

Mais atteindre le plein emploi, c’est surtout un objectif social, d’abord parce que, pour trouver sa place dans la société, mieux vaut un travail que des allocations, ensuite parce que, lorsque le marché du travail est tendu, le pouvoir de négociation des travailleurs augmente, c’est un fait.

Notre groupe soutient la politique menée par le Gouvernement en ce sens. La réforme de l’assurance chômage en constitue évidemment un axe incontournable. Pour atteindre cet objectif, il faudra aussi réformer les retraites ; ajuster la politique en faveur de l’apprentissage ; développer l’enseignement professionnel ; recadrer la formation continue. Toutes ces réformes font partie de l’agenda du Gouvernement, et nous les soutiendrons.

Mais la priorité était bien de réformer l’assurance chômage, et ce d’abord pour des raisons de calendrier : les règles qui sont en vigueur devaient être prolongées.

La majorité sénatoriale souhaitait anticiper le retour au paritarisme de gestion. Mon sentiment est qu’il vaut mieux laisser davantage de temps aux partenaires sociaux pour définir les règles qui s’appliqueront à l’avenir. C’est pourquoi la prolongation des règles actuelles jusqu’au 31 décembre 2023 va dans le bon sens : elle donne de la visibilité tant aux partenaires sociaux qu’aux demandeurs d’emploi.

Cette prolongation permet aussi d’anticiper les nouvelles modalités de négociation prévues par le texte. À cet égard, la version issue de la commission mixte paritaire est claire : les partenaires sociaux devront chercher à équilibrer les finances du régime. Tel était l’objet d’un amendement de précision que nous défendions ; je me réjouis donc qu’il figure bien dans le projet de loi.

Certains points du texte ont provoqué quelques interrogations. Je pense notamment à la présomption de démission pour les abandons de poste : si, à titre personnel, je comprends la logique de la mesure, je doute de son effet réel sur le marché du travail… Je crains, je dois l’avouer, qu’elle ne fasse peser sur les PME des risques contentieux plus importants qu’auparavant. Et les distinguos exposés par Mme la ministre quant aux multiples exceptions au principe de la démission présumée – motifs de santé, harcèlement moral, etc. – me font redouter que, à partir d’une bonne idée, on ne finisse par créer une situation où les PME qui ne disposent pas d’un service de ressources humaines subiront le coût d’éventuels contentieux prud’homaux et se retrouveront obligées de se défendre devant la justice.

Je pense également aux refus de CDI en fin de CDD. Le compromis issu de la CMP me semble plutôt modéré. J’espère qu’il suffira pour atténuer ce phénomène, qui désespère autant les chefs d’entreprise souhaitant recruter de façon pérenne que les demandeurs d’emploi cherchant un CDI.

Cela a été dit et répété par Mme la rapporteure pour le Sénat, notre collègue Frédérique Puissat : l’assurance chômage doit rester un filet de sécurité pour les salariés involontairement privés d’emploi. Nous soutenons cette ligne de bon sens.

Concernant la contracyclicité des règles d’assurance chômage et l’application du bonus-malus, c’est au Gouvernement d’agir. Nous espérons qu’il suivra cette ligne, avec un objectif clair : garantir l’équilibre financier du régime et engager le désendettement de l’Unédic.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants votera pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après le vote récent, par le Sénat, d’un amendement de report de l’âge de la retraite, ce volet du projet néolibéral relatif au fonctionnement du marché du travail marque un nouveau recul pour les droits des travailleurs. Il pervertit le système assurantiel en le mettant au service, non de la protection contre le risque de licenciement, mais d’une politique de baisse des allocations visant à affaiblir la capacité des demandeurs d’emploi de négocier des conditions d’emploi dignes.

Ainsi en est-il des dispositions qui ont été introduites au Sénat et validées par la CMP, comme la suppression des allocations après deux refus d’un CDI à l’issue de CDD : en plus d’être une usine à gaz, cette mesure perpétue la politique du soupçon et de la menace envers les chômeurs, accusés de préférer les prestations de chômage au travail, travail par lequel, on feint de l’oublier, ils ont acquis ces droits !

Opposer prestation et travail est un non-sens, mais je vous accorde, mes chers collègues, que cette petite musique de division répétée à satiété par les médias finit par pénétrer les esprits ; la majorité sénatoriale, bien sûr, y contribue, après d’autres, malheureusement…

À la faveur d’un effet de loupe sur une extrême minorité de cas, on prétend justifier un durcissement des modalités d’accès à l’assurance chômage et une diminution des allocations ou de la durée d’indemnisation, qui ont pour effet et, disons-le, pour objet de réduire les marges de manœuvre et d’arbitrage des demandeurs d’emploi en vue de les contraindre à accepter plus vite des emplois de piètre qualité.

Un tel scénario s’est vérifié au Canada, pays qui sert de modèle, où les études ont montré que la contracyclicité et le durcissement de l’accès à l’assurance chômage conduisent les chômeurs à accepter des emplois moins rémunérés, bloquant durablement leurs perspectives d’évolution de carrière.

Voilà quel est l’objectif, avec la baisse des dépenses.

Ce texte offre un blanc-seing au Gouvernement, désormais libre de moduler les règles de l’assurance chômage, après un simulacre de concertation avec les partenaires sociaux, qui sont privés de négociations, car ils sont unanimement opposés à la contracyclicité.

Il faut avancer vite pour libérer le marché du travail et reprendre leurs droits aux travailleurs !

Tout à son objectif d’un « plein emploi » apparent, fixé à 5 % de taux de chômage, le Gouvernement ignore les faits et la recherche.

Il refuse de s’interroger sur les causes réelles des tensions dans certains secteurs.

Répétons-le, en effet, 6 % seulement des 3 millions d’offres déposées auprès de Pôle emploi étaient non pourvues en 2021, soit 186 000 emplois. Or, selon Pôle emploi, « les trois quarts des recruteurs [d’une offre non pourvue] reconnaissent que les conditions de travail du poste proposé peuvent décourager le candidat ». Quant à la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), elle souligne que les difficultés d’embauche dans certains secteurs en tension sont liées aux conditions de travail dégradées et aux salaires insuffisants.

Les offres non pourvues ont donc essentiellement à voir avec la qualité de l’offre, ce qui explique que, comme le note l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les 60 % de chômeurs non indemnisés n’acceptent pas non plus ces emplois.

Cette réforme aggravera la situation de précarité de beaucoup de chômeurs : non, les allocations chômage ne « désincitent » pas au travail ; non, on ne gagne pas plus au chômage qu’en activité !

Selon l’Unédic, les personnes indemnisées par l’assurance chômage perçoivent en moyenne une allocation inférieure au seuil de pauvreté. Sept chômeurs indemnisés sur dix reçoivent une allocation durant moins d’un an. Près de la moitié des bénéficiaires de l’allocation chômage travaillent déjà partiellement et, selon la Dares, le taux de non-recours est compris entre 25 % et 42 %.

Pour eux, comme pour les 2 millions de personnes qui grossissent chaque année les rangs du « halo du chômage », cette réforme n’apporte rien ; elle aggrave leur situation.

En somme, en réduisant le problème du chômage à la notion d’aléa moral et en l’imputant à des comportements individuels calculateurs à la petite semaine, vous refusez de mettre en question ses causes structurelles, qui ont trait à la dégradation des salaires et des conditions de travail ainsi qu’à la perte de sens de nombreux emplois.

Comme l’écrivait le sociologue Charles Wright Mills, « lorsque, dans une nation, plusieurs millions de salariés sont au chômage, on a affaire à un enjeu collectif. L’énoncé correct du problème réclame l’examen préalable des institutions économico-politiques de la société, et non plus des seuls caractères propres aux individus ».

Ce projet de loi aurait pu servir la cause du travail et des droits des travailleurs, mais ses auteurs ont choisi d’endosser le raisonnement partial et intéressé du patronat, qui se lamentera ensuite de la non-motivation des travailleurs que vos réformes auront poussés à accepter des emplois non attractifs…

En France pas plus qu’au Canada, cette réforme ne résoudra la crise de l’attractivité. Le groupe écologiste votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il n’y avait rien d’inéluctable : ce mois-ci encore, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) a reculé de 0,1 point. Ce chiffre corrobore le constat de la création de 84 000 emplois dans le secteur privé au troisième trimestre 2022. Concrètement, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, le taux de chômage est passé de près de 10 % à 7,3 %. Ces résultats sont le fruit des actions menées par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 ; ils démontrent que le plein emploi n’est pas une utopie.

Initialement composé de cinq articles, ce texte s’est enrichi, au cours de la navette parlementaire, de dix articles, parmi lesquels deux ont été adoptés conformes. Treize articles restaient donc en discussion lors de la réunion de la commission mixte paritaire le 9 novembre 2022.

Le chemin vers l’accord en CMP n’était pas tout tracé, et pourtant…

Le compromis trouvé témoigne de la volonté des rapporteurs chargés de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi d’agir en commun pour aller vers le plein emploi. Je salue à cet égard le travail accompli par Mme la sénatrice Frédérique Puissat, M. le sénateur Olivier Henno et M. le député Marc Ferracci.

Notre route est droite et la pente s’adoucit.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est beau ! (Sourires.)

M. Martin Lévrier. L’accord trouvé en commission mixte paritaire, tout en conservant les grands principes du texte initial – je pense notamment à la modulation des indemnités, ou encore au rétablissement de la base légale relative aux conditions requises pour être électeur aux élections professionnelles –, reprend les apports du Sénat sur la gouvernance de l’assurance chômage, sur les incitations à accepter un CDI dans le contexte d’un marché du travail en forte tension et sur la validation des acquis de l’expérience.

La commission mixte paritaire a ainsi acté, d’une part, l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle sur la gouvernance de l’assurance chômage, qui portera notamment sur l’équilibre financier du régime et l’opportunité de maintenir le document de cadrage.

Elle a acté, d’autre part, la suppression de l’allocation chômage après deux refus d’un CDI à l’issue de contrats à durée déterminée ou de missions d’intérim, tenant compte du risque juridique que comportait la différence de traitement entre salariés en CDD et intérimaires.

Par contre, si je me réjouis que la réforme de 2019 ait permis de réduire la part de contrats courts dans les offres d’emploi disponibles, je concède ne pas être convaincu par ce durcissement des règles. Et pour cause, il tend à stigmatiser les personnes qui n’accepteraient pas un contrat à durée indéterminée et laisse à penser que seul ce type de contrat garantit la sécurité de l’emploi. Pourtant, force est de constater que plus de la moitié des CDI sont rompus sous deux ans, preuve que la flexibilité « gagnant-gagnant » est plus efficace que la stigmatisation.

Enfin, la CMP a acté le principe de l’ouverture de la VAE à toute personne dont l’expérience est en lien avec la certification visée : non seulement les proches aidants, dans le domaine médico-social, mais également, entre autres, les bénévoles, qui pourront eux aussi valoriser leurs expériences dans les associations.

En promouvant la VAE au rang de voie de formation à part entière, l’article 4 du projet de loi, considérablement enrichi par le Gouvernement et les parlementaires, vient concrétiser la création d’un véritable service public de la formation. Rappelons que cette réforme a pour ambition d’atteindre l’objectif de 100 000 VAE chaque année, contre 30 000 actuellement.

Vous l’aurez compris, notre groupe se réjouit de l’accord trouvé en commission mixte paritaire, et il en votera les conclusions, issues d’un bicamérisme équilibré, qui évitent un blocage des débats entre nos assemblées. Ce texte tend à répondre à la pénurie de main-d’œuvre en augmentant le nombre de personnes aptes à occuper un métier en tension et en accompagnant les reconversions professionnelles des salariés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du présent projet de loi aura été l’occasion pour le Gouvernement de montrer son vrai visage. Il n’est plus dans le « en même temps » et confirme qu’il n’est ni de gauche ni de gauche !

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’était déjà pas d’accord avec l’évolution de l’assurance chômage résultant de la réforme de 2018. C’est peu de dire que nous sommes aujourd’hui opposés à la radicalisation de ses dispositions et au sort dévolu aux partenaires sociaux !

Le texte dont nous discutons aujourd’hui qui, d’emblée, tournait le dos au paritarisme et dégradait les droits des travailleurs actait dès le début la contracyclicité qui sera inscrite dans le code du travail. Celle-ci a pourtant été un désastre dans les pays qui l’ont pratiquée, comme le Canada. Au vu de l’expérience de ce pays, l’instabilité qu’une telle disposition promet aux travailleurs et l’arbitraire qu’elle ouvre à leur détriment est, pour nous tous, une promesse de difficultés accrues dans de brefs délais.

Ce texte déjà peu enthousiasmant est arrivé au Sénat encore durci par les débats de l’Assemblée nationale. Les apports de la chambre basse aboutissent notamment à considérer comme démissionnaire tout salarié présumé fautif d’un abandon de poste et, ainsi, à le priver de toute indemnisation au titre du chômage.

Cela atteste du choix de gouverner au préjugé, en incriminant le travailleur. Aucune donnée objective, a fortiori chiffrée, n’est avancée pour étayer une telle mesure, ne serait-ce que par les rapporteurs.

Avec une telle disposition, nous risquons de compliquer la mise au jour des raisons pour lesquelles l’abandon de poste aura eu lieu. Ces raisons sont potentiellement liées aux caractéristiques inhérentes au management de l’organisation que le travailleur s’est résolu de quitter ou aux conditions de travail qui lui sont imposées.

De maigres protections ont, certes, été ajoutées dans le texte, mais elles sont très insuffisantes. En tout état de cause, devant les prud’hommes, la charge de la preuve incombera au salarié : cela revient à inscrire dans la loi la logique du pot de terre contre le pot de fer. La procédure sera de facto difficilement opérante au vu des délais et des coûts qu’elle implique.

Cerise sur le gâteau, nous avons toutes les raisons d’estimer que la mesure comporte en réalité pour l’employeur plus de risques juridiques que de garanties, à l’opposé de l’objectif des partisans du dispositif. Sous prétexte de clarifier l’abandon de poste, le régime même de la démission devient en effet équivoque !

Au Sénat, la majorité sénatoriale a encore aggravé le texte, et le Gouvernement a décidé de la suivre.

Les demandeurs d’emploi sont envisagés ici non pas comme des citoyens ayant cotisé à l’assurance chômage de manière à bénéficier d’une indemnisation en cas de perte d’emploi, mais comme des suspects en puissance, des profiteurs qui n’auraient en rien participé au financement d’une assurance perçue comme une manne pour se laisser aller à la paresse.

Il est remarquable que les amendements visant à durcir les conditions faites aux personnes en recherche d’emploi ne soient basés sur aucune – je dis bien aucune – étude rigoureuse donnant une quelconque assise aux projections que traduisent les choix de la majorité et du Gouvernement. Ce qui donne le ton ici, c’est une certaine vox populi, et certainement pas des données fiables.

Le choix de la majorité du Sénat, validée par le Gouvernement, de sanctionner une personne ayant refusé un CDD à trois reprises est ainsi désastreux.

J’ai mentionné au cours des débats l’exemple d’une personne de 50 ans qui, à cause de la fermeture de son entreprise, perdrait son emploi après trente ans de carrière alors qu’elle bénéficiait d’un salaire correspondant à son ancienneté. Cela arrive tout le temps, partout en France. Au bout de quelques mois, n’ayant pas retrouvé d’emploi équivalent à celui qu’elle a perdu, arrivant en fin de droits, cette personne accepte un emploi en deçà de ses aspirations légitimes : un emploi moins rémunéré, moins intéressant ou peut-être difficile, si bien que lorsque l’on va lui proposer un CDD, cette personne ne l’acceptera pas. La situation peut se répéter plusieurs fois avant qu’une occasion permettant une forme de « retour à la normale » pour elle ne puisse enfin être saisie.

À cet âge, n’est-il pas légitime de vouloir disposer de temps pour retrouver un emploi correspondant à une expérience, à des compétences et compatible avec son état de santé ? Je repose la question : qui sommes-nous pour graver dans le marbre des dispositions qui l’interdiront et qui mettront en difficulté des personnes dont nous ne connaissons pas la vie ?

Pour conclure, ce n’est pas légiférer dans un esprit de justice et avec le souci de notre démocratie sociale que de ramener les demandeurs d’emploi à une seule et même entité, à un seul et même préjugé, selon lequel tous seraient peu empressés de retrouver un travail et il faudrait les forcer à revenir vers l’emploi.

Il y aurait sans doute eu de belles choses à faire dans le cadre d’un projet de loi de réforme de l’assurance chômage pour aller vers une assurance chômage négociée par les partenaires sociaux, fondée sur un mécanisme assurantiel, dotée de financements propres et ouverte à ceux qui en sont exclus aujourd’hui. Tel n’est pas le cas ici. Nous nous opposerons donc à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une petite heure a suffi à mettre d’accord le Gouvernement et la majorité sénatoriale sur ce texte censé permettre le plein emploi, mais dont l’objectif principal est la reprise en main de l’assurance chômage par le Gouvernement.

L’article 1er du projet de loi vise à autoriser le Gouvernement à fixer seul, et à la place des organisations syndicales et patronales, les conditions d’indemnisation de l’assurance chômage.

Une telle remise en cause de la gouvernance paritaire marque une nouvelle étape du processus d’étatisation de l’assurance chômage pour moduler l’indemnisation selon la conjoncture économique.

Le Gouvernement module la durée d’indemnisation selon que la situation de l’emploi est au vert, à l’orange ou au rouge. Avec les indicateurs choisis par le Gouvernement, le vert entraînera une réduction de 25 % de la durée des allocations ; pour l’orange, la réduction sera de 15 % ; et si c’est rouge, la durée d’indemnisation sera maintenue. Selon les calculs des organisations syndicales, la modulation entraînera une baisse moyenne de 25 % du nombre de mois d’indemnisation.

Concrètement, un demandeur d’emploi inscrit à partir du mois de février 2023 et ayant bénéficié de vingt-quatre mois d’indemnisation chômage avec les anciennes règles verra ses droits réduits à dix-huit mois. Pour les plus précaires, qui pouvaient bénéficier de six mois d’indemnisation avec les anciennes règles, cela passera à seulement quatre mois. Enfin, les seniors, dont on parle beaucoup en ce moment, qui avaient droit à trente-six mois, chuteront à vingt-huit mois. Cette modulation va précariser davantage les travailleurs et aggraver les disparités géographiques.

Cette loi, véritable coup de force sur la démocratie sociale, s’accompagne d’une remise en cause du principe d’égalité. Cette atteinte grave aux droits des salariés a été rendue possible grâce à la droite sénatoriale, qui a obtenu en contrepartie de son soutien des régressions sociales majeures.

Les Républicains ont obtenu l’encadrement de l’abandon de poste. Désormais les salariés qui abandonnent leur poste seront considérés comme présumés démissionnaires. Ils perdront par conséquent le bénéfice de l’indemnisation chômage. Bravo !

Je rappelle simplement que ni le ministère du travail ni Pôle emploi ne disposent d’études statistiques et d’études sur les abandons de postes en France. Cette disposition repose uniquement sur une instrumentalisation de l’abandon de poste par certains employeurs. Surtout, elle crée une procédure déséquilibrée pour les salariés et totalement inadaptée à la réalité de la justice prud’homale.

Enfin, le Gouvernement a accepté de supprimer l’indemnisation chômage des salariés en CDD ou en contrat de mission qui refusent deux contrats à durée indéterminée.

Après avoir favorisé et financé par des milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales les contrats courts, la droite sénatoriale et le Gouvernement pénalisent aujourd’hui celles et ceux qui refusent un contrat à durée indéterminée. Encore une fois, bravo !

Le député Marc Ferracci, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, a lui-même reconnu que les abandons de poste et les refus de CDI étaient des situations non massives. Pourquoi pénaliser des comportements minoritaires ?

Avec ce texte, vous inversez le sens même de l’assurance chômage, dont l’objectif est de protéger les salariés contre la perte de leur travail. Désormais, ce sont les employeurs qui sont protégés contre les salariés du choix de leur contrat de travail !

En conclusion, ce projet de loi constitue une attaque contre les droits des travailleurs et des chômeurs. Il nous donne un avant-goût des mauvais coups à venir de la part du Gouvernement, qui pourra désormais compter sur la droite au Sénat pour conserver une majorité parlementaire.

Les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste défendent, vous le savez, un autre projet de société reposant sur une véritable sécurité sociale professionnelle. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Monique Lubin applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi avant toute chose de saluer ma complice Frédérique Puissat, énergique rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Nos discussions ont été amicales, presque fraternelles, et empreintes de vérité. Les échanges avec Marc Ferracci ont été « virils, mais corrects », comme on dit au rugby.

Nous avons abouti à un projet de loi équilibré. C’est le meilleur texte possible ; il est adapté aux réalités du quotidien. Les tensions sur le marché du travail sont importantes. De nombreuses entreprises ne peuvent pas répondre à tous les marchés auxquels elles pourraient prétendre par manque de personnel. Certains restaurants ferment plus tôt.

Le projet de loi est un texte empreint de pragmatisme. Il ne s’agit en aucun cas pour nous de défendre une position morale ; le texte vise plutôt à adapter notre législation à la réalité du marché du travail. Il importe de mettre en place dans notre pays des incitations plus fortes au travail tout en prévoyant, bien sûr, une juste rémunération. La question de valeur travail a été au cœur de nos discussions tout au long de l’examen du texte.

Au-delà, notre marqueur est la défense du paritarisme, conformément à l’ADN du Sénat, mais aussi des groupes UC et LR. Nous soutenons l’idée que le paritarisme est l’un des piliers du modèle français de solidarité, qu’il s’agisse de l’assurance chômage, de la retraite ou de la protection sociale. Le modèle français de protection sociale, ce n’est pas l’étatisation !

Autre marqueur pour nous, l’assurance chômage doit, certes, protéger des accidents, mais elle n’a pas non plus vocation à protéger de toutes les situations de la vie. Il n’y a rien de choquant à assimiler un abandon de poste à une démission. De la même manière, il n’est pas illégitime de s’interroger en cas de deux refus consécutifs de CDI. Toutes ces mesures sont mises en place au bénéfice des salariés, qui sont les principaux contributeurs de l’assurance chômage : l’argent ne tombe pas du ciel !

La commission mixte paritaire a conservé l’assouplissement des règles du CDI intérimaire, introduit par la commission des affaires sociales du Sénat.

Nous pouvons également nous réjouir que soit maintenu l’article issu d’un amendement de notre collègue Philippe Bas, visant à introduire un parallélisme des procédures en cas d’indemnisation du chômage d’un ancien agent par une collectivité territoriale. Nous n’avons pas oublié que le Sénat représentait les territoires et les collectivités !

En matière d’élections professionnelles, le Sénat avait introduit, sur l’initiative de Catherine Procaccia, un article visant à sécuriser la mesure de la représentativité des organisations syndicales dans les branches de l’enseignement privé. La commission mixte paritaire a conservé l’essentiel du dispositif.

Je m’arrêterai sur les dispositions relatives à la validation des acquis de l’expérience, que j’ai tout particulièrement suivies en tant que rapporteur. Je salue vos propos sur la VAE, madame la ministre.

Le Sénat avait souhaité s’inscrire dans la démarche engagée par le Gouvernement et par l’Assemblée nationale, qui visait à donner un nouveau souffle à la VAE en la rendant plus accessible et en renforçant l’accompagnement des candidats.

Dans cette perspective, nous avons souhaité sortir d’une approche par statut en posant le principe d’une VAE ouverte à toute personne dont l’expérience est en lien avec la certification visée. La commission mixte paritaire a conservé cet apport du Sénat à l’article 4, ce qui permettra d’éviter les risques d’exclusion de certaines personnes.

Les missions du groupement d’intérêt public national créé pour mettre en œuvre le service public de la VAE devront être assurées en tenant compte des besoins en qualifications selon les territoires, comme nous l’avions souhaité.

Enfin, le Sénat avait introduit, sur l’initiative du Gouvernement, un article 4 bis visant à prévoir l’expérimentation d’une VAE « inversée », qui permettra de combiner, dans le cadre de contrats de professionnalisation, formation en alternance et parcours de VAE.

La VAE est un sujet dont nous n’avons pas fini de parler. On l’aborde souvent sous l’angle des aidants et des proches aidants. Certes, cela les concerne. Mais c’est une grande thématique, qui inclut aussi la question de la formation à tous les âges de la vie. Il y a, certes, la formation initiale et la formation continue, mais il y a aussi la valorisation des acquis de l’expérience !

Au Danemark, plus de 30 %, voire parfois plus de 50 % des personnes se forment jusqu’à l’âge de 65 ans. Au moment où nous nous interrogeons sur les questions de retraites et d’emploi des seniors, la formation tout au long de la vie est un enjeu majeur. La VAE doit permettre à chacun d’aller plus loin en matière de formation.

Nous voterons évidemment ce texte, car il fait œuvre utile ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin de l’examen du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, après la commission mixte paritaire du 9 novembre dernier.

Force est de reconnaître qu’au moment de l’inscription de ce texte à l’agenda parlementaire, le choix des mots opéré par le Gouvernement pour le qualifier nous a paru ingénieux, dans l’optique de conquérir une adhésion massive. Qui peut donc bien s’opposer publiquement à l’aspiration au plein emploi ? Peu de monde !

Toutefois, nous avons rapidement saisi qu’il s’agissait en réalité du commencement d’une série de réformes d’ampleur visant le marché du travail.

Bien que l’intention soit partagée par bon nombre d’entre nous sur ces travées, il aurait été préférable que nous puissions aborder ces travaux avec un peu plus de transparence sur les étapes qui doivent suivre dans les prochains mois. Bien que nous progressions dans un contexte incertain affectant les projections économiques, l’exposition initiale d’une feuille de route claire aurait certainement suscité des débats plus sereins, notamment avec les partenaires sociaux : syndicats professionnels et organisations patronales.

Au-delà des considérations sur la méthode, nous souhaitons saluer l’investissement de chacun pour que le chômage de masse ne soit plus une fatalité, comme l’a exprimé ma collègue Maryse Carrère en première lecture.

Nous parvenons à reconnaître que la principale disposition inscrite à l’article 1er permettra de préserver le système d’assurance chômage pendant une période transitoire durant laquelle une phase de concertation, puis de négociation sur les règles de gouvernance s’ouvrira avec les partenaires sociaux. Cela octroiera une certaine agilité au Gouvernement pour disposer d’une base permettant d’intégrer dans le futur décret les modulations des règles d’indemnisation tenant compte de la conjoncture économique. Quoi qu’il en soit, la prudence que nous exprimions à l’origine sur le potentiel détricotage de la gestion paritaire du régime d’assurance chômage reste d’actualité.

M. le ministre Olivier Dussopt s’est engagé devant les députés à ne pas modifier les conditions d’affiliation au système de l’assurance chômage et à ne pas diminuer le nombre de personnes éligibles à l’ouverture des droits. C’est naturellement une bonne nouvelle. Ainsi, la durée de six mois travaillés au cours des vingt-quatre derniers mois, issue de la réforme de 2019, est maintenue.

Nous en sommes conscients, la présomption de démission pour les salariés en abandon de poste, qui les prive de l’accès à l’indemnisation chômage, est une mesure qui répond à une préoccupation de terrain. Les apports du Sénat tendent à sécuriser le dispositif pour que le salarié puisse contester la rupture de contrat devant le conseil des prud’hommes. Soyons tout de même attentifs à ce que le jugement prononcé soit le plus rapide possible, car les salariés ne doivent pas être laissés dans l’intervalle dans une situation précaire !

Par ailleurs, la majorité sénatoriale aura réussi, dans le cadre d’un compromis avec le Gouvernement, à mettre en place l’absence d’indemnisation en cas de refus d’un contrat de travail à durée indéterminée après un CDD. Cette mesure constitue selon nous une véritable usine à gaz : au regard d’une procédure de vérification alambiquée, sa mise en œuvre risque d’être compliquée.

Le groupe du RDSE se félicite en revanche de la réforme de la validation des acquis de l’expérience, qui permet à toute personne d’obtenir une certification, un véritable diplôme, grâce à son expérience. La VAE ne s’est pas suffisamment imposée dans le paysage de la formation professionnelle. Or il s’agit d’un outil permettant de réaffirmer que l’acquisition de compétences techniques dans le cadre d’une activité professionnelle est tout aussi intéressante que la validation d’une formation initiale.

Pour conclure, nous partageons l’idée que les droits sociaux des travailleurs et des demandeurs d’emploi doivent pouvoir être préservés, sous le regard attentif d’instances de dialogue social sanctuarisées et pérennes.

Néanmoins, nous sommes quelques-uns au sein de notre groupe à éprouver un sentiment d’inachevé et à rester sur notre faim quant à la propension de ce projet de loi à répondre de manière ambitieuse aux besoins des plus exposés aux risques sociaux, en particulier au chômage, de même qu’aux besoins des secteurs d’activité qui éprouvent des difficultés de recrutement.

Ainsi, en fidélité avec leur tradition de liberté du vote, les membres du RDSE feront des choix pluriels au moment de se prononcer sur le texte.

Mme le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’accord trouvé en commission mixte paritaire a permis au Sénat d’élargir l’ambition du présent projet de loi.

Nous avons tout d’abord souhaité rétablir le respect du paritarisme, mis à mal par la réforme de 2018. La loi du 5 septembre 2018 dessaisit en effet en grande partie les partenaires sociaux de leurs pouvoirs, selon des règles strictement définies par le Gouvernement.

Le texte adopté en commission mixte paritaire vise donc à prévoir l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle l’année prochaine, qui portera sur la gouvernance de l’assurance chômage, ainsi que sur les conditions de l’équilibre financier du régime. Le document d’orientation transmis pour la négociation invitera par ailleurs les partenaires sociaux à négocier sur l’opportunité de maintenir le document de cadrage issu de la réforme de 2018. Il est en effet nécessaire de tirer les leçons de l’échec de cette réforme.

Le projet de loi a ainsi pris une direction imprévue, engageant une vraie réflexion sur la gouvernance de l’assurance chômage, dans un esprit opposé à l’étatisation du régime.

Par ailleurs, lors de ses débats, le Sénat s’est attaché à protéger les droits des demandeurs d’emploi en garantissant le fait que les indemnités chômage seront octroyées de manière équitable.

Nous avons validé et sécurisé le dispositif introduit par l’Assemblée nationale sur les abandons de poste, qui sont présumés être des démissions. En effet, sauf motif légitime, l’arrêt volontaire de travail ne doit pas pouvoir donner lieu à une indemnisation au titre du chômage.

Nos rapporteurs ont également souhaité traiter la question des refus répétés d’offres d’emploi. La commission des affaires sociales avait prévu que ne puisse être ouvert le bénéfice de l’allocation d’assurance chômage au salarié qui aurait refusé un CDI à trois reprises, la même année, à la suite d’un CDD. Le constat de nombreux refus d’emplois stables à l’issue de missions d’intérim nous avait également conduits en séance à supprimer l’indemnisation de l’intérimaire refusant de poursuivre son activité en CDI.

Je tiens à féliciter nos rapporteurs Frédérique Puissat et Olivier Henno, qui ont su parvenir à un compromis en commission mixte paritaire sur ce sujet sensible. En accord avec les députés, ils ont fixé à deux le nombre de refus ne pouvant être considérés comme acceptables.

Il ne s’agit pas de sanctionner l’abandon de poste ou le refus d’un CDI. Il s’agit de faire respecter la nature assurantielle du régime d’assurance chômage. Dans le cadre de ce régime, les indemnités chômage ne peuvent s’adresser qu’aux personnes involontairement privées d’un accès à l’emploi.

Ainsi que l’a indiqué notre rapporteur Frédérique Puissat, à partir du moment où nous avons adopté ces dispositions, elles devront entrer en application. Il vous appartiendra, madame la ministre, d’accompagner les chefs d’entreprise pour leur éviter une surcharge administrative.

De même, vous aurez la responsabilité de mettre en œuvre le principe de modulation que nous avons souhaité inscrire en toutes lettres dans le projet de loi.

L’existence de nombreux emplois non pourvus et les difficultés financières du régime justifient que les règles d’indemnisation soient adaptées à la situation économique en cours, sous réserve que soient trouvés les bons paramètres de cette modulation. Nous serons donc particulièrement attentifs aux conclusions que vous rendrez sur ce point le 21 novembre prochain.

Comme l’indique son intitulé, le projet de loi vise à atteindre le plein emploi. Je tiens à souligner les apports du Sénat en ce sens, qu’il s’agisse des précisions sur l’expérimentation du CDD multi-remplacement ou du déplafonnement de la durée du CDI intérimaire.

Concernant la problématique des contrats courts, nous regrettons que la réunion en commission mixte paritaire n’ait pas permis de recentrer comme nous le souhaitions le dispositif de bonus-malus sur les cas de contrats précaires initialement visés. À un moment où les charges pèsent particulièrement sur les entreprises, il nous semblait également nécessaire de revoir le taux de leur taxation, ce que n’ont pas souhaité les députés de la majorité.

Enfin, afin de renforcer l’accès à l’emploi, le Gouvernement a souhaité créer un service public de la validation des acquis de l’expérience. Lors de l’examen du texte, nous avons décidé de l’ouvrir à tous, supprimant les aléas de statut et simplifiant davantage les procédures.

En conclusion, ce projet de loi n’est pas un texte décisif pour atteindre le plein emploi. Son ambition première était d’ailleurs d’assurer la continuité du régime d’assurance chômage au-delà du mois de novembre.

Le travail de nos rapporteurs, que je tiens tout particulièrement à saluer, a permis d’étoffer le texte en prônant le respect du travail, la protection de notre régime d’assurance chômage et la défense du paritarisme. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)

Mme le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements de la commission, l’ensemble du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l’adoption 242
Contre 91

Le Sénat a adopté définitivement.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi
 

7

Mise au point au sujet de votes

Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour une mise au point au sujet de votes.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, lors du scrutin n° 55, portant sur l’ensemble de la proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, portant sur le développement économique de la filière du chanvre en France et l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre, les membres du groupe du RDSE souhaitaient voter pour.

Mme le président. Acte vous est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

8

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce rappel au règlement est fondé sur l’article 29 bis du règlement du Sénat.

Voilà deux mois, le 16 septembre dernier, la jeune Iranienne Masha Amini a été assassinée par la police du régime des mollahs. Depuis lors, on compte des centaines de morts et de blessés, et plus de 15 000 jeunes gens sont emprisonnés. Des procès ont lieu sans avocat, et les premières condamnations à mort ont été prononcées à l’encontre de personnes incarcérées.

L’Iran pleure aujourd’hui Kian Pirfalak, un enfant de 10 ans mort d’une balle dans la tête en rentrant de l’école.

Les responsables iraniens assassinent leur jeunesse sous nos yeux. C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, je souhaite que notre Haute Assemblée puisse manifester son soutien avec les Iraniennes et les Iraniens qui luttent aujourd’hui pour leur liberté et qu’elle organise aussi tôt que possible après la session budgétaire un débat sur cette question, qui me semble extrêmement importante. (Applaudissements.)

M. le président. Ma chère collègue, nous partageons votre émotion. Nous avons eu un débat le 5 octobre dernier sur la situation en Iran, et nous notons votre souhait, que nous soutenons, d’en organiser un nouveau sur cette question dès que la session budgétaire sera achevée.

À titre personnel, je suis avec beaucoup d’attention la situation que subissent dans ce pays les hommes et les femmes.

Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

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Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2023

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2023 (projet n° 114, rapport général n° 115, avis nos 116 à 121).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le ministre, cher Gabriel Attal, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver pour vous présenter ce projet de loi de finances.

Je suis revenu ce matin de Bali, où s’est tenu le G20, auquel j’accompagnais le Président de la République, à un moment où les nuages s’accumulent sur l’économie mondiale.

Le risque principal est identifié : un conflit qui dure en Ukraine et crée de l’incertitude pour tous les acteurs économiques, sans exception. La traduction de ce risque, nous la connaissons depuis plusieurs mois : c’est une inflation élevée qui pénalise nos compatriotes et nos entreprises, et qui inquiète profondément la société française.

L’inflation a d’abord touché les prix du gaz et de l’électricité, qui ont été multipliés par cinq, six ou sept, puis s’est étendue aux prix alimentaires, c’est-à-dire à la vie la plus quotidienne de nos compatriotes.

S’il n’y avait qu’un seul chiffre découlant de la guerre en Ukraine à retenir, ce serait celui-ci : le choc énergétique représente désormais plus de 3 % de la richesse européenne, qui a quitté le continent européen pour aller vers les pays producteurs de pétrole et de gaz ; cela représente 1 000 euros par citoyen européen. L’Europe en a été privée au profit des producteurs de pétrole et de gaz. Il y a donc urgence à maintenir une politique qui nous permettra de ramener l’inflation à un niveau plus raisonnable en 2023.

Dans ce contexte économique difficile, l’économie française résiste, avec une croissance positive au troisième trimestre, avec un investissement des entrepreneurs toujours dynamique, avec un chômage qui a encore continué de baisser le mois dernier, et avec une attractivité qui se maintient parce que nous avons conservé, avec constance, les mêmes lignes de politique économique.

Qui aurait imaginé voilà seulement quelques années que la capitalisation boursière de la place de Paris serait plus importante que celle de la place de Londres ? C’est chose faite aujourd’hui. Et c’est le résultat de la constance de la politique économique et fiscale que nous avons menée depuis plus de cinq ans avec le Président de la République. (M. Jérôme Bascher manifeste son scepticisme.)

Dans ce contexte de forte inflation, la priorité du gouvernement français, celle qui se lit dans le projet de loi de finances (PLF) que nous vous présentons avec le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, est de protéger les ménages et les entreprises contre les conséquences de l’inflation.

Nous maintenons pour l’année 2023 un bouclier énergétique qui permettra d’éviter aux ménages de payer une facture de 180 euros ou 200 euros en plus par mois.

Nous continuons à aider les entreprises et nous allons déployer de nouvelles aides, sur lesquelles je reviendrai.

Nous avons mis en place un chèque énergie.

Nous proposons une aide complémentaire pour ceux qui se chauffent au fioul, en plus de toutes les mesures d’indexation sur l’inflation que nous avons prises, concernant les pensions de retraite, le salaire minimal, qui a dépassé les 8 % d’augmentation depuis plus d’un an, ou les minima sociaux.

Mais je veux être clair avec vous. En 2023, nous passerons à des aides plus ciblées. En 2023, le ciblage des aides, pour les ménages comme pour les entreprises, devra être la règle. Pourquoi ?

D’abord, c’est une question de justice. Cibler les aides, c’est aider non plus tout le monde de manière indifférenciée, mais ceux qui en ont le plus besoin : les ménages qui ont les revenus les plus faibles, les familles qui sont le plus en difficulté, les entreprises qui ne peuvent pas répercuter l’augmentation de leurs coûts énergétiques sur le niveau de leurs ventes ou leurs prix.

Ensuite, nous devons prendre conscience que le choc énergétique n’est pas transitoire ; il est structurel. Par conséquent, nous devons nous adapter à ce nouvel environnement énergétique lié à la guerre en Ukraine et à la transition climatique. Il faudra donc, à un moment donné, que les prix du gaz et de l’électricité en France rejoignent les prix de marché. Nous préférons le faire de manière progressive, en fixant le cap très clairement vis-à-vis de nos compatriotes, plutôt que manière brutale.

Mon intervention est donc l’occasion de dire avec beaucoup de clarté que nous commencerons, à partir du début de 2023, à mieux cibler les aides, pour faire face à un choc énergétique qui est structurel et pour permettre – j’y insiste – aux prix en France de retrouver les prix de marché. Cela nous conduira à augmenter les prix du gaz et de l’électricité de 15 % au début de l’année 2023 et à mettre fin à la remise de 30 centimes d’euro sur les carburants.

Cela n’exclut pas, tant s’en faut, d’aider ceux qui en ont le plus besoin, de soutenir ceux auxquels il faut impérativement un véhicule pour se rendre sur leur lieu de travail. Ainsi, d’une aide massive, qui concerne tout le monde et qui, par conséquent, n’est pas nécessairement la plus juste ou la plus efficace, nous allons passer à une aide plus ciblée vers les ménages qui en ont réellement besoin et vers ceux qui vont travailler : apprentis, aides-soignantes, commerçants, artisans, notamment ceux du bâtiment et des travaux publics qui sillonnent les routes de France et n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule.

