M. le président. Veuillez remettre votre masque, mon cher collègue. Nous avons une discipline collective et je demande à chacun de la respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le Premier ministre applaudit également.)
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Comme vous le savez, monsieur le sénateur Cadec, pour atteindre nos objectifs climatiques, nous avons besoin d’électrifier nos usages et, dans ce contexte, pour garantir l’approvisionnement électrique des Français, nous devons développer massivement les énergies renouvelables, dont l’éolien terrestre et maritime.
Notre pays dispose du deuxième gisement potentiel d’Europe pour l’éolien en mer. Cette source d’énergie, durable, sûre, compétitive et non émettrice de CO2, est une chance, une chance pour la Bretagne – si l’on considère le parc de Saint-Brieuc dont nous parlons ici –, pour le mix énergétique français et pour le climat.
L’idée, avec ce parc, est de produire l’équivalent de la consommation électrique de 835 000 habitants en Bretagne, alors que cette région, sur le plan de la sécurité d’approvisionnement, importe 85 % de sa consommation. En outre, le projet sera pourvoyeur d’emplois, avec des fondations qui seront fabriquées à Brest, le port de construction et le port de maintenance étant installés dans les Côtes-d’Armor.
L’impact visuel sera limité, comme vous le savez. Nous parlons de l’équivalent d’une silhouette que l’on verrait de l’autre bout d’un stade de foot. Les pêcheurs professionnels, qui se sont inquiétés du projet, ont été entendus et une concertation très large a été organisée avec toutes les parties prenantes, ce qui a, d’ailleurs, entraîné certaines adaptations. Il n’est pas question que ce projet éolien exclue les usages de la mer et les activités de pêche resteront possibles.
L’impact environnemental marin ou sur l’avifaune a également été étudié, notamment au travers de travaux menés par le CNRS. La plus grande attention est donc portée aux risques environnementaux sur toute la conduite du chantier et dans son exploitation.
Comme vous, monsieur le sénateur Cadec, nous avons été très sensibles à l’incident qui s’est produit cet été. Il s’avère que, quand nous avons caractérisé ces huiles, elles se sont révélées biodégradables, selon les normes classiques. Il n’est pourtant pas question, évidemment, de voir de tels incidents se reproduire et des travaux ont été réalisés, à cette fin, sur le navire de forage.
Près de dix ans après l’attribution de ce parc éolien, le projet a su évoluer pour tenir compte des attentes et des besoins des parties prenantes. Des études inédites ont été menées sur les impacts et les nombreux contentieux ne l’ont jamais remis en cause.
En transparence et avec la plus grande vigilance, il me semble donc nécessaire de laisser ce projet se poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 13 octobre 2021, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Décès d’un ancien sénateur
Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jacques Bellanger, qui fut sénateur des Yvelines de 1986 à 1995 et de 1997 à 2004.
4
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, présentée par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Guillaume Gontard, Jean-Pierre Sueur et François Noël Buffet (proposition n° 807 [2020-2021], résultat des travaux de la commission n° 858 [2020-2021], rapport n° 857 [2020-2021]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Patrick Kanner et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est le fruit d’une initiative transpartisane ; c’est suffisamment rare pour être souligné. Je tiens en particulier à saluer Jean-Pierre Sueur, à qui elle doit beaucoup.
Il ne s’agit en aucun cas de nier les différences qui existent entre nous : vous pouvez compter sur moi pour tenir ferme sur nos convictions.
Il ne s’agit pas non plus de se liguer contre le Gouvernement pour lui jouer quelque mauvais tour, madame la ministre. Au reste, il nous donne lui-même régulièrement l’occasion de nous opposer à lui…
Il s’agit simplement de nous rassembler sur ce que nous considérons comme un socle commun de convictions. Cela peut arriver, et c’est heureux : nous ne sommes pas en guerre civile, nous sommes en France et nous siégeons dans un même hémicycle.
Madame la ministre, c’est tout d’abord en faveur des droits du Parlement que nos convictions convergent. À cet égard, la question qui se pose a trait aux formes, mais elle est fondamentale.
