M. Julien Bargeton. Bien sûr !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … radicalement différents de ceux de 1945 : bouleversements technologiques, choc climatique, crises sanitaires, besoin réaffirmé de proximité, etc. La France du XXIe siècle, n’est plus celle de 1945, et l’État doit donc de nouveau s’adapter.
En dépit de cet impératif, l’État s’est rigidifié, et sa haute fonction publique avec lui : les corporatismes se sont renforcés.
C’est bien des corporatismes que la France est malade. Ils nourrissent la bureaucratie et le centralisme, auxquels cette majorité a décidé de s’attaquer.
Combien de gouvernements avant nous ont promis de s’atteler à cette réforme de la haute fonction publique ? Ils ont tous échoué. Aucun ne l’a conduite jusqu’à son terme.
Je vous rappelle que la suppression de l’ENA figurait déjà dans le programme commun de 1972.
En 1995, le Président Chirac promettait, en parlant du classement de sortie de l’ENA, de mettre fin à « une caste qui se coopte ». En 1997, son Premier ministre, Alain Juppé, annonçait à son tour qu’il allait supprimer l’ENA.
M. Julien Bargeton. Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En 2008, une commission mandatée par le Président Sarkozy promettait d’aboutir à un nouveau mode de recrutement « moderne et transparent » pour nos hauts fonctionnaires. Après les juges, c’est le Sénat qui a fait obstacle à la suppression du classement de sortie de l’ENA.
Enfin, après avoir demandé à Mme Lebranchu de réformer les grands corps, François Hollande a renoncé à toute réforme, après la publication d’une pétition des élèves de l’école et face à la levée de boucliers des corporations.
Bref, après plusieurs décennies de promesses, l’ENA est toujours là,…
M. Julien Bargeton. Exactement !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … avec son classement, avec sa « caste qui se coopte », comme le disait le président Chirac, et avec ses grands corps.
Mesdames, messieurs les sénateurs, contrairement aux majorités précédentes, que vous avez soutenues, ce gouvernement et sa majorité ont enfin le courage de mener cette réforme à son terme. D’ailleurs – j’y reviendrai –, c’est vous, parlementaires, qui avez habilité le Gouvernement à conduire ce chantier. Forts de cette habilitation, nous avons pris nos responsabilités et nous nous présentons devant vous.
Cette réforme exige de la détermination et de la conviction, tout d’abord pour parler aux Français de ce que nous faisons pour eux, ensuite pour parler aux hauts fonctionnaires de ce que nous faisons pour eux ; pour parler de la transformation profonde de l’État que nous menons.
Cette transformation repose sur un constat simple et répond à une ambition claire : dans la France de 2021, nos concitoyens n’ont plus les mêmes attentes qu’il y a trente ou soixante-dix ans. Ils demandent un État de proximité, un État efficace au service de tous.
J’en suis convaincue : la proximité, l’efficacité et l’égalité sont les trois conditions absolues de la restauration de l’autorité de l’État.
Pour répondre à ces préoccupations, nous avons décidé de nous attaquer à la racine du problème.
Le premier sujet, c’est la formation. Nous devons changer la formation initiale et continue, pour que nos hauts fonctionnaires comprennent la France dans son intimité et dans sa complexité et pour que nous puissions adapter nos politiques publiques, afin de les différencier selon les territoires.
Nous devons faire en sorte que tous nos hauts fonctionnaires acquièrent une culture commune, pour que les décisions ne soient plus prises en silos – les élus locaux sont les premiers à s’en plaindre et ils ont raison.
Demain, les administrateurs de l’État, les directeurs d’hôpitaux, les magistrats judiciaires et les commissaires de police seront tous formés ensemble, pour répondre à ces différents enjeux que sont la transition écologique, le respect de la laïcité et de toutes les valeurs républicaines, les défis numériques ou encore la lutte contre les inégalités et la pauvreté.