Je le répète, le ciblage doit donc être la règle pour qu’en France, les prix de l’électricité et du gaz, et les prix de l’énergie de manière générale, retrouvent les prix de marché, afin d’accompagner la sortie de crise en 2023. (M. Fabien Gay sexclame.)

Nous aiderons également – je l’ai indiqué – les entreprises.

L’ensemble du Gouvernement entend les inquiétudes de toutes les entreprises, petites ou grandes, qui voient exploser le montant de leurs factures d’électricité ou de gaz. Je veux leur dire avec beaucoup de gravité que nous les avons toujours soutenues pendant la crise du covid-19 et lorsqu’il s’est agi de faire face aux difficultés conjoncturelles. Dans les bons jours comme dans les mauvais, nous continuerons à soutenir notre tissu industriel, notre tissu économique, nos petites et moyennes entreprises (PME), nos très petites entreprises (TPE) et nos entreprises industrielles.

Nous le ferons d’abord de manière structurelle, en vous proposant la suppression définitive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), à laquelle nous procéderons en deux fois, à hauteur de 4 milliards d’euros en 2023, puis de nouveau de 4 milliards d’euros en 2024, pour soutenir la compétitivité de nos entreprises industrielles.

J’entends tous ceux qui nous disent que les Allemands font plus pour leurs entreprises et que les Américains protègent plus leur secteur industriel. Je les invite donc à soutenir une baisse des impôts de production qui permettra aux PME industrielles de gagner en compétitivité et de retrouver le niveau d’excellence qui doit être le leur.

Nous le ferons ensuite de manière conjoncturelle, face à l’augmentation des prix de l’électricité et du gaz et à l’explosion des factures de certaines entreprises.

Nous protégerons d’abord les plus petits, conformément à l’exigence de justice dont je viens de vous faire part. Les TPE bénéficieront du même bouclier que les ménages.

Nous protégerons ensuite les PME, notamment celles qui sont inquiètes de devoir payer des montants extrêmement élevés. Elles auront accès dans les tout prochains jours à un guichet qui leur permettra d’alléger leurs factures. Puis, en 2023, les PME auront droit à une remise directe sur leurs factures pour amortir le choc énergétique.

Les PME bénéficieront donc d’une protection globale représentant 3 milliards d’euros au minimum d’aides publiques, ce qui fera baisser de 20 % en moyenne leurs factures.

Nous protégerons également les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les entreprises énergo-intensives, car c’est là où le ciblage est le plus nécessaire. Nous devons tout faire pour leur apporter des aides, qui iront jusqu’à 150 millions d’euros, afin d’éviter les délocalisations, les ralentissements de production et les fermetures d’usines que beaucoup d’entre vous redoutent.

Nous avons conscience de la difficulté. Je me suis battu pour obtenir une simplification des aides ; nous l’avons obtenue. Je me suis aussi battu pour que le montant maximum des aides passe de 100 à 150 millions d’euros : nous l’avons également obtenu.

Nous ne laisserons tomber aucun site industriel français, car il y va de la reconquête industrielle que nous avons engagée avec le Président de la République et le Gouvernement depuis plus de cinq ans. Elle donne des résultats et nous permet, enfin, de recréer des emplois industriels dans notre pays.

Quand ces aides seront-elles disponibles ? Dans les prochains jours !

Comment seront-elles versées ? Sous forme de guichet ou d’aides directes au paiement des factures des PME !

Certains me demandent si ces mesures sont suffisantes par rapport à celles qui sont prévues par l’Allemagne. Je comprends parfaitement cette question, qui a été soulevée notamment par les représentants des chefs d’entreprise.

J’aurai l’occasion de m’entretenir dès le début de la semaine prochaine avec le ministre de l’économie allemand, Robert Habeck. Mais une chose est claire : nous sommes dans un marché unique ; toutes les entreprises sont donc soumises aux mêmes règles et aux mêmes obligations.

Je veux donc le dire avec beaucoup de force : face à la crise énergétique, les entreprises françaises seront aussi bien défendues et protégées que les entreprises allemandes. Je rappelle d’ailleurs à ceux qui l’auraient oublié que, pour la moitié de leurs factures, les entreprises françaises continuent de bénéficier d’une électricité nucléaire à bas coût, via l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), ce qui représente un avantage compétitif significatif.

Enfin, le ciblage répond à une toute dernière exigence, non négligeable, et que Gabriel Attal et moi-même défendons avec beaucoup de fermeté : le rétablissement des finances publiques, auquel je sais que les sénatrices et les sénateurs sont particulièrement attachés.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous voulons tenir nos objectifs de réduction des déficits et de la dette.

Nous tiendrons les objectifs qui ont été fixés de baisse de la dette à partir de 2026 et de retour sous les 3 % de déficit en 2027.

J’ai vu qu’un certain nombre de sénateurs avaient proposé, dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, d’aligner les objectifs de réduction des dépenses en volume de l’État sur les objectifs de réduction des dépenses en volume des collectivités locales. Ainsi, État et collectivités locales seraient traités de la même manière, avec –0,5 % de dépenses en volume sur la durée du quinquennat. J’accueille favorablement cette proposition, qui est un signe d’équité et qui traduit la volonté du Sénat de rétablir dans les meilleurs délais possible nos finances publiques.

Il reste à nous entendre sur le montant précis de dépenses publiques que cela représente. Je sais que Gabriel Attal et moi-même aurons avec vous un débat constructif sur le sujet. Vous avez réussi à trouver un accord, ce dont je me félicite, sur le vote du projet de loi de finances rectificative. Je souhaite que nous puissions, dans cette voie du compromis, trouver également un accord sur la loi de programmation des finances publiques.

Vous me permettrez de tirer des leçons plus globales du G20, auquel j’ai participé aux côtés du Président de la République au cours des quatre derniers jours. Elles sont au nombre de quatre.

Premièrement, aucun État – certainement pas l’Europe, certainement pas le continent africain – ne sera dans la même situation à l’issue de la guerre en Ukraine.

L’Europe, d’abord, prend crûment conscience, à l’occasion de cette guerre, que la dépendance énergétique n’est pas une option et qu’elle doit bâtir son indépendance énergétique pour garder son rang économique et éviter des dépenses publiques d’un montant inacceptable bénéficiant à des pays producteurs d’énergies.

Le continent africain, ensuite, est le plus touché par l’explosion des prix alimentaires, l’inflation et le risque de pénuries alimentaires.

Je rappelle que le G20, sous l’impulsion du Président de la République, a condamné l’agression russe. Cette guerre contraire au droit international a fait dérailler une reprise économique qui allait dans la bonne direction. Elle aura donc, je le redis, des conséquences structurelles sur la répartition des forces économiques dans le monde.

Deuxièmement, personne, aucun État – ni la Chine ni nos alliés américains – ne fera de cadeau à l’Europe.

Nous devons donc, nous, Européens, faire bloc face à la détermination de la Chine d’affirmer son leadership économique, et face à la volonté économique américaine de défendre ses intérêts économiques et industriels, notamment via l’Inflation Reduction Act (IRA).

L’Europe doit faire bloc. Des divisions européennes dans ce contexte ne seraient pas simplement incompréhensibles ; ce serait de l’inconscience !

Chacun désormais dans le monde défend ses intérêts, notamment économiques, et les défend brutalement. L’Europe doit apprendre à les défendre aussi, sinon brutalement, du moins avec la plus grande fermeté.

Troisièmement, personne ne pourra ralentir la nécessité de la transition énergétique.

La transition énergétique n’est pas le problème ; elle est la solution.

Elle est la solution, d’abord, pour les pays en développement, qui doivent passer du charbon à des énergies renouvelables et bénéficier pour cela, si nous voulons vraiment atteindre nos objectifs climatiques, du soutien financier et technologique des pays développés. C’est ce que nous avons fait avec Emmanuel Macron en proposant qu’un fonds accompagne le développement des énergies renouvelables dans les pays en développement. Encore une fois, c’est la condition pour atteindre nos objectifs climatiques.

La transition énergétique est la solution, ensuite, pour nous, qui sommes une grande puissance industrielle. En effet, l’accélération de la transition énergétique en France, que porte et défend la Première ministre depuis plusieurs mois, représente plus d’indépendance, des technologies de pointe, de la puissance économique, du rayonnement et de l’efficacité. Nous devons donc nous engager avec la plus totale détermination et au rythme le plus rapide possible dans la transition énergétique.

L’énergie sera la grande question économique du XXIe siècle. Elle doit être disponible, décarbonée, et à un coût raisonnable. Les États qui l’auront compris gagneront au cours du XXIe siècle. Et ceux qui ne l’auront pas compris seront marginalisés.

Quatrièmement, aucun État ne peut se détourner du sort des pays les plus pauvres, en particulier des États africains.

Pendant la crise du covid-19, j’avais eu l’occasion de rappeler à cette même tribune que, pour compenser l’effondrement de l’économie dans le monde, les pays développés avaient consacré jusqu’à 25 % de leur richesse nationale au soutien de leurs entreprises, des salariés et de l’économie. Dans les pays en développement, ce taux est inférieur à 3 %.

Et voilà que ces pays subissent un deuxième choc du fait de l’augmentation des prix, de l’inflation, du risque de crise alimentaire, derrière lesquels se profile – nous le savons tous – le risque de crises migratoires et de désordres politiques. Je suis fier que la France, par la voix du Président de la République, ait porté haut et fort lors du G20 cette exigence de soutien aux pays africains ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Discussion générale (suite)

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Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune

M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes très heureux d’accueillir dans notre tribune, dans le cadre de la journée européenne de sensibilisation au handicap, dite DuoDay, des personnes en situation de handicap qui vont découvrir le fonctionnement de notre institution auprès de plusieurs de nos collègues, comme ils l’ont fait ce matin à la présidence du Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Le Sénat est pleinement mobilisé pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail, notamment au travers de ces journées d’échanges, qui constituent un moment privilégié pour changer de regard et, ensemble, dépasser nos préjugés.

Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite la plus cordiale bienvenue, ainsi qu’à ceux qui les accompagnent. (Applaudissements prolongés.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
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Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2023

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Discussion générale (suite)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Exception d'irrecevabilité

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Bruno Le Maire, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite à mon tour saluer l’initiative du DuoDay, qui s’inscrit dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Nous sommes tous ici très attachés à cet enjeu.

Vous me permettrez donc d’avoir un mot particulier pour deux conseillers qui sont au banc du Gouvernement aujourd’hui : Khalil Ibrahim Hamzaoui, mon « duo », qui est docteur en informatique et qui a fait le tour de France en fauteuil roulant, parcourant ainsi 3 000 kilomètres (Applaudissements.), et Arnaud Boeglin, qui accompagne Bruno Le Maire.

Nous étions réunis ici hier soir pour examiner le deuxième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour cette année 2022. Je tiens à remercier l’ensemble des sénateurs qui étaient présents de la qualité des échanges que nous avons eus.

Je l’ai dit, et Bruno Le Maire vient de le rappeler, au vu de la situation économique de notre pays, le climat d’incertitude dans lequel nous devons évoluer est réel ; je n’y reviendrai pas.

Hier soir, cet hémicycle a voté pour donner aux Français des moyens supplémentaires de combattre la vie chère.

Avec l’ouverture de ces 2,5 milliards d’euros, nous allons aider les Français à se chauffer et à se déplacer et nos étudiants et chercheurs à travailler dans de bonnes conditions. Nous allons financer la bataille en faveur du plein emploi et poursuivre notre engagement sans faille aux côtés du peuple ukrainien. Tout cela, nous le ferons en tenant l’objectif de déficit que nous avions fixé pour 2022, car il est hors de question – Bruno Le Maire l’a souligné – de laisser déraper nos comptes.

Je sais évidemment que l’adoption de cette loi financière n’efface en rien les clivages qui nous séparent. J’ai conscience que nous aurons, durant la discussion qui s’ouvre, un débat extrêmement nourri sur un certain nombre de sujets. Je pense notamment à la suppression de la CVAE et, aussi, aux modalités du filet de sécurité que nous allons mettre en place pour protéger les collectivités qui en ont besoin face à la flambée des prix de l’énergie.

L’année qui s’achève a été celle d’un choix politique et économique extrêmement clair : protéger les ménages, les entreprises et les collectivités locales face à la hausse des prix. C’est un choix de justice, mais aussi d’efficacité.

Cette stratégie est efficace, parce qu’il vaut mieux investir pour préserver que payer pour réparer.

Le budget que nous présentons pour l’année prochaine traduit la continuité de cette stratégie sans jamais perdre de vue que l’argent public est l’argent des Français et que chaque euro investi doit être un euro efficace.

Mais protéger les Français, ce n’est pas se satisfaire d’une politique du chèque ou d’une vision court-termiste. C’est assumer qu’il faut à la fois répondre aux urgences du quotidien, financer l’action publique, préparer l’avenir et protéger nos comptes.

C’est autour de ces quatre axes que s’articule notre action, et il n’y a pas à choisir parmi ces objectifs, même s’ils peuvent parfois sembler contradictoires. Car, en réalité, il faut tout mener de front.

Le premier axe de ce projet de loi de finances est de répondre à l’urgence de la fin du mois, dans un contexte où l’inflation demeure à un niveau élevé, +6,2 % au mois d’octobre 2022 par rapport à son niveau d’octobre 2021.

Répondre à l’urgence, nous le faisons avec le maintien des boucliers énergétiques l’année prochaine, tout en prévoyant une hausse contenue à 15 %. Concrètement, si cette mesure n’était pas votée, dès le début de l’année prochaine, un ménage chauffé à l’électricité payerait en moyenne 121 euros de plus par mois, tandis qu’un ménage chauffé au gaz verrait ses factures alourdies, également en moyenne, de 185 euros par mois.

Répondre à l’urgence, nous le faisons aussi avec l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu. Bien sûr, c’est un ajustement qui est fait chaque année. Mais lorsque l’inflation dépasse les 5 %, chacun comprendra que la décision n’a pas la même portée ; lors de certaines années, d’ailleurs, nous n’avons pas procédé à cette indexation.

Le coût de cette mesure témoigne de sa portée, puisque ce sont 6,2 milliards d’euros que nous rendons aux Français ou – pour être plus précis – auxquels nous renonçons pour préserver leur portefeuille.

Oui, nous voulons continuer à redonner du pouvoir d’achat aux Français. Je veux d’ailleurs souligner que, parmi les amendements retenus en première lecture dans le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, figurent un certain nombre de mesures qui vont redonner de l’oxygène au pays.

Redonner de l’oxygène à ceux qui travaillent, avec la hausse de la valeur faciale des titres-restaurants de 11,84 à 13 euros.

Redonner de l’oxygène aux parents qui doivent faire garder leurs enfants, avec la hausse de 50 % du plafond du crédit d’impôt pour garde d’enfants, porté à 3 500 euros.

Redonner de l’oxygène à nos entrepreneurs, avec la hausse du plafond permettant de bénéficier du taux réduit d’impôt sur les sociétés (IS) pour les PME.

Redonner de l’oxygène à nos agriculteurs, avec la prorogation jusqu’à 2025 de la déduction pour épargne de précaution (DEP), ainsi que de son indexation sur l’inflation.

Le deuxième axe de ce projet de loi de finances est d’assurer le réarmement de nos fonctions régaliennes, pour tenir les engagements pris devant les Français durant la campagne présidentielle.

Ce projet de loi de finances prévoit plus de moyens pour la police, pour la justice et pour nos armées, dans un contexte géopolitique à haut risque.

Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), ce texte prévoit une hausse de 3 milliards d’euros pour la mission « Défense ».

Vous me permettrez de m’arrêter un instant sur les lois de programmation militaire, afin de vous montrer l’ampleur de l’engagement budgétaire que nous consacrons aujourd’hui à nos armées. Loi de programmation militaire 2009-2014 : 182 milliards d’euros sur six ans, soit 30 milliards par an en moyenne ; loi de programmation militaire 2014-2019 : 191 milliards d’euros sur six ans, soit 32 milliards par an, en hausse de 6 % par rapport à la loi de programmation précédente ; loi de programmation militaire 2019-2025, celle qui est actuellement mise en œuvre : 295 milliards d’euros sur sept ans, soit 42 milliards par an, ce qui représente une augmentation de 31 % par rapport à la loi de programmation précédente.

Nous vous proposons de voter 1,4 million d’euros de crédits supplémentaires pour améliorer les moyens de nos forces de sécurité, notamment en termes d’équipements et de technologies numériques, mais également pour renforcer la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique, conformément à la trajectoire prévue dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), que vous avez adoptée très largement ici et qui prévoit 8 500 créations de postes sur le quinquennat.

Enfin, nous poursuivons le renforcement des moyens du ministère de la justice, avec une nouvelle hausse de 8 % pour la troisième année consécutive. Depuis 2017, le budget de ce ministère aura augmenté de plus de 40 % pour réarmer cette fonction régalienne essentielle pour notre pays.

Vous le voyez, ce que nous présentons, c’est un projet de réarmement de nos services publics.

Le troisième axe de ce texte, c’est de préparer l’avenir.

Préparer l’avenir, c’est faire le pari de l’éducation ; c’est gagner la bataille du plein emploi ; c’est accélérer la transition écologique.

L’année prochaine, le budget de l’éducation nationale va augmenter de 3,7 milliards d’euros. Comme nous nous y étions engagés pendant la campagne, aucun professeur ne commencera sa carrière en gagnant moins de 2 000 euros nets par mois.

Préparer l’avenir, c’est aussi gagner la bataille du plein emploi. C’est l’objectif que nous avons fixé à l’horizon 2027. Ce sont ainsi 6,7 milliards d’euros de crédits supplémentaires qui seront investis dans l’emploi et l’apprentissage, pour atteindre le million d’apprentis d’ici à 2027.

Mais, je le dis clairement – et Bruno Le Maire l’a d’ailleurs rappelé –, nous ne gagnerons pas la bataille du plein emploi avec plus de pression fiscale. C’est la raison pour laquelle nous avons rendu 54 milliards d’euros aux ménages et aux entreprises au cours des cinq dernières années. Et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons mener à son terme la suppression de la CVAE, même si, pour tenir nos comptes publics, cela se fera sur deux exercices budgétaires.

Sur ce sujet, je sais que cet hémicycle est loin d’être un terrain conquis, en tout cas s’agissant du calendrier qui figure dans le projet de loi initial. Sur certaines travées, il existe une opposition de principe à l’idée même de supprimer des impôts de production ; sur d’autres, il y a une volonté de différer à l’année prochaine la suppression de cet impôt.

Pour ma part, je crois que l’amélioration de notre compétitivité doit rester un objectif central, dans un contexte où la hausse des prix de l’énergie met nos entreprises à rude épreuve ; les présidents de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et du Mouvement des entreprises de France (Medef) l’ont d’ailleurs rappelé lors des dernières heures.

Préparer l’avenir, c’est enfin protéger la planète. À cet égard, ce PLF prévoit le financement de politiques ambitieuses en faveur des transitions écologique, énergétique et territoriale, telles que le fonds vert pour l’investissement des collectivités, le plan Vélo, pour 250 millions d’euros, et une augmentation de 500 millions des crédits dédiés à MaPrimeRénov’.

En ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments, je veux souligner un certain nombre d’avancées durant l’examen des différents textes financiers.

Le rétablissement du crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les PME pour leurs travaux de rénovation provient d’un amendement du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale, porté par la députée Émilie Bonnivard, que nous avons retenu dans le PLF.

Je pense aussi à la prolongation d’une année de l’éligibilité à MaPrimeRénov’ sans condition de ressources, également issue d’un amendement des Républicains, porté par la députée Véronique Louwagie, que nous avons intégré au projet de loi de finances rectificative.

Le quatrième axe de ce texte, c’est le refus du laisser-aller budgétaire.

Comme ministre des comptes publics, je continuerai à défendre le passage du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte », parce que l’argent public ne sera jamais de l’argent magique.

Oui, malgré les aléas, nous poursuivons le rétablissement des comptes amorcé dès 2021, en stabilisant le solde public à 5 % cette année comme en 2023, alors qu’il était – je le rappelle – de 8,9 % en 2020 et de 6,5 % en 2021. Nous proposons une trajectoire pour revenir sous les 3 % d’ici à 2027.

Nous y parviendrons parce que nous pourrons compter sur des recettes fiscales importantes encore l’an prochain, notamment de TVA et d’impôt sur les sociétés liées à la bonne tenue de l’activité ces derniers mois.

Nous y parviendrons aussi grâce aux recettes liées à la contribution sur les rentes inframarginales, qui devraient s’élever – l’estimation a été revue à la hausse – à 11 milliards d’euros l’année prochaine. Ce projet de loi de finances rend cela possible, puisqu’il intègre les mécanismes européens qui nous permettent de faire contribuer les énergéticiens bénéficiant d’une rente liée à l’envolée des prix. Je sais que nous aurons de nouveau un débat sur les superprofits, après celui que nous avons eu cet été lors de l’examen du précédent PLFR. Avec Bruno Le Maire, nous avions alors renvoyé le sujet à une discussion à l’échelon européen.

À l’époque, certains nous avaient dit que cette réponse était une forme de manœuvre dilatoire pour enjamber le débat, et qu’on savait bien qu’à la fin, il ne se passerait rien. Et pourtant, il s’est passé quelque chose ! Et même quelque chose de massif : un accord européen sur un mécanisme de taxation des superprofits que nous transcrivons dans ce PLF. Ce mécanisme permettra de capter 11 milliards d’euros de superprofits sur les énergéticiens l’an prochain et de financer une partie importante du bouclier tarifaire pour protéger les Français.

Cette trajectoire de sérieux que j’évoquais, nous la tiendrons en 2023 et les années suivantes, afin d’assurer la stabilisation de la dette et le retour du déficit sous la barre des 3 %. Je sais que la majorité sénatoriale souhaite un rythme plus soutenu dans la consolidation des finances publiques. Je l’ai dit hier, au regard de la situation économique, engager une baisse trop brutale de la dépense publique pourrait avoir des effets dévastateurs sur nos services publics et l’activité économique et, plus globalement, sur la cohésion de notre société.

Dans les propositions qui sont émises par le Sénat, figure notamment le fait de rehausser l’effort de maîtrise de dépenses en volume de l’État pour faire passer la baisse de -0,4 % à –0,5 %, à parité avec celle des collectivités locales. Bruno Le Maire vient de l’évoquer, nous sommes ouverts sur le sujet.

Parvenir à maîtriser la trajectoire des dépenses publiques suppose de partager un même sentiment de responsabilité vis-à-vis de notre pays, de sa crédibilité, de sa capacité d’action et de son indépendance. Cela suppose aussi de répartir l’effort entre l’ensemble des administrations publiques : l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Nous aurons cette discussion durant l’examen du PLF.

Les débats seront vifs, mais je ne doute pas que nous saurons trouver ensemble une voie d’équilibre. Chacun à notre place, chacun avec nos convictions, nous défendons l’intérêt de notre pays.

Le moment que nous traversons et les défis auxquels nous faisons face – le défi géopolitique avec la crise en Ukraine, le défi climatique, le défi démographique – nous appellent à trouver ensemble des pistes, à prendre des décisions et des mesures, et à définir les axes qui nous permettront d’agir pour l’intérêt des Français. Vous nous trouverez toujours, Bruno Le Maire et moi, à vos côtés pour avancer dans cette direction. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP et sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui au Sénat l’examen du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, après utilisation de la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Ce texte s’inscrit dans le droit-fil du projet de loi de programmation des finances publiques, qui vient d’être voté après avoir été largement amendé ici au Sénat et qui est porteur d’une ambition volontariste pour le rétablissement des comptes publics.

Nous avions pointé à cette occasion que le Gouvernement faisait preuve d’un trop grand optimisme dans le choix de ses prévisions macroéconomiques et d’un trop faible volontarisme dans la maîtrise des comptes publics. Je maintiens ces critiques.

En 2022 et, pour ce qu’il nous est permis d’en savoir, en 2023, l’économie française a été et demeurera soumise à de nombreux chocs exogènes. Le plus important d’entre eux est, bien entendu, la hausse du prix des énergies, qui a conduit, comme l’a indiqué l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), à amputer la croissance économique d’environ 2,5 points de PIB entre 2021 et 2023.

Mais d’autres chocs doivent être considérés, à commencer par l’effet de la remontée des taux d’intérêt, qui, en cumulé, pourrait représenter une perte de croissance de près d’un point de PIB.

La prévision de croissance du PIB retenue par le Gouvernement pour l’année 2023 est, de mon point de vue, trop optimiste. L’hypothèse d’une augmentation de 1 % est à ce jour très éloignée du consensus des économistes. Surtout, elle ne tient pas compte d’événements conjoncturels récents, qu’il s’agisse du ralentissement de l’activité au troisième trimestre 2022, de la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) ou de la prévision de récession en Allemagne et de stagnation de l’activité en zone euro.

Nous avons donc devant nous un projet de loi de finances bâti sur des hypothèses de croissance assurément trop optimistes, peut-être même obsolètes.

La prévision d’évolution de l’inflation présente encore un caractère relativement central, avec 5,4 %, ce qui reste très significatif. L’inflation en France demeure majoritairement importée et liée à l’augmentation des coûts de l’énergie. Elle est mieux maîtrisée en France que dans d’autres économies développées, mais c’est au prix d’une forte mobilisation des finances publiques, qui, par conséquent, dégrade les comptes publics : près de 50 milliards d’euros en 2022 et probablement 56 milliards d’euros en 2023.

Pour nécessaires qu’elles soient, ces dépenses doivent nous appeler à observer une grande vigilance, puisque, comme vous le savez, les conditions de financement de la France ne sont plus les mêmes que par le passé.

La remontée des taux d’intérêt constitue un risque pour la soutenabilité de la dette française. L’inflation a contribué à une augmentation rapide des taux nominaux sur le marché des obligations souveraines. Depuis octobre 2021, c’est-à-dire il y a un peu plus d’un an, le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises à dix ans a augmenté de 290 points de base. La perception que les investisseurs portent sur le risque des obligations françaises s’est concomitamment détériorée. Le temps de l’argent facile et gratuit est bien fini, et ce n’est pas faute de vous avoir mis en garde ici, au Sénat, sur les risques d’un endettement trop important et massif.

En ce qui concerne la situation de nos finances publiques, les mesures de crise ne peuvent pas expliquer toute la dégradation de nos comptes publics. Et, de notre point de vue, il est urgent de mettre en œuvre une stratégie de maîtrise des dépenses ordinaires.

En 2023, le solde public devrait atteindre 5 % du PIB et l’endettement public devrait être d’environ 111 %. Les recettes publiques devraient progresser considérablement, avec 139 milliards d’euros supplémentaires entre 2021 et 2023 dans le texte initial. De façon temporaire et conjoncturelle, l’État bénéficiera notamment – cela a été dit – de recettes supplémentaires versées par les producteurs d’énergie.

Plusieurs mesures nouvelles viendront réduire le rendement fiscal, à commencer par la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, la poursuite de la suppression de la taxe d’habitation et la suppression de la part communale et intercommunale de la CVAE.

En parallèle, les dépenses vont également progresser d’environ 110 milliards d’euros. En réalité, la hausse est même beaucoup plus importante, car l’État – je viens d’en donner l’exemple avec le cas des subventions aux producteurs d’énergie – bénéficie de moindres dépenses, qui sont, elles, conjoncturelles.

Les dépenses primaires retraitées du coût des mesures de crises progresseront ainsi d’au moins 137 milliards d’euros sur les deux années, dont quasiment la moitié en 2023. Les mesures de revalorisation des pensions et du traitement des fonctionnaires contribueront aussi à augmenter la dépense d’environ 16 milliards d’euros.

Le solde public restera particulièrement dégradé, sous l’effet de la situation financière de l’État exclusivement. Les collectivités locales présenteront – écoutez bien ! – un excédent, tandis que les administrations sociales parviendraient à l’équilibre grâce à l’amélioration du solde de régime général et malgré une forte progression des dépenses sociales. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons, messieurs les ministres, de respecter une ligne rouge : ne mettez pas de carcan aux collectivités locales ; ce serait aujourd’hui non seulement inentendable, mais également inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le budget de l’État présente des niveaux de dépenses et de déficit que le Gouvernement ne parvient plus, voire ne cherche plus à faire redescendre des sommets atteints depuis 2020.

Alors que des mesures d’économies devraient être engagées dès 2023, les recettes diminuant légèrement par l’effet de transferts de fiscalité aux collectivités territoriales, le Gouvernement fait en réalité le choix de ne pas adapter les dépenses aux moyens dont il dispose : il identifie les dépenses qui doivent augmenter, pas les économies qui devraient les compenser.

La trajectoire des dépenses n’annonce ainsi aucune inflexion pour les années à venir : les dépenses des années suivantes sont d’ores et déjà contraintes par le niveau élevé des dépenses déjà engagées, sous l’effet notamment des lois de programmation et par l’absence, bien regrettable, de volonté de maîtriser les dépenses de masse salariale.

Le déficit de l’État, qui est – je le rappelle – supérieur en 2023 à 150 milliards d’euros pour la quatrième année consécutive, ne redescend plus du pic atteint lors de la crise sanitaire.

Je le redis, ce budget de l’État est celui de tous les records : jamais un projet de loi de finances n’avait été présenté avec un tel niveau de déficit dès le début de la discussion budgétaire ; jamais un budget n’avait prévu un tel niveau d’emprunts nouveaux, à hauteur de 270 milliards d’euros en 2023 ; jamais non plus la France n’avait dû rembourser autant d’emprunts arrivés à l’échéance, soit 156,5 milliards d’euros. Ainsi, en 2023, la France décaissera plus pour rembourser des emprunts que pour financer, hors pensions, l’éducation nationale, la recherche et les armées réunies !

Le Gouvernement accumule les déficits et pousse toujours plus haut les curseurs de la dette. Arrivé à de telles altitudes, l’emprunt toujours renouvelé place le pays sous respirateur artificiel, et la facture commence à être présentée : c’est la charge de la dette qui, dès cette année, dépasse les 50 milliards d’euros en comptabilité budgétaire.

La mission « Engagements financiers de l’État » redevient la deuxième mission du budget général, devant la mission « Défense ». C’est la conséquence de la reprise de la charge de la dette, mais aussi de l’ouverture de plus de 6 milliards d’euros de crédits virtuels sur le programme d’amortissement de la dette du covid, qui est un pur artifice comptable.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Dans le même temps, et c’est bien regrettable, la dette climatique s’ajoute à la dette budgétaire et les dépenses défavorables au climat sont multipliées – excusez du peu ! – par deux, sous l’effet des mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l’énergie. Là encore, nous récoltons les fruits d’une politique énergétique désastreuse des gouvernements successifs et de l’impréparation des choix politiques permettant de faire réellement face aux défis des risques climatiques.

Face à ces dépenses, je dois le dire, la fiscalité énergétique reste toujours aussi inégalitaire : elle pèse plus sur les ménages à revenus modestes, et sur ceux qui vivent dans des communes rurales ou dans les petits pôles urbains les moins peuplés. Il ne faut guère espérer des recettes qu’elles aident l’État à infléchir la trajectoire de la dette en 2023, puisqu’elles devraient diminuer de près de 6 milliards d’euros en valeur.

Les deux principaux phénomènes affectant l’évolution des recettes fiscales sont la suppression progressive de la CVAE et la poursuite du bouclier tarifaire.

Face à la réduction des recettes, le réflexe budgétaire devrait être d’agir sur les dépenses. Or on en est loin. Encore une fois, le Gouvernement choisit celles qui doivent augmenter, mais pas les économies qui devraient les compenser. Il prépare donc la poursuite de la dégradation des finances publiques ; j’irai même jusqu’à dire qu’il la favorise. Dès le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron, l’heure des choix est renvoyée au prochain quinquennat.

Dans une vision pluriannuelle, qui est d’ailleurs renforcée dans les documents budgétaires, conformément à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), les perspectives ne sont guère rassurantes.

Le niveau des restes à payer, c’est-à-dire les dépenses qu’il faudra bien assurer pour couvrir les engagements déjà pris, a augmenté de plus de 50 % depuis 2017.

On le constate, sur les dépenses de personnels, comme sur l’ensemble des crédits des politiques publiques, le Gouvernement ne fait pas de choix : il favorise certaines politiques, qui en ont assurément besoin, mais n’affiche aucune volonté de décider de celles qui devraient au contraire voir leurs moyens réduits. Ce tableau de 2023, mes chers collègues, doit être replacé dans la perspective plus longue que trace le projet de loi de programmation des finances publiques.

Il nous faut une trajectoire que je qualifierais de sérieuse et raisonnable. D’ailleurs, Bruno Le Maire avait qualifié celle du Sénat de « juste et honnête ». Elle est, en tout état de cause, plus ambitieuse et plus juste que celle du Gouvernement, en demandant les mêmes efforts à l’État qu’aux collectivités territoriales, tout en parvenant plus rapidement à un niveau de déficit plus acceptable.

Dans ce projet de loi de finances, nous vous proposerons de mettre en œuvre ce que nous vous avons invité à faire dans le cadre de la loi de programmation, en proposant des économies sur un certain nombre de missions, indépendamment de celles que nous proposerons de rejeter par ailleurs.

Ainsi, je propose moi-même de mettre fin à l’ouverture de crédits au titre du plan de relance. Le temps de la relance est désormais passé, et j’estime que de nouvelles contraintes s’imposent à nous, au regard notamment du contexte de la crise énergétique, qui est tout à la fois majeure et inédite.

La commission a également adopté des amendements de suppression de crédits sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », pour 750 millions d’euros, sur la mission « Santé », s’agissant de l’aide médicale d’État, et sur la mission « Aide publique au développement » pour 200 millions d’euros. D’autres amendements suivront.

Nos travaux de commission regorgent aussi de pistes de réformes structurelles, qui, si elles étaient mises en œuvre, permettraient de dégager des économies. Je pense notamment à l’audiovisuel, domaine dans lequel le Gouvernement ne respecte pas l’engagement pris l’été dernier.

J’aurai l’occasion de m’exprimer sur les dispositions figurant dans le texte au fur et à mesure de son examen, mais je conclurai mon propos en abordant quelques sujets.

Sur le bouclier fiscal et budgétaire, que vous maintenez et étendez aux entreprises, nous ne pouvons qu’approuver les mesures d’urgence ; elles vont dans le bon sens et permettent de soutenir les acteurs économiques, les services publics et les ménages.

Pour autant, je dois avouer que l’ensemble devient illisible. Difficile de s’y retrouver dans le maquis des aides ! Le fait d’inscrire des milliards d’euros de crédits supplémentaires, sans être capables de préciser ni les entités éligibles ni le champ d’intervention, n’est pas pour rassurer. Au contraire, cela inquiète, et chacun se demande s’il fait bien partie de ceux qui seront protégés. C’est bien une forme d’impréparation, le travail dans l’urgence et dix ans de politique énergétique erratique qui nous conduisent à cette situation. Il est grand temps de sortir du flou et d’avoir un cap clair, privilégiant les solutions justes et efficaces.

Pour notre part, nous proposerons en première partie un filet de sécurité repensé, qui vient compléter l’amortisseur « électricité » pour les collectivités territoriales. Il faut répondre à l’inquiétude de nos élus locaux et, plus largement, à celle de nos concitoyens.

Ce qui est en jeu, c’est évidemment le maintien de nos services publics, qui doivent être aussi actifs et performants, sur tout le territoire national. Avec un message désormais simple, clair et juste : toute collectivité territoriale, seule ou en groupement, sans critère d’entrée, bénéficierait d’une prise en charge par l’État de la moitié de la hausse de ses dépenses d’énergie en 2023, après application de l’« amortisseur », lorsque cette hausse dépasse un montant égal à 40 % de la hausse de ses recettes de fonctionnement.

Enfin, la suppression de la CVAE est en soi une bonne chose. En effet, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les impôts de production restent particulièrement élevés en France, en comparaison européenne. Il faut redonner de la compétitivité à nos entreprises. Pour autant, actuellement, l’enjeu pour notre tissu économique est aussi de traverser la crise énergétique et d’être suffisamment protégé et sécurisé ; je viens de le souligner.

En outre, la réforme du Gouvernement est mal préparée, en particulier s’agissant des modalités de compensation des collectivités locales. Sur ce dernier point, il est encore plus urgent de se donner du temps : un temps utile pour une solution acceptée de tous.

En conclusion, je vous invite à nous faire confiance en soutenant les amendements proposés par la commission des finances. Je souhaite que nos débats soient utiles et motivés par l’intérêt de servir la France. Une France forte, souveraine, battante et désireuse d’ouvrir une nouvelle voie, celle de la réussite, d’une réussite qui mobilise les efforts de tous et de chacun, à la mesure de ses capacités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette séance s’ouvre après plusieurs semaines de travaux en commission des finances et au sein des commissions saisies pour avis. Je remercie les rapporteurs spéciaux, qui ont passé en revue l’ensemble des crédits et qui ont formulé des propositions.

L’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale fait que très peu de dispositions du PLF ont pu être examinées. Le Sénat a donc une responsabilité très particulière.

Dans cette intervention liminaire, je ne balaierai pas l’ensemble des sujets que nous aurons tout le temps d’approfondir d’ici au 6 décembre. Le rapporteur général a déjà fait un point très exhaustif.

Je voudrais plutôt partager quelques réflexions avec vous, messieurs les ministres, et m’échapper, si vous m’y autorisez, quelque peu des chiffres pour essayer de comprendre le sens de l’exercice de ce PLF 2023, tant il est vrai que sa lecture interroge. S’agit-il, dans un contexte incertain et, par bien des aspects, angoissant, de soutenir les Français face à l’inflation et à la crise énergétique notamment ? De maintenir notre outil industriel ? De stabiliser notre dette et nos comptes publics ? Sans doute un peu tout cela, nous direz-vous. D’ailleurs, c’est à peu près ce que vous avez dit… Mais la copie peine à convaincre.

En 2017, les choses étaient claires. Au bénéfice d’une situation des comptes publics rétablie, avec une croissance de 2,3 % et un déficit ramené à 3 % du PIB, une politique néolibérale on ne peut plus classique a été appliquée : baisse des impôts des entreprises et des particuliers, soutien aux investisseurs privés, baisse de l’impôt sur le patrimoine.

Personne encore aujourd’hui – ni France Stratégie ni, voilà quelques jours encore, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital – ne se risquait à faire un lien entre ces mesures et un renforcement par les bénéficiaires d’une réorientation de l’épargne vers le financement des entreprises.

J’étais opposé à votre politique, monsieur le ministre de l’économie, mais au moins j’en comprenais les attendus et les objectifs…

Puis vint la pandémie, et le quasi-arrêt de pans entiers de l’économie. Là encore, j’ai compris et, pour l’essentiel, approuvé votre action. Prêts garantis par l’État (PGE), chômage partiel, plans divers de soutien, puis plan de relance : les résultats en termes de reprise économique ont été au rendez-vous. On peut le dire, cela a été une réussite.

La crise russo-ukrainienne de cette année, ramenant la guerre en Europe, puis la crise énergétique et l’inflation sont venues mettre fin à un scénario favorable.

La situation est aujourd’hui difficile ; nous le reconnaissons tous. Mais là – surprise ! – tâtonnements, choix malheureux, imprécisions se multiplient. Je prendrai quelques exemples.

Premier exemple, mais vous avez dénoncé cette politique menée dans le passé pour promouvoir votre nouvelle politique : les aides aux Français non ciblées, mettant sur un pied d’égalité ceux d’entre nous ayant de bons revenus et ceux qui ne peuvent plus s’en sortir, comme les ristournes ou les aides portant sur le prix du gaz et de l’électricité, au prix d’une dépense publique inconsidérée et aujourd’hui complètement insoutenable.

Autre exemple : la contribution sur la rente inframarginale des producteurs d’énergies renouvelables (EnR), mise à mal par la dénonciation des contrats par ces producteurs.

Je crois avoir compris que vous allez très bientôt nous proposer une taxation directe de ces « superprofits » – j’ose employer ce terme – pour résoudre le problème. Comme quoi, calculer et taxer des superprofits n’est pas si difficile que cela, monsieur le ministre… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Et puis, au fond, ce qui choque aujourd’hui, c’est qu’il ne soit pas tenu compte de la situation réelle de nos finances publiques pour poursuivre dans votre ligne idéologique de baisse des impôts, alors que notre déficit se creuse à plus de 150 milliards d’euros cette année. Dernière part de taxe d’habitation pour les 20 % les plus aisés, suppression de la redevance télé, suppression de la CVAE : les recettes de l’État diminueront de 2,7 % en volume l’an prochain, et le mouvement devrait se poursuivre en 2024.