Jamais sous la Ve République un gouvernement n’aura tant recouru aux ordonnances. Je suis d’inspiration gaulliste et je sais que notre pays a besoin des ordonnances ; mais, en la matière, vous avez franchi tous les caps. Au total, 304 ordonnances ont été publiées depuis le début du quinquennat. Madame la ministre, contestez-vous ce chiffre ?
En même temps, si j’ose dire (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.), les ratifications sont de moins en moins fréquentes. En effet, seules 55 de ces ordonnances ont été ratifiées. Madame la ministre, contestez-vous ce chiffre ?
Ainsi, au 30 septembre dernier, le nombre d’ordonnances avait déjà bondi de 150 % par rapport à l’avant-dernier quinquennat. Or, j’y insiste, moins de 20 % d’entre elles – très exactement 18 % – sont ratifiées à ce jour.
Cela signifie que le Gouvernement gouverne…
M. François Bonhomme. Seul !
M. Bruno Retailleau. … et fait la loi en dehors du Parlement. Certes, la Constitution l’y autorise ; mais il ne prend même pas la peine de solliciter les assemblées pour ratifier les ordonnances.
Pourtant, depuis la dernière révision constitutionnelle, l’article 38 est on ne peut plus clair à cet égard : les ordonnances ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
Comme un certain nombre d’entre nous, j’ai lu vos propos publiés ce matin, madame la ministre. Votre déclaration, je dois le dire, est une insulte au Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Elle révèle, de votre part, un mépris total ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Individuellement, nous ne sommes rien, ou si peu de chose ; c’est collectivement que vous nous insultez. Nous représentons les Français ; nous sommes la représentation nationale.
Madame la ministre, ce qui fait « naufrage », c’est ce gouvernement, qui en vient à refuser tout débat ; c’est cet exécutif, qui dénie au Parlement jusqu’au droit de s’exprimer et qui, fuyant ses responsabilités, en est réduit à se défausser sur un bouc émissaire, à savoir la haute fonction publique.
Voilà le véritable naufrage : je le dis solennellement à cette tribune.
Cela étant, il y a plus grave encore que cette remise en cause des droits du Parlement. En effet, toucher à la haute administration, c’est toucher à l’administration tout entière : c’est, partant, toucher à l’État lui-même et à la haute idée que nous nous en faisons.
Évidemment, sur ces travées, nous avons différentes conceptions de l’État. À plusieurs reprises, nous avons avancé des propositions, qu’il s’agisse du temps de travail ou du statut. Pour notre part, nous sommes favorables au statut (Mme la ministre le conteste.), mais pour les fonctions régaliennes.
Madame la ministre, vous devriez lire plus souvent nos déclarations et parcourir un certain nombre de nos textes : certes, nous sommes pour un élargissement du recours à la contractualisation, mais en dehors des fonctions régaliennes.
Quoi qu’il en soit, sur l’ensemble de ces travées, nous avons cette même certitude : une réforme de l’ENA ne fait pas une réforme de l’État.
Si, à six mois de l’élection présidentielle, vous en êtes réduits à un tel expédient, c’est sans doute pour masquer, en toute hâte, le peu de mesures que vous avez prises pour réformer l’État. D’ailleurs, où sont les promesses du Président de la République ? Au cours de ce quinquennat, 50 000 postes de fonctionnaires devaient être supprimés. Y en aura-t-il un seul ? Nous en discuterons en examinant le projet de loi de finances, bien entendu.
Cette réforme de la haute fonction publique risque fort de rester comme le sommet du « en même temps », au point d’en devenir l’archétype.
À ce titre, je pense aux grands corps et tout spécialement aux préfets. Qui a tenu l’État pendant la crise des gilets jaunes, sinon les forces de l’ordre et le corps préfectoral ?
M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. Votre Premier ministre lui-même n’a cessé de vanter le « couple maire-préfet ».
La préfectorale n’est pas une sinécure. Être préfet, ce n’est pas posséder un titre ou une charge. Ces fonctions exigent une longue expérience. Le corps préfectoral, c’est une école de l’État régalien : commander des troupes, qu’il s’agisse de pompiers, de policiers ou de gendarmes, cela s’apprend.