En résumé, à la différence de l’ENA, nous voulons une école qui forme, non une école qui classe.
M. Bruno Retailleau. Ça, c’est les Bisounours !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce sera la mission du futur Institut national du service public, qui offrira le tronc commun de quatorze écoles de service public dès 2022, renforcera le rôle de la formation continue pour tous les hauts fonctionnaires, développera les liens avec le monde académique et de la recherche et, ce faisant, participera au rayonnement européen et international de la France.
Le second sujet, le second problème que nous voulons traiter à la racine, c’est la gestion des carrières.
Nos hauts fonctionnaires doivent occuper des postes opérationnels et assumer des missions concrètes, dans les territoires, plus en prise avec le quotidien de nos concitoyens.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vraiment de la langue de bois !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En effet, avant de pouvoir juger, contrôler, inspecter ou diriger, il faut avoir administré. Il faut s’être confronté aux réalités du terrain.
M. Jean-Pierre Sueur. Et les préfets et les sous-préfets, que font-ils ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce n’est pas la Haute Assemblée qui me contredira.
Par « administrer », nous n’entendons pas le fait d’édicter des normes depuis une administration centrale, à Paris. Au contraire, nous voulons des cadres supérieurs davantage présents dans les administrations déconcentrées pour garantir un État territorial fort et une action publique différenciée. Nous voulons des hauts fonctionnaires affectés à des postes opérationnels.
Ainsi, dès cette année, nous avons doublé le nombre de postes proposés au ministère du travail et au ministère des solidarités et de la santé à la sortie de l’ENA. En parallèle, nous avons divisé par deux le nombre de postes dans les grands corps. En effet, après la crise sanitaire, et alors que nous devons relever le défi de la relance, c’est bien dans ces ministères et dans leurs services déconcentrés que nous avons besoin de nos nouveaux hauts fonctionnaires.
Vous parliez de confiance, monsieur Retailleau. Pour que les Français fassent confiance à l’État, ils doivent voir que l’État s’organise, s’adapte et se soucie des enjeux prioritaires de son époque.
Or s’il y a bien deux ministères qui ont besoin d’être renforcés aujourd’hui, ce sont le ministère des solidarités et de la santé et le ministère du travail. Cette position est, nous le voyons bien, unanimement défendue.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce que nous disons est clair. Notre ambition est forte. Cette réforme est désormais irréversible.
M. Jean-Pierre Sueur. Irréversible ? Mais encore faut-il qu’elle soit adoptée ! C’est à nous de la voter !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Néanmoins, il m’importe d’expliquer aux Français ce qui se joue aujourd’hui dans cet hémicycle.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes devant le Parlement et vous signez le passage en force du Gouvernement !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Permettez-moi de vous dire que je considère pour le moins étonnant d’inscrire à l’ordre du jour votre propre texte, afin de le rejeter purement et simplement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Inscrire à l’ordre du jour la ratification d’une ordonnance pour ne pas la ratifier, je dois dire que c’est assez inédit dans les annales parlementaires !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est votre agression qui est une première !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le Gouvernement s’était réjoui de voir le Sénat se saisir de ses prérogatives constitutionnelles d’amendement et d’écriture de la loi, et prendre ainsi l’initiative d’inscrire la ratification de cette ordonnance à son ordre du jour.
Nous étions prêts à un débat important et évidemment légitime.
M. Jean-Pierre Sueur. Il suffisait de présenter un projet de loi !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous pensions que nous débattrions d’un texte amendé, qui nous aurait permis d’entendre vos contre-propositions respectives et de connaître votre vision de la haute fonction publique et de l’État de demain.
Or il n’y a aucun amendement en débat. Que devons-nous en déduire ?
M. Jean Louis Masson. Moi, j’ai déposé des amendements ! Vous racontez n’importe quoi !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Aucun amendement n’a été déposé par les cosignataires de la proposition de loi, monsieur Masson.