Au moment où, à court terme, vous devez faire face aux conséquences de la crise énergétique et – vous l’avez évoqué – alimentaire pour les familles les plus en difficulté, où vous devez soutenir des entreprises électro-intensives qui sont en grande difficulté, à l’instar de nombreuses entreprises ou collectivités locales, vous poursuivez la même ligne politique qu’en 2017, comme si de rien n’était !

Et si encore vous aviez la reconnaissance du Medef… (Exclamations amusées sur diverses travées.) Vous savez, ceux qui, après l’annonce de la répartition de la baisse de la CVAE sur deux ans, ont déclaré : « Vu ce qui est abondamment distribué par ailleurs, nous ne comprenons pas que la CVAE soit une variable d’ajustement budgétaire au moment où les entreprises souffrent. » Les mêmes ont relevé votre « manque d’ambition en matière de baisse des dépenses publiques »…

Le Medef a déjà oublié les PGE, le chômage partiel, qui a permis aux entreprises de conserver leurs compétences, les plans de soutien à l’industrie ; cela va vite ! (Sourires.) Les entreprises souffrent, paraît-il ! Beaucoup de petites sûrement, mais certainement pas celles du CAC 40, en tout cas ! En 2021, on a connu un record de dividendes distribués. On peine à dire le montant : 57,5 milliards d’euros. En France, on a une véritable passion de la distribution des dividendes ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER et RDSE.) Ce sera d’ailleurs sans doute plus en 2022. Je n’oublie pas les rachats d’actions, totalement insupportables, qui consistent à relever l’action des actionnaires qui n’en auraient pas assez, pour 23 milliards d’euros.

Sur tout cela, l’État a prélevé, hors prélèvements sociaux, un peu plus d’un milliard d’euros. Ne croyez-vous pas que le temps n’est plus aux cadeaux fiscaux,…

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … mais plutôt à un juste équilibre entre fiscalité du travail et dividendes ? Ne croyez-vous pas qu’au lieu de refuser par principe tout débat sur les superprofits, il aurait mieux valu que vous essayiez de trouver avec le Parlement une solution solide à cette situation ?

Alors, je le sais, monsieur le ministre, comme moi, vous n’avez pas goûté les propos du Medef. Vous l’avez marqué : colère ! (Rires sur les travées du groupe UC. – M. le ministre rit également.) Vous leur avez même proposé de « faire le ménage dans les crédits d’impôt dont bénéficient les entreprises ». Voilà une offre généreuse ! (Exclamations amusées.)

M. Jérôme Bascher. Je peux vous aider, monsieur le ministre ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je suis sûr que l’organisation patronale a répondu très favorablement. (Nouvelles exclamations amusées.)

En ce qui me concerne, je voudrais vous aider, monsieur le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Tout arrive !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il faut se méfier ! (Sourires.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je sens comme un doute… (Nouveaux sourires.)

Comme vous le savez, l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) a recensé 2 000 mécanismes de soutien aux entreprises pour un montant estimé de 180 milliards d’euros annuels – on peut discuter cette évaluation à la dizaine de milliards d’euros près, mais pas plus –, soit plus de 8 % du PIB : niches fiscales, allégements des cotisations sociales, dépenses budgétaires…

Monsieur le ministre, vous qui aimez tant les comparaisons internationales, notamment s’agissant des impôts de production – on se souvient de vos magnifiques graphiques ! –, pouvez-vous nous dire combien de pays soutiennent annuellement leurs entreprises à hauteur de plus de 8 % du PIB ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Je vous le dis, parce que c’est fatigant de regarder les problèmes en silo. On a baissé les impôts ; j’avais voté cette baisse à l’époque, mais cela appartient désormais au passé. Aujourd’hui, on baisse des impôts de production. En revanche, sur les crédits d’impôt et sur tout ce qui est mis en place en France, là, il n’y a plus de comparaison internationale !

Pour vous aider à répondre, monsieur le ministre, je proposerai au rapporteur général que notre commission s’intéresse au sujet. Il faut en effet vous donner quelques éléments d’appréciation. Je ne doute d’ailleurs pas que cela sera instructif.

Messieurs les ministres, il faut savoir hiérarchiser les sujets. La question d’aujourd’hui n’est pas d’afficher une cohérence de long terme ; elle est plutôt de répondre aux priorités du moment. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – MM. Jérôme Bascher et Georges Patient applaudissent également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Breuiller, Parigi, Gontard, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Labbé, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, d’une motion n° I-1419.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat reconnaît que le projet de loi de finances pour 2023 (n° 114, 2022-2023) est contraire au texte de la Constitution française.

La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la motion.

M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les écologistes croient et agissent pour une République plus parlementaire. À l’occasion de l’examen de ce projet de loi de finances, texte le plus important que nous ayons à voter, nous posons la question de la sincérité du Gouvernement dans ce débat. Messieurs les ministres, respecterez-vous le travail du Parlement ?

Lors de son discours de politique générale, Mme la Première ministre a tracé un cap et une méthode. Au-delà des mots, quels sont les actes ?

Le travail de l’Assemblée nationale a été sabordé à coups de 49.3. Le vote du Sénat n’est pas respecté ; prenons l’exemple de l’article 23, supprimé dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, que vous réintroduisez dans le projet de loi de finances pour 2023. J’y reviendrai, monsieur le ministre, mais cet exemple justifie à lui seul de vous poser la question : voulez-vous sincèrement travailler avec le Parlement ?

Certes, nous sommes invités aux dialogues de Bercy. Certes, vous venez présenter vos projets de loi en commission, exposer le contexte et répondre à nos questions. Mais quel sens tout cela a-t-il si vous n’écoutez pas ?

Nous ne sommes pas les premiers. Vous avez procédé de même avec les Françaises et les Français au moment des grands débats et des cahiers de doléances, comme lors de la Convention citoyenne pour le climat, dont trop peu de propositions ont été retranscrites dans la loi.

M. François Bonhomme. Heureusement !

M. Daniel Breuiller. En réalité, de même que certaines entreprises font du greenwashing pour colorer en vert des actions qui ne sont pas écologiques, vous inventez le democraticwashing : vous faites croire que vous nous écoutez, mais vous ne nous entendez pas.

Ma collègue Éva Sas disait dernièrement à juste titre : « Finalement, le Gouvernement montre non seulement son déni du débat parlementaire, mais, surtout, son absence d’écoute des problèmes du pays. »

Les Français ont élu une assemblée sans majorité absolue. La Première ministre a estimé que cela invitait à des « pratiques nouvelles » et à la « recherche de compromis ». En effet, ce choix nous oblige. La loi doit être le fruit de la concertation, enrichie de la diversité de nos convictions républicaines et de nos assemblées.

Le discours de politique générale de la Première ministre en a pris acte ; sa pratique législative, non.

Pourtant, on a rarement raison seul, et jamais en restant droit dans ses bottes, sans le peuple, contre les partenaires sociaux et le Parlement. C’est encore plus vrai dans ce contexte, où les fascismes et les populismes prennent place sur l’échiquier des décisions, dans le monde, en Europe comme en France, et où les dangers grandissent ; vous l’avez évoqué, monsieur le ministre.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par deux exemples du dévoiement démocratique que nous dénonçons aujourd’hui.

Tout d’abord, si l’usage du 49.3 est parfaitement constitutionnel, votre tri des amendements est bien plus discutable pour qui revendique la concertation comme méthode.

Nos collègues députés ont débattu avec conviction et volonté d’infléchir et d’enrichir le texte qui leur a été présenté. Ce travail interrompu prématurément fut sérieux et exigeant, comme le sera celui que nous nous apprêtons à accomplir durant les trois semaines qui viennent et les plus de 140 heures programmées de jour comme de nuit.

Pourtant, vous avez choisi d’éliminer l’essentiel des amendements votés à l’Assemblée.

Parmi les amendements écologistes, vous avez choisi de n’en retenir qu’un, sans doute pour montrer – toujours votre democraticwashing – que vous preniez des contributions sur tous les bancs de l’Assemblée nationale. Ce fut celui de Julien Bayou visant à utiliser l’huile de friture pour combustible automobile. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un amendement utile, qui permet de réutiliser comme une nouvelle ressource ce qui est considéré comme un déchet. Mais, reconnaissons-le, son adoption ne suffira pas à influer sur la trajectoire carbone de notre pays,…

Mme Laurence Cohen. C’est sûr ! (Sourires.)

M. Daniel Breuiller. … contrairement à celui de ma collègue Éva Sas sur l’isolation thermique des logements. Le logement, c’est un quart des émissions de CO2. L’objet de son amendement concernait 11 millions de foyers en précarité énergétique, 5 millions de passoires thermiques et, bien évidemment, la baisse de nos dépendances aux marchés fossiles.

Personne ne pourra ralentir la nécessaire transition énergétique, venez-vous de déclarer, monsieur le ministre. Le Parlement a formulé des propositions et indiqué vouloir une inflexion conforme à ce que revendiquent l’ensemble des organisations non gouvernementales (ONG) et organismes spécialisés.

Vous avez rejeté cet amendement, comme vous avez rejeté celui de Jean-Paul Mattei, député Modem, pourtant voté très majoritairement. Je ne parle pas là de la volonté de taxer les superprofits ou de créer un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) « climatique », auquel vous êtes idéologiquement opposé. Je parle d’une taxation temporaire à 35 % de bénéfices exponentiels en période de grave crise et dans un contexte exceptionnel de guerre en Europe.

Avouez-le : ce n’était pas la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges ; c’était la traduction par le Parlement d’une demande profonde de plus de justice sociale.

La liste est longue des amendements qui auraient pu et dû enrichir votre projet de loi de finances et que vous avez choisi de jeter dans les poubelles gouvernementales.

Je reviens donc à ma question : respecterez-vous le travail du Sénat ou voulez-vous entraver le pouvoir d’agir des élus, nationaux et locaux ?

L’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 a pour objet de mettre au pas les collectivités. Cet article inacceptable a, évidemment, été massivement rejeté. Il est inacceptable, car les collectivités votent des budgets à l’équilibre, contrairement à l’État. Il est inacceptable, car ce que vous appelez « contrat de confiance » est une remise en cause de leur autonomie, principe consacré par l’article 72 de la Constitution. Il est inacceptable pour le Sénat, chambre des territoires, qui l’a rejeté à une immense majorité, pour l’Assemblée nationale, qui l’a également rejeté, ou encore pour les associations d’élus, qui n’ont eu de cesse de vous interpeller sur le sujet.

Lorsque le Parlement, par ses deux chambres, les associations de maires et d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) vous disent que ce texte est inacceptable, que faites-vous dans votre nouvelle méthode démocratique revendiquée par la Première ministre ? Vous le retirez ? Non ! Au contraire : sorti par la porte, vous le réintroduisez par la fenêtre sous la forme d’un article additionnel à l’article 40 du projet de loi de finances pour 2023 !

Étrange conception de la démocratie parlementaire.

Étrange conception de la démocratie tout court.

Qui plus est, messieurs les ministres, en vous attaquant aux collectivités territoriales, vous vous attaquez aussi au dernier échelon démocratique qui résiste encore dans l’avancée inquiétante des doutes saisissant notre démocratie et notre peuple.

Vous devriez, nous devrions, au contraire, tout faire pour préserver et soutenir les communes et les élus locaux. Chaque crise, des « gilets jaunes » à la pandémie, nous a montré à quel point ils sont la digue la plus solide en termes de cohésion sociale.

Leur diversité de choix et de situations est une formidable opportunité d’évaluer les réponses politiques les plus efficaces face aux crises sociales, démocratiques et climatiques.

À ma question, voulez-vous travailler avec le Parlement ? Je vous réponds que, nous, nous souhaitons travailler, proposer, contribuer, car l’urgence climatique est là, et bien là. Elle est plus encore redoutable pour les plus fragiles d’entre nous. Il est impossible de rester sans débattre et sans agir pour faire face aux défis qui sont devant nous.

La situation exige une autre gouvernance. Les solutions concrètes doivent être travaillées et mises en œuvre avec les collectivités, avec le Parlement, avec les partenaires sociaux, avec les associations et les ONG, avec les citoyens.

La trajectoire écologique doit être forte, équitable et immédiate. L’anecdotique ne peut plus suffire, ni les boucliers ponctuels. Combien d’hivers mauvais et d’étés suffocants faudra-t-il pour que vous entendiez ces propositions ?

Si les débats sénatoriaux sur le projet de loi de finances pour 2023 n’ont pour vocation que de renforcer le democraticwashing, si, à l’arrivée, vous refaites le choix du 49.3 et celui de ne retenir que quelques amendements gouvernementaux ou d’affichage, alors, messieurs les ministres, notre débat est dénué de sens. Dites-le-nous, assumez ce cap, et ne perdons pas notre temps !

Cependant, le péril est grand, parce que la démocratie sans le Parlement, ce n’est déjà plus la démocratie !

Messieurs les ministres, pouvez-vous prendre l’engagement d’un dialogue sincère avec le Sénat ? Si vous y êtes prêts, sachez que notre groupe y tiendra sa juste place. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cela ne surprendra personne : la commission demande le retrait de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je donnerai à ce stade deux éléments d’appréciation.

D’une part, l’exception d’irrecevabilité peut être invoquée lorsque le texte concerné est considéré comme contraire à la Constitution. Pour avoir attentivement écouté la présentation de Daniel Breuiller, je note que, s’il souligne des désaccords sur les choix politiques du Gouvernement, il n’évoque absolument aucun problème de nature constitutionnelle qui pourrait justifier la mise en œuvre de l’exception d’irrecevabilité prévue par le règlement du Sénat.

D’autre part, il ne faut surtout pas priver la France d’un débat au Parlement. Le débat a été écourté par le recours à une procédure constitutionnelle autorisée, qui a d’ailleurs été utilisée à la fin des années 1980, dans une période politique, elle aussi, difficile, notamment par le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard.

Nous sommes aujourd’hui en 2022, avec une majorité relative à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement a réduit le temps des débats, et un certain nombre de grandes missions de nos politiques publiques n’ont fait l’objet d’aucune discussion, alors même qu’elles ont été accompagnées d’annonces nouvelles.

C’est la raison pour laquelle notre assemblée aura une responsabilité particulière. D’une certaine manière, les projecteurs de l’actualité sont davantage braqués sur le Sénat, assemblée constitutive du bicamérisme français. Voilà qui nous donne l’occasion de montrer un débat serein, animé, sérieux sur l’ensemble de nos travées et tourné vers l’avenir pour tous nos concitoyens.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis.

Je profite de l’occasion pour répondre aux interventions, comme toujours, honnêtes et solides du rapporteur général et du président de la commission des finances, afin de clarifier quelques points.

Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, je veux vous dire avec beaucoup de force que l’heure des choix n’est pas repoussée : l’heure des choix, c’est maintenant. Les choix que nous faisons, comme le ciblage des aides publiques pour faire face à l’inflation, sont des choix pour maintenant, qui nous engagent pour l’avenir et qui doivent nous conduire à ramener les prix de l’énergie – électricité, gaz – en France vers les prix de marché. En effet, après avoir amorti le choc, il est normal et juste que ce soient les plus modestes, les plus fragiles qui soient protégés, mais qu’ensuite, les prix de marché puissent reprendre leurs droits pour permettre à l’économie de fonctionner normalement.

De ce point de vue, les choix que nous faisons dans ce projet de loi de finances pour 2023 sont clairs : nous soutenons, vous l’avez rappelé, certaines politiques publiques qui en ont besoin.

Il est indispensable de continuer à soutenir nos forces de l’ordre. Il est indispensable de donner à notre école les moyens de fonctionner correctement. Il est indispensable de soutenir massivement, comme nous le faisons, l’hôpital public, qui continue aujourd’hui à rencontrer de très grandes difficultés.

Par ailleurs, sur les aides pour faire face à l’augmentation des prix, je le répète : nous ciblons, avec l’objectif d’un retour progressif à la normale.

Enfin, sur la trajectoire des finances publiques, je le redis également : Gabriel Attal et moi-même sommes prêts à ouvrir la discussion avec l’ensemble des sénateurs pour essayer de nous entendre sur une trajectoire de loi de programmation des finances publiques plus ambitieuse avec, pour les collectivités locales comme pour l’État, une réduction des dépenses en volume de 0,5 % sur la durée du quinquennat.

Monsieur le président de la commission des finances, je vous remercie d’avoir salué les politiques que nous avons menées face au covid-19 et de les avoir qualifiées de « réussite ». Il s’agit d’une politique qui a été adoptée collectivement ; c’est aussi ce qui a fait sa force. Je salue cette honnêteté de jugement de votre part.

Sur la crise en Ukraine et l’inflation qui en a résulté, je rappelle que le choix initial fait au mois d’octobre 2021 visait à protéger massivement l’ensemble des Français, avec la mise en place de ce bouclier énergétique unique en Europe : gel des prix du gaz et plafonnement des prix de l’électricité. Vous avez raison, cette politique était coûteuse, et elle protégeait tout le monde de manière indifférenciée. C’est bien pour cela que nous la modifions au fur et à mesure de son application : il est désormais temps qu’elle protège plus les plus modestes et que ceux qui en ont les moyens puissent assumer une partie de ce coût avec une augmentation de 15 %.

Je signale néanmoins que cette politique a eu un avantage stratégique important, celui de nous permettre d’avoir le niveau d’inflation le plus faible de tous les pays de la zone euro. Je ne mésestime pas les revers que vous avez indiqués, monsieur le président de la commission des finances, mais j’estime que l’avantage stratégique de contenir l’inflation à un niveau qui est le plus faible de tous les pays de la zone euro l’emportait sur les inconvénients. Toutefois, il est en effet temps maintenant de faire évoluer ces aides.

Sur la contribution inframarginale, la taxation des superprofits – appelez cela comme vous voulez –, une seule chose comptait pour nous : pouvoir taxer les rentes des énergéticiens. Je note que le nouveau ministre des finances britannique s’engage dans cette voie. Je note que tous les pays européens s’y engagent. Je note que ceux qui avaient privilégié une taxation sur les superprofits de toutes les entreprises font un double constat : d’une part, cela rapporte moins qu’une taxation sur les seuls énergéticiens ; d’autre part, cela pénalise leurs grandes entreprises industrielles de secteurs qui n’ont rien à voir avec la crise énergétique dans la compétition mondiale.

Par conséquent, je crois que la mise en place d’une taxation sur les rentes – appelez-les superprofits, si vous le voulez – de tous les énergéticiens, que ce soit TotalEnergies, Engie ou EDF, était à la fois juste et efficace. Je ne veux pas que nos compatriotes puissent croire un instant que nous avons laissé de très grands groupes énergétiques profiter de l’explosion des prix de l’énergie. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Fabien Gay. Sans blague !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons récupéré tous les profits qu’ils ont réalisés au-delà d’un certain niveau. En 2023, cela rapportera 26 milliards d’euros. Aucun pays européen ne peut en dire autant.

Cette intuition était tellement bonne qu’elle a, je le constate, été reprise par les autres pays européens, le système de taxation inframarginale proposé par la Commission européenne étant le simple décalque du système de taxation des énergéticiens que nous appliquons depuis maintenant deux ans !

Pour ma part, je préfère taxer ceux qui ont des rentes plutôt que pénaliser l’ensemble des grands groupes industriels français au risque de les fragiliser dans la compétition mondiale. On peut conjuguer justice fiscale et efficacité fiscale. Il me semble que c’est ce que nous avons fait. Croyez-moi, je ne compte pas m’arrêter là.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je rappelle que nous sommes le premier pays à avoir mis en place une taxation sur les géants du numérique. Nous nous sommes battus en ce sens. Cela rapporte 620 millions d’euros. Nous mettrons en place au plus tard au début de l’année 2023 une taxation minimale à l’impôt sur les sociétés pour éviter l’évasion et l’optimisation fiscales.

Vous me demandez ensuite si je cherche la reconnaissance du Medef, et vous le faites avec un sourire qui fait plaisir. (M. le rapporteur général de la commission des finances rit.) Vous me connaissez suffisamment pour savoir que nous ne cherchons tous ici que la reconnaissance des Français. (Marques dironie sur les travées du groupe CRCE.)

M. Fabien Gay. Les pauvres restent pauvres !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il me semble que nous servons tous ici la même ambition.

En matière de politique économique, la reconnaissance des Français passe notamment par la reconquête industrielle ; je sais que cela vous tient très à cœur, monsieur le président de la commission des finances. Vous m’avez demandé quel était le fil rouge notre politique économique : c’est le travail et la reconquête industrielle.

Comme ministre de l’économie, je me bats matin, midi et soir pour cette reconquête industrielle. J’estime en effet que ce qui nous redonnera de la puissance économique, ce qui nous permettra de jouer notre rôle dans le domaine économique au XXIe siècle, ce qui réellement redonnera du pouvoir d’achat aux Français, ce n’est pas la redistribution ; c’est d’abord la création d’emplois industriels qualifiés formés et bien rémunérés.

M. Fabien Gay. Et les salaires ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Il s’agit d’un enjeu important pour la France, pour notre indépendance technologique, pour les salariés et pour nos compatriotes. Cette reconquête industrielle passe par de la compétitivité, ce qui explique cette baisse des impôts de production qui animera nos débats.

M. Fabien Gay. Encore !

Mme Laurence Cohen. Cela ne marche pas !

M. Bruno Le Maire, ministre. Je le dis à ceux qui me proposent de reporter encore d’un an : il ne faut pas tarder à continuer à baisser les impôts de production dans notre pays. Un an, c’est une éternité pour une entreprise industrielle confrontée à la compétition mondiale ! Personne ne nous fera de cadeaux ; personne ne nous attendra. Nous ne pouvons donc pas attendre douze mois supplémentaires pour poursuivre la baisse des impôts de production. C’est la raison pour laquelle je propose dès 2023 une baisse de 4 milliards d’euros d’impôts de production qui sera concentrée sur les PME industrielles.

Il est un autre enjeu : la formation et la qualification. Nous le savons tous, la première richesse d’une industrie, ce sont les salariés qui y travaillent. Investir dans la formation et la qualification des ingénieurs, des techniciens, des soudeurs, des chaudronniers, c’est le meilleur investissement que la France puisse faire.

Enfin, et c’est l’un des défis qui nous attend pour les décennies à venir, l’énergie sera la grande question économique du XXIe siècle et la grande question économique de l’Europe. Aujourd’hui, l’Europe n’est pas indépendante en matière de production énergétique ; elle doit le devenir. Cela passe par les combats que nous livrons avec le Président de la République, d’abord pour diversifier notre mix énergétique, réinvestir dans six réacteurs nucléaires, dont nous souhaitons la réalisation la plus rapide possible. Nous nommerons dans les tout prochains jours en conseil des ministres le nouveau président-directeur général d’EDF, dont la première mission sera de produire plus d’électricité le plus rapidement possible, pour servir nos industries et nous permettre de passer l’hiver dans les meilleures conditions possible. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Un sénateur du groupe Les Républicains. Il était temps !

M. Fabien Gay. On croyait que sa première mission, c’était de démembrer !

M. Bruno Le Maire, ministre. À l’échelon européen, avec le Président de la République, nous continuerons à nous battre pour une réforme en profondeur du marché européen de l’énergie et pour un découplage définitif des prix du gaz et des prix de l’électricité.

J’en viens au dernier sujet que vous avez abordé à très juste titre, monsieur le président de la commission des finances, parce que c’est probablement celui qui touche le plus nos compatriotes aujourd’hui : la rémunération du travail.

M. Bruno Le Maire, ministre. La fraude n’est pas une question négligeable, mais il me semble qu’avant elle, la rémunération du travail est le sujet qui touche le plus nos compatriotes. Les salariés veulent vivre dignement de leur travail.

M. Fabien Gay. On est d’accord !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous pouvons être fiers que la France soit l’un des seuls pays développés où la rémunération du travail et la rémunération du capital sont restées stables au cours des vingt dernières années.

M. Fabien Gay. C’est faux ! On a perdu 10 points !

M. Bruno Le Maire, ministre. Tous les autres pays développés ont vu exploser la rémunération du capital par rapport à celle du travail. Nous pourrons avoir le débat : je ne soutiens pas qu’elle est parfaite et satisfaisante et qu’il ne faut pas chercher à l’améliorer ; je dis seulement qu’elle est restée stable.

Par ailleurs, nous sommes le seul pays à avoir développé aussi massivement les mécanismes d’intéressement, de participation, de prime défiscalisée, d’actionnariat salarié. Il n’est qu’à voir tout ce qui a été créé par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte. Nous en avons débattu longuement ; les sénateurs qui siègent ici de longue date peuvent en témoigner. Les résultats sont là. Aujourd’hui, 60 % de salariés de PME en plus ont un accord d’intéressement,…

M. Fabien Gay. Ils veulent des salaires !

M. Bruno Le Maire, ministre. … grâce aux mesures de simplification et d’allégement de la fiscalité que vous avez largement votées voilà maintenant plus de quatre ans, mesdames, messieurs les sénateurs, ce dont je vous remercie.

Comment continuer à avancer vers une meilleure rémunération du travail ? D’abord, les salaires. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Laurence Cohen. Alors, là…

M. Bruno Le Maire, ministre. Oui, d’abord les salaires !

Je crois avoir toujours tenu ce discours-là. Je vous le dis à tous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle que soit votre place dans l’hémicycle : toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. Cela fait plus de trois ans que je le répète.

Mme Laurence Cohen. Et vous faites quoi ?

M. Bruno Le Maire, ministre. D’ailleurs, je constate qu’elles les ont augmentés de plus de 4 % en 2022.

Ce ne sont donc pas des paroles en l’air. Ce sont des paroles qui donnent des résultats. Et je tiens à remercier les entrepreneurs qui ont utilisé les marges de manœuvre dont ils disposaient pour augmenter les salaires dans leur entreprise. Je sais que tous souhaitent pouvoir le faire pour récompenser les salariés du travail accompli.

Le salaire est donc bien la première des réponses.

Ensuite, il faut continuer à avancer vers un meilleur partage de la valeur. Tous, Gabriel Attal, les membres de la majorité, moi-même, souhaitons que ce soit le grand débat du début de l’année 2023 : comment mettre en place un dividende salarié ? Comment garantir de manière sûre et certaine qu’à chaque fois qu’une entreprise peut se verser des dividendes, la rémunération du salarié s’améliore ?

Le dividende salarié, c’est le profit pour tous. Je propose que nous y travaillions tous ensemble au début de l’année prochaine.

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Je remercie le rapporteur général de la commission des finances de sa réponse argumentée.

Nos interrogations sur la sincérité et la volonté du travail partagé avec le Parlement demeurent, mais notre groupe ne souhaite en aucun cas qu’il n’y ait pas de débat. Au contraire, nous voulons que ce débat existe et qu’il soit sincère.

Aussi, au nom de mon groupe, je retire cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité pour que ce débat ait lieu au Sénat. Nous verrons si le Gouvernement respecte ou méprise le débat.

M. le président. La motion n° I-1419 est retirée.

(Mme Nathalie Delattre remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Discussion générale

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-1287.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2023.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’invocation à quatre reprises de l’article 49.3 de la Constitution a mis un coup d’arrêt prématuré au débat budgétaire sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

Ce seul état de fait justifie le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable et le rejet du texte, qui, sur beaucoup trop des sujets, n’a pas fait l’objet d’un débat approfondi à l’Assemblée nationale.

Ce matin, un sénateur disait du texte issu des travaux d’une récente commission mixte paritaire qu’il était l’illustration d’un « bicamérisme équilibré ». Cet après-midi, j’ai tendance à dire que le bicamérisme est plutôt déséquilibré…

Notre discussion s’ouvre dans un contexte inédit. La multiplication de mises en jeu de la responsabilité de son gouvernement par la Première ministre souligne à la fois la fragilité du second mandat d’Emmanuel Macron et, paradoxalement, un entêtement autoritaire à affirmer un exercice vertical du pouvoir, sans tenir compte de la volonté exprimée lors du second tour de l’élection présidentielle et des élections législatives.

Le Sénat peut-il accepter ce véritable oukase sans réagir ? Nous devons débattre au préalable de cette situation inédite, car, contrairement à de précédents recours répétés au 49.3, celui dont je parle prend place dans un contexte politique très différent, en France comme à l’international.

Nous n’avons pas peur du débat. Vous nous connaissez : nous y sommes prêts. Mais à quoi bon débattre d’un texte dans lequel le Gouvernement finira par piocher en nouvelle lecture les amendements auxquels il daigne accorder ses préférences ? Nous dénonçons d’emblée ce jeu de dupes. Ses préférences, nous les connaissons : satisfaire sa majorité relative, dont émanent 83 % des amendements retenus.

Nos camarades de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) ont eu l’honneur de ne voir qu’une seule de leurs propositions retenue sur plus de 130 amendements, signe du peu d’égard que le Gouvernement témoigne aux propositions alternatives. Les autres groupes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) sont logés à la même enseigne.

La situation est absolument ubuesque : la Première ministre rejette des amendements adoptés, conserve des amendements rejetés, retient des amendements non discutés… Ce texte « sur mesure » s’est construit au détriment de la souveraineté parlementaire. La nouvelle méthode prônée par le Président de la République tout juste élu attendra. Les dialogues de Bercy s’apparentaient davantage à des monologues de Bercy. Le 49.3 entérine un monologue budgétaire.

Le recours à cet article de la Constitution est, pour citer le constitutionnaliste Pascal Jan, une « arme lourde du parlementarisme rationalisé ». La justification avancée par la Première ministre pour interrompre les débats est, je dois le dire, confondante : « […] nous ne tiendrons pas les délais prévus pour la discussion de cette première partie du PLF. Ensuite, et surtout, les oppositions ont toutes réaffirmé leur volonté de rejeter le texte. En responsabilité, nous devons donner un budget à notre pays. »

Trois arguments se dégagent.

D’abord, donner un budget à notre pays. Nous le souhaitons aussi, évidemment. Agiter la menace d’un shutdown à l’américaine est une manipulation coupable destinée à opposer le débat démocratique et le bon fonctionnement de l’administration publique. En France, le rejet du projet de loi de finances n’entraîne nulle cessation partielle d’activité : nul problème pour la rémunération des fonctionnaires ; nul problème pour les dotations aux collectivités territoriales. Des mécanismes de réserves, de reports et autres acomptes permettent de pallier un désaccord politique. Le chiffon rouge d’un shutdown à la française est brandi dans l’unique objectif de passer outre des désaccords sur l’orientation budgétaire de la Nation.

Le deuxième argument est d’ordre organisationnel : le débat serait long. Mes chers collègues, je vais vous faire une révélation : la démocratie prend du temps ! Le débat parlementaire, de surcroît sur les textes budgétaires, prend du temps. Arguer que les oppositions auraient déposé trop d’amendements pour pouvoir les examiner dans les délais impartis est une manœuvre grossière. Le droit d’amendement est le seul moyen d’expression des parlementaires. Citez-moi une proposition illégitime ! Une seule proposition d’obstruction au débat ! Vous n’en trouverez pas.

Le rôle de notre assemblée devrait être de promouvoir une reprise de contrôle du Parlement en matière budgétaire, et non pas de se soumettre à un cadre de débat de plus en plus restreint, jusqu’à l’usage abusif du 49.3.

Le troisième et dernier argument invoqué par la Première ministre est peut-être le seul légitime. Le Gouvernement et sa majorité insuffisante se sont fait mettre en minorité par les députés de la Nation. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne parlait du 49.3 comme d’un « remède à l’absence de majorité ». Je crois au contraire que c’est un poison pour le pluralisme. Une majorité nette a affirmé qu’elle ne voterait pas ce budget. Là où vous percevez un calcul politicien, je vois pour ma part un rejet politiquement sincère, pour des raisons extrêmement diverses. Je vais vous faire part des nôtres.

Ce texte consacre la poursuite d’une politique libérale, la prolongation d’un nombre incalculable de niches fiscales. Certaines sont utiles ; nous les voterions. D’autres sont inefficientes. Leur coût, de près de 100 milliards d’euros en 2023, ne sert souvent aucune politique publique et érode les recettes nécessaires pour mener à bien les grands chantiers du pays. Pis, certaines, comme c’est le cas encore dans ce projet de loi, sont défavorables au climat. La COP27 est là pour nous le rappeler : nous ne contiendrons pas le réchauffement climatique en deçà de 1,5 degré. Nous croyons qu’il ne convient pas d’opposer la cote d’alerte des finances publiques, qui obnubile M. Le Maire, à la cote d’alerte climatique.

Pour paraphraser cette fois-ci le ministre Gabriel Attal, il y a des économies qui coûtent et des dépenses qui rapportent. Nous ne cesserons de vous rappeler qu’un euro investi aujourd’hui dans la transition écologique, ce sont 100 euros que nous ne dépenserons pas demain pour pallier les conséquences de la crise. Mieux, chaque euro investi dès à présent représente les économies d’aujourd’hui pour nos concitoyennes et nos concitoyens.

Le projet de budget pour 2023 poursuit une logique de courte vue et une vision comptable à la petite semaine. Un bouclier par-ci, un filet de sécurité par-là : vous peinez à répondre à la crise sociale provoquée par l’inflation. La population, comme nos collectivités territoriales connaissent une augmentation de leur facture énergétique que le bouclier tarifaire n’enrayera pas. Pour les ménages et une partie des collectivités, la douloureuse est d’autant plus sèche que, depuis dix années, les factures d’électricité et de gaz avaient déjà augmenté de 50 %.

Le Gouvernement se borne à faire payer le contribuable pour pallier les difficultés du client. Les finances publiques de notre pays méritent mieux que cela.

Ce projet de loi de finances pour 2023 renforce l’injustice fiscale. Il diminue l’impôt sur le revenu de toutes et tous, en prétextant soulager les classes moyennes. Que tous les contribuables de ce pays m’entendent : la classe moyenne, notion au demeurant floue, ne gagne pas 160 336 euros annuels. Dès lors, pourquoi baisser les impôts des plus riches ? C’est un choix politique.

Oui, nous maintenons notre volonté de rétablir une justice fiscale en taxant les plus riches, ce que M. Macron refuse obstinément depuis 2017. Le rétablissement de l’ISF ferait entrer 3 milliards d’euros dans les caisses de l’État, soit exactement le coût du dispositif sur les transports adopté par amendement à l’Assemblée nationale que vous avez enterré avec le 49.3. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

La suppression de l’impôt sur les entreprises est également un marqueur du précédent quinquennat. Vous persistez. La suppression de la CVAE est en réalité celle de la relation entre l’activité économique et les collectivités territoriales, entre la richesse et l’endroit où elle se crée. Je vois dans cette décision, à laquelle nous nous opposons fermement, une fracture fiscale territoriale. J’ajoute que cette imposition constituait un rempart contre l’évasion fiscale, sujet qui devrait toutes et tous nous rassembler ici. Cette décision consacre la politique de l’offre, mais fait peser le coût de la baisse des impôts des entreprises sur les ménages. La compensation d’une part de TVA servira à financer un énième cadeau fiscal injustifié au patronat. Cela s’additionnera aux autres aides fiscales directes ou indirectes et aux subventions d’État, qui culminent à 371 milliards d’euros.

Ces deux exemples sont graves. Je vous le redis, il n’y a qu’un pas entre la continuité et l’obstination.

Ces visions politiques n’ont pas été débattues à l’Assemblée nationale. Et pour cause : vous avez interrompu les débats de la première partie après l’examen de quatre articles et ceux de la seconde après la discussion de sept missions seulement.

J’entends sur les travées de la majorité sénatoriale qu’il conviendrait de débattre pour faire vivre le bicamérisme, pourtant bien mis à mal aujourd’hui, voire la démocratie. Mais débattre pour qui ? Le Gouvernement reprendra du Sénat les seules propositions qu’il estimera bonnes, au mépris de notre institution. Il piochera, comme il l’a fait à l’Assemblée nationale, dans les propositions qui lui sont faites. Qu’il pioche d’ores et déjà dans nos amendements : ils sont à votre disposition ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, mes chers collègues, je confirme ce que j’ai dit tout à l’heure : à mon avis, notre démocratie a grand besoin d’écoute, de dialogue et de respect, ce qui oblige tout autant notre assemblée, sur toutes ses travées, que le Gouvernement, dont on a souvent regretté, au cours du quinquennat précédent, les choix trop unilatéraux, sans doute alors inspirés par le fait majoritaire à l’Assemblée nationale.

C’est, me semble-t-il, l’orientation du Gouvernement. En tout cas, c’est celle du Parlement, du Sénat. Mais, pour bien dialoguer, il faut être deux. Le Gouvernement a donc une responsabilité particulière ici, face au choix du Sénat d’engager le débat : il doit lui aussi faire vivre la démocratie pour de vrai.

Je ne crois pas que nous devions soutenir l’immobilisme ni laisser prospérer des visions qui reposent sur des raccourcis. Le Gouvernement doit montrer concrètement qu’il croit à ce que j’appelle l’intelligence partagée, au lieu de laisser prospérer ce qu’on a appelé hier les fractures territoriales, sociales, écologiques, qui, si on les laisse se développer, deviennent de la fragmentation, pour ne pas dire de l’émiettement. Et je ne suis pas favorable à une France en miettes, au risque de voir les populismes de tout poil en faire leur beurre. Ce n’est absolument pas ce dont nous avons besoin.

Notre assemblée doit donc impérativement débattre avec un gouvernement qui doit écouter et prendre en compte les différentes idées évoquées, sans les balayer d’un revers de main. C’est la responsabilité – elle est éminente – du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis.

Je voudrais confirmer, après les propos du rapporteur général Jean-François Husson, que nous sommes ici dans un esprit de dialogue et de compromis, comme nous l’avons montré sur le PLFR. J’espère que nous pourrons trouver des accords sur des propositions, quelle que soit leur provenance.

Sur la fiscalité, le mérite de notre ligne politique, c’est qu’elle est claire. Nous sommes opposés à toute augmentation de taxes ou d’impôts. Pourquoi ? Parce que nous avons le niveau d’imposition le plus élevé de tous les pays développés. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et GEST.) Augmenter toujours plus un niveau d’imposition qui est déjà le plus élevé de tous les pays développés ne serait donc pas une bonne idée.

Vous me direz que l’impôt n’est pas suffisamment bien réparti. Je constate que 70 % de l’impôt sur le revenu est payé par 10 % des contribuables… On me dit qu’il faut absolument augmenter le prélèvement forfaitaire unique. Mais l’imposition du capital en France est supérieure à celle qui est pratiquée en Allemagne ou dans d’autres grands pays se situant dans la moyenne de la zone euro. On me dit qu’il ne faut pas baisser les impôts de production ni supprimer la CVAE. Je note pourtant que, malgré tous les efforts que nous avons déjà engagés, notre niveau de fiscalité sur la production est encore cinq à six fois plus élevé que celui de l’Allemagne.

On ne peut pas pleurer sur la désindustrialisation de la France, qui est la pire des décisions économiques et politiques à avoir été prise dans ce pays depuis trente ans – nous en payons encore les conséquences économiques et politiques dans nos territoires, lors des élections et s’agissant du rapport de force avec les grandes nations développées – tout en souhaitant conserver un niveau d’imposition cinq à six fois plus élevé que celui de l’Allemagne. Il faut de la cohérence et de la fermeté dans les choix de politique économique.

Les nôtres sont clairs : nous voulons alléger la fiscalité qui pèse sur les entreprises industrielles. Nous voulons garantir la reconquête industrielle. Avant de penser à répartir des richesses, nous songeons d’abord à en créer de nouvelles.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Nous prenons acte des arguments de notre rapporteur général, qui vante, tout comme nous, les vertus du bicamérisme. Mais le Parlement n’est pas que la somme de deux chambres ; il faut le concevoir dans son unité. Les deux chambres doivent se défendre quand l’une ou l’autre est piétinée. Or c’est ce qui s’est passé. L’unité institutionnelle en dépend.

Selon nous, vous devez clarifier votre position. Soutenez-vous le passage en force au titre de l’article 49.3 sur les textes budgétaires ? Quelles garanties avez-vous obtenues sur la considération de l’exécutif vis-à-vis des propositions adoptées au Sénat ?

L’excellent Charles Dickens évoquait en ces termes le mépris de l’exécutif pour le travail législatif : « Désolé de faire quelque chose qui risque d’interrompre des activités aussi sympathiques, comme disait le roi au moment de dissoudre le Parlement. » Le Sénat s’honorerait de ne pas cautionner le mépris avec lequel ont été tranchés des sujets sur lesquels l’Assemblée nationale pouvait débattre.