Au terme de votre réforme, sans doute n’y aura-t-il plus de corps, mais vous allez devoir créer une usine à gaz pour revenir au point de départ en créant un cadre d’emplois. En définitive, rien ne changera, comme on dit chez Visconti. C’est là que sera le « en même temps ».
En outre, votre réforme entraîne deux graves remises en cause.
Tout d’abord, vous vous attaquez à l’État tel que l’a voulu le général de Gaulle quand il a refondé la République. Il le dit à Alger dès juin 1944 : dans l’ordre politique, notre choix, c’est la démocratie et c’est la République. Il va plus loin en explicitant : la démocratie, c’est rendre la parole au peuple. Son propos est sans ambiguïté.
Refonder la République, c’est remettre sur pied l’administration autour du Gouvernement, à Paris, mais aussi localement. Ainsi le général de Gaulle charge-t-il l’administration, notamment la haute fonction publique, d’une mission particulière : articuler deux temporalités, à savoir le cycle court de la démocratie, rythmé par les élections, et le cycle long, gage de la permanence républicaine.
Or – c’est précisément ce que nous vous reprochons – vous risquez d’enfermer notre haute fonction publique dans le temps politique, dominé par les cycles courts, au moment même où les politiques publiques sont confrontées à des choix de longue durée. Je pense en particulier à la transition écologique et au communautarisme.
Ensuite – c’est également un sujet de fond –, l’administration est le bras séculier de l’État. Je le répète : toucher à la première, c’est s’en prendre au second.
Derrière votre réforme, il y a cette idée faussement moderne et vraiment anglo-saxonne : instituer un vaste système des dépouilles. Néanmoins, vous ne sauriez ignorer que le modèle américain possède de solides contrepoids, dont nous ne disposons pas pour notre part. C’est un régime fédéral, dans lequel les orientations du pouvoir central ne s’imposent pas nécessairement aux États fédérés.
Mes chers collègues, n’oublions pas non plus la force du Parlement américain : elle est bien supérieure à celle de l’Assemblée nationale et du Sénat français !
Ce sont là autant de contrepoids qui viennent équilibrer le système des dépouilles.
Madame la ministre, j’observe également une différence fondamentale avec le modèle français : chez nous, l’État précède la Nation. Certes, notre manière commune d’habiter le monde, c’est l’État-nation. Mais en France, c’est l’État qui a fait la Nation ; ce n’est pas le cas en Allemagne ou en Italie par exemple. Et si vous cassez la confiance du peuple français dans son administration, vous risquez d’aggraver encore la crise démocratique.
Enfin, je sais que l’on a souvent reproché à l’ENA une forme de consanguinité sociale. Toutefois, le problème n’est pas spécifique à cette école : c’est celui de l’école tout court.
Nous en parlions il y a quelques instants au sujet des études de médecine, lors des questions d’actualité au Gouvernement : notre école nous tire vers le bas. (M. Guillaume Chevrollier applaudit.)
Bien entendu, nous voulons la méritocratie républicaine. Bien entendu, il faut réformer l’État, car son organisation n’est pas parfaite : nous l’avons maintes fois dit. Trop souvent, nous souffrons de voir notre État se déliter et de constater la défiance des Français à son égard.
Toutefois, cette défiance frappe plus vivement encore le monde politique. Si j’osais, je dirais que je me mets dans le même panier que la haute fonction publique : dans un cas comme dans l’autre, ce sont des serviteurs de l’État qu’il s’agit.
À mon sens, vous avez tort de vous défausser sur ce que l’on a pu qualifier d’« État profond ». Vous avez tort de choisir un bouc émissaire. C’est toujours au patron d’assumer les responsabilités, non à ses collaborateurs.
Bien sûr, il fallait une réforme,…
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. C’est pour cela que nous la faisons !
M. Bruno Retailleau. … mais une réforme d’une autre ampleur. Il eût fallu viser beaucoup plus haut, au lieu de se contenter d’une mise en cause si facile et, en somme, si petite, de notre haute fonction publique, qui fait la spécificité de l’administration française et qui est reconnue à travers le monde.