M. Bruno Retailleau. Mme le rapporteur vous a répondu sur ce point !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Que devons-nous déduire de ce jeu politique ? Que M. Retailleau et M. Sueur ne se sont peut-être pas entendus pour déposer des amendements communs ? Que vous ne partagez pas la même vision de l’État ?
M. Jean-Pierre Sueur. Pas du tout !
Mme Cécile Cukierman. Nous partageons la même vision de la démocratie, madame la ministre !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Qu’il n’y aurait donc pas lieu de réformer la haute fonction publique, et que tout doit rester en l’état ?
M. Julien Bargeton. Ce sont des conservateurs !
Mme Cécile Cukierman. C’est caricatural !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Vous dites qu’il faut une autre réforme. Mais, dans ce cas, de quelle réforme s’agit-il ? Où sont les amendements ? Où sont les propositions ?
Je reconnais bien là les conservatismes de tous bords (Vives protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.), dont je ne partage évidemment pas la vision.
Je reconnais bien là une alliance contre-nature sur plusieurs travées, sans cohérence, sans vision, qui n’a pour objet qu’une opposition stérile et complète au Gouvernement.
M. Julien Bargeton. Très juste !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Les Républicains, les socialistes, les écologistes et les centristes semblent s’accorder, au fond, sur une seule chose : il ne faudrait rien changer.
M. Jean-Pierre Sueur. Si, le Gouvernement ! (Sourires sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Vous faites exprès de ne pas comprendre notre message !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cette politique politicienne ne me semble pas à la hauteur des enjeux. Elle ne me semble pas digne de cette Haute Assemblée que je respecte et aux questions de laquelle je me suis toujours soumise (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.).
Il m’avait pourtant semblé avoir lu et entendu des propositions relatives à la fonction publique, formulées notamment à la droite de cet hémicycle. Dans le programme du parti Les Républicains, rendu public ces derniers jours, il est écrit en toutes lettres, monsieur Retailleau, que vous comptez supprimer le statut de la fonction publique et conserver les grands corps – un projet source au minimum d’incohérence, voire d’injustice.
Et à la gauche de cet hémicycle, je dois dire que je n’ai entendu aucun projet !
Avant de conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, il m’appartient de lever un malentendu. J’ai entendu dire que cette réforme n’avait pas été concertée,…
M. Jean-Pierre Sueur. En effet !
M. Jean-Pierre Sueur. Oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … et qu’elle serait déconnectée des attentes de nos concitoyens et de nos hauts fonctionnaires.
M. Jacques Grosperrin. Vous l’avez faite pour faire plaisir aux gilets jaunes ! C’est du populisme !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je souhaite ici rétablir la vérité.
Tout d’abord, je ne suis pas devant vous parce que la Constitution m’y autorise. Je suis devant vous aujourd’hui parce que vous m’y avez autorisée. En effet, c’est bien ici, au Sénat, que l’article 59 de la loi de transformation de la fonction publique, dont Mme Di Folco était le rapporteur, a été amendé, enrichi et voté. Vous l’avez validé ensuite pendant la réunion de la commission mixte paritaire réunie sur ce texte.
Si je suis devant vous, c’est donc bien parce que vous m’y avez autorisée. C’est le principe d’une ordonnance. Nous ne faisons pas la loi en cachette, nous la faisons parce que vous nous autorisez à la faire !
M. Bruno Retailleau. En ce cas, inscrivez la ratification de l’ordonnance à l’ordre du jour !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il s’agit donc bien d’un texte issu d’une CMP conclusive, qui s’inscrit évidemment dans un cadre constitutionnel et qui respecte, par définition, le Parlement.
M. Julien Bargeton. Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Par ailleurs, s’agissant de l’ordonnance en tant que telle, depuis ma prise de fonction et même avant, dans le cadre du rapport commandé à M. Frédéric Thiriez, que vous avez rencontré, l’ensemble des parties prenantes ont été consultées. Les instances formelles et obligatoires ont été réunies et des tables rondes rassemblant des associations représentatives des différents corps ont été organisées.