Les collectivités territoriales, ce sera non en première partie. Le débat sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » est reporté. Puis, le 49.3 annihile ce débat, qui n’aura pas lieu. Le rapporteur général, portant la voix de la majorité, nous explique qu’il faut que nous l’ayons.

Le débat sur le budget pour 2023 s’est fait dans la presse, et quasiment pas dans l’hémicycle. En acceptant ce débat tronqué par un gouvernement qui poursuit ses annonces sans transmettre son texte et qui continue de faire la promotion de celui-ci sans contradicteur, le Sénat se fourvoie.

L’atteinte, mes chers collègues, est grave. Elle se reproduira certainement l’année prochaine et les suivantes, tout au long de ce quinquennat. Que décidera la majorité sénatoriale ? Que le débat doit se tenir pour solde de tout compte de la démocratie ? Selon nous, ce serait un peu léger.

Le Parlement doit faire corps. Il doit présenter un front uni pour refuser les entraves aux conditions sereines du débat démocratique. La question préalable que nous vous opposons, vous le savez, n’est pas une dérobade ; ce n’est pas le genre de la maison. Nous sommes prêts, nous aussi, à affronter le Gouvernement et la majorité sénatoriale. Nous sommes prêts à faire valoir notre projet de justice fiscale, de justice sociale et de renforcement de l’indispensable intervention publique pour enrayer les dérives du marché. C’est un message d’alerte. C’est une opposition franche à la méthode et au contenu du projet de loi. Nous vous appelons à la même clarté. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° I-1287, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 279
Pour l’adoption 27
Contre 252

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Article liminaire

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ouvrons le débat sur le PLF 2023 quelques jours avant la clôture de la COP27 et quelques mois après un été marqué par les canicules, les sécheresses, les incendies de forêt et les épisodes météorologiques gravissimes.

Un Français sur deux vit dans une ville exposée aux surchaleurs urbaines. Bientôt, les deux tiers du pays seront exposés à des sécheresses durables, générant d’immenses problèmes de gestion de la ressource en eau.

Nous ouvrons ce débat alors que la biodiversité et les écosystèmes sont malmenés. Ainsi, 32 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition du territoire, tout comme 19 % des poissons d’eau douce. Ces chiffres, vous les connaissez déjà, puisqu’ils sont issus du site internet du ministère de l’écologie.

Nous l’ouvrons dans un contexte également marqué par la guerre menée par la Russie en Ukraine, tragédie humaine à quelques milliers de kilomètres, dont certains – hélas ! – profitent. Envolée des cours des énergies, inflation, voire récession : les conséquences sont brutales pour nos concitoyens, pour les territoires et pour notre économie.

Le pouvoir d’achat des Français est mis à mal, ce dont les effets peuvent être redoutables, notamment pour les personnes âgées, les étudiants, les foyers modestes à la limite du seuil de pauvreté. Un taux de 5 % d’inflation n’a pas les mêmes conséquences lorsqu’on gagne 1 500 euros ou lorsqu’on touche plus de 5 000 euros.

Voilà trois ans, alors que la pandémie s’étendait au monde entier, le Président de la République déclarait : « Nous sommes en guerre. » Il invitait le gouvernement d’alors et chaque composante de la société à se mobiliser. Nous n’avions aucune anticipation stratégique pour faire face à cette épidémie, dont l’ampleur était inédite.

Aujourd’hui, votre incapacité à anticiper concrètement les effets des dérèglements climatiques est affligeante. Alors que la COP27 souligne l’urgence absolue, le PLF que vous mettez en débat relève, au-delà de quelques mesures ponctuelles bienvenues, de la sacro-sainte orthodoxie libérale : baisse des impôts, retour à un moindre déficit et désarmement financier de l’État.

Cette trajectoire marque une absence de conviction et de volonté de s’attaquer vraiment à la crise climatique, de l’anticiper si possible et de nous y adapter.

Au fond, ces crises confortent – hélas ! – les analyses que portent les écologistes sur notre société depuis tant d’années. J’aurais préféré qu’il en fût autrement, mais la crise est là, et les incertitudes s’amplifient. Elles exigent une boussole et un cap.

Edgar Morin rappelle que vivre, c’est « naviguer dans une mer d’incertitude, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille ». Des îlots et des archipels vers la transition écologique, nous en identifions. En voici un, qui fut voté à l’Assemblée nationale : il consiste à s’engager efficacement et immédiatement dans l’isolation thermique des bâtiments.

Vous mettez 47 milliards d’euros dans des boucliers énergétiques et 2,5 milliards d’euros pour la rénovation du bâti. Cette proportion dit tout : c’est une erreur ; c’est même une faute. Le bouclier doit être plus ciblé – je vous ai entendu le reconnaître –, et la rénovation doit être plus large.

Un investissement massif dans l’isolation thermique permettrait à des millions de familles de ne plus vivre dans la précarité énergétique, diminuerait notre dépendance aux fossiles et nos émissions de CO2, dont un quart proviennent du chauffage. C’est aussi rendre ces logements habitables, ce qui est essentiel aujourd’hui.

On peut aussi ravitailler financièrement le bateau France en créant un ISF climatique. Au-delà des 10 milliards d’euros de recettes potentielles, vous permettriez aux plus aisés, qui sont aussi ceux qui polluent le plus, de contribuer bien plus activement à la bifurcation écologique. Je suis sûr qu’ils vous en sauraient gré. Le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes françaises dépassant les 1 000 milliards d’euros, cette participation serait un effort modeste et acceptable en rapport avec la soutenabilité de leur mode de vie pour que notre planète reste habitable.

Il faudrait aussi instaurer un système de bonus-malus : bonus, avec une fiscalité moindre pour tout ce qui répare, ce qui recycle et ce qui soutient la sobriété ; malus pour tout ce qui augmente les émissions et pour les consommations excessives.

Il convient également de soutenir vigoureusement la recherche, la création culturelle, la vie associative, l’éducation, et tout ce qui fait de notre société une démocratie humaniste et éclairée.

L’école, l’hôpital, la justice, l’accueil du grand âge ou de la petite enfance, l’accès au logement… Pas un secteur où les besoins d’intervention améliorée de l’État ne soient criants. C’est pourquoi nous plaidons pour une redistribution des richesses par un impôt plus progressif, et pour la taxation des dividendes, celle des profits excessifs et celle – je répète le mot – des superprofits.

Même les intérêts de la dette, qui passent à 50 milliards d’euros, soit 14 milliards d’euros de plus que l’an passé, justifieraient que vous ne désarmiez pas la capacité financière de l’État.

Pourtant, vous supprimez 8 milliards d’euros de CVAE en deux ans, comme si nous pouvions à ce point nous passer de recettes fiscales, si nécessaires pour améliorer nos services publics, qui sont en souffrance.

Les outils de l’État en faveur de la transition écologique – je pense à l’Office national des forêts, à Météo-France, à l’Office français de la biodiversité, au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) – ont tous besoin de moyens humains et financiers. Les quelques unités supplémentaires que vous leur accordez ne compensent pas les coupes sombres des dernières années. Pis, vous diminuez de 4 295 équivalents temps plein (ETP) les services de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Nous voulons aussi, messieurs les ministres, une société plus inclusive et plus juste. Avec 57 milliards d’euros de dividendes versés l’an passé, notre pays pulvérise le record d’Europe en la matière. En athlétisme, face à une performance aussi incroyable, on aurait exigé un contrôle antidopage.

Mais cette performance ne se traduit pas par une hausse des rémunérations des salariés. Les écarts de revenus sont toujours plus insupportables et exigent des réponses nouvelles et, en premier lieu, une meilleure rémunération du travail.

Nous devrions aussi garantir à tous nos concitoyens un accès à un coût très bas aux premiers mètres cubes d’eau ou aux premiers mégawattheures de gaz ou d’électricité, pour que chacun puisse se voir garantir ce qui lui est essentiel pour vivre. Quant au superflu ou au non essentiel, que chacun le paye ! Voilà une mesure simple de justice sociale.

Le Gouvernement doit réorienter ses financements publics vers tout ce qui rend notre société plus durable et résiliente : une agriculture paysanne, une équité d’accès au service public sur tout le territoire, une alimentation bio et locale abordable, via le chèque alimentaire promis et toujours attendu, la lutte contre les îlots de chaleur… La liste pourrait être longue. Nous déposerons des amendements en ce sens sur tous ces sujets, et nous les défendrons avec ferveur.

Le fonds vert de deux milliards d’euros a l’avantage d’être un fonds de recyclage, mais il ne suffira pas à couvrir tous ces besoins.

Enfin, nous voulons, messieurs les ministres, une République de territoires et une véritable acceptation de votre part de la décentralisation.

Laissez les collectivités, confrontées à la crise du logement et à l’impossibilité de loger les étudiants et les jeunes ménages en raison de la multiplication des résidences secondaires et des Airbnb, libres de fixer leur taxe d’habitation sur les résidences secondaires, celles sur les hôtels de luxe ou les logements vacants ! Laissez aux collectivités chargées des transports collectifs la possibilité de moduler le versement mobilité des entreprises. Protégez-les en élargissant le bouclier énergétique ou même en indexant la dotation globale de fonctionnement (DGF) à l’inflation, comme ce fut si longtemps le cas.

Et, surtout, renoncez à votre volonté de contrôler leurs choix ! Supprimez l’article 23, maquillé en article 40 quater ! Mais vous ne répondez pas sur ce sujet.

Les marges d’amélioration de ce PLF sont nombreuses. Notre groupe fera des propositions. Il me semble toutefois indispensable de poser deux postulats. D’une part, la fraternité et l’égalité de notre devise républicaine nécessitent de réduire les injustices et de mieux distribuer la richesse produite dans notre pays. D’autre part, la dette climatique est, pour aujourd’hui comme pour demain, au moins aussi dangereuse que la dette financière. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !

Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ia ora na – bonjour !

Ce projet de loi de finances, le premier du nouveau quinquennat, s’inscrit dans la continuité de l’action de la majorité présidentielle, tout en s’attachant à faire face aux défis stratégiques actuels et à répondre aux attentes des Français face aux crises.

Il poursuit en effet la politique de l’offre menée depuis 2017, en soutien à la compétitivité de nos entreprises et au pouvoir d’achat des ménages.

Alors que plusieurs allégements fiscaux avaient déjà été mis en œuvre sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, de la réforme de l’ISF à la réduction massive de l’impôt sur le revenu, en passant par la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales – soit une baisse d’impôts de plus de 50 milliards d’euros au profit des Français –, le PLF pour 2023 prévoit de nouveaux allégements.

Nous proposons ainsi de supprimer en deux temps – pour moitié dès le mois de janvier prochain, puis définitivement en 2024 – la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Nous entendons quelques réticences sur ce sujet, mais nous notons aussi que bon nombre de ceux qui s’y opposent aujourd’hui ont proposé cette baisse durant la campagne présidentielle.

Cette réforme bénéficiera à tout notre tissu industriel. Je tiens aussi à souligner que la suppression de la CVAE en deux temps sera intégralement compensée : il n’est pas question d’assécher les comptes des collectivités locales, comme nous avons pu l’entendre. Si nous avons des désaccords sur les modalités de compensation, ce qui est bien normal au sein notre assemblée, mieux vaut discuter, travailler, amender, négocier plutôt que de renoncer purement et simplement à une réforme attendue depuis longtemps par les acteurs économiques du pays.

Soulignons encore que les réformes fiscales et les dispositifs de soutien engagés au cours des dernières années ont porté leurs fruits et se traduisent dans le dynamisme des recettes fiscales, lequel profitera également à nos collectivités.

Chers collègues, le choix que nous avons fait de compenser la suppression de la taxe d’habitation par une part de TVA conduit à une compensation plus dynamique que toutes les réformes fiscales précédentes.

Le pouvoir d’achat des Français a crû de 1 % par an depuis 2017, soit un gain annuel moyen de 300 euros. C’est une performance appréciable, jusque-là inégalée, et d’autant plus notable que nous avons connu deux années de crise sans précédent, au cours desquelles le revenu des ménages n’a pas diminué et l’épargne a atteint des niveaux records.

Notre politique économique porte ses fruits. Il faut bien le reconnaître et l’apprécier collectivement.

Ce PLF pour 2023 est cohérent avec notre cap, parce qu’il vise le plein emploi en prolongeant des dispositifs efficaces et reconnus comme tels.

Après la crise de 2008, le chômage atteignait 9,5 % ; sous le quinquennat suivant, il dépassait même 10,5 %. À l’époque, le seul horizon était l’inversion de la courbe du chômage, comme si la bataille de l’emploi était déjà perdue. Aujourd’hui, la baisse est continue et le chômage est sur le point de passer au-dessous des 7 %. Le plein emploi est à notre portée et le PLF poursuit les efforts engagés.

Nous renforçons le financement de l’apprentissage, dont près de 900 000 jeunes ont bénéficié en 2021. Nous visons désormais le cap du million de bénéficiaires d’ici à 2027. Pour y parvenir, nous y consacrons 3,5 milliards des 31 milliards d’euros crédités au ministère du travail.

Le taux d’emploi des 15-24 ans a progressé de 5,3 points entre fin 2015 et fin 2021. C’est un point fondamental, car l’emploi des jeunes est la clef d’une société prospère. Ces bons résultats auront des conséquences positives sur toute une génération, qui sera le moteur et de notre économie et du financement de notre modèle social dans les prochaines années.

D’autres dispositifs sont également poursuivis : effort de 300 millions d’euros pour l’aide à la formation du fonds national pour l’emploi, dite FNE-formation, visant à soutenir les entreprises et salariés en difficulté ; 84 millions d’euros pour le plan de réduction des tensions de recrutement pour assouplir les frictions sur le marché du travail ; enfin, 50 millions d’euros en faveur du dispositif Transitions collectives.

Le Gouvernement soutient le plein emploi, que nous voulons atteindre d’ici à 2027. Alors que nous sommes en pleine semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, nous pouvons tous nous féliciter de la très nette baisse – cinq points depuis 2017 – du taux de chômage des personnes en situation de handicap.

La cohérence de ce budget, c’est enfin un soutien sans précédent aux fonctions régaliennes. Pour la troisième année consécutive, le PLF affiche des trajectoires inédites de progression des crédits : 8 % de hausse du budget de la justice pour la troisième fois ; ouverture de 3 000 postes au ministère de l’intérieur, de 2 300 à la justice et de 1 500 à la défense.

Quand nous avons débattu de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, de nombreux collègues ont exprimé des critiques sur ces points précis. Ce sont pourtant bien ces efforts qui sont financés, tout en proposant de revenir sous le seuil des 3 % de déficit en 2027.

C’est aussi dans cette épure et avec le souci de l’équilibre de nos finances publiques que notre groupe portera des amendements visant à soutenir les collectivités locales face à l’inflation, à renforcer notre tissu productif et à soutenir les territoires qui en ont le plus besoin.

En ce sens, je vous proposerai également un amendement tendant à soutenir les investissements dans nos collectivités d’outre-mer, en particulier celles du Pacifique.

Si vous souhaitez malgré tout une trajectoire budgétaire plus exigeante encore, dites-nous, chers collègues, ce à quoi nous devrions renoncer.

Comment affronter dès lors les défis qui se présentent ? Ils ont été rappelés : soutenir les collectivités locales, réarmer les fonctions régaliennes, rénover notre système éducatif, financer la transition écologique tout en diminuant la pression fiscale qui pèse sur nos entreprises et sur les ménages.

Au fond de vous, vous en conviendrez, ce projet de loi de finances trace une trajectoire cohérente et pertinente pour notre pays. Il vise à répondre efficacement aux attentes légitimes des Français de métropole comme des outre-mer.

C’est la voie de l’action, celle vers le plein emploi, celle qui exprime de manière ciblée les solidarités attendues des Français, de nos entreprises et de nos collectivités.

C’est cette action qui nous est proposée et que nous vous appelons à soutenir. Le groupe RDPI votera le projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est sous emprise que nous abordons aujourd’hui le projet de loi de finances pour l’année 2023.

Plus précisément, sous l’emprise de l’article 49.3,…

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pas au Sénat !

M. Thierry Cozic. … certes constitutionnel, mais qui muselle les organes de la démocratie représentative.

Nous avons donc à nous prononcer sur un budget animé par des logiques quasi schizophréniques, tant votre souci de maintenir à flot l’économie par diverses aides se heurte à votre volonté de commencer à instaurer une austérité qui ne veut pas dire son nom.

Car ne nous y trompons pas : il faut bien considérer la loi de finances pour ce qu’elle est, à savoir le deuxième budget le plus austéritaire des vingt dernières années. (M. Teva Rohfritsch fait un signe de dénégation.)

Une fois neutralisé l’impact de la fin des mesures exceptionnelles liées au covid-19, les 65 milliards d’euros de dépenses supplémentaires prévues suffisent tout juste à couvrir le coût de l’inflation.

Ces vingt dernières années, une seule fois le budget des services publics aura connu des restrictions plus importantes par rapport à l’année précédente : en 2018, quelques mois avant la crise des « gilets jaunes ». Comprendra qui voudra !

Ce budget aura un impact sur des tensions sociales déjà substantielles, tout comme il aura un impact, à court terme, sur l’état de nos services publics et donc sur la réponse aux besoins de la population.

Derrière ces arbitrages budgétaires, c’est notre capacité à préparer collectivement l’avenir qui est en jeu ; un avenir auquel nos élus, dans les territoires, peinent à tracer des contours radieux. Leur donner des marges de manœuvre est vital, car ils ne demandent pas l’aumône, mais simplement la capacité à penser le futur sereinement.

Voter l’amendement que je défendrai au nom du groupe socialiste sur l’indexation de la DGF sur l’inflation participe de cette sérénité si nécessaire.

Les crises sanitaire, énergétique et sociale malmènent nos collectivités, qui sont en première ligne et dont certaines ne savent pas comment boucler leur budget. La hausse des dépenses d’énergie s’élève à pas moins de 11 milliards d’euros.

Ce n’est pas un hasard, monsieur le ministre, si le 49.3 a été déclenché à l’Assemblée nationale avant l’examen des articles relatifs aux collectivités locales. Vous êtes même allé jusqu’à intervertir ce chapitre avec celui de la justice, repoussant la discussion sur les collectivités au vendredi suivant pour finalement ne jamais l’aborder !

Ici, au Sénat, vous ne pourrez pas vous dérober. D’ailleurs, vos chinoiseries parlementaires (Sourires.) ne témoignent que trop bien du malaise qui vous habite sur la question.

Les collectivités payent votre volonté de rigueur. Votre cadrage budgétaire est d’ailleurs symptomatique : vous souhaitez de toute force atteindre les 5 % de déficit en 2023 tout en baissant les impôts des entreprises. Mais qui peut croire un instant que ces mesures, pourtant si antinomiques, permettraient de financer les services publics ou de dégager les marges de manœuvre nécessaires au financement de la transition écologique ?

Si je devais résumer votre ambition budgétaire en matière environnementale, il me suffirait d’une phrase : un peu plus de vert et beaucoup plus de gris. Qu’on se le tienne pour dit : je peine à voir ce qu’il y a de « vert » à poursuivre les baisses d’impôts sans contreparties environnementales, tout en subventionnant massivement la consommation d’énergies fossiles.

Depuis cinq ans, votre politique de l’offre a permis la disparition de 50 milliards d’impôts de production au bénéfice des entreprises afin, selon vos propres mots, monsieur le ministre, de « favoriser la croissance et l’emploi ». Le tout sans jamais demander de contreparties sociales et environnementales !

La Chambre Haute n’a pas ignoré les 1,5 milliard d’euros destinés, par le biais du fonds vert, à accompagner les efforts des collectivités territoriales en matière de transition écologique. Nous serons attentifs à ce que, comme s’y est engagé le Gouvernement, ce montant soit intégralement engagé en 2023. Nous serons tout aussi vigilants pour vérifier jusqu’où la mesure vient s’ajouter, et non se substituer, aux dépenses préexistantes.

Je note que, d’ores et déjà, la dotation annoncée de 150 millions d’euros pour la stratégie nationale pour la biodiversité en 2023 sera portée par le fonds vert. Or, en tout état de cause, ce fonds est très insuffisant pour permettre aux collectivités de réaliser les investissements de leur compétence afin d’atteindre les objectifs nationaux de neutralité carbone. Selon l’Institut de l’économie pour le climat, il faudrait investir chaque année environ 10 milliards d’euros, soit près du triple de ce qui est actuellement réalisé.

Nos collectivités territoriales ne sont absolument pas réticentes à engager le virage écologique que l’époque nous intime urgemment d’amorcer. Elles ont toutefois besoin d’être soutenues en accélérant les décaissements du fonds vert en matière de rénovation thermique des bâtiments.

Nos collectivités ont surtout besoin de retrouver des marges de manœuvre fiscales. Nous vous proposons de leur permettre, si elles le souhaitent, d’augmenter la taxe d’habitation pour les résidences secondaires.

Les grands changements sociétaux et écologiques de l’époque nous obligent à regarder l’avenir non pas avec les lunettes du passé, mais avec celles de demain. Nous soutiendrons plusieurs amendements guidés par le souci de défendre une vision du monde plus altruiste, mais tout aussi exigeante. Durant des semaines, vous nous avez vanté votre sens du compromis et de la coconstruction. Par votre soutien à nos amendements, nous pourrons vérifier si tout cela n’était qu’incantatoire.

Winston Churchill disait : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. » Avec ce budget, monsieur le ministre, je crains que vous ayez mordu l’avenir seul et que nous soyons, à la fin, tous pris à la gorge. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc venu le temps d’examiner au Sénat le PLF pour 2023, un budget dont vous disiez, lors de sa présentation à la fin du mois de septembre dernier, qu’il était destiné à « protéger les Français ». Il nous faut donc examiner le texte à l’aune de cette belle ambition de communication.

Rappelons d’abord le cadre général dans lequel il s’inscrit : ni la crise dite des « gilets jaunes », ni la pandémie de covid-19 ni, enfin, la guerre en Ukraine et ses conséquences concrètes sur notre vie quotidienne n’auront eu raison de votre dogme absolu de réduction, coûte que coûte, de la dépense publique.

Votre gouvernement a transmis, à la mi-août, son programme de stabilité à la Commission européenne. Ce document décrit la stratégie relative aux comptes publics pour la période 2022-2027. Son fil directeur est de contenir la hausse de l’ensemble des dépenses publiques à 0,6 %. Bercy promet donc de réduire les dépenses de l’État et des collectivités locales pendant le quinquennat.

Indépendamment des crises que notre pays traverse, cela nous rappelle le retour à l’orthodoxie budgétaire, telle que le décrivent les traités de Maastricht et de Lisbonne. Vous n’aimez pas ces mots, monsieur le ministre, mais votre politique est bien une austérité qui ne dit pas son nom.

L’effort en dépenses exigé des administrations en 2023 pris pour les années suivantes est assumé par le Gouvernement. Monsieur le ministre, vos documents budgétaires envisagent, sur la période 2022-2027, une croissance moyenne de la dépense publique de 0,6 % et précisent que cette maîtrise de la dépense sera portée par l’ensemble des administrations publiques.

La politique fiscale menée pendant le précédent quinquennat a surtout favorisé les entreprises et les ménages les plus aisés. On compte ainsi 54 milliards d’euros de recettes en moins sur cinq ans au bénéfice, pour moitié, des entreprises.

Le Gouvernement prévoit une diminution des recettes publiques liées aux prélèvements, qui passeraient ainsi de 45,2 % du PIB en 2022 à 44,7 % en 2023.

Vos choix continuent d’amenuiser de manière pérenne les recettes publiques. Vous faites supporter l’intégralité de l’effort sur des services publics déjà exsangues. Vous persistez dans le refus d’activer le levier fiscal, lequel pourrait permettre de répartir l’effort budgétaire de manière redistributive.

Le débat sur la taxation des dividendes s’était imposé au cœur de l’été, lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative. À l’époque, M. Le Maire disait ne pas savoir ce qu’étaient les superprofits : j’imagine que ces derniers mois ont éclairé sa lanterne !

Le débat n’est pas clos ; il traverse même toute l’Europe. Selon l’ONG Observatoire des multinationales, les dividendes versés par les entreprises du CAC 40 avaient atteint l’an dernier, comme certains d’entre nous l’ont déjà souligné, un montant record de 57,5 milliards d’euros. L’année 2022 s’annonce encore plus prolifique.

Aux dividendes en hausse de 32 % par rapport à 2020, il faut ajouter les rachats d’actions visant à soutenir artificiellement les cours en Bourse, soit une gratification de 23 milliards d’euros en 2021 pour les actionnaires.

Dans son commentaire, l’ONG indique que la contribution fiscale des groupes du CAC 40 semble croître bien moins rapidement que leurs profits et dividendes.

Rappelons enfin que 14 % de l’ensemble des filiales du CAC 40 sont localisés dans des paradis fiscaux et que la rémunération moyenne d’un dirigeant de ces grands groupes a progressé de 26,4 % entre 2019 et 2021.

Votre position est d’autant plus inacceptable que ces mêmes groupes bénéficient, sous les formes les plus diverses, de subventions publiques. Une étude récente montrait ainsi qu’en avril 2019 près de 160 milliards d’euros leur avaient été versés. Ce montant représente le premier poste de dépenses de l’État ; en 1980, il n’atteignait pas 10 milliards. En outre, ces aides ne sont aucunement conditionnées.

À l’évidence, il faudrait a minima réfléchir à imposer des contreparties, par exemple un encadrement du versement des dividendes, afin de soutenir plutôt les salaires et les investissements écologiques de long terme, d’autant que plus de 30 % des bénéfices des multinationales sont allègrement transférés dans les paradis fiscaux.

En refusant d’utiliser la taxation, vous privilégiez le recours à la dette. En effet, nous emprunterons l’an prochain 270 milliards d’euros, alors que nos recettes fiscales prévues s’établissent à 345 milliards. La contrainte budgétaire extrêmement forte pesant sur les différentes administrations conduira directement à de nouvelles dégradations.

Plusieurs conséquences concrètes de cette austérité peuvent d’ores et déjà être identifiées. À titre d’illustration, le PLF affiche ainsi une baisse de 1 % du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », avec la fermeture de plus de 20 000 places. De même, on observe une baisse de 23,8 % des crédits alloués à la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des jeunes.

Monsieur le ministre, nous sommes à quelques jours de l’ouverture, à Paris, du 104e congrès des maires de France, qui va rassembler pas moins de 10 000 élus locaux. Depuis la communication des éléments du budget 2023, les réactions de toutes les associations d’élus n’ont pas manqué, mais la mesure la plus critiquée est l’annonce de la suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises. Ce sont ainsi plus de 8 milliards d’euros qui vont disparaître des caisses des collectivités.

Après la suppression de la taxe professionnelle voilà douze ans, celle de la taxe d’habitation ensuite et celle de la CVAE aujourd’hui, sans jamais aucune concertation, nous rêvons tous d’une République où l’on demanderait leur avis aux maires et aux élus locaux avant toute décision de suppression d’un impôt revenant légitimement aux collectivités locales. (Mme Nathalie Goulet marque son approbation.)

Pour justifier ce choix, vous nous expliquez que les collectivités doivent, elles aussi, contribuer à l’effort de redressement des comptes publics.

C’est d’abord injuste, car les collectivités n’ont aucune responsabilité dans le déséquilibre des comptes de la Nation. De par la loi, elles sont tenues de voter un budget à l’équilibre. L’État emprunte pour financer son fonctionnement, les collectivités pour investir. La part des collectivités dans la dette globale du pays représente environ 8 % du total, et ce chiffre n’a pas varié depuis trois décennies.

D’ailleurs, l’effort demandé aux collectivités a déjà été effectué. Elles ont ainsi participé, ces dernières années, pour 46 milliards d’euros au redressement des comptes publics.

Vous laissez entendre que les collectivités seraient assises sur un matelas de pièces d’or. Or la réalité est que les recettes et les dépenses s’équilibrent : il n’y a pas de gras. Les comptes 2021 ne sont bons que par rapport à ceux de 2020, lorsque les collectivités ont subi la crise sanitaire.

Si l’on compare ces chiffres à ceux de 2019, les dépenses d’équipement des communes sont en recul de 12,5 %. Et si les fonds de roulement sont en excédent d’un an et demi, c’est parce que les communes, intercommunalités, départements et régions n’ont pu en 2020 engager l’ensemble des investissements votés avant la crise.

Une stabilité des dotations générera, sur le plan macroéconomique, un effet récessionniste. Rappelons que les collectivités sont un levier économique essentiel pour les territoires, où elles réalisent encore plus de 70 % de l’investissement public – 70 % de l’investissement public, 8 % de la dette publique et 0 % du déficit public : quel bilan magnifique ! Qui dit mieux ?

Monsieur le ministre, après la crise sanitaire, qui a coûté près de 7 milliards d’euros aux collectivités, ces dernières font face à l’explosion du prix des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie. Certaines d’entre elles voient leurs dépenses d’énergie bondir, de façon vertigineuse, jusqu’à 600 % !

Les maires s’inquiètent de leur capacité à faire face à leurs factures et, quand elles seront acquittées, du niveau d’excédent qui sera constaté l’an prochain pour engager les investissements nécessaires au développement de leur commune, au service de leur population.

Il conviendrait tout d’abord de permettre aux collectivités d’absorber le choc énergétique. À l’évidence, les quelques annonces de ces dernières semaines n’y suffiront pas. Elles ne sont pas de nature à rassurer les élus locaux. Seuls une indexation de la DGF sur l’inflation et le retour aux tarifs réglementés de vente de l’énergie à l’ensemble des collectivités seraient des signaux forts et rassurants.

Les services publics de proximité doivent être confortés. Le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Les affaiblir aura pour conséquence d’aggraver les fractures géographiques et sociales et donc, en fin de compte, d’amplifier la crise civique, voire politique que nous traversons.

Pour conclure, je voudrais évoquer votre méthode. Si nous contestons, au fond, les choix régressifs du PLF pour 2023, nous en contestons tout autant la forme. Dans une interview au site lagazette.fr, en date du 26 septembre dernier, vous évoquiez, monsieur le ministre, les contrats de confiance que vous souhaitiez mettre en place avec les collectivités.

En évoquant la maîtrise de leurs dépenses, vous avez souligné que si jamais des collectivités et des strates ne faisaient pas l’effort de maîtrise de la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, il pourrait y avoir une incitation. Jusque-là, tout va bien. (M. le ministre délégué en convient.) Vous ajoutez ensuite : « La première année, ce sera l’absence d’accès à toute dotation de l’État (DSIL, DETR, fonds vert…) pour les collectivités n’ayant pas respecté l’objectif, au sein d’une catégorie qui ne l’a pas atteint non plus. Ensuite, si manifestement il n’y a vraiment pas de volonté de s’inscrire dans cette trajectoire alors que les autres collectivités le font, il pourrait y avoir des reprises. » Ne s’agit-il pas là une atteinte directe à l’article 72 de la Constitution, consacrant le principe de libre administration des collectivités ?

Vous prenez, monsieur le ministre, un risque économique et politique considérable à corseter ainsi les administrations publiques et les collectivités. Elles sont, les unes et les autres, une réponse concrète quotidienne à la fracture sociale qui s’aggrave sans cesse dans notre pays.

Votre budget ne prend pas en compte l’état réel de notre société, nous ne pourrons dès lors que le rejeter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste aborde le projet de loi de finances pour 2023 dans le même esprit que lors de l’examen des précédents textes financiers : rigueur budgétaire et recherche du plus faible déficit possible.

Avec M. le ministre Le Maire, nous sommes « à l’euro près ». Avec vous, monsieur le ministre Attal, nous voulons éviter « le dérapage budgétaire ». Pour cela, nous proposons une trajectoire différente de la vôtre, en recettes et en dépenses. Mes collègues compléteront mon intervention ; je vais, pour ma part, aborder les recettes.

Il manque des recettes dans ce PLF pour 2023, notamment une contribution exceptionnelle générale sur les bénéfices et la CVAE.

Monsieur le ministre, pas plus que vous, nous n’avons envie de prélever des impôts. Pas plus que vous, nous n’imaginons freiner l’allant de nos fleurons du CAC 40. Mais bien autant que vous, nous anticipons les milliards d’euros de dépenses exceptionnelles auxquelles l’État devra consentir pour protéger nos concitoyens et nos entreprises des crises à venir.

Aussi, nous devons saisir toutes les marges de manœuvre afin de nous prémunir contre des déficits irréversibles.

M. le ministre Le Maire explique très bien pourquoi nous devons éviter la spirale inflationniste et se dit inquiet de la situation britannique. Mais il se trouve que, dès 2023, la France devra emprunter 270 milliards d’euros pour financer sa dette, soit 10 milliards d’euros de plus que l’an passé.

Le taux auquel elle empruntera ne sera plus négatif, mais bondira à 2,5 %, voire à 3 % pour les obligations assimilables du Trésor (OAT) à dix ans, ce qui nous entraîne dans un début de spirale qu’il sera impossible de contrer d’ici à quelques années.

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

Mme Sylvie Vermeillet. À ce jour, la maturité de notre dette, d’environ huit ans, et les taux d’emprunt sans cesse décroissants des décennies antérieures ont rendu le coût de nos emprunts dérisoire. Mais c’est terminé : nous voyons, pour 2023, et des remboursements d’emprunt qui augmentent et des taux d’intérêt alarmants. Voilà qui nous ordonne de réduire le déficit public.

Nous partageons l’analyse de Philip Lane, chef économiste de la Banque centrale européenne, qui craint l’accumulation de déficits de plus en plus difficiles à financer, ainsi que leur effet inflationniste. Il est donc favorable à notre taxation.

En effet, augmenter le déficit alimente davantage l’inflation que de prélever l’impôt pour le redistribuer. C’est la première raison pour laquelle nous proposons une contribution exceptionnelle sur les bénéfices, élargie à tous les secteurs d’activité.

Plus précisément, nous avons révisé l’amendement que nous avions déposé en août dernier, en relevant le seuil d’imposition aux entreprises réalisant plus de 10 millions d’euros de bénéfice net et en le calant sur la taxation européenne. Ainsi, nous appliquons le même taux de 33 % aux bénéfices 2022 supérieurs de 20 % à la moyenne des trois meilleurs résultats nets de 2018 à 2021.

La différence, c’est que nous souhaitons une participation de toutes les entreprises ayant réalisé des profits exceptionnels, pas seulement celles du secteur énergétique, que vous ponctionnez sans limites, monsieur le ministre, à la faveur du reversement intégral de leurs bénéfices via le bouclier tarifaire. Vous le faites à hauteur de 29 milliards d’euros et c’est parfait ! Mais pourquoi d’autres secteurs y échappent-ils ? (Mme Nathalie Goulet approuve.) Pourquoi ne pas mettre à contribution le transport, le luxe, les laboratoires, les assurances et les banques, celles qui remontent leurs taux d’intérêt ? (MM. Éric Bocquet et Rémi Féraud approuvent également.)

En août dernier, lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative, M. le ministre Le Maire s’opposait à cette contribution exceptionnelle, préférant que les entreprises fassent elles-mêmes des efforts en direction du pouvoir d’achat des Français.

En ont-elles fait ? Pour la plupart, aucun ! Quelques autres ont fait de timides gestes, sans commune mesure avec les dividendes qu’elles ont distribués. Non, elles n’ont pas écouté M. Le Maire. Alors nous ferons ce qui est juste : prélever une contribution exceptionnelle, sur des profits exceptionnels, pour financer des dépenses exceptionnelles.

Car l’État ne peut pas toujours dépenser tout seul pour tout le monde ; quand ça va bien, en supprimant les impôts ; et quand ça va mal, en versant des aides. Il est normal qu’il récupère un peu, quand certains s’enrichissent beaucoup. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, GEST et SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Exactement comme le dit M. Le Maire, nous allons chercher l’argent là où il est : pas seulement chez les gens du numérique ou de l’énergie, mais partout, car cela est juste, à l’instar des baisses d’impôts précédentes, qui ont servi tous les secteurs. Et nous nous engageons à ce que cette mesure ne soit pas pérenne, mais reste exceptionnelle.

Je voudrais enfin évoquer le report de la suppression de la CVAE. Je dis bien « report », même si nombre de mes collègues souhaitent l’abandon de cette mesure.

Oui, le Sénat et les collectivités tiennent à cet impôt, à ce lien tangible entre l’établissement public de coopération intercommunale et l’entreprise, entre le nid et l’oiseau.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, qui prévoyait la suppression de 10 milliards d’euros de recettes de CVAE, j’avais déposé un amendement visant à substituer à cette mesure la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), impôt taxant bêtement le chiffre d’affaires, même en cas de bénéfice. Il semble qu’il y ait matière à y réfléchir de nouveau.

Pour l’heure, nous estimons ne pas pouvoir nous permettre de creuser notre déficit de 4 milliards d’euros pour compenser la suppression de cette année et autant l’an prochain.

L’État a besoin d’entreprises fortes et agiles, mais il a tout autant besoin de collectivités fortes et agiles. C’est pourquoi nous souhaitons remettre à plus tard, voire à jamais, la suppression de la CVAE.

Voilà donc deux propositions apportant quelques milliards d’euros de recettes supplémentaires, qui ne peuvent que tenter le ministre des comptes publics. Mais peut-être sommes-nous assez riches ? Je sais, en tout cas, que le Sénat le sera dans ses débats. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce contexte économique et social extrêmement tendu, nous abordons aujourd’hui le budget pour l’année à venir.

Il est certain que ce projet de loi de finances ne remplit pas sa part du contrat en se fondant sur des projections financières irréalistes. Monsieur le ministre, c’est à se confondre et à se perdre dans un flot d’estimations, de chiffres et de pourcentages que vous seul semblez comprendre. Et ce d’autant plus que la Commission européenne annonce une récession pour la fin de l’année et un hiver particulièrement difficile pour la zone euro.

La dette publique française actuelle dépasse les 2 900 milliards d’euros, soit 115 % du PIB. Et même si le déficit public se stabilisait à 5 % en 2023, cela n’empêcherait pas une augmentation de la dette publique.

Dans ce sombre paysage économique, vous dites vouloir préserver les ménages de l’inflation, tout en contenant au maximum le déficit public.

Cette équation s’avère impossible à réaliser. Si votre intention est louable, vos actions manquent de crédibilité pour une simple et bonne raison : après une loi visant à protéger le pouvoir d’achat, un PLF de crise et un bouclier tarifaire sur l’énergie, les Français restent fortement lésés par la hausse des prix à tous les niveaux.

« Tous ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un hypermarché ne connaissent pas la réalité sociale de la France d’aujourd’hui ». Ces mots appartiennent à Annie Ernaux, prix Nobel de littérature. Monsieur le ministre, je vous pose donc la question : avez-vous fait les courses récemment ? Avec une inflation alimentaire autour de 12 %, il est légitime d’interroger vos habitudes.

Selon un récent sondage réalisé par Elabe, 85 % des Français estiment se priver dans leurs achats. Bon nombre d’entre eux se demandent si, oui ou non, ils pourront se permettre de prendre des fruits ou de la viande, alors qu’il faut payer les factures d’électricité et de gaz à la fin du mois. Ils privilégieront forcément les produits de première nécessité. Tout extra dans le panier de courses est proscrit.

C’est un calcul de tous les instants qui finit par hanter le quotidien de nos concitoyens. Comment se déplacer à moindre coût ? Comment réussir à économiser ? Est-ce envisageable de partir en vacances cet été ? Mettre ou ne pas mettre le chauffage, quitte à avoir froid…

Pourtant, les Français ont répondu positivement et joué le jeu de la sobriété énergétique, en modifiant lentement et progressivement leurs comportements : non pas grâce à vos petites sorties sur les cols roulés ou le wifi, mais grâce à une prise de conscience collective de leur consommation. Ne leur demandez pas plus d’efforts qu’ils ne peuvent en fournir !

Les choses ne vont pas aller en s’arrangeant comme vous le prétendez. L’épuisement des énergies fossiles, ainsi que la transition écologique vont continuer à mettre les prix de l’énergie sous pression. Il faudra alors prendre ses responsabilités, parce que la dette publique comme la dette écologique se creusent d’année en année. Nous léguons ce fardeau insupportable aux générations futures.