Cette remise en cause tient, soit de la naïveté et de l’angélisme, soit du populisme et du cynisme. Pour notre part, nous ne céderons ni aux uns ni aux autres.
Le redressement de l’État exige beaucoup plus et, surtout, le dévouement de nos agents publics mérite beaucoup mieux ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons cette après-midi la proposition de loi tendant à permettre l’examen par le Parlement de la ratification de l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État.
Cette ordonnance remanie en profondeur la conception française de la haute fonction publique de l’État, héritée de l’ordonnance du 9 octobre 1945, prise par le général de Gaulle.
Si elle a connu depuis lors des aménagements dans son fonctionnement, la haute fonction publique française, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’en demeure pas moins structurée par un certain nombre de principes fondamentaux, parmi lesquels figurent l’affirmation du primat d’une fonction publique de carrière, la logique de corps, ou encore l’indépendance des fonctions juridictionnelles et des inspections générales.
En remettant en cause lesdits principes, cette ordonnance procède à un changement de paradigme majeur ; au travers de ses dispositions, c’est bien le fonctionnement de l’État lui-même qui est en jeu.
C’est dire combien le débat que nous nous apprêtons à consacrer à cette réforme est essentiel. Pourtant, il aurait bien pu ne jamais avoir lieu. En effet, non seulement le Gouvernement a choisi de mener cette réforme par voie d’ordonnance, mais il n’a pas montré d’empressement particulier à inscrire son projet de loi de ratification à l’ordre du jour du Parlement.
Peut-être profite-t-il des décisions prises par le Conseil constitutionnel les 28 mai et 3 juillet 2020 à la suite de questions prioritaires de constitutionnalité, qui remettent en cause l’obligation d’une ratification expresse, pour s’exonérer de ses obligations ?
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Aussi, il faut savoir gré aux présidents Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille et Guillaume Gontard, au président de la commission des lois, François-Noël Buffet, et à notre collègue Jean-Pierre Sueur d’avoir déposé cette proposition de loi. Le présent texte nous permet aujourd’hui d’ouvrir le débat parlementaire sur le bien-fondé des mesures prises dans ce cadre.
Comme vous le savez, cette ordonnance traduit l’engagement de l’exécutif à réformer la haute fonction publique de l’État. Elle vient avant tout concrétiser l’annonce phare du Président de la République : la suppression de l’École nationale d’administration et du système dit « des grands corps ». Elle s’inspire en partie du rapport de la mission Thiriez, remis en février 2020.
Cette ordonnance se fonde sur l’article 59 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, dont j’étais corapporteur avec Loïc Hervé, lequel était notamment chargé de ce sujet. Lors du travail de préparation du rapport, notre collègue avait envisagé de supprimer l’article en question, le champ de la demande d’habilitation étant beaucoup trop large et même douteux sur le plan constitutionnel. Il a préféré proposer une nouvelle rédaction, plus encadrée.
Si l’article 59 a ouvert un large champ d’habilitation, les garde-fous qu’il comporte – la garantie du principe d’égal accès aux emplois publics, fondé « sur les capacités et le mérite », ainsi que la prise en compte « des spécificités des fonctions juridictionnelles » – sont largement issus de la rédaction adoptée par le Sénat.
Comprenant seize articles, l’ordonnance a trois objectifs principaux : tout d’abord, dynamiser les parcours de carrière de l’encadrement supérieur ; ensuite, rénover la formation initiale et continue ; enfin, décloisonner la haute fonction publique de l’État. Je n’évoquerai qu’une partie de ces dispositions.
En lieu et place de l’École nationale d’administration (ENA), l’article 5 crée l’Institut national du service public (INSP), qui formera les administrateurs de l’État. Ce nouveau corps constituera le corps unique de sortie de l’INSP, là où les élèves de l’ENA sont actuellement affectés dans dix corps distincts.