Personne n’a été laissé à l’écart de cette réforme, je dis bien personne, et surtout pas les hauts fonctionnaires eux-mêmes. En effet, ils ont été formellement interrogés au cours d’une consultation inédite de plusieurs semaines, à laquelle plus de 7 300 d’entre eux ont répondu – exercice absolument sans précédent, que j’ai tenu à mener, visant à nous assurer de la cohérence des décisions que nous prenions avec leurs attentes.
Cette consultation leur a d’ailleurs permis de rappeler la force de leur attachement au service public et à ses valeurs, mais aussi de souligner combien ils attendaient, précisément, que nous prenions des mesures pour les accompagner dans leurs carrières, leurs formations, leurs mobilités, leurs vies personnelles et professionnelles, autant d’éléments auxquels nous répondons par le biais de cette réforme.
Nous répondons aussi à l’enjeu majeur de l’égalité entre les femmes et les hommes, que cette réforme contribuera à faire avancer. (M. Jacques Grosperrin s’exclame.)
Je souhaite donc ici remercier très sincèrement l’ensemble des hauts fonctionnaires et des parties prenantes qui ont rendu cette réforme possible.
Voilà, en quelques mots, l’esprit de cette réforme et de cette ordonnance que vous soumettez aujourd’hui, comme je viens de le souligner, à la ratification expresse de votre assemblée.
Le Gouvernement ne reculera pas devant les réflexes corporatistes, toujours bruyants, mais jamais réellement représentatifs, qui se dressent dès qu’ils sont menacés.
Je regrette donc profondément que nous ne puissions pas débattre aujourd’hui, projet contre projet. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Je regrette le choix qui a été le vôtre de consacrer ce temps parlementaire précieux à un débat par définition stérile, qui se résume à une opposition de principe.
M. Julien Bargeton. C’est sûr !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Soyez assurés de la détermination qui est la mienne, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, à mener à bien cette réforme majeure et indispensable.
M. Jacques Grosperrin. Quelle agressivité !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez décidé de ne pas nous entendre !
M. Jacques Grosperrin. Pourquoi tant de haine ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En effet, ce débat, même limité et inabouti de votre fait, renforce profondément notre conviction que cette réforme est plus que jamais nécessaire, contre les corporatismes, contre les immobilismes, pour les agents publics, pour l’État, pour la France et pour les Français.
C’est la raison pour laquelle je donnerai bien sûr un avis favorable à cette proposition de loi, qui propose la ratification d’une ordonnance posant les jalons de la réforme de notre haute fonction publique la plus ambitieuse depuis 1945. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Jean Louis Masson d’une motion n° 19.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi n° 807 (2020-2021) tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, avec cette réforme, ce que vous voulez introduire en France, ce n’est ni plus ni moins que le système américain des dépouilles ! L’arbitraire le plus total prévaudra pour la gestion des hauts fonctionnaires, car ce sera le Gouvernement qui décidera au jour le jour de ce qu’il en est.
C’est très grave ! Vous faites croire à nos concitoyens que cette réforme donnera plus de chances aux gens qui viennent de la base. Vous leur dites : « Vous qui venez de la base, vous allez voir, avec cette réforme, vous aurez plus de chances. » Or ce n’est pas vrai !
Ceux qui auront le plus de chances, ce sont ceux qui bénéficieront de piston et ceux qui seront soutenus. Et le pauvre petit gars qui, peut-être, aurait pu très bien réussir dans ses études et obtenir un bon classement se retrouvera complètement marginalisé s’il n’a pas la possibilité d’être soutenu par sa famille, par des relations ou par tel ou tel réseau.
C’est extrêmement grave ! Vous faites le contraire de ce que vous dites. Vous faites quelque chose d’antidémocratique et vous mettez à bas en définitive toute la réforme de la fonction publique de 1945.