La dette publique ne doit plus être un prétexte empêchant de financer une réelle transition écologique. Si nous échouons à trouver conjointement des solutions sur ces deux sujets, les dégâts économiques et humains seront inévitables.

Malheureusement, au regard de ce que vous nous proposez et de votre volonté de passer en force sur ce PLF, lequel manque cruellement de justice sociale et fiscale, vous ne semblez pas mesurer toute la gravité de la situation économique des Français et vous actez pour le moins une véritable rupture de confiance entre l’exécutif et les parlementaires.

Je voterai bien évidemment contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on dit parfois que l’Assemblée nationale vote, tandis que le Sénat délibère…

Après des débats qui ont effectivement tourné court au Palais-Bourbon du fait de l’absence de majorité absolue et du recours quasiment inévitable à la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, il semblerait que le véritable examen de ce projet de loi de finances commence aujourd’hui dans notre hémicycle. On peut en tout cas en juger ainsi au nombre d’amendements déposés, qui bat chaque année un nouveau record, et dont beaucoup seront certainement adoptés par notre assemblée…

Que restera-t-il de ces modifications ? Plus que jamais, il est difficile de le prévoir, tant la configuration actuelle est inédite. Malgré une majorité relative, le Gouvernement dispose toujours des marges de manœuvre importantes que lui confère la Constitution et dont il ne se prive pas : le 49.3, bien évidemment, mais aussi un pouvoir d’amendement élargi et le monopole de la capacité à engager des dépenses.

Au-delà du cadre institutionnel, il y a surtout la disproportion des moyens humains et techniques de l’exécutif, bien supérieurs à ceux du Parlement malgré une volonté et une détermination sans faille de notre côté.

Ce budget 2023 est aussi le premier que nous examinons sous la nouvelle configuration établie par la loi organique du 28 décembre 2021, dont nous avons eu une première expérience le mois dernier avec le nouveau débat annuel sur les finances locales.

À l’origine, il était même question d’un projet de loi spécifique pour les finances des collectivités locales, à l’instar du PLFSS pour la sécurité sociale. Peut-être un jour la durée des débats correspondra-t-elle plus fidèlement aux grands volumes budgétaires : le budget de la sécurité sociale devant celui de l’État et le budget de l’enseignement scolaire devant le service de la dette…

Après deux années très marquées par les conséquences de l’épidémie de covid-19 et un rattrapage économique important depuis un an et demi, l’inflation est repartie nettement à la hausse avec une accélération depuis cette année liée notamment au conflit russo-ukrainien, mais pas seulement.

Dans ce contexte, les perspectives de croissance en 2023 apparaissent quelque peu incertaines, alors que des pays voisins sont d’ores et déjà entrés en récession.

L’article liminaire de ce PLF présente les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour 2023, les prévisions d’exécution en 2022 et l’exécution en 2021.

Depuis la modernisation de la LOLF, sont aussi détaillés le niveau d’endettement public, qui ne figurait jusqu’ici que dans les annexes, le taux de prélèvements obligatoires ou encore les prévisions par type d’administration publique.

Le PLF 2023 post-49.3 prévoit toujours un déficit public de 5 % du PIB, également inchangé par rapport au programme de stabilité et à la loi de finances rectificative. Pourtant, les sources de possible révision étaient importantes. La croissance réelle serait toujours de 1 % l’an prochain contre 2,7 % en 2022.

Au fond, ces hypothèses sont toujours assez incertaines. Le Haut Conseil des finances publiques lui-même, dans son dernier avis, a partiellement démenti la position qu’il avait tenue cet été lors du premier projet de loi de finances rectificative.

J’en viens maintenant aux principales mesures de ce PLF.

La réforme phare de la première partie est bien sûr la suppression, sur deux ans, de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises. La majorité sénatoriale avait soutenu, il n’y a pas si longtemps, une réforme similaire : celle de la taxe professionnelle, alors en partie remplacée par la CVAE et par la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Si l’objectif assumé est d’améliorer l’attractivité économique de notre pays, la réforme proposée accentue aussi une évolution durable de nos finances publiques vers un usage de plus en plus diversifié des recettes de TVA : d’abord, pour le financement des régions ; bientôt pour celui des départements ; et de façon massive aujourd’hui en faveur de la sécurité sociale.

Si la question de l’équité de la TVA est souvent posée, son efficacité économique a fait ses preuves en permettant des rentrées fiscales massives, encore plus en période de forte inflation des prix, sans entraîner de distorsions économiques.

Reste à savoir si les comptes publics doivent dépendre aussi fortement de cette ressource ou rester suffisamment diversifiés et indépendants des aléas de la conjoncture.

Je n’aurais pas été complet sans rappeler les conséquences spécifiques sur les budgets des collectivités locales.

Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances locales est éclairant, en particulier au regard des comparaisons internationales. Les finances locales ne représentent en France que 20 % environ de la dépense publique, loin derrière les dépenses de la sécurité sociale et celles de l’État. C’est bien inférieur à la moyenne européenne, où les dépenses des collectivités locales représentent en moyenne 40 % de la dépense publique. Il est vrai que la France n’est ni un État fédéral comme l’Allemagne ni un État très décentralisé comme l’Espagne.

Justement, cette répartition originale de la dépense publique nous ramène à la question lancinante des priorités et des missions.

Depuis neuf mois, avec le conflit russo-ukrainien, nous avons voté plusieurs rallonges au budget de la défense, dont la dernière en date, au PLFR, s’élève à plus d’un milliard d’euros. Globalement, les budgets régaliens ont connu ces dernières années un certain retour en grâce.

Cela dit, en 2023, tous les budgets ou presque vont augmenter… Effet, d’une part, de l’inflation et, d’autre part, de la volonté du Gouvernement d’assurer un certain nombre de missions essentielles, même si le service de la dette a fait son grand retour depuis cette année avec la remontée des taux d’intérêt et alors que notre niveau d’endettement public bat des records depuis la crise sanitaire.

Il faut dire que l’exécutif n’a pas ménagé ses efforts avec la politique du « quoi qu’il en coûte », dont on voit qu’il n’est pas si facile de sortir. La maîtrise de la dépense publique est notre responsabilité commune, quel que soit notre bord politique.

En ce qui concerne les dotations de l’État aux collectivités locales, le Gouvernement poursuit la politique du précédent quinquennat, marquée par une grande stabilité. La DGF reste autour de 26-27 milliards d’euros. Je salue en particulier la revalorisation de la dotation de solidarité rurale (DSR) à hauteur de 110 millions d’euros, ce qui contribuera à rattraper le retard accumulé par rapport à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU).

Vient ensuite l’épineux sujet de la taxation des superprofits.

Il faut noter que le Gouvernement a répondu en partie à la question avec l’amendement retenu en première partie du PLF sur le plafonnement des rentes dites inframarginales, terme comptable pour désigner des revenus exceptionnels liés à un contexte de crise – un accord européen a été conclu en septembre à ce sujet.

La fiscalité reste un domaine hautement politique et il n’y a pas lieu de le nier. Après tout, les grands tournants historiques ont souvent pris leur source dans des disputes au sujet de l’impôt et de sa juste répartition – il n’est que de penser à la Révolution ! À ce titre, le groupe du RDSE proposera de nouveau, comme chaque année, l’amendement classique visant à élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu, dit amendement Joseph Caillaux.

Ce rappel historique ne nous empêche pas d’être en prise avec les réalités les plus contemporaines, qu’il s’agisse de l’aménagement du territoire, avec notre expérience d’élus issus souvent de territoires ruraux, ou de la transition écologique dont nous saisissons bien les enjeux sans céder à un quelconque dogmatisme.

Comme cet été, le pouvoir d’achat ou, pour le dire d’une autre façon, le niveau de vie de nos concitoyens, reste le fil rouge de ce projet de loi de finances, alors que les prix de l’énergie atteignent des niveaux historiquement élevés, sans que l’on puisse prévoir aisément une trajectoire d’évolution à court ou moyen terme.

Nous ferons un certain nombre de propositions pour défendre les intérêts de nos populations et de nos territoires dans ce contexte imprévisible.

En conclusion, le groupe du RDSE sera d’abord attentif au détail des débats qui promettent cette année d’être riches. Caractérisé par une grande liberté de vote, mon groupe sera sensible au sort qui sera donné à nos différents amendements, dans le respect des positions des uns et des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, les années se suivent et se ressemblent. On dit souvent qu’il existe une permanence de l’État, vous l’illustrez parfaitement : le ministre de l’économie et des finances reste, le ministre chargé des comptes publics change, mais les orientations et les critiques demeurent. Je vais même pouvoir reprendre le plan de mon intervention de l’année dernière…

Je vous parlais alors d’un quinquennat pour rien en ce qui concerne la maîtrise des dépenses publiques ; cette année, j’ai envie de vous demander : un nouveau quinquennat pour rien ?

Ce budget, le premier du second quinquennat, a été présenté comme visant à protéger les Français face à l’inflation provoquée par la crise énergétique et le conflit en Ukraine et le rapport économique, social et financier annexé au PLF peut se résumer en une phrase, que vous avez d’ailleurs utilisée lors de la conférence de presse : « Un pouvoir d’achat préservé grâce aux mesures du Gouvernement. »

Dans le détail, on constate que presque toutes les missions voient leur enveloppe budgétaire progresser par rapport à la LFI pour 2022. On a donc du mal à dégager une priorité, sauf à dire que tout participe du pouvoir d’achat…

Pour le Gouvernement, ce budget est « responsable à l’euro près » – c’est ce que disait Bruno Le Maire le 26 septembre dernier, très soucieux du redressement des comptes publics.

Permettez-moi de vous donner quelques chiffres, monsieur le ministre : durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les dépenses ont augmenté de 32,7 milliards d’euros dans un contexte de crise financière ; elles ont progressé de 27 milliards sous François Hollande,…

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Eh oui !

Mme Christine Lavarde. Oui, mais sans avoir à gérer une crise financière, monsieur le président…

Puis elles ont progressé de 118 milliards durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

Pour 2023, premier exercice du second quinquennat, nous en sommes à plus de 62 milliards pour les dépenses courantes hors dépenses liées à la crise – j’ai fait ce calcul à partir des chiffres annoncés le 26 septembre, sachant que d’autres dépenses se sont ajoutées depuis…

Aucune économie structurelle n’est réalisée, les dépenses ordinaires continuent de croître et le déficit va augmenter en 2023. Parallèlement, nous persistons à penser que votre prévision de croissance est trop optimiste, si bien que le déficit risque d’être encore plus élevé que ce que vous annoncez…

Vous nous dites que l’État protège, mais en fait il déverse des milliards financés par le déficit ! La dette publique représente aujourd’hui près de 42 000 euros par Français. Or ce que le consommateur gagne aujourd’hui sur son pouvoir d’achat – cinquante-deux occurrences de ce terme dans le rapport économique, social et financier ! –, le contribuable devra l’honorer demain avec la hausse rapide de la charge de la dette – ce terme, en revanche, n’est utilisé que neuf fois dans le même rapport…

Pourtant, l’enjeu de la dette ne peut être passé sous silence. De PLF en PLF, le groupe Les Républicains n’a cessé d’alerter les gouvernements successifs sur le risque de ne pas nous attaquer au mur de la dette, en particulier en cas de remontée des taux. Or nous sommes désormais, je suis au regret de le dire, face à ce mur.

De négatif en décembre 2021, le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) a dépassé les 3 % le 21 octobre dernier. De manière inquiétante, le PLF est construit sur une hypothèse de taux de 2,6 % pour 2023. Pour mémoire, un point de taux d’intérêt en plus, c’est au bout de dix ans un coût de 40 milliards d’euros selon les données de la Banque de France, soit en ordre de grandeur le budget de la défense !

En 2027, la charge de la dette sera, à elle seule, supérieure au premier budget de l’État, l’enseignement scolaire. La charge de la dette est une dépense obligatoire ; sa croissance vient donc diminuer d’autant la capacité de l’État à investir dans des dépenses d’avenir – recherche, éducation, décarbonation…

Il n’existe qu’un seul bouclier – un terme à la mode… – pour protéger de cette hausse : la maîtrise de la dépense publique. C’est ce que nous vous avons proposé dans une version amendée de la loi de programmation des finances publiques. Dans votre copie initiale, le lent redressement des comptes publics reposait principalement sur les collectivités locales.

Alors, j’ai bien noté l’annonce faite par Bruno Le Maire : l’État serait prêt à prendre sa part, en acceptant une diminution de ses dépenses de 0,5 % – il reste encore à définir l’assiette concernée…

Nous allons vous montrer, au cours de la discussion de ce PLF, que la trajectoire définie par le Sénat, que vous jugez irresponsable, trop contraignante en termes d’économies à réaliser, est atteignable.

Je constate que l’amendement n° I-1662 déposé par le Gouvernement sur l’article liminaire remet déjà en cause votre proposition initiale, monsieur le ministre. Vous prévoyez que le taux des prélèvements obligatoires va encore augmenter, alors même que Bruno Le Maire nous rappelait, voilà seulement quelques instants, que notre pays était le plus imposé fiscalement parmi les pays développés. De son côté, la dépense publique va augmenter de 8 milliards d’euros et ne baissera que de 1,2 % contre 2,6 % annoncés dans la loi de programmation des finances publiques.

L’année dernière, je vous faisais remarquer que les discussions à l’Assemblée nationale s’étaient déroulées au mépris du Parlement. En effet, le Gouvernement avait déposé 125 amendements en cours de lecture, qui ne tendaient pas à de simples corrections, mais constituaient des ajouts très importants, proposés au dernier moment et sans étude d’impact pour un montant total de 11,8 milliards d’euros de dépenses supplémentaires.

Je suis au regret de vous dire que vous continuez cette année : taxation de la rente inframarginale, bouclier électricité et gaz, amortisseur, filet de sécurité pour les collectivités… Ce sont des sujets très sensibles, qui nécessitent un travail important d’expertise. Or nous n’avons ni temps, ni données, ni réponses à nos questions ! Tout porte à croire que le Gouvernement navigue à vue… Je reviendrai d’ailleurs sur certains de ces sujets pour montrer les limites de plusieurs propositions.

Mépris envers le Parlement, certes, mais aussi envers les collectivités locales au travers de fausses annonces. Les membres du Gouvernement se gargarisent tous du fameux programme 380, « Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires », aussi appelé fonds vert. Vous faites croire aux collectivités qu’elles pourront disposer de 2 milliards d’euros d’argent frais pour financer leur transition écologique. C’est faux ! Il s’agit uniquement d’un recyclage de crédits précédemment portés par le programme 362 de la mission « Plan de relance » ! Ces crédits viendront simplement compléter des politiques déjà portées par les programmes 113 et 181.

M. Roger Karoutchi. Alors, monsieur le ministre, vous manipulez les chiffres ? (Sourires.)

Mme Christine Lavarde. Surtout, le retour des contrats de confiance est une véritable provocation. Ma dernière question d’actualité au Gouvernement n’a obtenu aucune véritable réponse à ma principale question : comment osez-vous reprendre une disposition rejetée par les deux assemblées ?

Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, m’a répondu : « C’est aussi une façon de provoquer de nouveau le dialogue. » Je crois que c’est d’abord une façon de provoquer !

Pour le groupe LR, la suppression définitive des contrats de confiance est une ligne rouge.

M. Antoine Lefèvre. Absolument !

Mme Christine Lavarde. Les collectivités ont su montrer par le passé qu’elles étaient responsables : elles ne représentent aujourd’hui que 9 % de la dette publique ; sur la période 2018-2021, elles ont réalisé 11 milliards d’euros d’économies par rapport au tendanciel inscrit dans la loi de programmation pour cette période.

Elles font des efforts, parce qu’elles doivent présenter des budgets en équilibre : à la différence de l’État, toute hausse non financée de leur fonctionnement se traduit immédiatement par une augmentation de la pression fiscale, mesure impopulaire pour des élus à portée de baffes – voilà une corde de rappel très efficace !

Le Sénat a conscience que les collectivités doivent participer à l’effort collectif de redressement des comptes publics. Nous ne sommes ainsi pas revenus sur l’évolution des concours de l’État aux collectivités locales, à l’article 13 de la loi de programmation des finances publiques : en euros constants, ces concours vont diminuer au cours du quinquennat.

Cette mesure représente à elle seule près des trois quarts de l’effort sur les dépenses de fonctionnement exigé par l’objectif d’évolution de la dépense locale (Odedel) par rapport à la trajectoire zéro volume.

C’est aussi la raison pour laquelle le groupe Les Républicains ne soutient pas le principe de l’indexation de la DGF sur l’inflation – ce serait irresponsable.

Comme l’année dernière, ce budget apporte des réponses imparfaites à des défis importants. Je veux d’abord parler de la flambée des prix de l’énergie, l’une des premières préoccupations des chefs d’entreprise, et de son impact sur notre compétitivité.

Le 16 octobre dernier, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef) lançait un signal d’alarme sur la question et demandait au Gouvernement des ajustements sur le programme d’aide de 10 milliards d’euros. On peut comprendre les craintes des chefs d’entreprise : sur les 3 milliards d’euros inscrits en 2022, seuls 500 millions ont été consommés à ce jour !

Le mécanisme du bouclier électricité est flou. Par exemple, le code de l’énergie parle de moins de dix personnes employées. Comment comprendre ce seuil ? Fait-il référence à des équivalents temps plein ou, de manière plus stricte, à un effectif de dix salariés ? La même question se pose pour les collectivités locales.

En outre, les modalités pratiques d’application de l’amortisseur d’électricité sont renvoyées à des décrets d’application. Comment peut-on se préparer dans de telles conditions ?

J’ai d’ailleurs l’impression que le Gouvernement s’y perd lui-même : le dispositif du fameux amendement n° I-1662, que je viens de citer, évoque une extension des boucliers tarifaires, alors qu’il s’agit plus sûrement de l’amortisseur !

Au-delà du flou de ces mesures et de l’incompréhension des chefs d’entreprise, nous assistons dans l’économie réelle à un phénomène de déstabilisation de la compétitivité relative de nos entreprises par rapport à leurs concurrentes allemandes et américaines – Bruno Le Maire l’a lui-même reconnu voilà quelques instants.

Le gouvernement allemand a décidé un premier montant d’aide de 25 milliards d’euros et, dans l’attente de la validation par la Commission européenne du bouclier de 200 milliards, les factures énergétiques de décembre des petites entreprises seront directement payées par le Gouvernement. Pourquoi n’avons-nous pas les moyens d’en faire autant ? Tout simplement parce que nous sommes entrés dans la crise du covid-19 avec des finances déjà fragilisées.

De leur côté, les entreprises américaines bénéficient d’un prix de l’électricité dix fois plus faible qu’en France. Elles sont par ailleurs soutenues par un plan de 370 milliards de dollars en subventions et crédits d’impôt.

Pour la France, le Président de la République a annoncé, voilà une dizaine de jours, une enveloppe de 10 milliards d’euros en faveur de la décarbonation. Mais il s’agit en fait de 5 milliards auxquels s’ajoutera, peut-être, une autre enveloppe de 5 milliards si les entreprises respectent les objectifs qui leur ont été fixés. Qui plus est, ces crédits figuraient déjà dans le plan France 2030 – nul besoin de vous rappeler, monsieur le ministre, l’amendement à 34 milliards d’euros déposé l’an dernier, soit le plus cher de la Ve République…

Face à ce constat et à ce besoin d’une aide directe en faveur des entreprises, nous rejoignons le Gouvernement sur la nécessité de renforcer leur compétitivité.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement relatif à la CVAE. Toutefois, la mesure que nous proposons est bien différente de celle du Gouvernement, car nous partageons les critiques avancées par le rapporteur général de la commission des finances : tout est flou dans votre dispositif, que ce soit dans la manière dont les collectivités seront compensées ou dans le futur lien entre le dynamisme économique des territoires et cette compensation.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Très bien !

Mme Christine Lavarde. Nous le refusons, monsieur le ministre !

Notre amendement tend ainsi à prévoir pour 2023 un dégrèvement de CVAE à hauteur de 50 % de manière que les entreprises soient certaines de bénéficier d’une aide de 4 milliards d’euros. Une telle mesure sera beaucoup plus efficace que tous les dispositifs liés aux coûts de l’énergie sur lesquels chacun s’interroge.

Cette proposition ne change rien pour les collectivités locales en 2023 comme en 2024 : leurs recettes de CVAE seront équivalentes à ce qu’elles auraient perçu en l’absence de réforme. Ce n’est qu’à partir de 2025 qu’elles en subiront les premières conséquences, mais nous aurons eu le temps d’ici là de travailler ensemble, avec les représentants des collectivités locales, sur une réforme globale visant à supprimer à terme la CVAE.

Je veux revenir, avec quelques exemples concrets, sur les conséquences de la flambée des prix de l’énergie sur les collectivités locales. Ils montreront clairement combien les dispositifs décidés par le Gouvernement sont faillibles.

La commune de Digoin, en Saône-et-Loire, qui compte 8 000 habitants et qui a été administrée par notre collègue Fabien Genet, bénéficie d’un groupement de commandes : sa facture d’énergie est passée de 441 000 euros en 2021 à 850 000 euros en 2022 ; en 2023, elle sera multipliée par 3 sans application de l’amortisseur et par 2,7 avec lui, soit une facture totale d’environ 1,2 million d’euros.

Dans le même département, Gueugnon, une commune de taille identique, qui ne bénéficie pas d’un groupement de commandes dans le cadre de son approvisionnement en gaz, verrait sa facture d’énergie passer de 833 000 euros en 2021 à 2,6 millions en 2023.

Aux Échelles, commune de montagne de Savoie d’environ 1 300 habitants, qui a été administrée par notre collègue Cédric Vial, les dépenses propres liées à l’énergie augmenteront de 42 %. Il faut aussi prendre en compte la hausse des dépenses liées aux services gérés par des syndicats intercommunaux, qui se répercutera fatalement sur les communes. Si rien n’est fait, 90 % de la capacité d’autofinancement de cette commune va disparaître dès 2024.

Un dernier exemple, que je ne peux évidemment passer sous silence : Boulogne-Billancourt, 120 000 habitants. (Ah ! sur de nombreuses travées.) Les dépenses d’énergie de cette commune vont passer de 4,3 millions d’euros en 2021 à 8,3 millions en 2023. Pourtant, grâce à des investissements importants, sa consommation de gaz a déjà baissé de 17 % entre 2018 et 2022 et celle d’électricité de 18 %. Cette commune ne reçoit aujourd’hui aucune aide.

Je viens d’évoquer quatre exemples, qui révèlent la diversité de notre organisation territoriale, ainsi que la diversité des modes d’achat de l’électricité et du gaz, mais j’aurais pu parler des 35 000 communes de France pour montrer que les dispositifs du Gouvernement ne marchent pas.

L’épargne brute n’est pas un bon indicateur. Elle s’optimise. Surtout, elle est indispensable pour financer les investissements et la nomenclature comptable contraint les collectivités à dégager un certain niveau d’épargne si elles veulent investir. Elle peut être décorrélée de la richesse d’une collectivité, de son potentiel financier ou fiscal – je pense, par exemple, à la commune de notre collègue Sophie Primas, Aubergenville.

Enfin, la date de référence, 2022, pose problème, alors que le choc énergétique a commencé en 2021.

Pour toutes ces raisons, nous serons nombreux à soutenir le dispositif, beaucoup plus simple, proposé par la commission des finances. Il permettra à toutes les communes d’être éligibles, sous certaines conditions, à un véritable filet de sécurité. Nous demandons surtout une véritable clause de revoyure pour évaluer précisément les choses. À cet égard, monsieur le ministre, nous vous remercions de nous avoir donné, pour la première fois, des informations sur ce qui s’est passé en 2022 – mais il faut aller plus loin.

Autre question que je voudrais aborder, celle de la reconquête de notre souveraineté.

La commission des affaires économiques du Sénat a publié un excellent rapport d’information à ce sujet. Il montre que les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui n’ont jamais été aussi importants.

Je voudrais prendre deux exemples. Je commencerai par l’agriculture, que notre collègue Vincent Segouin aurait pu aborder à ma place.

Par une surtransposition et l’édiction de normes nouvelles, que ce soit pour les produits phytosanitaires ou le bien-être animal, nous imposons à nos agriculteurs des contraintes et des charges non productives que ne subissent pas leurs concurrents étrangers.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

Mme Christine Lavarde. En nous alignant sur le cours mondial pour préserver le pouvoir d’achat, nous appauvrissons les agriculteurs qui peinent à trouver des remplaçants !

D’année en année, nous imposons des contrôles de plus en plus importants et contraignants sur les productions françaises, sans rien imposer d’équivalent aux produits importés. Ainsi, 2 300 fonctionnaires effectuent des contrôles dans les exploitations agricoles, quand seulement 300 contrôlent les importations à Rungis – je vous renvoie au rapport de notre collègue Laurent Duplomb et à son exemple du sésame.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !

Mme Christine Lavarde. Nous interdisons certaines molécules, comme le diméthoate pour la culture des cerises ; pourtant, nous importons des cerises cultivées avec cette même molécule.

Nous ne produisons plus les escalopes de poulet consommées chaque jour dans la restauration collective, parce que leur prix n’est pas compétitif si les poulets ne proviennent pas d’élevages intensifs ; nous préférons donc en importer !

Je pourrai prendre de nombreux autres exemples tout aussi absurdes, que ce soit pour les tomates ou pour le blé.

Aujourd’hui, notre balance agricole n’est excédentaire que grâce au vin. D’ici à 2024, elle ne le sera plus du tout.

Quant à notre industrie, comment se fait-il que 80 % des véhicules électriques achetés en France soient importés ? Il faut savoir que, au cours des neuf premiers mois de l’année 2022, le bonus attribué pour l’achat de véhicules produits en France ne représentait que 140 millions d’euros, soit moins d’un cinquième du total. Nos impôts servent donc aujourd’hui à financer l’industrie chinoise – pour ne pas la citer.

Comment peut-on accepter cette perte de souveraineté ? Comment peut-on accepter de mettre dans la main d’un de nos concurrents géopolitiques une industrie indispensable pour notre transition écologique ?

Je pourrais vous en dire encore beaucoup, mais le temps qui m’était imparti étant écoulé, il faudra que je revienne une prochaine fois… (Sourires.)

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Christine Lavarde. … pour vous parler du financement de la transition écologique ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, au moment d’examiner le budget, nous vérifions les mots de Pierre Dac : « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. »

Depuis deux ans, nos prévisions tournaient autour de la même incertitude, qui se résumait en un mot : pandémie. Il fallait d’abord protéger le pays contre le virus, puis anticiper une résurgence du virus et enfin relancer l’économie malgré le virus.

Aujourd’hui, nos prévisions ignorent le virus. Il nous aura fallu le « quoi qu’il en coûte », mais la victoire est acquise. Désormais, nos prévisions doivent composer avec d’autres incertitudes. Elles sont plus nombreuses, plus complexes et surtout plus menaçantes. Ces incertitudes s’appellent l’énergie, l’inflation et la guerre.

Elles surgissent à l’Est, où Poutine s’acharne en Ukraine et où Xi Jinping s’entête dans sa politique du « zéro covid ».

Elles surgissent aussi sur notre continent : l’Union européenne doit de nouveau prouver que les crises renforcent la solidarité entre ses pays membres plutôt qu’elles ne la fissurent. Les États, au premier rang desquels la France et l’Allemagne, doivent montrer qu’ils respectent les règles communes pour protéger leurs citoyens et leurs entreprises. C’est ce que propose le budget que nous allons examiner.

Premier axe de protection : protéger les citoyens. En prolongeant le bouclier tarifaire, en revalorisant le barème de l’impôt sur le revenu, l’État protège leur pouvoir d’achat. Le coût pour nos finances publiques est objectivement élevé, personne ne peut le nier, mais le bénéfice est précieux : nous maintenons ainsi l’ordre des choses. En 2023, le travail continuera de payer, et ce malgré l’inflation. Ce n’est pas rien !

Le deuxième axe de protection concerne nos entreprises. Beaucoup ont craint la faillite à cause du coût de l’énergie. Ce budget leur apporte enfin des dispositifs concrets pour faire face aux difficultés, à court et à moyen terme. Outre le bouclier tarifaire pour les plus petites entreprises, des mécanismes complémentaires protégeront également les PME et les ETI.

Je salue cette mesure, monsieur le ministre ; elle était nécessaire face au danger que représente la hausse des coûts pour la réindustrialisation du pays et, plus largement, pour la survie de nos entreprises.

À la différence des particuliers, ces dernières peuvent en partie répercuter la hausse de leurs coûts sur leurs prix. Mais cela entretient la spirale inflationniste, ce qui n’est pas toujours souhaitable. Il est plus efficace d’agir à la racine de l’inflation, c’est-à-dire sur l’énergie.

Le dernier axe de protection concerne les collectivités, qui vont bénéficier de la revalorisation de la DGF à hauteur de 320 millions d’euros. C’est une hausse nette pour la première fois en treize ans. Il s’agit d’une bonne nouvelle, que je tiens à souligner.

Le texte prévoit également un filet de sécurité pour les collectivités concernant les coûts de l’énergie, pour un montant de 1,5 milliard d’euros. Je tiens à saluer cet effort supplémentaire bienvenu.

Les élus locaux craignent en effet que le PLF n’entame les finances locales. Leurs inquiétudes tiennent surtout à la suppression progressive de la CVAE.

Notre groupe a toujours défendu la baisse des impôts de production, dont la CVAE. Cet impôt pénalise nos entreprises et donc nos territoires. Notre préoccupation majoritaire porte bien davantage sur le dynamisme de la compensation et sa territorialisation plutôt que sur le calendrier.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires estime que ce budget répond à l’urgence de la situation. Bien sûr, nous proposerons de l’améliorer, et ma collègue Vanina Paoli-Gagin présentera tout à l’heure nos pistes d’action.

Pour conclure, je veux rappeler que ce budget reflète nos engagements européens : d’abord, parce qu’il nous place sur une trajectoire de rétablissement des finances publiques ; ensuite, parce que les mesures de protection supplémentaires sont rendues possibles par une action concertée. Le Royaume-Uni nous l’a rappelé à ses dépens : l’Union fait la force ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte marqué par l’inflation et la flambée des prix de l’énergie, le Gouvernement maintient le bouclier tarifaire pour un coût estimé à 45 milliards d’euros en 2023.

En trois ans, 100 milliards d’euros auront été dépensés pour protéger nos compatriotes de l’Hexagone et des outre-mer contre la flambée des prix et le retour de l’inflation. Il s’agit d’un effort essentiel pour maintenir notre économie, pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages et pour préserver les finances des collectivités.

Pourtant, j’entends certains dire de ce budget qu’il est un budget d’austérité quand d’autres, au contraire, disent qu’il faut veiller plus encore à l’équilibre de nos finances publiques.

Si ce PLF assume la première étape de la trajectoire de retour sous les 3 % de déficit en 2027, ce sérieux budgétaire ne fait pas oublier au Gouvernement les priorités qu’il est nécessaire de financer.

Le fonds vert permettra ainsi d’adapter nos territoires aux aléas climatiques et soutiendra les travaux de rénovation ou de modernisation menés par nos collectivités locales.

Le dispositif MaPrimeRénov’ sera prolongé, pour un total de 3 milliards d’euros. C’est l’un des leviers de notre indépendance énergétique, qui permet de soutenir les travaux d’isolation et d’audit énergétique des particuliers. Plus d’un million de personnes ont pu en bénéficier depuis son lancement en 2020, dont deux tiers de foyers modestes.

L’effort à l’endroit des collectivités territoriales est également priorisé. Le Gouvernement a fait le choix de relever la dotation globale de fonctionnement pour la première fois depuis treize ans, à hauteur de 320 millions d’euros. Les dotations de fonctionnement, quant à elles, sont stabilisées et les recettes fiscales dynamiques. Avec l’amortisseur annoncé par la Première ministre et le filet de sécurité, nous veillerons à ce que les finances des collectivités locales soient préservées.

M. Georges Patient. J’en viens maintenant aux outre-mer. Il est d’autant plus aisé d’en parler qu’il existe un document singulier, le document de politique transversale, qui reflète l’ensemble des politiques publiques financées par l’État au plus près des territoires ultramarins. Les autres territoires hexagonaux ne font pas l’objet d’un tel document. N’est-ce pas la preuve, monsieur le rapporteur général, que les outre-mer peuvent connaître des exceptions, des dérogations, des adaptations, pour utiliser le terme constitutionnel ?

Cela étant dit, les dépenses de l’État en faveur des outre-mer s’élèveront à environ 27 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 28 milliards d’euros en crédits de paiement (CP). Depuis 2018, cet effort total a augmenté de 15,4 % en AE et de 23,1 % en CP, soit respectivement 3,6 milliards d’euros et 5,4 milliards d’euros.

On constate donc un engagement renforcé et indéniable de l’État au profit des outre-mer. Toutefois, l’exécution demeure contrastée, notamment pour les dépenses d’investissement.

Cet engagement financier peine à se concrétiser sur le terrain, pour reprendre les termes de la Cour des comptes tirés de son dernier rapport, rédigé à la demande de la commission des finances du Sénat. La Cour demande que les engagements financiers de l’État soient mieux suivis, au niveau tant central que local, par le développement d’un appui à l’ingénierie locale permettant de garantir la bonne exécution des crédits alloués.

En effet, malgré les investissements réalisés par l’État dans les territoires ultramarins, d’évidentes inégalités persistent en matière de transport, d’infrastructures, d’assainissement, d’électricité, de télécommunication, d’accès à l’eau ou au logement social. Les écarts de niveau de vie structurels entre l’outre-mer et l’Hexagone persistent.

Tout comme les crédits budgétaires, les dépenses fiscales relatives à l’outre-mer enregistrent une hausse notable entre 2018 et 2022, malgré des tentatives de rationalisation. En raison de leur difficile évaluation, elles demeurent très contestées, notamment par la Cour des comptes. Elles restent cependant un outil complémentaire indispensable, qui ne peut être aisément remplacé en raison des risques intrinsèques à la rebudgétisation.

Je résumerai ainsi les mesures en faveur des outre-mer : des crédits en hausse constante, mais une sous-consommation à combattre.

Monsieur le ministre, nous avons conscience que l’adoption de ce budget nous permettra de limiter la hausse de la facture d’électricité et de gaz des Français de 120 % à seulement 15 %. De même, l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu représente pour les ménages une économie de 6,2 milliards d’euros. Enfin, l’effort en faveur des collectivités locales se comptera en milliards d’euros et permettra de passer le pic inflationniste.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI soutiendra ce budget, en souhaitant que la discussion nous permette d’améliorer et de renforcer ces dispositifs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la pauvreté exclut […] et la richesse isole ». Ces mots de l’écrivain Lawrence Durrell résonnent aujourd’hui avec une acuité particulière.

Le rôle de l’État est de garantir et d’entretenir le lien social entre chaque individu, de lutter à la fois contre l’exclusion et contre l’isolement. Tout cela est possible grâce à une fiscalité équilibrée et juste, adaptée aux défis de notre société.

Cette question des recettes fiscales sera centrale dans les débats des prochains jours, car elle pose les fondements d’une véritable politique sociale et solidaire. Manifestement, nous n’avons pas la même approche.

Venant après la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027, ce premier budget illustre parfaitement le positionnement idéologique libéral du Gouvernement. Dans le droit fil du quinquennat précédent, monsieur le ministre, vous poursuivez méthodiquement le désarmement fiscal de notre pays.

Ces cinq dernières années, vous avez déjà renoncé à 54 milliards d’euros de prélèvements obligatoires ; autant de milliards qui auraient pu utilement contribuer à réduire le déficit public sans avoir à rogner sur les dépenses publiques.

Vous nous proposez de poursuivre dans la même voie. Avec la suppression de la CVAE et celle de la contribution à l’audiovisuel public, vous renoncerez a minima à 54 milliards d’euros supplémentaires.

Alors que le poids de la dette s’alourdit, est-il raisonnable de se priver ainsi de recettes ? Alors que nous traversons une crise économique profonde, qui va affecter durablement nos concitoyens, est-il raisonnable de renoncer à certaines politiques publiques ?

Votre choix est clair : le redressement des comptes publics ne pourra passer que par des réformes structurelles – assurance chômage, retraites, encadrement des dépenses de l’État et des collectivités.

Les inégalités se creusent de plus en plus. Le rapport du Secours catholique sur l’état de la pauvreté en France, sorti aujourd’hui, en atteste : alors que les revenus du travail augmentent peu, les revenus du capital liés aux actifs boursiers et immobiliers, explosent. Que faites-vous face à ce constat alarmant, qui fragmente de plus en plus notre société ? Pas grand-chose, hélas !

Symbole de l’injustice grandissante qui frappe nos concitoyens, les profits exceptionnels engrangés par les entreprises du CAC 40 s’élèvent à 174 milliards d’euros en 2021. Cette progression n’est pas due aux gains de productivité ni au dynamisme économique de 2020, première année de la crise sanitaire. Voilà une définition claire et chiffrée de ce que sont les superprofits.

Au regard de ces records historiques, ces entreprises supporteraient aisément une taxation spécifique en ces temps où nombre de ménages sont étranglés par l’inflation. Il ne peut y avoir, d’un côté, ceux à qui l’on distribue des dividendes et, de l’autre, ceux à qui l’on distribue des colis alimentaires. Notre société se fracture ; elle a besoin de vraies politiques publiques avec des services publics forts et présents en tout point du territoire.

Au plus près des habitants, les collectivités jouent un rôle majeur en matière de cohésion sociale. Le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne sont pas épargnées par ce texte. Oubliée, la crise des « gilets jaunes » ! Oubliée, la phase aiguë de la crise sanitaire ! Aujourd’hui, les collectivités locales sont la variable d’ajustement des comptes publics.

Malgré son rejet par l’Assemblée nationale, malgré son rejet par notre assemblée lors de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, le Gouvernement a réintroduit dans le projet de loi de finances l’encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Succédant aux contrats de Cahors, les pactes de confiance font de nouveau peser sur les collectivités la baisse de la dépense publique.

Qu’en est-il, dans ces conditions, de leur libre administration et, surtout, de leur autonomie financière ?

Ces pactes vont venir limiter grandement leurs capacités d’investissement. Or, vous le savez parfaitement, les collectivités restent au premier rang de l’investissement public dans notre pays dont elles réalisent plus des deux tiers. Fragiliser les collectivités territoriales, c’est fragiliser le tissu économique et l’emploi local. Je ne suis pas certaine que les PME, en proie, elles aussi, aux difficultés liées à l’inflation, puissent supporter une baisse de la commande locale.

Quelle société voulons-nous demain ? Que se passera-t-il si les collectivités territoriales ne jouent plus le rôle d’amortisseur social ?

Une fois de plus, ce sont les administrés, les usagers, notamment les plus modestes, qui seront les premières victimes de vos choix politiques.

Je pourrais également parler de la suppression de la CVAE et de ses multiples conséquences, de l’insuffisance des crédits consacrés au filet de sécurité mis en place, l’été dernier, sur l’initiative des parlementaires, ainsi que de beaucoup d’autres sujets largement évoqués par mes collègues.

En ce qui concerne le pouvoir d’achat, si les dispositifs tels que le bouclier tarifaire sont indispensables pour bon nombre de Français, le Gouvernement privilégie toujours les aides ponctuelles au détriment des vraies réformes.

Il est grand temps de s’attacher réellement à la lutte contre la pauvreté, contre la précarité, contre l’exclusion en privilégiant le dialogue et l’écoute avec les partenaires sociaux et le monde associatif, sans oublier les députés et les sénateurs.

Appréhender la maîtrise des comptes publics sous le seul prisme de la dépense publique en refusant d’envisager de nouvelles recettes, et pire encore, en continuant de faire des cadeaux fiscaux aux plus riches, n’est pas une bonne manière de faire.

J’y insiste, ce projet de loi de finances s’inscrit dans la continuité des cinq précédents : il continue d’aggraver les inégalités sociales, de désarmer la puissance publique et de malmener les collectivités locales. Aussi, notre vote s’inscrira, lui aussi, dans la continuité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Bernard Delcros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, faire des prévisions budgétaires pour 2023, dans un contexte européen et mondial aussi fragile et incertain, est évidemment un exercice extrêmement difficile, auquel nous devons malgré tout nous livrer, en responsabilité.

Pour notre groupe, ce premier budget du quinquennat doit marquer une étape vers deux objectifs.