Toutefois, la répartition des élèves à la sortie de l’ENA est bien moins éclatée qu’il n’y paraît : les administrateurs civils, corps interministériel par excellence, constituent en effet le premier corps de sortie, avec plus de la moitié des affectations. En parallèle, les corps du Conseil d’État, de la Cour des comptes et des trois inspections générales réunis regroupent moins d’un quart des postes de sortie – je ferme ici cette parenthèse.
Que deviendront les actuels corps de hauts fonctionnaires dans la réforme voulue par le Gouvernement ?
Si les statuts des corps de fonctionnaires autres que juridictionnels relèvent de la seule compétence du pouvoir réglementaire, certaines dispositions législatives de l’ordonnance ouvrent la voie à la fonctionnalisation d’une grande partie des emplois de la haute fonction publique de l’État.
Il en va ainsi des inspections générales : en vertu de l’article 6 de l’ordonnance, les emplois au sein des services d’inspection générale seront désormais occupés par des agents recrutés, nommés et affectés pour une durée renouvelable.
L’article 10 permet quant à lui une généralisation des statuts d’emplois, qui pourront déroger à certaines dispositions du statut général de la fonction publique. Bon nombre de postes pourraient être concernés, des fonctions diplomatiques aux fonctions préfectorales.
Les juridictions administratives et financières se voient quant à elles réserver un traitement distinct, imposé par des exigences constitutionnelles et conventionnelles. L’ordonnance n’en prévoit pas moins de nouvelles modalités d’accès et de déroulement de carrière pour leurs membres.
Le Conseil d’État et la Cour des comptes conserveront leurs corps respectifs. En revanche, ces derniers ne seront plus accessibles directement à l’issue de la scolarité, mais uniquement après une première expérience comme administrateur de l’État. Le grade d’auditeur dans ces juridictions sera remplacé par un statut d’emploi d’une durée maximale de trois ans. Un comité consultatif sélectionnera les candidats, tandis que l’entrée dans le corps sera soumise à l’avis d’une commission d’intégration.
De plus, l’ordonnance diffère de deux ans l’affectation des élèves de l’INSP dans les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et les chambres régionales des comptes.
Enfin, l’ordonnance ouvre aux agents contractuels les fonctions juridictionnelles de maître des requêtes en service extraordinaire au Conseil d’État et de conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes, ainsi que les fonctions de magistrat de chambre régionale des comptes.
Je n’entrerai pas davantage dans le détail des dispositions de l’ordonnance, faute de temps, mais aussi et surtout faute de visibilité quant à leur portée véritable.
De fait, les dispositions de l’ordonnance devront être détaillées par voie réglementaire. Or, à l’heure actuelle, ce vaste chantier n’est qu’à peine entamé : seul le décret fixant la liste des corps et cadres d’emplois dont les membres peuvent être nommés auditeurs au Conseil d’État et à la Cour des comptes a été publié à ce jour.
Madame la ministre, d’après le calendrier indiqué par votre cabinet, ce chantier réglementaire devrait aboutir au cours du premier trimestre de 2022.
Dans ces conditions, la commission a jugé difficile de se prononcer sur des dispositions d’une portée incertaine. Certains contours de la réforme se précisent d’ailleurs au gré des annonces gouvernementales : ainsi, nous avons appris la semaine dernière que les principes de la réforme seraient appliqués à l’ensemble des inspections générales actuellement constituées en corps, et non pas seulement aux inspections générales accessibles à la sortie de l’ENA.
Au-delà de l’inspection générale des finances, de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale des affaires sociales, l’inspection générale de l’agriculture, l’inspection générale des affaires culturelles ou encore l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sont donc également concernées.
Cet exemple le prouve : l’ordonnance dont nous débattons aujourd’hui n’est finalement, si vous me permettez l’analogie, que la partie émergée de l’iceberg. Pouvons-nous nous contenter, en la ratifiant, de donner maintenant un blanc-seing au Gouvernement pour attendre patiemment qu’il précise la portée de la réforme envisagée ? Je ne le pense pas.
À cette incertitude réglementaire s’ajoute une incertitude d’ordre jurisprudentiel.
Madame la ministre, vous n’êtes pas sans savoir que cette ordonnance n’a pas laissé indifférents un certain nombre de syndicats et d’associations représentant plusieurs corps de la haute fonction publique d’État. Au cours de l’été, elle a fait l’objet de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité auprès du Conseil d’État. Lors de l’audience du 20 septembre dernier, le rapporteur public a recommandé le renvoi au Conseil constitutionnel d’une partie de ces questions ; mais, pour l’heure, le Conseil d’État n’a pas encore statué sur ce renvoi.
Ces questions prioritaires de constitutionnalité pendantes épaississent encore le brouillard entourant la portée exacte de l’ordonnance.
Dès lors, la commission a estimé qu’elle ne pouvait mener, en l’état, la réflexion de fond qu’imposerait une réforme d’une telle ampleur. Elle n’a donc pas pu adopter cette proposition de loi. En revanche, nous souhaitons que son examen cette après-midi soit l’occasion d’un vrai débat : il n’est pas tolérable que le Parlement soit mis à l’écart, face à des enjeux si importants pour la haute fonction publique de l’État, pour le fonctionnement de l’État lui-même et pour le lien de confiance qui doit unir l’État aux Français.
Madame la ministre, vous avez été parlementaire : ne l’oubliez pas. Il n’y a aucune agressivité de notre part. Notre volonté, c’est simplement que le Gouvernement reconnaisse le rôle du Parlement. La loi se construit par le dialogue, non par des passages en force ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, permettez-moi de vous remercier : en effet, vous me donnez aujourd’hui l’occasion de défendre notre réforme de l’État devant les représentants des Français.
Cette réforme de la haute fonction publique est la plus ambitieuse jamais conduite depuis 1945 : après le discours de M. Retailleau, parsemé de fausses informations, marqué par la mauvaise foi, le cynisme et les mensonges,…
Mme Dominique Estrosi Sassone. Oh là là !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … il me semble utile de sortir du brouillard, si brouillard il y a. (M. Jean-Michel Houllegatte s’exclame.)
D’ailleurs, monsieur le sénateur, votre propos n’a pas manqué de me surprendre. Vous êtes issu d’une majorité qui, à de multiples reprises, a tenté de réformer la haute fonction publique sans y parvenir. Vous nous présentez aujourd’hui l’ambition de mener une autre réforme, mais, malheureusement, vous ne soumettez aucun amendement au débat.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Transformer la France, c’est effectivement transformer l’État, et transformer l’État, c’est aussi transformer sa haute fonction publique. C’était un engagement du programme d’Emmanuel Macron en 2017.
Je tiens à citer le Président de la République, car il est toujours important de se référer aux engagements pris : « Le statut des fonctionnaires ne sera pas remis en cause, mais il sera modernisé et décloisonné, par un assouplissement du système rigide des corps. Nous mettrons en particulier fin au système des grands corps ». Ne vous déplaise, cette réforme était donc une promesse faite aux Français.
Depuis 2017, le Gouvernement, avec le soutien de la majorité, a conduit avec détermination cette réforme ambitieuse de notre fonction publique.
Madame la rapporteure, vous le savez : la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en août 2019, garantit une plus grande ouverture en renforçant la mobilité. Ce texte essentiel a ouvert la voie à la réforme de la haute fonction publique que je viens défendre aujourd’hui devant vous.
À cet égard, je tiens à situer notre réforme dans le temps long, que vous évoquiez vous-même, monsieur Retailleau, pour vous permettre d’en apprécier à la fois la nécessité et la portée.
En 1945, notre pays sortait exsangue d’une guerre qui commandait de tout reconstruire. Le général de Gaulle engageait alors une refonte sans précédent de nos institutions et de notre administration.
La refondation de la haute fonction publique était au cœur de ce projet de restauration de l’État. Ainsi furent créés par ordonnance, non sans résistance à l’époque, l’École nationale d’administration et le corps des administrateurs civils. Il était en effet impérieux d’incarner la méritocratie républicaine et de garantir, de nouveau, l’efficacité de l’État. Comme vous le savez, Michel Debré fut l’architecte de ce projet.
Aujourd’hui, notre pays fait face à des besoins nouveaux,…