Jusqu’à présent, le personnel de la fonction publique a toujours été géré en fonction du mérite et des capacités de chacun, appréciés sur la base d’éléments objectifs.
Ainsi, les nominations et les promotions dépendent de la valeur personnelle et de la réussite aux concours et examens – y compris pendant toute la carrière, car il existe des concours internes – et non d’appréciations subjectives. Le système, à défaut d’être parfait, est au moins juste.
Or, sous couvert d’une fausse égalité des chances, le Gouvernement veut remplacer ce système par une logique de nominations au jour le jour, en fonction d’appréciations totalement subjectives et arbitraires.
Cela permettra de généraliser un favoritisme systématique et profondément injuste. C’est déjà le cas actuellement pour la nomination de certains préfets à des fonctions n’ayant rien à voir avec l’administration préfectorale, ou pour certains ambassadeurs. Citons à titre d’exemple un ambassadeur ou une ambassadrice chargée des pôles – on ne voit pas le rapport avec la diplomatie… Il en va de même parfois pour des conseillers d’État ou des fonctionnaires d’autres grands corps, qui sont nommés au tour extérieur.
Ces gens-là sont-ils nommés en raison de leurs compétences ou grâce à leurs relations et à divers trafics d’influence, ou encore pour régler des problèmes politiques ? Je pose la question, mais vous en connaissez la réponse.
La carrière d’un fonctionnaire doit dépendre de sa valeur. Hélas, avec le système qui sera mis en place, ceux qui réussiront sont ceux qui ont des relations familiales, ceux qui font partie de réseaux occultes – par exemple, la franc-maçonnerie – ou ceux qui ont un piston politique !
Mme Cécile Cukierman. Sérieusement ?
M. Jean Louis Masson. Cette réforme veut faire croire aux Français qu’ils auront tous la même chance, mais c’est complètement faux. Et ce n’est pas en dénigrant ceux qui contestent votre réforme, comme vous l’avez fait tout à l’heure envers M. Retailleau,…
Mme la présidente. Monsieur Masson, il faut conclure.
M. Jean Louis Masson. … et comme vous l’avez fait aussi à mon égard,…
Mme la présidente. C’est terminé, monsieur Masson !
M. Jean Louis Masson. Heureusement que j’ai déposé deux motions. Ainsi, je pourrai terminer mon propos tout à l’heure.
M. François Patriat. J’en ai déjà assez entendu…
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cette motion nous étant parvenue tardivement, la commission n’a pu l’examiner ce matin. J’émettrai donc un avis à titre personnel, qui sera défavorable.
Le but de cette proposition de loi est précisément d’ouvrir un vrai débat ce soir. Il est hors de question, par conséquent, d’opposer à son examen une question préalable.
Je voudrais par ailleurs répondre à Mme la ministre sur un point. Ce que nous faisons aujourd’hui relève non pas d’une alliance contre-nature, mais d’une volonté commune, partagée sur toutes les travées, de dialoguer avec vous sur cette proposition de loi.
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce sera le même avis que celui qui vient d’être exprimé par Mme la rapporteure.
À ma connaissance, selon le règlement du Sénat, une question préalable s’applique lorsqu’il n’y a pas lieu de délibérer. Or s’il n’y a pas lieu de délibérer, pourquoi avoir inscrit la proposition de loi à l’ordre du jour, à moins que cette démarche ne traduise une opposition totale à toute réforme, ce qui aurait au moins le mérite de la cohérence ?
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion. Je suis, en revanche, évidemment prête à débattre d’amendements ou de propositions de fond, dont je déplore l’absence.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. J’ai déposé cette motion, car j’aurais beaucoup apprécié que la commission des lois abroge l’article 59 de la loi de transformation de la fonction publique, qui a permis cette ordonnance.
La commission des lois n’a pas été à la hauteur. Il fallait qu’elle décide cette abrogation, qui aurait entraîné celle de l’ordonnance. C’est cela qu’il fallait faire !
Telle est la raison pour laquelle j’ai déposé cette motion tendant à opposer la question préalable. Cependant, je ne souhaite pas qu’elle soit adoptée (Exclamations ironiques sur les travées des groupes RDPI et INDEP.), car j’ai déposé également une motion tendant au renvoi en commission, sur laquelle j’ai quelque chose à dire.
Je retire donc cette première motion, madame la présidente.
Mme la présidente. La motion n° 19, tendant à opposer la question préalable, est retirée.
M. Pierre Médevielle. Déposer un texte pour qu’il ne soit pas adopté, c’est incroyable !
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Jean Louis Masson, d’une motion n° 20.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale la proposition de loi n° 807 (2020-2021) tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, lors des questions au Gouvernement du 9 septembre 2021, je vous ai posé la question suivante, que je reprends mot pour mot.
La carrière des fonctionnaires était jusqu’à présent organisée sur des bases claires, tenant compte de leur réussite aux concours et aux examens. Elle dépendait donc de critères objectifs.
À défaut d’être parfait, ce système était au moins juste. Or, sous couvert d’une fausse égalité des chances, le Gouvernement veut le remplacer par des nominations et des promotions au jour le jour, fondées sur des appréciations qui seront inévitablement arbitraires.
Cela conduira inéluctablement à des passe-droits. On le voit déjà, par exemple, pour certaines nominations au tour extérieur d’inspecteurs généraux ou de conseillers d’État, je le répète. Des personnes sont ainsi nommées davantage grâce à leurs relations qu’en raison de leurs compétences.
M. Claude Malhuret. Vous n’avez rien d’autre à dire ?…
M. Jean Louis Masson. C’est ce que je vous ai dit. Vous avez très bien compris, lorsque j’ai posé cette question, que je défendais les hauts fonctionnaires et la fonction publique en général, dans sa configuration issue de la loi de 1945.
Voilà ce que je vous ai dit, madame la ministre. J’ai été très clair sur ce point.
Or vous m’avez fait une réponse stupéfiante. Vous ne m’avez pas répondu sur le fond. Pis, vous avez tenu à mon égard des propos désobligeants et d’une totale mauvaise foi, comme vous l’avez fait à l’encontre de M. Retailleau tout à l’heure !
M. Claude Malhuret. Pauvre victime…
M. Jean Louis Masson. Vous avez prétendu que je critiquais la compétence et le travail des fonctionnaires, alors que j’avais dit exactement le contraire. Je cite vos propos, madame la ministre : « Ministre de la fonction publique, je ne saurais laisser passer qu’à coups de complotisme ou de fake news vous remettiez en cause la compétence et l’engagement de ses hauts fonctionnaires. »
Répondre ainsi à un parlementaire en lui faisant dire exactement le contraire de ce qu’il a dit, c’est honteux, madame la ministre ! Vous n’êtes pas digne de votre fonction !
Vous pouvez accuser les gens de propager des fake news s’ils le font en effet. En revanche, vous ne pouvez pas leur faire dire ce qu’ils n’ont pas dit pour les accuser ensuite de mensonge. Vous êtes de mauvaise foi, c’est honteux !
Vous ne faites pas honneur à M. Macron. Vous ne faites pas honneur au Gouvernement. (Exclamations.)
M. Jean-Claude Requier. Ni vous au Parlement !
M. Jean Louis Masson. Je tenais à vous le dire par le biais de cette motion tendant au renvoi en commission, car c’est indigne. J’ai été scandalisé en vous entendant et j’ai décidé de déposer cette motion pour vous dire ce que je pensais de vous. (Murmures.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cette motion nous étant également parvenue tardivement, comme la précédente, elle n’a pu être examinée par la commission. Je vais émettre à titre personnel un avis à son sujet.
Notre volonté politique commune est vraiment que le débat ait lieu aujourd’hui et que le texte soit rejeté.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 20, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)