Il s’agit tout d’abord du redressement de nos finances publiques. Je pense que nous voulons tous parvenir à réduire notre déficit et à contenir notre endettement.

Il s’agit ensuite de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour répondre aux besoins du pays dans des domaines aussi cruciaux que la santé, l’éducation, la justice, la sécurité, notre défense ou encore la lutte contre le réchauffement climatique.

Ces deux objectifs sont-ils conciliables ? Nous le pensons. Mais si nous avons conscience de la nécessité de maîtriser nos dépenses, une coupe drastique et globale dans les budgets n’est pas la solution alors que les besoins vont croissant.

Concernant les emplois publics, sujet récurrent, des allégements sont possibles dans certains secteurs. La démonstration en a d’ailleurs été faite avec la réorganisation des services de Bercy, notamment grâce à la dématérialisation et au prélèvement à la source.

Toutefois, ces allégements doivent avant tout permettre des glissements vers d’autres secteurs, où des moyens supplémentaires sont indispensables. Je ne suis pas favorable à des coupes à l’aveugle dans nos emplois publics par la seule approche comptable.

Pour réduire notre déficit et contenir notre dette, le groupe UC considère qu’il faut également agir sur un autre levier : l’accroissement des rentrées fiscales. À cet égard, l’État doit pleinement jouer son rôle de régulateur.

Nous ferons donc des propositions concrètes en ce sens, comme l’a précisé Sylvie Vermeillet, avec la contribution exceptionnelle de solidarité sur les profits, le report de la suppression de la CVAE, la suppression de plusieurs niches fiscales – proposée par Michel Canévet – ou encore une lutte renforcée contre la fraude fiscale, chère à Nathalie Goulet.

Je tiens à souligner une nouvelle fois le rôle essentiel des collectivités locales dans tous les territoires de France pour soutenir le tissu économique et l’emploi, pour assurer les services au plus proche des habitants, pour garantir la cohésion sociale et pour réussir le pari de la transition écologique. Cette réalité doit guider nos choix et éclairer nos décisions.

En ce qui concerne l’augmentation de la DGF, nous approuvons l’orientation choisie par le Gouvernement qui cible les collectivités les plus fragiles. Mais nous savons d’expérience que de fortes disparités se cachent bien souvent derrière les moyennes mises en avant. C’est la raison pour laquelle nous proposerons de porter la hausse de la DGF de 320 millions d’euros à 500 millions d’euros.

Je veux saluer les avancées déjà obtenues sur la dotation aux communes pour la protection de la biodiversité, à travers laquelle le Gouvernement reconnaît enfin le rôle essentiel des territoires ruraux dans la protection de l’environnement. Nous proposerons une amélioration complémentaire, peu coûteuse, mais qui permettrait d’effacer une inégalité de traitement.

Le maintien de l’enveloppe de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) à son niveau actuel, la reconduction de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et le nouveau fonds vert, doté de 2 milliards d’euros, viendront compléter utilement le soutien aux investissements des collectivités territoriales.

Nous proposerons également de réintégrer les dépenses d’aménagement de terrains dans les dépenses éligibles au Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), de laisser aux territoires le choix de répartir librement la taxe d’aménagement, comme nous l’avons voté hier en PLFR, et de décorréler les taux de certaines taxes locales – trois mesures très attendues par les élus locaux.

À cet égard, monsieur le rapporteur général, nous regrettons que le Sénat ait fait le choix, hier, de priver les collectivités de la récupération de la TVA, via le FCTVA, pour les aménagements de terrains. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Je veux enfin évoquer les mesures visant à protéger les collectivités, les ménages et les entreprises face à l’explosion du coût de l’énergie. Le plafonnement à 15 % de la hausse des tarifs réglementés en faveur des ménages et des petites collectivités et l’amortisseur électricité en faveur des collectivités et des entreprises sont deux dispositifs bien ciblés et bien calibrés que nous soutenons.

Il en va différemment du troisième outil que vous souhaitez nous voir adopter, à savoir le filet de sécurité en faveur des collectivités. Si l’objectif est le bon, les modalités retenues nous paraissent trop complexes et donc l’effectivité du dispositif incertaine. Nous vous proposerons de les redéfinir à partir de critères simplifiés et clarifiés.

Monsieur le ministre, une nouvelle fois, le groupe UC aborde l’examen de ce projet de budget de manière positive. Nous avons la volonté de trouver, avec le Gouvernement, les meilleures solutions pour notre pays et pour ses territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, à la demande de M. le ministre.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc face à cet Everest, face à ce budget impossible et pourtant nécessaire, un budget qui doit encore faire face à l’urgence, mais aussi remplir sa fonction première, celle de préparer l’avenir et de proposer un cap.

En ce sens, ce budget doit s’inscrire dans une trajectoire, celle de la programmation pluriannuelle de nos finances publiques, dont notre pays disposera – du moins, je l’espère – dans le cadre que le Sénat a retravaillé, en responsabilité.

Dans le contexte particulier du rejet de ce texte par l’Assemblée nationale, nous avons décidé d’adopter un projet réécrit, qui semble, hélas, déjà dépassé. Nous avons choisi de calquer – enfin ! – l’effort des administrations centrales sur celui demandé aux collectivités territoriales, en fixant le taux de progression de leurs dépenses 0,5 point en dessous de l’inflation, pour aboutir à une trajectoire plus ambitieuse, que vous nous avez dit partager désormais, monsieur le ministre, et retrouver en 2025 des niveaux de déficit et de dette plus acceptables, bien qu’encore élevés.

Si nous pouvons partager la volonté de mieux coordonner politique monétaire et politique budgétaire, de veiller à un meilleur partage de la valeur en faveur du travail, de renforcer notre indépendance énergétique et de protéger de manière ciblée nos concitoyens, nos entreprises et nos collectivités, nous ne pouvons souscrire ni à des hypothèses macroéconomiques trop optimistes ni à l’absence de réformes structurelles, qui limite la crédibilité de l’exercice, comme l’a rappelé ma collègue Christine Lavarde.

Nous proposerons donc plusieurs voies pour y remédier sans renoncer à une ambition pour notre pays, en procédant à des économies de l’ordre de 4 milliards d’euros, et en sortant enfin du « quoi qu’il en coûte ».

L’examen des principaux éléments de l’équilibre, ou plutôt du déséquilibre, du projet de loi de finances pour 2023 que vous nous présentez, monsieur le ministre, ne manque en effet pas de nous inquiéter à cet égard.

On relève ainsi un scénario macroéconomique incontestablement trop optimiste, une inflation durable, estimée à 5,4 % en 2023, chiffre peut-être encore sous-estimé, un niveau de déficit exceptionnellement élevé, passé de 67 milliards d’euros en 2017 à 158 milliards en 2023, et une explosion de la dette et de son coût.

Cette dette – son poids, son évolution, ses flux comme son stock, ses fondements, qui ne prennent racine que dans nos dépenses de fonctionnement – est la source majeure des inquiétudes et du manque de lisibilité qui frappent notre pays, comme l’a rappelé notre rapporteur général Jean-François Husson.

Le niveau de cette dette, estimé à 111,2 % du PIB dans ce texte, mais qui sera sans doute plus élevé encore, nous contraindra à emprunter le montant record de 270 milliards d’euros sur les marchés financiers. L’année 2023 verra bien le rendez-vous avec le mur de la dette, sur lequel nous vous avions déjà alerté.

Face à ce mur, la structure de nos finances publiques déjà dégradée les rend confiscatoires et, trop souvent, inefficaces. En témoignent deux chiffres, qui eux-mêmes se sont déjà dégradés depuis notre examen du projet de loi de programmation des finances publiques : le taux de prélèvements obligatoires s’établit à 44,9 % du PIB ; le taux de dépenses publiques, à 56,9 %. Des mesures plus radicales, des choix tranchés et lisibles sont donc nécessaires.

Vous le savez, monsieur le ministre, nous défendons avec vous la nécessité de réduire les prélèvements obligatoires, déjà trop élevés dans notre pays. Au regard du contexte, nous proposerons, sans remettre en cause la suppression de la CVAE, de lui apporter des aménagements pour garder un lien avec le territoire et garantir une dynamique de cette ressource pour les collectivités, via un dégrèvement dans un premier temps.

Alors que la réindustrialisation de notre pays est lourdement remise en cause par la hausse des prix de l’énergie en Europe, faire le pari de baisser les taux de nos impôts de production pour voir leur rendement s’améliorer, comme on l’a constaté pour l’impôt sur les sociétés (IS), est bien nécessaire, mais cela ne suffira pas.

Pour ma part, je défendrai des amendements visant à engager un réel effort sur la dépense fiscale et sociale, qui pèse près de 130 milliards d’euros dans notre pays. Il s’agit, d’une part, de borner dans le temps toute niche fiscale et, d’autre part, d’engager une trajectoire de baisse de 10 % par an de la dépense fiscale. De même, je défends l’idée qu’il faut s’interdire toute baisse de TVA, son effet sur les prix et le pouvoir d’achat étant plus qu’aléatoire, alors qu’elle prive de ressources l’État et, désormais, les collectivités.

Quant aux postes de dépense, même si nombre d’entre eux nécessiteraient un développement, je ne peux m’attarder que sur deux d’entre eux : ceux qui sont liés à la mobilité et, surtout, les soutiens accordés aux collectivités territoriales, qui ne constituent d’ailleurs pas une dépense.

En ma qualité de rapporteur spécial sur les transports terrestres et maritimes, j’aurai l’occasion de m’exprimer plus largement lors de l’examen de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». Si la trajectoire de la loi d’orientation des mobilités (LOM) est respectée, grâce au plan de relance, nous savons tous ici – mon collègue Hervé Maurey et moi-même l’avons d’ailleurs dénoncé dans notre rapport d’information sur la situation de la SNCF et ses perspectives – que nous n’affrontons pas les enjeux auxquels nous faisons face.

Ainsi, nos infrastructures ont besoin d’investissements, à hauteur de 100 milliards d’euros, notre matériel roulant attend encore des moyens de modernisation et nous vivons déjà une contraction de l’offre, qui risque encore de s’amplifier alors que nous devrions susciter la demande pour améliorer notre trajectoire carbone tout en remédiant aux difficultés de pouvoir d’achat auxquelles tous sont confrontés.

Je sais – nous savons tous – que les réponses ne sont pas simples, mais désormais elles revêtent même une dimension démocratique, avec l’instauration des zones à faibles émissions, par exemple, ou encore les usages en territoires périphériques, qui risquent d’exclure nombre de Français de notre société. Nous risquons d’accroître les fractures…

M. Roger Karoutchi. Les factures aussi ! (Sourires.)

M. Stéphane Sautarel. Certes, mon cher collègue ! Nous risquons aussi de renforcer la cohorte des dépossédés, de tous ceux qui se sentent exclus du monde qui advient alors qu’ils travaillent : ils constituent une majorité exclue d’un modèle qu’une élite bien-pensante veut lui imposer.

Alors oui, osons ! Osons innover pour enfin investir, pour enfin moderniser nos voies ferrées – toutes seront bientôt concernées –, mais aussi certaines de nos routes. Comment le faire ? Par un grand emprunt ? Je crains que nous n’en ayons plus les moyens. Par un grand projet européen ? Je crains que nos faiblesses ne nous le permettent plus. Par une société de projet ? Pourquoi pas, puisque la SNCF nous promet des retours sur investissement à trois ans et demi sur certains investissements majeurs. La débudgétisation, la sortie de l’annualité, les perspectives offertes, sur dix ou vingt ans, par la mobilisation de fonds verts et de partenariats public-privé doivent nous le permettre. Essayons, essayons vraiment !

Ce projet de loi de finances confirme aussi que le seul facteur de déséquilibre est constitué par le budget de l’État, alors que les collectivités sont à l’équilibre et que la sécurité sociale s’en rapproche, même si ses perspectives inquiètent. D’où mon dernier point sur les territoires et les collectivités.

Commençons par rétablir la confiance. Nous avons supprimé l’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, qui prévoyait d’encadrer les dépenses des collectivités territoriales alors que celles-ci n’aggravent pas le déficit. L’attachement aux libertés locales n’est pas compatible avec un encadrement des dépenses des collectivités, mais appelle plutôt à une lisibilité autour d’un pacte de confiance pluriannuel. Le système de contrôle et de sanction proposé n’est pas acceptable. Comment pouvez-vous, au détour de l’emploi du « 49.3 » à l’Assemblée nationale, le réintroduire dans ce projet de loi de finances, à l’article 40 quater ?

La première urgence est donc de revenir sur cette disposition, si vous voulez confirmer que l’exécutif est « ouvert aux propositions » du Sénat, comme le Gouvernement le déclare, et faire confiance aux collectivités qui ont montré qu’elles en étaient dignes.

S’agissant des dépenses des collectivités, sans entrer dans les chiffres, rétablissons quelques vérités. Les collectivités territoriales ne sont pas un problème pour les comptes de la Nation. Les dotations ne sont pas des subventions de l’État, elles ne sont pas un don, mais un dû, car elles sont la contrepartie, à l’euro constant près, soit de la nationalisation d’une fiscalité jusqu’alors locale, soit d’un transfert de charges de l’État vers les collectivités. C’est même un principe constitutionnel !

Au fil des années, plus l’État a prélevé sur les finances locales pour ses besoins, plus son propre déficit s’est accentué. Depuis 2014, 46 milliards d’euros ont ainsi été piochés dans les budgets des collectivités par un État dont le déficit est reparti à la hausse depuis 2018, soit avant le covid-19. C’est d’autant plus pernicieux que les excédents de fonctionnement des collectivités territoriales améliorent la présentation à Bruxelles des comptes publics de l’État.

Mais au-delà des difficultés rencontrées à microéchelle, si l’on peut dire, par chaque commune, la désindexation des dotations générera, à l’échelle macroéconomique, un effet récessionniste. L’hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour 2023 est de 1 %. Ce chiffre faible, déjà optimiste, sera revu à la baisse si les collectivités territoriales, qui ne représentent en France que 19 % du total de la dépense publique, mais assument plus de 70 % de l’investissement public, se voient privées de leur capacité d’autofinancement en raison de l’effet de ciseaux de la dynamique des charges qu’elles subissent. Car là est bien le véritable sujet, celui de l’autofinancement des collectivités.

Ne pas garantir, en euros constants, les recettes supposées appartenir aux collectivités, via le produit du résidu de fiscalité locale et, surtout, des dotations qui s’y sont substituées, remettrait en cause leur vertu contracyclique de soutien à l’activité en période de difficulté et générera ainsi un effet récessionniste.

Nous avions défendu, lors des « dialogues de Bercy », le maintien de la dynamique des bases fiscales sur la fiscalité locale : c’est une mesure importante de stabilité des règles et de respect de l’autonomie financière des collectivités. Je me réjouis qu’à ce stade nous soyons entendus.

Concernant les dépenses, les collectivités devraient pouvoir bénéficier de dispositifs de soutien renforcés face aux prix de l’énergie, comme nous le demandons depuis des semaines, dans l’attente d’une révision à l’échelle européenne du prix de référence de l’électricité. J’insiste sur ce point, qui me semble crucial, car cela nous exonérerait de bien des efforts budgétaires. Monsieur le ministre, le Gouvernement pense-t-il pouvoir enfin obtenir de l’Europe le régime ibérique ?

Bruno Le Maire nous a affirmé tout à l’heure que l’Europe doit faire bloc. Il semble pourtant, hélas, que ce ne soit pas tout à fait le cas aujourd’hui.

La discussion va s’engager de manière constructive et responsable dans cet hémicycle. Notre groupe y participera activement.

Monsieur le ministre, nous allons pouvoir vérifier, dans les jours qui viennent, si vous voulez donner de la lisibilité et de l’efficacité à notre dépense publique, pour renouer avec la confiance et l’espérance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ère du « quoi qu’il en coûte » s’est refermée. Avec la remontée des taux, la hausse des coûts de l’énergie et l’inflation qui s’installe dans l’économie mondialisée, nous ne pouvons plus dépenser sans compter, mais nous devons compter ce que nous dépensons. C’est ce que vous avez appelé, monsieur le ministre, le « combien ça coûte ».

Je salue ce changement de braquet, qui tire les conséquences d’une situation nouvelle. Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités, comme disait le général de Gaulle. Nous y voilà !

Je ne reviendrai pas sur le contexte global de ce budget, mon collègue Emmanuel Capus ayant déjà expliqué pourquoi notre groupe soutient le texte du Gouvernement. Je me contenterai de présenter quelques pistes d’action complémentaires.

Pour embrayer après le « combien ça coûte », je propose de passer à la vitesse de croisière du « mieux qu’il en coûte ». Désormais, à budget constant, nous devons impérativement améliorer l’efficacité des dépenses publiques.

Nos propositions répondent à cette logique. Je vous en cite trois, qui illustrent l’esprit de ce projet de loi de finances : stimuler l’innovation, la réindustrialisation des territoires et le « produire en France » ; accélérer la transition écologique et protéger la biodiversité ; enfin, renforcer notre souveraineté culturelle.

La réindustrialisation du pays passera à la fois par les territoires et par l’innovation. Si nous voulons éviter notre déclassement en pays de sous-traitance, il ne faut pas « oublier Lisbonne et mourir ». Nous devons investir massivement dans la recherche et dans l’innovation, pour que nos chercheurs et nos entrepreneurs trouvent et développent les solutions aux défis du siècle. C’est également vital pour notre balance commerciale.

C’est tout le sens de la mission d’information dont mon groupe a pris l’initiative, voilà un an, et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur. L’objectif de cette mission n’était pas d’orner d’un rapport supplémentaire les rayonnages de votre bibliothèque, monsieur le ministre ; il s’agissait de trouver des solutions efficaces et opérationnelles pour contribuer à changer la donne.

L’ensemble de nos propositions peut être divisé en trois : un tiers pour le Gouvernement ; un tiers pour le secteur privé ; un tiers pour le Parlement. Avec les membres de cette mission d’information et son président, Christian Redon-Sarrazy, nous avons pris notre part et proposé des mesures concrètes.

La plus importante, par le signal positif qu’elle enverrait, concerne le crédit d’impôt recherche (CIR). Nous proposons, à enveloppe budgétaire constante, de reventiler une part réduite de l’enveloppe au bénéfice des PME et des ETI, en supprimant le taux de 5 % au-dessus du seuil de 100 millions d’euros de dépenses de recherche et développement.

Rappelons qu’un euro de CIR entraîne 1,4 euro de dépenses privées de recherche chez une PME, contre 40 centimes dans un grand groupe. Dans un cas, cette dépense est utile et créatrice de richesse supplémentaire ; dans l’autre, vous conviendrez qu’elle manque d’efficacité.

Telle est, monsieur le ministre, notre conception du « mieux qu’il en coûte ». Je sais que le Gouvernement ne souhaite pas toucher à ce dispositif, dont je conviens qu’il contribue à l’attractivité du pays. Pourtant, alors que nos concitoyens exigent davantage de justice fiscale, l’argent public ne doit pas servir à faire venir des entreprises étrangères pour de mauvaises raisons. Nous préférons qu’il finance directement l’innovation des PME et ETI de nos territoires.

Par ailleurs, pour accélérer la transition écologique, nous voulons ouvrir le bénéfice du régime du mécénat aux particuliers et aux entreprises qui consentent des dons aux communes forestières pour aménager des accès ou encore replanter des essences résilientes. Après les mégafeux qui ont ravagé nos forêts cet été, nous souhaitons permettre aux Français d’agir, de façon locale et concrète, pour les préserver.

Ce dispositif a été adopté par notre commission des finances, grâce au travail mené par mon collègue Vincent Segouin. J’espère que nous pourrons l’intégrer au budget, afin de le rendre opérationnel dès le 1er janvier 2023 et de préparer ainsi l’avenir.

Enfin, pour renforcer notre souveraineté culturelle, nous proposons également de mobiliser davantage de capitaux privés.

C’est essentiel, car le monde de la culture a été fortement frappé par la pandémie. Dans le même temps, l’encours global sur les livrets d’épargne réglementés, dont le livret A et le livret de développement durable et solidaire (LDDS), a dépassé 500 milliards d’euros, soit cinq fois le montant total du plan de relance : c’est considérable !

C’est pourquoi nous proposons de créer un nouveau livret d’épargne réglementée, dénommé Livret C, comme « culture », afin de mobiliser les capitaux privés pour le financement des lieux culturels, notamment patrimoniaux, et de la création. D’autres propositions, dont celle de ma collègue Colette Mélot en faveur de l’art numérique, vont dans le même sens. J’espère qu’elles pourront enrichir le texte du Gouvernement, en l’orientant dans la voie du « mieux qu’il en coûte ». (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Patrice Joly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce budget pour 2023 se tient dans des conditions particulières, que d’autres orateurs ont rappelées avant moi : crise énergétique, inflation, perte de pouvoir d’achat. On observe une augmentation importante du coût de l’énergie et des produits alimentaires, catégories qui pèsent tout particulièrement sur les plus modestes, compte tenu de la structure de leurs dépenses.

C’est pourquoi, cette année plus encore qu’à l’ordinaire, nous devons être dans ce budget à l’écoute de nos concitoyens, de nos collectivités, de nos entreprises et de tous les acteurs économiques, dont les voix se font toujours plus criantes pour formuler plusieurs demandes.

Ils demandent que l’État redevienne davantage opérateur, en fournissant des services publics et en intervenant directement dans la vie économique française et la production de biens et de services.

Ils demandent que l’État redevienne davantage régulateur, en garantissant le fonctionnement du système complexe qu’est notre société.

Ils demandent que l’État redevienne davantage régalien, pour protéger et garantir l’ordre public, mais aussi, de manière plus générale, pour assurer la sécurité dans ces différents domaines.

Ils demandent que l’État redevienne plus fort pour lutter contre les inégalités sociales et rétablir la justice fiscale.

En somme, ils demandent à l’État d’être de nouveau pleinement en phase avec les besoins de nos concitoyens.

Mais comment les rassurer, alors même que nous venons d’achever les débats sur un projet de loi de programmation des finances publiques peu ambitieux ? Le Gouvernement a renoncé à faire payer celles et ceux qui bénéficient aujourd’hui de la crise. Il a renoncé à donner à l’État l’élan nécessaire pour venir en aide aux territoires et aux populations les plus fragiles, dont le nombre va toujours grandissant, comme le souligne le rapport sur l’état de la pauvreté en France établi par le Secours catholique.

Comment ne pas être inquiet pour nos concitoyens en examinant ce budget pour 2023 ?

Vous continuez à vouloir ramener le déficit public à moins de 3 % d’ici à 2027, au nom de la maîtrise de la dépense publique.

Si vous n’aviez pas fait le choix de réduire de 54 milliards d’euros les prélèvements obligatoires entre 2017 et 2023, notre déficit aurait pu être maîtrisé sans rogner sur les dépenses publiques. Visiblement, il ne suffit pas de s’autoproclamer bon gestionnaire pour l’être !

Au nom de la maîtrise de la dépense publique, monsieur le ministre, des cataclysmes se profilent : toujours moins de services publics, alors que les besoins s’en font plus que jamais sentir ; toujours moins de justice sociale et fiscale, alors que notre société croule sous les inégalités ; toujours moins de réponses à la crise écologique, alors que l’humanité est menacée ; toujours plus de misère, plus de crises dans les hôpitaux et les écoles, plus de files d’attente à la pompe et à l’aide alimentaire !

Monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur de nombreux points de votre texte.

Tout d’abord, quelles protections apportez-vous aux habitants de nos territoires ?

Une récente étude de l’UFC-Que Choisir a montré l’ampleur de la crise sanitaire en France et, surtout, dans les territoires ruraux : il y est devenu particulièrement difficile, voire impossible, de consulter un médecin généraliste ou des spécialistes.

Parallèlement, l’hôpital s’effondre sous les coups de l’austérité budgétaire ; les démissions se multiplient, reflétant l’exaspération des personnels soignants.

À titre d’exemple, dans mon département de la Nièvre, les élus et les habitants assistent, contre leur gré et malgré leurs nombreuses protestations, à des fermetures de services dans différents établissements : fermetures de services de médecine, de lits de long séjour, ou encore de maternités et de centres périnataux faute de sages-femmes.

Alors, il faut investir fortement pour améliorer les conditions de travail, augmenter les salaires du secteur de la santé et permettre le recrutement de personnel, afin que plus jamais un être humain habitant ce pays ne puisse mourir dans un couloir sur un brancard, faute de soins ou dans l’attente d’être transporté dans un hôpital.

Ensuite, quels services publics souhaitez-vous encore maintenir sur nos territoires ?

Aux yeux du Gouvernement, c’est toujours l’objectif obsessionnel de maîtrise budgétaire qui est prioritaire. Vous considérez les services publics uniquement comme une dépense, sans jamais vous interroger sur ce que coûte leur absence ni sur ce qu’ils peuvent apporter en matière de cohésion sociale, d’accès aux droits, d’emploi, de lutte contre le réchauffement climatique, mais également de développement économique et de création de valeur ajoutée.

Enfin, quels secours donnez-vous à nos collectivités ?

Celles-ci ne peuvent se satisfaire de leurs dotations actuelles, d’autant qu’elles subissent depuis plusieurs mois une augmentation sans précédent de leurs charges de fonctionnement du fait de la crise inflationniste.

Je prends acte des mesures que vous proposez, monsieur le ministre, mais expliquez-nous comment les collectivités peuvent aujourd’hui entretenir les écoles, les collèges, les lycées, ou encore les piscines, tout en s’adaptant aux bouleversements irréversibles dus au dérèglement climatique, alors que leurs dépenses ne devront progresser que d’un rythme inférieur de 0,5 point au taux de l’inflation.

Votre budget promet une cure d’austérité, que vous souhaitez voir supportée par les collectivités, qui deviennent les grandes perdantes de ce projet. Les associations d’élus sont unanimes : les mesures retenues par le Gouvernement en direction des collectivités ne sont pas à la hauteur des défis auxquels elles doivent faire face.

Mes chers collègues, j’ai envie de faire miennes les paroles de Victor Hugo : « Je ne suis pas […] de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; […] mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. »

Face à un tel niveau d’urgence, il est temps de renverser votre logique et de repenser le budget de la France en partant des besoins de la population et de la planète, pour aller ensuite chercher les moyens nécessaires. Cela suppose au préalable d’imposer un partage des richesses, une plus grande participation du capital et une redistribution des revenus, au sens large. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année dernière, nous avions sans doute trop rapidement écourté l’examen du projet de loi de finances, à l’issue de sa première partie. J’en exprime le regret. Les années se suivent, mais ne se ressemblent pas forcément : c’est cette fois l’Assemblée nationale qui a vu ses débats interrompus.

Pour autant, les sénateurs centristes saluent le maintien dans le texte de certains dispositifs de bon sens, parfois issus d’amendements présentés par différents groupes d’opposition.

Je pense tout particulièrement à la hausse du plafond défiscalisé des tickets-restaurant, à la prolongation du taux réduit de TVA à 5,5 % pour les produits liés au covid-19, ou encore à la mise en place d’un bouclier protégeant les collectivités de l’envolée des prix de l’énergie. Encore ce dernier dispositif reste-t-il à améliorer. C’est pourquoi notre groupe proposera un bouclier énergétique plus performant en faveur des collectivités, défini à partir de critères simples et clairs. Notre rapporteur général a livré une proposition utile, qui mérite débat et enrichissements.

Bien que s’appuyant sur des hypothèses optimistes, le Gouvernement prévoit – devrais-je dire, après avoir entendu M. le ministre de l’économie et des finances : « prévoyait » ? – pour 2023 une simple stabilité du déficit public effectif, une amélioration au mieux limitée du solde structurel et une quasi-stabilité du ratio de dette.

Or « le redressement des finances publiques s’annonce ainsi lent et très incertain en 2023 », souligne le Haut Conseil des finances publiques. Le Gouvernement a-t-il bien saisi l’urgence de retrouver la maîtrise de nos finances publiques ?

À l’écoute des propos tenus tout à l’heure par M. Le Maire, je suis porté à le croire, mais il nous faudra en recevoir des preuves au cours de la discussion des amendements. Le groupe de l’Union Centriste a toujours défendu une exigence de redressement des finances publiques. Encore faut-il, pour qu’il y ait accord au sein de la majorité sénatoriale, que le compromis soit clair et partagé.

La soutenabilité de notre budget nous appelle en effet à la plus grande vigilance.

Les deux dernières années ont démontré l’exigence d’un retour à des niveaux de dette raisonnables, garantissant à la France de disposer de marges de manœuvre suffisantes. C’est nécessaire pour affronter de nouveaux chocs macroéconomiques ou financiers et faire face à des besoins importants d’investissement public. Cet effort collectif repose sur la maîtrise de la dépense, couplée à la recherche d’une plus grande efficacité de celle-ci.

Les crédits des ministères augmentent de 24 milliards d’euros, la charge de la dette tutoie les 60 milliards d’euros et les dépenses d’assurance maladie inscrites dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), hors dépenses liées à la crise sanitaire, sont en augmentation et toujours supérieures aux dépenses d’avant la crise sanitaire. En effet, une fois la baisse des dépenses exceptionnelles neutralisée, la hausse en volume de la dépense publique est estimée à 0,7 %. Ces chiffres seront nécessairement au centre de nos discussions.

Les dépenses courantes vont encore augmenter de 62 milliards d’euros et 11 000 fonctionnaires vont être recrutés.

Au moment même où les taux d’intérêt remontent, voire dépassent les 2,5 %, la France va emprunter 270 milliards d’euros sur les marchés, un record dont nous nous serions sans doute bien passés.

Prenant ses responsabilités pour apporter des solutions concrètes à ces hausses des taux d’intérêt, le groupe UC s’est accordé pour déposer plusieurs amendements à ce projet de loi de finances pour 2023 visant à concourir au redressement de nos finances publiques. Dès lors, et en gardant à l’esprit, comme M. le ministre l’a lui-même souligné, qu’en cette période d’incertitude et de risques nous devons éviter d’ajouter à la situation actuelle une absence de discussion budgétaire, nous serons force de proposition.

Nous aurons un sujet de discussion : l’instauration d’une contribution exceptionnelle de solidarité sur les superprofits, étendue à l’ensemble des secteurs d’activité économique et ciblant les plus grandes entreprises. La solidarité est l’affaire de tous ; la cohésion passe aussi par des symboles.

Opposés à des baisses d’impôts non financées, nous proposerons par ailleurs le report de la suppression de la CVAE, mesure perçue de surcroît comme un énième coup porté à l’autonomie financière des collectivités. La position de la commission des finances sur cette question peut être un point d’atterrissage ; revenir dessus serait problématique.

Le financement des collectivités est devenu incompréhensible pour une grande majorité de ces dernières ; le calcul de la DGF en est le meilleur exemple. Nous saluons l’augmentation de 320 millions d’euros de cette dotation et la création du fonds vert destiné aux collectivités locales.

À l’heure où cet hémicycle va connaître de longs débats, le groupe UC souhaite des échanges équilibrés, intelligibles et respectueux, à l’image du travail fourni au Sénat. Cette approche permet un dialogue entre les différents groupes. Nous espérons que les propositions faites par le Sénat, et notamment par les sénateurs centristes, sauront susciter l’adhésion du plus grand nombre, ce qui nous permettra d’adopter ce budget tel que modifié par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je remercie l’ensemble des orateurs qui se sont succédé. Nous aurons, au cours des prochains jours, des prochaines semaines, des débats nombreux, riches et denses, qui nous donneront l’occasion de revenir sur beaucoup des sujets évoqués.

Monsieur Breuiller, vous avez abordé un certain nombre de sujets qui me tiennent à cœur. Vous avez évoqué notre politique culturelle ; je pourrais parler longuement de notre action autour du pass Culture ou de la rénovation du patrimoine de notre pays. Mais je retiendrai de votre intervention la question de l’éducation, question centrale, fondamentale, afin d’insister de nouveau sur la hausse, d’une ampleur inédite, du budget du ministère de l’éducation nationale.

Quand il a été élu Président de la République, François Hollande a lancé un grand plan de recrutement et de réarmement pour l’éducation nationale, qui s’était traduit, dans le PLF 2013, par un rehaussement de 1,7 milliard d’euros du budget de ce ministère. Dans le PLF pour 2023, ce budget augmente de 3,7 milliards d’euros.

Cela permettra de mettre en place des actions très concrètes, au service des méthodes pédagogiques, de revaloriser, à hauteur de 10 %, la rémunération des enseignants pour faire en sorte, comme nous nous y sommes engagés, qu’aucun d’entre eux ne démarre sa carrière à moins de 2 000 euros net par mois, ou encore de recruter 4 000 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), qui bénéficieront eux aussi, grâce à l’adoption, à l’Assemblée nationale, d’un amendement de la majorité présidentielle retenu par le Gouvernement dans le texte considéré comme adopté, de la revalorisation salariale de 10 %.

Monsieur Rohfritsch, je vous remercie de votre intervention. Vous avez souligné la hausse importante dont bénéficie le budget du ministère des outre-mer, qui atteint près de 3 milliards d’euros. Cette hausse, déjà prévue dans la rédaction initiale du PLF, a été encore accrue par l’adoption d’amendements conservés dans le texte à la suite de la discussion à l’Assemblée nationale. Je pense notamment à l’amendement tendant à abonder de 30 millions d’euros le dispositif des contrats d’accompagnement des communes d’outre-mer en difficulté financière (Corom), pour les villes qui en sont signataires, ou encore à l’aide de 10 millions d’euros destinée aux entreprises industrielles ou de services situées dans les départements et régions d’outre-mer (Drom). Les discussions du Sénat sur le budget des outre-mer seront très importantes pour nous.

Monsieur Cozic, parmi les critiques que vous formulez à l’encontre de ce PLF, je retiendrai que vous nous reprochez de « subventionner des énergies fossiles ». Et vous avez raison : à titre personnel, je trouve aussi que nous subventionnons encore trop les énergies fossiles et je souhaiterais évidemment qu’il en aille autrement. Mais de quoi s’agit-il ? Du bouclier tarifaire, qui permet de limiter la hausse du prix du gaz, qui est une énergie fossile. C’est très concret, pour les Français, de ne pas devoir payer, l’année prochaine, une facture mensuelle en augmentation de 160 euros et de subir une hausse de 15 % seulement au lieu de 120 %.

Sans doute, cela implique que les finances publiques « subventionnent » le gaz ou, en tout cas, compensent la hausse de son prix. C’est ce que vous appelez, je suppose, le « subventionnement des énergies fossiles ». Nous préférerions évidemment nous en passer, mais je ne conçois pas de ne prendre aucune mesure pour faire face à l’explosion des prix de l’énergie que l’on constate partout dans le monde et qui affecte le pouvoir d’achat des Français.

De la même manière, eu égard à nos ambitions en matière de transition énergétique, nous ne nous réjouissons pas d’avoir instauré la ristourne sur le carburant, qui nous aura coûté 8 milliards d’euros en 2022. Mais cet investissement était nécessaire pour limiter la facture des Français : il aura permis à l’automobiliste moyen d’économiser 120 euros d’essence cette année. L’année prochaine, nous allons passer à un dispositif ciblé, afin de garder des marges de manœuvre permettant de renforcer nos mesures de soutien à la conversion des véhicules avec le bonus écologique et la prime à la conversion.

Je rappelle les engagements extrêmement forts que nous avons pris sur ce sujet : nous voulons que la France soit le premier grand pays à sortir des énergies fossiles. Nous nous en donnons les moyens, avec le réinvestissement dans des sources d’énergie décarbonée. Je pense au réinvestissement massif dans le nucléaire, au développement important des énergies renouvelables ou encore à des mesures fortes prises à la suite de la conférence de Glasgow qui se retrouvent dans les textes budgétaires, telles que la fin des garanties à l’export pour les projets fossiles. La France a été le premier pays au monde à interdire, en 2017, la recherche et l’exploitation d’énergies fossiles sur son sol. Autant d’engagements majeurs qui me semblent très largement partagés.

Monsieur Bocquet, vous avez parlé, pour commenter la trajectoire proposée par le Gouvernement pour les années à venir, d’une « baisse des dépenses des collectivités territoriales ». Je vous rassure sur ce point : il n’est absolument pas prévu de faire baisser les dépenses des collectivités territoriales. Ce que nous souhaitons, c’est que la dépense publique globale soit maîtrisée au cours des années à venir, qu’elle progresse, mais de manière maîtrisée.

Ainsi, selon la trajectoire que nous proposons, les collectivités territoriales, qui auront dépensé 295 milliards d’euros cette année, dépenseront, en 2027, 326 milliards d’euros, ce qui représente 31 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en cinq ans. Les dépenses vont donc bien progresser, ce qui est légitime au regard des défis que l’on évoque régulièrement dans cet hémicycle – transition écologique, transition démographique, transition numérique…

Nous avons donc besoin que les collectivités continuent de dépenser, tant en investissement qu’en fonctionnement. Je ne prétends nullement que les dépenses de fonctionnement des collectivités doivent baisser de manière brutale ; nous souhaitons simplement une progression maîtrisée, pour les collectivités comme pour l’État.

Cela me semble sain, car si nous ne sommes pas en mesure de démontrer que nous maîtrisons la croissance de nos dépenses, le risque couru est celui d’une explosion de nos taux d’intérêt, laquelle emporterait des conséquences sur la dette non seulement de l’État, mais également des collectivités territoriales. En effet, pour mener à bien leurs projets d’investissement, ces dernières ont besoin d’emprunter ; si les taux d’intérêt explosent, elles ne pourront plus se financer dans les mêmes conditions pour réaliser les projets attendus par tous les Français, notamment en matière de transition écologique.

Par ailleurs, j’y insiste, les contrats de confiance que nous proposons d’instituer, qui contiennent les incitations que vous évoquiez, ne concernent que les 500 plus grandes collectivités, dont le budget dépasse 40 millions d’euros. Je ne voudrais pas laisser penser que ce dispositif s’adresse à l’ensemble des collectivités territoriales.

Vous avez en outre soulevé la question de l’autonomie des collectivités locales et avez affirmé que ce dispositif ne respectait pas la Constitution à cet égard. Cette question avait déjà été soulevée lors de la conception des contrats de Cahors et, si je me souviens bien, le Conseil constitutionnel avait jugé qu’ils étaient conformes à la Constitution. Or les contrats de confiance en sont très loin, comme l’ont souligné un certain nombre d’associations d’élus. Selon Intercommunalités de France, par exemple, « le Gouvernement tourne la page des contrats de Cahors avec ce dispositif ». De même, l’Assemblée des départements de France a indiqué, par la voix de son président, François Sauvadet, que ce dispositif lui convenait dès lors que l’on sortait des dépenses prises en compte les allocations individuelles de solidarité (AIS), ce à quoi j’ai toujours été favorable, depuis le début des discussions.

Je veux vous rassurer sur un autre point, monsieur Bocquet : nous ne baissons pas, heureusement, le budget de l’hébergement d’urgence. Bien au contraire, nous l’avons augmenté comme aucun gouvernement ni aucune majorité avant nous. En 2017, quand Emmanuel Macron a été élu, ce budget s’élevait à 1,7 milliard d’euros ; en 2023, il sera de 2,8 milliards d’euros, soit une augmentation de 1,1 milliard d’euros en cinq ans. C’est loin d’être une baisse, une saignée, une coupe !

M. Sébastien Meurant. Toute la misère du monde !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous sommes passés de 110 000 à 200 000 places et avons créé 50 000 places supplémentaires de pension de famille dans le cadre de l’intermédiation locative. Nous avons beaucoup augmenté nos places, notamment pendant la pandémie de covid-19, parce qu’il y avait un confinement et qu’il fallait héberger des personnes sans domicile.

Au départ, j’ai effectivement souhaité réduire la voilure de l’hébergement d’urgence, notamment sur le coût des nuitées hôtelières, qui est objectivement beaucoup trop élevé et qui permet à certains intermédiaires de faire indûment des profits importants. J’ai défendu cette position en réunion interministérielle, je l’assume, mais l’arbitrage rendu par Matignon a consisté à refuser de faire ces économies en 2023. Dont acte. Toutefois, je considère possible, y compris sur ce sujet, de chercher des marges supplémentaires, en particulier sur le tarif des nuitées hôtelières.

Madame Vermeillet, vous avez abordé la question des superprofits. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit en discussion générale, mais nous avons eu ce débat, l’été dernier, lors de l’examen du PLFR, et nous avions renvoyé cette question à une discussion européenne. On nous avait alors reproché d’« enjamber le sujet », mais nous avons obtenu sur ce point un accord européen et le texte que vous examinez prévoit bien une taxation des superprofits des entreprises de l’énergie qui ont bénéficié de rentes indues, liées à l’explosion des prix de l’énergie aux échelons européen et mondial, voire à une spéculation.

Nous considérons qu’il faut taxer les superprofits dans les secteurs qui bénéficient indûment d’une augmentation des prix de l’énergie. Néanmoins, si les profits de certaines entreprises ont augmenté, cela n’a rien à voir, pour nombre d’entre elles, avec la crise que nous traversons ! Si une entreprise a été redressée, a fait des efforts, a innové, pourquoi taxer davantage ses profits, qui sont liés à une politique d’innovation, d’investissement ou de redressement ? Nous considérons qu’il n’est pas légitime de « pénaliser » ces entreprises. Nous pensons, au contraire, qu’il convient de maintenir la stabilité que nous avons eue depuis 2017, afin de développer l’investissement, l’innovation et l’attractivité économique de notre pays.

Nous reprendrons ce débat, comme nous l’avons eu l’été dernier, lors de l’examen de vos amendements, madame la sénatrice.

Monsieur Requier, vous avez posé la question de la prévision de croissance. La prévision est, on le sait, un art difficile, surtout quand on fait face à des aléas tels que ceux que nous connaissons aujourd’hui : retour de la guerre en Europe, crise immobilière en Chine, Inflation Reduction Act aux États-Unis, qui fait peser un risque sur les industries européennes, évolutions politiques en Italie et leur possible impact sur la trajectoire italienne des finances publiques et sur la zone euro, risques de difficultés d’approvisionnement en gaz pour nos voisins allemands l’hiver prochain… Tous ces éléments sont autant de nuages qui s’amoncellent au-dessus de nous et qui, oui, font peser un aléa sur l’activité économique.

Néanmoins, le Haut Conseil des finances publiques a jugé que nos prévisions en matière de croissance et d’inflation étaient crédibles, mais que – je suis tout à fait transparent avec vous – notre prévision de croissance était peut-être « un peu élevée ».

Pour ma part, je crois profondément que, avec les mesures prévues dans ce PLF, notamment celles qui visent à soutenir l’activité économique de notre pays – l’amortisseur sur les prix de l’énergie, la baisse des impôts de production et les autres mesures destinées à susciter l’activité économique –, nous pourrons avoir une croissance et même, je l’espère, atteindre notre prévision.

Mme Lavarde et M. Sautarel sont intervenus sur le sujet des économies. À cet égard, je tiens à faire un rappel : quel a été le rythme de croissance en volume des dépenses publiques au cours des trois précédents quinquennats ? Entre 2007 et 2012 : +1,4 %. Entre 2012 et 2017 : +1 % ; la dépense publique a donc moins progressé pendant le quinquennat de François Hollande que pendant celui de Nicolas Sarkozy. Entre 2017 et 2022, sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron : +0,9 %, soit moins encore qu’au cours du quinquennat antérieur.

Pour notre part, nous proposons, comme trajectoire pour le quinquennat qui commence, une croissance des dépenses publiques de 0,6 % en volume, c’est-à-dire la plus forte maîtrise de la progression des dépenses publiques depuis au moins quinze ans ! On ne peut donc pas parler de vannes complètement ouvertes ni d’une dépense publique qui s’envole. C’est d’ailleurs ce qui nous vaut d’être critiqués par certains, qui nous accusent de mener une politique d’austérité. Ce n’est évidemment pas du tout le cas, mais nous assumons tout de même des choix budgétaires sérieux et la maîtrise des dépenses publiques.

Madame Lavarde, vous avez indiqué que nous étions entrés dans la crise covid avec des finances publiques dégradées. Peut-être, mais elles l’étaient en raison d’un laisser-aller budgétaire de plusieurs décennies !

Mme Christine Lavarde. Je n’ai pas dit que c’était uniquement votre faute !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Le Président de la République qui a replacé le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB, c’est quand même Emmanuel Macron, en 2018 !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Non !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous avons ramené le déficit sous le seuil de 3 % avant la crise du covid-19 ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Pour cela, nous avons dû consentir, au début du précédent quinquennat, des efforts très importants, qui avaient donné lieu à des débats nourris. Je pense, par exemple, à la suppression des contrats aidés : mesure très difficile, qui a engendré beaucoup de débats, mais qui a entraîné une économie importante qui nous a permis d’assainir nos finances publiques.

Nous avions ainsi ramené le déficit public sous le seuil de 3 % avant la crise du covid-19 et nous ambitionnons de le refaire d’ici à la fin de ce quinquennat.

Par ailleurs, madame Lavarde, monsieur Sautarel, évidemment qu’il faut faire des réformes et des économies ! La réforme de l’assurance chômage, une réforme importante, a été définitivement adoptée. Au cours des prochaines semaines, nous proposerons une réforme des retraites qui devrait engendrer une économie budgétaire de 9 milliards d’euros à horizon de 2027, ainsi que des recettes fiscales et sociales de 12 milliards d’euros supplémentaires à la même date, grâce à l’amélioration du taux d’emploi, selon les estimations de la direction générale du Trésor.

De même, les textes budgétaires dont nous sommes en train de discuter prévoient également des réformes. Ce n’est jamais facile, parce que cela suscite toujours des contestations, des oppositions. Ainsi, quand on propose une économie de 250 millions d’euros dans le secteur de la biologie médicale, cela suscite forcément un débat.

En ce qui me concerne, j’assume de demander un effort de 250 millions d’euros par an au cours des années à venir à un secteur ayant engrangé, grâce aux tests covid, un chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros et dont la marge brute moyenne est passée de 18 % à 30 %, mais cela suscite une contestation, puisque les laboratoires d’analyse ont fait une grève de trois jours. Pourtant, nous faisons cet effort.

De même, quand on prévoit, comme nous le faisons au travers de ce PLF, une économie de 800 millions d’euros sur la définition du coût des contrats d’apprentissage par les centres de formation d’apprentis (CFA), la discussion avec les CFA est dure, parce que cela exige des efforts. Néanmoins, nous assumons de les leur demander.

Vous aurez également à vous prononcer sur une économie supplémentaire de 800 millions d’euros que nous proposons sur le compte personnel de formation (CPF), afin d’assainir la situation budgétaire de France compétences. Je pourrais continuer longtemps sur ce sujet…

Je veux m’attarder maintenant sur une autre question que vous avez abordée, madame Lavarde, et qui nous tient tous à cœur : les voitures électriques.

C’est vrai, aujourd’hui, 80 % des véhicules électriques sont importés. Par conséquent, le soutien financier que nous apportons aux Français qui changent de véhicule, via la prime à la conversion ou le bonus écologique, concerne en grande partie des véhicules importés, notamment de Chine. C’est pour cette raison que nous devons continuer d’agir en faveur d’une filière souveraine de véhicules électriques.

Nous avons tout de même réussi à faire émerger trois projets de gigafactory de batteries électriques dans notre pays, notamment à Douvrin. Les premières batteries électriques françaises vont sortir, au cours des prochains mois, de nos usines ! C’est quelque chose dont on peut se réjouir collectivement.

Nous allons continuer d’agir en ce sens, notamment au travers du plan France 2030, lequel consacre 5 milliards d’euros au secteur automobile, dont 1 milliard d’euros pour les sous-traitants, afin qu’ils puissent se diversifier et s’adapter à l’électrification du parc.

Il faut poursuivre notre action dans cette direction et notamment – cela me permet de faire le lien avec l’intervention de M. Capus, qui a mentionné la baisse des impôts de production – en favorisant l’attractivité, la compétitivité de notre pays pour le développement de filières industrielles. Une telle action est d’autant plus impérieuse au moment où les États-Unis se lancent, avec l’Inflation Reduction Act, dans une politique, disons le mot, de dumping fragilisant l’industrie française et européenne en général.

D’où notre volonté de prolonger la baisse des impôts de production et de supprimer la CVAE. Vous l’avez évoqué, monsieur Capus, la direction générale du Trésor estime que la suppression de ce prélèvement devrait, à terme, entraîner un accroissement supplémentaire de 0,7 % du PIB et créer 120 000 emplois, dont 57 000 dès 2025.

Par conséquent, oui, il y aurait des conséquences positives sur notre industrie, sur notre économie, avec des créations d’emploi et donc, in fine, des recettes supplémentaires pour l’État. En effet, je le souligne souvent, plus il y a de Français qui travaillent, plus il y a de recettes pour l’État et pour notre modèle social. Si nous avions le taux d’emploi de nos voisins allemands, j’aurais beaucoup moins de travail pour trouver des économies et pour équilibrer les comptes, car nos finances publiques seraient plus proches de l’équilibre grâce aux recettes liées à ce taux d’emploi. D’où la nécessité de continuer d’investir en faveur de la formation et de l’apprentissage et de mener la réforme des retraites.

Monsieur Patient, vous avez abordé la question du pouvoir d’achat. En effet, ce texte est également le PLF du pouvoir d’achat, grâce au bouclier tarifaire et à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation, qui permet de restituer 6,2 milliards d’euros.

Madame Briquet, vous posez la question des inégalités. Je ne reprendrai pas la liste de tout ce qui a été fait depuis plus d’un an pour soutenir les foyers et les ménages les plus modestes pendant la crise du covid-19 et la crise de l’inflation, mais je ne connais pas d’exemple d’un pays comparable en Europe ayant dépensé autant que nous pour accompagner financièrement les ménages les plus modestes.

J’espère donc que nous pourrons poursuivre cet échange pendant nos débats et que vous pourrez me fournir des exemples de pays qui auraient investi plus d’argent pour soutenir les ménages les plus modestes. Je suis vraiment preneur, madame la sénatrice.

Monsieur Delcros, vous avez abordé la question de l’emploi public et vous nous avez mis en garde contre la tentation de coupes comptables. Je vous rejoins évidemment sur ce point : le mandat qui m’a été confié par la Première ministre est la stabilisation de l’emploi public pendant le quinquennat. Cela ne signifie pas aucune suppression de postes, puisque nous nous sommes engagés à des créations massives : 8 500 postes supplémentaires dans la justice, autant dans la police et la gendarmerie et plusieurs milliers dans les armées. Cela implique d’en réduire d’un autre côté, afin de créer des marges de manœuvre.

Bien entendu, mes services, ceux de Bercy, premier pourvoyeur d’économies d’emplois depuis des années, seront encore mis à contribution, mais nous trouverons aussi, je l’espère, des marges ailleurs. Celles-ci doivent évidemment être le fruit de réformes et de modernisations ; c’est ce que Bercy a su faire pendant les dernières années, et je salue à cet égard l’engagement des agents.

Monsieur Joly, vous avez également abordé la question des inégalités. Je vous renvoie à la réponse que j’ai faite à Mme Briquet.

Enfin, monsieur Capo-Canellas, je vous rejoins pour souhaiter que ce débat conduise à dégager collectivement, aussi largement que possible, des solutions permettant de répondre aux préoccupations des Français et de tenir l’équilibre de nos comptes.

Madame la présidente, j’en ai terminé, en respectant, presque, mon temps de parole. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Jean-Claude Requier et Emmanuel Capus applaudissent également.)

Mme la présidente. Je vous en sais gré, monsieur le ministre.

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article liminaire.

projet de loi de finances pour 2023

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Première partie

Article liminaire

Les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, les prévisions de solde par sous-secteur, la prévision, déclinée par sous-secteur d’administration publique, de l’objectif d’évolution en volume et la prévision en milliards d’euros courants des dépenses des administrations publiques, les prévisions de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations pour l’année 2023, les prévisions pour 2023 de ces mêmes agrégats de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, ainsi que les données d’exécution pour l’année 2021 et les prévisions d’exécution pour l’année 2022 de ces mêmes agrégats s’établissent comme suit :

 

(En % du PIB sauf mention contraire)

2021

2022

2023

2023

Loi de finances initiale pour 2023

LPFP 2023-2027

Ensemble des administrations publiques

Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel)

-5,1

-4,2

-4,0

-4,0

Solde conjoncturel (2)

-1,4

-0,6

-0,8

-0,8

Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel)

-0,1

-0,1

-0,2

-0,2

Solde effectif (1 + 2 + 3)

-6,5

-4,9

-5,0

-5,0

Dette au sens de Maastricht

112,8

111,5

111,1

111,2

Taux de prélèvements obligatoires (y compris Union européenne, nets des crédits dimpôt)

44,3

45,2

44,9

44,7

Dépense publique (hors crédits dimpôt)

58,4

57,6

56,8

56,6

Dépense publique (hors crédits dimpôt, en milliards deuros)

1 461

1 521

1 571

1 564

Évolution de la dépense publique hors crédits d’impôt en volume (en %) (*)

2,6

-1,2

-1,0

-1,5

Principales dépenses d’investissement (en milliards deuros) (**)

25

25

Administrations publiques centrales

Solde

-5,8

-5,3

-5,7

-5,6

Dépense publique (hors crédits dimpôt, en milliards deuros)

597

628

645

636

Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***)

4,1

-0,2

-1,5

-2,6

Administrations publiques locales

Solde

0,0

0,0

0,0

-0,1

Dépense publique (hors crédits d’impôts, en milliards d’euros)

280

295

305

305

Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***)

2,8

0,1

-0,6

-0,6

Administrations de sécurité sociale

Solde

-0,7

0,5

0,8

0,8

Dépense publique (hors crédits dimpôt, en milliards deuros)

683

700

721

721

Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***)

1,3

-2,6

-1,0

-1,0

(*) À champ constant.

(**) Au sens de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

(***) À champ constant, hors transferts entre administrations publiques.

Mme la présidente. L’amendement n° I-1662, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

(En % du PIB sauf mention contraire)

2021

2022

2023

2023

Loi de finances initiale pour 2023

PLPFP 2023-20227

Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel)

-5,1

-4,3

-4,0

-4,0

Solde conjoncturel (2)

-1,4

-0,6

-0,8

-0,8

Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel)

-0,1

-0,1

-0,2

-0,2

Solde effectif (1+2+3)

-6,5

-5,0

-5,0

-5,0

Dette au sens de Maastricht

112,8

111,6

111,2

111,2

Taux de prélèvements obligatoires (y.c UE, nets des CI)

44,3

45,2

44,9

44,7

Dépense publique (hors CI)

58,4

57,6

56,9

56,6

Dépense publique (hors CI, en Md€)

1461

1523

1572

1564

Évolution de la dépense publique hors CI en volume (%) 1

2,6

-1,1

-1,0

-1,5

Principales dépenses d’investissement (en Md€) 2

25

25

Administrations publiques centrales

Solde

-5,8

-5,4

-5,8

-5,6

Dépense publique (hors CI, en Md€)

597

629

647

636

Évolution de la dépense publique en volume (%) 3

4,1

0,0

-1,2

-2,6

Administrations publiques locales

Solde

0,0

0,0

0,0

-0,1

Dépense publique (hors CI, en Md€)

280

295

305

305

Évolution de la dépense publique en volume (%) 3

2,8

0,1

-0,6

-0,6

Administrations de sécurité sociales

Solde

-0,7

0,5

0,8

0,8

Dépense publique (hors CI, en Md€)

683

701

721

721

Évolution de la dépense publique en volume (%) 3

1,3

-2,5

-1,0

-1,0

1 À champ constant.

2 Au sens de la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027.

3 À champ constant, hors transferts entre administrations publiques.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cet amendement vise à actualiser l’article liminaire en fonction des modifications adoptées par l’Assemblée nationale.

Voici comment se décompose cette actualisation.

Il y a d’abord une mise à jour liée aux mesures relatives à l’énergie.

Il s’agit en premier lieu de réduire les recettes attendues de contribution au service public de l’électricité (CSPE), à hauteur de 4,4 milliards d’euros : 3,5 milliards pour la réévaluation de l’effet de sortie des contrats et 900 millions pour le dispositif de soutien à la cogénération.

En effet, en vertu des contrats de CSPE signés avec les énergéticiens, lorsque le prix de marché est inférieur au prix conclu, l’État doit leur verser une subvention et, lorsque le prix de marché est supérieur au prix conclu, ce sont les énergéticiens qui doivent restituer à l’État le différentiel. Or, au cours des derniers mois, des énergéticiens sont sortis unilatéralement de cette relation contractuelle, afin de ne pas verser à l’État l’argent dû au titre de ces contrats. Cela nous conduit donc à minorer les recettes de l’État, même si, je vous rassure tout de suite, nous avons trouvé un moyen pour rattraper ces entreprises via un autre dispositif.

Il s’agit en second lieu d’étendre le bouclier tarifaire aux HLM, aux copropriétés et aux Ehpad pour un coût de 1,2 milliard d’euros. Il est très important que nos concitoyens vivant en HLM, dans une copropriété ou en Ehpad puissent bénéficier de ce dispositif.

Il s’agit en troisième lieu d’une coordination liée au chiffrage de la mesure relative au stockage de gaz, qui aboutit à une dégradation du solde de 0,6 milliard d’euros.

Il s’agit enfin de réviser à la hausse les recettes de la taxation de la rente inframarginale. Ce mécanisme européen nous permet d’aller chercher les énergéticiens susmentionnés sortis du dispositif de la CSPE et qui n’ont pas restitué à l’État ce qu’ils lui devaient, entraînant pour celui-ci un manque à gagner de l’ordre de 4 milliards d’euros, et d’ainsi récupérer cette somme.

Il y a ensuite une coordination avec la seconde loi de finances rectificative pour 2022, afin de tenir compte de la révision à la hausse, à hauteur de 0,8 milliard d’euros, des recettes de 2022 actée dans ce texte. Cette révision est plutôt une bonne nouvelle, parce qu’elle montre que notre économie résiste admirablement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos éclaircissements sur cet amendement, que la commission des finances avait reçu sans explications.

Je viens de vous entendre vous réjouir des résultats « extraordinaires » de notre économie ; je pense pour ma part que nous devons rester vigilants, prudents. Nous resterons en particulier attentifs, Christine Lavarde et d’autres l’ont souligné, à tous les dispositifs liés à l’énergie qui sont mis en place, tels que l’amortisseur, dont le détail du mécanisme nous est encore, comme aux entreprises, inconnu.

La commission prend acte des actualisations proposées au travers de cet amendement et s’en remet, à son sujet, à la sagesse du Sénat.

Cela étant, cet avis ne préjuge pas de la suite de nos travaux. Nous avons exprimé notre prudence et nous ferons preuve d’exigence. Le ministre de l’économie et vous-même avez indiqué l’atterrissage que vous souhaitiez au travers du PLFSS pour 2023, du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 et du PLFR pour 2022 que nous avons examiné hier, mais je pense que l’on gagnerait en clarté si le Gouvernement, au-delà de son écoute polie du Sénat, prenait en compte les opinions qui s’y expriment, sur toutes les travées.

Cet équilibre exigeant, la prise en compte par le Gouvernement du travail de la Haute Assemblée, permettra au Parlement de se sentir respecté. J’y insiste, parce que le passé est instructif en la matière.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° I-1662.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote sur l’article.

M. Éric Bocquet. Il ne s’agit pas de s’engager dans une guerre de tranchées ; nous souhaitons simplement clarifier les positions des uns et des autres avant d’entamer les débats.

À l’Assemblée nationale, l’article liminaire a été rejeté sur tous les bancs de l’opposition, y compris ceux du groupe Les Républicains. Sans doute, il y a eu depuis lors quelques modifications et quelques précisions.

Néanmoins, j’évoquais l’impératif de clarté qui doit présider à ces débats et il est important de savoir à qui nous avons affaire. C’est pourquoi nous avons demandé un scrutin public sur cet article : soit on adhère à la trajectoire budgétaire proposée et on vote pour l’article liminaire ; soit on conteste les indicateurs proposés et alors on s’explique et on vote contre cet article.

La politique, c’est assez simple, finalement : il y a la majorité et l’opposition, le Parlement et le Gouvernement, et il faut clarifier les relations. Parfois, cela devient un peu compliqué, il y a des zones grises et certains commencent à être charmés, attirés, séduits par les sirènes du « en même temps »… (M. Roger Karoutchi sesclaffe.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article liminaire, modifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 58 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 274
Pour l’adoption 247
Contre 27

(Larticle liminaire est adopté.)

Article liminaire
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Article 25 et participation de la France au budget de l'Union européenne
Article liminaire
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Article 25 et participation de la France au budget de l'Union européenne

Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles de la première partie.

Première partie

Conditions générales de l’équilibre financier

Titre Ier

Dispositions relatives aux ressources

Mme la présidente. Nous allons tout d’abord examiner, au sein du titre Ier de la première partie du projet de loi de finances pour 2023, l’article 25, relatif à l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

ARTICLE 25 ET PARTICIPATION DE LA FRANCE AU BUDGET DE L’UNION EUROPÉENNE

Conditions générales de l'équilibre financier
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Article 25 (début)

Mme la présidente. Dans la discussion, la parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme chaque année, l’examen du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est un exercice complexe, car aussitôt le projet de loi de finances déposé, le montant prévisionnel inscrit dans le texte est dépassé.

La lecture en est particulièrement brouillée, dans la mesure où le budget de l’Union européenne pour 2022, déjà modifié par quatre budgets rectificatifs, a fait l’objet d’un nouvel ajustement postérieur au dépôt du projet de loi de finances. Parallèlement, la Commission européenne a présenté une lettre rectificative au projet de budget de l’Union pour 2023, alors que le dialogue avec le Conseil des ministres de l’Union européenne et le Parlement européen autour de son adoption était déjà engagé.

Il est vrai que ces modifications sont liées à la crise systémique induite de l’agression russe en Ukraine et à ses conséquences, notamment en matière d’inflation et d’accès à l’énergie.

Il n’était évidemment pas possible de prendre en compte ce contexte lors de l’élaboration du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, ce qui pose dès à présent la question de sa probable modification. Peut-être pourrez-vous nous apporter des indications à ce sujet, madame la secrétaire d’État ?

Sous réserve de l’adoption de l’amendement que le Gouvernement a déposé, le prélèvement sur recettes serait, à presque 25 milliards d’euros en 2023, très proche de celui constaté en 2022. Il resterait inférieur de 1,5 milliard d’euros à celui enregistré en 2021, et en deçà de celui estimé l’année dernière par le Gouvernement pour chaque année de la période 2021-2027, soit 27,6 milliards d’euros.

Pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d’État, si ce début d’exécution du cadre financier pluriannuel 2021-2027 remet en cause ces projections, ou si, au contraire, comme semble le laisser penser la résolution du Parlement européen examinée ce jour, l’accroissement des dépenses, notamment liées aux contrecoups de la guerre en Ukraine, va conduire à augmenter le budget de l’Union et, par conséquent, la participation de la France à son financement ?

Au-delà de l’évaluation du prélèvement sur recettes proprement dit, la commission des finances s’est préoccupée des conséquences du retard que connaît la définition de nouvelles ressources propres. Le dépôt d’un rapport d’étape et la première délibération du Conseil pour les affaires économiques et financières (Ecofin), sous présidence française, ne constituent que l’amorce d’un processus, lequel prend déjà du retard. En matière de ressources propres, madame la secrétaire d’État, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sera-t-il défini d’ici à la fin de l’année ?

Au demeurant, si trois pistes de ressources nouvelles sont sur la table des négociations, leur montant global pose question. En effet, il est inférieur au total des dépenses que ces ressources sont censées financer : remboursement des fonds empruntés pour abonder la facilité pour la reprise et la résilience, mise en œuvre du fonds social pour le climat et, désormais, création de REPowerEU.

Nous ne pouvons ignorer ce sujet, faute de quoi le budget national serait appelé à contribuer à hauteur de 2,5 milliards d’euros au remboursement des dettes contractées par la Commission au nom de l’Union, sans compter les nouvelles garanties susceptibles d’être accordées, telle celle figurant à l’article 37 quater du projet de loi de finances au titre des prêts que l’Union accorde à l’Ukraine.

Compte tenu des engagements déjà pris et des évolutions en cours, il serait utile de disposer d’un état précis des sommes que la France est susceptible d’être appelée à apporter à l’Union à moyen et long terme, au-delà du prélèvement sur recettes.

Parallèlement aux dépenses classiques, généralement désignées comme des retours, la France est l’un des principaux bénéficiaires en montant, si ce n’est en pourcentage du revenu national, de la facilité pour la reprise et la résilience créée dans le cadre de Next Generation EU, réponse de l’Union à la pandémie.

Je me félicite que la France ait été, très peu de temps après l’Espagne, le deuxième pays à présenter un plan national puis à bénéficier d’un préfinancement, ainsi que d’un premier montant de subventions.

En revanche, je voudrais signaler l’ajustement par la Commission européenne, passé inaperçu à la veille de l’été, des allocations nationales. Lié à une croissance plus forte que celle attendue, cet ajustement s’est traduit par une baisse de 1,9 milliard d’euros de la dotation prévue. Au total, notre pays recevra donc 37,5 milliards d’euros au lieu des 39,4 milliards d’euros attendus. Je serai preneur, si vous en disposez, madame la secrétaire d’État, d’éléments sur la façon dont s’effectuera l’ajustement des versements reçus par la France.

En conclusion, mes chers collègues, lors de l’examen, le 2 novembre dernier, de l’article 25, la commission des finances a proposé son adoption sans modification.

Je vous indique par avance qu’elle a décidé de donner un avis favorable à l’adoption de l’amendement du Gouvernement visant à modifier le montant du prélèvement sur recettes initialement inscrit au projet de loi de finances. Cet ajustement technique a généralement lieu en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale ; l’adoption du budget de l’Union par le Parlement européen, lundi dernier, a permis que le Sénat se prononce sur l’évaluation révisée du prélèvement, ce dont je me félicite pour la clarté de nos débats. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, RDSE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Patrice Joly a présenté ce matin, devant la commission des affaires européennes, une communication très éclairante sur les enjeux de mise en œuvre du cadre financier pluriannuel dans le contexte nouveau lié à la guerre en Ukraine.

C’est à travers ce prisme que je veux engager notre discussion sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne que le Gouvernement propose de majorer de 408 millions d’euros pour tenir compte du résultat des négociations conclues en début de semaine sur le budget 2023 de l’Union.

Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 est percuté par la guerre en Ukraine, en raison à la fois des dépenses nouvelles occasionnées par cette guerre, mais aussi de l’inflation désormais élevée, très supérieure au déflateur de 2 % inscrit dans le cadre financier. En particulier, l’assistance macrofinancière accordée à l’Ukraine atteint désormais des montants très importants : 18 milliards d’euros de prêts sont prévus pour l’année 2023, soit environ la moitié des besoins de financement de ce pays.

Les États membres seront mis à contribution de deux manières : d’une part, par le jeu des garanties ; d’autre part, dans la mesure où ils prendront en charge les intérêts de ces prêts accordés à l’Ukraine, par le biais de ressources externes affectées. Si cela n’apparaît pas dans le projet de loi de finances pour 2023, il faut garder cette perspective à l’esprit.

Pour financer cette assistance macrofinancière, la Commission prévoit d’emprunter sur les marchés financiers, ce qui nécessite une modification ciblée du cadre financier pluriannuel, laquelle devrait être validée très rapidement d’ici au mois de décembre.

Toutefois, le contexte nouveau découlant de la guerre en Ukraine pose de nouveau, de manière beaucoup plus fondamentale, la question de la pertinence des enveloppes convenues en 2020 pour les sept prochaines années. Le réexamen du CFP figure dans le programme de travail de la Commission européenne pour l’année 2023, mais, plus qu’un simple réexamen, c’est bien une révision du fond que demande le Parlement européen.

Cette demande inquiète la France, en tant qu’État contributeur net, à double titre : d’une part, la question du déflateur pourrait être évoquée et une réévaluation pousserait mécaniquement la contribution nationale à la hausse ; d’autre part, on peut craindre qu’une réouverture du CFP ne modifie la ventilation des crédits et que les politiques traditionnelles, à commencer par la politique agricole commune (PAC), ne soient plus jugées aussi prioritaires au regard des nouveaux défis à relever.

Parallèlement, les discussions sur les nouvelles ressources propres n’avancent pas aussi vite que prévu et pourraient en outre se traduire par des recettes inférieures à celles initialement envisagées. À moins de décider de coupes drastiques dans les politiques publiques européennes, l’ensemble de ces paramètres font office d’épée de Damoclès sur l’évolution de la contribution française au budget de l’Union.

Madame la secrétaire d’État, je souhaite que vous puissiez, à l’occasion de l’examen de cet article, nous éclairer sur votre perception des enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, derrière l’aride, les rides…

Pourquoi « les rides » ? Je monte à cette tribune pour la douzième année consécutive – à n’en pas douter, la dernière – pour m’exprimer en faveur de l’adoption de cet article, qui représente la tentative annuelle d’évaluer le niveau de contribution de notre pays au budget de l’Union pour l’année à venir.

Pourquoi « aride » ? Cet article l’est indéniablement : sa formulation sibylline, presque mystérieuse, ne varie pas depuis des décennies ; seuls changent la numérotation, selon l’ordre des articles, et le petit chiffre qui figure à sa fin…

Soit dit en passant, remarquons que, après le grand bond de notre contribution nationale en 2021 à la suite du Brexit, le montant de notre contribution est, depuis, relativement stable.

En dépit de l’amendement annoncé aujourd’hui visant à rehausser de 408 millions d’euros notre contribution à venir, le montant global de celle-ci demeure de plus de 1 milliard d’euros inférieur à celui qui avait été avancé pour l’année 2022.

Cet article offre une lecture aride et abruptement comptable de ce que coûte notre appartenance à l’Union européenne, sans rien dire de tout ce qu’elle nous rapporte, non seulement en matière de retours directs, mais aussi d’externalités positives tant à l’échelle nationale qu’à celle de notre vie quotidienne.

Une autre particularité de cet article tient à sa nature et à sa place dans nos discussions budgétaires. Il présente une dépense, et non des moindres, étudiée au début de l’examen du projet de loi de finances dans la partie consacrée aux recettes. Je n’ai pas le temps développer ici les raisons techniques de cet apparent hiatus, mais cette particularité présente au moins deux avantages.

En premier lieu, cela permet de souligner l’importance réelle et obsidienne de l’Europe dans notre vie nationale, ce que dénient ou fustigent ceux qui croient encore que notre pays ferait plus et mieux s’il agissait seul.

En second lieu, cela peut sembler plus anodin, mais cet article est le seul article de fond du PLF que nous étudions systématiquement chaque année, même lorsqu’une majorité de sénateurs choisissait – cela est malheureusement arrivé trop de fois durant la décennie écoulée – de rejeter le budget avant même l’étude de sa seconde partie.

Malgré tout, la tentation du vote contre est bien présente chez certains parlementaires, comme nous l’avons vu récemment à l’Assemblée nationale. Soyons clairs : une telle attitude est inconséquente et totalement irresponsable. Quels que soient les griefs que l’on puisse avoir à l’égard de telle ou telle politique de l’Union, tenter de renégocier de cette manière notre contribution est irréaliste au sein d’une Europe à vingt-sept, laquelle a déjà négocié avec âpreté le cadre financier pluriannuel encadrant les budgets européens de la période 2021-2027.

La crise de cinq ans ouverte en 1979 par Margaret Thatcher, qui avait, dans une Europe à dix, abouti à une révision de la contribution du Royaume-Uni, n’est plus de mise aujourd’hui. Quand ce même pays a, plus récemment, tenté de remettre les plats en la matière, il n’a eu d’autre issue que de quitter l’Union, avec le succès économique qu’on lui connaît.

En apparence plus modéré, le choix de l’abstention n’en serait pas moins décalé ou même marécageux à un moment crucial de l’histoire de notre continent où nos institutions européennes, à la suite de la crise du covid et, surtout, de la guerre en Ukraine, viennent en quelques mois d’opérer un virage politique et géopolitique significatif.

Voilà peu, nous nous battions encore pour mettre en place un embryon de politique commune de défense ; l’Union d’aujourd’hui a déjà engagé plus de 3 milliards d’euros de dépenses pour aider militairement l’Ukraine.

Nous passons d’une Europe qui vivait sur les dividendes de la paix à une Europe prête à se battre pour la paix et pour l’affirmation des valeurs qui l’ont toujours sous-tendue .

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe RDPI votera résolument en faveur de l’article 25 de ce PLF. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrice Joly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la contribution de la France au budget de l’Union européenne a légèrement reculé cette année, en dépit du Brexit, alors même que le Royaume-Uni était contributeur net, et du soutien à l’Ukraine, pour lequel des marges de manœuvre financières ont pu être mobilisées. Comme les années précédentes, la France reste le deuxième pays bénéficiaire des dépenses liées aux politiques européennes.

Le budget européen appelle aujourd’hui toute notre vigilance sur les points suivants.

En premier lieu, l’accroissement, année après année, des restes à liquider souligne la difficulté persistante à engager rapidement les crédits. Le retard au démarrage se répercute sur l’ensemble du cadre financier pluriannuel : des montants importants de crédits du CFP 2014-2020 sont encore non consommés alors qu’ils doivent l’être d’ici à la fin de 2023. L’ensemble des restes à liquider correspond quasiment à deux exercices budgétaires. Ce décalage, vous le comprendrez, n’est pas sans conséquence sur les dynamiques économiques.

En second lieu, le cadre financier pluriannuel 2021-2027 a été établi dans un contexte qui n’est absolument plus celui que nous connaissons. En seulement quelques années, la situation a évolué dans de nombreux domaines : pandémie, guerre en Ukraine, inflation, coût de l’énergie et perspectives de coopération européenne qui en découlent, problématiques environnementales et transitions dans lesquelles nous allons devoir nous engager à un rythme accéléré. Une révision rapide de ce cadre financier devient clairement nécessaire.

Alors que la guerre s’annonce longue, que nous devons soutenir l’Ukraine et maintenir notre pression sur le régime russe, les enjeux de ce budget européen pour 2023 sont nombreux.

D’abord, il nous faudra disposer d’une marge suffisante pour répondre aux besoins liés à la guerre en Ukraine et à ses conséquences économiques et sociales.

Ensuite, nous devrons préserver le financement, en euros constants, des politiques fortement pénalisées par l’inflation. C’est particulièrement vrai pour la PAC : la perte de pouvoir d’achat pourrait atteindre 33 % à l’échéance 2027. Une telle perte est d’autant plus importante qu’une exploitation sur deux trouve son équilibre financier au travers des aides de la PAC. Il faudra maintenir les crédits si l’on veut développer le pacte rural annoncé pour lutter contre les inégalités territoriales, l’Europe de la défense et les autres programmes nous permettant de faire face aux turbulences actuelles.

Enfin, il conviendra de s’assurer du refinancement par les États membres des emprunts contractés pour le financement du plan de relance européen. En effet, l’Union européenne doit satisfaire à ses obligations de remboursement de l’emprunt contracté dès 2028. On parle d’un remboursement de l’ordre de 15 milliards à 20 milliards d’euros chaque année sur trente ans. La France serait appelée à rembourser la part subventions de la facilité pour la reprise et la résilience à hauteur d’environ 2,4 milliards d’euros par an.

Alors que les factures énergétiques explosent et que les fins de mois sont de plus en plus difficiles pour beaucoup de nos concitoyens, de nos entreprises, de nos collectivités et de nos institutions, le temps est venu de défendre des mécanismes de solidarité ambitieux, en donnant des moyens de long terme.

En l’état, le budget européen n’est pas en mesure d’apporter un soutien adéquat en raison de ses marges de manœuvre très limitées.

Si nous aspirons à renforcer l’Union européenne, il faut doter son budget de véritables leviers d’action allant bien au-delà des contributions des États ; elle doit pouvoir disposer de ressources propres solides.

La Commission a présenté, au cours du premier semestre 2021, des propositions en ce sens. En tout état de cause, ces nouvelles ressources ne pourront être mises en œuvre d’ici au début de 2023 comme cela était initialement prévu.

Pourtant, un premier instrument pourrait être mis rapidement à la disposition des gouvernements : la taxation des superprofits. Ce dispositif a l’avantage d’être immédiatement applicable et de répondre ainsi à l’urgence absolue qu’est la cohésion sociale de notre nation et de l’Europe.

Il est inconcevable de laisser de grandes entreprises réaliser des profits, notamment en matière d’énergie, sur le dos de nos concitoyens, qui peinent à vivre, et de tirer avantage de la guerre aux portes de l’Europe. Ces entreprises énergétiques doivent de l’argent à la société ; ne pas les taxer serait une faute morale et une injustice inacceptable.

Les institutions internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI), et la Commission européenne soutiennent la mise en place de tels mécanismes. L’Italie, la Grèce, la Roumanie, l’Espagne ou encore le Royaume-Uni ont instauré de telles taxes et l’Allemagne s’y attelle.

Là encore, le gouvernement français a fébrilement validé en urgence le règlement ouvrant la voie à un dispositif temporaire de taxation des superprofits, bien évidemment sans explication claire sur les modalités de mise en œuvre et sans afficher une réelle ambition d’aller au-delà de ces engagements européens.

Mes chers collègues, nous savons tous que l’hiver sera rude sur le plan énergétique, avec des conséquences économiques, sociales et politiques que personne ne peut ignorer.

Pour aider les Européens dans cette crise, il va falloir trouver de l’argent. Or de l’argent, il y en a, même s’il est inégalement réparti. Il existe, sur ce continent et ailleurs, un vrai problème de consentement des plus riches d’entre nous à l’impôt qu’il va falloir affronter.

Il va falloir l’affronter, car la réponse à cette crise passera notamment par la fiscalité, sans laquelle il n’est pas de souveraineté ni d’indépendance.

Il va falloir l’affronter ensuite en proposant un cadre pérenne de taxation des surprofits qu’il ne faut pas limiter au secteur de l’énergie.

Il va falloir l’affronter encore en modifiant nos règles fiscales, à savoir sortir de l’unanimité et aller au-delà de l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Décider à la majorité qualifiée permettrait de ne pas subir les chantages de certains gouvernements.

Il va falloir l’affronter enfin en proposant d’instaurer, à l’échelle européenne, une taxe sur les sociétés, une taxe sur les transactions financières, enlisée depuis de nombreuses années, et en imposant une taxation sur le numérique – faute de consensus, cette dernière proposition ne s’est jamais concrétisée en une véritable mesure fiscale.

Il est nécessaire d’explorer d’autres pistes, telles qu’une taxation des crypto-actifs qui visera, avant tout, à faire entrer le monde des cryptos dans l’état de droit et, par conséquent, dans la démocratie. L’actualité de FTX témoigne de l’urgence à agir dans ce domaine.

Des Européens vont peut-être devoir choisir entre se nourrir et se chauffer. Malgré les boucliers et accompagnements divers mis en œuvre, nous faisons face à une vraie bombe sociale et, in fine, à une vraie bombe démocratique.

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Patrice Joly. Jean Monnet écrivait dans ses mémoires : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » L’occasion est belle de vérifier cette maxime en donnant un nouveau souffle à l’Europe.

Au regard des engagements de la France et des règles de calcul des contributions, le groupe SER votera en faveur de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les similitudes entre l’Union européenne et la France invitent à analyser les problématiques de manière conjointe.

Ces deux institutions vivent à crédit ; elles accordent des baisses de recettes indues ; elles sont en difficulté pour décaisser les fonds de relance ; elles tardent à prendre des mesures structurelles pour lutter contre la spéculation énergétique.

Elles marquent une ambition forte en matière de politique environnementale, mais peinent à les concrétiser et, surtout, à les financer. Ces difficultés pourraient s’expliquer par une appétence indiscutable et partagée pour le modèle libéral.

Ces deux institutions vivent à crédit : la France s’endettera l’année prochaine de 270 milliards d’euros supplémentaires et l’Union européenne de 1 061 milliards.

La France est la première contributrice au budget européen au titre des rabais indus consentis par l’Union à des États membres, comme cela est le cas pour l’Allemagne, pourtant en bonne santé financière. Dès lors, nul étonnement à constater que la contribution de la France ait augmenté de 15 % entre 2019 et 2023.

Ainsi, la France se trouve lésée. Ses crédits promis au titre de la relance européenne sont en diminution de 1,9 milliard d’euros par rapport aux montants escomptés. Elle est privée de ces fonds à cause d’une croissance « vigoureuse » : il est étonnant que le niveau d’endettement des États pour soutenir cette croissance ne soit pas pris en compte.

L’activité économique de notre pays est, de fait, sous perfusion d’argent public, au détriment des finances publiques.

La France ou l’Union européenne – à qui la faute ? – peinent à décaisser les crédits de la relance, si bien que 66 % des montants alloués à la France restent à ce jour en suspens, faisant peser une menace sur la croissance et les investissements publics.

La Cour des comptes européenne indique, par exemple, que les engagements français ne comprennent « aucune mesure de soutien direct pour accroître la production d’énergies renouvelables ». Certes, le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables est entre-temps passé par là, mais c’est à croire, madame la secrétaire d’État, que vous ne saviez pas, un an avant son examen, que votre propre gouvernement préparait ce texte.

Le paquet Climat était annoncé comme un moment décisif pour la réalisation d’une trajectoire ambitieuse de réduction des émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990. Ce paquet prévoit en bout de chaîne un Fonds social pour le climat doté d’un budget annuel de 9,7 milliards d’euros, notoirement insuffisant et, surtout, pas financé. Concrètement, la soutenabilité même des mutations de la production et des modes de vie est dès à présent menacée.

L’ambition portée sur les recettes était pourtant réelle. Si nous combattions certaines pistes de réflexion, comme l’élargissement du système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE), fonctionnant comme une véritable taxe carbone européenne, nous en soutenions d’autres, comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Toutefois, l’étroitesse des importations couvertes, le risque renouvelé d’un affrontement entre les modèles sociaux et son lien caduc avec le marché carbone engendreront, dans le dispositif actuel, des inégalités entre les entreprises et des incertitudes impropres à leurs besoins de planification.

Où sont passées les ressources propres promises par la Commission ? Que de retard depuis l’adoption de la directive portant des engagements non contraignants en 2021 ! Où en est le projet de réforme de l’impôt sur les sociétés, évoqué à l’instant par notre collègue Joly, véritable arlésienne européenne annoncée dès le début des années 2000 ?

L’ambition d’une transition socialement juste doit être financée sans augmenter toujours davantage la contribution française au budget de l’Union. Nous le demandons solennellement : l’Union doit abandonner le projet de réforme présenté voilà une semaine visant à durcir et à individualiser les règles sur l’endettement des États membres. Cette négociation, d’apparence vertueuse, prépare le retour de la rigueur par la fenêtre.

Cette inquiétude est amplifiée par le fait que notre gouvernement soutiendra la position de la Commission en faveur de l’austérité ; une fois cet étau imposé, il ne respectera pas les règles qu’il aura lui-même soutenues !

De telles contradictions nous invitent à voter contre la contribution française au budget de l’Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’article 25 du PLF relatif à la contribution de la France au budget de l’Union européenne.

Cette discussion intervient dans un contexte particulier : retour d’une guerre de haute intensité aux portes de l’Europe, inflation estimée à 10,9 % dans l’Union européenne, enjeux stratégiques forts liés à l’autonomie énergétique…

L’année 2023 représente un défi pour l’Union européenne. Après avoir fait face à une crise sanitaire sans précédent et, par conséquent, à une crise économique d’ampleur, nous sommes désormais confrontés à la guerre. Les conséquences des sanctions imposées par l’Union européenne à la Russie provoquent sur notre continent de grandes tensions, notamment en matière d’approvisionnement énergétique.

La contribution française au budget de l’Union européenne pour 2023 s’établirait finalement à 24,9 milliards d’euros, comme nous l’apprend l’amendement à l’article 25 déposé par le Gouvernement, auxquels il faudra ajouter les droits de douane évalués autour de 2,2 milliards d’euros.

Cette contribution est stable par rapport à celles des années précédentes. Nous saluons l’accord trouvé entre le Parlement et la Commission, le 15 novembre dernier, portant le montant total des engagements à 186,6 milliards d’euros.

Des fonds supplémentaires ont été mobilisés pour les programmes Erasmus+, l’aide humanitaire ou l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale afin de faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine, à la hausse du coût de la vie et à la crise énergétique et d’aider les réfugiés ukrainiens.

Ce projet de budget reflète également les grandes orientations et priorités du Parlement européen pour 2023 : énergie, climat, santé, culture et valeurs communes.

Je souhaite attirer votre attention sur un point de ce budget : la PAC. L’enveloppe consacrée à cette politique représente 270 milliards d’euros, mais semble insuffisante pour faire face à la multitude de crises auxquelles le secteur – en tension permanente depuis plusieurs années – est confronté, entre la crise sanitaire du covid-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. À long terme, il risque d’être impossible d’assurer la sécurité alimentaire de tous.

Le fonds de réserve prévu pour lutter contre les perturbations du marché ne semble pas à la hauteur. Il est nécessaire que nos agriculteurs soient dotés d’instruments de gestion de crise efficaces pour l’avenir.

Autre point important, l’utilisation des crédits et le retard pris dans les décaissements des crédits européens, notamment ceux qui sont accordés dans le cadre de la politique de cohésion. La France se situe à peine à la moyenne européenne, avec un taux d’absorption de 66 %.

Pour la période 2014-2020, la France bénéficiait d’une enveloppe de 27,5 milliards d’euros de crédits au titre du Feder (Fonds européen de développement régional), du FSE (Fonds social européen), du Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural), et du Feamp (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche). Cette enveloppe doit être consommée avant la fin de 2023.

Au 30 juin 2022, selon les chiffres de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, les montants restant à programmer étaient respectivement de 194 millions d’euros pour le Feder, de 20 millions d’euros pour le FSE-IEJ, Initiative pour l’emploi des jeunes, de 3,3 milliards d’euros pour le Feader, auxquels s’ajoutaient 47 millions d’euros à engager au titre du Feamp. Ces chiffres globaux marquent une forte disparité territoriale, les taux d’exécution étant particulièrement faibles en outre-mer.

Le dernier point que je souhaite aborder est la question des ressources propres. En envisager de nouvelles, est une nécessité à plusieurs égards.

Premièrement, il s’agit de nous permettre d’assurer le remboursement du plan de relance européen. Ce dernier a été un instrument décisif de réponse à la crise économique. Il a constitué également une étape importante dans la construction européenne par la création d’une capacité commune d’emprunt, première réforme d’ampleur depuis 1988 du système de financement de l’Union européenne.

Pour autant, cette avancée ne saurait être complète sans introduction de nouvelles ressources propres associées permettant, à compter de 2028 et jusqu’en 2058, un remboursement dans la durée de cet emprunt, à hauteur de 15 milliards d’euros par an.

Je le rappelle, le montant annuel moyen de la participation de la France au remboursement du Plan de relance serait évalué à 2,4 milliards d’euros à compter de 2028, si de nouvelles ressources propres ne sont pas mises en place.

Ces ressources propres contribueraient également à financer les objectifs de transition écologique et le paquet climat Fit for 55 présenté en juillet 2021.

Enfin, elles permettraient d’éviter un ressaut des contributions nationales, qui contraindrait la négociation du prochain cadre financier 2028-2034.

À défaut, nous nous exposerions soit à une réduction du budget européen susceptible d’affecter nos priorités, soit à un relèvement des contributions nationales susceptible d’engendrer de nouvelles demandes de rabais. Dans les deux cas, la France risquerait de voir les termes de sa participation financière au budget de l’Union se dégrader. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au-delà de son aspect comptable, l’article 25 est toujours l’occasion, pour mon groupe, de rappeler son profond attachement à l’Union européenne.

Au stade actuel du projet de loi de finances pour 2023, la contribution de la France au budget communautaire est évaluée à près de 25 milliards d’euros.

Nous le savons, la tendance générale est à l’augmentation régulière du prélèvement sur recettes de l’État français, qualifiée par la Cour des comptes de « hausse structurelle », ce que les eurosceptiques voient d’un mauvais œil.

Pourtant, doit-on leur rappeler la liste des défis que seule une ambition collective peut permettre de dépasser ?

Au regard de la situation britannique, qui peut encore rêver d’un Frexit ? L’économie outre-Manche est en pleine déconfiture, avec un impact sur la politique intérieure. Parce qu’ils sont toujours nos partenaires, nos amis et nos adversaires préférés au rugby (Sourires.), nous leur souhaitons de surmonter rapidement leurs difficultés.

Au sein du budget de l’Union européenne, quelles pourraient être les sources d’économies ? On peut en dénicher de petites, notamment au niveau des dépenses administratives, qui progressent de 19 % depuis le cadre financier pluriannuel 2014-2020.

Le système de revalorisation automatique des salaires des fonctionnaires européens, qui peut engendrer une hausse de plus de 8 %, est contesté jusqu’au niveau du Conseil. Par ailleurs, on observe un ressaut régulier d’effectifs.

La rationalité exigée pour nos administrations pourrait être davantage dupliquée à Bruxelles. Il faut bien reconnaître, dans le même temps, la montée en charge du projet européen.

Entre le cadre financier pluriannuel 2014-2020 et le cadre 2021-2027, le volet cohésion, résilience et valeurs augmente de 21,2 %, celui des migrations et gestions frontalières de 612 % et celui de la sécurité et de la défense de 266 %.

On le voit, la crise, moteur de l’Europe, comme le disait Jean Monnet, nécessite des moyens humains et des politiques ambitieuses.

Crise migratoire, crise sanitaire, crise climatique, crise énergétique, crise de la paix. Oui, cette pluralité d’enjeux sans frontières impose une contribution dynamique des États membres, à laquelle il faudrait intégrer le plus rapidement possible les fameuses « nouvelles ressources propres ».

Il s’agit non seulement d’avancer, mais aussi, avant tout, de converger par la solidarité, sans calculer le niveau de retour sur investissement. N’ayons pas l’esprit au « rabais » ou « chèque » à la Margaret Thatcher ! Car un tel calcul n’est pas toujours possible, les résultats n’étant pas toujours comptables. Mais il l’est pour certaines politiques.

Je pense à la PAC, dont on sait que la France est l’un des principaux bénéficiaires, avec environ 9 milliards d’euros de retour vers nos agriculteurs.

Je pense également au plan de relance. Chaque État membre connaît à peu près le montant qu’il en tirera. La France, au titre de la facilité pour la reprise et la résilience européenne, bénéficiera de 37,5 milliards d’euros.

En revanche, lorsque l’Europe ambitionne 352 milliards d’euros sur dix ans pour le Pacte vert, il y aura non pas un retour, pour chacun, en monnaie sonnante et trébuchante, mais surtout l’espoir d’un monde durable profitable à tous.

De la même manière, lorsqu’on dépense 1,2 milliard d’euros d’aides directes à l’Ukraine, le gain partagé n’a pas de prix, c’est celui d’un retour possible à la paix, notre bien commun, que Vladimir Poutine attaque à nos portes.

Dans ces conditions, c’est sans réserve que le RDSE, profondément européen, votera l’article 25, afin que soient poursuivies toutes les politiques qui protègent nos concitoyens européens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de finances fixe à 24,5 milliards d’euros la contribution de la France au budget de l’Union européenne pour 2023, un montant en baisse par rapport à l’année dernière.

Comme chaque année, certains contesteront le coût prétendument exorbitant que représente la contribution nette de la France au budget de l’Union. C’est oublier un peu vite que la mutualisation permet des bénéfices bien supérieurs à la somme des contributions de chaque État membre, à commencer par l’accès au marché unique, dont les bénéfices annuels sont estimés à 124 milliards d’euros.

Il n’en demeure pas moins que nous devons rester attentifs à la façon dont cette contribution importante est dépensée à Bruxelles.

L’Europe traverse une série de crises – sanitaire, climatique, énergétique, migratoire, inflationniste… – sans précédent dans son histoire qui exigent des réponses fortes.

Certes, les événements récents nous ont une nouvelle fois montré que c’était dans les crises que le projet européen avançait le plus vite.

Face au Brexit, l’Europe a fait preuve d’une unité sans faille et obtenu gain de cause pour presque toutes ses attentes.

Face au covid-19, après quelques débuts hésitants, elle s’est dotée d’instruments permettant d’affronter de futures grandes épidémies, d’un plan de relance massif et d’un emprunt commun d’une ampleur inédite.

Face à la guerre en Ukraine, elle a pour la première fois montré ses muscles et fait avancer l’Europe de la défense bien plus vite en cinq jours qu’en cinquante ans d’existence.

Mais les réjouissances s’arrêtent là ! Car si l’Europe s’est bel et bien réveillée, elle reste encore au milieu du gué, semblant éprouver toujours autant de difficultés à transformer ses intentions ambitieuses en actes décisifs.

En matière énergétique, les réponses se font toujours attendre pour, d’une part, casser la spirale inflationniste qui ne cesse de s’emballer et, d’autre part, assurer notre indépendance stratégique à long terme. N’oublions pas que la Commission européenne a attendu la dernière minute pour introduire le nucléaire dans sa liste des activités durables, alors que le gaz, beaucoup plus polluant, y figurait déjà depuis longtemps.

Le même constat peut être fait pour ce qui concerne notre souveraineté alimentaire. Malgré les nombreuses alertes du Sénat, la Commission n’a eu de cesse de remettre en cause la politique agricole commune, diminuant les revenus de nos agriculteurs, leur imposant de ne plus produire sur une partie de leurs terres et menaçant de faire baisser leurs rendements dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table », alors même que, pour la première fois cette année, l’agriculture française ne peut plus nourrir l’ensemble de la population de notre pays.

J’ai également du mal à comprendre les décisions budgétaires du Conseil, qui, par rapport à la proposition initiale, tendaient à diminuer de 50 millions d’euros le budget alloué aux migrations et à la gestion des frontières, et de 12 millions d’euros celui qui est dédié à la sécurité et à la défense, alors même que nous connaissons de graves troubles géopolitiques.

L’accord interinstitutionnel survenu cette semaine, qui rend d’ailleurs déjà obsolète l’évaluation de la contribution française, comme l’amendement du Gouvernement en est l’illustration, a certes rebattu les cartes, mais au regard du contexte actuel, qui ne cesse de se dégrader, cette position des États membres nous interpelle et nous inquiète.

Je pourrais ainsi multiplier les exemples à l’envi. Quid de la nécessaire réindustrialisation de notre continent ? De la dette galopante que nos enfants auront à rembourser et du pacte de stabilité et de croissance, que la Commission propose d’assouplir ? De la politique commerciale, qui n’évolue que par petites touches, alors que la géographie et la grammaire du commerce international sont de plus en plus bouleversées ? Des difficultés à mettre en place la taxe carbone aux frontières de l’Europe, ce qui permettrait pourtant de mettre fin aux distorsions de concurrence pesant sur nos entreprises et nos agriculteurs ?

L’Europe ne peut plus se contenter de faire des constats et de déclamer des ambitions. Elle doit passer à l’offensive, s’affirmer comme puissance pour peser dans les affaires du monde et ne pas laisser aux autres le soin de choisir son destin.

Elle doit aussi sortir des hésitations qui condamnent à l’immobilisme et apporter de vraies solutions aux préoccupations de l’ensemble des Européens. C’est à ce prix qu’elle pourra sortir d’une autre crise qui la ronge depuis longtemps : celle de la confiance de nos concitoyens dans le projet européen.

Le chemin semble encore long. Malgré tout, en responsabilité, puisqu’il s’agit tant de satisfaire à une obligation internationale de la France que de permettre le fonctionnement de l’Union, le groupe Les Républicains votera pour l’article 25 du projet de loi de finances, avec, vous l’aurez compris, quelques doutes et interrogations. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 2020, chaque fois qu’on parle d’Europe, on parle de crise. L’examen de la participation de la France au budget de l’Union européenne ne déroge pas à la règle.

La pandémie n’est pas totalement derrière nous. Nous n’avons pas encore commencé à rembourser notre emprunt commun, ni même touché la totalité du plan de relance européen. Et pourtant, cette année ne fait pas exception, une nouvelle crise s’installe, celle de l’énergie.

À la solidarité qui a prévalu lors de la crise sanitaire se sont substituées des actions moins coordonnées. Je pense notamment au plan à 200 milliards d’euros de l’Allemagne et aux risques de concurrence déloyale qui en découlent.

L’an dernier, je concluais mes propos par ces mots : « l’Union européenne n’est pas une option, c’est un levier indispensable pour faire face aux défis actuels. » Je le crois toujours. Nous devons rester unis, plus que jamais.

Notre inquiétude monte quant au couple franco-allemand. La visite du chancelier Olaf Scholz en Chine n’a fait que l’accentuer.

Nous avons besoin de garder notre solidarité au sein de l’Union européenne et de parler d’une seule voix, surtout en période de crise, sur la scène internationale.

La contribution française est en baisse, autour de 24,5 milliards d’euros, voire 25 milliards d’euros, si je me réfère à l’amendement déposé par le Gouvernement. Au-delà de ces chiffres, j’aimerais souligner deux sujets qui me semblent majeurs dans les prochaines années non seulement sur le plan financier, mais surtout pour le futur de l’Union elle-même.

Tout d’abord, il s’agit d’utiliser les financements européens du mieux possible et sur l’ensemble de notre territoire. Nous sommes certes l’un des principaux contributeurs au budget de l’Union européenne, mais, ne l’oublions pas, nous recevons également beaucoup d’aides.

Nous devons faire en sorte que le plan REPowerEU soit un accélérateur de transition et remplisse son objectif principal de permettre à l’Union de gagner en indépendance à l’égard des combustibles fossiles russes. Plus largement, notre indépendance énergétique est gage de notre souveraineté.

Mon deuxième sujet concerne les ressources propres de l’Union européenne. L’an dernier, j’avais déjà alerté sur ce point. La PFUE, la présidence française de l’Union européenne, a permis des avancées qu’il faut saluer, notamment sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. En revanche, le rapporteur spécial a souligné le fait que, en l’état, les prévisions sur les ressources propres sont insuffisantes par rapport à nos besoins. Le travail sur l’autonomisation du budget européen est nécessaire et doit se poursuivre.

Malgré certains flous, récurrents quand il s’agit de notre contribution au budget de l’Union européenne, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera avec enthousiasme en faveur de l’article 25 de ce projet de loi de finances.

(Mme Pascale Gruny remplace Mme Nathalie Delattre au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-présidente

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a bien dans notre hémicycle, derrière moi, deux drapeaux distincts : le drapeau national tricolore et celui de notre Union européenne. Or notre bref débat ce soir sur l’article 25 du projet de loi de finances est l’un des rares moments parlementaires suivis d’un vote où nous pouvons échanger sur les priorités européennes et sur les moyens à y consacrer. C’est court ! L’article 25 est laconique et aride, puisqu’il s’agit simplement d’une somme.

Assurément, autant pour chacun des États membres avec les parlements nationaux qu’à l’échelle européenne avec le Parlement européen, la démocratie parlementaire ne pèse pas comme elle le devrait dans le pouvoir budgétaire européen. Le mode de financement de notre union, essentiellement par les contributions nationales, renforce le poids dans la négociation du cadre financier pluriannuel des gouvernements des différents États, avec ces arrangements perpétuant les différents rabais qui nous ramènent à ces calculs mesquins aux relents thatchériens, auxquels même le Brexit n’a pas mis fin.

Je dois dire d’ailleurs ma consternation de lire dans le compte rendu de ce même débat à l’Assemblée nationale tant d’applaudissements sur de trop nombreux bancs à une intervention qui se concluait en martelant l’antienne nationaliste du sempiternel « juste retour ». Je citerai ces propos que je ne partage pas du tout : « Il est inenvisageable que la contribution de la France au budget de l’Union européenne soit supérieure à ce que cette dernière lui rapporte. »

Alors ce soir, ici au Sénat, tant mieux si ce débat touche aux enjeux européens communs. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 est clairement obsolète, avec le déferlement d’une succession de crises – covid-19, invasion russe, effondrement du paradigme énergétique, inflation à deux chiffres à l’échelle européenne, des États membres dont les économies basculent dans la récession – et, toujours, la nécessité de réussir le Green Deal, de relever ce défi du climat.

Pour cet article 25, il n’a fallu que quelques semaines pour rehausser de 408 millions d’euros le prélèvement sur recettes, qui est notre contribution estimée, sachant déjà qu’il faudra y revenir dans quelques mois pour l’ajuster mieux aux impacts dévastateurs de l’inflation. On le sait, la contribution française a connu ces dernières années un « ressaut absolument majeur », pour reprendre les termes qu’employait ce matin le secrétaire général aux affaires européennes.

L’enjeu est donc très clair : si nous voulons nous construire un avenir européen, si nous ne voulons pas liquider des politiques essentielles, parce que nous connaissons les limites des contributions nationales, ainsi que les échéances à venir pour payer l’emprunt commun de la relance, il nous faudra déployer de nouvelles ressources propres bien moins maigres que la contribution plastique, que le premier petit mécanisme d’ajustement carbone aux frontières à venir, que l’extension du marché carbone envisagée, peut-être, pour 2026.

Avec des caisses aussi dégarnies, quelle est notre capacité d’agir et de déployer une stratégie commune face à la prochaine crise ? Soyons particulièrement exigeants avec la Commission européenne : le panier annoncé de nouvelles ressources propres qu’elle nous prépare doit être consistant ; il faut sortir du temps des bricolages à court terme !

Il s’agit de mettre à contribution ceux qui, actuellement, profitent de l’Europe, voire des crises, sans prendre part à l’effort collectif. Je pense aux grandes entreprises du numérique, à la taxation des transactions financières, à une assiette commune de l’impôt sur les sociétés. L’Union européenne compte toujours des paradis fiscaux parmi ses membres, chacun ne contribue pas selon ses moyens, et c’est insupportable.

Il s’agit de trouver l’argent là où il dort, d’autant que le cadre financier pluriannuel réformé qui sera nécessaire ne peut en aucun cas sacrifier le Green Deal, en particulier les exigences de 30 % des dépenses de l’Union européenne affectées à la réalisation de nos objectifs pour le climat et de 12 % des dépenses à la biodiversité. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estime les investissements nécessaires pour la transition écologique à 6 % du PIB, soit 900 milliards d’euros par an à l’échelle européenne. Voilà ce vers quoi nous devons nous diriger.

J’espère, madame la secrétaire d’État, que les prochains mois permettront d’avancer en ce sens. C’est dans cette attente que mon groupe votera l’article 25 et l’amendement déposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plusieurs années, l’Union européenne est confrontée à une succession de crises majeures, qui mettent à mal sa cohésion et ses finances et questionnent sur ses véritables ambitions, devenir une « puissance » ou demeurer un simple « espace ».

Crise migratoire, pandémie, changement climatique, guerre en Ukraine, crise énergétique, sont autant d’événements qui s’enchaînent et se superposent. Ils mobilisent d’importants moyens, tant des États que de l’Union.

L’inflation qui sévit et s’accroît dans la zone euro, en entraînant une hausse des taux, complique encore la situation.

Pour faire face au choc économique causé par la pandémie de covid-19, un plan de relance européen a été financé par un emprunt, c’est-à-dire l’émission d’une dette commune. À cela s’ajoutait la volonté d’introduire de nouvelles ressources propres.

Ce que certains ont qualifié d’« accord historique » me semble être un glissement vers un nouveau paradigme financier, dont les Français n’ont pas totalement conscience – je me suis déjà exprimé sur ce sujet.

Je note avec regret le retard pris sur la question des nouvelles ressources propres et, comme le relève notre rapporteur spécial, les recettes escomptées demeureraient inférieures aux besoins de financement, notamment du plan de relance européen et du Fonds social pour le climat.

Tout cela n’est pas sans conséquence, y compris pour la France, qui pourrait, en cas d’échec, être appelée à rembourser la part de subventions pour 2,4 milliards d’euros par an, à compter de 2028, ce qui s’ajouterait aux contributions nationales qui seront appelées par la Commission pour financer le cadre financier pluriannuel.

Pour 2023, le montant du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est évalué à 24,5 milliards d’euros, mais le Gouvernement rehausse cette somme de presque 500 millions, par l’amendement qu’il a déposé.

Il s’agit d’une relative stabilité. Je n’entrerai pas dans le détail des chiffres, dans la mesure où la commission des finances a parfaitement analysé tout cela. J’insiste néanmoins sur le fait que la France continue de contribuer largement au financement du rabais des pays dits « frugaux »: l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, l’Autriche et le Danemark. La France est même le premier contributeur au financement de ce mécanisme.

Ces États ont certes moins laissé filer les déficits que d’autres, mais à quel prix ces économies ont-elles été réalisées ? Pas seulement par une gestion plus rigoureuse, mais aussi grâce à de faibles investissements dans le domaine de la défense et de la sécurité et à une modeste contribution à la lutte contre le terrorisme globalisé.

Nombre de ces pays ont privilégié leur économie et leur commerce extérieur au détriment du reste. Si, dans le contexte de guerre en Ukraine, ils retrouvent un intérêt pour la sécurité, c’est surtout dans le cadre otanien et par l’achat d’équipements militaires structurants américains. Les 100 milliards d’investissements soudainement annoncés par l’Allemagne, et ses atermoiements sur certains programmes en coopération, illustrent malheureusement parfaitement cette réalité.

Alors que nous finançons des rabais, soutenons la coopération et appelons à une véritable autonomie stratégique, cette attitude de quelques pays m’inquiète pour l’avenir de la base industrielle et technologique de défense, la BITD, européenne, dont la France est un acteur majeur aux compétences internationalement reconnues. En outre, seule puissance nucléaire de l’Union européenne, nous savons les efforts, et même les sacrifices, consentis pour maintenir cette ultime garantie de la sécurité collective. Et la défense a été trop souvent la variable d’ajustement des budgets.

Par ailleurs, les choix énergétiques hasardeux de certains de ces pays sont une source de préoccupation, tant au niveau de la souveraineté que de l’environnement : relance des centrales à charbon, dépendance au gaz russe… Par ricochet, la filière nucléaire française a pâti d’une vision trop idéalisée des énergies renouvelables, portée par quelques États pour des motifs industriels et politiques et non pas environnementaux ou stratégiques. Par ailleurs, je nourris certaines inquiétudes à propos des projets de taxonomie européenne.

Ces problématiques énergétiques sont désormais au cœur du projet « REPowerEU » – que d’anglicismes, mes chers collègues, dans ces programmes européens post-Brexit ! Ce projet soulève de nombreuses questions sur son financement et son efficacité réelle à terme. Enfin, n’allons-nous pas remplacer des dépendances par de nouvelles dépendances ?

Vous l’aurez compris, je voterai cette contribution, tout en nourrissant quelques inquiétudes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos contributions et réflexions au débat sur le prélèvement sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne.

Vous l’avez tous rappelé, ce débat démocratique est essentiel. Je me réjouis de la tonalité positive de vos interventions.

Messieurs Rapin, Kern et Gattolin, vous l’avez dit, la guerre en Ukraine et ses conséquences de long terme contribueront à façonner l’Europe et son budget pour de longues années. Elle demande aujourd’hui une réponse unie, à l’échelle du continent européen, et forte.

Monsieur Bocquet, vous dites que la France est lésée. Certes, la France est le deuxième pays contributeur au budget de l’Union européenne, que nous finançons à hauteur de 17,4 %, derrière l’Allemagne. Mais la France est aussi le deuxième pays bénéficiaire des politiques européennes en pourcentage des dépenses de l’Union, derrière la Pologne, puisque 11 % des dépenses de l’Union européenne sont réalisées dans notre pays.

La France est notamment la première bénéficiaire de la PAC, sur vingt-sept États membres, pour quelque 9 milliards d’euros par an. Les politiques de compétitivité et de cohésion amènent également des retombées importantes, à hauteur respectivement de 2,8 milliards d’euros et 2,5 milliards d’euros.

Certes, d’autres États membres obtiennent des rabais, comme l’a souligné M. le sénateur Pascal Allizard, mais l’avantage obtenu par la France sur la PAC soutient l’ensemble de notre modèle agricole. Et comment ne pas mentionner les retombées économiques de l’existence du marché intérieur, lesquelles sont estimées, vous l’avez dit, madame Gruny, à près de 120 milliards d’euros ?

Aussi, même dans une logique strictement comptable, qui n’est pas une logique souhaitable, comme nombre d’entre vous l’ont rappelé, l’Europe nous « rapporte » plus qu’elle ne nous coûte. Je pense notamment aux fonds régionaux, au programme Erasmus, à la solidarité financière en temps de crise ou à la sécurité collective.

Le prélèvement sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne est essentiel au bon fonctionnement de l’Union européenne et à la mise en œuvre des grandes politiques que nous défendons. Les crises que nous traversons, la crise sanitaire d’abord, puis la guerre en Ukraine, viennent plus que jamais renforcer la nécessité d’une Europe souveraine, soudée et unie, comme l’a dit M. Emmanuel Capus, dotée des moyens d’action adéquats.

Les réponses à ces défis ne pourront être que collectives et, pour cela, nous avons besoin d’une Europe dotée de moyens à la hauteur des enjeux actuels et à venir.

C’est aussi pour cette raison que nous travaillons à la mise en place des ressources propres, qui ont été évoquées par nombre d’entre vous.

Comme l’ont dit MM. Jean-François Rapin et Claude Kern, les crises illustrent le caractère indispensable de l’outil budgétaire commun, car il nous permet de faire face à des situations exceptionnelles en apportant une réponse commune, au niveau européen.

Tout cela est très concret : au cours des derniers mois, le budget de l’Union européenne nous a permis d’apporter un soutien décisif à l’Ukraine, de faire face à la crise énergétique et économique, Mme la sénatrice Pascale Gruny y a fait référence, et de préparer l’avenir via le plan de relance.

J’ajoute quelques mots sur ce que l’Union européenne a pu faire, avec ce budget, face à l’agression de l’Ukraine par la Russie : elle a apporté au gouvernement et au peuple ukrainiens un soutien militaire, un soutien humanitaire, un soutien économique et financier, qui sera renforcé par la mise en œuvre d’une aide de 18 milliards d’euros d’ici à l’année prochaine, comme l’a annoncé la présidente de la Commission européenne. Le Conseil Écofin de novembre a permis d’en confirmer les modalités et de garantir son décaissement rapide.

Cette guerre a évidemment eu des conséquences importantes sur les économies européennes, nombre d’entre vous l’ont rappelé, et nécessite une réponse commune ambitieuse, notamment dans le domaine énergétique – M. le sénateur Jacques Fernique en a parlé et nous avons eu l’occasion d’en débattre récemment en commission.

Dans cette perspective, les Vingt-Sept se sont accordés sur le redéploiement de fonds issus du plan de relance en faveur de l’investissement dans notre sécurité énergétique – tel est l’objet du plan RePowerEU.

Le budget de l’Union a aussi permis d’apporter une assistance aux États membres les plus touchés par la crise économique liée à la pandémie de covid-19. Oui, l’Europe protège : ce n’est pas un slogan, mais une réalité.

Sans l’Europe, nous n’aurions pas eu accès aussi rapidement au vaccin contre la covid-19 que nous ne produisions pas sur notre sol. Un plan de relance inédit, doté de plusieurs centaines de milliards d’euros, a de surcroît été adopté et mis en œuvre dans des délais que je qualifierai également d’inédits. Voilà un grand succès européen et une preuve irréfutable de notre capacité à faire face aux crises.

Permettez-moi de vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’à cet égard nous devrions bénéficier, en 2023, d’un abondement de notre plan de relance à hauteur de 12,7 milliards d’euros, sur un total de 40 milliards d’euros jusqu’en 2026.

Messieurs les sénateurs Joly, Bocquet et Kern, il est parfois trop compliqué, c’est vrai, d’obtenir le « déblocage » des financements européens, et les délais sont à la fois trop longs et assez inégaux selon les territoires et selon les fonds. Vous auditionniez ce matin le secrétaire général des affaires européennes ; comme il a dû vous le dire, il met en place une cellule qui aidera à accélérer le versement de ces fonds et en facilitera l’utilisation.

Le plan de relance repose sur le principe d’un endettement commun, ce qui représente une avancée historique de la construction européenne. Historique, ce plan l’est aussi en tant qu’il permet de soutenir les États dans leur effort de relance, de promouvoir une croissance durable et soutenable et d’impulser les transitions numérique et énergétique tout en faisant de l’Europe une région compétitive.

C’est en partie pour ces raisons que le prélèvement opéré sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne s’élèvera en 2023 à 25 milliards d’euros. Cette contribution permettra à l’Europe de disposer des moyens nécessaires à la mise en œuvre du cadre financier pluriannuel, lui-même placé au service de nos priorités communes, au premier rang desquelles figure la double transition, écologique et numérique.

Monsieur le sénateur Jean-Claude Requier, vous avez souligné la croissance des dépenses et suggéré quelques pistes d’économies. Nous y sommes très attentifs ; nous avons, par exemple, limité la hausse des salaires des fonctionnaires européens, qui sera de près de 2 points inférieure à leurs demandes initiales.

Je veux aussi vous assurer que, compte tenu du niveau de notre contribution, nous sommes très vigilants quant à la bonne utilisation de ces fonds. Désormais, et de manière là encore inédite, en vertu du règlement du 16 décembre 2020, entré en vigueur le 1er janvier 2021, le budget de l’Union est protégé contre les violations des principes de l’État de droit, y compris contre le fait de ne pas prévenir de telles violations.

Nous nous donnons de la prévisibilité, monsieur le rapporteur Mizzon, avec le budget 2021-2027, mais des aléas, des chocs exogènes, des crises, pourraient bien sûr bouleverser le cadre financier pluriannuel ; l’Europe sait d’ailleurs montrer de la flexibilité.

Monsieur le sénateur Fernique, monsieur le rapporteur Mizzon, monsieur le président Rapin, vous avez évoqué la révision du CFP. Compte tenu des conséquences sur nos économies de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de la crise de la covid-19, la Commission a bel et bien inscrit une telle révision à son programme de travail pour 2023, mais nous n’en connaissons pas pour le moment le champ exact. Nous en saurons davantage au début de l’année prochaine et vous pouvez compter sur nous pour nous assurer que l’accord soit conforme à nos priorités politiques.

Cette vigilance s’applique également aux ressources propres, que tous les orateurs, me semble-t-il, ont mentionnées. Comme vous le savez, la France œuvre en faveur de la création de nouvelles ressources propres. La Commission en a présenté trois : la première est fondée sur les recettes issues du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, elle sera en place dès le début de l’année 2023 ; la deuxième s’appuie sur le produit du système communautaire d’échange de quotas d’émission, l’ETS ou Emissions Trading System ; la troisième correspond à la part des bénéfices résiduels des entreprises multinationales qui sera réattribuée aux États membres, ce que certains d’entre vous réclamaient.

Ce n’est peut-être qu’un début, mais vous pouvez compter sur nous pour nous attacher à faire grandir ces ressources propres.

Enfin, vous le savez, l’exercice budgétaire européen…

Mme le président. Il va falloir conclure, madame la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. … associe le Parlement européen ; il est donc bien démocratique.

Je vous remercie de nouveau, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous pouvons nous féliciter que la France contribue à la formation de cette Europe puissante et souveraine, qui sait défendre son autonomie stratégique et faire valoir sa place au cœur des crises. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE. – M. Claude Kern applaudit également.)

Mme le président. Nous passons à la discussion de l’article 25.

Article 25 et participation de la France au budget de l'Union européenne
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Article 25 (interruption de la discussion)

Article 25

Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2023 à 24 586 000 000 €.

Mme le président. L’amendement n° I-1592, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Remplacer le montant :

24 586 000 000

par le montant :

24 994 163 000

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. Les négociations budgétaires européennes réunissant la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen sur le budget pour 2023 se sont conclues le lundi 14 novembre dernier. À l’issue de ces négociations, le montant des crédits de paiement inscrits dans ledit budget est en hausse.

L’essentiel – j’y insiste – de ces crédits supplémentaires, 2,2 milliards d’euros sur 2,4 milliards, permettra de soutenir les régions qui fournissent aide et assistance d’urgence aux personnes fuyant l’invasion russe en Ukraine. Il s’agit en particulier de renforcer le soutien aux élèves, aux étudiants et aux enseignants fuyant l’Ukraine et de consolider le dispositif d’aide médicale.

Initialement fixée à 24,6 milliards d’euros, l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne pour 2023 est désormais majorée de 408 millions d’euros pour atteindre 25 milliards d’euros.

Cette augmentation, je le répète, résulte d’un exercice démocratique auquel, comme vous le savez, le Parlement européen est associé. Je vous remercie de nouveau, mesdames, messieurs les sénateurs, de vos interventions et de votre soutien pour ce qui est de cet article du projet de loi de finances.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. J’irai à l’essentiel, sans me dédire : j’ai déjà souligné les raisons pour lesquelles je suis favorable à cette proposition.

J’avais d’ailleurs fait observer, lors de l’examen en commission de mon rapport, que le chiffre qui avait été initialement retenu était susceptible d’évoluer, ce qui n’a pas manqué.

Je vous rappelle également, mes chers collègues, que ce chiffre est la résultante d’un certain nombre de facteurs qui ont pour effet, in fine, d’équilibrer le budget adopté conjointement par la Commission et le Conseil avec – vous venez de le dire, madame la secrétaire d’État – le Parlement européen.

C’est donc tout naturellement que la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

Mme le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. J’interviens non pas en tant que président de la commission des affaires européennes – chaque commissaire votera en son âme et conscience –, mais à titre personnel.

Il n’est certes pas dans nos habitudes de recevoir un tel amendement « en direct » dans l’hémicycle. La hausse envisagée nous semble considérable, mais les motifs en ont été bien expliqués, et chacun ici peut concevoir qu’il en soit ainsi.

Madame la secrétaire d’État, nous avons été plusieurs à soulever le problème de l’inflation. Sur cette question, nous avons l’impression que l’on navigue à vue et, surtout, que les ajustements budgétaires qui nous seront demandés l’année prochaine pourraient être non pas de quelques centaines de millions d’euros, mais de quelques milliards.

Nous aurons besoin d’informations très précises au fur et à mesure de l’avancée des événements, qu’il s’agisse de l’impact de la conjoncture, et en particulier de la guerre, ou de celui de l’inflation sur la contribution nationale au budget de l’Union. C’est le moment ou jamais, sur cette question, d’impliquer pleinement le Parlement – et je sais que vous y souscrivez madame la secrétaire d’État.

Je dois dire néanmoins que je reviens un peu refroidi d’une réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) où l’on a quelque peu mis à mal la vision des parlements nationaux, qui subissent en la matière une pression importante de la part du Parlement européen. Très attentif à tout cela, vous le savez, je tâche de me montrer pragmatique, raisonnable, mais aussi entêté.

Je suis bien sûr favorable à l’adoption de cet amendement, tout en restant prudent, comme nous y a encouragés M. Allizard.

Mme le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour explication de vote.

M. Patrice Joly. Au cours de l’année écoulée, nous avons réussi à soutenir l’Ukraine de diverses manières en utilisant au maximum les marges de manœuvre dont nous disposions et en redéployant des crédits du cadre financier pluriannuel précédent.

Ces marges de manœuvre sont désormais épuisées. Il nous faut trouver des moyens nouveaux, d’où le présent amendement.

Comme l’a dit le président Rapin, nous aurons besoin de tels moyens pour que les politiques qui ont été envisagées dans l’actuel cadre financier pluriannuel puissent être menées à bien et pour compenser la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation.

Il est urgent de réviser ledit cadre financier pluriannuel, mais également de mettre en œuvre le plus rapidement possible les projets de nouvelles ressources propres, comme l’ont souligné la plupart des intervenants.

Mme le président. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.

M. Claude Kern. Lors de mon intervention sur l’article, j’ai omis ma conclusion : le groupe Union Centriste, qui soutient cet amendement du Gouvernement, votera naturellement l’article 25.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-1592.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 25, modifié.

(Larticle 25 est adopté.)

Mme le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 25 (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2023
Discussion générale

12

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

13

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 18 novembre 2022 :

À seize heures et le soir :

Suite du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (texte n° 114, 2022-2023) ;

Suite de l’examen des articles de la première partie.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quinze.)

nomination de membres dune éventuelle commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des finances pour faire partie de léventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2022 a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :

Titulaires : MM. Claude Raynal, Jean-François Husson, Arnaud Bazin, Jérôme Bascher, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic et Didier Rambaud ;

Suppléants : Mme Christine Lavarde, MM. Vincent Segouin, Antoine Lefèvre, Jean-Marie Mizzon, Mme Isabelle Briquet, MM. Éric Bocquet et Christian Bilhac.

nomination dun membre dune délégation sénatoriale

Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux entreprises.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Michel Dagbert est proclamé membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, en remplacement de M. Georges Patient, démissionnaire.

 

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER