Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
M. Jacques Gillot, Mme Catherine Procaccia.
2. Candidature à un organisme extraparlementaire
3. Communication d'un avis sur un projet de nomination
4. Stationnement des personnes en situation de handicap. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Didier Guillaume, auteur de la proposition de loi ; Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion.
M. Jean Desessard, Mmes Catherine Deroche, Muguette Dini, Isabelle Pasquet, M. Jean-Claude Requier, Mme Jacqueline Alquier.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de Mme Isabelle Pasquet. – Mme Isabelle Pasquet, M. le rapporteur, Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Catherine Deroche. – Mme Catherine Deroche.
Amendement n° 5 rectifié bis de Mme Muguette Dini. – Mme Muguette Dini.
M. le rapporteur, Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. – Demande de priorité de l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. René-Paul Savary, Mme Muguette Dini, M. Didier Guillaume, Mmes Isabelle Pasquet, Catherine Deroche, MM. Jean Desessard, le rapporteur, Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée ; M. Jacky Le Menn. – Adoption par priorité de l’amendement n° 5 rectifié bis, l'amendement n° 6 rectifié bis devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement n° 2 de Mme Isabelle Pasquet. – Mme Isabelle Pasquet, M. le rapporteur, Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée ; M. Jean Desessard, Mme Catherine Deroche, MM. René-Paul Savary, Jean-Claude Requier. – Rejet.
Amendements identiques nos 3 de Mme Isabelle Pasquet et 7 du Gouvernement. – Mmes Isabelle Pasquet, Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée ; M. le rapporteur. – Adoption des deux amendements supprimant l'article.
Article additionnel après l'article 2
Amendement n° 4 de Mme Isabelle Pasquet. – Mme Isabelle Pasquet, M. le rapporteur, Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée ; M. Jean Desessard, Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Mmes Catherine Deroche, Jacqueline Alquier, M. Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Yvon Collin.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
MM. Didier Guillaume, le rapporteur, Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée.
5. Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
6. Création d'une commission spéciale
7. Fin de mission temporaire d'un sénateur
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
8. Questions d’actualité au Gouvernement
Mme Cécile Cukierman, M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes.
MM. Jacques Mézard, Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
MM. Gérard Longuet, Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes.
jour de carence des fonctionnaires
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.
négociation sur les travailleurs détachés
MM. Claude Jeannerot, Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
position de la france dans le dossier européen du chalutage en eaux profondes
Mme Hélène Lipietz, M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes.
situation économique et fiscale
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances.
M. Gilbert Roger, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative.
politique en faveur des personnes âgées
M. Claude Domeizel, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
MM. Joël Billard, Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
9. Accueil et habitat des gens du voyage. – Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois ; Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques ; Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative.
Mme Esther Benbassa, MM. Jean-Claude Carle, Vincent Delahaye.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
Mme Cécile Cukierman, MM. Jean-Claude Requier, Jean-Pierre Michel.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée.
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendements identiques nos 1 de M. Claude Dilain, rapporteur pour avis, 7 de Mme Esther Benbassa, 27 de Mme Cécile Cukierman et 40 de M. Jean-Pierre Michel. – M. le rapporteur pour avis, Mmes Esther Benbassa, Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Michel.
Amendements nos 41 à 43 de M. Jean-Pierre Michel. – M. Jean-Pierre Michel.
Amendement n° 8 de Mme Esther Benbassa. – Mme Esther Benbassa.
Amendements nos 44 et 45 de M. Jean-Pierre Michel. – M. Jean-Pierre Michel.
M. le rapporteur, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée ; M. Pierre Hérisson, Mme Esther Benbassa. – Rejet, par scrutin public, des quatre amendements identiques nos 1, 7, 27 et 40 ; adoption, par scrutins publics, des amendements nos 41 à 43 insérant trois articles additionnels ; rejet, par scrutins publics, des amendements nos 8 et 44 ; rejet de l’amendement n° 45.
Amendement n° 52 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. – Rejet par scrutin public.
Amendements identiques nos 12 de Mme Esther Benbassa, 34 de Mme Cécile Cukierman et 75 de la commission. – Mmes Esther Benbassa, Cécile Cukierman, M. le rapporteur, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée ; MM. Jean-Claude Requier, Antoine Lefèvre, le rapporteur pour avis. – Adoption des trois amendements insérant un article additionnel.
M. le président.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
11. Loi de finances rectificative pour 2013. – Discussion d'un projet de loi
Discussion générale : MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances ; François Marc, rapporteur général de la commission des finances ; Philippe Marini, président de la commission des finances.
MM. Aymeri de Montesquiou, Thierry Foucaud, Yvon Collin, Jean-Vincent Placé, Mme Michèle André, MM. Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Richard Yung.
Renvoi de la suite de la discussion.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Jacques Gillot,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Institut des Hautes études pour la science et la technologie.
La commission de la culture a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Jean-Pierre Plancade pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Communication d'un avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément à la loi organique n° 2010-837 et à la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, la commission des lois a émis, à la majorité des votants, un vote favorable – 17 voix pour, 12 voix contre, 1 bulletin blanc – sur le projet de nomination de M. Jean-Louis Nadal aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Acte est donné de cette communication.
4
Stationnement des personnes en situation de handicap
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement prévue à l’article L. 241-3-2 du code de l’action sociale et des familles sur les places de stationnement adaptées lorsque l’accès est limité dans le temps, présentée par M. Didier Guillaume et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 8, texte de la commission n° 192, rapport n° 191).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de loi.
M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que je soumets à votre examen vise à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap. À quelques jours près, elle aurait pu trouver sa place dans le cadre de la Journée internationale des personnes handicapées, qui a eu lieu le 3 décembre dernier. Cela aurait pu être un joli clin d’œil.
Je souhaite, tout d’abord, saluer le travail de notre collègue Claire-Lise Campion, dont je rappelle qu’elle a ouvert la voie à cette réflexion et a contribué à cette prise de conscience au sein de notre Haute Assemblée à l’occasion du bilan qui a été dressé, voilà quelques mois, de l’application de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, bilan auquel l’ensemble des membres de la commission pour le contrôle de l’application des lois ont participé.
Par l’objectivité des travaux qu’elle a menés, par l’exhaustivité et la transversalité des thèmes traités, elle a su nous rappeler que la tâche était loin d’être terminée.
C’est sans doute dans le cadre de ce travail remarquable que cette question du stationnement m’a, une fois de plus, interpellé.
En matière de prise en compte du handicap, je crois qu’il faut rester humble et considérer que chaque pas, chaque avancée, aussi modestes soient-ils, permettent de réduire l’écart pour tendre vers une société inclusive. Ce concept de société inclusive doit guider nos pensées et doit être notre objectif commun.
C’est bien le seul objectif de ce texte que j’ai l’honneur de proposer à la discussion : faire un pas de plus pour faciliter la vie de tous les jours des personnes concernées par le handicap.
Je connais bien la question du handicap et de l’accessibilité, bien sûr en tant que président du conseil général de la Drôme en charge du handicap, mais aussi parce que j’ai accompagné mon père, qui a passé les vingt-cinq dernières années de sa vie en fauteuil roulant. J’ai connu et vécu sa difficulté à se déplacer, ainsi que le parcours du combattant pour relier un point à l’autre en termes de mobilité. J’ai pu constater que, si l’un des maillons de la chaîne de déplacement est défaillant, c’est toute la chaîne qui est cassée ; et le stationnement en est un maillon essentiel.
Il ne s’agit pas ici de faire preuve de condescendance, mais de compréhension de ces difficultés.
Je ne veux pas de passe-droits, je ne veux pas de faveur, je ne veux pas de charité pour les personnes handicapées. Je sais que ces questions, légitimes, ont été évoquées en commission. Mais ce n’est bien évidemment pas du tout mon état d’esprit ni ma conception de la vie, et encore moins l’objectif de cette proposition de loi. Je veux simplement m’assurer que tout citoyen, quel qu’il soit, handicapé ou non, puisse se déplacer et se garer en toute autonomie. Et je veux être certain que, une fois stationnées, les personnes en situation de handicap n’auront plus à se poser la question de la durée de leur stationnement.
Faciliter ce stationnement, en levant la limitation de temps ou en instaurant la gratuité, est une mesure non discriminatoire. C’est un facteur d’inclusion dans notre société.
Le stationnement est un élément important de la mobilité, permettant d’assurer l’accessibilité d’un parcours classique de déplacement dans la vie quotidienne, pour aller de son domicile aux commerces, pour accéder aux services publics ou privés, pour participer à une association...
Mes chers collègues, pour s’épanouir socialement, pour participer à des activités sociales, professionnelles, culturelles, sportives ou éducatives, il faut être mobile et le plus autonome possible.
Je le dis ici avec force : jamais il ne faut opérer une quelconque discrimination à l’égard des personnes en situation de handicap. Ce n’est pas ce qu’elles souhaitent. En revanche, il faut tout mettre en œuvre pour faciliter leur vie et pour que chaque citoyen, quel qu’il soit, puisse prendre sa juste part dans notre société.
Cette proposition de loi vient de loin. Il ne s’agit pas de changer la vie de ces personnes, mais bien de l’améliorer, de résoudre simplement les petits soucis du quotidien.
On pourrait dire que le concept d’accessibilité est somme toute récent, puisqu’il trouve sa source dans la loi fondatrice de 1975.
En effet, dès 1967, un rapport sur le handicap de François Bloch-Lainé, haut fonctionnaire et militant associatif, remis au Premier ministre Georges Pompidou, ouvrait la voie à cette loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées. Un peu moins de quarante ans nous séparent de ce texte !
Si cette loi fixe le cadre juridique de l’action des pouvoirs publics avec, notamment, la mise en place pour la reconnaissance du handicap de la commission départementale de l’éducation spéciale, la CDES, pour les jeunes, et de la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, la COTOREP, pour les adultes, elle prévoit également – et c’est bien là l’objet de notre discussion – l’obligation éducative pour les enfants et adolescents handicapés, l’accès des personnes handicapées aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population, et le maintien, chaque fois que c’est possible, dans un cadre ordinaire de travail et de vie.
C’est donc bien à ce moment qu’est né le concept d’accessibilité : la nécessité d’adaptation et d’aménagement de l’espace social, destinée à en faciliter l’accès aux personnes handicapées ou à mobilité réduite.
L’article 49 de la loi du 30 juin 1975 disposait ainsi : « Les dispositions architecturales et aménagements des locaux d’habitation et des installations ouvertes au public, notamment les locaux scolaires, universitaires et de formation doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles aux personnes handicapées. »
Pour la première fois, le législateur imposait aux collectivités de prendre en compte les différents besoins de la population, de favoriser l’accès de la ville et de ses équipements à tous, quel que soit leur degré de mobilité.
Depuis cette date, de grands progrès ont été réalisés. Il y eut, évidemment, le formidable bond en avant de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Cette loi majeure est le fruit de trois années de réflexions partagées entre les gouvernements successifs, le Parlement et les associations, et les conseils généraux y ont aussi pris totalement leur part. Ce texte a profondément réformé la politique en faveur des personnes en situation de handicap, trente ans après la loi fondatrice de 1975.
C’est le fruit d’un combat acharné de longue date. Je rappelle que les membres de l’Association des paralysés de France, l’APF, laquelle a été créée en 1933, ont manifesté dès 1982 pour demander une meilleure accessibilité aux lieux publics et privés.
Il faut saluer ici le courage des associations de personnes en situation de handicap et de leurs familles : APF, FNATH, UNAPEI, APAHJ... Ces associations ont osé affronter les regards, les idées reçues ; aujourd'hui ; elles continuent à militer pour faire avancer leurs causes.
Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps on ne voyait pas ou peu de personnes en fauteuil roulant circuler en ville. Il a fallu l’engagement de ces bénévoles et cet acharnement pour que la ville, en tant qu’espace urbain, commence à devenir praticable par tous.
Souvenons-nous que l’existence des annonces sonores dans les bus est toute récente et que nous devons ce progrès à l’action des associations malvoyantes.
Ayons en mémoire les propos de certains qui, au hasard d’une conversation anodine, trouvent anormal qu’autant de places soient réservées au stationnement des personnes handicapées. Ces places sont parfois inoccupées au plus près de l’entrée des grandes surfaces, alors qu’eux-mêmes doivent se garer très loin ! Oui, ces propos existent encore, mais nous sommes de plus en plus nombreux, citoyens ou élus, à répliquer, voire à intervenir lorsqu’une personne valide occupe sans scrupule l’une de ces places.
L’examen de cette proposition de loi me donne également l’occasion de saluer les politiques, trop souvent décriés de nos jours, qui savent dépasser leurs clivages pour une cause méritant consensus et unanimité. J’en citerai quelques-uns en remontant un peu loin dans le temps.
Je pense à notre collègue Michel Delebarre qui, en tant que ministre de l’équipement, du logement, des transports et de la mer, s’est engagé sur le contrôle renforcé du respect de l’accessibilité par une réglementation adaptée et étendue et par des actions exemplaires développées par les pouvoirs publics.
Je pense également à Jack Lang, qui a signé en 1990, lorsqu’il était ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du Bicentenaire, un protocole pour faciliter l’accès des équipements culturels aux personnes handicapées.
Je veux également rappeler l’action menée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin qui, en 2003, alors qu’il était Premier ministre, a engagé un plan de 9 milliards d’euros sur quatre ans en faveur du développement de l’autonomie personnelle.
Je pense encore à la mobilisation de Marie-Anne Montchamp pour l’emploi des personnes handicapées, quand elle était secrétaire d'État.
Bien évidemment, je veux saluer la force de l’engagement du président Jacques Chirac. C’est en effet sous son mandat que la loi du 11 février 2005 a été adoptée. Ce texte portait une magnifique ambition, celle de couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées. Son adoption a soulevé l’enthousiasme des familles qui voyaient enfin poindre à l’horizon de dix ans une compensation effective des conséquences du handicap subi par leurs proches. Sept ans après, au mois de juillet 2012, notre collègue Claire-Lise Campion a présenté avec Isabelle Debré un remarquable rapport d’information sur l’application de cette loi et son bilan à trois ans de l’échéance du mois du 1er janvier 2015.
Avec cet important travail, nos deux collègues ont souligné combien le texte du mois de février 2005 avait modifié la politique en faveur des personnes handicapées : « Très ambitieuse, la loi dite “ Handicap ” entend couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées. Cette approche transversale constitue sa force, mais aussi sa faiblesse, car elle exige un travail important de pilotage et de mise en œuvre qui, sept ans après son adoption, n’est pas encore achevé. »
Dans le cadre de ce rapport d’information, Claire-Lise Campion et Isabelle Debré ont toutes les deux décidé de se concentrer sur quatre principaux axes : la compensation du handicap et les maisons départementales des personnes handicapées, ou MDPH, la scolarisation des enfants handicapés, qui se heurte encore sur le terrain à de nombreuses difficultés, la formation et l’emploi des personnes handicapées, avec un bilan en demi-teinte, selon elles, enfin, l’accessibilité à la cité, chantier d’une ambition sociétale considérable qui, malgré les avancées, accuse encore un sérieux retard. Sur ce dernier point, elles ont émis des propositions pour « donner un nouvel élan à l’accessibilité » et ont regretté que, à trois ans de l’échéance fixée par la loi, force était de reconnaître que la mise en accessibilité de l’ensemble du cadre bâti, de la voirie et des transports n’était pas encore totalement réalisée.
Mes chers collègues, cette proposition de loi que je soumets aujourd’hui à votre approbation est une modeste contribution à la voie que Claire-Lise Campion et Isabelle Debré ont tracée à travers les préconisations de ce rapport d’information. Elle aurait pu largement prendre sa place dans le cadre de cet important travail, mais, par le hasard du calendrier du Sénat, elle se trouve aujourd’hui inscrite à l’ordre du jour de nos travaux, dans le cadre de la niche parlementaire, ce qui, je le sais, a donné lieu à discussion. Ce texte s’inscrit naturellement dans le volet relatif à l’accessibilité de la voirie.
Vous l’avez noté, mes chers collègues, il s’agit là d’un débat qui dépasse les partis. Le Président de la République, François Hollande, dans la lignée de ses prédécesseurs, a souhaité marquer l’importance de cette question en consacrant l’existence d’un volet handicap dans chaque texte de loi.
Et je veux à cet instant saluer l’engagement sans faille et l’implication très forte de Mme Carlotti, ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion.
C’est ainsi que nous avons discuté voilà quelques mois, dans cet hémicycle, des conditions de l’accès à l’école des élèves en situation de handicap dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Des avancées significatives ont pu avoir lieu.
Il nous revient à notre tour, dans le cadre de l’ordre du jour réservé à l’initiative parlementaire, d’apporter notre contribution en faveur d’une accessibilité la plus importante possible. Cette proposition de loi, si elle était adoptée, irait dans ce sens.
Ainsi, fort de mon expérience de terrain, je constate que, si la mise en accessibilité des espaces publics et privés est réelle, il n’est bien souvent pas possible de se garer à proximité de ces lieux. Cela signifie peut-être que nous avons raté la cible... Lorsque des personnes en situation de handicap se rendent en centre-ville, à la préfecture ou au conseil général pour assister aux réunions des commissions départementales d’accessibilité, elles doivent laisser leur véhicule dans le quartier où ne se trouvent bien souvent que des parkings payants, ou aller plus loin pour profiter des parkings en zone bleue.
C’est pour combattre cette discrimination, pour éviter à ces personnes de subir cette difficulté supplémentaire que j’ai déposé cette proposition de loi pour la gratuité des parkings sans limite de durée autour des lieux publics ou privés. Ce texte entend œuvrer en faveur d’une société inclusive. Le travail accompli par la commission des affaires sociales a permis des avancées : j’accepte bien volontiers les amendements qui ont été présentés et adoptés.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’a pas d’autre objectif que de s’inscrire dans le débat général sur le handicap. Elle vise à faire en sorte que nos concitoyens handicapés ne soient pas victimes d’une double peine quand ils se déplacent. Ils doivent pouvoir laisser leur véhicule à proximité de l’endroit où ils se rendent en bénéficiant d’un stationnement sans limitation de durée. Cela leur permettra de se sentir un peu moins différents et ils pourront ainsi, comme les personnes valides, se rendre dans un commerce ou dans un espace public, ou continuer à participer aux réunions d’une association.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler sur cette proposition de loi. Je tiens à remercier la présidente de la commission des affaires sociales et le rapporteur, Ronan Kerdraon, de la compréhension dont ils ont fait montre et du travail qu’ils ont accompli.
J’ai conscience d’avoir perturbé, par cette proposition de loi, l’ordre traditionnel de nos travaux et la réflexion en cours. Comme je l’ai souligné, les hasards du calendrier parlementaire nous conduisent à examiner ce texte ce matin. L’objectif n’est pas la gratuité, mais la gratuité est la réponse à un constat que nous dressons. Il nous revient aujourd'hui de faire cesser une discrimination supplémentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis d’impulser une réelle dynamique en faveur de l’accessibilité, portée par cette intention : « l’accès à tout pour tous ».
Même si d’indéniables progrès ont été accomplis, en matière tant de logements neufs, d’établissements recevant du public que de transports, des efforts importants restent à réaliser pour que cet objectif se traduise concrètement dans la vie quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap. Notre collègue Claire-Lise Campion, chargée par le Premier ministre d’une mission sur ce sujet l’année dernière, l’a excellemment démontré dans son rapport intitulé « Réussir 2015 ».
Parmi les nombreux volets que recouvre le sujet de l’accessibilité, celui du stationnement, qui nous préoccupe aujourd’hui, est fondamental. En effet, comment garantir aux personnes en situation de handicap une participation pleine et entière aux activités sociales, professionnelles, éducatives, culturelles, sportives, si elles sont régulièrement confrontées à des difficultés de stationnement dans nos communes ?
Faut-il le rappeler, les contraintes de déplacement que connaissent tous les automobilistes, comme retourner à son véhicule pour recharger un horodateur ou modifier un temps de stationnement sur un disque, sont bien plus prégnantes pour ces personnes.
C’est cette préoccupation qui a conduit notre collègue Didier Guillaume et, avec lui, l’ensemble des membres du groupe socialiste à déposer cette proposition de loi.
L’objectif de ce texte est simple : faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap en leur permettant d’utiliser gratuitement et sans limitation de durée les places réservées et aménagées à leur effet.
De leur propre initiative, une centaine de communes françaises, parmi lesquelles Saint-Brieuc, dans mon département des Côtes-d’Armor, Lille, Paris, Dijon, Grenoble, Nice, Toulouse, Bordeaux, ont déjà mis en place une telle mesure qui, de l’avis général, améliore indéniablement la vie quotidienne de ces personnes. Notre volonté est désormais de la rendre applicable sur l’ensemble du territoire.
À l’heure où la politique d’accessibilité universelle bénéficie d’un second souffle grâce à votre volontarisme et à votre détermination, madame la ministre – j’en veux pour preuve la feuille de route ambitieuse définie lors du comité interministériel du handicap du 25 septembre dernier –, cette proposition de loi nous offre l’occasion de franchir un pas supplémentaire vers une société inclusive.
À l’issue des auditions que j’ai menées, j’ai même acquis la conviction que nous pouvions aller encore plus loin que le texte initial. Pourquoi en effet nous arrêter en si bon chemin alors que d’autres obstacles subsistent ? Il arrive ainsi qu’une personne en situation de handicap doive stationner en dehors des places réservées, soit parce que celles-ci sont déjà toutes occupées, soit parce qu’il n’en existe pas à proximité du lieu où elle se rend. Aussi, c’est d’un commun accord avec Didier Guillaume que j’ai proposé la semaine dernière à la commission un amendement, qu’elle a adopté, visant à étendre le principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement à toutes les places, que celles-ci soient réservées ou non.
Afin de laisser le temps aux autorités compétentes d’intégrer cette nouvelle règle dans leur politique de stationnement, il est prévu que son entrée en vigueur soit différée de deux mois suivant la date de promulgation de la loi.
J’indique que la ville de Saint-Etienne, dont notre collègue Maurice Vincent est le maire, semble pionnière dans ce domaine, puisqu’elle a mis en place, pour les personnes en situation de handicap, la gratuité et la non-limitation de la durée du stationnement sur l’ensemble des places dès 1988, autant dire au siècle dernier ! (Sourires.)
Par ailleurs, je suis conscient que la non-limitation de la durée du stationnement pourrait donner lieu à des pratiques abusives se traduisant par un stationnement d’une durée manifestement excessive – plusieurs jours, une semaine, voire plus –, ce qui, de fait, pénaliserait les autres usagers, qu’ils soient en situation de handicap ou non.
Pour éviter ce phénomène bien connu dit des « voitures ventouses », le texte adopté par la commission prévoit que les autorités compétentes auront la possibilité de fixer une durée maximale de stationnement, qui ne pourra toutefois être inférieure à douze heures, afin de ne pas retomber dans les travers actuels d’une durée limitée à quelques heures seulement.
Cet ajout a le mérite de prévenir les dérives, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales, auquel le Sénat est particulièrement attaché.
Le texte de la commission lève une dernière difficulté concernant les contrats de délégation de service public relatifs à la gestion des parkings publics. Afin de ne pas bouleverser l’économie des contrats en cours, ce qui aurait été une source de contentieux, la nouvelle rédaction précise que le principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement ne s’applique, pour ces parkings, qu’à compter du renouvellement des contrats.
Comme toujours lorsque notre commission débat de la politique du handicap, les échanges ont été nourris et constructifs.
Plusieurs collègues se sont émus du fait que, en accordant aux personnes en situation de handicap la gratuité du stationnement sur l’ensemble des places, ce texte créait une forme de discrimination au bénéfice de ces personnes, lesquelles demandent pourtant à être traitées de la même manière que l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens.
Cet argument insiste sur la difficulté de la politique du handicap qui est de trouver un juste équilibre entre la volonté de garantir l’égalité de traitement entre tous les citoyens, qu’ils soient valides ou non, et la nécessité d’accorder aux personnes handicapées des droits spécifiques compte tenu de leur situation particulière.
Si l’on pousse cet argument de la discrimination jusqu’au bout, il n’aurait pas fallu instaurer un quota de 2 % de places de stationnement réservées, ni même un quota de 6 % de travailleurs handicapés dans les effectifs des entreprises ! Or, mes chers collègues, qui voudrait aujourd’hui remettre en cause ces mesures ?
Je rappelle que, dans toute politique publique, en particulier dans le champ social, des droits spécifiques sont accordés à certains publics. C’est ainsi que les titulaires de minima sociaux bénéficient de tarifs réduits dans les transports publics ou dans certains musées.
Avec cette proposition de loi, il ne s’agit en aucun cas d’ériger en principe général la gratuité pour les personnes en situation de handicap, mais d’apporter une réponse pratique aux difficultés de stationnement que ces dernières rencontrent quotidiennement, afin de tendre vers plus d’inclusion, conformément à l’esprit de la loi de 2005.
Je souhaite pour finir insister sur le fait que cette proposition de loi ne prétend pas résoudre l’ensemble des difficultés posées par la carte de stationnement, parmi lesquelles deux me paraissent devoir être mentionnées.
Tout d’abord, face à l’augmentation régulière du nombre de titulaires de la carte, due notamment au vieillissement de la population, le quota de places réservées est sans doute insuffisant. Les consultations actuellement en cours sur le dossier de l’accessibilité, sous l’égide de notre collègue Claire-Lise Campion, devraient aborder au début de l’année prochaine cette question sensible, dont les conséquences sont importantes pour les communes.
Ensuite, même s’il est délicat de mesurer précisément l’ampleur du phénomène, les MDPH et les titulaires de la carte de stationnement eux-mêmes constatent clairement une recrudescence des pratiques abusives et frauduleuses – utilisation injustifiée, falsification, photocopies de cartes, etc. Une réflexion est actuellement menée dans le cadre de la modernisation de l’action publique en vue de sécuriser l’utilisation de cette carte et de permettre un meilleur contrôle de l’identité de ses bénéficiaires. Mme la ministre nous en parlera sans doute plus précisément au cours de notre débat.
L’objectif de cette proposition de loi est autre : il s’agit de faciliter la vie quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap en leur permettant de stationner gratuitement et sans limitation de durée. Elle est donc porteuse d’une avancée majeure pour ces personnes, mais aussi pour l’ensemble de notre société, car, je le rappelle, l’accessibilité est l’affaire de tous.
Aussi suis-je convaincu que ce texte peut fédérer l’ensemble des groupes de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, monsieur Didier Guillaume, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui doit être saluée à bien des égards.
Elle est d’abord l’occasion pour moi de rappeler que je partage les valeurs fondamentales dont ce texte témoigne, à savoir la société inclusive, qui suppose l’accessibilité universelle. De ce point de vue, comme vous l’avez souligné l’un et l’autre, messieurs, la loi de 2005 est une grande loi de la République ; néanmoins, elle n’a pas été suffisamment portée par les gouvernements précédents. Les derniers décrets permettant son application ont été publiés en 2009, alors que le délai fixé pour l’accessibilité universelle est le 1er janvier 2015.
Dans ce cadre, et afin de maintenir la dynamique de mise en accessibilité, j’ai demandé à Claire-Lise Campion de présider deux chantiers de concertation – j’insiste sur le terme « chantiers », car la tâche est particulièrement complexe.
Le premier vise à définir, avec l’ensemble des acteurs concernés, dont les collectivités locales au premier chef, les agendas d’accessibilité programmée ou Ad’AP. Il s’agira en fait de contrats signés par les gestionnaires des établissements recevant du public et des services de transports qui ne seront pas en situation d’accessibilité au 1er janvier 2015, et donc pas au rendez-vous prévu. Ces contrats préciseront les mesures à prendre pour parvenir à l’accessibilité, ainsi que les délais. Ces Ad’AP, qui nous permettront de maintenir et de renforcer la dynamique de mise en accessibilité après 2015, sont issus du rapport très dense et précis de Claire-Lise Campion, « Réussir 2015 », que je tiens à saluer.
Je remercie également Claire-Lise Campion et Isabelle Debré pour le travail qu’elles sont venues me présenter ensemble sur le bilan de la loi de 2005. Grâce à ce rapport, j’ai pu avancer sur la question des auxiliaires de vie scolaire, les AVS, qui permettent aujourd’hui un meilleur accompagnement des enfants en situation de handicap qui sont scolarisés.
Madame la présidente Annie David, je veux vous dire combien la commission des affaires sociales du Sénat, combien, plus généralement, la Haute Assemblée constitue un lieu de travail important.
Sur les deux chantiers qui sont les miens, le travail de qualité produit par le Sénat représente un apport précieux, et je voudrais que vous en soyez tous collectivement remerciés, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements.)
Je ne le dis pas par démagogie, mais parce que c’est toujours un plaisir de travailler sur des dossiers bien ficelés, bien portés, et de voir que vous êtes capables de surmonter vos divergences politiques dans un but d’intérêt général.
Un second chantier, lui aussi piloté par Claire-Lise Campion, adaptera les normes actuelles d’accessibilité, afin notamment de les simplifier.
Ce faisant, il s’agit non pas de revenir en arrière, mais d’ouvrir l’accessibilité à tous les types de handicaps.
Ces mesures seront introduites dans la loi par ordonnances, processus auquel vous serez pleinement associés par l’examen des projets de loi d’habilitation et de ratification.
Votre souci de voir garanti aux personnes à mobilité réduite un réel accès à la vie en société est manifeste dans cette proposition de loi. Cela me rend optimiste sur nos capacités à avancer ensemble vers l’accessibilité universelle.
Comme vous le rappeliez dans votre exposé des motifs, monsieur Guillaume, la mobilité est un élément central de la société inclusive. Elle conditionne l’accès à l’emploi, à la vie sociale et culturelle, à l’administration – c’est-à-dire aux besoins essentiels et aux services publics –, à l’éducation, aux commerces, notamment de proximité, ou encore, parfois, à la vie affective.
Dans l’esprit de la loi de 2005, nous devons donc compenser les freins à la mobilité des personnes en situation de handicap, dont le stationnement fait bien entendu partie.
Le stationnement constitue un obstacle, parce que nombre de personnes feignent d’ignorer la règle, notamment l’article R. 417-11 du code de la route. La citoyenneté et le civisme commencent par le respect des règles.
Ces places adaptées sont soumises à des normes particulières, dont on ne mesure l’importance que si l’on accepte réellement de se mettre à la place des personnes à mobilité réduite. Ce qui semble être à l’origine un détail peut rapidement devenir un enfer lorsque les règles ne sont pas respectées. Le slogan : « tu veux ma place, prend mon handicap », défendu par de nombreuses associations, trouve là tout son sens.
Le trajet à effectuer entre la voiture et le parcmètre peut également constituer un frein important au stationnement, et donc à la mobilité.
Penser l’accessibilité universelle, c’est tenter de faciliter la vie concrète d’un très grand nombre de nos concitoyens. C’est une ambition qui dépasse largement le champ des personnes en situation de handicap.
Aujourd’hui, 44 % des demandes de carte européenne de stationnement émanent de personnes de plus de soixante ans. Les personnes âgées – rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je n’inclus pas dans cette catégorie tous les plus de soixante ans ! (Sourires.) –, qui constituent une part croissante de la population, sont concernées par l’accessibilité.
Je dis cela, car les débats en commission sur cette proposition de loi ont fait référence au danger de créer une discrimination positive. La discrimination dite « positive » est un traitement différentiel réservé à une catégorie de personnes en fonction de critères qui peuvent être illégitimes d’un point de vue républicain, mais, surtout, qui catégorisent. Elle pense compenser une discrimination de fait, mais souvent l’aggrave dans les esprits.
Le chemin vers l’accessibilité universelle vise au contraire à éliminer tous les obstacles dans l’accès concret à la cité, au sens large. Elle ne catégorise pas, car la mobilité réduite peut concerner chaque personne à un moment où à un autre de son parcours de vie. (M. Jean Desessard applaudit.)
Méconnaître cette différence, c’est faire fi de l’esprit même de la loi de 2005.
La proposition de loi telle que modifiée en commission vise donc la gratuité et la quasi-absence de limitation dans le temps du stationnement sur l’ensemble des places de stationnement ouvertes au public. Le champ actuel du texte est donc beaucoup plus large que celui qui était défini par la version initiale du texte, qui se limitait aux places adaptées.
M. le rapporteur a également laissé la possibilité au maire de fixer une durée maximale de stationnement supérieure ou égale à douze heures, afin de lutter contre le stationnement dit « ventouse ». Cela me paraît raisonnable, tout comme les délais d’adaptation pour les communes et les délégataires.
En conséquence, le principe de la gratuité des places de stationnement pour les personnes titulaires d’une carte européenne de stationnement me paraît justifié, pour des raisons qui ont trait non pas à la discrimination, mais à la compensation d’un handicap.
J’ajouterai une précision : actuellement, la liberté de prendre des dispositions en faveur des titulaires de la carte européenne de stationnement est laissée aux communes. Beaucoup de ces dernières ont déjà adopté la gratuité, partielle ou totale, et je tiens à les féliciter. Le texte de cette proposition de loi laisse cette liberté aux communes, qui pourront ainsi continuer à agir pour les personnes à mobilité réduite. J’insiste, car je ne voudrais pas que ce texte soit interprété comme une façon de recentraliser cette compétence. Tel n’est pas, me semble-t-il, le but de cette proposition de loi.
M. Didier Guillaume. Bien entendu !
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Quant à l’impact financier de cette proposition, il concernera bien entendu les communes au premier chef. Il est toutefois très difficile à estimer, certaines communes appliquant déjà la gratuité, totale ou partielle, d’autres non.
Cet impact dépendra également de chaque convention de délégation et de la manière dont ces dernières seront renégociées pour prendre en compte cette gratuité.
En dépit de toutes les difficultés pour réaliser une évaluation, nous avons estimé cet impact entre 16 millions d’euros et 21 millions d’euros par an, un chiffre qu’il faut bien entendu considérer avec énormément de précautions.
À titre de comparaison, et selon l’INSEE, le budget total des communes en 2012 était de 96,3 milliards d’euros.
L’impact sera donc marginal, et naturellement inexistant pour les communes qui sont déjà passées à la gratuité totale.
Pour toutes ces raisons, et parce que le Gouvernement est particulièrement attaché au rôle de représentation de l’ensemble des collectivités territoriales exercé par le Sénat, il émet un avis de sagesse sur ce texte.
Bien entendu, monsieur Guillaume, cette proposition de loi bouscule quelque peu le travail que nous sommes en train de réaliser ; c’est pourquoi nous nous en remettons à la sagesse du Sénat. Mais je crois justement que c’est en bousculant les choses que l’on arrive à avancer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout, ou presque, a déjà été dit par l’auteur de la proposition de loi, dans son exposé.
Monsieur Guillaume, vous avez montré combien l’accessibilité est un enjeu majeur de la lutte pour favoriser le déplacement des personnes en situation de handicap ; je ne reviendrai donc pas sur ces points, qui ont été fort bien exposés.
Le législateur a pris ses responsabilités ces dernières années, et plusieurs textes ont défini un cadre juridique pour l’accessibilité.
La loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées instaure le principe de l’accessibilité aux installations ouvertes au public.
La loi du 13 juillet 1991 prévoit pour sa part que la voirie ouverte à la circulation publique doit être aménagée pour permettre l’accessibilité des personnes en situation de handicap.
Nous avons beaucoup parlé de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées , qui définit un objectif d’accessibilité complète des établissements recevant du public et prévoit l’élaboration d’un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics dans chaque commune.
Enfin, le décret du 21 décembre 2006 précise qu’au moins 2 % de l’ensemble des emplacements de chaque zone de stationnement doivent être accessibles et adaptés aux personnes circulant en fauteuil roulant.
L’arsenal législatif en faveur de l’accessibilité est quantitativement important et devrait théoriquement permettre de lutter avec efficacité contre l’exclusion des personnes à mobilité réduite. Or, en se penchant sur la mise en œuvre des textes, on se rend compte qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir.
En juillet 2012, selon la délégation ministérielle à l’accessibilité, seulement 13 % des plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics ont été adoptés. Ils ne couvrent donc que 30 % de la population.
Pourtant, l’accessibilité est une préoccupation de nos concitoyens puisque, selon une étude OpinionWay de juin 2013, plus des trois quarts des Français jugent indispensable d’améliorer l’accès aux établissements publics, aux commerces de proximité, aux habitations, aux transports et aux lieux de culture.
Vous avez, madame la ministre, expliqué les raisons de cette attitude. Nous sommes solidaires des personnes en situation de handicap ou de leurs parents, et il peut nous arriver à tous, à un moment donné, d’être confrontés à un problème d’autonomie et d’accessibilité. Nous, écologistes, appelons cela « la ville lente ».
Les écologistes ont forgé le concept de « ville lente » et le défendent pour passer d’une situation où la ville fait l’objet d’aménagements spécifiques à une situation où tous les déplacements au sein d’une ville sont prévus d’emblée. La « ville lente », c’est une conception de la ville au quotidien qui ne se réduit pas aux personnes en pleine possession de leurs moyens, aux plus valides, aux plus vaillants, mais qui englobe l’ensemble de la population : les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les familles avec des poussettes.
Voilà qui me conduit à évoquer un souvenir remontant à 1989, année où je militais dans une association pour les transports collectifs. Il n’y avait alors plus aucun tramway, les tramways modernes n’ayant pas encore remplacé les tramways anciens. Et les adversaires de ce mode de transport, ceux qui étaient hostiles à sa réinstallation, disaient que l’autobus était préférable au tramway, qu’il était plus commode que ce dernier, car il s’adaptait aux rues.
Pour notre part, nous expliquions que, si nous préférions le tramway, c’est parce que la ville est aménagée en fonction de ce dernier et qu’elle est redéfinie au fil des voies de circulation.
C’est le choix du tramway qui a finalement été fait. Et ce dernier a été perçu sur un mode complètement différent, car on s’est aperçu que le tracé immuable, qui pouvait paraître comme un inconvénient, présentait en fait l’avantage de structurer la ville.
De la même façon, prendre en compte le concept de « ville lente », cela veut dire imposer que l’aménagement soit immédiatement pensé en fonction des handicaps dont, comme vous l’avez dit, madame la ministre, nous pouvons tous être atteints un jour. Cela conduit à une approche différente de l’aménagement de la ville, en fonction du handicap.
Voilà donc la raison pour laquelle nous nous accordons tous sur l’importance de l’accessibilité par rapport à l’autonomie.
Ainsi, le responsable de la commission « handicap » de mon parti se fait-il un devoir, quand il vient nous rencontrer à Paris, de ne pas choisir la facilité. Il s’interdit de prendre un taxi pour voir comment il peut se débrouiller tout seul en arrivant dans la capitale. Il veut être en mesure d’apprécier si toute la ville est aménagée pour garantir l’autonomie des personnes en situation de handicap.
Ce matin, nous mettons l’accent sur l’accessibilité, qui est la garante de l’autonomie pour tous nos concitoyens et concitoyennes.
En conclusion, nous voterons cette proposition de loi mais insistons – et je crois que tant M. Guillaume, l’auteur de ce texte, que Mme la ministre l’ont dit – pour ne pas entrer dans la catégorisation.
M. Didier Guillaume. Surtout pas !
M. Jean Desessard. Le fil conducteur de mon intervention, c’est de souligner l’esprit d’une démarche qui ne vise pas à proposer des « plus » pour telle catégorie de la population ou telle situation de handicap. Le concept de « ville lente » ou de ville accessible doit valoir pour tous. Permettre l’accessibilité relève, comme vous l’avez dit, du droit commun. Il faut que les règles soient les mêmes pour tous. À nous d’aménager la ville pour que tous puissent en profiter pleinement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’accès des personnes handicapées à une vie sociale, c’est-à-dire à un emploi, à une scolarité, aux services publics, à la culture ou aux loisirs, dépend avant tout de leur possibilité de se déplacer.
Malheureusement, l’environnement des personnes handicapées rend ces déplacements difficiles au quotidien.
Aussi la loi du 11 février 2005, qui a accompli une réforme sans précédent de la politique du handicap, a-t-elle fait de l’accessibilité l’un de ses principaux objectifs.
Cinq ans plus tard, un Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle a été mis en place afin d’assurer le suivi de la loi et d’identifier les obstacles rencontrés par les personnes handicapées dans leur cadre de vie.
Dans son rapport du 2 octobre 2012, l’Observatoire a signalé les difficultés de stationnement en ville et préconisé un réexamen de la législation en vigueur.
En effet, si des places de stationnement sont réservées en ville aux personnes handicapées, à hauteur de 2%, il arrive fréquemment que celles-ci ne soient pas disponibles ou ne soient pas assez proches de l’endroit où la personne souhaite se rendre. Cela conduit la personne handicapée à utiliser une place non réservée.
Que la place soit ou non réservée, il est nécessaire, pour acquitter la redevance de stationnement, de se déplacer jusqu’à une borne délivrant un ticket.
Aujourd’hui, le rapporteur nous l’a rappelé, la réglementation en ce domaine laisse aux communes le pouvoir d’exempter de redevance les personnes handicapées, ce qui supprime cette contrainte.
Nombreuses sont les municipalités qui ont prévu la gratuité du stationnement sur les places réservées. Beaucoup moins nombreuses sont celles qui l’ont prévue sur l’ensemble des places de stationnement public.
Les personnes handicapées peuvent donc, au hasard de leurs déplacements, stationner dans une ville où elles devront acquitter la redevance, puis, dans une autre où elles n’auront rien à payer. Sur Internet, les personnes handicapées font part de leurs déconvenues, leur stationnement pouvant être gratuit, payant mais toléré, ou, au contraire, verbalisé. Une telle situation est déplorable !
Seule la gratuité de l’ensemble des places de stationnement peut garantir une réelle facilité de déplacement de la personne handicapée, qui n’aura pas à se soucier de la proximité de sa voiture avec un horodateur ! Le rapporteur l’a bien compris en étendant le champ d’application du texte initial.
Je souhaite faire remarquer que cette proposition avait déjà été formulée au sein de la Haute Assemblée par l’un de nos collègues, l’ancien ministre Philippe Bas, président de l’Observatoire de l’accessibilité.
En juillet 2012, il posa une question orale à ce sujet au ministre Manuel Valls, qui répondit que seule une mesure législative pouvait généraliser à tout le territoire les exemptions de redevance de stationnement dont bénéficient les personnes handicapées dans certaines villes.
Notre collègue Philippe Bas proposa donc cette extension par un amendement au projet de loi sur les métropoles, que j’ai cosigné, ainsi que de nombreux collègues de notre groupe.
La ministre au banc du Gouvernement, Mme Marylise Lebranchu, répondit alors que, comme la décision relevait des autorités communales, adopter notre proposition revenait à « déresponsabiliser celles-ci », « à leur dire qu’elles ne sont pas capables d’exonérer les personnes en situation de handicap du paiement du stationnement ». Ajoutant que cela la « choquait », elle appela notre collègue à retirer son amendement en déclarant : « Je trouve que vous faites preuve d’une défiance totale à l’égard des élus de France. Mais si vous voulez affirmer cette défiance, cela relève de votre entière responsabilité ».
La présente proposition de loi a le même objet que celui qui était formulé par notre amendement d’alors.
M. le rapporteur nous avait expliqué en commission que, à sa connaissance, le Gouvernement voulait émettre sur le texte une « sagesse favorable ». J’en déduis que vous faites preuve, madame la ministre, de plus de mesure que Mme Lebranchu.
Comme souvent en droit, une pratique s’est développée – l’exonération de redevance – et une loi doit intervenir pour l’uniformiser, car il ne serait pas normal qu’il y ait rupture de traitement sur le territoire national.
Notre groupe se réjouit donc sur ce point, et un consensus serait enfin réuni si nous n’avions à soulever plusieurs objections. Nous souhaitons en effet souligner l’absence de méthode, qui conduit à un texte approximatif.
Tout d’abord, premier point, le champ d’application de la proposition de loi est à, nos yeux, très large.
Certes, la gratuité des places va éviter à des personnes ayant une mobilité réduite de devoir atteindre un horodateur. Cependant, ce problème ne se pose pas dans les parkings prévoyant un paiement sans qu’il soit besoin de se déplacer : je pense ainsi aux parkings urbains, type Vinci, où l’horodateur se situe à l’issue empruntée par la personne handicapée et où le contrôle s’effectue à la barrière automatique. Les bornes de péage ne soumettent les personnes handicapées à aucune contrainte particulière. Alors, pourquoi obliger les exploitants de ces parkings à rendre leur accès gratuit ? D’un point de vue pratique, cela ne semble pas nécessaire. D’un point de vue commercial, le coût serait obligatoirement répercuté sur les autres usagers.
De ce que nous savons par les associations représentant les personnes handicapées, celles-ci ne demandent pas une telle faveur, elles ne réclament pas un traitement différencié, n’exigent pas une gratuité systématique de leur stationnement. Elles veulent simplement avoir accès à une place quand elles arrivent dans un parking.
Pour cela, la gratuité doit viser les parkings où le paiement demande un déplacement particulier, représente une contrainte, ce qui n’est pas le cas dans les parcs de stationnement que je viens de viser.
Je présenterai donc tout à l’heure un amendement tendant à exclure de tels parkings du dispositif. L’adoption de cet amendement conditionnera notre vote, car une telle mesure nous semble essentielle pour que le texte conserve sa logique et soit équitable.
Ensuite, deuxième point, nous nous interrogeons sur l’opportunité de légiférer aujourd’hui, alors qu’une concertation est en cours. Présidée par notre collègue sénatrice Claire-Lise Campion, elle vise à réviser par ordonnances la loi « handicap » et à réaliser des agendas d’accessibilité.
Ouverte en octobre, cette concertation permettra d’entretenir l’impulsion donnée par la loi de 2005, sachant que la question de l’accès aux places de stationnement ne s’arrête pas à la question de la gratuité.
En effet, madame la ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur plusieurs aspects à prendre en considération avant de légiférer.
Tout d’abord, l’insuffisance du nombre de places réservées. L’APF, qui demande un passage du quota de ces places de 2 % à 4 %, relève l’existence de deux réglementations sans cohérence entre elles : le code de la voirie, qui fixe ces 2 % pour les « personnes circulant en fauteuil roulant », et le code de l’action sociale et des familles, qui élargit la catégorie des bénéficiaires au-delà des personnes en fauteuil roulant, sans pour autant augmenter le quota de places réservées.
Ensuite, les personnes handicapées subissent le développement de pratiques abusives et frauduleuses.
Les cartes européennes de stationnement sont de plus en plus fréquemment utilisées par des personnes n’y ayant pas droit, bien que le stationnement illégal soit sanctionné d’une contravention de quatrième classe, soit 135 euros pour l’amende forfaitaire simple et 90 euros pour une amende forfaitaire minorée.
Si les abus n’ont pas été chiffrés, l’Association des paralysés de France avance sur son site qu’« une carte sur trois serait fausse ou utilisée de manière frauduleuse ».
Il est donc urgent de prendre des mesures, que ce soit en aggravant les sanctions ou en modifiant la technique de fabrication des cartes d’invalidité. Quels engagements pouvez-vous donc prendre devant nous à ce sujet, madame la ministre ?
J’évoquerai enfin un dernier point, madame la ministre : l’impact financier, que vous avez évoqué et qui est difficile à chiffrer.
Nous nous devons d’être particulièrement vigilants et exigeants pour le respect des droits des personnes en situation de handicap et garder à l’esprit le combat quotidien qu’une vie en fauteuil représente.
En instaurant la gratuité de stationnement, nous devons non pas accorder une faveur aux personnes handicapées, mais reconnaître les besoins liés à leur handicap. C’est la raison pour laquelle nous serons attentifs au sort qui sera réservé à notre amendement. Nous estimons regrettable de ne pas attendre les résultats de la concertation en cours. Quoi qu’il en soit, bien sûr, nous ne voterons pas contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous partageons tous le même constat : une société durable et moderne ne peut être qu’une société où l’intégration et la participation des personnes handicapées ou à mobilité réduite à la vie de la cité sont pleines et entières.
Pour ce faire, ces personnes doivent avoir une autonomie de déplacement.
L’utilisation du véhicule est devenue, pour plusieurs d’entre elles, incontournable. En effet, les avancées technologiques des dernières années permettent maintenant à un nombre important de personnes handicapées de conduire leur propre véhicule.
La question de l’accessibilité des installations et des lieux publics ne peut être dissociée de l’importance de l’aménagement de stationnements adéquats et accessibles, sans lesquels un édifice, aussi universellement accessible soit-il, peut demeurer inaccessible à bien des personnes handicapées qui s’y rendent en voiture.
Afin de faciliter les déplacements, les dispositions actuelles de la loi prévoient la réservation de places de stationnement au plus près des équipements publics et de toutes les installations génératrices de déplacements. Ces places bénéficient d’une conception spéciale, adaptée à l’accueil des véhicules transportant des personnes handicapées.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui tend à aller plus loin en fixant pour les personnes handicapées titulaires de la carte de stationnement un principe de gratuité et de non-limitation de la durée de stationnement sur toutes les places de stationnement ouvertes au public, que celles-ci soient réservées ou non.
L’objectif est de limiter les distances que les personnes handicapées doivent parcourir depuis leur lieu de stationnement. Cet objectif est louable et nous le soutenons sans réserve.
Cela étant dit, mes chers collègues, je me permettrai de soulever une question et de vous soumettre une proposition.
Mon interrogation concerne la pertinence d’une extension de l’accès gratuit aux places de stationnement non réservées aux personnes handicapées.
Si les places de stationnement réservées sont relativement larges, c’est parce qu’un dégagement suffisant sur le côté du véhicule s’impose afin que la personne handicapée puisse déployer son fauteuil roulant ou tout autre dispositif d’aide à la mobilité.
Dans une place de stationnement non réservée, elle le pourra beaucoup plus difficilement.
M. Jean-Claude Requier. Elle a raison !
Mme Muguette Dini. Ainsi, lorsqu’un autre véhicule stationnera trop près de celui de la personne handicapée, il est possible que cette dernière ne puisse retourner à sa voiture, faute d’espace suffisant.
M. Jean-Claude Requier. Tout à fait !
Mme Muguette Dini. Dans ce cas précis, les personnes handicapées seront contraintes d’attendre le retour du conducteur.
Devoir stationner son véhicule dans un espace non réservé peut également avoir des conséquences sur la sécurité des personnes se déplaçant en fauteuil roulant. En effet, celles-ci sont trop basses pour être vues des autres automobilistes.
Est-il donc judicieux d’étendre l’accès aux places de stationnement non réservées, sachant qu’elles pourraient être difficilement accessibles, et même dangereuses, pour les personnes handicapées ?
C’est certainement dans la proposition qui a été faite d’une augmentation du nombre de places réservées aux personnes handicapées et d’une modification de leur répartition au sein des villes que réside la réponse à cette question.
M. Didier Guillaume. Bien sûr !
Mme Muguette Dini. Quant à ma proposition, elle concerne les parcs de stationnement disposant de bornes d’entrée et de sortie accessibles de la voiture à la personne handicapée, comme aux autres conducteurs.
J’ai bien compris l’intention de notre collègue Didier Guillaume au travers de cette proposition de loi : il s’agit de ne pas compliquer le stationnement des personnes handicapées en obligeant ces dernières à se rendre d’abord à la borne de paiement, quelquefois trop haute pour pouvoir y lire les indications, puis à revenir au véhicule, à ouvrir et à refermer la porte, etc.
On ne peut qu’adhérer à ce souci de simplification, qui a pour conséquence logique la gratuité du stationnement.
Il en va tout autrement quand la borne de péage est accessible de la portière de la voiture à l’entrée comme à la sortie. Ce serait compliquer considérablement l’accès à ces parkings, à l’heure où l’on nous demande de simplifier, que d’y imposer la gratuité.
Ainsi, au nom du groupe UDI-UC, je vous soumettrai un amendement n° 5 rectifié bis visant à introduire plus de souplesse : nous proposons de laisser aux autorités compétentes la possibilité d’appliquer aux titulaires de la carte de stationnement soit le tarif de droit commun, soit le tarif spécifique fixé pour ces derniers.
N’oublions pas qu’un certain nombre de parcs de stationnement sont indispensables pour se rendre dans certains lieux : je pense, par exemple, au palais de justice de Lyon, qui dispose d’un parking souterrain auquel on accède par des bornes. Si, dans ce cas, on demande au concessionnaire de mettre en place une installation spécifique, il ne manquera pas d’en répercuter le coût sur les tarifs d’ensemble du parking. Il faut donc avoir l’esprit pratique et chercher à simplifier autant que possible.
Je terminerai mon propos en remerciant notre rapporteur, M. Ronan Kerdraon, de la qualité de son écoute. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accessibilité des lieux de vie, de travail ou de loisirs constitue une préoccupation importante de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap.
Leurs difficultés à être mobiles de manière autonome ou leur impossibilité à se déplacer autrement qu’en fauteuil roulant ne doivent pas avoir pour conséquence de réduire l’exercice de leur droit à une vie ordinaire. Être en situation de handicap ne doit pas être synonyme de vie recluse, loin des autres, de la société et de ses plaisirs simples.
C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen s’était opposé aux dérogations aux bâtis existants en matière d’accessibilité prévues dans la proposition de loi de notre ancien collègue Paul Blanc. Pour la même raison, nous étions également contre les dispositions contenues dans la proposition de loi de simplification des normes, issue d’un rapport qui recommandait d’« admettre que l’assistance ponctuelle des personnes peut remplacer, dans certaines circonstances, les aménagements difficilement réalisables ».
Cette proposition, au-delà même du fait qu’elle soit en rupture avec l’esprit de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, aurait constitué une négation du principe d’autonomie de la personne auquel notre groupe est attaché. Être atteint d’un handicap, psychique comme moteur, ne doit pas empêcher ces femmes et ces hommes de prétendre au même degré d’épanouissement que celles et ceux qui ne sont atteints d’aucun handicap.
Cela suppose que nous soyons capables de contribuer à changer le regard porté sur les personnes en situation de handicap, et je sais que vous y êtes attachée, madame la ministre.
Mais cela suppose également l’adoption de mesures concrètes permettant la construction d’une société réellement inclusive, dans laquelle toutes et tous pourraient trouver leur place.
Pour ce faire, encore faut-il que nos lois tiennent compte des besoins de toutes et tous. Et là encore, madame la ministre, en tant que membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées, je suis témoin de votre détermination dans ce domaine et du soin que vous apportez, avec le Président de la République, à la mise en œuvre de l’approche transversale promise par le Gouvernement.
Mais au-delà des lois et des mentalités, ce sont aussi nos espaces de vie, les règles d’urbanisme et de déplacement qui doivent évoluer.
Par cette proposition de loi, en permettant aux personnes en situation de handicap de bénéficier de la gratuité sur l’ensemble des places de stationnement et non pas seulement sur celles qui leur sont réservées, notre collègue Didier Guillaume, avec le soutien de M. le rapporteur, y contribue : cette disposition simplifiera bel et bien la vie des personnes handicapées.
Je le sais, car cela a fait l’objet de débats en commissions, certaines associations sont réservées sur cette proposition de loi, en arguant – et je comprends ce raisonnement – qu’elles ne demandent rien d’autre qu’une société inclusive, c’est-à-dire une société sans privilèges, exclusivités et exclusions.
Je les comprends d’autant plus que, comme elles, nous sommes persuadés que la notion de « conception universelle », dont nous souhaitons qu’elle devienne la règle, n’est pas spécifique au cas des personnes handicapées, tout au contraire, puisqu’il est bien question de bâtir une société adaptée aux besoins de tous, des personnes en situation de handicap aux personnes vieillissantes, en passant par les parents avec des poussettes.
Mais qu’y a-t-il de plus injuste qu’une personne à mobilité réduite qui est verbalisée pour n’avoir pas pu accéder à l’horodateur ou retourner à son véhicule, et qui a donc dû prolonger la durée de stationnement de ce dernier ? N’est-il pas injuste de sanctionner financièrement, sous la forme d’amendes, des personnes qui, faute de pouvoir recourir de manière satisfaisante aux transports en commun, sont contraintes de supporter le poids économique lié à un déplacement en véhicule ? L’augmentation des prix des places de stationnement et des carburants constitue à ce titre des surcoûts financiers injustes, particulièrement au regard des revenus généralement modestes dont disposent les publics concernés par cette proposition de loi.
Si le groupe CRC a fait le choix de soutenir cette proposition de loi, c’est que nous considérons qu’elle s’apparente à une forme de compensation du manque d’accessibilité des transports en commun,…
M. Didier Guillaume. C’est exactement cela !
Mme Isabelle Pasquet. … et, disons-le clairement, des difficultés rencontrées aujourd’hui par les personnes en situation de handicap lors de leurs déplacements en transports en commun, particulièrement lorsqu’il s’agit de transports interurbains.
Mais si nous sommes clairs sur ce principe, nous souhaitons l’être sur un autre : l’adoption de cette mesure ne peut et ne doit pas servir de prétexte à un renoncement à l’objectif de l’accessibilité universelle dès 2015. Des travaux sont en cours sur ce sujet, et nous serons particulièrement vigilants à ce que cette mesure ne soit pas de nature à justifier des dispositifs d’adaptation de ce principe, qui seraient en réalité des renoncements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées de 2005 a constitué une avancée significative pour les droits des personnes en situation de handicap, notamment en réaffirmant le principe d’accessibilité pour tous.
L’accessibilité, selon la délégation interministérielle aux personnes handicapées, doit permettre « l’autonomie et la participation des personnes ayant un handicap, en réduisant, voire en supprimant, les discordances entre leurs capacités, leurs besoins et leurs souhaits d’une part, et les différentes composantes physiques, organisationnelles et culturelles de leur environnement d’autre part ».
La possibilité de se déplacer va dans le sens d’une plus grande accessibilité. Elle est une condition indispensable pour s’intégrer dans la société et participer aux activités sociales, éducatives ou professionnelles. La mobilité des personnes handicapées dépend pour l’essentiel des places de stationnement qui leur sont réservées. C’est dans cet esprit qu’une politique de stationnement spécifique a été déployée sur l’ensemble du territoire pour réserver des places aux seuls titulaires de la carte de stationnement pour personnes handicapées. Il s’agissait aussi de limiter le déplacement de ces personnes entre la place de stationnement et le lieu où elles souhaitent se rendre.
Pour autant, la mobilité des personnes handicapées reste encore trop souvent problématique en France.
Surtout – et nous le savons bien –, un certain nombre de conducteurs valides font preuve d’incivilité en stationnant sur les places réservées au plus grand mépris des droits des personnes handicapées. Les différentes associations dénoncent régulièrement ces pratiques et la presse s’en fait souvent l’écho. Néanmoins, ce phénomène ne cesse de s’aggraver. Même si le handicap n’est pas toujours visible, combien d’entre nous n’ont pas vu un jour un automobiliste sortir en courant d’une voiture stationnée sur une place réservée et dire à la cantonade : « Juste deux minutes, je reviens ! » ? (Mme la ministre déléguée acquiesce.)
Depuis quelques années, on observe également une recrudescence des pratiques abusives et frauduleuses à la carte de stationnement. Si les abus n’ont pas été chiffrés, l’Association des paralysés de France estime qu’une carte sur trois serait fausse ou utilisée de manière frauduleuse. Ainsi, certaines personnes n’ont aucun scrupule à utiliser la carte d’un parent placé en maison de retraite depuis plusieurs années, voire décédé ! D’autres n’hésitent pas à voler ces cartes, ou même à les falsifier.
Et le travail des forces de l’ordre pour repérer avec certitude les fausses cartes est particulièrement difficile. Les associations et les maisons départementales des personnes handicapées dénoncent régulièrement le caractère rudimentaire du badge « handicapé ». Le processus de fabrication et son simple support papier favorisent, il est vrai, son usurpation. Le recto, visible depuis l’extérieur de la voiture, n’indique que le numéro de la carte et sa durée de validité. Le nom et la photo du détenteur se situent, quant à eux, au verso.
Par ailleurs, les agents de police ne disposent pas de liste officielle des détenteurs de la carte d’invalidité. Il est donc indispensable de renforcer les contrôles de l’utilisation des places réservées pour en garantir l’occupation par les seuls détenteurs d’une carte en bonne et due forme.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. C’est d’ailleurs ce que préconise l’Observatoire interministériel de l’accessibilité en contrepartie de la possibilité pour les personnes à mobilité réduite de stationner gratuitement sur tout emplacement.
Pour lutter contre ces usages abusifs, le modèle de la rigueur viendra peut-être de la Corse ! (Exclamations amusées.) L’association Stella Zitellina, en partenariat avec l’Association des paralysés de France, a eu une idée assez intéressante : elle propose notamment que la liste des détenteurs de carte de stationnement soit communiquée aux gendarmeries et commissariats de police des principales villes de Corse, afin que les forces de l’ordre puissent la croiser avec le fichier des immatriculations de véhicule.
L’objectif de la proposition de loi présentée par le groupe socialiste est légitime, et nous ne le contestons pas. On peut toutefois regretter que celle-ci soit débattue alors que le Premier ministre a annoncé en septembre dernier la mise en place d’une large concertation sur le thème de l’accessibilité, dont la présidence a été confiée à notre collègue Claire-Lise Campion. Ses conclusions devraient justement permettre de compléter et d’améliorer les dispositifs législatifs et réglementaires existants, de faciliter la mise en accessibilité des établissements recevant du public, de la voirie et des transports publics.
Nous aurions pu mener une réflexion de grande ampleur, aborder cette question dans le cadre d’une politique globale, transversale et cohérente. La question de l’accessibilité, facteur déterminant de l’amélioration de la qualité de vie des personnes handicapées, est au cœur de notre pacte républicain et doit le rester.
Au-delà de ces considérations, le groupe du RDSE votera en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a fait, depuis sa promulgation, l’objet d’observations, de bilans et de rapports visant à évaluer et à contrôler son application.
L’auteur du texte que nous examinons, Didier Guillaume, a sans nul doute suivi ces travaux, en particulier ceux de nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré, qui ont rédigé un rapport sénatorial sur l’application de cette loi, en date de juillet 2012. Elles y rappellent les quatre piliers sur lesquels repose l’égalité des droits et des chances : une définition du handicap qui intègre toutes les formes de déficience ; l’instauration d’un droit à la compensation des conséquences du handicap ; la mise en place d’une nouvelle gouvernance associant plus étroitement les personnes handicapées et leurs représentants ; l’accès des personnes handicapées à tous les droits fondamentaux reconnus aux citoyens, avec la question primordiale de l’accessibilité. C’est cet aspect qui nous réunit aujourd’hui.
Les conclusions de ce rapport sont sans appel : une nouvelle dynamique en faveur de l’accessibilité se doit d’être enclenchée. En parallèle des négociations que mène actuellement Claire-Lise Campion, la proposition de loi de Didier Guillaume participe de cette nouvelle impulsion, certes modestement, mais concrètement.
L’accessibilité est la condition sine qua non de l’égalité et, à ce titre, une priorité du Gouvernement, qui doit appeler une mobilisation collective inédite. Le concept d’« accessibilité universelle » veut garantir l’accès de tout à tous, et cela commence par pouvoir se garer facilement pour ceux qui possèdent une voiture qu’ils peuvent conduire ou faire conduire par leur accompagnant. Le fait d’aller à son travail, au cinéma, au restaurant, voir une exposition, de se rendre à la mairie, à la pharmacie ou au supermarché doit être suffisamment simple pour qu’on n’y renonce pas en anticipant les contraintes qui peuvent être liées au stationnement.
La vie quotidienne est compliquée pour les personnes en situation de handicap. C’est pourquoi nous entendons la simplifier en supprimant les déplacements nécessaires au paiement de la redevance de stationnement. En ce sens, l’accès gratuit au stationnement doit être considéré comme une étape vers plus d’autonomie et s’inscrit bien dans la démarche volontariste du Gouvernement pour une nouvelle dynamique de la politique du handicap.
Le 25 septembre 2013, le comité interministériel du handicap, installé par décret en 2009 mais qui ne s’était jamais réuni depuis lors, a instauré un pilotage interministériel au plus haut niveau de l’État à travers la mobilisation de l’ensemble des membres du Gouvernement. L’objectif commun est de développer une société plus inclusive, une citoyenneté effective pour les personnes porteuses de handicap. La volonté est commune de lutter contre toutes les formes de discrimination et de faire advenir une égalité réelle et concrète. Ce sont les orientations voulues par le Gouvernement pour que chaque politique ministérielle prenne en compte l’enjeu du handicap, que ce soit en matière de logement, d’éducation nationale, de santé ou dans tout autre domaine.
L’une des mesures préconisées est de réévaluer les critères d’attribution des cartes de stationnement, qui sont aujourd’hui délivrées par le préfet pour une durée déterminée d’un an minimum ou à titre définitif, après instruction de la demande par le médecin de l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées. Ces cartes permettent aujourd’hui à leurs titulaires ou à leurs accompagnants d’utiliser les places aménagées selon une politique de stationnement qui relève de la compétence des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI. Le quota de 2 % de places réservées aux titulaires de la carte de stationnement, qu’elles soient sur les voies ouvertes à la circulation publique ou dans les parcs de stationnement recevant du public, est d’ailleurs presque atteint au niveau national.
C’est également aux communes ou aux EPCI de mettre en place la politique tarifaire du stationnement. Le principe de libre administration des collectivités locales s’appliquant, ils ont autorité pour moduler le tarif en fonction de la durée de stationnement, pour définir des tranches horaires gratuites et pour accorder des tarifications spéciales pour certaines catégories d’usagers. Ainsi, certaines villes ont d’ores et déjà instauré, par une politique volontariste et citoyenne, la gratuité du stationnement sur les emplacements réservés aux personnes en situation de handicap. Citons, par exemple, Paris, Lille, Lyon, Bordeaux, Dijon, Saint-Étienne – depuis 1988 ! –, Cherbourg, Nice, Clermont-Ferrand, Lens, Perpignan,… Plusieurs de ces villes, Paris et Saint-Étienne notamment, ont même étendu la gratuité à l’ensemble des places de stationnement sur la voirie. En outre, il existe des villes qui, bien que maintenant officiellement le paiement de la redevance pour les titulaires de la carte de stationnement, ont donné des consignes de « tolérance » pour les dépassements horaires, par exemple Metz, Nîmes ou Uzès.
Ce texte s’inscrit dans cette tendance de fond et propose de généraliser l’accès gratuit à l’ensemble des places de stationnement, afin de ne pas soumettre les personnes en situation de handicap aux mêmes contraintes de déplacements que les autres automobilistes. Pour que cette disposition n’ait pas une incidence trop importante sur les finances publiques, impact extrêmement difficile à chiffrer comme l’ont expliqué le rapporteur et la ministre, les pratiques abusives devront cependant être anticipées. C’est pourquoi nous proposons de fixer une durée maximale de stationnement qui ne pourra cependant pas être inférieure à douze heures. Dans le cas des parkings gérés dans le cadre d’une délégation de service public, il est préconisé de n’appliquer ce principe de gratuité qu’à compter du renouvellement des contrats afin d’éviter tous risques de contentieux juridiques liés à la jurisprudence sur les avenants.
Cette proposition de loi, comme je le disais au début de mon propos, n’a évidemment pas la prétention de résoudre l’ensemble des difficultés liées à la carte de stationnement. Claire-Lise Campion travaille toujours activement sur le dossier de l’accessibilité, et les consultations qu’elle mène à ce propos devraient notamment lui permettre d’aborder la question sensible du quota de places réservées. C’est pour ne pas interférer dans ces négociations que cette question n’a pas été directement abordée dans le texte. Il nous semble que c’est une sage décision.
Parallèlement, la réflexion menée dans le cadre de la modernisation de l’action publique devrait aboutir à sécuriser l’utilisation de la carte de stationnement. En effet, 1 500 000 cartes sont actuellement en circulation, et, la demande étant toujours croissante – on observe une augmentation de 11 % par an ces dernières années –, certaines pratiques frauduleuses ont pu être relevées par les maisons départementales des personnes handicapées.
Au-delà de la question du stationnement, l’accessibilité apparaît comme un domaine que le nombre de règles techniques induites et la multiplicité des acteurs qui interviennent rendent complexe. Mais c’est aussi un secteur de développement et potentiellement porteur d’emplois nouveaux.
Si les délais fixés par la loi de 2005 ne sont pas respectés, le projet doit se poursuivre par d’autres moyens. Parmi ceux-ci, les agendas d’accessibilité programmée, que j’évoquais il y a un instant, « vont permettre d’affirmer un engagement et de partager des objectifs clairs, programmés et financés », comme l’explique Claire-Lise Campion dans la conclusion de son rapport Réussir 2015.
Aujourd’hui, nous sommes là, avec cette proposition de loi, au début de la mise en œuvre d’une solidarité ambitieuse qui nécessite la mobilisation de tous. Il me semble que nous pouvons tous souscrire à une disposition très concrète pour poursuivre, avec nos concitoyens ayant une mobilité réduite, le chemin vers l’accessibilité universelle. Je remercie donc Didier Guillaume de son initiative, et je vous encourage, chers collègues, à adopter le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Le Sénat nous bouscule. (Sourires.) Puisque vous nous invitez à débattre des places de stationnement, mesdames, messieurs les sénateurs, il me semble nécessaire de vous faire part du travail que nous effectuons concernant les cartes de stationnement, dont le nombre est estimé à 1,5 million, pour 38 millions de permis de conduire. Sachez que nous entreprenons de les simplifier, de les moderniser, de les dématérialiser dans le cadre de la modernisation de l’action publique.
La dématérialisation apporterait beaucoup plus de fluidité. Qui délivre ces cartes ? Ce sont les MDPH. Qui les édite ? Là, la réponse n’est pas claire. C’est pourquoi nous devons poser les choses sur la table.
Nous avons également besoin d’une simplification. La validité d’une carte est au minimum d’un an. En moyenne, la délivrance vaut pour cinq ans, voire même pour toute la vie pour certaines personnes. Or il nous faut faire en sorte que le rythme de renouvellement de la carte de stationnement ne soit pas trop contraignant pour les personnes en situation de handicap.
Enfin, comme vous l’avez mentionné, monsieur Desessard, nous devons améliorer les contrôles et mieux mesurer l’ampleur de la fraude. Je précise d’ailleurs que la police a reçu pour instruction de verbaliser plus systématiquement les personnes qui manquent de citoyenneté en se garant sur ces emplacements réservés. D’après les chiffres – je ne dispose au moment où je vous parle que de ceux de 2012 –, 174 826 contraventions concernant l’occupation illégale des places de stationnement ont été dressées, soit 14 % de plus que l’année précédente. Cela marque une véritable volonté de sanctionner ces comportements.
Cela étant, le travail concernant les cartes de stationnement étant en cours, je ne serai pas en mesure de vous présenter le dispositif avant six mois.
Je tiens à préciser que la proposition de loi ne vient pas doublonner le travail de Claire-Lise Campion. Au contraire, elle le complète, voire l’anticipe. Je peux d’ailleurs vous dire qu’elle aura besoin de tout notre soutien, car simplifier les procédures, concilier des intérêts différents, répondre aux attentes des collectivités territoriales – qu’il ne faut pas étouffer – est extrêmement compliqué.
Sans revenir sur une grande loi de la République, nous devons faire en sorte que toute la société soutienne l’objectif d’accessibilité et éviter que cette question ne devienne une source de conflit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.
Article 1er
I. – L’article L. 241-3-2 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° La première phrase du troisième alinéa est remplacée par une phrase ainsi rédigée :
« La carte de stationnement pour personnes handicapées permet à son titulaire ou à la tierce personne l’accompagnant d’utiliser, à titre gratuit et sans limitation de la durée du stationnement, toutes les places de stationnement ouvertes au public. » ;
2° Après la première phrase du troisième alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, les autorités compétentes en matière de circulation et de stationnement peuvent fixer une durée maximale de stationnement qui ne peut être inférieure à douze heures. »
II (nouveau). – Le I entre en vigueur deux mois après la date de promulgation de la loi n° … du … visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement et, pour les conventions de délégation de service public relatives à la gestion des parcs de stationnement affectés à un usage public en cours à cette date d’entrée en vigueur, à compter de leur renouvellement.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Pasquet, M. Watrin, Mmes Cohen et David, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
mentionnées à l’article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales ainsi que celles, intérieures ou extérieures d’un établissement mentionné à l’article R. 123-2 du code de la construction et de l’habitation
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Lors de la discussion générale, j’ai eu l’occasion d’indiquer que notre groupe soutenait la proposition de loi. Pour autant, elle ne doit pas se traduire dans les faits par un relâchement des maires en matière d’accessibilité, de création de places adaptées et de contrôle quant à l’utilisation frauduleuse de ces places.
Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, certains de nos collègues sont intervenus pour exprimer leurs inquiétudes sur le fait que celle-ci pouvait ne pas concerner les stationnements privés des établissements recevant du public, qui sont des voies privées ouvertes à la circulation du public. Or, nous le savons, de nombreux établissements publics, qui sont soumis aux règles en vigueur en matière de création de places réservées pour les personnes en situation de handicap, ont rendu payant l’accès à leur parc de stationnement.
Afin de s’assurer que ces places sont visées par la proposition de loi et que les personnes en situation de handicap peuvent bénéficier de la gratuité de la même manière que si elles stationnaient dans des parcs de stationnement attenant à la voirie ou faisant l’objet d’une délégation de service public, nous proposons cet amendement de précision et de clarification. Nous savons que la jurisprudence prévoit déjà une telle mesure, mais il serait préférable de l’inscrire dans la loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Je comprends l’optique dans laquelle nos collègues du groupe CRC ont déposé cet amendement, d’autant qu’il fait référence à une discussion que nous avons eue en commission des affaires sociales, sur l’initiative de Jean-Pierre Godefroy, qui avait évoqué les parkings des hôpitaux et des gares SNCF.
Cependant, depuis lors, nous avons effectué une longue recherche, un vrai travail de fourmi. Il en est ressorti que cet amendement, qui vise à inclure dans le champ de la proposition de loi les parcs de stationnement desservant des établissements recevant du public, des ERP, est déjà satisfait. En effet, selon la jurisprudence, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 1982 – c’était au siècle dernier, je vous l’accorde, cher Didier Guillaume –, les voies et les parkings desservant les ERP font partie des lieux de stationnement ouverts au public pour lesquels les autorités compétentes peuvent réserver et aménager des emplacements destinés aux personnes titulaires de la carte de stationnement. Par conséquent, ces voies et parkings sont bien concernés par l’application du principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement.
La commission demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Je partage l’avis du rapporteur : votre amendement est déjà satisfait par le droit en vigueur et la jurisprudence, madame Pasquet.
La proposition de loi vise les « places de stationnement ouvertes au public ». Cette formulation est très proche de celle figurant dans le code de l’action sociale et des familles, qui évoque les « lieux de stationnement ouverts au public », et la jurisprudence confirme cette règle.
M. le président. Madame Pasquet, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
Mme Isabelle Pasquet. Oui, monsieur le président. Il est préférable d’inscrire cette précision dans la loi. Cela permettrait d’éviter les recherches que vient d’effectuer le rapporteur.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mmes Deroche, Boog, Bouchart et Bruguière, M. Cardoux, Mmes Cayeux et Debré, MM. Dériot, Fontaine et Gilles, Mmes Giudicelli et Hummel, M. Husson, Mme Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Milon et Pinton, Mme Procaccia et MM. de Raincourt, Savary et Bas, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette gratuité ne s’applique pas aux parcs de stationnement équipés de distributeurs et de bornes de péage situés aux sorties accessibles aux personnes handicapées.
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Je serai brève, car j’ai déjà abordé cette question lors de la discussion générale.
Nous souhaitons que la gratuité ne s’applique pas aux parcs de stationnement équipés de distributeurs et de bornes de péage situés aux sorties accessibles aux personnes handicapées.
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié bis, présenté par Mme Dini et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Elles peuvent également prévoir que, pour les parcs de stationnement disposant de bornes d'entrée et de sortie accessibles par les personnes handicapées de leur véhicule, les titulaires de cette carte soient soumis au paiement de la redevance de stationnement en vigueur. »
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. J’ai moi aussi abordé cette question lors de la discussion générale. Il me semble tout à fait normal – j’y insiste – que le stationnement soit gratuit pour les personnes handicapées sur toutes les parties de la voie publique dépendant directement des communes et dotées d’une borne extérieure qui nécessite que le conducteur sorte de son véhicule. Il convient en effet de simplifier la vie des personnes handicapées.
En revanche, il me semble totalement inutile d’imposer la gratuité du stationnement des personnes handicapées dans les parkings disposant de bornes d’entrée et de sortie accessibles du véhicule, que ces parkings soient privés ou gérés dans le cadre d’une délégation de service public. Il appartient aux autorités compétentes de passer des contrats avec les délégataires. N’imposons pas une gratuité qui impliquerait des installations supplémentaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. L’amendement n° 6 rectifié bis vise à introduire une exception – déjà ! – au principe nouveau posé à l’alinéa 3 de l’article 1er.
L’amendement n° 5 rectifié bis me semble en revanche mieux formulé. Il constitue en outre un excellent compromis puisqu’il laisse aux maires la possibilité de soumettre ou non les titulaires de la carte de stationnement au paiement de la redevance en vigueur.
Nous invitons Catherine Deroche à retirer son amendement au profit de celui de Muguette Dini, qui procède du même esprit tout en respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales, ce qui est important pour nous.
J’indique par ailleurs que la commission demande la priorité de mise aux voix de l'amendement n° 5 rectifié bis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Je ne peux être favorable à l’amendement de Catherine Deroche, dans la mesure où il ne donne pas le choix aux maires.
Je comprends l’objet de l’amendement de Muguette Dini. J’appelle cependant votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la difficulté de rendre accessibles les bornes d’entrée et de sortie des parcs de stationnement, qui sont souvent plus grandes que les parcmètres en général. Je sais que le maire peut choisir d’exclure un parking de la gratuité s’il le juge nécessaire, mais il faut définir des critères lui permettant de décider. C'est pourquoi je m’en remets à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. le président. M. le rapporteur a demandé, au nom de la commission, la priorité de mise aux voix de l’amendement n° 5 rectifié bis.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. La priorité est de droit.
La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote sur l'amendement n° 5 rectifié bis.
M. René-Paul Savary. L’amendement de Catherine Deroche soulève une vraie question ; c'est la raison pour laquelle je l’ai soutenu. Cette proposition de loi très simple, qui part d’un bon sentiment – il ne pouvait en être autrement, puisque son auteur est Didier Guillaume –, pose en effet un certain nombre de problèmes. C'est pourquoi j’ai émis des réserves lors de nos débats en commission.
Ici, la question du libre exercice des compétences communales est soulevée. C’est le principe de libre administration des collectivités territoriales qui est en jeu. Or certaines villes ont élaboré des plans exemplaires en matière de stationnement des personnes en situation de handicap ; je pense par exemple à Châlons-en-Champagne, dans mon département de la Marne, qui fait des efforts significatifs depuis des années pour améliorer l’accessibilité. Laissons aux maires leur liberté ! C’est à eux de mettre sur pied une politique de stationnement pour les personnes handicapées.
La proposition de loi nous amène à revoir la loi de 2005, mais par le petit bout de la lorgnette. S’agit-il de concevoir la gratuité du stationnement des personnes handicapées comme un droit connexe aux prestations qui leur sont délivrées au titre de la compensation de leur handicap ? Il existe un vrai problème d’accessibilité des bornes et horodateurs des parkings payants. Il faut donc mettre en place une politique incitative pour que ces bornes et horodateurs soient accessibles. Mais de quel handicap parle-t-on ? Il n’y a pas que le handicap moteur, il y en a d’autres, comme le handicap sensoriel. Tous ces éléments doivent s’intégrer dans une véritable politique d’accessibilité, dont la définition pourrait s’appuyer sur le rapport de Claire-Lise Campion, qui est le fruit de l’expérience de la loi de 2005.
On ne peut pas aborder touche par touche ces problèmes d’accessibilité, d’autant qu’il faut également prendre en compte les problèmes de revenu des personnes handicapées. La gratuité ne vise pas à compenser le handicap ; cette mesure a une connotation sociale. Les deux aspects sont complémentaires. Madame la ministre, nous avons déjà eu une discussion similaire à propos du revenu de solidarité active, du RSA, de l’allocation de rentrée scolaire, l’ARS, ou encore de la prime pour l’emploi, la PPE. L’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, est une allocation visant à garantir un revenu minimum aux personnes en situation de handicap. Il faudra examiner cette question dans le cadre global de l’aide aux personnes en difficulté, afin d’harmoniser l’ensemble de ces dispositifs. On voit bien que les choses doivent évoluer.
Quand on ajoute une touche particulière à une politique, on la modifie complètement. La gratuité du stationnement pour les personnes handicapées a certes des vertus incitatives, mais ne risque-t-elle pas d’avoir également des effets contre-productifs sur les politiques communales d’adaptation des transports collectifs ? En effet, la gratuité favorise le recours à la voiture au moment même où de nombreuses communes modernisent leurs transports collectifs. Il faut mener une politique globale à l’échelon communal ou intercommunal – l’échelon communal me semble le bon niveau, car cette politique relève des prérogatives des maires – pour trouver un juste milieu adapté à la ville et à sa population. Certaines villes comptent davantage de personnes handicapées parce qu’elles accueillent un institut médico-éducatif ou tout autre équipement destiné aux personnes handicapées.
Je le répète, il faut respecter la liberté d’action de nos maires. C'est la raison pour laquelle nous sommes réservés au sujet de cette proposition de loi, même si elle part incontestablement d’un bon sentiment. À travers l’amendement de Catherine Deroche, nous voulions donc montrer que le texte pose un certain nombre de problèmes.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.
Mme Muguette Dini. Madame la ministre, j’avoue que je n’ai pas compris votre remarque au sujet des bornes d’entrée et de sortie des parkings. Quand on entre dans un parking, on baisse sa vitre et on prend le ticket. Toutes les voitures ayant à peu près la même hauteur de portière, je ne vois pas quel problème pourraient rencontrer les personnes handicapées. Si on conduit, c’est probablement qu’on a l’usage de ses deux bras. Par conséquent, on peut tout à fait tendre le bras pour attraper un ticket.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Il est regrettable que les deux amendements n’aient pas pu être réunis en un seul. Pour ma part, je suis très favorable à celui de Mme Deroche. Initialement, j’avais même l’intention d’inscrire un tel dispositif dans ma proposition de loi. Cependant, on m’a expliqué que ce n’était pas possible et qu’une mesure comme celle présentée par Mme Dini, que j’aurais également pu intégrer dans ma proposition de loi, était bien meilleure.
Notre collègue Savary vient en fait de démontrer pourquoi il faut voter l’amendement de Mme Dini et non celui de Mme Deroche : il faut respecter la liberté d’action des maires.
M. René-Paul Savary. Bien sûr !
M. Didier Guillaume. Il existe beaucoup de politiques innovantes en matière de handicap ; vous avez eu raison de le souligner, monsieur Savary. Dans ma région, Grenoble, Valence ou encore Bourg-de-Péage, dont j’ai été le modeste maire il y a quelques années, ont mis en place des systèmes de gratuité.
Cette proposition de loi n’est pas discriminatoire. Elle vise seulement à favoriser le stationnement des personnes handicapées. Vous avez raison de préciser, madame Dini, qu’il n’y a pas de raison que les personnes handicapées ne paient pas le stationnement dans les parkings disposant de bornes d’entrée et de sortie accessibles du véhicule. Je sais que certaines personnes handicapées qui conduisent ont des difficultés à tendre le bras, mais, quand on peut entrer dans un parking, on peut aussi en ressortir. Je suis d'accord avec vous : si on conduit, on doit pouvoir y arriver. Il est donc normal que ces parkings soient payants pour tout le monde.
Les deux amendements vont dans le même sens : ils visent à refuser les discriminations et à promouvoir une société inclusive. L’objectif de cette proposition de loi n’est pas d’imposer la gratuité du stationnement pour les personnes handicapées ; il s’agit de favoriser la conduite et de faciliter le stationnement des personnes handicapées. Or, madame Deroche, votre amendement vise à imposer une règle aux maires, alors que celui de Mme Dini prévoit de leur laisser le choix. Il me semble donc que l’amendement n° 5 rectifié bis correspond mieux à ce que nous souhaitons.
Je partage totalement l’argumentation de notre collègue Savary. Comme nous sommes tous deux présidents de conseil général, nous avons souvent la même vision sur ces sujets. Ce n’est évidemment pas parce que nous autoriserions la gratuité des parkings pour les véhicules des personnes handicapées qu’il faudrait ne rien faire ailleurs. La ville lente dont parlait avec la gouaille qu’on lui connaît notre ami Desessard doit continuer à exister. Il faut d’ailleurs poursuivre le travail sur un urbanisme ouvert à tous. Le vivre ensemble dans la République et dans la cité vaut pour tout le monde, personnes valides comme personnes non valides.
La proposition de loi, qui aborde un point précis avant une future grande loi sur le handicap, madame la ministre, n’a pas pour objectif d’instaurer la gratuité. Elle vise seulement à écarter toute discrimination, tout en évitant d’ajouter un handicap au handicap, ce qui serait en quelque sorte vécu comme une double peine. Dans ce cadre, il me semble que l’amendement de Mme Dini, plus précis, permet toute liberté et toute latitude aux maires, comme le souhaite M. Savary.
Je le répète, j’aurais pu être totalement favorable à l’amendement de Mme Deroche, dont j’avais d’ailleurs retenu les termes dans ma proposition de loi initiale, mais, à partir du moment où l’on veut laisser plus de liberté aux maires, je pense qu’il faut voter l’amendement n° 5 rectifié bis. Il va en effet dans le bon sens, même si je ne suis pas opposé à celui de Mme Deroche, comme je l’ai déjà dit, puisqu’il s’inspire du même principe. En outre, il me semble que l’amendement n° 5 rectifié bis, qui s’insère à l’alinéa 5, est mieux placé que l’amendement n° 6 rectifié bis, qui tend à compléter l’alinéa 3.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Pasquet. Je veux bien que l’objectif principal de la proposition de loi ne soit pas d’instaurer la gratuité du stationnement, mais c’est pourtant bien ce dont nous parlons depuis le début de la matinée. Or il est très compliqué d’aborder l’accessibilité par un seul bout, car nous avons besoin de voir le sujet dans sa globalité.
La proposition de loi que nous examinons nous amène à réfléchir à la question de l’accessibilité, ce qui nous donne envie d’améliorer le système, de pousser un peu plus loin les choses en adoptant des amendements, même si nous ne voterons pas l’amendement de Mme Deroche, ni même celui de Mme Dini. Nous sommes d’accord pour que les personnes en situation de handicap n’aient pas à descendre de leur voiture pour mettre une pièce dans un parcmètre. Reste que, comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, ce dispositif vient compenser les difficultés d’accès aux transports en commun. Du coup, la voiture devient un moyen de remplacement, et la gratuité des parkings pour les personnes handicapées un plus.
Ces amendements, s’ils étaient adoptés, reviendraient à créer une injustice : dans une même commune, certains parkings seraient gratuits pour les personnes en situation de handicap et d’autres pas. Certes, les maires seraient libres de prendre les décisions qu’ils jugent nécessaires, mais j’ai envie de dire que c’est déjà le cas aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. J’ai bien entendu les propos de Didier Guillaume, mais nous sommes en train d’examiner un texte tendant à rendre gratuits les espaces de stationnement pour les personnes handicapées sur tout le territoire. Or c’est justement ce que reprochait Mme Lebranchu à Philippe Bas lorsque nous avions présenté un amendement allant dans ce sens.
On nous objecte maintenant que le fait de ne réserver la gratuité qu’aux espaces autres que les parkings porterait atteinte à la liberté des collectivités. Je trouve le raisonnement un peu tiré par les cheveux. Vous ne pouvez pas, d’un côté, imposer une règle à toutes les communes et, de l’autre, laisser toute latitude aux collectivités territoriales pour certains espaces.
J’admets tout à fait qu’on puisse être hostile à notre amendement, mais je récuse les arguments qui lui sont opposés. Dans ces conditions, je le maintiens.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Mon état souffreteux de ce matin ne me permettant pas de comprendre avec la rapidité habituelle,…
M. Antoine Lefèvre. La fulgurance, même ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. … quelque chose m’aura peut-être échappé. En tout cas, j’ai apprécié l’intervention de M. Guillaume, qui privilégie l’accessibilité, la gratuité n’étant qu’un outil au service de cet objectif.
M. Didier Guillaume. Voilà !
M. Jean Desessard. C’est un peu différent de ce que vous dites, madame Pasquet. Pour vous, la gratuité est primordiale.
Lorsque modifier le système de paiement coûte plus cher que d’accorder la gratuité, on privilégie donc cette dernière solution pour favoriser l’accessibilité. On peut penser que, dans quelques années, ce débat n’aura plus lieu d’être : on aura tous des badges magnétiques, des petits bips-bips qui nous permettront de franchir les barrières, quelle que soit la hauteur des bornes. En attendant, je voterai, comme nous y invite M. Guillaume, l’amendement de Mme Dini, qui laisse à la commune le choix de décider quelle est la solution la plus souhaitable.
Puisqu’on parle des parkings, j’ai moi-même parfois du mal à sortir de la voiture, vu l’étroitesse des places à Paris. (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.) D’accord, je sais ce que ce n’est pas tout à fait le sujet, mais j’élargis la question. Il faut que le grand projet de loi sur le handicap que vous être en train de préparer, madame la ministre, prenne en compte l’accessibilité pour tous. Si, en tant que personnes valides, nous devons faire des efforts pour sortir de notre véhicule, imaginez ce qu’il en est pour les personnes en situation de handicap qui ont besoin d’ouvrir en grand la portière pour sortir leur fauteuil. Il faut à l’évidence prévoir des places de parking plus grandes.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. La discussion que nous avons à l’instant montre bien que le texte vient « percuter » nos réflexions, comme le disait Mme la ministre, selon que l’on considère le verre à moitié vide ou à moitié plein.
En écoutant M. Savary, j’étais, comme M. Guillaume, tout à fait d’accord avec son argumentation. J’attendais donc avec une certaine impatience sa conclusion en faveur du retrait de l’amendement de Mme Deroche. Au final, il a fait une pirouette digne du Cirque d’hiver.
M. René-Paul Savary. Je ne suis pas le seul à en faire dans cet hémicycle !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. C’est exact ! (Sourires.)
M. Antoine Lefèvre. Question de souplesse…
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Madame Deroche, pour en avoir discuté avec Mme Dini, je crois pouvoir dire que la rédaction proposée par notre collègue ne retire rien à l’esprit de votre amendement. Je dirais même au contraire : elle donne un caractère optimiste et non pas restrictif au texte. Je note un argument supplémentaire : elle tend à mettre au centre du dispositif les collectivités en leur offrant la possibilité de donner un avis. Son amendement va donc dans le bon sens en permettant de préserver la libre administration des collectivités, ce qui est une bonne chose.
Mes chers collègues, soyons également attentifs au nombre de villes qui sont concernées et à leur typologie. La ville de Saint-Étienne dans la Loire, par exemple, n’a pas les mêmes caractéristiques que Saint-Brieuc.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. À ce stade du débat, permettez-moi de clarifier la position du Gouvernement, bien que je pense avoir été extrêmement claire précédemment. (Sourires.)
Je suis moi aussi particulièrement attachée à préserver les compétences des maires. C’est essentiellement pour cette raison que je ne me suis pas retrouvée dans l’amendement de Mme Deroche.
Je pense que le problème de l’accessibilité se pose davantage avec les bornes qu’avec les parcmètres. En tout cas, à Marseille, puisque chacun cite sa ville, c’est le cas. Il faudra donc fixer des critères, et donc des normes nouvelles, pour permettre aux maires de décider.
M. Didier Guillaume. Pas de normes !
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Aussi, je le répète, je préfère m’en remettre à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote.
M. Jacky Le Menn. Je ne parlerai pas de Saint-Malo… (Sourires.)
Comme notre collègue Guillaume, nous pensons que l’esprit est là, tant dans l’amendement de Mme Deroche que dans celui de Mme Dini, mais la lettre de ce dernier nous incite à nous y rallier. L’amendement n° 5 rectifié bis présente en effet les mêmes vertus que l’amendement n° 6 rectifié bis, mais il permet de préserver les compétences des collectivités territoriales, principe sur lequel il faut toujours être attentif.
Après de longues discussions et de nombreux rebondissements en commission des affaires sociales, le groupe socialiste soutient donc l’amendement de Mme Dini, tout en rendant hommage à celui de Mme Deroche.
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 6 rectifié bis n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Pasquet, M. Watrin, Mmes Cohen et David, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le dernier alinéa de l’article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le nombre d’emplacements réservés aux titulaires de la carte mentionnée à l’article L. 241-3-2 du code de l’action sociale et des familles ne doit pas être inférieur à un ratio d’une place pour cinq cartes délivrées sans pour autant être inférieur au pourcentage visé au dixième alinéa de l’article 1er du décret n° 2006-1658 du 21 décembre 2006 relatif aux prescriptions techniques pour l’accessibilité de la voirie et des espaces publics. »
II. – Le I entre en vigueur deux ans après la date de promulgation de la présente loi.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Je profite de l’occasion, comme je le fais à chaque fois que le Sénat aborde la question du handicap et de l’accessibilité, pour rappeler que les enceintes mêmes du Sénat, et plus particulièrement les tribunes, doivent être rendues accessibles aux personnes à mobilité réduite. À cet égard, j’ai adressé un courrier à M. Bel dès son élection afin de lui demander les mesures qu’il entendait prendre pour que le Sénat traite enfin dignement les personnes en situation de handicap. Malgré une réponse encourageante de sa part, je regrette la lenteur de la mise en œuvre des aménagements nécessaires, alors que l’Assemblée nationale, elle, les a réalisés pour que les personnes en fauteuil puissent accéder aux tribunes.
Je rappelle, pour celles et ceux qui l’ignoreraient, que nos visiteurs en situation de handicap moteur qui voudraient suivre nos travaux sont invités à s’installer devant l’un des postes de télévision placés dans la salle des conférences, ce qui ne me semble pas convenable.
J’en reviens à la proposition de loi qui, bien que courte, suscite un intérêt certain. J’y vois l’attachement que portent la Haute Assemblée et l’ensemble de nos collègues à prendre les mesures nécessaires pour favoriser le déplacement des personnes en situation de handicap, ce dont je me félicite.
En commission, nous avons été plusieurs à rappeler que le nombre de places réservées aux titulaires de la carte de stationnement était sans doute insuffisant pour répondre à tous les besoins. C’est pourquoi les auteurs de l’amendement proposent d’instaurer un nouveau mode de calcul du nombre d’emplacements du domaine public réservés aux titulaires de cette carte.
La réglementation actuelle prévoit que ce nombre ne doit pas être inférieur à 2 % du nombre total d’emplacements dans chaque zone de stationnement. Ce seuil est important, dans la mesure où il garantit la présence d’un quota minimal de places réservées aux personnes à mobilité réduite, mais il nous semble opportun de tenir compte également du nombre de cartes délivrées par l’autorité compétente.
Plus précisément, nous proposons que, dans chaque commune, une place soit réservée aux personnes à mobilité réduite pour cinq cartes délivrées. Afin que ce nouveau mode de calcul n’ait pas pour effet de réduire, dans certains cas, le nombre de places réservées, l’amendement prévoit un mécanisme de double plancher, la référence au seuil de 2 % étant conservée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Nos collègues du groupe CRC proposent que le nombre de places réservées tienne compte du nombre de cartes de stationnement délivrées, dans un rapport de 1 pour 5. Nous en comprenons la philosophie et votre intention est louable, madame Pasquet ; je ne puis pourtant y souscrire, pour plusieurs raisons.
D’abord, le décret du 21 décembre 2006 relatif aux prescriptions techniques pour l’accessibilité de la voirie et des espaces publics permet déjà aux communes qui le souhaitent de fixer un quota de places supérieur à 2 %.
Ensuite, quand on aborde cette question avec les associations liées au monde du handicap – dans ma commune de Plérin, dans les Côtes-d’Armor, l’AIDAPHI et l’APF sont représentées et la MDPH est installée –, elles expriment plutôt la demande que le quota réglementaire soit porté à 4 %. Cette demande sera sans doute prise en compte dans les travaux de Claire-Lise Campion. Aussi me semble-t-il un peu prématuré, voire inopportun, de trancher dès à présent la question.
Enfin, l’adoption de cet amendement introduirait une complexité significative à l’échelle communale, sans apporter pour autant une réponse concrète aux besoins des personnes en situation de handicap. Madame Pasquet, nous pourrions accéder à votre demande dans une société idéale, mais nous ne vivons malheureusement pas dans cette société.
C’est ainsi que, dans nos centres-villes, une place est souvent réservée aux handicapés, mais pas aux résidents. Imaginez la complexité qu’entraînerait l’adoption d’un quota de 1 pour 5 !
M. Didier Guillaume. C’est vrai !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Sans compter que se pose aussi la question de la connaissance du nombre de cartes de stationnement dans nos communes.
Pour ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; s’il est maintenu, la commission y sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Je souscris aux propos de M. le rapporteur.
Dans la lettre et l’esprit – nous y revenons (Sourires.) – du décret de 2006, qui fixe le quota de 2 %, je vous confirme, madame Pasquet, que ce texte laisse aux communes la liberté d’aller au-delà du seuil prévu. Par conséquent, les outils existent. Or, je le répète, le Gouvernement fait confiance aux élus de proximité pour évaluer les besoins de places adaptées sur leur territoire, même si je n’ai pas de nouveau nom de communes à vous citer pour poursuivre le tour de France que nous avons entrepris. (Nouveaux sourires.)
J’ajoute que votre amendement présente l’inconvénient de ne pas préciser sur quel périmètre le nouveau plancher serait défini : celui de la commune, du département ? C’est pourquoi j’en sollicite le retrait ; si vous le maintenez, le Gouvernement y sera défavorable.
M. le président. Madame Pasquet, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Isabelle Pasquet. Je le maintiens, car ce n’est pas tout que les outils existent pour évaluer le nombre de places ; les outils sont aussi faits pour que les maires puissent décider si les places de stationnement doivent être gratuites ou non.
De nombreuses associations signalent que le nombre de places réservées aux personnes en situation de handicap est insuffisant. C’est pourquoi nous proposons d’inscrire dans la loi le principe d’un seuil proportionnel au nombre de cartes délivrées. À nos yeux, en effet, il est toujours préférable que le législateur énonce fermement les règles, car il en résulte ainsi des obligations.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame Pasquet, je ne voterai pas votre amendement, pour la raison que Mme la ministre a exposée. Je considère que cette question doit être gérée au plus près du terrain, avec la connaissance des situations locales.
Vous proposez de fixer un nombre minimal de places de stationnement en fonction du nombre de cartes, mais ces places seront-elles utilisées ? On peut le penser, mais il faut aussi tenir compte des circuits de circulation des personnes concernées, ce qui suppose une décision de proximité. En énonçant un principe général, la loi pourrait taper complètement à côté !
Pis, si nous prenions ce risque, nous pourrions obtenir le résultat inverse de celui que nous souhaitons. Imaginons, mes chers collègues, que des personnes aient l’habitude de voir plusieurs places inutilisées. Elles finiront par penser : je peux m’y mettre, puisqu’elles sont toujours libres ! Ainsi, le tabou lié à l’occupation d’une place réservée, quand on n’y a pas droit, serait brisé. (M. Didier Guillaume acquiesce.)
En d’autres termes, en l’absence de prise en compte par le maire des schémas de circulation, des places réservées pourraient rester inoccupées et des personnes valides pourraient avoir tendance à les utiliser.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Je ne le crois pas !
M. Jean Desessard. Le tabou étant brisé, l’habitude pourrait se répandre de se garer sur les places réservées aux personnes handicapées, ce qui serait grave. Il vaut donc mieux que cette question soit gérée au plus près du terrain, par les élus de proximité, en tenant compte des besoins et des schémas de circulation.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Actuellement, il y a un seuil de 2 % : ce n’est pas une gestion au plus près des besoins !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Les sénateurs du groupe UMP ne voteront pas cet amendement. Si nous comprenons l’esprit qui anime ses auteurs, nous estimons que la mise en œuvre du système proposé serait très compliquée.
Comme Mme la ministre l’a rappelé, le taux de 2 % est un seuil minimal ; toute commune, en fonction des caractéristiques de sa population et de sa politique à l’égard des personnes handicapées, peut prévoir un plus grand nombre de places.
Au demeurant, les handicapés ne restent pas dans leur commune : Dieu merci, ils se déplacent ! Le mode de calcul proposé ne nous paraît donc pas pertinent.
De façon générale, notre débat fait ressortir la difficulté posée par l’examen de cette proposition de loi très en amont du rapport préparé par Mme Campion, et alors que Mme la ministre, comme elle vient de l’indiquer, commence seulement ses déplacements sur le terrain.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je remercie Didier Guillaume d’avoir soulevé tous ces problèmes, mais je tiens à souligner qu’il faut aussi s’interroger sur le regard porté par la société sur la personne handicapée.
Prévoir des places de stationnement spécifiques, c’est, en somme, une discrimination. La meilleure réponse que la société puisse apporter à ce problème, comme l’a signalé M. Desessard, c’est de rendre toutes les places accessibles. Ainsi, il n’y aura plus de logo désignant les personnes handicapées. Pour cela, il faut construire des places de parking plus larges et, éventuellement, modifier le code de la route pour qu’on puisse se garer de manière à sortir avec un fauteuil roulant du côté du trottoir, comme on le fait avec les cars. Voilà les questions auxquelles nous devons réfléchir si nous voulons améliorer l’accessibilité !
Je prends un exemple, qui n'a rien de péjoratif : on a construit des toilettes pour personnes handicapées, des sanitaires larges signalés par un beau logo. Est-ce le regard que la société doit porter sur les personnes handicapées ? Non, il faudrait que tous les sanitaires aient les dimensions requises pour que ces personnes puissent les utiliser ! De cette façon, il n’y aurait plus d’espace spécifique indiqué par un logo.
Mes chers collègues, il faudra bien, un jour, arriver à ce résultat. C’était d’ailleurs l’esprit de la loi de 2005.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Quels financements aviez-vous prévus ?
M. René-Paul Savary. Sans doute n’avancera-t-on que petit à petit, mais le législateur a fixé cet idéal. Je pousse volontairement le bouchon un peu loin, madame la ministre pour vous dire que, une fois la loi votée, il faut que ceux qui sont chargés de sa mise en œuvre puissent exécuter les décisions. Or l’application de la loi de 2005 se heurte à de nombreuses difficultés ; les présidents de conseil général qui siègent sur ces travées peuvent en témoigner.
Il faut toujours avoir à l’esprit les questions du regard que la société porte sur le handicap et de la soutenabilité budgétaire des mesures.
Madame la ministre, je tiens aussi à appeler votre attention sur le fonctionnement des MDPH – je suis sûr que M. Guillaume sera d’accord avec moi à ce propos. Ce sont elles, et non plus les préfets, qui délivrent les cartes, lesquelles sont au nombre de 1,5 million. En vertu de la loi de 2005, une personne titulaire d’une carte a le droit de voir l’ensemble de ses problèmes examinés. On doit entrer en discussion avec elle pour lui proposer une amélioration de sa vie, non seulement par l’octroi d’une carte qui règle le problème du stationnement, mais aussi par la mobilisation d’une équipe pluridisciplinaire si une aide humaine est nécessaire ou si des adaptations doivent être apportées à son logement ou à sa voiture.
Bref, toute la réponse de la société est confiée aux MDPH et à leurs équipes pluridisciplinaires. Seulement, ces structures ont un coût de fonctionnement important, et il n’a pas été prévu que les conseils généraux en soient les principaux financeurs ! Or, aujourd’hui, dans le budget des MDPH, la subvention de fonctionnement versée par les conseils généraux devient plus importante que celle allouée par la CNSA. En d’autres termes, le fonctionnement de ces maisons dépend de décisions d’assemblées, alors qu’il devrait être assuré par un financement national.
Je me suis permis de vous rappeler cette réalité, madame la ministre, parce que le jour viendra peut-être – même si j’espère que cela ne se produira pas – où certains conseils généraux rogneront sur la subvention de fonctionnement, de sorte que les MDPH n’auront pas les moyens de faire face à leurs responsabilités.
Mes chers collègues, nous devons réfléchir dès à présent à la façon de résoudre le problème du financement des MDPH. Peut-être faudra-t-il nous pencher, à l’occasion de la discussion du projet de loi sur la dépendance, sur l’intégration de ces maisons, afin de tirer les leçons de la loi de 2005.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement est généreux, mais très difficilement applicable, surtout dans le monde rural. Dans les petites communes comme la mienne, il y a de nombreuses personnes âgées, surtout là où il y a une maison de retraite ; elles ne conduisent plus souvent, mais elles sont titulaires de la carte. Dans ces conditions, prévoir une place réservée pour cinq cartes entraînerait des contraintes terribles.
Je ne voterai pas cet amendement : on ne peut pas se plaindre tout le temps des normes et des contraintes et créer sans arrêt de nouvelles obligations !
Mme Colette Mélot. En effet, soyons pragmatiques !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
(Non modifié)
La perte de recettes résultant pour l’État de l’article 1er est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par Mme Pasquet, M. Watrin, Mmes Cohen et David, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 7 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour présenter l’amendement n° 3.
Mme Isabelle Pasquet. Il s’agit d’un amendement d’appel. Je suis consciente, en le présentant, qu’il ne répond qu’à une partie de l’objet de l’article 2. Celui-ci tend en effet à gager la proposition de loi, de telle sorte que les pertes de recettes que pourraient supporter les communes en raison de la gratuité soient compensées par l’État. Il s’agit là d’une procédure banale, utilisée par les parlementaires souhaitant voir adopter une proposition de loi entraînant des incidences financières. Naturellement, nous ne voulons pas y faire obstacle. Au demeurant, le Gouvernement lèvera sans doute le gage, ce dont je me réjouis.
Pour autant, si une telle disposition peut sembler logique pour ce qui concerne les communes gérant directement des parcs de stationnement, le groupe CRC est opposé à ce que les établissements privés bénéficiant d’une délégation de service public puissent obtenir de la part des pouvoirs publics une quelconque compensation liée à la perte de recettes. En effet, la compensation sera supportée par les communes, et donc mécaniquement par les impôts locaux, que certaines personnes en situation de handicap auront à acquitter. Or l’esprit de la loi de 2005 est tout autre et ne prévoit pas que les personnes en situation de handicap soient contraintes de financer elles-mêmes les mesures permettant leur accessibilité.
Il nous semble donc que les entreprises gestionnaires de parcs de stationnement, lesquels représentent une rente importante, peuvent garantir, sans contrepartie financière, l’application de cette proposition de loi. Il serait d’ailleurs illogique qu’il n’en soit pas ainsi, surtout si les communes ne percevaient aucune compensation. Les maires faisant le choix de gérer eux-mêmes leurs parcs de stationnement seraient financièrement désavantagés par rapport aux gestionnaires privés bénéficiaires d’une délégation de service public, qui pourraient obtenir des contreparties financières.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 7.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Le Gouvernement décide de lever le gage prévu par la proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. La commission, constatant que le Gouvernement et le groupe CRC proposent de lever le gage, ne souhaite pas faire durer plus longtemps le suspense : elle a émis un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 7.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Pasquet, M. Watrin, Mmes Cohen et David, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois qui suivent l’adoption de la présente loi, le Gouvernement engage une campagne médiatique à destination du grand public, portant sur l’utilisation frauduleuse des cartes de stationnement visées à l’article L. 241-3-2 du code de l’action sociale et des familles ainsi que sur l’utilisation illégale des places réservées aux titulaires de cette carte.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Les associations qui accompagnent les personnes en situation de handicap observent une augmentation importante des cas d’usage frauduleux de la carte de stationnement pour les personnes à mobilité réduite. Ce sujet a également fait l’objet d’un débat important en commission, et beaucoup de nos collègues, toutes sensibilités confondues, se sont émus des conséquences concrètes que ces comportements inciviques pouvaient avoir dans la vie des personnes en situation de handicap.
Ces comportements sont sanctionnés, qu’il s’agisse de l’utilisation indue de places réservées ou de l’utilisation frauduleuse d’une carte de stationnement, punie d’une amende de cinquième catégorie pouvant être majorée en cas de récidive.
Par ailleurs, certaines personnes en situation de handicap, soupçonnées de frauder en utilisant une carte de stationnement, sont verbalisées et doivent elles-mêmes apporter la preuve de leur handicap par lettre recommandée, ce qui créé une difficulté supplémentaire pour elles.
Face à cette situation, plutôt que de renforcer notre arsenal répressif, comme cela a déjà été fait voilà six ou sept ans, le groupe CRC est convaincu que des mesures de sensibilisation doivent être prises. Or celles-ci relèvent plus souvent du travail des associations que des pouvoirs publics, alors que les comportements inciviques dont il est question ici brident le droit fondamental des personnes en situation de handicap à se déplacer librement.
C’est pourquoi nous proposons, par le biais de cet amendement, que les pouvoirs publics initient une campagne nationale de sensibilisation sur l’usage frauduleux de la carte de stationnement, comme de l’utilisation irrégulière des places réservées aux titulaires de cette carte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Cet amendement fait référence à un débat que nous tenons régulièrement sur l’utilisation frauduleuse de la carte de stationnement et l’occupation illégale des places réservées.
On peut comprendre la demande formulée, dans la mesure où les associations constatent toutes – elles l’ont déclaré lors de leur audition par la commission – une recrudescence des pratiques abusives et frauduleuses. Le Gouvernement en est d’ailleurs bien conscient, puisqu’il a lancé, dans le cadre de la modernisation de l’action publique, une réflexion sur les moyens de sécuriser l’utilisation des cartes de stationnement et de mieux contrôler l’identité des bénéficiaires ; Mme la ministre l’a évoqué tout à l’heure.
Parallèlement à ces travaux, il serait effectivement important de sensibiliser nos concitoyens à l’importance d’un comportement civique en la matière. Reste que le débat que nous avons eu hier en commission, qui a été particulièrement riche même s’il a parfois été un peu long, a fait apparaître deux effets contre-productifs : le premier est qu’une campagne de sensibilisation pourrait donner de mauvaises idées à des personnes mal intentionnées, à savoir qu’il est possible d’utiliser frauduleusement ces places ; le second est l’aspect stigmatisant d’une telle campagne pour les titulaires de la carte de stationnement.
Après ces échanges, la commission se tourne donc vers le Gouvernement pour connaître son avis, qu’elle attend impatiemment.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Le Gouvernement émet un avis défavorable. En effet, le lancement d’une campagne de communication ne relève pas de la loi. De plus, vous le savez, l’État, les départements et les MDPH financent déjà de nombreuses campagnes menées par les associations.
Dans le cadre de la concertation engagée par Mme Claire-Lise Campion, nous voulons maintenir le rendez-vous de 2015, sans toutefois transformer 2014 en année blanche. C’est pourquoi nous avons prévu une campagne de communication sur l’accessibilité en général.
Je le répète, des instructions précises ont été données aux forces de police pour agir. J’ai déjà indiqué le nombre de contraventions ; je n’y reviens donc pas. J’ai également évoqué le travail que nous réalisions dans le cadre de la modernisation de l’action publique et du comité interministériel du handicap sur les cartes de stationnement pour faire progresser la transparence et lutter contre la fraude.
Je suis tout à fait d’accord avec les auteurs de cet amendement pour dire que les comportements que nous dénonçons ne prendront fin qu’à la suite d’un vrai changement de mentalité sur les questions liées à l’accessibilité, lesquelles dépassent bien entendu largement ce débat sur le stationnement, même si celui-ci demeure utile dans la perspective d’un changement de regard de la société sur les personnes en situation de handicap.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Parmi les campagnes d’information, l’une d’elle me semble très efficace : « Si tu prends ma place, prends aussi mon handicap ! » Ce slogan est particulièrement percutant.
Cela dit, madame la ministre, vous avez déclaré avoir donné des chiffres sur l’efficacité de l’action menée par la police. En réalité, vous avez simplement chiffré l’utilisation abusive des places de parking, à moins que, dans l’état souffreteux qui est le mien ce matin, je n’aie pas bien entendu.
Or l’amendement porte sur l’utilisation frauduleuse des cartes de stationnement, celle qu’on emprunte à un voisin ou à un parent. Dans ce cas, quelle est l’efficacité de la police ? C’est bien la question qui est posée ! Pour ma part, je ne peux voter un amendement visant à lancer une campagne publicitaire, sans connaître plus précisément l’action de la police en la matière.
Bien évidemment, nous n’ouvrirons pas maintenant le débat sur l’action menée par la police pour ce qui concerne le respect des règles relatives au stationnement des personnes handicapées. Certes, on verbalise ceux qui garent leur voiture sur une place de parking réservée. Mais, aujourd'hui, certains vont jusqu’à endosser l’identité d’autres personnes pour s’attribuer des places réservées. Il s’agit d’un phénomène nouveau très compliqué à traiter. Il nécessite une intervention différenciée et continue de la police.
Il aurait donc été intéressant, mais sans doute cette question est-elle non pas de votre ressort mais de celui du ministère de l’intérieur, de connaître l’action entreprise par la police concernant ces abus. Ils exigent une action spécifique, à propos de laquelle vous ne nous avez pas apporté de réponse.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. L’amendement n° 4 prévoit la mise en œuvre d’une campagne de sensibilisation, ce qui est tout à fait dans l’esprit prôné par Mme la ministre. Je ne vois donc pas d’antagonisme entre nos deux positions.
On peut ne pas être d’accord avec notre amendement, mais nous constatons tous la nécessité d’un changement de regard et de mentalité. C’est pourquoi nous souhaitons que l'État s’engage plus fortement auprès des associations qui mènent ces campagnes de sensibilisation, car elles souffrent d’un manque de moyens criant. Elles se tournent d’ailleurs souvent vers nous pour qu’on vienne à leur secours. Il n’est donc pas possible de tout faire reposer sur elles.
Monsieur le rapporteur, je vous le dis en toute cordialité, votre argument ne tient pas. Mais peut-être n’avez-vous pas tout à fait mesuré la portée de ce que vous disiez. Car si l’on suit votre raisonnement, il ne faudrait plus mener aucune campagne de sensibilisation dans quelque domaine que ce soit ! Ainsi, quand on se bat contre l’alcool pris en trop grande quantité, on encouragerait l’alcoolisme ! Quand on se bat contre les violences faites aux femmes, on contribuerait à ce phénomène ! Ne grossissez donc pas le trait.
Dernière chose, il convient d’être très attentif à l’intervention policière, la situation étant assez compliquée. Nous avons tous dénoncé l’usage frauduleux de cartes, mais certaines personnes en situation de handicap moteur, j’en ai reçu le témoignage, sont verbalisées et doivent prouver, en envoyant une lettre recommandée, qu’elles sont bien en situation de handicap. Je ne sais pas si de telles situations, qui intensifient la pression que peuvent supporter ces personnes, se rencontrent sur l’ensemble du territoire ou uniquement à Paris. En tout cas, je m’étais engagée à évoquer ce problème devant le Sénat. Je ferai également un courrier à Mme la ministre, pour qu’elle puisse intervenir sur cette question, peut-être très circonscrite, mais extrêmement discriminante.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Madame Cohen, je vous rappelle, en toute cordialité également, que je ne fais que rapporter les propos tenus par certains de nos collègues en commission, sans donner mon avis personnel. Je ne prends donc pas pour moi votre observation, que je transmettrai à qui de droit.
M. Jean Desessard. Rapporteur ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Je voudrais dire aux auteurs de cet amendement ainsi qu’à tous les sénateurs et à toutes les sénatrices que nous partageons la même approche. Si la communication est importante pour dire aux citoyens français notre volonté d’une société inclusive, il ne relève pas d’une loi de la République d’instaurer un tel dispositif. Sachez cependant que je reste ouverte à toutes les propositions, mais pas nécessairement dans un cadre législatif.
Rassurez-vous, monsieur Desessard, vous ne m’avez pas mal entendue : je n’ai pas indiqué les chiffres de la fraude, tout simplement parce que nous ne les connaissons pas – les fraudeurs ne se manifestent pas à nous, évidemment. (Sourires.) J’ai simplement signalé que des instructions ont été données aux forces de l’ordre pour que celles-ci vérifient que ces places de stationnement restent accessibles à ceux qui y ont droit.
Une foule d’informations nous remontent du terrain et de la part des associations, que nous utiliserons pour remettre à plat cette question de la carte de stationnement, sur laquelle nous travaillons actuellement, en prenant le mal à la racine.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Pour les raisons que j’ai données au cours de la discussion générale et lors de l’examen des articles, le groupe UMP s’abstiendra sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Au-delà des appréciations techniques et des nombreux sujets connexes qu’elle sous-tend, la proposition de loi de notre collègue Didier Guillaume a une ambition claire, univoque : éviter aux personnes dont la mobilité est rendue difficile ou contrainte de devoir multiplier les déplacements pour s’acquitter du paiement de la redevance de stationnement. Il ne s’agit pas d’accorder un avantage financier aux personnes en situation de handicap, qui d’ailleurs ne le demandent pas. Le principe de gratuité qui est mis en place n’est pas à visée compensatrice. Ce n’est que le moyen de parvenir à l’objectif, non pas la finalité.
Ne perdons pas de vue que nous travaillons avant tout sur l’accessibilité. D’évidence, cet objectif participe pleinement de la politique d’inclusion menée au Gouvernement par Marie-Arlette Carlotti, dans la droite ligne des positions du Président Hollande. Nous pensons que l’accessibilité relève non pas de la discrimination positive, à laquelle notre tradition républicaine s’oppose en tout point, mais de mesures adaptées qui dépassent largement le cadre du handicap, car chacun peut rencontrer des problèmes de mobilité selon les périodes de la vie.
Lors des débats, des interrogations ont pu s’exprimer, s’agissant du calendrier, quant à l’opportunité de voter ce texte, alors que notre collègue Claire-Lise Campion négocie, avec l’ensemble des acteurs du secteur, le cadre national des agendas d’adaptabilité programmée, dont elle est l’instigatrice inspirée et efficace. C’est précisément parce que nous entendons laisser ce travail essentiel s’accomplir dans le processus de concertation, que notre majorité défend depuis longtemps, que nous n’avons pas souhaité étendre le périmètre de ce texte.
La question des quotas de places réservées ou encore celle de la refonte de l’attribution et de la fabrication des cartes européennes de stationnement pour les personnes handicapées, sujet sur lequel travaille le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, restent sur le métier. L’auteur de cette proposition de loi, son rapporteur et le groupe socialiste se sont attachés à ce que le texte conserve son caractère ciblé et s’inscrive en synergie avec la réflexion en cours.
Je veux rendre hommage ici au travail de notre rapporteur, qui a su faire évoluer le texte initial tout en en respectant l’esprit. L’extension de la gratuité attribuée aux personnes détentrices de la carte de stationnement à l’ensemble des places de stationnement, et non plus seulement aux places réservées, s’est faite sur la base d’un large consensus au sein de notre commission. Il est bon de le saluer. De même, des compromis ont pu être trouvés sur d’autres aspects tels que le report de l’application de la gratuité pour les parkings gérés dans le cadre d’une délégation de service public au renouvellement des contrats ou l’application du dispositif dans les parkings dotés de bornes d’entrée et de sortie.
Sans nul doute, mes chers collègues, nous partageons, sur presque toutes les travées de cet hémicycle, l’objectif de ce texte : faciliter le quotidien de ceux de nos concitoyens pour qui les petites choses de la vie courante frôlent souvent l’insurmontable. Pour la représentation nationale, les occasions de se retrouver unanimement ne sont que trop rares. Aussi appelons-nous tous les groupes à ne pas manquer celle qui s’offre à nous aujourd’hui.
Le groupe socialiste, quant à lui, votera sans réserve la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Les sénatrices et sénateurs du groupe écologiste voteront la proposition de loi.
Au cours de ce débat, j’ai apprécié la convergence de vues sur la question de l’accessibilité pour tous. Surtout, on a beaucoup insisté, sur l’ensemble des travées, sur l’indispensable autonomie des personnes en situation de handicap et, partant, sur la nécessité de favoriser en ville les voies de circulation de telle manière que les gens, quelle que soit leur situation, puisse se déplacer en toute autonomie et avoir accès à tous les lieux.
Mme la ministre nous a dit que le calendrier fixé par le Gouvernement s’en trouvait quelque peu bousculé. Pour ma part, je conçois cette proposition de loi comme la manifestation d’un état d’esprit – on a beaucoup parlé d’esprit –, comme une anticipation sur la suite et le programme complet que vous allez nous présenter, madame la ministre, et que nous attendons avec impatience.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Bien entendu, je voterai cette proposition de loi, d’autant qu’elle est extrêmement raisonnable. Elle permettra aux handicapés d’occuper n’importe quelle place de stationnement, gratuitement pour celles d’entre elles qui sont difficiles d’accès, à titre onéreux pour les autres, comme tout un chacun. En tout cas, l’ensemble des parcs de stationnement leur seront accessibles. Je le répète, c’est un bon texte.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Je remercie à mon tour Didier Guillaume d’avoir pris cette initiative très heureuse, qui a suscité un très beau débat et qui a permis à différents points de vue de se confronter, voire de s’opposer. Nous faisons ce matin œuvre utile.
Madame la ministre, nous avons bien noté que vous allez nous présenter très rapidement des propositions. Cette proposition de loi a le mérite de nous permettre de faire un grand pas en avant. Le groupe du RDSE, unanime, la votera.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de loi initiale.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte pour le vivre ensemble, la lutte contre les discriminations, la lutte pour une meilleure intégration des personnes handicapées ne sont ni de droite ni de gauche ; il s’agit d’un combat pour la République, un combat pour une société inclusive, à l’issue duquel, pas après pas, marche après marche, étape après étape, difficulté après difficulté, nous parvenons à rendre notre pays, nos régions, nos départements, nos villes accessibles à tous, jeunes ou âgées, quel que soit leur niveau social.
Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai conscience que nous aurions pu examiner cette proposition de loi à un autre moment, eu égard au rapport rédigé par nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré. Simplement, j’ai voulu répondre à une question prégnante qui m’a été posée maintes fois, celle du stationnement : comment faire lorsque la place réservée aux handicapés – Jean Desessard nous a expliqué combien il pouvait être difficile de quitter son véhicule lorsqu’on stationne sur un emplacement étroit – n’est pas disponible ? Comment faire lorsqu’une activité n’est pas terminée et qu’on doit remettre une pièce dans le parcmètre ?
Peut-être serons-nous amenés à examiner prochainement une grande loi sur le handicap et peut-être même est-ce Mme Carlotti qui la défendra. Peut-être faudra-t-il que la société aille encore plus loin dans cette direction. Il n’en demeure pas moins que la réponse que le Sénat apporte ce matin va dans le bon sens. C’est pourquoi je remercie l’ensemble des orateurs, de tous les groupes, qui ont soutenu ce texte. Je salue également l’excellent rapport de Ronan Kerdraon ainsi que la présence de Mme la ministre, que j’apprécie à sa juste valeur, car je sais qu’il n’a pas été très simple d’arriver là où nous sommes parvenus.
Je le redis, il ne s’agit aucunement pour nous de discrimination, ce n’est ni une faveur ni de la compassion ; il s’agit simplement d’un acte d’intégration et de répondre à une question précise : je suis handicapé, je suis au volant de mon véhicule, comment je fais pour me garer ? Comment je fais pour me déplacer comme les autres ? Voilà tout simplement l’objectif de cette proposition de loi !
Je suis très heureux que nous l’ayons examinée ce matin. Pour en avoir discuté avec Mme Campion, je sais que nous n’en resterons pas là, mais l’acte que nous avons accompli ce matin – en espérant que l’Assemblée nationale se saisira à son tour de ce texte – n’a d’autre but que d’aider nos concitoyens dans leurs démarches quotidiennes.
Cela a été dit par plusieurs orateurs, nous devons encore avancer sur cette question. Lorsqu’on voit les difficultés auxquelles sont confrontées les MDPH, lorsqu’on mesure le temps que mettent les commissions pour traiter les dossiers des personnes en souffrance, il paraît évident qu’il faudra simplifier les normes, voire en supprimer. Il n’est pas normal qu’une personne très handicapée doive chaque année repasser les mêmes examens devant la commission pour dire : « Eh bien oui, je suis toujours handicapé, je ne suis pas allé à Lourdes et, par conséquent, je me déplace toujours en fauteuil roulant ! »
Madame la ministre, je vous en conjure, allons vers une société dans laquelle les handicapés ne seraient pas assaillis, assommés par les tracasseries ou les contraintes. Faisons en sorte que les personnes en situation de handicap aient vraiment le sentiment que celles et ceux qui dirigent le pays, qui sont à la tête de nos institutions, font tout en faveur de leur totale intégration, font tout pour qu’elles vivent comme les autres.
Dans mon département, à Valence-le-Haut, dans un quartier difficile classé en zone de sécurité prioritaire, nous avons ouvert dans un collège une section d’éducation motrice. Quand nous mettons dans les mêmes classes des enfants valides et des enfants handicapés, parfois, on se demande qui est handicapé. Cette intégration est essentielle : faisons en sorte que tout le monde se rassemble. J’invite tous nos collègues à tenter des expériences, à aller le plus loin possible, afin de mieux prendre en compte le handicap.
Jean Desessard le disait, il existe de très nombreux obstacles, de très nombreuses difficultés dans nos villes. Hier encore, j’ai vu à la télévision un reportage réalisé à Paris montrant une personne en fauteuil qui ne pouvait accéder pratiquement à aucun lieu. Pour ces personnes, la ville est un obstacle, la ville peut être un danger.
Avec cette proposition de loi, nous apportons notre pierre à l’édifice en répondant à un problème : celui du stationnement des personnes handicapées titulaires de la carte. Je remercie le Sénat de l’avoir votée. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais remercier l’auteur de la proposition de loi, Didier Guillaume. Cette pierre à l’édifice dont il parle, il l’apporte avec modestie et humilité : il sait que son texte ne répondra pas à toutes les attentes des personnes en situation de handicap.
En tout cas, l’examen de cette proposition de loi aura permis à la commission des affaires sociales d’auditionner plusieurs associations liées au monde du handicap et de mesurer l’immensité de leurs attentes. Je me tourne donc vers vous, madame la ministre, car je ne sais pas s’il y aura un texte, mais, vous le savez, il existe des rapports sur le sujet et une mission a été confiée à Claire-Lise Campion.
La proposition de loi qui vient d’être adoptée va contribuer au bien vivre ensemble et va permettre aux personnes en situation de handicap d’exercer une partie de leur citoyenneté, laquelle passe par l’autonomie. Les débats ont été riches, aussi bien en commission qu’en séance publique. C’est très bien ainsi, car cela a permis d’élargir le débat, en espérant que celui-ci portera au-delà de notre hémicycle.
Didier Guillaume s’inscrit dans le cadre du travail réalisé à la fois par Claire-Lise Campion et Isabelle Debré. Le Sénat n’est donc pas seulement la chambre des collectivités territoriales, il se préoccupe également de l’égalité et de l’équité.
Pour terminer, j’aimerais remercier les membres du cabinet de Mme la ministre pour leurs apports et les échanges fructueux que la commission des affaires sociales a pu avoir avec eux. La qualité de ces échanges ne m’étonne pas, car c’est déjà une longue pratique – en tout cas, depuis que Mme la ministre est au Gouvernement. Je tiens donc à la remercier particulièrement, car ce n’est pas toujours le cas avec d’autres ministères.
Maintenant que cette proposition de loi a été adoptée, ce dont je me félicite, donnons-nous rendez-vous pour la publication du rapport de Claire-Lise Campion et pour l’examen d’un futur texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Je souhaite moi aussi remercier celui qui a été l’initiateur de cette proposition de loi, Didier Guillaume, ainsi que le rapporteur, Ronan Kerdraon, et les féliciter de tout le travail accompli. Avec cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous faites un pas – je ne sais pas s’il est grand ou petit – vers la société inclusive, la société de l’accessibilité universelle, que nous voulons tous, celle qui accepte toutes les différences dans le cadre des valeurs de la République.
Je ne sais pas s’il faut faire une loi ou non. En tout cas, je sais qu’il existe une grande loi de la République : la loi de 2005. Or quand un texte est voté, il doit être appliqué ! Ce qui m’agace le plus, c’est qu’on vote des lois sans regarder, le lendemain, si elles sont réellement effectives sur le terrain. Je m’attache donc à rendre effective cette loi, qui couvre l’ensemble des champs du handicap. C’est mon premier chantier.
Oui à l’accessibilité universelle ! Mais quand la date du 1er janvier 2015 a été annoncée, on disait : « Dix ans pour avancer ! ». En fait, il s’agissait même de plus de dix ans, puisque la mobilisation avait commencé avant. Or il n’y a eu aucun suivi. Cette loi n’a pas été assez portée politiquement. Il ne suffit pas de dire qu’une loi existe, encore faut-il montrer une volonté politique pour qu’elle aboutisse sur le terrain. Pourtant je sais que, sur le terrain, il y a des volontés politiques, que ce soit de la part des associations, des maires, des présidents de conseil général.
Je m’attache donc à faire en sorte que ce grand rendez-vous de 2015 soit le plus beau rendez-vous qui soit, sans tordre le bras aux collectivités territoriales, en respectant les petits commerces de proximité, tous ceux qui, dans cette société, doivent faire des efforts.
Mon deuxième chantier, c’est celui des MDPH. Bien sûr que c’est un sujet sur lequel je dois travailler ! Avec le président de l’Assemblée des départements de France, nous avons d’ailleurs mis ce chantier sur la table. Nous avons travaillé à ce qu’on appelle les MDPH du futur – il paraît que le terme ne doit plus être utilisé. En tout cas, nous devons faire en sorte que l’organisation des MDPH soit plus efficace, plus transparente, et leur donner des moyens d’agir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir porté haut le débat sur le handicap. (Applaudissements.)
5
Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée, et je proclame donc M. Jean-Pierre Plancade membre du conseil d’administration de l’Institut des Hautes études pour la science et la technologie.
6
Création d'une commission spéciale
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le mardi 10 décembre, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC, a saisi M. le président du Sénat d’une demande de constitution d’une commission spéciale sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (n° 207, 2013-2014).
M. le président du Sénat n’a été saisi d’aucune opposition par le Gouvernement ou le président d’un groupe dans le délai prévu à l’alinéa 2 bis de l’article 16 du règlement du Sénat.
En conséquence, la demande de Mme Assassi est considérée comme adoptée et la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel est donc créée.
7
Fin de mission temporaire d'un sénateur
M. le président. Par lettre en date du 11 décembre 2013, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 19 décembre 2013, de la mission temporaire sur les missions et l’organisation de la protection judiciaire de la jeunesse, confiée à M. Jean-Pierre Michel, sénateur de la Haute-Saône, auprès de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre des dispositions de l’article L.O. 297 du code électoral.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures pour les questions d’actualité au Gouvernement.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
8
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
palestine
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans tous les pays, on célèbre, à juste raison et quasi unanimement, la disparition de Nelson Mandela, qui a longtemps été considéré comme le plus vieux prisonnier politique du monde.
Cette ferveur et ce respect paraissent aujourd’hui naturels. Cet homme, que beaucoup ont longtemps qualifié de terroriste, a toujours lutté pour le droit à la résistance contre toute forme d’oppression. Il sut réussir la réconciliation de tous les Sud-africains après la libération de son peuple.
En ce début de XXIe siècle, il y a encore, de par le monde, des femmes et des hommes qui sont emprisonnés pour les idées qu’ils défendent.
Je pense en particulier à Marwan Barghouti, résistant palestinien qui symbolise aujourd’hui la lutte de tout un peuple contre quarante-six ans d’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Après avoir longtemps partagé l’espoir né du processus de négociations de paix d’Oslo, il a été emprisonné pour sa participation aux deux révoltes populaires qui ont suivi la poursuite de la colonisation, de l’oppression, et le reniement des engagements des gouvernements israéliens. Marwan Barghouti, comme des milliers d’autres militants palestiniens, est détenu pour avoir lutté pour le droit inaliénable de son peuple à se libérer de l’oppression.
Méfions-nous que les terroristes d’hier ne soient les héros de la liberté de demain !
Au moment où les autorités israéliennes parlent de nouveau avec force de négociations de paix, sa libération et celle de ses camarades seraient un gage de sincérité et de bonne volonté. C’est un défi, qu’il faut lancer avec tous les hommes et les femmes épris de justice et de paix.
Permettez-moi une citation : « Dans le monde entier, des femmes et des hommes sont encore en prison, du fait de ce qu’ils sont, de ce qu’ils disent. La lutte doit continuer. » Nelson Mandela aurait pu être l’auteur de ces mots, mais c’est Barack Obama qui les a prononcés mardi dernier à Johannesburg.
Ma question sera directe, monsieur le ministre : quelles initiatives la France est-elle décidée à prendre en son nom propre, ou auprès des instances internationales, pour obtenir la libération de Marwan Barghouti et des prisonniers politiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la sénatrice, votre question se justifie à un double titre, sur le fond mais aussi du fait de son actualité, puisque le Quai d’Orsay remettait ce matin à plusieurs ONG œuvrant en faveur de personnes de toutes nationalités privées de liberté des prix pour accompagner leurs efforts au cours de l’année 2014.
Concernant en particulier Marwan Barghouti, les autorités françaises, je vous le confirme, suivent sa situation avec une très grande attention. En effet, elles sont conscientes du symbole que M. Barghouti représente au sein de la classe politique palestinienne et du crédit qu’il conserve auprès de l’opinion publique. Il pourrait effectivement, le moment venu, jouer un rôle important, une contribution utile aux efforts de paix conduits par le président Abbas. Nous maintenons d’ailleurs des contacts réguliers avec Mme Barghouti, son épouse, que le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a rencontrée en mars dernier.
D’une manière générale, la France suit attentivement la situation de l’ensemble des prisonniers politiques palestiniens. À titre national comme avec ses partenaires européens, elle a, à plusieurs reprises, appelé les autorités israéliennes au respect de leurs obligations à l’égard de ces détenus, notamment dans le domaine du droit international, des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
La France appelle aussi les Israéliens et les Palestiniens à effectuer des gestes significatifs susceptibles de développer la confiance dans le cadre des négociations de paix en cours. Elle estime que la libération de prisonniers par les autorités israéliennes constitue une contribution utile en ce sens.
S’agissant de la recherche d’un règlement politique, la France est constamment mobilisée pour faire avancer la cause de la paix. La visite du Président de la République française en Israël et dans les territoires palestiniens, les 17 et 18 novembre dernier, a permis de marquer le plein soutien de la France aux négociations en cours et de réitérer les positions et les attentes françaises.
Le Président de la République a fermement souligné l’urgence de parvenir à un accord définitif et renouvelé le soutien de la France à la solution de deux États pour les deux peuples. Il a engagé les deux parties à adopter la meilleure attitude pour faire progresser les négociations ; à cet égard, il a salué la libération de prisonniers par les autorités israéliennes, en marquant que cette mesure n’était qu’une étape dans le processus et que des gestes étaient exigés de part et d’autre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
avenir des institutions
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Il n’est pas là !
M. Francis Delattre. Il n’est jamais là !
M. Jacques Mézard. Elle est relative aux institutions de la République et au rôle du Sénat. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Pour nous, il est inopportun de modifier ces institutions sans recourir à un processus de révision constitutionnelle.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
M. Jacques Mézard. Or nous craignons que ce ne soit votre objectif. Vous le savez, notre groupe est profondément attaché au bicamérisme et, en conséquence, au respect de la place et du rôle du Sénat dans nos institutions,…
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jacques Mézard. … un Sénat disposant de ses pouvoirs législatifs dans tous les domaines, mais avec sa spécificité : l’impossibilité de renverser le Gouvernement et l’attribution de missions particulières, reconnues très clairement par la Constitution, concernant les collectivités territoriales.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jacques Mézard. À ce sujet, nous avons relevé avec une certaine inquiétude, pour ne point dire davantage, les propos de M. Olivier Dussopt, député, rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi de décentralisation et d’affirmation des métropoles transmis à cette chambre pour une deuxième lecture.
À la question : « Allez-vous réintroduire le Haut Conseil des territoires ? », il a répondu – cela figure dans La Gazette des communes, que j’ai sous les yeux – : « Le Gouvernement y est extrêmement favorable. Les Sénateurs parlent d’un "Sénat bis". Ils n’intègrent pas la perspective du non-cumul. Mais le jour où le non-cumul sera appliqué, il faudra un lieu de concertation entre le Gouvernement et les responsables des principaux exécutifs locaux. » (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est incroyable !
M. Alain Gournac. C’est scandaleux !
M. Jacques Mézard. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est M. Dussopt ! Il affirme que le Haut Conseil des territoires répond à la volonté du Gouvernement et remplacera le Sénat dans son rôle à l’égard des collectivités. On ne saurait être plus clair, et le débat d’hier à l’Assemblée nationale ne nous a point rassurés : le Haut Conseil des territoires, pendant du projet de loi sur le non-cumul, c’est le déclin assuré, si ce n’est la fin du Sénat !
M. Philippe Darniche. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Ce Haut Conseil n’était pas une proposition des associations des élus, comme on nous le fait croire aujourd'hui ; il leur a été instillé au fil des négociations. C’est en réalité la proposition n° 1 du rapport Terra Nova de 2011 comprenant le binôme et le non-cumul.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et voilà !
M. Jacques Mézard. Ma question est simple : quelles sont les intentions du Gouvernement sur le projet de Haut Conseil des territoires et, plus généralement, sur l’avenir du Sénat de la République ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Catherine Tasca applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, l’article 24 de la Constitution, que vous connaissez parfaitement, précise notamment que le Parlement vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement, évalue les politiques publiques et, surtout, comprend l’Assemblée nationale et le Sénat, ce dernier assurant la représentativité des collectivités territoriales de la République. Le Gouvernement n’a aucunement l’intention de modifier cet article.
M. Gérard Longuet. Il n’en a d’ailleurs pas les moyens ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Il n’a pas la majorité !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Au contraire, le Gouvernement entend réaffirmer son attachement au bicamérisme, qui est indispensable à la qualité de la loi et à l’effectivité du contrôle de l’action de l’exécutif.
M. François Trucy. On vous le rappellera !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le Sénat est aujourd’hui au rendez-vous de cette exigence, et le Gouvernement, je veux le rappeler, a choisi de saisir le Sénat en premier, ce qui est une marque de confiance à son égard, pour des textes aussi importants que la loi de programmation militaire, définitivement adoptée par votre assemblée mardi dernier.
Lundi dernier, le Sénat a adopté le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises. En outre, il est vraisemblable que l’Assemblée nationale votera conforme le texte issu des travaux du Sénat. Hier, ce dernier, conformément à sa tradition, a voté presque à l’unanimité, me semble-t-il, un texte important tendant à créer des sociétés d’économie mixte à opération unique dont vous étiez le rapporteur, monsieur Mézard.
Tout cela montre que, contrairement à ce qu’allèguent certains commentateurs, et en dépit de circonstances politiques faisant que, parfois, aucune majorité ne peut se dégager, le Sénat est présent et apporte sa pierre à l’œuvre législative.
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez plus particulièrement sur les projets du Gouvernement à l’égard du Sénat. Notre engagement, que je viens de rappeler, est très fort en la matière. Par ailleurs – nous avons eu ce débat lors de l’examen d’autres textes, ce que vous savez parfaitement –, nous sommes partisans de reconnaître la spécificité du Sénat, mais pas sa spécialité. Ce dernier point est d’ailleurs au centre de notre divergence, notamment concernant la question du cumul des mandats.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Sur le fond, il existe des pays où la seconde chambre a une spécialité, mais leur organisation est fédérale. La seule façon, pour la France, d’être une République qui respecte le Sénat, c’est bien de compter deux chambres auxquelles sont reconnus les mêmes pouvoirs, comme le fait l’article 24 de la Constitution. Telle est notre vision du bicamérisme.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Alain Gournac. Mais pourquoi le Haut Conseil ?
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je tiens à réaffirmer aujourd’hui ce point au nom du Gouvernement.
S’agissant du texte important de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles qui est actuellement en débat, le Gouvernement s’est déjà exprimé sur ce Haut Conseil. Toutefois, la procédure parlementaire suit son cours à l’Assemblée nationale, et une commission mixte paritaire se réunira pour trouver un accord entre les deux assemblées. Si elle y parvient, le Gouvernement sera évidemment très attentif à ses résultats, sans a priori, car son objectif est évidemment de respecter le Sénat et la procédure parlementaire, notamment pour ce qui concerne un texte de cette importance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
ukraine
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères ; il est absent en cet instant, mais je suis persuadé que nous recevrons malgré tout une réponse.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque la France est engagée à l’étranger, l’opposition en général, et l’UMP en particulier, s’efforcent de soutenir son autorité et considèrent que les divisions partisanes, certes légitimes, ne doivent en aucun cas l’emporter. C’est une attitude dont nous ne nous démarquerons pas.
Nous avons soutenu l’intervention au Mali. Nous soutenons pour l’instant l’intervention en République centrafricaine. Au nom de l’autorité de la France, nous avions émis des doutes sur les déclarations du Président de la République concernant la Syrie ; je dois constater que ces doutes étaient fondés, comme il l’a lui-même reconnu peu après.
Ma question concerne l’Ukraine. Nous souhaitons, non pas faire le procès de ce pays, qui est, hélas, connu pour ses excès et ses échecs, mais connaître l’attitude du Président de la République et celle du Gouvernement au regard d’une crise qui concerne toute l’Europe, notamment ses relations avec ce grand voisin, qui a parfois été notre grand allié et parfois, à l’inverse, une grande menace – au temps de l’Union soviétique –, je veux parler de la Russie.
Manifestement, dans la crise ukrainienne, un choix s’impose. Quelle est la volonté du Gouvernement français et du Président de la République de peser dans cette crise ?
M. Alain Gournac. Il n’a aucune volonté !
M. Gérard Longuet. Ma question est triple : aurons-nous la clarté de Mme Merkel et de sa majorité pour manifester aux côtés des partisans ukrainiens de l’Europe, ou nous contenterons-nous d’inviter M. Vitali Klitschko à venir déjeuner à Paris, ce qui est d'ailleurs un geste élégant, mais insuffisant ?
Ma deuxième question a trait à la demande même présentée par le gouvernement de Kiev lors du sommet de Vilnius, le 29 novembre dernier. S’agit-il pour vous d’un chantage absolu, traduisant une volonté d’une rupture, ou au contraire d’un appel lancé par un pays en désarroi ?
Ma troisième et dernière question est la suivante : monsieur le ministre, quelle est, en définitive, votre politique vis-à-vis de la Russie ? Nous commémorerons l’an prochain le centenaire de la Première Guerre mondiale. L’alliance franco-russe reste, aujourd’hui, un facteur de stabilité en Europe. Quel jugement la France porte-t-elle sur le droit de la Russie à s’organiser au côté de l’Europe ? Et peut-elle s’organiser avec celle-ci en évitant tout conflit inutile ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur Longuet, je vous remercie de votre question, qui me permet d’évoquer le déplacement que j’ai effectué à Kiev il y a quelques jours, le 5 décembre dernier. Je me suis notamment rendu place de l’Indépendance pour discuter avec les manifestants, avant de rencontrer l’ensemble des représentants de l’opposition et la famille de Mme Timochenko.
Les manifestations qui se succèdent quotidiennement à Kiev depuis plus d’une dizaine de jours appellent, de la part de la France, trois mots d’ordre que je veux énumérer avec précision.
Le premier mot d’ordre, c’est l’appel à la non-violence. Plusieurs centaines de milliers de personnes manifestent jour et nuit dans la capitale ukrainienne, dans un climat de tension. De nombreux blessés sont à déplorer, y compris d'ailleurs parmi les journalistes qui couvrent ces événements.
Au cours des derniers jours, les forces de l’ordre ont tenté des opérations d’évacuation, même si la nuit dernière a été plus calme. Cela étant, la France appelle au respect du droit de manifester et à la plus grande retenue. Nous le disons aux autorités gouvernementales : rien ne sera possible si la paix civile n’est pas assurée. Les revendications s’expriment de manière pacifique, je peux en témoigner. Elles doivent, partant, être traitées pacifiquement.
Le deuxième mot d’ordre, c’est la nécessaire reprise du dialogue. D’une part, le président Ianoukovitch accepte le principe d’une conciliation, de l’autre, il déploie les forces de l’ordre dans le centre-ville,…
M. Alain Gournac. Ah !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. … et refuse de dialoguer avec l’opposition.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous pouvons tous nous accorder sur ce point : il faut que le dialogue soit renoué entre le gouvernement ukrainien et les opposants qui s’expriment dans la rue. Tel était d’ailleurs l’objet de l’échange qui a eu lieu hier entre MM. Fabius et Klitschko, lequel doit, lui aussi, être respecté et écouté, en tant que porte-parole des revendications du peuple ukrainien.
Le troisième et dernier mot d’ordre, c’est la volonté d’ouverture de l’Union européenne vers l’Ukraine, qui reste intacte. Nous demeurons favorables à l’accord d’association avec Kiev. Le Président de la République lui-même l’a dit à Vilnius à l’occasion du sommet du partenariat oriental.
Toutefois, l’Europe n’agit pas en marchand de tapis, choisissant ses alliances selon ce que peut offrir ou non telle ou telle puissance. L’Ukraine n’est pas à acheter, comme l’Europe n’est pas à vendre ! Du reste, à nos yeux, il n’y a pas d’antagonisme entre la recherche d’un accord d’association avec l’Europe et la proximité avec la Russie. C’est le message que nous avons transmis à la partie ukrainienne. C’est la mission qui a été confiée à Mme Asthon au nom de l’Union européenne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, non-violence, dialogue et maintien de l’ouverture européenne : tel est le résumé de notre politique. Et c’est au peuple ukrainien, dont le droit à manifester doit être pleinement respecté, de dire pacifiquement quelle est sa propre position ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
jour de carence des fonctionnaires
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Madame la ministre, vous avez annoncé il y a quelques mois la suppression de la journée de carence pour les arrêts de maladie des fonctionnaires.
M. Christian Cambon. Exact !
M. Alain Gournac. C’est intelligent !
Mme Cécile Cukierman. En effet, cher collègue, c’est intelligent !
M. Vincent Capo-Canellas. Le motif alors invoqué était l’inutilité supposée de ce dispositif. Pourtant, une étude récemment publiée rappelle que, depuis l’instauration de cette journée de carence, les arrêts de maladie courts ont réellement chuté.
Mme Cécile Cukierman. Tandis que les arrêts de longue maladie ont très fortement augmenté !
M. Vincent Capo-Canellas. Les chiffres sont éloquents : en 2012, le nombre d’absences d’une journée a reculé de 41 % dans les hôpitaux et de 43 % dans les collectivités territoriales. Si les données équivalentes font défaut pour la fonction publique d’État, force est de constater que la journée de carence n’a rien d’inutile.
Mme Cécile Cukierman. Il faut lire cette étude jusqu’au bout !
M. Vincent Capo-Canellas. Or, paradoxalement, c’est le moment que le Gouvernement choisit pour supprimer ce dispositif.
M. Christian Cambon. Les finances vont si bien !
M. Vincent Capo-Canellas. L’expérimentation menée deux années durant avec succès ne sera donc pas pérennisée, alors même qu’elle affiche des résultats positifs, ce qui, vous en conviendrez, n’a guère de sens.
La suppression de la journée de carence aura un impact négatif sur les finances publiques : elle coûtera à tout le moins 157 millions d’euros l’année prochaine et désorganisera les services concernés, notamment dans l’hôpital public, où cette mesure avait permis de faire des économies. C’est là un très mauvais signal, à l’heure où les efforts de maîtrise de la dépense publique doivent être accrus.
Validée par les faits, la journée de carence se justifie également sur le plan des principes. Je rappelle que, dans le secteur privé, le délai de carence est de trois jours. Il s’agit donc d’une mesure d’équité. Il n’est pas inutile de le souligner, en cette période où tous les Français sont mis à contribution : l’effort n’est juste que s’il est partagé !
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Vincent Capo-Canellas. Dès lors, pourquoi supprimer la journée de carence ? D’aucuns invoquent les arrêts de maladie longs, mais ces derniers n’ont évidemment aucun lien avec ceux qui nous occupent ici. On ne remplace pas un jour d’arrêt de maladie par un arrêt de quinze jours ou plus ! On le sait, l’augmentation des arrêts dits « longs » s’explique par le vieillissement de la population des fonctionnaires.
Mme Cécile Cukierman. Il fallait y penser avant de reculer l’âge de départ à la retraite !
M. Vincent Capo-Canellas. Cette raison ne tient donc pas.
Par ailleurs, mettre en cause les commanditaires de l’étude révélant l’impact positif du jour de carence est un piètre procédé. Il ne sert à rien de casser le thermomètre quand il affiche un chiffre embarrassant !
Madame la ministre, plutôt que d’attaquer les assureurs, vous devriez relancer les négociations au sujet de la mutuelle obligatoire des fonctionnaires, qui avaient été précédemment engagées.
Qu’entendez-vous faire face à cette situation ? Allez-vous revenir sur la suppression de la journée de carence ? Dans le cas contraire, allez-vous compenser, pour les collectivités territoriales et les hôpitaux, le manque à gagner qu’entraînera sa disparition ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Alain Gournac. La gauche mène une politique de clientèle !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur Capo-Canellas, je vous remercie vivement d’avoir posé cette question. L’étude que vous citez a été largement commentée. Je souligne d’emblée qu’elle a été commandée par une société représentant les assureurs.
Mme Annie David. Tout à fait !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. À entendre votre question, vous n’avez, à ce jour, pas plus de précisions que le Gouvernement sur le fait que cette firme a déjà négocié quelque 700 000 contrats pour des agents du secteur public.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. En effet, prenant acte, il y a peu, du jour de carence, nombre de maires ont écouté les mutuelles et les assureurs, qui leur ont proposé d’établir des contrats collectifs de prévoyance. Certaines collectivités dépensent entre 8 et 12 euros par salarié et par mois pour cheminer vers la prévoyance. Je note que 77 % des salariés du privé bénéficient déjà de cette dernière – et c’est tant mieux –, parmi lesquels 50 % des salariés des très petites entreprises, les TPE.
Mme Catherine Procaccia. Pour être taxées davantage !
M. Alain Gournac. Exact !
Mme Cécile Cukierman. Et le partage des profits ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Pour poursuivre dans le sens de l’alignement, il faudrait porter le délai de carence à trois jours. Aussitôt, l’ensemble des maires et des présidents de conseil général de France, ainsi que la ministre de la fonction publique que je suis, négocieraient des contrats de prévoyance modifiés en conséquence. Je comprends que les mutuelles, que je respecte beaucoup, comme la société Sofaxis, qui a connu quelques difficultés en matière de marchés publics, mais qui, depuis lors, a beaucoup progressé, voient devant elles un formidable marché ouvert !
Monsieur le sénateur, nos fonctionnaires n’ont pas, pour l’heure, droit à la complémentaire santé. Parallèlement, seuls 23 % de leurs collègues du secteur privé se voient encore appliquer un jour de carence. Dès lors, les fonctionnaires diront à leur employeur : « Soit, allons jusqu’au bout ! Donnez-nous la complémentaire santé et une assurance prévoyance ! »
M. Jacky Le Menn. Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Calculez l’écart de coûts qui sépare les deux dispositifs. Si vous souhaitez augmenter la dépense publique, conservons le jour de carence et négocions la complémentaire santé. Je le répète, si vous tenez à rapprocher les régimes du public et du privé, il faut aller jusqu’au bout, au-delà du seul jour de carence !
Mme Cécile Cukierman. Voilà !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Les partenaires sociaux ont récemment conclu un accord rendant obligatoire la complémentaire santé. Retrouvons-nous dans le cadre d’un véritable groupe de travail, pour déterminer ce que coûteront, au titre de la dépense publique, ce régime complémentaire et l’alignement des délais de carence entre le public et le privé.
Les sociétés d’assurances utilisent l’étude en question pour obtenir ce qu’elles veulent, c’est-à-dire un vaste marché. Je le regrette, car ce procédé est dommageable, certes non pour elles, mais pour la dépense publique !
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je comprends bien qu’une entreprise cherche à accroître son chiffre d’affaires ; je n’éprouve, à cet égard, aucun scrupule d’ordre éthique. Toutefois, les chiffres méritent d’être étudiés de près. Vous affirmez que les arrêts de longue durée augmentent du fait du vieillissement des fonctionnaires, mais tel n’est pas tout à fait le cas.
M. le président. Madame la ministre, je vous prie de bien vouloir conclure.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. J’achève mon propos, monsieur le président.
Lorsqu’un salarié malade se fait violence pour aller travailler en prenant un paracétamol afin de ne pas subir le jour de carence, et qu’il doit ensuite se rendre chez le médecin pour obtenir trois ou quatre jours d’arrêt, ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour tout le monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, mais elle concerne également M. le ministre chargé des affaires européennes.
Mes chers collègues, vous le savez, l’emploi reste la première préoccupation des Français.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il faudrait qu’elle soit aussi celle du Gouvernement !
M. Claude Jeannerot. L’emploi constitue également la priorité du Gouvernement. Néanmoins, alors que le niveau du chômage reste élevé, l’Europe n’est pas toujours perçue par nos compatriotes comme une alliée sur le front du travail. On se souvient du projet de directive Bolkenstein, dite « du plombier polonais »,…
M. Francis Delattre. Allô, allô ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Claude Jeannerot. … qui risquait non seulement d’aggraver le chômage, mais aussi de faire reculer la situation économique et sociale des salariés.
Or voilà qu’au cours des dernières semaines une nouvelle inquiétude a surgi sur le front social. De quoi s’agit-il ? Une directive européenne de 1996 indique qu’une entreprise peut détacher ses salariés dans un autre pays de l’Union européenne,…
M. Alain Gournac. Ah !
M. Claude Jeannerot. … à condition de respecter les règles du pays d’accueil en matière de salaires et de conditions de travail, tout en acquittant néanmoins ses cotisations sociales dans le pays d’origine.
Cette réglementation avait précisément pour but d’organiser et d’encadrer les conditions de la concurrence. Toutefois, dans la pratique, elle a été largement détournée, créant ainsi d’inacceptables situations de dumping social.
De fait, pourquoi recruter un salarié français quand on peut disposer d’un travailleur détaché venant d’un autre État membre ? Les économies ainsi réalisées peuvent atteindre 30 % du coût total, comme le montre le rapport rédigé par notre excellent collègue Éric Bocquet au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.
Monsieur le ministre, le 9 décembre dernier, lors du Conseil des ministres de l’emploi européens, vous avez obtenu un accord assurant à l’évidence les contre-feux nécessaires et apportant, pour l’avenir, toutes les garanties nécessaires.
Néanmoins, au-delà de ce nouvel épisode, nous pressentons tous ici quelle est la véritable question : celle de l’avenir même d’une Europe sociale, source de progrès, de développement et d’emploi pour tous. Quand assistera-t-on, enfin, au retour de l’Europe sociale ? Je vous remercie par avance de bien vouloir nous éclairer quant aux perspectives concrètes issues de cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – Mme Annie David applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, la directive « détachement », que vous avez citée, date de 1996. Comme vous l’avez rappelé rapidement, mais à juste titre, elle représentait alors un progrès.
M. Claude Jeannerot. Bien sûr !
M. Michel Sapin, ministre. Cette disposition a encadré une situation qui, sinon, n’aurait bénéficié d’aucune règle. J’en suis persuadé, nous sommes tous, dans cet hémicycle, favorables à la réglementation et à l’encadrement plutôt qu’à la loi de la jungle !
Toutefois, depuis 1996, l’Europe s’est élargie et, au cours des dernières années, la crise économique a frappé chacun de nos territoires. Aussi, cette directive a favorisé une forte augmentation du nombre de travailleurs détachés. Il s’agit, somme toute, de travailleurs en situation d’intérim : des ressortissants polonais, roumains, bulgares ou slovaques sont employés ici ou là, en France, au service d’une entreprise de droit français. Surtout, cette directive a favorisé une hausse exponentielle des abus et des contournements.
Au fond, cette directive est devenue le support d’une fraude organisée. Aujourd’hui, certains salariés sont surexploités. Cette situation est déjà, en tant que telle, extrêmement condamnable. De surcroît, les entreprises dont ces travailleurs sont originaires bénéficient de prix totalement déconnectés du marché. Oui, aujourd’hui, la directive « détachement » est le support d’une concurrence déloyale, d’un dumping social. Cet état de fait est préjudiciable aux travailleurs étrangers concernés, aux salariés français, qui risquent de perdre leur emploi parce que des marchés sont perdus, et aux entreprises françaises, qui jugent, avec raison, cette situation scandaleuse. (M. Antoine Lefèvre acquiesce.)
L’Europe a réagi, pas plus tard que lundi dernier. Toutefois, contre une majorité d’États membres, un certain nombre de pays se sont opposés jusqu’au bout à toute réglementation supplémentaire. La Grande-Bretagne et la Hongrie, notamment, sont restées sur leurs positions.
Une telle réglementation n’en est pas moins nécessaire au niveau européen. Il faut lutter contre cette fraude organisée, contre cette cascade de sous-traitants qui, progressivement, créent une réelle opacité. Celle-ci fait obstacle à la mise en cause du premier des responsables, à savoir l’entreprise qui donne des ordres.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Michel Sapin, ministre. Or on ne peut lutter contre ce fléau que si l’ensemble des pays européens disposent des mêmes outils.
Voici ce qui a été décidé : créer une meilleure capacité de contrôle associée à une meilleure capacité de punir. Il nous faudra transcrire très rapidement ces règles dans le droit français, et je sais que des parlementaires prendront des initiatives en ce sens. Nous le ferons, avant même que la directive ne soit adoptée par le Parlement européen.
Nous devrons renforcer les contrôles sur le territoire – j’étais ce matin même sur un chantier –, pour faire en sorte que la loi française soit respectée, comme les droits des travailleurs, d’où qu’ils viennent, et que la libre concurrence, non faussée, soit défendue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
position de la france dans le dossier européen du chalutage en eaux profondes
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes.
Monsieur le ministre, à l’heure où la dépense publique est soupesée au trébuchet de la rigueur, il est scandaleux qu’un secteur structurellement non rentable ne vive que de subventions. Je veux parler des onze bateaux dédiés à la pêche au chalut en eaux profondes.
Une étude anglaise de la New Economics Foundation rapporte que cette pêche entraîne une perte de 153 euros par tonne de poissons pêchés. En effet, il faut pêcher 1,2 tonne de poissons au minimum pour obtenir une tonne de poissons vendables, valant 200 euros sur les étals d’une des dernières enseignes à proposer empereurs, sabres noirs et autres lingues bleues. Chaque tonne, vendable ou non, aura entraîné la consommation de 920 litres de fioul.
La simple lecture du bilan comptable d’un armateur en eaux profondes permet de découvrir que chaque tonne vendue génère donc une perte de 153 euros, malgré les subventions européennes et les aides portant sur le fioul.
Les chalutiers dédiés à une telle pêche entraînent un coût environnemental et énergétique d’au minimum 389 euros par tonne de poisson pêché. Si encore cette pêche au chalut était pourvoyeuse d’emplois ! Mais non : elle nécessite six fois moins de pêcheurs que la pêche à la palangre, moins destructrice des écosystèmes.
Un armateur de Boulogne-sur-Mer a compris l’absurdité économique de cette pêche et y a mis fin. Il est devenu bénéficiaire. Le plus gros des armateurs qui s’y livre encore semble avoir enfin pris conscience de cette réalité et envisage de changer de mode de pêche. Sa conversion ne date, certes, que d’avant-hier ! S’il a gagné la bataille au Parlement européen, il a, en effet, perdu la confiance des consommateurs et court, peut-être, derrière des concurrents plus prompts à reconnaître leurs erreurs.
Monsieur le ministre, alors que 772 000 pétitionnaires dénoncent le massacre des fonds marins par les chaluts et que des appels au boycott des vendeurs de cette pêche se font entendre, qu’entend faire le gouvernement français pour aider à la conversion de la dizaine de bateaux concernés à une pêche respectueuse de l’environnement – je crains toutefois que le Gouvernement ne partage pas ce souci – et moins coûteuse pour la France, tant financièrement que pour notre image de marque ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la sénatrice, la pêche en France est en réalité bien plus encadrée aujourd’hui qu’il y a une dizaine d’années. L’état des stocks des espèces pêchées s’améliore, grâce à un partenariat étroit entre scientifiques et pécheurs. Il en résulte une pratique plus respectueuse de l’environnement. Il faut s’en féliciter.
Nous devons néanmoins aller plus loin encore et mieux encadrer la pêche en eaux profondes, afin de réduire son impact sur l’environnement marin.
M. Jean Desessard. Ah, voilà !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Il est possible, en effet, de concilier la protection des écosystèmes marins profonds vulnérables et l’emploi direct et indirect généré dans nos ports par le secteur de la pêche.
Mme Hélène Lipietz. Mais non, ce n’est pas la question !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. C’est là tout le sens du vote du Parlement européen, qui vient de se prononcer pour un « encadrement renforcé » de la pêche profonde, sans aller jusqu’à son interdiction. Cette pêche concerne non pas seulement onze navires, mais plus de sept cents, d’après l’estimation produite par la Commission européenne.
Mme Hélène Lipietz. Je vous parle de la France !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Les débats entre les États membres au sein du Conseil de l’Union européenne sont encore à venir : ce sujet relève de la codécision entre le Parlement européen et le Conseil.
La France s’est fixé un cap sur ce sujet, ainsi que le Premier ministre l’a rappelé lors de la grande conférence environnementale : elle participe activement aux discussions communautaires afin de mieux connaître et d’encadrer la pêche en eaux profondes. La France défendra donc une approche ambitieuse et équilibrée, garantissant l’équilibre entre les enjeux environnementaux, sociaux et économiques.
Concernant les aides, je vous rappelle que le régime européen est très strict dans le domaine de la pêche. Les aides directes pour le fonctionnement des entreprises sont interdites, ainsi que, depuis 1992, les aides à la construction d’un navire neuf. Pour le reste, les aides autorisées sont celles qui contribuent à améliorer l’exploitation durable de nos ressources. Il n’y a pas d’aides qui soient versées spécifiquement à la pêche profonde.
Madame la sénatrice, soyez assurée que, dans les négociations européennes, la France défendra cette approche à la fois ambitieuse et équilibrée, en n’oubliant pas qu’il s’agit d’un enjeu économique pour les zones maritimes et côtières de France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
situation économique et fiscale
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
M. Alain Gournac. Il n’est pas là !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le Premier ministre, en ayant massivement augmenté les impôts depuis juillet 2012, sans ligne directrice, vous avez fait naître un sentiment d’incompréhension, voire de refus de l’impôt.
Notre économie et nos concitoyens souffrent aujourd’hui de ces hausses d’impôts, de ce matraquage fiscal qui ne devait concerner que les riches, mais qui touche tout le monde, et particulièrement les classes moyennes.
M. David Assouline. Et vous, qui nous matraquez, qu’avez-vous fait ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout le monde souffre des mesures économiques contradictoires que vous prenez !
M. Alain Bertrand. Vous, c’était 600 milliards d’euros de dette en plus !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En annonçant, sans préparation, une remise à plat de la fiscalité, vous ne faites qu’aggraver la confusion et accroître les risques d’effets très négatifs sur notre économie, du fait de l’instabilité que vous créez et que présagent les acteurs économiques.
M. Alain Gournac. Très juste !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le Premier ministre, n’est-il pas temps de nous munir d’un système fiscal qui soit lisible, cohérent,… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. C’est précisément l’objet de la réforme que vous dénoncez !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … qui s’inscrive dans la durée et qui soit coordonné à ceux de nos partenaires européens ?
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. On y arrive !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Parce que notre économie a besoin, avant tout, de stabilité et de confiance, nous voudrions savoir, monsieur le Premier ministre, quelle est votre méthode.
Quel est le calendrier de la réforme ?
M. Alain Gournac. Voilà !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quelle est sa logique d’ensemble ? (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Voilà !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et pour quels impôts ?
M. Alain Gournac. Voilà !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La fiscalité locale serait, paraît-il, traitée ultérieurement,…
M. David Assouline. Et vous, madame, que pensez-vous de cette réforme ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … dans dix ans, dit-on ! Pourquoi la fiscalité environnementale est-elle traitée à part ?
M. Jacques Gautier. C'est de la fumée !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Peut-être ne sera-t-elle pas traitée du tout ! Je pense ainsi à l’écotaxe. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Monsieur le Premier ministre, nous regrettons d’ores et déjà que vous ne placiez pas cette réforme au service de la compétitivité de nos entreprises,…
M. Alain Gournac. La compétitivité, ils ne savent pas ce que c’est, et ils détestent les entreprises !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … seules sources de création d’emplois durables, ni sous le signe d’une nécessaire réduction de la dépense publique.
M. Jacky Le Menn. Vous avez augmenté la dette de 600 milliards d’euros !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je vous le dis, la seule réforme fiscale possible aujourd’hui, c’est la réduction de nos impôts ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. David Assouline. Quel poujadisme !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, marquée, comme toujours, par la bonhomie, par la lucidité et par les signes d’encouragement que vous nous prodiguez. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Le réel équilibre de votre position me touche profondément. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jacky Le Menn. Elle fait toujours preuve d’une grande mesure !
M. Pierre Moscovici, ministre. Je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler la situation dans laquelle se trouvait la France en 2012. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr ! Continuez !
M. Alain Gournac. Vous êtes aux commandes depuis plus d’un an maintenant !
M. Pierre Moscovici, ministre. Je pourrais pourtant le dire durant cinq ans ! Car il s’agit bien de cela : du redressement des finances publiques du pays, que vous avez laissé avec un déficit supérieur à 5 % du PIB.
M. Alain Bertrand. Il a raison !
M. Pierre Moscovici, ministre. Il s’agit du désendettement du pays, car vous avez accumulé 600 milliards d’euros de dette publique en plus.
M. Alain Gournac. Et vous en avez encore ajouté depuis lors !
M. Pierre Moscovici, ministre. Il s’agit du redressement de la compétitivité du pays. Franchement, en vous entendant évoquer ce mot, on se pince, tant vous l’avez laissée se dégrader.
M. Francis Delattre. Oh non !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je parle des vôtres !
M. Didier Guillaume. C’était un désastre !
M. Philippe Dallier. Vous étiez contre !
M. Jean-Pierre Raffarin. Bonnets rouges pour tout le monde !
M. Gérard Longuet. Et bonnets d’âne pour les autres ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Moscovici, ministre. Je me le dis parfois, plutôt que de vous livrer à ce genre de péroraisons, vous devriez vous excuser auprès des Français ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Cela dit, je veux vous expliquer ce que le Premier ministre entend faire, car il s’agit précisément de remettre à plat notre système fiscal,…
M. Didier Guillaume. Voilà votre réponse, madame Des Esgaulx !
M. Pierre Moscovici, ministre. … afin de le rendre plus simple, plus lisible, plus juste, et d’en faire un facteur de stabilité. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Francis Delattre. On en est loin !
M. Alain Gournac. Ce n’est pas sérieux.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout va très bien, en somme, monsieur le ministre !
M. Pierre Moscovici, ministre. C’est la raison pour laquelle nous allons nous attaquer à la fois à la fiscalité des entreprises, avec la volonté de préserver et d’améliorer la compétitivité, à la fiscalité des ménages, avec le souci de la simplifier et de la rendre plus juste, et au financement de la protection sociale, afin qu’il soit pérennisé, qu’il demeure approprié pour les partenaires sociaux et qu’il crée de la justice.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Didier Guillaume. C’est très clair !
M. Jacques Gautier. Appliquez donc vos préceptes !
M. Pierre Moscovici, ministre. Vous le savez d’autant mieux que le Premier ministre a souhaité recevoir tous les groupes parlementaires et qu’il leur a offert, à tous, de s’associer à ce travail.
M. Jean-Pierre Raffarin. Merci, merci ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Moscovici, ministre. Ce travail doit trouver une première concrétisation dans le projet de loi de finances pour 2015, mais il prendra, en effet, plus de temps que cela (Ah ! sur les travées de l'UMP.), tant cette remise à plat est une œuvre de longue haleine.
N’essayez pas de faire peur aux Français ! (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce serait inutile : ils ont déjà peur !
M. Alain Gournac. Vous faites ce qu’il faut pour cela !
M. Pierre Moscovici, ministre. Nous souhaitons établir une fiscalité plus stable, plus simple, plus juste, plus lisible, pour redresser une situation que vous avez dégradée, et les Français le savent bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
collèges en seine-saint-denis
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative.
Madame la ministre, le Gouvernement, depuis le début du quinquennat, a fait de la refonte de l’éducation sa priorité,…
Mme Catherine Tasca. À raison !
M. Gilbert Roger. … en renforçant notamment les effectifs d’enseignants dans les établissements scolaires, avec le recrutement prévu de 8 804 équivalents temps plein en 2014.
En portant haut un discours de respect sur l’école, le ministre de l’éducation nationale a remporté un premier succès, puisqu’il y a eu plus d’inscrits aux concours de l’année 2013 que lors des années précédentes.
M. Alain Gournac. Ah bravo ! Excellent ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Gilbert Roger. Cependant, malgré les efforts consentis, je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur l’organisation exceptionnelle que requiert la rentrée scolaire 2014 dans les collèges de la Seine-Saint-Denis, afin de faire face aux nombreuses ouvertures d’établissements liées à une forte poussée démographique.
En effet, cinq collèges neufs seront livrés à la rentrée 2014, avec une capacité d’accueil de 600 élèves chacun. Ces ouvertures nécessitent la création de cinq nouveaux gymnases, de cinq cuisines centrales et d’un internat, lié au collège international de Noisy-le-Grand.
M. Alain Gournac. Qui a payé ?
M. Gilbert Roger. Le département a adopté dès 2010 un plan exceptionnel d’investissement de 723 millions d’euros en prévision de cette forte augmentation des effectifs scolaires, déjà constatée dans les écoles primaires.
M. Alain Gournac. C’est formidable !
M. Gilbert Roger. Toutefois, il s’agit d’une situation inédite, puisque c’est la première fois que, dans un seul département, l’éducation nationale doit se préparer à l’ouverture concomitante de cinq collèges neufs supplémentaires.
Aussi, madame la ministre, je vous demande de bien vouloir m’indiquer comment l’éducation nationale compte préparer, très en amont, la nomination de l’ensemble des personnels d’éducation, qu’il s’agisse des principaux, des conseillers principaux d’éducation ou des professeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Vincent Placé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Monsieur le sénateur, je souhaite tout d’abord saluer l’action des personnels de l’éducation nationale, qui s’engagent chaque jour,…
M. Alain Gournac. Dans la rue ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. … sur des territoires comme celui de la Seine-Saint-Denis, où leur tâche n’est pas toujours aisée.
J’ai eu l’occasion de le constater récemment, en me rendant sur place pour observer l’organisation de la réforme des rythmes éducatifs. Je dois le dire, je suis très admirative de la manière dont ils s’impliquent, au jour le jour, afin de donner à ces enfants, qui ne bénéficient pas de toutes les facilités, les meilleurs moyens de réussir, grâce à la réforme que nous avons mise en place.
Comme vous le savez, depuis notre entrée en fonction, Vincent Peillon et moi-même avons essayé de corriger ce qui avait été fait précédemment.
M. Didier Guillaume. Et cela va mieux.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Il est vrai que les agents et les élèves de Seine-Saint-Denis n’avaient pas eu le sentiment de constituer une priorité pour le précédent gouvernement…
C’est la raison pour laquelle nous avons fait un effort significatif pour affecter de nouveaux personnels dans l’académie de Créteil. Celle-ci a bénéficié de 405 postes supplémentaires pour l’enseignement public du premier degré et de 430 postes pour le second degré, de manière à tenter de régler la question lancinante des remplacements, toujours insuffisants dans ce département.
Vous le savez, nous essayons de privilégier en Seine-Saint-Denis des dispositifs tels que « Plus de maîtres que de classes », qui permettent de scolariser les enfants dès leur plus jeune âge.
Avant d’en venir au fonctionnement de ces cinq collèges, permettez-moi de saluer l’effort consenti par le conseil général pour offrir aux enfants de Seine-Saint-Denis des établissements de bonne qualité. À cet égard, je me félicite de la collaboration fructueuse menée avec le ministère de l’éducation nationale.
Mme Éliane Assassi. Cela fait longtemps qu’elle existe !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Comme à l’accoutumée, nous avons nommé chaque principal de collège, dont la mission est d’assurer le suivi des chantiers et de superviser la rentrée 2013- 2014.
Le nombre précis de personnels enseignants à nommer sera arrêté à la mi-janvier. Nous tiendrons évidemment compte des partenariats. De plus, nous menons un travail de sectorisation, afin de respecter le plus possible la mixité, et cela en liaison avec le conseil général.
Vous le savez, l’enquête PISA a une fois encore montré notre responsabilité à l’égard des enfants des quartiers populaires. C’est en travaillant ensemble que nous réussirons à relever ce défi redoutable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
politique en faveur des personnes âgées
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
Être autonome est l’une des conditions essentielles pour avoir une vie équilibrée et heureuse. C’est vrai à tous les âges et ça l’est manifestement plus encore pour les personnes âgées.
Le Président de la République et le Premier ministre vous ont confié, madame la ministre, une tâche immense. En effet, le Gouvernement a inscrit parmi ses priorités l’anticipation et la prévention de la perte d’autonomie.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. C’est vrai !
M. Claude Domeizel. Pour reprendre les termes de l’une de vos déclarations, madame la ministre, « il n’y a pas de fatalité ; il est des situations sur lesquelles nous pouvons et nous devons agir pour préserver l’autonomie ».
Au cœur de la prévention, vous avez lancé le dispositif MONALISA. Quel bel acronyme, frais et souriant, pour dénommer une mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Qui peut nier l’importance du lien social dans la préservation de l’autonomie ? C’est un sujet essentiel partout, dans les villes comme dans les zones rurales. Qu’il s’agisse de l’adaptation des logements, de la téléassistance, des actions collectives, des ateliers associatifs portant sur l’activité physique ou la nutrition ou encore de l’aide à domicile, voilà autant de leviers pour la préservation de l’autonomie.
Madame la ministre, selon quel calendrier et avec quels partenaires comptez-vous mettre en œuvre ces orientations ?
Au moment où s’engage cette concertation, quelle place comptez-vous accorder aux caisses de retraite pour ce qui concerne le volet « anticipation » de votre projet de loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société au vieillissement ? Allez-vous répondre au besoin de clarification de leur fonction dans le champ de la gérontologie ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Encore une question écrite par le cabinet !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, vous l’avez souligné, le volet « anticipation et prévention » du projet de loi que nous présenterons au Parlement l’année prochaine est tout à fait essentiel : c’est le moteur même de ce texte.
Les nombreux baby-boomers, qui vieillissent, sont les premiers à accompagner massivement leurs parents dans le très grand âge, et ils ne veulent plus aujourd'hui se laisser surprendre : ils souhaitent anticiper et se préparer à cette nouvelle étape.
Les caisses de retraite jouent d’ores et déjà un rôle très important en la matière : elles accompagnent les retraités, les informent, les conseillent, et elles développent la culture de l’autonomie non seulement au moment du passage à la retraite, mais aussi tout au long de l’avancée en âge.
Elles ont orienté leur action sociale vers la préservation de l’autonomie, en faisant preuve d’un grand sens de l’innovation et en engageant une coordination entre les différents régimes. Elles développent une vision large de cette prévention, à la fois individuellement, sur les comportements favorables, et, collectivement, sur la dimension sociale. Elles financent des ateliers collectifs, que vous avez évoqués, et elles contribuent à l’amélioration des logements avec l’ANAH, l’Agence nationale de l’habitat, et au financement des logements-foyers et des résidences sociales.
Enfin, elles assurent le maintien à domicile des personnes relevant des GIR, les groupes iso-ressources, 5 et 6, c'est-à-dire les personnes en début de perte d’autonomie quand celles-ci connaissent des difficultés sociales. Sans ces caisses de retraite, ces personnes ne pourraient pas demeurer chez elles.
Les caisses de retraite interviennent également sur le lien social. À cet égard, vous avez souligné, monsieur le sénateur, la mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés, le dispositif MONALISA. Elles y participent activement dans huit départements témoins, ce qui donne de très grands espoirs quant à la reprise du lien social pour toutes les générations.
La place des caisses de retraite dans la prévention est donc d’ores et déjà reconnue. Toutefois, nous allons plus loin. Nous engageons, avec les partenaires sociaux qui en sont les gestionnaires, un dialogue sur le renforcement de la convergence entre les régimes dans les différentes actions menées, et ce dans le prolongement des actions qu’elles ont amorcées, afin de formaliser un socle commun de l’action sociale, garantissant un égal accès à une politique publique nationale de prévention de l’autonomie.
Sur la base de ces travaux, nous devons améliorer la coordination de ces politiques avec les conseils généraux, dont le chef de filat sera confirmé dans le cadre de la future loi et qui travailleront en partenariat avec les agences régionales de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
rythmes scolaires
M. le président. La parole est à M. Joël Billard.
M. Joël Billard. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.
Monsieur le ministre, à la suite de la publication de votre décret concernant les rythmes scolaires, l’inquiétude et la colère des élus, des enseignants et des parents d’élèves ne s’apaisent pas.
À l'évidence, proposer au niveau national une réforme de ce genre, qui puisse s’adapter à la fois à une école isolée dans une zone rurale et à un groupe scolaire implanté dans une grande ville est tout simplement irréaliste.
Un cadre national ne peut se concevoir sans dérogations tenant compte des contraintes locales et, bien entendu, de la spécificité des territoires ruraux. Comment, par exemple, faire venir une heure chaque jour une personne diplômée pour encadrer les enfants, à moins de mettre en place une garderie, ce qui ne correspond pas à l’esprit du décret, sans parler de l’organisation et du coût des transports ?
C'est la raison pour laquelle le groupe UMP du Sénat a déposé, sur l’initiative de son président, une proposition de loi visant à permettre à chaque commune de s’organiser comme elle le souhaite pour proposer aux enfants et aux familles l’organisation la plus favorable.
Il semblerait que votre réforme ne permette pas d’agir positivement sur les rythmes biologiques de l’enfant, pourtant à la base du débat. Par ailleurs, si l’on en croit les expériences passées, les aménagements des rythmes scolaires seraient sans incidence sur les résultats des élèves. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
MM. François Marc et Yannick Vaugrenard. C’est faux !
M. Joël Billard. Il est facile de le constater, cette nouvelle organisation est techniquement très difficilement réalisable et financièrement inacceptable, d’autant que les communes doivent faire face, sur trois ans, à une baisse des dotations de fonctionnement. À titre d’exemple, cela représenterait, pour ma commune, environ dix points de fiscalité. Eu égard au ras-le-bol fiscal de nos concitoyens, cette nouvelle imposition n’est pas envisageable.
Monsieur le ministre, j’ai adressé une lettre à tous les maires de mon département pour demander au Gouvernement de renoncer à ce décret ou de laisser aux communes le libre choix de l’organisation du temps scolaire, tout en garantissant à celles-ci la compensation intégrale des charges.
M. David Assouline. C’est national !
M. Joël Billard. Je me suis toujours posé en défenseur de la ruralité et, aujourd’hui, je continue d’aider mes collègues maires, qui se débattent contre les multiples difficultés rencontrées.
M. Didier Guillaume. Il faut y mettre de la bonne volonté !
M. Joël Billard. Monsieur le ministre, écoutez les voix qui montent de la France profonde et apportez aujourd’hui à nos concitoyens la réponse qu’ils attendent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, votre question comprend de nombreux éléments.
Tout d'abord, si les rythmes scolaires n’ont véritablement aucune incidence sur les résultats scolaires, je ne m’explique pas pourquoi les groupes parlementaires, y compris le groupe UMP, avaient engagé, avec mon prédécesseur Luc Chatel, une si longue consultation, qui a abouti à la même conclusion…
M. Didier Guillaume. Bien sûr !
M. Vincent Peillon, ministre. … que celle de l’Académie nationale de médecine et de l’ensemble des pédopsychiatres. Dans votre jeunesse, vous aviez quatre jours et demi de classe !
M. Didier Guillaume. C’est la réalité !
M. Vincent Peillon, ministre. Il n’est pas légitime que la France soit le seul pays du monde à avoir, depuis 2008, quatre jours de classe. Vous l’avez vu récemment, cette situation a des conséquences sur le niveau scolaire des élèves.
M. Jacques Gautier. D'accord, mais qui paye ?
M. Vincent Peillon, ministre. À moins d’avoir totalement changé d’avis en l’espace de deux ans, ce qui serait étonnant, vous ne pouvez donc pas considérer que l’instauration de nouveaux rythmes scolaires ne serait pas bonne pour l’apprentissage, alors que tout le monde l’a établi et que c’est ce que vous affirmiez vous-mêmes lorsque vous étiez aux responsabilités.
Concernant votre autre question, il ne faut pas confondre deux choses : notre Constitution et le code de l’éducation. L’éducation est un service public national et il revient à l’État de fixer le temps scolaire.
M. Alain Gournac. Qu’il paye !
M. Vincent Peillon, ministre. Heureusement, l’organisation du temps scolaire est décidée par l’État. Cela a toujours été le cas et, en 2008, le retour aux quatre jours a été décidé sans consultation,…
M. Jean-Pierre Sueur. Aucune !
M. Vincent Peillon, ministre. … contrairement à ce que j’ai fait pour ma propre réforme.
En revanche – c’est sans doute ce qui pose un certain nombre de problèmes –, pour la première fois dans l’histoire des relations entre l’école et les collectivités, nous avons souhaité demander l’avis des maires… (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Dallier. Demander ?
M. Alain Gournac. Ils sont là pour payer !
M. Vincent Peillon, ministre. … et les impliquer dans ce que l’on appelle « la coéducation », afin de construire non seulement le temps scolaire, mais aussi le temps périscolaire.
M. Christian Cambon. Et les financements ?
M. Vincent Peillon, ministre. Le temps périscolaire, vous êtes absolument libre, aujourd'hui comme hier, de l’organiser ! Il n’y a aucune contrainte. Le temps scolaire est géré par l’éducation nationale, qui assumera les cours du mercredi matin, tandis qu’il revient aux collectivités locales d’organiser, comme elle le faisait hier, le temps après la classe. En la matière, vous devrez, les uns et les autres, prendre vos responsabilités.
M. Alain Gournac. Prendre notre carnet de chèques !
M. Vincent Peillon, ministre. Toutefois, il y a, vous avez raison, une nouveauté : pour la première fois, l’État prend part au financement, au travers, par exemple, de la Caisse nationale d’allocations familiales,… (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. C’est faux !
M. Vincent Peillon, ministre. … afin de vous permettre de mieux vous organiser. J’aimerais savoir ce que vous faisiez avant !
Le président de l’Association des maires ruraux de France a mis en place cette réforme dans sa commune et l’Association des maires de France, dont le président est un représentant de l’UMP, a indiqué que 80 % des maires ayant mis en place ce nouveau rythme scolaire en étaient satisfaits et que cela se passe mieux en milieu rural qu’ailleurs. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Antoine Lefèvre. Bref, tout va bien !
M. Vincent Peillon, ministre. N’hésitez donc pas à consulter vos collègues ! Ils vous montreront comment ils font.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Rendez-vous au mois de mars prochain !
M. Didier Guillaume. Nous y serons !
M. Vincent Peillon, ministre. Pour le reste, il y a peut-être une part de mauvaise volonté. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Finalement, peut-être ne portez-vous pas aux élèves et aux enfants un intérêt qui soit à la hauteur des exigences de notre pays. D’ailleurs, vous l’avez prouvé lorsque vous étiez aux responsabilités : vous n’avez rien fait pour l’école de la République, si ce n’est la détruire progressivement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’avez rien compris !
M. Alain Gournac. Rendez-vous aux élections de mars prochain !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Accueil et habitat des gens du voyage
Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage, présentée par M. Pierre Hérisson et plusieurs de ses collègues (proposition n° 818 [2012-2013], texte de la commission n° 198, rapport n° 197, avis n° 193).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi.
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, manifestement, cette proposition de loi n’attire pas les foules dans l’hémicycle !
Quoi qu’il en soit, il me revient aujourd’hui de présenter un texte qui ne doit pas être confondu avec la problématique générale des personnes vivant de manière itinérante dans notre pays. Cette proposition de loi, très sectorisée à cet égard, n’est pas contradictoire avec celle que j’ai déposée moi-même après avoir été, pendant deux fois six mois, en 2005 et en 2011, parlementaire en mission sur ce sujet.
Je voudrais profiter du temps de parole qui m’est imparti pour tenter de tordre le cou à un certain nombre d’amalgames.
Ce sujet important est traité par une loi fondatrice, celle du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », du nom de Louis Besson, alors ministre du logement. Jean-Paul Delevoye en était le rapporteur au nom de la commission des lois, tandis que j’étais le rapporteur du texte au nom de la commission des affaires économiques.
Le texte que je présente aujourd'hui n’a pas vocation à être taxé d’électoraliste à l’approche d’échéances électorales locales et territoriales, puisque nous élirons le même jour les conseillers municipaux et les conseillers communautaires. Imaginez que nous ayons utilisé ce même genre d’arguments au motif que la loi Besson était discutée quelques mois avant les élections municipales de 2001 ! La même logique conduirait d'ailleurs à dire que, si la discussion de proposition de loi Raimbourg est prévue pour mai 2014, c’est pour reporter le débat après les municipales.
M. Antoine Lefèvre. Très bien ! Il fallait le dire.
M. Pierre Hérisson. Je ne crois pas un mot de tout cela ! Je le dis solennellement, nous sommes ici ce soir pour examiner ce texte, qui traite d’un sujet précis, et c’est tout.
J’ai occupé différentes responsabilités en lien avec ce sujet. J’ai été nommé une première fois parlementaire en mission par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et une seconde fois par le Premier ministre François Fillon. L’objet de ma mission était de faire évoluer le statut des gens du voyage pour tendre à le rapprocher le plus possible du droit commun.
J’ai lu, dans le rapport de la commission des lois, des interventions demandant l’abrogation de la totalité de la loi de 1969. Nous sommes un certain nombre à formuler la même demande, soutenue par l’Association des maires de France.
Je tiens à préciser, en accord avec mon collègue Jean-Claude Carle, qui s’est associé à cette proposition de loi, que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a abrogé deux dispositions de la loi du 3 janvier 1969, supprimant notamment l’obligation faite aux gens du voyage d’être en possession d’un « livret » de circulation ou d’un « carnet » si elles n’ont pas de ressources régulières. Il ne me paraît pas utile de revenir sur ce sujet, sauf à décider d’abroger la totalité des carnets – il en existe encore deux.
Pour avoir été l’auteur de deux rapports sur le sujet, pour être intervenu à différentes reprises et, surtout, pour avoir été nommé par les Premiers ministres en exercice à plusieurs reprises président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, mais aussi représentant de la France à la commission Roms du Conseil de l’Europe, je veux prendre quelques minutes pour tordre le cou à certains amalgames.
Pour dissiper certaines confusions, je tiens à dire que les Roms sont des minorités ethniques issues, pour leur grande majorité, des pays de l’Est. Celles-ci doivent être gérées et traitées dans notre pays selon les lois et règlements sur l’immigration, en tout cas tant que les pays d’origine de ces minorités se trouvent dans la période transitoire, qui devrait normalement se terminer au 31 décembre 2013.
J’en profite pour dire que nous sommes nombreux à être en accord avec l’actuel ministre des affaires européennes, qui considère que ces pays n’ont pas aujourd’hui la capacité de faire respecter les nouvelles frontières de l’Europe. Il est urgent d’allonger la période transitoire pour pouvoir continuer à travailler sur ce sujet, qui est important et pour lequel le Conseil de l’Europe a émis un certain nombre de recommandations, dont certaines ont été votées par la France.
Je voudrais affirmer ici solennellement que les gens du voyage, ceux qui nous préoccupent aujourd'hui, sont aujourd’hui tous de nationalité française et tous des ressortissants de l’Union européenne. À l’exception de la problématique que je viens d’évoquer, il s’agit donc bien de traiter une question franco-française ! Je crois que c’est un point important pour la compréhension de ceux qui nous écoutent, de ceux qui nous lisent et de ceux qui sont à la peine sur ce dossier.
Avant d’évoquer le sujet précis qui nous occupe ce soir, je rappellerai les fondements de la loi de 2000, en particulier pour éviter certains amalgames qui, malheureusement, sont trop nombreux.
Tout d’abord, la loi du 5 juillet 2000 organise, dans le cadre de l’aménagement du territoire, les obligations faites aux communes de réaliser, sur le territoire national et à l’issue d’un schéma approuvé par le conseil général et par le préfet du département, l’accueil et le stationnement des gens du voyage, pour l’essentiel sur des terrains aménagés et prévus à cet effet. Il faut y ajouter le logement social adapté et les terrains familiaux, très rapidement cités dans la loi Besson.
Beaucoup d’entre nous voient dans ce volet une évolution en quelque sorte adossée au logement social. Elle concerne l’accueil des populations qui ont choisi de vivre de manière itinérante sur notre territoire, soit environ 400 000 personnes, dont la moitié est sédentaire ou semi-sédentaire. En effet, l’allongement de la durée de la vie et le vieillissement des populations font que certains, un jour, ont envie de poser leurs valises et de vivre de manière sédentaire sur le territoire. Au printemps prochain, lors de la discussion de la proposition de loi Raimbourg, nous aurons beaucoup à dire à cet égard et nous devrons essayer de trouver un consensus.
Mes chers collègues, il y a un enjeu d’importance dans la discussion qui s’ouvre dans cette enceinte. Nous allons, en effet, essayer d’envoyer un signal à l’adresse des 500 000 élus locaux de ce territoire pour leur dire que les réclamations faites à l’issue de l’été 2013 portent essentiellement sur la problématique des grands passages. J’y reviendrai tout à l’heure.
Ce ne sont pas des maires de gauche, de droite ou du centre qui sont en cause. Ce sont des élus locaux qui expriment la préoccupation de leurs habitants et de tous ceux qui ont du mal à accepter le vivre-ensemble parce qu’un certain nombre de problèmes réels se posent. Tel est bien le sujet de cette proposition de loi.
J’ouvre une parenthèse pour rappeler qu’un ministre de la République française a signé en 2004 une recommandation du Conseil de l’Europe reconnaissant la caravane comme un logement ou une habitation. Toutefois, cette question n’est pas réglée, car la transposition de la recommandation en droit national suscite hésitations et tergiversations.
Par ailleurs, les grands rassemblements, tels qu’ils sont définis dans la loi Besson, sont de la compétence de l’État, et de lui seul. Monsieur le président de la commission des lois, votre département fait exception. C’est, en effet, le seul département français où les gens du voyage, en l’occurrence, l’association « Vie et lumière », ont acquis une propriété agricole de plus de cent hectares. C’est là que se déroule le rassemblement évangéliste du printemps, avec plusieurs milliers de caravanes. Nous nous y sommes rendus, et j’ai lu les commentaires que vous avez faits au sujet de notre déplacement à Nevoy.
Je dois le dire, pour la partie des grands rassemblements, les choses sont bien organisées par les services de l’État. Je le dis ici et je le dirais si une autre majorité était en place, comme j’ai eu l’occasion de le dire sous de précédentes majorités : l’État fait son travail dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par la loi d’assurer l’organisation des grands rassemblements, qui dépassent parfois 30 000 personnes réunies au même endroit, dans des communes de moins de mille habitants.
Il arrive que les gens du voyage soient propriétaires des lieux. Dans ce cas, il est certain qu’ils s’y rendront tous les ans, voire deux fois par an. Le ministre de l’intérieur trouve cette solution plus facile que de trouver un terrain ailleurs, très souvent en milieu hostile. Sans faire de parallèle avec d’autres religions, Nevoy est ainsi en train de devenir le lieu de pèlerinage des évangélistes en France.
Ce dispositif fonctionne, tout comme l’article 1er de la loi Besson, relatif à la participation des communes à l’aménagement des aires d’accueil. On peut toujours imputer aux élus des retards dans la réalisation de ces dernières. Je le rappelle néanmoins, nous avons, sinon inscrit dans la loi, du moins affirmé ici même que le nombre de places dans les aires d’accueil aménagées devrait se situer à terme aux environs de 40 000. Or, à l’heure où nous parlons, 25 000 emplacements sont réalisés.
Certes, ce n’est pas suffisant, mais j’ai lu aussi, dans certains rapports qui n’ont pas de lien direct avec le vôtre, monsieur le rapporteur, que certains s’interrogeaient sur la nécessité des 40 000 places et se demandaient s’il ne fallait pas panacher entre des aires d’accueil aménagées et l’évolution plus rapide des terrains familiaux, afin de permettre des sédentarisations ou des semi-sédentarisations. En additionnant les unes et les autres, on devrait répondre à la demande formulée par cette moitié des 400 000 personnes qui sont, aujourd’hui, soit des voyageurs permanents, soit des voyageurs occasionnels ou saisonniers.
J’en viens au problème des grands passages. Comment les définir ? Il faudra compléter la loi, insuffisante à cet égard. L’origine des grands passages est à vocation cultuelle. Je ne dis pas qu’il faut écarter toute autre forme de grand passage, mais l’origine de ces derniers, ce sont les missions évangéliques, qui étaient censées faire des haltes sur le terrain en direction du lieu de rassemblement annuel.
Une évolution a donc eu lieu. La circulaire définit plus ou moins bien le grand passage : deux cents caravanes au maximum sur quatre hectares au maximum, avec les services publics de la commune à disposition, l’attribution de l’eau, de l’assainissement, des équipements publics et des réseaux publics nécessaires à une vie normale sur le territoire.
Le lien avec le raccordement électrique ne doit évidemment pas être empêché par les élus sur ce territoire, dès lors qu’il s’agit d’alimenter en électricité le terrain qui fait partie du schéma départemental.
Il est vrai que, sur ce point, on peut se demander pourquoi tant de difficultés sont survenues au cours de l’année 2013. Je pense, en particulier, à la Haute-Savoie. Pourtant, dans ce département, le schéma est appliqué. Il compte quatre aires de grand passage, dont l’une est fixe et trois sont mobiles. Le préfet est efficace, il a engagé des procédures et des expulsions, avec le concours de la force publique, pour faire respecter la loi et le schéma départemental.
Bien sûr, certains départements français sont plus concernés que d’autres par ces grands passages : si une dizaine d’entre eux voient une population importante de gens du voyage se déplacer sur leur territoire; dans une trentaine d’autres, on n’a jamais entendu parler de grands passages ni même de gens du voyage !
Pourquoi voulons-nous aujourd'hui donner un tel signal ? Certains ont dit que notre démarche répondait à une préoccupation électoraliste. Diverses explications ont été avancées. Moi, je prétends que cette proposition de loi est tellement ciblée sur les grands passages que, par définition, en quelque sorte, elle est déséquilibrée en ce sens qu’elle ne traite que d’une partie du sujet, notamment de ce qui a causé certains désordres publics et créé des difficultés que nous aborderons plus précisément au fur et à mesure de l’examen des amendements.
Je vous le dis d’emblée, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, nous voterons certains de ces amendements. En effet, dès lors qu’il s’agit, par exemple, de renforcer les pouvoirs du préfet, je demande qui parmi nous pourrait s’y opposer !
Il ne faut pas que les gens du voyage voient dans cette proposition de loi autre chose qu’un texte visant à aggraver les sanctions à l’encontre de ceux qui ne respectent rien, qui détruisent les terrains de sport, non sans avoir préalablement cassé des portails, qui utilisent indûment et dégradent ce qu’on appelait autrefois les « commodités » ou toute autre de ces installations qu’on trouve en général au sein ou aux abords des équipements sportifs. En fait, par cette proposition de loi, nous cherchons au contraire à donner du crédit aux associations qui ont aujourd'hui bien du mal à maîtriser ceux qui donnent une image déplorable des gens du voyage sur nos territoires.
Depuis 2000, j’ai eu l’occasion de rencontrer des responsables d’associations de gens du voyage ainsi que des responsables de différentes confessions chargés d’animer les rassemblements religieux sur le territoire. Comme dans toute la société française, il y a des gens très bien, mais il y a aussi, malheureusement, des délinquants ou des gens qui ne savent pas se conduire. Or, c’est vrai, on constate une aggravation de la délinquance et des détériorations des équipements publics qui nous imposent d’envoyer un signal aux élus : nous devons leur montrer que les parlementaires s’occupent d’eux et cherchent à renforcer les obligations propres à assurer une certaine discipline sur le terrain.
Tout cela doit, bien entendu, s’inscrire dans la poursuite d’une relation de confiance avec les représentants des gens du voyage.
Je crois qu’on n’est jamais récompensé d’un bienfait et, comme le disait un homme politique il y a une dizaine d’années, il faut toujours se faire pardonner les services que l’on rend ! Il m’arrive d’inviter les responsables des gens du voyage à la Commission nationale consultative, car il est intéressant d’avoir l’avis de personnes qui prennent en charge un dossier ; lorsqu’ils s’affichent en tant que membres éminents de cette commission, il me semble que c’est une façon de me remercier de les avoir invités !
À l’évidence, je plaide pour le vote de ce texte, et j’espère que nous pourrons rétablir l’article 1er. J’appelle tous ceux qui connaissent bien le sujet et qui sont par ailleurs présidents d’associations de maires, responsables d’organisations ou membres des commissions départementales à faire comprendre dans cet hémicycle que l’article 1er est un signal, et rien d’autre.
Je n’ai d’ailleurs pas vu beaucoup de magistrats utiliser l’actuel article 322-4-1 du code pénal pour prononcer des sanctions. En effet, ils préfèrent punir ceux qui ont commis le délit visé par une indemnisation ou un remboursement à la collectivité des dégradations que ceux-ci ont causées.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi dans sa version initiale, telle que je l’ai déposée avec Jean-Claude Carle et un certain nombre d’autres collègues. J’ai d’ailleurs été surpris, monsieur le président de la commission des lois, que vous en ayez changé le titre : ce n’est pas dans les usages de cette maison. Mais vous aurez sûrement de bonnes raisons à avancer pour vous en expliquer.
Oui, j’ai de la suite dans les idées ! Cette proposition de loi traite d’un sujet d’urgence, mais elle s’inscrit dans la lignée de celle de Dominique Raimbourg, qui je l’espère, sera examinée au mois de mai prochain, et elle s’inspire pour l’essentiel de ma proposition de loi de 2012, mais surtout du dernier rapport de parlementaire en mission que j’ai rédigé sous l’ancienne majorité : Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun. « Proche du droit commun » parce qu’il est en effet nécessaire d’offrir à ces populations certaines dispositions leur permettant de vivre dans la légalité sur le territoire.
Mme Esther Benbassa. Ah oui !
M. Pierre Hérisson. En conclusion, je reprendrai, avec l’autorisation de Jacques Mézard ce qu’il a dit en commission. On peut s’interroger sur l’opportunité de ce texte, mais je crois avoir démontré celle-ci devant vous. En tout cas, nous n’omettrons pas de réfléchir à ce qui se passe sur le terrain, et qui n’a pas grand-chose à voir avec la « vision » de certains ; je n’en dis pas plus : ceux qui sont concernés comprendront de quelle vision je veux parler.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la très grande majorité des 36 767 maires de France et des 500 000 élus locaux n’ont pas d’étiquette politique, mais ils sont dans l’attente de ce texte, non pas parce que les élections municipales approchent, mais parce qu’ils voient arriver la prochaine saison « touristique » et préfèrent qu’elle se déroule comme nous le leur promettons à travers ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Carle. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la grande connaissance du sujet qui est celle de M. Pierre Hérisson.
Je souhaite ensuite apporter une précision concernant la commune de Nevoy, que M. Hérisson connaît bien puisqu’il est venu à plusieurs reprises assister au grand rassemblement que l’association Vie et Lumière y organise chaque année.
Cette commune reçoit en effet, chaque printemps, ce très grand rassemblement, qui a lieu dans une propriété appartenant à l’association en question. M. le maire de Nevoy, son conseil municipal, les élus du Giennois et les autorités de la préfecture font tout leur possible pour que cet événement se déroule au mieux.
Il est évidemment très difficile d’organiser un même rassemblement deux mois plus tard, pendant l’été, sur le même lieu. Beaucoup d’élus éprouvent des réticences à accueillir un très grand rassemblement ; il n’est donc pas facile d’en accueillir deux !
C’est pourquoi les élus du département avaient été reçus il y a quelque temps par le ministre de l’intérieur. Son administration s’était engagée à trouver un autre terrain et à faire en sorte qu’il soit affecté au grand rassemblement de l’été. Cela s’est effectivement produit une fois, mais, l’an dernier, après qu’on m’eut dit : « On cherche », au mois de juillet, il s’est avéré que l’on n’avait pas trouvé de terrain.
Bien entendu, un tel rassemblement peut susciter des tensions notables avec la population. Notre but est de les apaiser, non de les exacerber.
Pour cette raison, l’association Vie et Lumière souhaite ardemment que le deuxième pèlerinage, celui qui a lieu pendant l’été, ait lieu sur un autre terrain, que ce soit au nord ou au sud de la France. De leur côté, les élus de Nevoy et du Giennois sont tout à fait d’accord pour accueillir le grand rassemblement du printemps.
Il s’agit d’une question de responsabilité et de bonne entente. C’est pourquoi j’ai sollicité une rencontre avec M. le ministre de l’intérieur, qui nous a fait savoir qu’il nous recevrait prochainement.
Nous pensons qu’il faut déterminer en amont quels seront les terrains – il en faudrait deux ou trois – destinés à accueillir dans de bonnes conditions ces deux très grands rassemblements, celui du printemps et celui de l’été. Cela suppose une importante préparation : on ne peut pas trouver de solution au mois de juillet si l’on n’a pas anticipé la chose plusieurs mois auparavant.
Vous en conviendrez sans doute, monsieur Hérisson, nous pourrions ainsi contribuer à bien gérer ces grands rassemblements qui ont pleinement droit de cité dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « renforcer les sanctions prévues dans la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage », tel était et tel est toujours, monsieur Hérisson, le titre de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi. J’oserai dire malheureusement, parce que, en commission, nous avons essayé d’équilibrer le texte. Mais il s’agit bien toujours, hélas, de renforcer les sanctions en question.
C’est un sujet très sensible, qui ne peut pas être traité dans la précipitation. Sur bien des points que vous avez évoqués, monsieur Hérisson, ce qui est en cause, c’est le statut des gens du voyage dans la République.
Ce statut reste discriminatoire, même si la censure partielle, en 2012, de la loi de 1969 a légèrement adouci les dispositions qui visaient ces populations.
On ne peut pas se poser la question du respect de la loi par les uns – et celle des moyens de la faire appliquer – sans s’interroger sur son respect par les autres : je veux parler, d’un côté, des stationnements illicites et, de l’autre côté, du non-respect par un certain nombre de villes de leurs obligations résultant de la loi de 2000.
Environ 16 000 aires d’accueil prévues dans les schémas départementaux ne sont pas réalisées aujourd’hui. Il est difficile de soutenir que le schéma départemental a un sens tout en considérant que la non-réalisation de ces aires n’aura pas de conséquences.
Le groupe de l’UMP nous propose de nous saisir du sujet. Alors, profitons de l’occasion pour aborder l’ensemble du problème à partir de deux interrogations. D’une part, quel statut pour les Français itinérants ? D'autre part, comment faire respecter la loi, à la fois par les gens du voyage dans le cas de stationnements illicites dans les communes qui remplissent leurs engagements et par les collectivités au regard des obligations que leur fixe une loi votée il y a plus de treize ans ?
Or vous nous proposez, monsieur Hérisson, de ne nous intéresser qu’à un aspect des choses et c’est pourquoi votre proposition de loi est déséquilibrée. Vous l’avez dit vous-même : il s’agit moins de faire une loi que de faire une annonce ! Moi, je pense que, sur un sujet aussi sensible, il faut travailler de façon équilibrée. Ce sera, je l’espère, le sens du débat que nous aurons aujourd’hui.
Vous avez évoqué le travail réalisé depuis plus de dix-huit mois au sein du ministère de l’intérieur et par Dominique Raimbourg sur cette question lourde, aux implications multiples. Je souhaite que le temps dont nous disposons nous permette d’avancer sur ces sujets.
Je reviendrai d’abord sur le statut des gens du voyage. Bohémiens, saltimbanques, forains et nomades, puis gens du voyage : les dénominations ont changé à travers le temps. Ce statut se fonde sur la loi du 16 juillet 1912 relative à l’exercice des activités ambulantes et la réglementation de la circulation des nomades. Cette loi se trouve à l’origine des carnets anthropométriques, qui ont eu pour conséquences les internements entre 1940 et 1946, mais aussi d’une très forte discrimination perdurant au-delà de cette sinistre période.
En 1969, les carnets anthropométriques ont été remplacés par des carnets et des livrets de circulation qui obligeaient leurs détenteurs, en fonction de leur statut professionnel, à pointer tous les trois ou six mois et qui les plaçaient dans des situations totalement dérogatoires par rapport aux droits des citoyens français.
Il est heureux que la question prioritaire de constitutionnalité de 2012 ait eu pour effet la censure partielle de ces dispositions. Mais, comme le soulignait le préfet Hubert Derache, paraphrasant Aimé Césaire, « les voyageurs ont longtemps été considérés comme des Français entièrement à part, non comme des Français à part entière ».
Lorsque nous traitons de ce sujet, nous devons aussi nous pencher sur la question de la place et du sort que la République réserve aux gens du voyage, car ils sont aussi ses enfants.
En cette période difficile sur le plan économique, nous ne devons pas confondre intégration et assimilation. Chacun, quelles que soient ses spécificités, doit pouvoir trouver sa place dans la communauté nationale. L’enjeu de ce débat est de faire en sorte que cette intégration se passe correctement.
Lors de l’élection présidentielle de 2012, des Français n’avaient toujours pas le droit de voter s’ils n’étaient pas rattachés à une commune depuis plus de trois ans. Le saviez-vous, mes chers collègues ? Pour ma part, je ne l’ai appris que récemment. La question prioritaire de constitutionnalité a permis de mettre fin à cette situation hallucinante.
M. Pierre Hérisson. Partiellement !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Nous ne pouvons pas, à la fois, demander aux gens du voyage de respecter la loi et refuser de leur accorder les mêmes droits qu’à l’ensemble de nos concitoyens.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Trouver sa place dans la société, c’est un enjeu d’importance pour les gens du voyage. Nous devons y répondre en leur offrant l’égalité des droits. Et le Sénat s’honorerait aujourd’hui, face à la présente proposition de loi, de voter, dès le début de la discussion des articles, l’abrogation de la loi de 1969.
S’agissant du stationnement, nous pourrions penser que la loi de 1969, certes discriminatoire, permet cependant de disposer d’éléments statistiques, par exemple sur l’effectif des gens du voyage en voie d’installation ou semi-sédentaires. Or, si l’on connaît le nombre exact de titres de circulation des personnes âgées de plus de seize ans – 313 545 en juin 2011 –, la Cour des comptes reconnaît dans son rapport sur le sujet que la situation est fort mal connue. On en est donc réduit à faire des estimations sur le nombre d’enfants ou les mouvements de ces Français itinérants.
En face de ces 313 545 titres de circulation, nous affichons un objectif qui est de créer 41 000 places dans les aires d’accueil. Je me dis que, même s’il existe d’autres solutions d’installation, le décalage est flagrant !
Selon les différents rapports relatifs à cette question, le nombre de Français itinérants est estimé entre 250 000 et 500 000. Cette estimation du simple au double a tout de même quelque chose d’étonnant ! Nous disposons pourtant d’outils qui nous auraient permis de pousser plus loin l’analyse de la situation. Du fait de ce défaut d’analyse précise, nous ne pouvons ni répondre de façon satisfaisante aux enjeux de scolarisation et d’accès aux soins, très importants pour cette population, ni différencier l’itinérance voulue et revendiquée de celle qui est subie, parce que liée à la précarité sociale.
Sur tous ces aspects, il est regrettable que nous ne disposions pas d’une meilleure connaissance statistique de cette population, de ses besoins et de leurs évolutions. Une fois encore, je m’interroge sur le décalage qui existe entre le nombre de titres de circulation, l’effectif estimé de gens du voyage et le nombre de places dans les aires d’accueil : comment assurer une fluidité de la circulation et un réel respect de la loi dans de telles conditions ?
La loi fondatrice du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage fixe le régime des conditions du séjour sur le territoire communal des personnes dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles.
Cette loi confie aux communes la responsabilité de créer des aires d’accueil, attribue à celles qui la respectent des moyens renforcés pour lutter contre les stationnements illicites et investit l’État comme garant de cet équilibre, tout en lui imposant une contribution financière destinée à permettre aux communes de réaliser des emplacements.
Un schéma départemental établi sur la base d’un diagnostic des besoins et de l’offre existante prévoit les secteurs géographiques d’implantation des aires permanentes d’accueil et les communes qui doivent les accueillir.
Les communes de plus de 5 000 habitants doivent aménager une aire. Mais le schéma peut en identifier d’autres, soit parce qu’il apparaît nécessaire d’installer des emplacements dans une zone peu urbanisée, soit parce que, du fait d’un accord intercommunal, la réalisation d’une aire prévue sur le territoire d’une commune de plus de 5 000 habitants est transférée sur celui d’une autre commune.
Le schéma départemental, élaboré par le préfet et le président du conseil général, devait être approuvé conjointement dans les dix-huit mois de la publication de la loi du 5 juillet 2000, après avis du conseil municipal des communes concernées et de la commission départementale consultative des gens du voyage. Passé ce délai, il est approuvé par le seul préfet et doit être révisé tous les six ans.
Les communes inscrites au schéma peuvent, soit exercer elles-mêmes cette compétence, soit la transférer à l’intercommunalité dont elles sont membres – cette compétence est de plein droit pour les communautés urbaines et les métropoles –, soit la mettre en œuvre dans le cadre de conventions intercommunales, en contribuant financièrement à l’aménagement et à l’entretien des aires d’accueil.
Les communes inscrites au schéma disposaient d’un délai initial de deux ans pour réaliser les aires d’accueil. Ce délai a été prorogé de deux ans pour les communes ou EPCI ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations : localisation de l’aire, acquisition des terrains, lancement d’une procédure d’acquisition des terrains nécessaires, réalisation d’une étude préalable, autant de démarches qui exigent du temps. Ces collectivités ont bénéficié d’un délai supplémentaire jusqu’au 31 décembre 2008 si, au terme du précédent délai, elles n’avaient pas pu s’acquitter de leur engagement.
Les communes ou les EPCI peuvent gérer directement les aires ou en confier la gestion à une personne publique ou privée.
Malgré les moyens offerts par la loi, les schémas n’ont été que partiellement mis en œuvre, avec de fortes disparités régionales.
Au 31 décembre 2010, 52 % des aires d’accueil et 29,4 % des aires de grand passage étaient effectivement réalisées. En novembre 2013, les chiffres avaient tout de même progressé : 64 % pour les aires d’accueil, mais seulement 31,4 % pour les aires de grand passage. La moyenne de réalisation de ces aires s’établit aujourd’hui à 64 %.
De nombreux départements ont désormais dépassé le taux de 80 %, certains – l’Aube, l’Aveyron, le Cantal et quelques autres – atteignant même celui de 100 %. En revanche, l’Île-de-France, les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et l’Hérault affichent les plus bas taux de réalisation d’aires d’accueil. Pour expliquer ces mauvais chiffres, plusieurs explications peuvent être invoquées, parmi lesquelles les difficultés foncières.
Quoi qu’il en soit, la loi, qui a pourtant été votée voilà treize ans, n’est pas encore pleinement appliquée : pour les aires d’accueil, les objectifs fixés n’ont été atteints qu’aux deux tiers et au tiers seulement pour les aires de grand passage.
Cela pose un problème aux communes qui ont respecté la loi...
M. Pierre Hérisson. Il ne faut pas les oublier !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. ... et qui constatent que celles qui ne la respectent pas ne sont pas sanctionnées.
Ne durcissons pas les relations entre les gens du voyage et les communes, en faisant comme si toutes les communes étaient vertueuses, car ce n’est pas le cas !
L’ordre républicain doit prévaloir et conduire à ce que la loi s’applique à tous : aux gens du voyage qui s’installent de manière illicite là où ils trouvent de la place, mais aussi aux communes, qu’il s’agit d’inciter à remplir leurs obligations.
Les mécanismes du respect des droits et devoirs, à l’évidence, ne fonctionnent pas. Ils doivent donc être revus. Tel est l’objet de la concertation qui est engagée depuis un an et demi. Nous aimerions que des dispositions en ce sens soient introduites dans cette proposition loi, qui n’a, pour le moment, qu’une vocation de sanction, comme l’indique son intitulé même. Or la seule sanction serait contre-productive par rapport au problème posé.
J’en viens aux conditions de financement des aires.
Afin d’obliger les communes à respecter leurs engagements, il est prévu que, si une commune ou un EPCI n’a pas satisfait à ses obligations à l’expiration des délais légaux et après une mise en demeure infructueuse par le préfet dans les trois mois, l’État peut alors acquérir les terrains nécessaires, réaliser les travaux d’aménagement et gérer les aires d’accueil au nom et pour le compte de la collectivité défaillante.
Force est toutefois de constater que, pour l’instant, cette procédure n’a pas été mise en œuvre. Il convient donc de réfléchir à des contraintes plus progressives, visant à obliger les communes défaillantes à remplir leurs obligations.
S’agissant des obligations prévues par la loi de 2000, les maires des communes vertueuses disposent de prérogatives spécifiques en matière de stationnement illicite. Ils peuvent ainsi interdire le stationnement des résidences mobiles sur le territoire communal en dehors des aires d’accueil aménagées.
En cas de stationnement irrégulier, l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000, modifié en 2007, organise une procédure encadrée d’évacuation administrative mise en œuvre par le préfet à la demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain occupé, en cas d’atteinte à l’ordre public. Dans ce cas, le préfet met en demeure les occupants de quitter les lieux, à la condition que le stationnement porte atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Il fixe alors un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Dans ce délai, le mis en demeure, le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage saisit, s’il le souhaite, le tribunal administratif aux fins d’annulation de l’arrêté préfectoral, et ce recours est suspensif. Le juge statue dans les soixante-douze heures de sa saisine.
Si l’occupation se poursuit au-delà du terme fixé, sans que le tribunal soit saisi, le préfet peut procéder à l’évacuation forcée des résidences mobiles, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain dans le délai d’exécution de la mise en demeure. Dans ce cas, le préfet peut demander à celui-ci de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte à l’ordre public dans un délai qu’il fixe, sous peine d’une amende de 3 750 euros.
Ce dispositif peut être mis en œuvre par le préfet dans les communes non inscrites au schéma départemental.
Votre proposition de loi, monsieur Hérisson, vise à renforcer l’arsenal répressif du stationnement illicite des gens du voyage, en particulier par une accélération de la mise en œuvre de l’évacuation forcée des caravanes.
Il s’agit d’un problème sensible, notamment, je l’ai dit, pour les communes qui respectent leurs engagements, et il faut y répondre en veillant à assurer un certain équilibre.
Les cinq premiers articles de la proposition de loi initiale tendent à renforcer l’efficacité des modalités de mise en œuvre prévues jusqu’à présent par le législateur pour lutter contre les occupations illicites, et non pas seulement, contrairement à ce que vous avez indiqué, monsieur Hérisson, contre les problèmes survenant lors des grands passages et des grands rassemblements, lesquels sont visés aux seuls articles 6 et 7.
L’article 1er tend à doubler les peines prévues pour réprimer le fait de s’installer en réunion en vue d’établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui a respecté ses obligations au regard du schéma départemental des aires d’accueil ou qui n’y est pas inscrite, soit à tout autre propriétaire sans autorisation de sa part. Ce délit est aujourd’hui sanctionné de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros.
Les articles 2 à 5, d’une part, assouplissent les motifs fondant la mise en demeure par le préfet de quitter les lieux et, d’autre part, réduisent les délais entourant le recours contre cette mesure. La procédure pourrait être déclenchée en l’absence d’atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Le délai d’exécution de la mise en demeure serait de vingt-quatre heures au plus. Celui-ci serait ramené à six heures en cas de récidive. En cas de recours contre la mise en demeure, le délai fixé au juge pour statuer serait abaissé de soixante-douze heures à quarante-huit heures. On est fondé à se demander si tout cela est bien réaliste !
Les deux derniers articles visent à permettre une meilleure organisation des déplacements de grande ampleur.
L’article 6 confie à l’État la responsabilité du bon ordre des grands passages et des grands rassemblements occasionnels ou traditionnels des gens du voyage. Pourquoi pas ? Mais, tel qu’il est rédigé, cet article ne concerne que les communes à police étatisée.
L’article 7 prévoit la signature, trois mois avant l’arrivée des caravanes, d’une convention entre les représentants des gens du voyage et le maire concerné, convention destinée à préciser les conditions d’occupation du terrain. Là encore, pourquoi pas ? Mais j’observe qu’aucun seuil n’est prévu : même s’il n’y a que dix caravanes, l’article s’applique !
Alors, que dire de cette proposition de loi ? Je le répète, le sujet est complexe puisqu’il touche aux questions du logement, de l’aménagement du territoire, de l’éducation, de l’accès à la santé.
Depuis dix-huit mois, toutes ces problématiques ont été étudiées avec attention, en particulier dans le rapport commandé au préfet Derache par le Premier ministre. Elles ont aussi fait l’objet d’une proposition de loi du député Dominique Raimbourg visant à apporter une réponse globale.
Ces dix-huit mois ont également été consacrés à la vérification d’un certain nombre d’informations. D’une certaine manière, vous avez été plus rapide que nous, monsieur Hérisson, mais votre proposition de loi ne tire pas tous les fruits de la concertation et du travail menés.
Je le dis une nouvelle fois, il faut équilibrer les exigences pour que la loi soit crédible. Il est donc important d’intégrer les gens du voyage dans le droit commun, mais aussi de trouver ensemble un dispositif équilibré, entre les contraintes imposées aux gens du voyage, la possibilité d’évacuer les terrains en cas d’occupation illicite dans les communes vertueuses et le pouvoir de substitution du préfet, une mesure qui n’a jamais été mise en œuvre.
J’ai essayé, en commission, de proposer un certain nombre d’aménagements afin d’équilibrer cette loi. Mais le refus qu’y a opposé une partie des membres de notre commission me contraint aujourd’hui à vous soumettre un texte de la commission qui reste malheureusement déséquilibré. J’espère que la séance nous permettra de réparer ce défaut.
L’article 1er de la proposition de loi initiale tendait à doubler le montant des sanctions prévues par le code pénal. Aujourd’hui, si l’occupation illicite est réprimée par une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende, après mise en demeure de quitter les lieux, mais il y a très peu de condamnations : le rapport du député Didier Quentin souligne que les dispositions du code pénal sont actuellement utilisées plus pour menacer que pour sanctionner. Il m’a donc semblé utile de supprimer l’article 1er, et la commission m’a suivi sur ce point.
L’article 2 visait à supprimer, d’une manière générale, la condition d’ordre public qui autorise la mise en demeure de quitter les lieux en cas de stationnement illicite. Or il existe en la matière une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui fait obstacle à toute mesure de police administrative qui ne serait pas justifiée par la nécessité de sauvegarder l’ordre public. J’ai donc proposé que le préfet puisse passer outre cette condition s’il est en mesure de proposer des emplacements disponibles dans un rayon de 30 kilomètres autour de la commune concernée. La commission m’a suivi sur ce point également.
L’article 3 concerne le délai d’exécution de la mise en demeure. Actuellement, celui-ci ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Et vous proposez, monsieur Hérisson, qu’il ne puisse être supérieur à vingt-quatre heures ! Franchement, j’aimerais bien voir comment vous vous y prendriez, si vous étiez préfet, pour procéder à l’évacuation d’un terrain, quel qu’il soit, en moins de vingt-quatre heures !
Si la loi a simplement vocation à être déclarative, autant la faire en chantant ! Nous devons rester dans le réel. Or la mesure que vous proposez n’est pas crédible ! Par conséquent, elle ne serait pas dissuasive.
En revanche, il m’est apparu que, si le terrain indûment occupé était tel que son évacuation serait difficile, et que le préfet avait donc besoin de temps, cela ne devait pas ouvrir un délai inconsidéré pour introduire un recours en annulation. C’est pourquoi il m’a semblé plus équilibré, plus réaliste et donc plus utile de proposer que le recours en annulation ne puisse être introduit que dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la mise en demeure. Là encore, la commission m’a suivi.
Sur l’article 4, relatif à la récidive, je suis très réservé. En effet, il est difficile d’établir la réalité d’une récidive si, comme c’est en pratique le cas la plupart du temps, les mises en demeure ne sont pas nominatives. De plus, le délai de six heures envisagé pour l’exécution de la mise en demeure en cas de récidive ne serait manifestement pas opérationnel, pour les raisons que j’ai précédemment indiquées.
N’ayant pas eu la possibilité, lors de l’examen en commission, de présenter un amendement propre à corriger ce caractère non opérationnel, je serai amené à en défendre un tout à l'heure.
J’ai déjà évoqué les articles 6 et 7.
En conclusion, je dirai que nous ne pouvons pas aborder ce sujet par petits morceaux et en occultant une partie de ses aspects, car il renvoie à notre conception de la République, de la Nation et aussi de la fraternité.
Une loi, monsieur Hérisson, ne saurait être un communiqué de presse. Nous ne sommes pas ici pour faire des communiqués en direction des 500 000 élus de France ! Nous travaillons sur la loi et nous devons le faire sérieusement, en ayant le sens de l’État et le sens de l’équilibre, mais aussi en ayant le souci d’intégrer les Français itinérants dans le droit commun et de doter l’État des moyens de faire respecter la loi, les lois, toutes les lois.
La proposition de loi de Dominique Raimbourg a été élaborée dans cet esprit et c’est dans cette voie que nous devons nous efforcer d’avancer.
La mise en œuvre d’une politique publique de cette nature, dont dépend la place de centaines de milliers de Français dans la collectivité nationale, ne saurait souffrir une quelconque improvisation.
Nous devons nous libérer de tous les préjugés, de tous les raccourcis, de tous les amalgames, travailler dans la sérénité et non dans l’émotion, de manière à produire finalement une belle loi, représentant une avancée pour les uns et pour les autres. C’est ce que je vous propose de faire au cours des quatre prochaines heures. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour au moins deux raisons de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage que nous examinons aujourd’hui.
D’une part, la proposition de loi modifie plusieurs dispositions de la loi Besson du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, dont la commission des affaires économiques s’était déjà saisie pour avis. Notre collègue Pierre Hérisson était alors, d’ailleurs, le rapporteur pour avis de ce projet de loi.
D’autre part, les questions d’accueil et d’habitat des gens du voyage sont étroitement liées aux problématiques de logement et d’urbanisme, qui relèvent du champ de compétence de notre commission.
En 2012, à l’occasion de la discussion du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dont notre collègue Claude Bérit-Débat était le rapporteur, le Sénat avait ainsi examiné des amendements déposés par nos collègues du groupe UMP visant à ce qu’un emplacement d’aire destinée à l’accueil des gens du voyage soit pris en compte au titre de l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU.
Avant d’en venir au texte de la présente proposition de loi, je rappelle que la France est l’un des rares pays à avoir adopté une législation spécifique consacrée à l’accueil des gens du voyage.
M. Pierre Hérisson. C’est normal, nous en avons 400 000 !
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. La loi Besson est une loi d’équilibre, comme le soulignait d’ailleurs le rapporteur du Sénat sur ce texte, notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye. Il indiquait alors que ce texte visait à « favoriser l’aménagement, sur quelques années, d’un nombre d’aires suffisant pour faire face aux besoins, [... à prendre] plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes dans la réalisation et la gestion des aires d’accueil [et à] renforcer […] les moyens juridiques permettant de lutter contre les occupations illicites ».
L’article 1er de cette même loi prévoit ainsi l’établissement, dans chaque département, d’un schéma départemental qui identifie des secteurs géographiques disponibles pour l’implantation des aires permanentes d’accueil et précise les communes dans lesquels cette implantation doit être réalisée. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement dans ce schéma. Ce dernier détermine également les emplacements destinés aux rassemblements traditionnels ou occasionnels.
L’article 2 a fixé un délai de deux ans à compter de la publication du schéma pour permettre aux communes concernées de participer à la mise en œuvre de ce dernier.
La loi de 2000 a été modifiée à deux reprises pour accorder des délais supplémentaires aux communes ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations légales.
L’article 3 permet à l’État de se substituer à une commune défaillante.
En contrepartie de ces obligations pesant sur les communes, la loi Besson a créé des outils juridiques permettant de mettre fin, dans les communes remplissant leurs obligations légales, aux occupations illicites et sauvages.
Ces dispositifs ont été renforcés par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui a substitué à une procédure civile d’expulsion une procédure d’évacuation forcée relevant de la police administrative.
L’article 9 de la loi de 2000 prévoit désormais que, dans les communes respectant leurs obligations en matière d’aires d’accueil, le maire peut interdire par arrêté le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d’accueil aménagées. En cas de stationnement illicite, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure ne peut cependant intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques. La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures, le préfet pouvant procéder à l’évacuation forcée des résidences mobiles au terme de ce délai ou au terme des recours. En cas de recours contre la mise en demeure, l’exécution de la décision du préfet est suspendue ; le juge statue alors dans un délai de soixante-douze heures.
Je ne vais pas revenir sur le contenu de la proposition de loi de notre collègue Hérisson : il a déjà été amplement décrit. Je dirai simplement que ce texte, dans sa version initiale, vise à renforcer les sanctions prévues par la loi de 2000 en cas d’occupation illicite.
Il convient toutefois de relever que ses articles 2 à 4 modifient l’article 9 de la loi de 2000.
L’article 2 supprime la condition fixée par la loi pour la mise en demeure du préfet, à savoir le fait que le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
L’article 3 prévoit que le délai d’exécution de la mise en demeure est fixé à vingt-quatre heures au maximum et non plus au minimum.
L’article 4 fixe à six heures le délai maximal d’exécution de la mise en demeure dans le cas où les occupants du terrain en cause ont précédemment procédé à une occupation illicite.
La commission des affaires économiques s’étant réunie au même moment que la commission des lois, elle a examiné la proposition de loi initiale de Pierre Hérisson, sans prendre position sur les modifications effectuées par la commission des lois.
Tout en comprenant bien la question, tout à fait réelle, à laquelle les auteurs de cette proposition de loi cherchent à répondre, je ne peux que souligner le scepticisme de la commission des affaires économiques à l’égard de ce texte : certaines de ses dispositions posent de vraies difficultés d’ordre constitutionnel.
Dans le même souci d’équilibre qui a inspiré la loi de 2000, une réflexion doit être menée aujourd’hui sur les moyens de faire respecter par les communes leurs obligations en matière d’accueil.
D’autres sujets mériteraient d’être traités dans un grand texte relatif à l’accueil et au statut des gens du voyage, tels que le statut juridique de ces derniers. Je m’étonne d’ailleurs que notre collègue Pierre Hérisson, qui avait déposé en juillet 2012 une proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie, ait déposé aujourd’hui cette proposition de loi très incomplète.
Avant de reprendre dans l’ordre ces différents points, je me dois, au préalable, de souligner que cette proposition de loi constitue une réponse aux indéniables difficultés rencontrées par certains élus locaux, d’ailleurs largement relayées par les médias. Certains élus locaux, dont la commune respecte ses obligations légales, se trouvent démunis face à l’arrivée inopinée de plusieurs dizaines de caravanes et à l’occupation illicite de terrains publics ou privés. Lorsque j’étais moi-même élu local, j’ai été confronté à ce type de situation : je suis donc tout à fait conscient du problème et, en particulier, du sentiment d’abandon qu’éprouvent les élus locaux en de telles circonstances.
Il convient donc de réaffirmer, à la suite de notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye dans son rapport sur la loi Besson, que « les efforts importants demandés aux communes doivent avoir pour contrepartie une répression effective du stationnement illicite ». Tout le monde est d’accord là-dessus, et il ne sert à rien d’opposer de prétendus laxistes et des non-laxistes.
Autrement dit, il convient, madame la ministre, d’apporter une réponse très ferme à la question des occupations illicites. J’espère que vous pourrez nous donner des assurances en la matière.
Cela étant dit, j’attire votre attention, monsieur le président, mes chers collègues, sur le fait que, au cours des trois dernières années, plusieurs rapports importants ont été publiés sur l’application de la loi de 2000. Je pense à un rapport d’octobre 2010 du Conseil général de l’environnement et du développement durable, à un rapport de mars 2011 fait par Didier Quentin au nom d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, au rapport de juillet 2011 de notre collègue Pierre Hérisson, Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun », ainsi qu’à un rapport d’octobre 2012 de la Cour des comptes sur l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage.
À la lecture de ces documents, un constat s’impose : aucun d’entre eux ne suggère de modifier le dispositif de sanction en cas de stationnement illégal dans les communes respectant leurs obligations. Notre collègue Pierre Hérisson lui-même, dans son rapport, n’avait formulé aucune proposition en la matière.
Comment expliquer cette absence de proposition sur ce sujet ? Pour répondre à cette question, je me contenterai de citer le rapport du député Didier Quentin, qui soulignait que « le législateur [était] probablement allé en 2007 aussi loin qu’il était possible d’aller. »
Dans une décision du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que, « compte tenu de l’ensemble des conditions et des garanties qu’il a fixées et eu égard à 1’objectif qu’il s’est assigné, le législateur a adopté des mesures assurant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés ».
En s’appuyant sur cette décision, notre collègue député Didier Quentin a donc conclu que « la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, qu’il serait donc constitutionnellement périlleux d’assouplir ».
Dans ces conditions, pour la commission des affaires économiques, les dispositions prévues par les articles 2, 3 et 4 de la proposition de loi initiale de notre collègue Hérisson posaient de réelles difficultés constitutionnelles. C’est pourquoi elle a adopté des amendements de suppression de ces articles.
Au-delà de la question constitutionnelle, la proposition de loi de notre collègue Hérisson est déséquilibrée. Elle ne traite la question de l’accueil des gens du voyage que sous un angle répressif, alors que la problématique est beaucoup plus vaste, comme l’ont d’ailleurs relevé les rapports que j’ai évoqués précédemment.
Le statut juridique des gens du voyage est, ainsi, l’un des sujets qui n’est pas du tout évoqué par la proposition de loi.
Les gens du voyage sont soumis à la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. Une partie de cette loi, notamment ses dispositions discriminatoires portant sur l’exercice du droit de vote, a été déclarée contraire à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel en date du 5 octobre 2012. Demeurent cependant en vigueur les dispositions relatives au livret spécial de circulation ou au rattachement obligatoire à une commune.
La loi de 1969 a été dénoncée tant par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité que par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Sur mon initiative, la commission des affaires économiques a adopté un amendement visant à abroger cette loi, comme le propose d’ailleurs notre collègue Hérisson dans sa proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie.
Autre sujet qui n’est pas évoqué par la proposition de loi : les communes défaillantes.
Trop peu d’aires d’accueil ont été construites. Le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2012 a souligné que le taux de réalisation des places en aires d’accueil prévues par les schémas départementaux n’était que de 52 % à la fin de 2010, soit dix ans après le vote de la loi Besson.
Les écarts d’un département à l’autre sont très importants : le rapport de la Cour des comptes relève que, pour les dix départements où l’obligation de réalisation est la plus importante, ce taux varie de 8 % – les Alpes-Maritimes – à 56 % – Seine-et-Marne et Haute-Garonne.
Le pouvoir de substitution prévu par la loi Besson n’a cependant jamais été mis en œuvre. Il convient donc de réfléchir, en lien avec les associations d’élus locaux, aux moyens de renforcer l’effectivité de la loi Besson, en améliorant le pouvoir de substitution du préfet aux maires défaillants, voire en créant des pénalités financières pour les communes ne respectant pas leurs obligations.
On pourrait s’inspirer du dispositif prévu par l’article 55 de la loi SRU, en prévoyant un prélèvement sur les ressources des communes défaillantes ou en permettant au préfet de conclure des conventions avec des organismes pour construire les aires nécessaires. L’éventuel constat de carence devrait prévoir, comme pour la construction de logements sociaux, la prise en compte des spécificités locales et des réelles difficultés rencontrées par certaines communes, par exemple en raison de l’absence de foncier disponible.
Les évolutions constatées depuis l’adoption de la loi Besson ne sont pas traitées non plus par cette proposition de loi, alors qu’il conviendrait de les prendre en compte. Je pense notamment à deux problématiques évoquées par l’ensemble des rapports évoqués précédemment : la question des aires de grand passage et l’accès au logement des gens du voyage qui se sédentarisent.
Pour ce qui concerne les aires de grand passage et les grands rassemblements, les difficultés rencontrées par les élus locaux ont été soulignées, lors de l’examen de mon rapport par la commission des affaires économiques, par des collègues appartenant aux divers groupes politiques de notre assemblée. Il faut cependant rappeler que seules 29 % des aires d’accueil prévues par les schémas départementaux ont été réalisées !
Pour autant, madame la ministre, que pensez-vous de l’idée de renforcer la coordination à l’échelon national et l’information des collectivités territoriales en créant un poste de médiateur, comme l’a suggéré notre collègue Bruno Retailleau dans le cadre des travaux de la commission des affaires économiques ?
Je souhaite évoquer un peu plus longuement la question de l’accès au logement des gens du voyage, problématique qui relève pleinement du champ de compétence de notre commission.
Toutes les études montrent un phénomène de sédentarisation partielle ou totale des gens du voyage. Or, faute de terrains adaptés, la sédentarisation se fait bien souvent sur des aires permanentes d’accueil. Ainsi, les aires d’accueil sont aujourd’hui majoritairement utilisées par des familles semi-sédentarisées, ce qui pose deux problèmes majeurs : d’une part, ces aires ne sont pas adaptées à une occupation permanente, d’autre part, la rotation ne peut pas se faire.
Il convient donc de réfléchir à une éventuelle modification de la loi de 2000 afin de permettre la prise en compte par les schémas départementaux des besoins en matière de terrains familiaux ou d’habitat adapté.
Mes chers collègues, entre 2004 et 2012, seules 791 places en terrain familial ont été financées. C’est évidemment très insuffisant !
De même, il faudrait que les schémas départementaux soient davantage coordonnés avec les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées, les PDALPD, ces derniers devant, en principe, identifier les besoins des gens du voyage en matière d’habitat adapté et définir des objectifs de réalisation quantifiés et territorialisés.
Je l’ai dit, la commission des affaires économiques n’a pu examiner le texte de la commission des lois et n’a pas été en mesure de se prononcer sur les modifications apportées par celle-ci. Je salue cependant, à titre personnel, le texte issu des travaux de la commission des lois, notamment la réécriture des articles 2 et 3 de la proposition de loi, qui posaient de réels problèmes constitutionnels.
Au nom de la commission des affaires économiques, je présenterai deux amendements. Le premier vise à abroger la loi de 1969. Le second tend à supprimer l’article 4 de la proposition de loi, qui, outre qu’il soulève des difficultés constitutionnelles sérieuses, me paraît inapplicable sur le terrain, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des lois.
La commission des affaires économiques a finalement jugé que la proposition de loi initiale, si elle répondait à de véritables difficultés, posait des problèmes juridiques et qu’elle était à la fois déséquilibrée et incomplète. J’espère que la discussion en séance publique permettra de corriger les défauts de ce texte, déjà amélioré par la commission des lois.
Par ailleurs, je sais que notre collègue député Dominique Raimbourg a déposé la semaine dernière une proposition de loi qui embrasse l’ensemble du champ de l’accueil des gens du voyage, c'est-à-dire les questions du statut juridique, de l’effectivité de la loi Besson, des moyens légaux permettant de mettre fin aux occupations illicites... Ce texte devrait permettre la discussion sereine et sans exclusive qui est souhaitée, je le pense, sur toutes nos travées.
Comme le proposait Pierre Hérisson dans son rapport au Premier ministre du mois de juillet 2011, il est temps de « restructurer le droit applicable aux gens du voyage autour d’une loi unique par une mise à jour de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui vise à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage. Cette initiative est l’occasion de dresser un bilan de la législation et de la situation sur le terrain des différents dispositifs concernant les gens du voyage.
Comme vous le savez, la loi du 31 mai 1990, mais surtout celle du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », sont venues apporter des réponses. Cette dernière prévoit ainsi une obligation d’organisation de l’accueil sur les communes de plus de 5 000 habitants, tout en permettant en contrepartie à ces dernières de recourir à des mesures renforcées de lutte contre les stationnements illicites.
Néanmoins, comme cela a été rappelé, le droit existant ne clôt pas le débat, loin de là. Aussi, treize ans après la promulgation de la loi Besson, il s’agit de trouver de nouveaux dispositifs, efficaces, pragmatiques et juridiquement précis, afin de répondre aux attentes tant des élus que des gens du voyage. C’est ce qu’a tenté de faire le sénateur Pierre Hérisson. Pourtant, sa proposition de loi suscite quelques réserves au regard de l’objectif que je viens de préciser.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a toujours privilégié une approche équilibrée entre les droits et les devoirs des gens du voyage, entre les obligations pesant sur les collectivités territoriales et les attentes légitimes des maires. Cette proposition de loi a choisi une autre voie, une direction unique, suivant plutôt l’axe répressif. Certes, lorsque la loi n’est pas respectée, l’action répressive est normale. Elle est légitime et doit être prévue par les textes ; j’y reviendrai. Cependant, l’action répressive, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, ne peut tout régler à elle seule.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. C’est bien vrai !
MM. Jean-Claude Carle et Antoine Lefèvre. D’accord !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Elle peut même entraîner plus de difficultés qu’elle ne résout de problèmes.
Je suis certaine, monsieur Hérisson, que vous partagez cette analyse. En effet, si je me réfère à vos anciens et nombreux travaux sur la question des gens du voyage, je sais que vous avez une approche beaucoup plus nuancée et beaucoup plus globale. J’en veux pour preuve votre proposition de loi du 31 juillet 2012 relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie : celle-là comportait vingt articles qui embrassaient le sujet de manière plus globale.
Pourquoi votre approche s’est-elle ainsi rétrécie ? Pourquoi avoir privilégié l’axe répressif à l’encontre des gens du voyage ? Pourquoi avoir mis de côté vos autres propositions ? J’ai l’impression que le débat perd en qualité. Nous gagnerions en effet à traiter cette question complexe dans son ensemble.
Ne croyez pas, pour autant, que le Gouvernement n’entend pas les élus, qu’il ne prend pas en compte leurs inquiétudes, leurs attentes. Claude Dilain rappelle dans son rapport que les occupations illicites dans des communes qui respectent leurs obligations en termes d’aires d’accueil « sont inacceptables », ajoutant que « les pouvoirs publics doivent apporter une réponse ferme à ces pratiques, en soutien à des élus qui se sentent bien souvent démunis ».
En effet, les maires sont parfois confrontés à des occupations illégales de terrain qui sont très difficiles à gérer. Cela est particulièrement incompréhensible pour un maire et pour ses concitoyens lorsque la commune a respecté ses obligations au regard du schéma départemental.
Le ministre de l’intérieur l’a souligné à plusieurs reprises : « Assurer le respect de la loi, c’est, pour les gens du voyage, s’assurer que des aires d’accueil adaptées sont proposées. C’est aussi ne pas accepter quand elles existent, qu’elles soient dédaignées ou que leur absence puisse servir de prétexte à des comportements ou à des occupations de terrains inacceptables. »
Nous le savons, il y a eu parfois du découragement, de la lassitude chez des élus locaux de bonne volonté qui se sentent impuissants.
M. Pierre Hérisson. De plus en plus !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est cela qui doit nous inciter à apporter une réponse globale, à proposer une réforme législative efficace, qui traitera la problématique dans son ensemble.
Avant de revenir sur le texte issu des travaux de la commission, je m’attarderai un instant sur la proposition de loi initiale, dont ont évidemment pris connaissance les associations des gens du voyage avec lesquelles nous travaillons à la construction d’un équilibre décent.
Or, j’y insiste de nouveau, ce texte n’est pas à la hauteur de vos propres réflexions, monsieur Hérisson. Il ne peut qu’aggraver les difficultés rencontrées par les élus locaux, alors même que vous entendez, à travers lui, répondre à leurs préoccupations.
En effet, comment prétendre restaurer l’ordre, le respect des lois sans même envisager de tenir des engagements aussi essentiels que celui de l’abrogation de la totalité de la loi du 3 janvier 1969, sans demander à tous, gens du voyage, mais aussi élus locaux, de respecter également les lois de la République ?
Ce texte, dans sa version originale, est en outre inutilement vexatoire : il aggrave des sanctions pour les voyageurs qui sont en réalité très peu prononcées par les tribunaux et il instaure un mécanisme d’évacuation forcée qui, à l’évidence, s’affranchit des principes constitutionnels pourtant applicables à tous, et cela sans jamais aborder la question de l’inexécution, depuis treize ans maintenant, des obligations mises à la charge des communes.
En effet, la loi Besson demeure en grande partie lettre morte, et nous le regrettons. La Cour des comptes l’a établi sans conteste : le taux de réalisation des aires d’accueil atteignait à peine 52 % au 31 décembre 2010, et seulement 29 % pour les aires de grand passage. À ma connaissance, la proposition de loi est muette sur ce sujet.
On doit, de surcroît, constater que ce texte n’est pas complet et qu’il comporte même des sources de tensions supplémentaires.
La commission des lois et la commission des affaires économiques ont toutes deux pointé les lacunes de la proposition de loi. M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, M. Claude Dilain, estime « que la proposition de loi n’apporte pas les garanties suffisantes du point de vue juridique et est déséquilibrée et incomplète ». M. Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois, va dans le même sens.
Vous avez, messieurs les rapporteurs, tenté de faire évoluer ce texte. Toutefois, malgré vos efforts, je crains que le chemin à parcourir ne soit encore bien long pour que le texte réponde avec le réalisme et la rigueur nécessaires à l’intégralité des enjeux et des attentes.
Ainsi, malgré les améliorations introduites par la commission, ce texte demeure hasardeux sur le plan juridique. Je prendrai deux exemples.
En premier lieu, pour faciliter l’évacuation des campements illicites, j’ai bien noté que l’article 2 du texte de la commission différait de l’article 2 du texte initial, qui tendait à supprimer la condition d’ordre public permettant l’évacuation d’office. Vous inspirant de la proposition de loi du député Dominique Raimbourg, vous ne supprimez pas la condition d’ordre public, mais vous ajoutez au texte. Ainsi, dès lors que l’intérêt général est en cause, vous prévoyez la possibilité d’évacuer un campement illicite à la condition qu’existe une aire d’accueil spécialement aménagée dans un rayon de 30 kilomètres. Cette disposition reste, pour l’heure, soumise à expertise au sein du Gouvernement.
En second lieu, l’article 4 instaure un délai d’exécution de la mise en demeure de quitter les lieux, qui ne peut être supérieur à six heures en cas de réitération d’une occupation illicite d’un terrain par les mêmes personnes au cours de l’année écoulée. Or l’évacuation n’est pas une sanction, mais une mesure de police administrative sur laquelle l’état de récidive ne peut donc avoir aucune incidence. Établir une différence de traitement entre récidivistes et non-récidivistes porterait ainsi atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi, sans parler du caractère très peu opérationnel d’un tel dispositif.
Outre sa fragilité juridique, ce texte comporte des dispositions inapplicables ou superflues.
Ainsi, la réduction à quarante-huit heures, au lieu de soixante-douze heures, du délai prévu à l’article 5 pour que le juge statue est contre-productive, car elle ne laisse pas à l’administration le temps d’apporter la contradiction aux allégations des requérants. Faut-il ajouter que le dépassement de ce délai par le juge n’est assorti d’aucune sanction ?
Enfin, la proposition faite à l’article 6 de confier à l’État la police des grands passages et des grands rassemblements des gens du voyage dans les communes à police étatisée est inutile : en effet, dans ces communes, l’État a déjà la charge de la police des grands rassemblements, lesquels incluent les grands passages. En outre, la procédure d’information préalable pour toute installation d’un groupe de plus de cinquante caravanes est sans doute souhaitable, mais elle ne peut être assortie d’aucune sanction au plan légal, car celle-ci viendrait se heurter au principe de liberté de circulation.
Juridiquement hasardeux, opérationnellement douteux, ce texte met par ailleurs de côté deux questions qui me semblent très importantes s’agissant de la situation des gens du voyage.
Il est d’abord un sujet auquel je suis, de par mes fonctions, particulièrement sensible : la question de la scolarisation des enfants des gens du voyage.
Là encore, les responsabilités sont partagées.
Il y a, d’une part, la responsabilité des communes. Je tiens à rappeler ici que le refus de scolarisation d’un enfant présent sur le territoire communal est susceptible de caractériser le délit de refus discriminatoire d’un droit accordé par la loi par une personne dépositaire de l’autorité publique au sens des articles 225-1 et 432-7 du code pénal, délit passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Je connais les difficultés rencontrées par certaines communes, mais il me semble impossible de transiger sur ce principe, conforme aux engagements que nous avons contractés en matière de protection due aux enfants. Il nous arrive d’ailleurs très fréquemment, au ministère dont j’ai la charge, de rappeler aux élus cette obligation qui incombe à toute municipalité de scolariser les enfants présents sur son territoire, même si la situation des parents peut être sujette à critique.
Il y a, d’autre part, de façon symétrique, la responsabilité des parents, même si le mode de vie non sédentaire est évidemment source de complexité. Le préfet Hubert Derache, dans son rapport au Premier ministre consacré aux gens du voyage, a montré qu’il « reste des voies de progression au niveau du collège et surtout au niveau du lycée général ou du lycée professionnel ». Je pense en effet qu’il nous faut convaincre tout le monde, y compris les parents de ces enfants, que la meilleure manière de sortir des difficultés sociales que ces populations connaissent très souvent est précisément de permettre aux enfants d’avoir une éducation de qualité et d’être scolarisés au-delà de l’école primaire.
L’éducation nationale elle-même doit prendre sa part. Nous avons réactivé, par trois circulaires parues en octobre 2012, le réseau des « centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus des familles itinérantes et de voyageurs », ce qui constitue, selon le rapport Derache, « la bonne réponse pour mettre sous tension le réseau éducatif en direction des enfants de voyageurs ».
Je dois dire à cet instant que j’ai eu l’occasion de visiter, notamment dans la région de Grenoble, un certain nombre d’établissements scolaires où les enseignants se sont investis de façon remarquable sur ce sujet. J’ai également visité une école qui accueille, dans le 12e arrondissement de Paris, les enfants des forains qui animent chaque année la Foire du Trône. On souligne souvent les réticences de certains élus à accueillir les enfants des gens du voyage, mais il faut aussi saluer le travail accompli par un certain nombre d’enseignants pour accueillir ces enfants, qui arrivent parfois en cours d’année et repartent avant la fin de l’année, et faire en sorte qu’ils rattrapent le retard qu’ils ont pu accumuler et qu’ils se sentent accueillis à égalité au sein de l’école. Il me semble qu’on ne rend pas suffisamment justice au travail accompli dans les établissements scolaires pour faire face aux besoins particuliers des enfants.
Le deuxième sujet que je souhaite évoquer est le refus de toute discrimination, de toute stigmatisation.
J’ai souvent reçu des associations de gens du voyage, qui ont parfois le sentiment que leurs problèmes ne sont pas suffisamment pris en considération par notre dispositif de lutte contre les discriminations, en dépit de leur mode de vie spécifique.
Nous devons précisément nous efforcer de lutter contre tout ce qui renforce le repli sur soi, la méfiance, et qui remet en cause le vivre ensemble.
La loi de 3 janvier 1969 est, depuis quelques années, au cœur des interrogations. Vous avez vous-même, monsieur Hérisson, en tant que parlementaire en mission, remis au Premier ministre un rapport sur le sujet qui a été salué sur diverses travées.
Le Conseil constitutionnel a censuré l’obligation faite à une certaine catégorie de gens du voyage de détenir un carnet de circulation et de le faire viser périodiquement sous peine d’emprisonnement. Il a jugé qu’il y avait là une atteinte manifeste à l’exercice de la liberté d’aller et de venir, une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi.
Le Conseil constitutionnel a également considéré que les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 imposant aux gens du voyage trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune pour être inscrits sur les listes électorales étaient contraires à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a donc une jurisprudence particulièrement vigilante, ancienne et constante sur les mesures qui restreignent l’exercice par les citoyens de leurs droits civiques.
Le caractère discriminatoire de cette loi n’avait au demeurant pas échappé à de nombreux parlementaires. Je tiens ainsi à citer la proposition de loi sénatoriale déposée en juin 2011, qui visait notamment à appliquer aux gens du voyage le droit commun en matière d’inscription sur les listes électorales. Une initiative similaire a également été prise par le groupe écologiste du Sénat en juin 2012. Je tiens enfin à souligner le travail important mené depuis décembre 2010 par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale ; .malheureusement, la proposition de loi issue de ces travaux fut à l’époque rejetée en séance par la majorité UMP, à l’exception de quelques voix très respectées comme celle d’Étienne Pinte.
C’était il y a presque trois ans. Aujourd’hui, l’état d’esprit a changé et le Conseil constitutionnel est venu conforter cette analyse. Il me semble donc que toutes les conditions sont réunies pour que nous puissions rédiger une loi assez complète, qui engloberait divers aspects de cette problématique des gens du voyage.
Depuis maintenant plus d’un an, un travail est mené par le Gouvernement sur ce sujet, dans une concertation très poussée.
Il a déjà été beaucoup question du poids des représentations et des attentes de nos concitoyens. Il me semble que nous pouvons désormais aller plus loin, si toutefois nous prétendons à l’efficacité.
C’est dans cette perspective que, dès le mois d’octobre 2012, le Gouvernement a lancé une large consultation impliquant les associations représentatives des gens du voyage et l’Association des maires de France, avant d’entamer un travail avec les parlementaires, au premier rang desquels figure M. Jean-Yves Leconte.
C’est aussi ce souci d’efficacité qui a conduit le ministre de l’intérieur à rechercher le consensus autour d’un texte équilibré, qui exigerait de tous le respect d’un certain nombre de droits et devoirs.
Par ailleurs, une très intéressante journée d’étude, rassemblant des parlementaires de toutes sensibilités politiques, a été organisée à ce sujet par Dominique Raimbourg.
Ont été associés à ces travaux le ministère de l’intérieur, le ministère du logement, le ministère des affaires sociales. Il ne faudrait pas oublier le ministère de l’éducation nationale, qui joue un rôle non négligeable dans l’insertion de ces populations.
Cela a été rappelé, le Premier ministre avait confié au préfet Hubert Derache une mission d’appui à la définition d’une stratégie d’action renouvelée sur la question des gens du voyage. Le rapport qu’il a remis a constitué une véritable feuille de route pour le Gouvernement et a été l’occasion d’un travail très approfondi.
Par ailleurs, là encore après une longue concertation, le député Dominique Raimbourg a déposé une proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui nous semble répondre à l’ensemble des problématiques essentielles qui se posent en la matière, dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel.
Il me semble que la proposition de loi de M. Raimbourg prend également en compte les attentes des élus, notamment en ouvrant aux élus locaux qui ont respecté leurs obligations en matière d’aires d’accueil la possibilité d’obtenir plus facilement du préfet l’évacuation des occupants d’un campement illicite de gens du voyage lorsqu’il existe dans un rayon de 50 kilomètres une aire d’accueil spécialement aménagée et offrant des capacités d’accueil suffisantes.
Comme l’avait souligné le ministre de l’intérieur lors du colloque organisé à l’Assemblée nationale en juillet dernier, il est essentiel que « les élus locaux, qui ont le souci d’offrir à tous un accueil digne – et ils sont nombreux –, ne soient pas pris au piège de leur engagement ».
Dans le même temps, la proposition de loi Raimbourg rappelle les termes de la loi de 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage et les obligations faites aux communes de plus de 5 000 habitants. Ainsi, elle prévoit de renforcer les pouvoirs de substitution du préfet en matière de construction d’aires d’accueil.
En effet, vous en conviendrez avec moi, on ne peut pas accepter le retard qu’ont pris trop de communes en matière d'aménagement des aires d'accueil des gens du voyage, notamment les aires d'accueil permanentes et les aires de grand passage. L'équilibre entre les droits et les devoirs prévus par la loi doit s'appliquer à tous !
On peut donc affirmer que le Gouvernement a également pris des initiatives afin de garantir dans la durée la refondation de la politique relative aux gens du voyage. Cela implique l’existence d’une instance de un dialogue vivant et constructif entre l’ensemble des parties prenantes. Cela suppose aussi qu’un aiguillon soit donné à tous les départements ministériels concernés.
Aussi, conformément aux préconisations du rapport d’Hubert Derache, le Premier ministre a très récemment confié à la DIHAL – délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement – une nouvelle mission : le secrétariat et l’animation de la Commission nationale consultative des gens du voyage.
Comme l’a souligné ma collègue Cécile Duflot lors de de la 8ème Journée nationale des gens du voyage à Chambéry, le 3 décembre dernier, la DIHAL consultera très prochainement l’ensemble des membres de cette commission afin de revisiter son rôle et son mode de fonctionnement, et ce à plusieurs égards : pour asseoir sa place dans le pilotage des politiques publiques en faveur des gens du voyage ; pour renforcer sa capacité d’analyse et d’expertise, ce qui implique que cette commission soit une véritable instance de concertation, où s’expriment la pluralité des regards et la diversité des attentes, de manière à être capable d'impulser des projets ; pour étendre ses compétences et lui donner un rôle plus décisionnel, ce qui passe notamment par l'instauration de groupes de travail thématiques et par le renforcement du lien avec les commissions départementales.
Reste la question des grands rassemblements, distincte de celle des aires accueil et de grand passage. Il me semble important de traiter ce sujet de façon autonome. Le Gouvernement va confier une mission spécifique dans les prochaines semaines à deux parlementaires, l'un de la majorité et l'autre de l’opposition. Celle-ci aura pour objectif de construire un cadre stable et pérenne, nécessaire pour anticiper et préparer ces événements de grande ampleur, qui peuvent bouleverser momentanément la vie des habitants dans les territoires concernés.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez compris l’état d’esprit du Gouvernement : la cohérence, l’équilibre, l’apaisement, l’efficacité, sont les fondements de notre méthode en même temps que nos objectifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Pierre Hérisson. Bon voyage !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dois vous dire que, à la lecture de la présente proposition de loi, ma première réaction a été la colère : colère de voir les principes fondateurs de notre République bafoués au nom d'un certain électoralisme.
J’en veux pour preuve le fait que M. Hérisson, considéré comme un expert sur la problématique des gens du voyage,…
M. Pierre Hérisson. Ça n’a pas changé !
M. Jean-Claude Carle. Il l'est toujours !
Mme Esther Benbassa. … avait remis en 2011 un rapport intitulé : « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun », où il appelait à une « amélioration de la gouvernance de la politique publique en faveur des gens du voyage ».
M. Pierre Hérisson. Maintenant, nous sommes en décembre 2013 !
Mme Esther Benbassa. La proposition de loi qu’il vient de déposer, à la veille des élections municipales, porte un titre à la tonalité bien différente puisqu’il s’agit cette fois de « renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage ».
Comment expliquer ce revirement en l’espace de deux ans ? Comment le justifier, surtout, en ces temps où la lutte contre le racisme et la xénophobie est plus que jamais nécessaire, et alors que nos concitoyens gens du voyage sont encore et toujours stigmatisés, discriminés ? Que vient faire aujourd’hui cette proposition de loi, qui n’est pas pour arranger les choses ? C'est que, sans doute, les élections ont leurs raisons, que la raison ne connaît pas !
Le titre de cette proposition de loi pourrait certes suggérer que, en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage, toutes les parties prenantes, maires et gens du voyage, verraient leurs responsabilités renforcées. Mais ce serait une erreur : il est en effet seulement question ici de sanctions à l’encontre des gens du voyage.
M. Jean-Claude Carle. Mais non !
Mme Esther Benbassa. Sur les maires qui ne respectent pas leurs obligations, pas une ligne !
Pourtant, dans son rapport de 2011 (MM. Pierre Hérisson et Jean-Claude Carle s’exclament.), à la page 39, M. Hérisson préconisait de « poursuivre rapidement la création [d’emplacements] sur le territoire des EPCI pour atteindre l’objectif de 40 000 places » et de « faire appel aux fonds européens ».
Permettez-moi de vous rappeler que, depuis le vote de la loi du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », les procédures d’expulsion des gens du voyage ont été considérablement facilitées et les sanctions prévues, alourdies à plusieurs reprises.
M. Jean-Claude Carle. Ça, c'est vous qui le dites !
Mme Esther Benbassa. L’arsenal juridique existe, les maires et représentants de l’État disposent de nombreuses prérogatives pour mettre fin aux occupations illicites. Mais la loi Besson prévoit, en contrepartie de ces prérogatives, l’obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants de disposer d’une aire d’accueil, obligation qui est loin d’être remplie puisque la Cour des comptes, dans un rapport publié en octobre 2012, constate que le taux de réalisation des places en aires d’accueil prévues par les schémas départementaux n’était, à la fin de 2010, que de 52 %.
Je défendrai de nombreux amendements, et d’abord un amendement visant à abroger la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, loi obsolète et indigne, source de stigmatisation et de discrimination à l’encontre de nos concitoyens gens du voyage.
C’est, du reste, ce que préconisait M. Hérisson lui-même, à la page 38 de son rapport de 2011, décidément mieux inspiré que la liste des sanctions figurant dans cette proposition de loi.
Croit-on qu’en période électorale il faudrait donner la priorité aux sanctions que les Français, pense-t-on, réclameraient à cor et à cri ? Ne nous étonnons pas de voir, à force d’instrumentalisation et de stigmatisation des minorités, une parole raciste et xénophobe se déployer sans complexe ! Ni de voir certains de nos concitoyens préférer aux partis démocratiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, un Front national finalement perçu comme à la fois plus actif et plus cohérent sur ce terrain du racisme et de la xénophobie.
D’autres amendements vous seront donc soumis, ayant pour objet d’inciter les communes à remplir leurs obligations en matière d’accueil des gens du voyage. Il me semble que, en ce domaine comme en tant d’autres, la réciprocité des obligations est une condition nécessaire au respect, par tous, du pacte républicain. Comment accepter que l’installation illicite soit punie de lourdes peines d’emprisonnement et d’amende, alors que l’on trouve encore aux abords de certaines communes des panneaux indiquant : « Interdit aux forains et aux gens du voyage » ?
Cette proposition de loi accentue la tendance à faire des gens du voyage, qui sont pourtant nos concitoyens, des étrangers sur leur propre sol. L’exclusion territoriale n’est que l’un des aspects de l’exclusion en général dont souffrent les « gens du voyage », une belle dénomination qui ne fait pas oublier que ces Français sont encore et toujours des Français de seconde zone. La France n’a même pas reconnu l'internement des gens du voyage dans des camps par le gouvernement de Vichy après la défaite ! N’oublions pas que 95 % des 6 000 personnes ainsi internées ont péri.
Notre République égalitaire peut-elle continuer à tolérer impunément l’existence en son sein de sous-citoyens ? Comme l'a rappelé Mme la ministre, et je l'en remercie, j’avais déposé, au nom du groupe écologiste, le 12 juin 2012, une proposition de loi qui répondait aux attentes des gens du voyage. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe écologiste ne saurait évidemment voter cette proposition de loi en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite commencer mon propos, non pas par un rappel au règlement, mais pour évoquer devant vous ce que je considère comme un dévoiement de la tradition sénatoriale.
En effet, nous nous retrouvons cet après-midi pour discuter de deux initiatives parlementaires proposées par le groupe UMP dans son espace réservé. Or, sur ces deux textes inscrits à l’ordre du jour, le Sénat ne débattra, dans les faits, d’aucun des deux.
S’agissant de la première initiative, dont je suis à l’origine conjointement avec mon collègue Pierre Hérisson, les délibérations de la commission des lois, la semaine dernière, ont modifié le fond et la forme du texte initial et ont abouti à la version qui nous est aujourd’hui soumise.
Comme le précisait le précédent président du Sénat le 24 mars 2009, lors d’une conférence des présidents, « à la lumière des nouvelles dispositions constitutionnelles, il nous faut revoir nos méthodes d’examen des propositions, afin de respecter effectivement la priorité constitutionnelle reconnue aux groupes bénéficiaires de cette journée réservée. » Il ajoutait : « En effet, on peut estimer que, même dans le cas où la commission est défavorable à une proposition de loi inscrite à cette journée mensuelle, cette proposition devrait être discutée par le Sénat en séance publique, article par article, quitte à être rejetée in fine ». Ces propos avaient alors fait l’objet, selon le compte rendu, d’un « assentiment » général.
Rappelons que la révision constitutionnelle a permis de consacrer les droits de l’opposition, comme le soulignait d’ailleurs notre ancienne collègue Nicole Borvo lors de la conférence des présidents du 19 mai 2010 : elle avait en effet critiqué l'adoption par la commission de la culture d'une motion de renvoi en commission d'une proposition de loi déposée par le groupe CRC au motif que « ce renvoi ne répond[ait] pas à une nécessité absolue et ne respect[ait] pas les droits de l’opposition ».
Je me permets ce rappel, car le président Sueur avait déjà alerté la Haute Assemblée de ce risque de dérive lors de la conférence des présidents du 16 novembre 2011, à l’occasion de laquelle il avait judicieusement rappelé le gentlemen’s agreement qui prévaut dans notre assemblée.
J’avoue donc que la posture de la commission que le président Sueur préside aujourd’hui me surprend, puisqu’il ne s'est pas opposé à la réécriture complète du texte que nous proposions de mettre en discussion devant le Sénat; ce qui contrevient, selon moi, aux dispositions de l’article 48 de la Constitution.
Je dirai, enfin, un mot du second texte que nous avions inscrit aujourd’hui dans notre espace réservé et qui est proposé par notre collègue M. Del Picchia. Alors que le rapporteur, Antoine Lefèvre, proposait de discuter du texte déposé, la commission des lois a adopté le principe d’une motion de renvoi en commission.
Je n’en dirai pas plus, mais, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je dénonce aujourd’hui, avec l’ensemble de mon groupe, l’attitude de la majorité consistant à bafouer les droits de l’opposition.
M. Antoine Lefèvre. Tout à fait !
M. Jean-Claude Carle. Je remercie d'ailleurs le président Bel d’avoir clairement rappelé hier en conférence des présidents qu’une telle attitude n’était pas acceptable.
Je le dis d’autant plus sereinement que vous avez déposé sur ce texte pas moins de 77 amendements, dont 27 avant l'article 1er, qui ont pour objet d’abroger un à un les articles de la loi de 1969.
C’est une méthode d’obstruction bien connue pour faire en sorte qu’un texte ne soit pas adopté. C'est de bonne guerre, mais je laisse nos compatriotes et les élus en juger !
M. Claude Dilain. Il suffira de voter le premier amendement !
M. Jean-Claude Carle. J’en viens au texte de notre proposition de loi.
Les gens du voyage ont choisi un mode de vie différent de la grande majorité de nos concitoyens. C’est leur droit, et nous devons le respecter. Toutefois, si la République leur reconnaît ce droit, elle est en droit, elle, de leur demander de respecter nos lois et, le cas échéant, de faire en sorte qu’ils les respectent.
Malheureusement, de récents faits montrent que certains d’entre eux ne les respectent pas, et nombreuses sont les situations qui constituent des troubles à l’ordre public : atteintes à l’hygiène, violations de propriété ou, plus grave, atteintes aux personnes et aux biens.
À ce propos, nombre d’élus, de petites communes notamment, nous ont fait part du sentiment d’abandon qu’ils éprouvent face à certaines communautés très bien organisées, qui connaissent parfaitement les limites de la loi et les moyens de les dépasser : elles savent pertinemment que, si elles envahissent illégalement un terrain, rien ne permet de les expulser avant une semaine. C’est ce qui s’est récemment produit dans les communes de Frangy, en Haute-Savoie, et de Verdun, dans la Meuse, où des élus ont été agressés dans l’exercice de leur mission. Ce n’est pas acceptable.
De tels faits nous interpellent. C’est pourquoi il devient urgent de compléter et de modifier le cadre juridique qui fixe les règles applicables en la matière.
Nous ne souhaitons en rien remettre en cause les dispositions relatives aux droits des gens du voyage. Je tiens à rappeler, comme l’a fait en particulier Pierre Hérisson, que la loi Besson du 31 mai 1990 a obligé les villes de plus de 5 000 habitants à prévoir des emplacements spécifiques pour les gens du voyage. Cette loi a été suivie par la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui a institué un schéma départemental visant à organiser l’implantation d’aires d’accueil sur les communes et les communautés d’agglomération.
Vous l’aurez compris, ce que nous proposons ne remet nullement en question ce dispositif. Nous rappelons même aux élus la nécessité de le mettre en œuvre s’ils veulent être en mesure de contester légitimement une installation illégale.
Si les lois que je viens d’évoquer ont permis d’instaurer des droits légitimes pour les gens du voyage, eu égard à leur mode de vie, nous devons néanmoins réfléchir aujourd’hui collectivement aux moyens de faire en sorte que la loi soit respectée au mieux et au plus vite, afin que les situations que j’ai décrites n’entravent pas l’action des élus locaux sur leur territoire.
Nous avons procédé de manière pragmatique, avec mon collègue Pierre Hérisson et tous les collègues qui l’ont souhaité, à la rédaction de ce texte, sans stigmatiser quiconque, sans discriminer personne. Nous avons surtout veillé à éviter les amalgames entre la question des gens du voyage, qui est du ressort de la loi de janvier 1969, et la question des Roms, qui est du ressort des politiques publiques nationales et internationales relatives à l’immigration. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point, qui est à mon sens fondamental pour éveiller l’esprit de nos concitoyens.
J’en profite pour saluer le travail accompli par Pierre Hérisson comme président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, qui mène depuis dix ans une action déterminée sur ces questions.
Avant d’entrer dans les détails, je souhaite préciser notre approche. Elle consiste à nous saisir très concrètement du problème lié à l’implantation illégale des gens du voyage sur des terrains privés ou publics qui n’ont pas cette vocation, en prévoyant deux types de dispositions : des dispositions de responsabilisation et des dispositions de sanction.
Je commencerai par les dispositions de responsabilisation. Si les élus doivent assumer leurs responsabilités, ce qu’ils font avec courage, il en va de même de l’État, madame la ministre. Il nous semble que ce dernier doit participer davantage à l’organisation des grands déplacements et accompagner les collectivités dans l’accueil des gens du voyage. Cela passe par une modification de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales afin que le représentant de l’État ait la charge du bon ordre des grands passages et des grands rassemblements traditionnels ou occasionnels des gens du voyage.
Nous aimerions également que les communes soient mieux informées de l’arrivée de gens du voyage. Après tout, convenons-en, lorsqu’il s’agit d’occuper le territoire d’une collectivité publique, il paraît normal que l’installation se fasse dans un délai permettant à la collectivité d’organiser cette installation et de bénéficier d’un droit d’information sur les modalités d’occupation de son domaine. C’est dans l’intérêt de la commune et de ses habitants, qui connaîtront en toute transparence les conditions de résidence des nouveaux arrivants, mais aussi, il faut le dire, dans l’intérêt des gens du voyage, puisque les conséquences pratiques de leur installation auront été anticipées. Ce sont finalement les conditions de vie de tous qui seront ainsi améliorées.
Cette formalité est également de nature à favoriser la prise de conscience d’une responsabilité commune : elle permettra d’identifier les différents interlocuteurs, et ceux-ci pourront s’engager à faire en sorte que la cohabitation entre le groupe rassemblé sur un terrain dédié et la population de la commune se déroule dans les meilleures conditions. L’objectif est, bien sûr, d’impliquer tous les acteurs pour que la cohésion générale en sorte renforcée.
Je conclus ce point relatif à la responsabilisation en évoquant celle des gens du voyage, qui doivent naturellement respecter la loi sans qu’il soit toujours besoin de la leur rappeler. Comme j’aime à le faire remarquer, la liberté de circuler s’arrête où commence celle de nos concitoyens, qu’il s’agisse du respect du droit de propriété ou du respect des règles de salubrité et d’ordre public. Dans cet esprit, j’ai déposé un amendement tendant à ce que la personne responsable du rassemblement puisse répondre de tout acte de délinquance commis par un membre du rassemblement installé en infraction à la loi.
Pour autant, nul n’a le droit de se faire justice lui-même. C’est pourquoi il est nécessaire que nous fixions de justes sanctions aux atteintes à la loi : des sanctions applicables, donc appliquées, donc dissuasives.
Je pense avant tout aux sanctions pénales. Sur ce point, nous entendions modifier le code pénal afin de doubler les peines applicables en cas d’installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à autrui en vue d’y établir une habitation.
J’ai pris note des arguments du rapporteur de la commission des lois, qui excipait de l’inapplication des textes actuels pour justifier la suppression de l’article 1er de la proposition de loi. Cependant, je ne crois pas qu’il faille répondre à un abandon par un abandon encore plus marqué. Je pense au contraire que, avec une attitude plus ferme, nous pourrions envoyer un message fort à ceux qui ne respectent pas les lois.
Nous persévérons donc dans notre logique consistant à doubler les sanctions prévues par le code pénal en cas d’installation illicite sur un terrain. C’est pourquoi notre groupe a déposé un amendement de réécriture de l’article 1er, que la commission a supprimé.
Je souhaiterais souligner mes convergences de vue avec le ministre de l’intérieur, qui a proclamé sa volonté de procéder plus systématiquement aux expulsions imposées par la loi. En Haute-Savoie, par exemple, on compte vingt expulsions depuis le début de l’année ; c’est plus que sur l’ensemble de la dernière décennie ! Je salue l’action responsable du préfet à cet égard. Malheureusement, ce résultat démontre également que la situation s’est aggravée et qu’il est nécessaire d’agir avec toujours plus de détermination.
Au-delà des sanctions pénales, qui consistent en une réparation de la situation illégale, il apparaît nécessaire de prendre un certain nombre de dispositions visant à rendre effectives les expulsions faisant suite à une mise en demeure. Dans cette optique, notre droit administratif ne doit pas favoriser ceux qui « jouent la montre » ou pratiquent la politique de la terre brulée. Dès lors, il semble indispensable de réformer le dispositif de mise en demeure, pour obliger les gens du voyage à quitter le terrain qu’ils occupent illégalement afin de faire respecter le droit de propriété, qui constitue, point n’est besoin de le rappeler, un droit garanti par la Constitution. Pour beaucoup de nos concitoyens, ce droit représente l’investissement d’une vie ; pour l’État, il délimite un espace qui ne saurait être occupé illégalement.
Toujours dans le but de compléter notre droit pour éviter qu’il ne soit détourné au profit de ceux qui souhaitent prolonger leur situation illégale, il nous paraît important de modifier les délais relatifs à la mise en demeure ou au recours contre cette mise en demeure. Convenons-en, le délai de bonne administration ne doit pas être un délai d’impunité, que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à percevoir comme le signe de l’impuissance publique:
Concernant l’application de la mise en demeure, nous proposons que le délai soit raccourci à six heures en cas de réitération d’une occupation illégale d’un terrain dans la même commune ou dans une commune du même département. Concernant la contestation de la mise en demeure, je suis persuadé que l’on peut agir vite et que l’on sera d’autant plus efficace que l’on agira plus vite. C’est pourquoi nous avions prévu, dans le texte initial, de raccourcir le délai de soixante-douze à vingt-quatre heures. Néanmoins, nous pourrions trouver un consensus sur le délai de quarante-huit heures proposé par la commission des lois.
Mes chers collègues, tous nos concitoyens sont égaux, quel que soit le mode de vie qu’ils adoptent. Chacun doit être traité avec une égale considération par la République. C’est vrai s’agissant des droits ; cela doit l’être aussi s’agissant des devoirs.
Il est trop facile de faire des leçons de morale, d’accueil et de tolérance à la tribune pour ensuite demander au ministre voire au préfet de se montrer ferme sur le terrain quand on est contraint d’agir face à des comportements particulièrement inadmissibles qui contreviennent à nos lois et heurtent nos concitoyens.
Notre collègue Jacques Mézard l’a excellemment rappelé en commission : « La loi de la République doit être respectée par tous, communes et gens du voyage. Quand ceux-ci s’installent n’importe où, sauf sur l’aire aménagée à cet effet, et que le représentant de l’État ne bouge pas, que faire ? Le personnel communal » – quand ce ne sont pas les élus eux-mêmes – « est souvent injurié, parfois agressé, dans l’indifférence des pouvoirs publics. Tout le monde doit respecter la loi de la République. Sans envoyer un message négatif aux gens du voyage, il convient de le leur en faire prendre conscience. »
Cette proposition de loi assume son objectif : assurer avec équilibre la concorde et la fraternité, pas seulement par des mots ou des discours moralisateurs, mais par des actes. C’est pourquoi, mes chers collègues, il est important qu’elle soit adoptée et qu’elle reste, sur le fond, conforme à l’esprit qui était le nôtre au moment de son dépôt sur le bureau du Sénat.
Il est vrai, madame la ministre, que cette proposition de loi n’est pas parfaite ; nous en sommes pleinement conscients. Cependant, elle répond à la situation actuelle, qui n’est plus celle de 1990 : les flux sont beaucoup plus importants.
Le Savoyard que je suis pense qu’il est préférable, pour avancer, de mettre un pied devant l’autre plutôt que de rester dans l’immobilisme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit cet après-midi constitue indiscutablement une préoccupation pour nombre d’élus locaux. Le Sénat étant l’assemblée des territoires, il est normal que nous en débattions.
J’ai bien écouté les propos du rapporteur, du rapporteur pour avis, de Mme la ministre et des différents intervenants. Je ne dirai pas, contrairement à Mme la ministre, que la loi Besson est en grande partie restée lettre morte, mais je suis tout à fait prêt à admettre que cette loi n’a pas réglé le problème. Du reste, l’eût-elle réglé que nous ne serions pas réunis aujourd'hui pour l’évoquer !
Je partage l’idée selon laquelle nous devons rédiger un texte équilibré, et il est sans doute vrai que la proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson ne parvient pas à trouver l’équilibre entre, d'un côté, les droits et devoirs des gens du voyage et, de l’autre, les droits et devoirs des collectivités locales et des élus locaux, que nous représentons dans cet hémicycle.
Si beaucoup d’élus locaux sont confrontés au problème, il n’en demeure pas moins que ceux des communes très urbanisées ont bien moins de soucis à cet égard que ceux des communes peu urbanisées. Il faut tenir compte de cette différence.
S’agissant d'abord des devoirs des collectivités locales, le premier d’entre eux est de respecter la loi en aménageant des aires d’accueil. Aujourd'hui, environ deux tiers des aires d’accueil et un tiers des aires de grand passage prévues par les schémas départementaux ont été réalisées. Le pouvoir de substitution accordé au préfet par la loi n’a presque jamais été utilisé ; c’est un problème.
La commune dont je suis maire, Massy, dans l’Essonne, a atteint les objectifs de son schéma départemental. Elle les a même dépassés : je devais aménager une aire de moyen passage de 50 places et j’ai installé, en plus, une quarantaine d’emplacements familiaux. Je considérais en effet qu’il me fallait résoudre l’ensemble des problèmes qui se posaient dans ma commune. Or l’aménagement d’une aire de moyen passage n’aurait pas suffi à répondre aux sollicitations que je recevais quasiment chaque semaine.
Les subventions ont couvert à 80 % les coûts d’investissement pour cette aire d’accueil. En revanche, les coûts de fonctionnement – beaucoup plus élevés – restent entièrement à la charge de la commune.
J’aurais aimé que l’initiative qui a été prise à Massy le soit aussi dans beaucoup d’autres communes, notamment d’Île-de-France. Deux de mes voisins sont aujourd’hui membres Gouvernement : l’ancien maire d’Évry, Manuel Valls, est ministre de l’intérieur, et l’ancien maire de Palaiseau, François Lamy, est ministre de la ville. Or je constate que, au sein des communautés d’agglomération qu’ils ont présidées, le taux de réalisation d’aires d’accueil des gens du voyage n’est que de 25 % et que, dans les villes dont ils étaient maires, ce taux tombe à 0 % !
Je souhaiterais qu’en la matière tous les élus soient mobilisés pour appliquer la loi et, donc, réaliser ces aires d’accueil. Cela faciliterait la tâche de beaucoup de nos collègues, partout en France.
J’en viens aux droits et devoirs des gens du voyage.
Vous avez évoqué la question de l’éducation, madame la ministre. Je précise qu’à Massy nous avons toujours accueilli les enfants des gens du voyage dans les écoles de la ville, sans aucun souci. Mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui.
L’objet de cette discussion est de faire en sorte que, d’abord, les gens du voyage s’installent, en priorité, sur les aires d’accueil prévues à cet effet – ce n’est pas toujours le cas – et que, ensuite, ils respectent ces aires d’accueil. En effet, les dégradations sont très importantes. Le coût annuel, en dépenses de fonctionnement pour l’aire d’accueil de Massy est de 200 000 à 250 000 euros. Pour une ville comme la mienne, ce n’est pas une dépense mineure ! Cette somme englobe notamment les dépenses effectuées pour remédier aux dégradations et conserver, comme je le souhaite, une aire d’accueil en bon état. Elle tient également compte des impayés de loyer qui, malgré un loyer que nous avons fixé à un niveau particulièrement bas, sont très importants.
Le groupe UDI-UC est plutôt favorable à un renforcement des sanctions à l’encontre des gens du voyage qui ne respecteraient pas les aires de stationnement, même si nous préférerions un texte plus équilibré.
Cependant, nous estimons que ce texte est nécessaire pour montrer aux gens du voyage qu’ils doivent aussi respecter la loi.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Vincent Delahaye. J’ai cherché dans vos propos, madame le ministre, la stratégie du Gouvernement. Je ne l’ai pas nettement perçue, je vous l’avoue.
La proposition de loi déposée par le député Dominique Raimbourg a été évoquée. Je n’en ai pas eu connaissance. Toutefois, il me paraît préférable que le Gouvernement ne s’appuie pas uniquement sur une proposition de loi. Certes, je ne suis sénateur que depuis deux ans, mais je dois dire que, en deux ans, je n’ai pas vu beaucoup de propositions de loi aboutir. Des propositions sont débattues, mais elles n’apparaissent pas comme le moyen le plus efficace pour avancer sur telle ou telle question.
M. Yvon Collin. Ce n’est pas la voie royale !
M. Vincent Delahaye. C’est pourquoi un projet de loi sur le sujet dont il est aujourd'hui question m’aurait paru largement préférable.
Ainsi, madame la ministre, le Gouvernement serait-il prêt à déposer un projet de loi équilibré tendant à compléter la loi Besson, de manière à résoudre de façon plus efficace la question des stationnements illicites de gens du voyage qui perturbent la vie de nombreuses collectivités ?
Le Gouvernement montrerait ainsi sa volonté de se pencher véritablement sur ce problème. Compte tenu des contraintes de calendrier, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je crains qu’une proposition de loi ne puisse pas aboutir avant longtemps.
Je souhaite donc que le Gouvernement s’engage dès aujourd'hui à déposer un projet de loi – et sans qu’il y applique la procédure accélérée, comme c’est trop souvent le cas –, en indiquant des dates précises de dépôt : nous pourrions ainsi répondre de manière efficace aux nombreux élus locaux auxquels ce problème cause de graves soucis. (MM. Yvon Collin et François Fortassin applaudissent.)
(M. Jean-Claude Carle remplace M. Jean-Pierre Raffarin au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, près de trois cent soixante années séparent le premier dispositif relatif aux gens du voyage du texte que nous examinons aujourd’hui : en 1662, une ordonnance de Colbert qualifiait de délits le nomadisme, l’oisiveté et l’errance.
Tout au long de ces trois siècles, la législation a certes évolué, mais les pratiques et les mentalités sont encore trop souvent empreintes d’un jugement négatif à l’égard des personnes itinérantes. Il y a, bien entendu, la peur de ce qui est différent, la méconnaissance des autres ; il y a aussi parfois un manque de pédagogie. La proposition de loi telle que celle qu’ont déposée nos collègues de l’UMP est la parfaite illustration de ce défaut.
On peut en effet s’interroger sur la volonté, à la veille d’échéances municipales, de se saisir de la question du renforcement de l’arsenal répressif à l’encontre du stationnement illicite des gens du voyage.
L’article 1er de la proposition de loi initiale prévoyait de doubler les peines prévues pour réprimer le fait de s’installer en réunion en vue d’y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui a respecté ses obligations au regard du schéma départemental des aires d’accueil des gens du voyage ou qui n’y est pas inscrite, soit à tout autre propriétaire sans autorisation de sa part.
Cette disposition a été jugée inopérante par notre commission, ce qui l’a conduite à supprimer l’article en question. En effet, cette démarche visant à sanctionner plus lourdement les gens du voyage ne peut être opérante sans une réévaluation des besoins réels et tant que l’ensemble des collectivités locales ne respectent pas leurs engagements.
J’ai évoqué le manque de pédagogie. C’est le cas de cette proposition de loi, je l’ai dit, mais aussi de la majorité des vingt et une propositions de loi déposées depuis le vote de la dernière grande loi sur le sujet, en 2000. La plupart d’entre elles visent à alléger, simplifier, modifier ou renforcer les procédures d’expulsion. Les propositions de renforcement des sanctions, dont on connaît l’inutilité, ne contribuent pas à faire évoluer les mentalités pour que le libre choix de vie de chacun soit respecté, étant entendu que ce libre choix de vie ne doit évidemment pas empiéter sur les droits d’autrui.
Cependant, encore une fois, l’aggravation de sanctions n’est pas le bon chemin à emprunter, d’autant que ce chemin mènerait certainement à l’inconstitutionnalité. Comme l’a souligné le rapporteur pour avis, cette proposition de loi soulève des difficultés d’ordre constitutionnel.
En effet, dans sa décision du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que la procédure d’évacuation spécifique des résidences mobiles des gens du voyage était conforme à la Constitution, du fait de son encadrement par la loi de 2007. Comme le précise le rapport de M. Leconte, « il ressort de cette décision que la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, et qu’il serait donc constitutionnellement périlleux d’assouplir ».
Les dispositions de la présente proposition de loi qui modifient, en les assouplissant, les conditions et les garanties de la procédure d’évacuation des résidences mobiles des gens du voyage comportent donc un fort risque d’inconstitutionnalité.
Aujourd’hui, sur le plan législatif, la référence en matière de stationnement des gens du voyage est la loi de 2000. Ce texte comporte des avancées non négligeables.
L’obligation, pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants, de réserver des terrains aménagés aux gens du voyage, rendait possible, en contrepartie, l’interdiction de stationnement des ceux-ci sur le reste du territoire communal par le maire. Cependant, il aurait fallu leur donner vraiment les capacités financières pour le faire jusqu’au bout. Déjà en 2000, notre groupe avait soulevé la question du financement.
Cette loi contient des dispositions financières substantielles à la charge de l’État, pour le financement de l’investissement et pour la compensation des charges de fonctionnement. Toutefois, les départements et les communes y contribuent de façon importante, ce qui, compte tenu des difficultés financières que connaissent déjà ces collectivités, nuit à l’application de ce texte, y compris lorsque les élus sont de bonne volonté.
C’est ainsi que l’on constate encore aujourd’hui un très grand déficit quant au nombre d’aires d’accueil. Il en résulte une très forte pression sur les communes qui sont dotées d’un équipement et qui, de fait, se jugent pénalisées alors qu’elles ont respecté la loi. Il en résulte également une dissuasion encore plus forte pour les communes les moins coopérantes.
Mes chers collègues, nos lois doivent tendre vers la création des conditions d’un équilibre satisfaisant entre, d’une part, la liberté constitutionnelle d’aller et venir, l’aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d’autre part, le souci, également légitime, des élus locaux d’éviter les installations illicites, qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés. Cet équilibre entre droits et devoirs relève de la responsabilité de l’État, en partenariat avec les collectivités locales, les gens du voyage et les populations sédentaires concernées.
La préservation de cet équilibre exige que l’on dépasse le cadre répressif. En la matière, comme dans bien des domaines, la loi doit contribuer à faire évoluer les mentalités. La loi ne doit pas conduire à toujours plus réprimer, mais poursuivre des fins de justice sociale et d’égalité de traitement. C’est l’objet de certains de nos amendements, en particulier deux d’entre eux, l’un visant à supprimer la loi de 1969, l’autre visant à reconnaître publiquement l’internement des nomades durant la Seconde Guerre mondiale.
Certes, l’article 1er a été supprimé par la commission, mais les articles 4 et 5 demeurent, qui ne sauraient être maintenus, car ils portent aussi atteinte à l’équilibre que j’évoquais voilà quelques instants. L’article 4 prévoit de réduire à six heures le délai d’exécution de la mise en demeure dans le cas où les occupants du terrain en cause ont déjà procédé à une occupation illicite sur le territoire de la commune ou d’une autre commune du département. Quant à l’article 5, il tend à réduire de soixante-douze heures à quarante-huit heures le délai maximal dans lequel le tribunal saisi doit statuer en cas de recours contre une mise en demeure de quitter les lieux illicitement occupés.
Nous avons également déposé des amendements de suppression de ces articles.
Nous avons en outre déposé des amendements qui nous paraissent de nature à enrichir le texte ; le sort qui leur sera réservé déterminera notre vote final.
Sachez, mes chers collègues, que les membres du groupe communiste républicain et citoyen soutiendront toutes les mesures permettant de concilier le droit à un habitat adapté et la libre circulation des personnes dans un rapport équilibré entre les droits et les devoirs de chacun, exigence dont, malheureusement, cette proposition de loi n’est, pour l’instant, pas porteuse. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelques jours après la fin du congrès des maires et quatre mois avant les élections municipales, nos collègues du groupe UMP ont choisi, peut-être non sans quelque arrière-pensée, de soumettre à notre débat cette proposition de loi relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage dont l’esprit initial vise essentiellement à renforcer les sanctions prévues contre les occupations illicites.
Je tiens, moi aussi, à souligner l’importance de ce débat, qui met en lumière toute l’étendue du principe républicain d’égalité devant la loi auquel nous sommes bien sûr attachés, et auquel nous devons, par conséquent, continuellement donner corps. Si la République ne saurait faire de distinction entre ses citoyens autres que celles fondées sur le mérite, elle ne saurait davantage accepter qu’une partie de la population se détourne de l’application de la loi, pour quelque cause que ce soit.
Madame la ministre, c’est bien parce les membres de mon groupe exercent ou ont exercé des fonctions exécutives locales – puisque cela est encore possible – que nous connaissons les implications sur le terrain, dans nos collectivités, de l’accueil des gens du voyage. C’est pour cette même raison que nous abordons l’examen de ce texte pleinement conscients des problématiques qu’il soulève. Chacun de nous, en se référant à son département, peut multiplier les exemples d’occupations illicites de propriétés publiques ou privées, ou au contraire de cohabitation dans un bon climat entre gens du voyage et riverains.
Le fait est que de nombreuses collectivités se sentent aujourd’hui désarmées, voire abandonnées par l’État, lorsqu’elles se retrouvent confrontées à des occupations illégales, des dégradations d’ouvrages publics qui mettent en danger la sécurité, ou au refus du concours de la force publique pour procéder à une évacuation.
Mais il est tout aussi inacceptable que certaines communes s’affranchissent de leurs obligations légales en termes de réalisation d’aires d’accueil, pour d’ailleurs venir ensuite parfois se plaindre de devoir faire face à une situation dégradée.
La loi doit s’appliquer systématiquement partout, quelles que soient les personnes concernées. Il y a urgence pour éviter que la situation n’empire.
La loi Besson de 2000 avait sans doute fixé des objectifs trop ambitieux – notamment la création de 40 000 aires de stationnement –, qui sont loin d’avoir été atteints, comme l’a relevé la Cour des comptes. Les schémas départementaux d’accueil n’ont été que partiellement mis en œuvre. Au demeurant, on observe en l’espèce de fortes disparités régionales.
Néanmoins, il faut souligner que les retards d’aménagement ne sont pas imputables aux seules collectivités. En 2008, la décision de l’État de cesser, paradoxalement, de subventionner les nouveaux projets des collectivités qui ne s’étaient pas manifestées pour se concentrer sur les seuls projets en cours a eu pour principal effet de tarir les financements au moment où ils étaient les plus nécessaires. Face aux fortes pressions exercées par les riverains sur certains maires, de nombreuses communes se sont retrouvées dans l’impossibilité matérielle de respecter la loi et, surtout, d’assurer l’ordre public sur leur territoire.
Mes chers collègues, si la loi Besson pose des principes clairs qui cadrent parfaitement avec les principes républicains de liberté et d’égalité, il faut aussi constater, même s’il faut se garder de faire des amalgames, que, sur le terrain, la réalité est parfois tout autre. Certains groupes n’hésitent pas à se réclamer indûment du grand passage, visant les grands rassemblements annuels, pour occuper illégalement des terrains sans prévenir quiconque de leur arrivée, opérer de façon sauvage des raccordements à l’eau et à l’électricité, détruire parterres de fleurs et autres pelouses, utiliser les équipements municipaux sans permission et laisser trop souvent les installations dans un état déplorable, à charge pour la collectivité d’en assurer le coût.
Loin de nous l’idée de généraliser, car nous sommes avant tout des républicains, mais ce type de dérives existe bel et bien et laisse les élus bien souvent seuls, dans le plus grand désarroi, avec l’impression funeste d’être abandonnés par l’État.
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Jean-Claude Requier. À ces maires, à ces élus, nous devons dire que non seulement nous comprenons leur sentiment, mais que nous voulons aussi en prendre la mesure et agir pour ne pas donner l’impression que la loi ne s’applique pas partout de façon identique.
En réalité, aggraver les sanctions contre ces personnes indélicates ne servira pas à grand-chose, mais cela peut constituer un signal, à condition que la loi soit appliquée.
Nous sommes donc face à une vraie question politique, à savoir comment concilier les besoins des gens du voyage, ce qui passe par le respect des obligations légales de construction et d’aménagement des aires, et la nécessité de maintenir l’ordre public sur le terrain, lorsque les élus font face à des comportements inacceptables.
Cette question ne trouvera de réponse qu’en dépassant les clivages politiques et l’émotion entretenue chaque été par les médias. La proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson, telle que modifiée par la commission des lois, soulève sans doute plus d’interrogations qu’elle n’apporte de réelles solutions susceptibles de satisfaire l’ensemble des parties. Nous savons aussi que le député socialiste Dominique Raimbourg a déposé une proposition de loi dont l’angle de vue est différent, puisqu’elle tend à abroger la loi de 1969 relative aux gens du voyage, à l’instar d’un certain nombre d’amendements que nous examinerons tout à l’heure.
M. Pierre Hérisson. C’est vrai !
M. Jean-Claude Requier. Pour notre part, nous sommes attachés à ce que la loi existante soit réellement appliquée non seulement en mettant les communes rétives face à leurs responsabilités, mais aussi en faisant preuve de la plus grande fermeté à l’égard des fauteurs de troubles. Or, sur ce point, l’action des préfets ne semble pas être uniforme sur l’ensemble du territoire, ce qui est regrettable.
À ce stade de nos débats, les membres du RDSE attendent de voir quel texte résultera de nos discussions pour se prononcer sur leur vote final. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord rendre hommage à Pierre Hérisson qui a montré, dans le passé, toute sa connaissance du problème que nous examinons aujourd’hui.
En effet, comme il l’a rappelé lui-même, il a été nommé deux fois parlementaire en mission pour travailler sur ce sujet et il a déposé un rapport intitulé Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun, qui traite toute une série de questions, du statut des gens du voyage à la réalisation des aires d’accueil, en passant par le transfert des compétences aux EPCI et la structuration des aires de grand passage, etc.
Puis, au mois de juillet 2011, il a déposé une proposition de loi comportant dix-neuf articles et reprenant la quasi-totalité des vingt-six propositions de son rapport.
Mon cher collègue, cet excellent travail mérite d’être salué. En revanche, il n’en va pas de même pour votre attitude aujourd’hui.
M. Pierre Hérisson. La situation s’est dégradée !
M. Jean-Pierre Michel. En effet, deux ans et demi plus tard – vous avez eu le temps de réfléchir et de discuter, je suppose, avec un certain nombre de membres de votre groupe – et à six mois des élections municipales, vous déposez une proposition de loi absolument squelettique comprenant sept articles et qui, nous le verrons, est inapplicable, ne règle rien et se trouve à la limite de l’inconstitutionnalité. Ce n’est pas digne du Sénat ! Voilà ce que vous faites aujourd’hui, monsieur Hérisson !
M. Antoine Lefèvre. On a encore le droit de légiférer !
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur Carle, je m’étonne que vous, qui êtes coauteur de la présente proposition de loi et qui êtes intervenu tout à l’heure à cette tribune avant d’occuper le fauteuil de la présidence, osiez essayer de restreindre le droit d’amendement des parlementaires. Je vous indique qu’il suffit que vos amis votent un seul amendement pour que la discussion aille très vite : toute une série d’amendements deviendront alors sans objet.
M. Antoine Lefèvre. Qu’est-ce que c’est que ces pressions ?
M. Jean-Pierre Michel. Il ne tient donc qu’à vous de faire en sorte que, dans le délai des quatre heures imparti au groupe UMP en application du règlement du Sénat, cette proposition de loi soit votée !
M. Pierre Hérisson. Il ne reste qu’une heure et quarante-cinq minutes !
M. Jean-Pierre Michel. Je dispose d’un temps de parole de quinze minutes, mon cher collègue, et je ne le dépasserai pas !
Cela étant, il faut replacer votre initiative dans son contexte. Depuis cet été, on observe une surenchère à propos des gens du voyage, certains élus n’hésitant pas à réactiver l’amalgame avec les Roms, comme l’a si bien dit Esther Benbassa, alors qu’il s’agit, tout le monde le sait, de deux populations très différentes.
La confusion est entretenue d’autant plus complaisamment que, au travers de la population des Roms, l’extrême droite ainsi d’ailleurs qu’une partie de la droite républicaine, quelquefois dans sa frange la plus modérée, paraît-il, ciblent les thèmes de l’immigration et de l’insécurité, deux sujets hautement inflammables en période électorale.
Sur ces dossiers, il est inutile d’œuvrer pour une réelle différenciation : l’important en termes de stratégie politique consiste à marquer les esprits !
La multiplication des déclarations agressives de nombreux élus participe bien entendu de la radicalisation du discours politique à laquelle on a assisté ces derniers mois et que les mêmes élus, par ailleurs, regrettent parfois. Quand sont-ils vraiment sincères ?
Mes chers collègues, il faut savoir que la France est l’un des rares pays à s’être doté d’une réglementation et à avoir défini une politique publique en matière d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage. Celle-ci vise des personnes de nationalité française dont le mode d’habitat traditionnel est caractérisé par l’occupation de résidences mobiles. Ce sont les lois du 3 janvier 1969 et du 5 juillet 2000 qui règlent ces questions. Ainsi, la catégorie administrative des gens du voyage n’est pas une catégorie ethnique ; c’est bien le mode de vie traditionnel adopté par une catégorie de la population française qui justifie l’exigence d’une législation spécifique.
J’ouvre une parenthèse pour regretter que nous vivions aujourd’hui dans une société où les normes président à tout. Voilà quelques années, ne serait-ce que dans l’entre-deux-guerres, les gens du voyage circulaient librement partout. Quand j’étais enfant, on voyait les gitans, les bohémiens installer leurs roulottes près des remparts d’Aigues-Mortes où je passais mes vacances.
M. Pierre Hérisson. Mais ça, c’était avant ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Michel. Aujourd’hui, rien de tel ne serait plus possible ; tout le monde s’enferme dans son pré carré, plante des haies autour de sa maison et a peur de l’autre. C’est ce climat qui justifie tous les textes et toutes les propositions de loi que nous voyons fleurir.
J’en reviens à mon propos. Ce caractère traditionnel exclut de la catégorie des gens du voyage bien sûr les SDF, ainsi que l’ensemble des personnes qui vivent contre leur gré dans un habitat mobile ou léger tel qu’un mobil-home, une caravane ou une tente.
Bien que très circonscrite, la définition des gens du voyage ne permet pas pour autant de comptabiliser précisément les membres de cette communauté. Les chiffres les plus fantaisistes sont cités ici ou là – 500 000 à 600 000 individus –, mais les estimations les plus sérieuses oscillent plutôt entre 250 000 et 300 000 personnes.
En fait, cette absence de données statistiques fiables constitue une première difficulté pour appréhender la situation vécue par cette population et pour répondre aux difficultés qu’elle rencontre. À cet effet, des textes ont été récemment adoptés, mais ils ne sont malheureusement pas toujours appliqués. Ce constat est largement partagé, notamment par ceux qui sont intervenus à cette tribune avant moi.
Par ailleurs, de nombreux rapports ont été publiés : rapports parlementaires, dont celui, excellent, de notre collègue Pierre Hérisson, ou d’autre nature relatant les travaux de chercheurs ayant étudié cette question.
Enfin, des décisions des juridictions judiciaire, administrative et constitutionnelle ont circonscrit ce problème.
Dans ce cadre-là, il faut bien le reconnaître, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui encourt plusieurs critiques, comme je l’ai indiqué tout à l’heure peut-être un peu brutalement, mais je vais essayer de le justifier. En tout cas, elle est très en deçà des différentes études qui ont déjà été réalisées, notamment de celle, plutôt excellente, qu’a produite Pierre Hérisson, également auteur du présent texte.
Tout d’abord, je dirais que cette proposition de loi est incomplète sur deux points.
D’une part, elle ne règle absolument pas le problème lié à l’absence d’aires d’accueil et de terrains de grand passage qui préoccupe pourtant de nombreux élus, moi le premier. En effet, dans le département de la Haute-Saône, nous assistons tous les deux ans à un grand passage sur un ancien aérodrome désaffecté, au cours duquel un pasteur procède à de grandes célébrations œcuméniques pour les gens du voyage. Or cet événement perturbe évidemment un peu le voisinage et les maires ne sont pas très satisfaits de cette situation.
M. Pierre Hérisson. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Jean-Pierre Michel. D’autre part, mon cher collègue, cette proposition de loi ne tire pas toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012 qui a partiellement censuré la loi du 3 janvier 1969.
Je ne reviendrai pas sur l’analyse du Conseil constitutionnel qui, comme d’habitude, est très balancée, très hypocrite. Bref, rien ne change ! (Sourires au banc des commissions.)
M. Pierre Hérisson. Ces propos n’engagent que vous !
M. Jean-Pierre Michel. Ce genre de décision du Conseil, quelle que soit la composition de celui-ci, est récurrent. Peut-être faut-il y voir la main du secrétaire général et de ceux qui l’entourent…
Pas plus tard qu’il y a deux ans, sur le droit des mineurs, les Sages ont rendu une décision de cet ordre : le Conseil a consacré absolument le droit des mineurs, mais a tout de même autorisé la création d’un tribunal correctionnel des mineurs, la comparution immédiate des mineurs ordonnée par le parquet sans passer par le juge des enfants, etc.
Nous connaissons toutes ces décisions et nous nous y soumettons bien évidemment, mais je n’ai pas peur de dire ici que, à force d’être trop balancées, elles n’ont plus aucun sens.
La décision de 2012 doit être envisagée à cette aune : elle réaffirme les droits fondamentaux des gens du voyage, mais elle autorise le maintien du livret, qui est totalement discriminatoire puisqu’il oblige les gens du voyage à aller « se faire tamponner » dans les mairies des communes qu’ils traversent, comme s’ils étaient sous contrôle judiciaire.
Mes chers collègues, cette proposition de loi étant incomplète, un certain nombre d’entre nous a déposé des amendements tendant à supprimer tout simplement la loi de 1969. Ainsi, nous allons jusqu’au bout de la décision du Conseil constitutionnel. Nous faisons table rase du passé pour construire autre chose. Monsieur Hérisson, je regrette que vous ne souhaitiez pas pour l’instant participer à cette élaboration, mais je ne doute pas que vous y viendrez, car vous connaissez bien la question et vous savez parfaitement qu’aujourd’hui vous n’êtes pas dans les bons rails.
Vous en aurez l’occasion lorsque viendra en discussion au Sénat la proposition de loi de Dominique Raimbourg qui, j’ose le dire, est une fausse proposition de loi, comme beaucoup d’autres, d’ailleurs, puisqu’elle a été discutée…
M. Pierre Hérisson. C’est la même que la mienne !
M. Jean-Pierre Michel. Mais il faut dire les choses telles qu’elles sont, et moi je dis toujours la vérité !
Cette proposition de loi a donc été élaborée avec l’aide technique du ministère de l’intérieur et du ministère de l’égalité des territoires et du logement. Tout cela est bien normal : si nous voulons rédiger un texte solide dépassant trois articles sur un sujet important, nous avons besoin de l’aide des services du Gouvernement et des administrations. À défaut, malgré toute la science des administrateurs et des fonctionnaires du service de la bibliothèque et des archives du Sénat, nous n’y arriverions pas.
Toujours est-il que la proposition de loi de M. Raimbourg a été déposée et que, si j’ai bien compris, elle a l’aval du Gouvernement ; elle sera examinée par l’Assemblée nationale, qui vraisemblablement l’adoptera après l’avoir amendée. Après quoi elle sera soumise à notre examen, ce qui vous permettra, monsieur Hérisson, de mettre à profit tout ce que vous savez sur la question pour l’enrichir.
Mon cher collègue, il faut bien dire aussi que certaines dispositions de votre proposition de loi sont inutiles : je veux parler, en particulier, de celle qui double les pénalités prévues en cas d’installation illicite. Doubler les pénalités, cela fait bonne impression ; on semble dire aux maires : « Ne vous en faites pas, vous allez voir ce que vous allez voir ! » Seulement voilà : en cinq ans, sept condamnations seulement ont été prononcées, et aucune n’est intervenue ni en 2009 ni en 2010.
Votre proposition de loi est également hasardeuse. En effet, étendre la procédure d’évacuation d’urgence au-delà des cas d’atteinte à la sécurité, à la salubrité et à la tranquillité publiques est une mesure sur laquelle pèse un grand risque constitutionnel. De fait, la Cour européenne des droits de l’homme comme les tribunaux administratifs, notamment celui de Nice qui, le 14 novembre dernier, a suspendu l’arrêté anti-bivouac de votre cher collègue Christian Estrosi, ont estimé que les évacuations d’urgence devaient avoir des justifications solides.
Un risque d’inconstitutionnalité pèse également sur la disposition de l’article 3 qui fixe aux préfets un délai maximal de vingt-quatre heures pour l’exécution de la mise en demeure de partir, dans la mesure où il s’agit d’une compétence liée.
Enfin, monsieur Hérisson, certaines dispositions de votre proposition de loi sont inapplicables. C’est le cas de celle qui oblige les tribunaux administratifs à statuer en quarante-huit heures, jours fériés compris, au lieu de soixante-douze heures, ce qui contraindrait les juges administratifs à travailler davantage. C’est le cas aussi de celle qui prévoit – c’est le fin du fin ! – la signature obligatoire d’une convention entre le maire et les riverains trois mois avant toute arrivée.
Si encore il s’agissait seulement des grands passages, qui sont prévus un an à l’avance et pour lesquels le préfet et le président du conseil général prennent des dispositions en matière de terrains, d’alimentation en eau et de services de santé, on pourrait comprendre. Mais pas du tout : la mesure proposée vise tous les passages.
En d’autres termes, si trois caravanes arrivent dans ma commune, il faudra que, trois mois auparavant, j’aie signé une convention avec les riverains, et je suppose aussi avec les gens du voyage. On le voit bien, mes chers collègues, cette obligation est pratiquement impossible à satisfaire !
Au demeurant, si elle était satisfaite, elle raviverait le contentieux entre les sédentaires et les voyageurs. En réalité, elle garantirait que les gens du voyage ne seraient jamais les bienvenus et qu’ils ne seraient jamais accueillis. De fait, je ne vois pas comment, trois mois avant leur arrivée, on pourrait faire signer par les riverains une convention touchant à l’installation de personnes dont ils ne veulent pas et qu’ils rejettent.
Pour toutes ces raisons, monsieur Hérisson, votre proposition de loi ne peut pas être votée. À moins, bien sûr, que vous n’acceptiez toutes les dispositions adoptées en commission des lois sur l’initiative du rapporteur et d’un certain nombre de nos collègues, notamment l’abrogation de la loi du 3 janvier 1969.
Dans ce cas, le texte issu de nos débats serait très différent de votre proposition de loi dans sa réaction initiale ; il serait compatible avec la proposition de loi présentée à l’Assemblée nationale, et peut-être le voterions-nous. Dans le cas contraire, mon cher collègue, nous ne voterons pas votre proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Au cours de ce débat approfondi, de nombreux points de vue ont été exposés ; pour ma part, je me bornerai à présenter quelques observations.
Mme Benbassa a souligné à juste titre la fragilité constitutionnelle de certaines dispositions de la présente proposition de loi ; combinées au déséquilibre entre devoirs et droits des gens du voyage, celles-ci risqueraient de fragiliser le pacte républicain.
Madame la sénatrice, vous avez eu bien raison de signaler qu’un certain nombre de tensions existent aujourd’hui ; on peut se demander s’il est opportun de les raviver.
M. Carle a rappelé que de nombreux amendements ont été déposés sur la proposition de loi : c’est la preuve que le débat est vivant et le problème complexe. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que, sur toutes les travées, vous ayez cherché à améliorer la situation et à aboutir à une proposition de loi raisonnable et acceptable.
M. Delahaye m’a demandé si le Gouvernement entendait déposer un projet de loi. En l’état actuel des choses, il n’en a pas l’intention.
M. Vincent Delahaye. C’est dommage !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Cela étant, comme plusieurs orateurs l’ont indiqué, le député Dominique Raimbourg a beaucoup travaillé pour résoudre les problèmes qui se posent. Il a le soutien de nombreuses associations et peut compter sur l’appui des services des ministères. Le Gouvernement suit avec beaucoup d’intérêt son travail, qu’il juge sérieux et tout à fait propre à répondre aux difficultés rencontrées. Dans ces conditions, il n’est peut-être pas nécessaire d’entreprendre une initiative parallèle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez rassurés : le Gouvernement veillera à ce que la proposition de loi de M. Raimbourg soit examinée par le Parlement.
Monsieur Delahaye, vous avez décrit ce qui se fait à Massy, en soulignant que cette commune respecte ses obligations. Loin de moi l’idée de prétendre que seuls les sénateurs siégeant sur un côté de cet hémicycle font preuve d’humanité et sont attachés au respect des droits des gens du voyage ! Reste que, malheureusement, de nombreux élus ne sont pas sensibles à ce problème, de sorte que le nombre des aires d’accueil pour les gens du voyage est insuffisant.
Le Gouvernement a exprimé son engagement non seulement dans les textes qu’il a fait parvenir à Bruxelles, mais aussi dans sa décision de charger un préfet de traiter de la question des gens du voyage, ce qui démontre l’existence d’une action interministérielle.
Mme Cukierman a confirmé l’analyse du Gouvernement en ce qui concerne la nécessité d’améliorer la situation actuelle sans créer de nouvelles tensions. Elle a rappelé un certain nombre d’épisodes douloureux de notre passé, notamment les persécutions dont les gens du voyage ont été victimes.
Il faut aussi souligner, comme l’a fait Jean-Pierre Michel, que, dans les villages d’autrefois, la figure du bohémien faisait partie du paysage. Elle a inspiré des poèmes qui restent dans nos mémoires, en particulier celui de Baudelaire, qui a été mis en musique. En vérité, ces personnes font partie de notre vie depuis toujours ! Il est d’autant plus injuste que, aujourd’hui, elles soient parfois stigmatisées.
Peut-être les élus locaux ont-ils le sentiment de ne pas toujours faire ce qu’il faudrait et de ne pas parvenir à appréhender le problème comme ils le souhaiteraient. En tout cas, ils doivent savoir que nous sommes extrêmement attentifs à leurs besoins et que nous essayons de trouver des solutions pour les aider.
Trouver des solutions satisfaisantes pour tout le monde suppose que les gens du voyage respectent leurs devoirs et qu’ils parviennent à organiser un peu mieux, en liaison avec les préfectures, les grands déplacements ; mais il faut aussi que, de leur côté, les élus mesurent la nécessité de respecter leurs obligations en matière d’aménagement d’aires, notamment pour le grand passage.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tout ira mieux si, de part et d’autre, on essaie de rendre la société vivable pour tous, quelles que soient les différences de modes de vie ! (Mme Esther Benbassa et M. Richard Yung applaudissent.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.
Articles additionnels avant l’article 1er
M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les quatre premiers sont identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Dilain, au nom de la commission des affaires économiques.
L'amendement n° 7 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 27 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 40 est présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Avant l'article1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogée.
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. Comme plusieurs orateurs l’ont signalé au cours de la discussion générale, la proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson est incomplète.
La commission des affaires économiques propose l’abrogation de la loi du 3 janvier 1969. Celle-ci a remplacé la loi du 16 juillet 1912, qui obligeait certains, parmi les gens du voyage, à posséder un carnet anthropométrique. Je le rappelle pour vous faire sentir, mes chers collègues, à quel état d’esprit correspond la loi de 1969.
Le caractère discriminatoire de cette loi ne fait aucun doute. D’ailleurs, elle a été critiquée par plusieurs organismes non seulement nationaux, mais aussi internationaux.
C’est ainsi que, dans son rapport du mois de février 2006 sur le respect effectif des droits de l’homme en France, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a dénoncé en ces termes l’obligation de détenir un livret de circulation : « L’obligation de détenir un tel document ainsi que celle de le faire viser régulièrement constituent une discrimination flagrante. En effet, il s’agit de la seule catégorie de citoyens français pour laquelle la possession d’une carte d’identité ne suffit pas pour être en règle. »
Par ailleurs, au mois d’avril 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, a critiqué les dispositions de cette loi relatives aux inscriptions sur les listes électorales.
Du reste, le 5 octobre 2012, à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a abrogé une large partie des dispositions de ce texte.
Malheureusement, certaines de ses dispositions sont encore en vigueur ; c’est le cas, en particulier, de l’obligation faite aux gens du voyage d’être munis d’un titre de circulation. La commission des affaires économiques a estimé, à l’unanimité, qu’il convient aujourd’hui de les abroger.
Dans le rapport qu’il a publié au mois de juillet 2011 en tant que parlementaire en mission, notre collègue Pierre Hérisson appelait de ses vœux l’alignement des règles relatives au droit de vote des gens du voyage sur celles de droit commun, ainsi que la suppression des titres de circulation. Du reste, sa proposition de loi du mois de juillet 2012 prévoyait, dans son article 19, l’abrogation de la loi de 1969.
Puisse le Sénat exaucer notre collègue à une large majorité !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 7.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement, identique à celui que vient de présenter notre collègue Claude Dilain, a pour objet d’abroger la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.
Je tiens à souligner que l’espèce de stigmatisation dont sont victimes les gens du voyage n’est pas nouvelle. En effet, du 18 mars 1908 au 31 juillet 1909, les brigades mobiles de police créées par Clemenceau ont photographié 7 790 nomades. Cette pratique a trouvé son prolongement naturel dans la loi du 16 juillet 1912, qui a institué le carnet anthropométrique des nomades, fondé sur la méthode d’Alphonse Bertillon.
Je n’ai pas le temps de rappeler dans le détail toute l’histoire de ces stigmatisations. Dans tous les cas, on a cherché à surveiller les gens du voyage parce que, étant nomades, ils ne se laissaient pas encadrer. C’est pour cette raison qu’on a toujours voulu les brimer par des législations de contrôle.
Au mois d’octobre 2012, comme l’a rappelé M. Dilain, le Conseil constitutionnel a abrogé une partie des dispositions de la loi du 3 janvier 1969.
Ainsi, c’est seulement le carnet de circulation, imposant aux plus démunis, c'est-à-dire aux personnes sans ressources et bénéficiaires du RSA, un contrôle très strict – visa trimestriel des autorités, délit de circuler sans titre –, qui a été déclaré inconstitutionnel. Les personnes considérées comme « du voyage » doivent tout de même être en possession d’un livret de circulation. Celui-ci est valide cinq ans et doit être visé annuellement par les autorités. Les conditions sont donc assouplies, mais le livret de circulation reste en vigueur.
Par ailleurs, l’exigence de trois ans de rattachement ininterrompu à une commune pour s’inscrire sur les listes électorales a certes disparu, mais les dispositions relatives à la commune de rattachement, dont les gens du voyage n’ont la liberté ni de choix ni de changement, restent en vigueur.
Cette décision était importante, certes, sur le plan symbolique, mais son principal apport était de nous rappeler que le législateur doit mettre fin à ce régime discriminatoire et contraire au principe d’égalité que subissent les gens du voyage. Je rappelle qu’ils sont français et que l’on ne doit pas les confondre avec les Roms, même si, parmi les gens du voyage, certains appartiennent à l’ethnie rom. En effet, « rom » est le nom que l’on donne en France aux gens nomades venus, notamment, de Roumanie.
Bien sûr, au cours des auditions que nous avons menées, certains se sont déclarés sinti, d’autres roms, et d’autres encore tsiganes. Mais, distinction importante, les gens du voyage dont nous parlons aujourd'hui sont français depuis plusieurs générations, et même depuis la nuit des temps.
Plus d’une année après la décision du Conseil constitutionnel, il est temps que ces concitoyens entrent enfin dans le droit commun, comme M. Hérisson le préconisait dans le titre de son rapport de 2011.
M. le président. La parole est à Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 27.
Mme Cécile Cukierman. L’objet de notre amendement est également de supprimer la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.
Cela fait plusieurs siècles qu’il existe en France un régime spécifique pour ceux que l’on appelle aujourd’hui les « gens du voyage ». Cet euphémisme ne désigne pas une ethnie particulière ; c’est un terme purement administratif, apparu dans des textes officiels dès 1972, qui concerne les personnes visées par la loi du 3 janvier 1969. Il a remplacé ceux de « forains » et de « nomades », issus d’une loi de 1912 qui remplaçaient celui de « saltimbanques ».
Ces réglementations successives ne se sont pas contentées de singulariser des citoyens français qui ont simplement choisi un mode de vie différent. Elles ont créé des outils pour contrôler leurs mouvements et leurs activités, avec des sanctions et amendes spécifiques en cas de manquement aux règles édictées. Elles ont abouti aux titres de circulation, dont nous avons débattu précédemment.
Fortement décriée aussi bien par les associations que par la HALDE, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la loi de 1969 doit être abrogée, afin que le droit commun s’applique à tous de la même manière.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour présenter l’amendement n° 40.
M. Jean-Pierre Michel. Tout ou presque a été dit. Il s’agit de poursuivre le travail du Conseil constitutionnel, qui a invalidé le carnet de circulation, sans censurer le livret de circulation. C’est très subtil, et bien dans la manière du Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, celui-ci a maintenu l’obligation de rattachement à une commune, ainsi que la disposition instaurant un quota maximal de gens du voyage par commune de rattachement correspondant à 3 % de la population.
On le constate, les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 restant en vigueur après la censure partielle du Conseil constitutionnel continuent de soumettre les gens du voyage à un statut dérogatoire du droit commun, alors qu’ils sont français depuis de nombreuses générations, comme vient de le rappeler ma collègue Esther Benbassa.
Le rapport du préfet Hubert Derache préconise des évolutions en ce sens.
Notre collègue député Didier Quentin, membre de l’opposition actuelle, dans le rapport de la mission d’information sur le bilan et l’adaptation de la législation relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage, suggère lui aussi de supprimer tous les titres de circulation.
Dans son rapport intitulé Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun, notre excellent collègue Pierre Hérisson propose la suppression de l’obligation de détenir un titre de circulation et la suppression de la loi de 1969, ainsi que des dispositions relatives à la commune de rattachement. Il a d’ailleurs traduit ces préconisations dans la proposition de loi qu’il a déposée au mois de juillet 2012.
Par cet amendement, nous proposons de poursuivre l’œuvre du Conseil constitutionnel et de faire le travail que notre collègue Pierre Hérisson n’a pas voulu faire aujourd'hui.
M. le président. L'amendement n° 41, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 2 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
L'amendement n° 42, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 3 et 4 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe sont abrogés.
L'amendement n° 43, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 6 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Il s’agit d’amendements de repli. En effet, si les amendements précédents, qui visent à supprimer totalement la loi de 1969, ne sont pas adoptés, nous proposons de procéder par division et de supprimer d’abord l’article 2, puis les articles 3 et 4 et, enfin, l’article 6 de cette loi.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 1e
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 7 à 10 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe sont abrogés.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Il s’agit également d’un amendement de repli, visant uniquement à abroger la disposition relative à la commune de rattachement de la loi du 3 janvier 1969, laquelle, je le précise, succéda à la loi anthropométrique du 16 juillet 1912.
M. le président. L'amendement n° 44, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 7 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 45, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Il est également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements identiques nos 1, 7, 27 et 40, ainsi qu’aux amendements nos 41, 42, 43, 8, 44 et 45, lesquels visent à procéder à des abrogations partielles de la loi de 1969, par articles.
Je me permettrai toutefois de formuler quelques rapides commentaires sur ce sujet. La révision constitutionnelle de 2008 a permis l’examen, par le Conseil constitutionnel, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la loi de 1969. Dans sa décision, le Conseil a enfin censuré les éléments les plus discriminatoires de cette loi. Toutefois, les Français itinérants ne peuvent, aujourd'hui, élire domicile selon les procédures de droit commun, ce qui leur pose un certain nombre de problèmes. Les notions de commune de rattachement et de limitation d’inscription sur les listes électorales existent toujours. Je rappelle également que ces personnes ne pouvaient pas exprimer leur devoir civique de la même manière que les autres, parce qu’il fallait qu’elles soient rattachées pendant trois ans à la même commune pour pouvoir le faire.
Il est tout de même assez étonnant que, dans une République aussi assise que la nôtre, certains citoyens ne soient pas des citoyens à part entière. En commission des lois, j’ai entendu l’argument selon lequel, puisqu’ils sont des gens du voyage, ils n’habitent pas dans la commune en question et ne peuvent donc pas voter. Cependant, il existe beaucoup d’autres conditions permettant d’être inscrit sur les listes électorales d’une commune et d’y voter, sans y habiter en permanence. Je ne vois pas pourquoi une catégorie particulière de personnes serait privée de ce droit.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. C’est vrai !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Or, aujourd'hui, il leur est refusé. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de l’examen de ces amendements, j’estime que tous les Français, y compris les Français itinérants, doivent avoir les mêmes droits civiques et la même capacité d’élire domicile, dans des conditions identiques.
Ce soir, ce serait tout à la fois l’honneur et le devoir du Sénat que d’abroger, au début de l’examen du présent texte, cette loi de 1969 et de rappeler les principes républicains, en disposant que tous les Français sont reconnus de la même manière par la République. À titre personnel, je voterai ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Une première série d’amendements a pour objet l’abrogation de la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. Une seconde série vise à abroger certains des articles de ce texte.
Tout d’abord, j’estime que M. Jean-Pierre Michel est un peu sévère à l’égard du Conseil constitutionnel (Sourires.), qui a tout de même censuré partiellement des dispositions qui semblaient inacceptables ! Je vous le rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ce qui concerne le carnet de circulation, le Conseil constitutionnel a établi clairement la discrimination, en démontrant que la différence de traitement n’était pas en rapport avec les faits civil, social, administratif ou judiciaire poursuivis par la loi, ce qui a permis de supprimer la disposition en question.
Le Conseil a également estimé que la peine d’un an d’emprisonnement encourue par les personnes circulant sans avoir obtenu de carnet de circulation portait atteinte à l’exercice de la liberté d’aller et venir et était disproportionnée à l’égard de la finalité de la loi.
Il a en outre affirmé que l’obligation de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, parce qu’elle porte atteinte à l’exercice des droits civiques par les citoyens, n’était pas une disposition satisfaisante et devait être considérée comme ne respectant pas les prescriptions constitutionnelles.
Le Gouvernement, qui est attentif aux droits effectifs des gens du voyage, prend en compte, d’une part, cette décision du Conseil constitutionnel et, d’autre part, les réflexions des parlementaires qui estiment qu’il faut supprimer la loi de 1969.
Je pense comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette loi n’est pas adéquate. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée pour ce qui concerne sa suppression.
Les amendements tendant à une abrogation partielle de ce texte soulèvent une autre interrogation. Si les articles visés ne semblent pas répondre à des nécessités au regard de l’égalité et de la situation des personnes, la suppression de certaines dispositions de cette loi me semble peu satisfaisante, car elle aboutirait à un résultat quelque peu déséquilibré.
Permettez-moi de formuler une observation. Chaque orateur l’a bien précisé, il s’agit de gens du voyage français, qui n’ont rien à voir avec les autres populations du voyage. Toutefois, les textes européens ne nous facilitent pas toujours la tâche, l’Europe ayant tendance à mettre dans le même sac, sous la dénomination de « rom », des populations différentes, soumises, dans notre pays, à des régimes distincts.
Quoi qu’il en soit, nous prônons le respect de l’égalité des droits à laquelle ces populations, même si elles ont choisi de se déplacer, ont droit. Tout ce qui peut contribuer à supprimer des discriminations illégitimes doit, à mon sens, être encouragé par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 1,7, 27 et 40.
M. Pierre Hérisson. On fait référence à ce que j’ai pu dire et écrire depuis un certain nombre d’années, mais seulement jusqu’à aujourd'hui. En commission des affaires économiques, à laquelle j’appartiens, nous avons évoqué le principe de l’abrogation de la loi de 1969. Je vous ai écoutée, madame la ministre.
L’abrogation de la loi précitée a sa place dans la proposition de loi Raimbourg, qui rétablit les équilibres ou supprime les déséquilibres qui m’ont été reprochés. Arrêtons de dire qu’il faut supprimer ou rétablir le carnet de circulation : il n’existe plus depuis que le Conseil constitutionnel l’a déclaré inconstitutionnel, même si je ne souscris pas du tout aux commentaires qui ont été formulés ni sur le Conseil constitutionnel et encore moins sur les propos qu’a tenus tout à l’heure notre collègue Jean-Claude Carle quand il dénonçait cette pratique consistant à modifier l’intitulé d’un texte quitte à complètement le dénaturer.
Mes chers collègues, je veux vous placer face à vos responsabilités à l’égard de l’ensemble des maires de France. Ceux-ci ont bien « intégré » la décision qu’a prise le Conseil constitutionnel à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité dont il a été saisi. Pourquoi ce dernier n’a-t-il pas fait droit à la demande d’abrogation totale de la loi de 1969 ? Il a supprimé le carnet de circulation et mis également fin à l’obligation pour les gens du voyage de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune pour leur inscription sur les listes électorales, rétablissant ainsi le droit commun et mettant fin à une discrimination. Pour ma part, cela faisait des années que je réclamais cette mesure : le Conseil constitutionnel, en lieu et place du Parlement, a réglé le problème.
En revanche, après de longs débats, il a maintenu l’obligation de rattachement à une commune ainsi que la disposition instaurant un quota maximal de gens du voyage par commune de rattachement de 3 % de la population. Pour cette raison, il n’est pas possible d’abroger la loi de 1969 dans sa totalité.
La sagesse voudrait que nous ne rejetions pas purement et simplement cette disposition, mais que nous la renvoyions à la proposition de loi Raimbourg, de manière à inscrire dans ce texte des mesures visant à éviter que les collectivités locales ne puissent être submergées par des flots d’inscriptions sur leurs listes électorales, sur le modèle de ce que j’avais écrit dans la proposition de loi que j’ai déposée en 2011.
Je vous rappelle que, sur les 36 767 communes que compte notre pays, 10 700 ont moins de 500 habitants. Si nous ne fixons pas un plafond et ne limitons pas la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales de sa commune de rattachement, alors que c’est le droit commun qui va s’appliquer, il serait fort possible que, dans certaines communes, ce soient ces électeurs « rattachés » – je vise ici non pas la population des gens du voyage, mais tout citoyen de notre République française – qui deviennent majoritaires. C’est là un point fondamental.
En l’absence de toute garantie, nous ne pouvons pas abroger totalement la loi de 1969 sans avoir préalablement réfléchi à des mesures permettant d’éviter un tel écueil et sans les avoir adoptées.
D’autres dispositions de cette loi mériteraient également d’être réécrites, au nom de la lutte contre les discriminations, cependant que l’abroger totalement reviendrait à en créer de nouvelles.
Tout à l’heure, certains orateurs ont fait référence au colloque organisé à l’Assemblée nationale sur le sujet. Pour ma part, j’ai, à plusieurs reprises, longuement discuté de cette question. Avant d’abroger la loi précitée, il faut au préalable rédiger un nouveau texte qui non seulement veille à supprimer toute discrimination, mais également apporte un certain nombre de précisions sur les points que j’ai évoqués à l’instant.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera contre ces quatre identiques amendements visant à abroger la loi de 1969.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur Hérisson, vous nous expliquez que les maires ont « intégré » l’existence de ce livret. En tant qu’historienne de formation, permettez-moi de vous faire remarquer que, au cours de leur histoire, les peuples ont intégré bien des choses. Est-ce à dire qu’il deviendrait impossible de supprimer ce qui a été intégré ? Ce n’est pas un argument, pardonnez-moi de vous le dire !
Par ailleurs, ce livret de circulation date du carnet anthropométrique mis au point dans les années 1880 selon une méthode de signalement définie par Alphonse Bertillon, alors chef du service de l’identité judiciaire, destinée à retrouver les criminels récidivistes. Aujourd’hui, au XXIe siècle, pourrions-nous conserver un tel texte compte tenu de cette histoire et continuer à stigmatiser, à discriminer des Français qui sont nos frères et nos sœurs, qui vivent dans le même pays que nous ? Cela pose un problème eu égard à notre pacte républicain.
M. Pierre Hérisson. Clemenceau nous manque, ce soir !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 7, 27 et 40.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe UMP et, l'autre, du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 93 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 159 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 41.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 94 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Pour l’adoption | 178 |
Contre | 138 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
Je mets aux voix l'amendement n° 42.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 95 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 347 |
Pour l’adoption | 347 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
Je mets aux voix l'amendement n° 43.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 96 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 178 |
Contre | 168 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
Je mets aux voix l'amendement n° 8.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 97 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 159 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 44.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 98 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 159 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 45.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 52, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant l’article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art… L’action menée en faveur de l’accompagnement et l’insertion des personnes dites gens du voyage s’inscrit dans un cadre interministériel avec le souci de préserver l’équilibre entre la reconnaissance des droits et l’abrogation des mesures discriminatoires d’une part, le rappel des devoirs et la nécessité de conduire des politiques spécifiques à l’égard d’une population particulière dont l’habitat traditionnel est constitué de résidence mobile ou qui se trouve en situation de semi-sédentarisation, d’autre part.
« Elle repose sur une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de cette communauté et des collectivités territoriales chargées de les accueillir.
« Elle est mise en œuvre par l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les organismes de sécurité sociale ainsi que les associations qui représentent les gens du voyage dans leurs relations avec les pouvoirs publics. »
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Les politiques conduites en matière d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage mettent en jeu un grand nombre d’acteurs – collectivités territoriales, administrations d’État, opérateurs privés, associations – et impliquent, au sein même de l’État, l’intervention de plusieurs ministères.
Les ministères chargés du logement et des affaires sociales sont les principaux concernés. Le ministère de l’intérieur est également intéressé par les enjeux relatifs à l’ordre public en matière de stationnement des gens du voyage et par les questions liées à l’état civil. Le ministère de l’éducation nationale – madame la ministre, votre présence n’est pas un hasard ! – intervient en matière de scolarisation des enfants du voyage. Enfin, d’autres ministères sont concernés de manière plus ponctuelle : le ministère de la défense, ainsi que le ministère des affaires sociales et de la santé en matière de prévention et de prise en charge sanitaire de cette population.
Tous les observateurs conviennent de façon unanime du défaut de coordination interministérielle à l’échelon national. Les ministères agissent chacun dans leur champ de compétence, sans nécessairement recouper leur action avec les autres départements ministériels.
Ce n’est que dans le cadre d’événement exceptionnel de portée nationale, comme les grands rassemblements qui se déroulent pendant la période estivale, que l’on peut voir les pouvoirs publics sortir de leur logique de verticalité pour s’appuyer sur une logique interministérielle.
À l’échelon local, le pilotage se révèle inégal. La concertation avec les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les conseils généraux se heurte à des difficultés dans certains départements. Il existe également un manque de coordination à l’échelle régionale.
On peut se montrer très surpris que, après de si nombreuses études menées sur le sujet, la population des gens du voyage reste mal connue, en l’absence de données statistiques actualisées.
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a pleinement conscience de cette situation. Il a enjoint à l’ensemble de ses ministres d’établir une stratégie interministérielle renouvelée en faveur des gens du voyage. L’objectif est clair ; élaborer une stratégie fondée sur une approche globale et harmonisée destinée à mieux appréhender et accompagner la communauté des voyageurs dans tous ses aspects.
Nous pensons utile de rassembler dans la loi les fondements sur lesquels doit reposer la définition d’une politique globale conduite en faveur des gens du voyage afin de traduire, sur le plan législatif, l’action qu’entend mener le Premier ministre dans la définition de cette stratégie interministérielle.
Nous souhaitons, au travers du présent amendement, mettre en avant, à la fois la multiplicité des actions menées et celles des acteurs concernés, et rappeler la nécessité de veiller à une juste répartition entre les droits et devoirs réciproques des gens du voyage et des collectivités territoriales, qui ont pour responsabilité de les accueillir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Cet amendement tend à décrire les fondements d’une politique globale en faveur des gens du voyage. La commission y est favorable, même si des doutes peuvent apparaître quant à sa cohérence avec les précédents votes en termes d’intégration des gens du voyage dans la communauté nationale.
Mme Cécile Cukierman. C’est certain !
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. En l’occurrence, cet avis rejoint la déclaration de Jean-Pierre Michel, ainsi que les suggestions du préfet Hubert Derache et la proposition de loi de Dominique Raimbourg.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Diplomatie et sagesse caractérisent M. Leconte !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. On ne peut que souscrire à la logique qui sous-tend cet amendement : la nécessité, pour l’État et les collectivités, de travailler en coordination.
Toutefois, nous sommes quelque peu perplexes quant à ce qu’apportera réellement son adoption. En effet, les différents services des ministères concernés ont déjà l’habitude de travailler ensemble ; j’en veux pour preuve la circulaire relative au schéma départemental d’accueil des gens du voyage.
En outre, la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées a pour vocation de coordonner l’action de différents ministères. Par conséquent, il ne nous semble pas absolument nécessaire de prévoir une disposition législative de portée générale pour traduire ce qui existe déjà sous l’égide du Premier ministre.
Par ailleurs, l’amendement tel qu’il est rédigé a-t-il une véritable portée normative ? Vous le savez, le Conseil constitutionnel est de plus en plus intransigeant concernant le réel caractère législatif des normes qui lui sont soumises. En l’espèce, l’intention nous paraît tout à fait louable, mais elle ne semble pas avoir abouti à la définition d’une norme claire.
C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas très favorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 52.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 99 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 159 |
Contre | 166 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les trois amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 12 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 34 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 75 est présenté par M. Leconte, au nom de la commission des lois.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au I de l’article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, le mot : « traditionnel » est remplacé par le mot : « permanent ».
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 12.
Mme Esther Benbassa. À l’article 1er de la loi n°2000-614 du 5 juillet 2000, est utilisé l’adjectif « traditionnel » pour qualifier l’habitat des gens du voyage. Or ce qualificatif me semble à la fois stigmatisant et inopérant. En effet, les gens du voyage appartiennent à une catégorie administrative désignant une population hétérogène, du point de vue culturel, social ou ethnique, qui réside habituellement en abri mobile terrestre. L’adjectif « permanent » paraît alors à la fois plus approprié et plus adapté à notre société actuelle.
Je voudrais rappeler en cet instant que l’expression « gens du voyage » est apparue en France en 1938, lors de la sortie du film du réalisateur belge Jacques Feyder intitulé Les gens du voyage. L’action, dramatique, se déroule au sein d’un cirque.
Le législateur l’emploie officiellement pour la première fois lors des travaux préparatoires de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969. Pierre Schiele, sénateur, parlant également d’« hommes du voyage », l’utilise dans son rapport du 19 décembre 1968.
À l’époque, cette catégorisation regroupe les forains, les caravaniers et les « voyageurs », ancienne catégorie des nomades. Lors d’une discussion en séance le même jour, le secrétaire d’État à l’intérieur, André Bord, reprend le terme de « voyageur » et lui ajoute ceux de « peuple du voyage ».
En 1972, cette expression est largement mentionnée dans une circulaire sur le stationnement des caravanes. Son utilisation se généralise ensuite dans les textes officiels et au sein de l’administration, pour figurer dans une loi en 1990.
Peu à peu, elle est employée dans le langage commun et est usitée par les médias, les politiques, etc., remplaçant les anciens termes « forains » et « nomades ».
Cette terminologie a en réalité deux sens, un légal et un autre commun.
Dans sa conception légale, cette dénomination vise une catégorie administrative française désignant une population hétérogène, du point de vue culturel, social ou ethnique, qui réside habituellement en abri mobile terrestre. Cette définition se retrouve dans la loi du 3 janvier 1969 et dans le décret du 31 juillet 1970, qui qualifie ces personnes de « sans domicile ni résidence fixe », SDRF, circulant en France ou exerçant des activités ambulantes.
Dans le langage commun, cette expression vise des personnes itinérantes vivant habituellement en caravanes, perçues comme appartenant à un groupe social, culturel ou ethnique transgénérationnel particulier et dangereux.
Dans la loi française, cette notion ne comporte aucune connotation ethnique ou communautariste, conformément aux principes constitutionnels de la Ve République. Ce vocable devrait recouvrir différentes réalités sociologiques, historiques ou ethniques, et l’adjectif « traditionnel » n’a plus lieu d’être utilisé pour qualifier l’habitat. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de le remplacer par l’adjectif « permanent ».
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l'amendement n° 34.
Mme Cécile Cukierman. Comme l’a rappelé Mme Benbassa, cet amendement vise à remplacer le mot « traditionnel » par le mot « permanent » dans l’article 1er de la loi de 2010, dite « loi Besson ».
Cet amendement est cher aux associations que nous avons consultées. Comme je vous le disais lors de la discussion générale, celles-ci travaillent notamment afin que la stigmatisation des personnes concernées ne soit plus leur quotidien.
Elles nous ont expliqué que, lorsque l’on creuse le sujet et que l’on compare les différents mots employés ici et là dans notre législation pour désigner le type d’habitat de ces personnes, cet adjectif « traditionnel », en apparence neutre et non stigmatisant, comporte tout de même un peu ce dernier caractère.
En effet, la loi de 1969 définit la catégorie administrative des gens du voyage en fonction du critère de la résidence en abri mobile. Le code de l’urbanisme utilise une notion neutre et vise des « caravanes constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs » lorsqu’il traite des conditions dans lesquelles un terrain doit être aménagé afin de permettre l’installation de ces véhicules. Or la loi Besson introduit le terme « traditionnel », ce qui participe à une vision communautariste inutile et contraire à l’objectif que notre groupe, comme d’autres, tente de poursuivre depuis le début de ce débat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 75.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Cet amendement est identique aux précédents.
Mes deux collègues l’ont indiqué, le mot « traditionnel » fait référence à l’origine des populations concernées. Il peut partant suggérer une ethnicisation des gens du voyage. La notion d’habitat permanent est plus précise : il s’agit d’une catégorie administrative. Pour ces raisons, il semble logique de le remplacer par l’adjectif « permanent ».
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Le Gouvernement est, lui aussi, animé par la volonté de ne stigmatiser aucune catégorie de la population. À cet égard, je remercie Mme Benbassa, qui nous apprend toujours beaucoup de choses, des explications qu’elle nous a apportées.
Cela étant, remplacer le mot « traditionnel » par l’adjectif « permanent » me semble incongru pour ce qui concerne les gens du voyage. Parler d’« habitat permanent mobile », c’est presque faire un oxymore ! À cet égard, je ne peux pas être très favorable à de tels amendements.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bravo pour l’oxymore !
Mme Cécile Cukierman. Mais il n’y a pas de contradiction !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Pour ma part, je ne vois pas en quoi l’adjectif « traditionnel » serait péjoratif, stigmatisant ou inopérant.
Mme Esther Benbassa. Il ne s’agit pas de cela !
M. Jean-Claude Requier. Je viens du monde rural et je suis favorable à la tradition. Le titre de sous-préfet contient le mot « sous » ; il n’en sert pas moins à désigner le représentant de l’État dans les arrondissements ! Pourquoi changer des expressions qui sont ancrées dans le langage courant ?
Je remercie, en toute honnêteté, Mme Benbassa du cours qu’elle nous a dispensé. Mais nous ne sommes pas ici en Sorbonne,…
Mme Esther Benbassa. Et alors ?
M. Jean-Claude Requier. … nous sommes au Sénat !
Mme Cécile Cukierman. C’est vrai que nous sommes dans le VIe arrondissement !
M. Philippe Dallier. Décidément, nous avons bien fait de venir !
M. Jean-Claude Requier. Ce n’est pas une affaire d’État, mais, à mon sens, c’est tout de même beaucoup de bruit pour pas grand-chose… (Marques d’approbation sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour explication de vote.
M. Antoine Lefèvre. Alors que nous nous apprêtons à suspendre nos travaux, je remarque que, durant ces débats, nous avons beaucoup parlé de tradition et de stigmatisation, en invoquant l’histoire mais aussi la poésie, avec Baudelaire, ce qui est plutôt agréable. (Mme Esther Benbassa opine.) Cela étant, il faut également rappeler ce qui se passe sur le terrain. Il faut indiquer les situations auxquelles les élus locaux sont confrontés. De fait, tel est le sens de cette proposition de loi !
Dans cette perspective, il convient de prendre en compte les nombreux débordements et les manquements à la loi qui sont constatés.
Madame la ministre, vous l’avez dit, pour que la société soit vivable pour tous, il faut que chacun respecte les lois de la République. Certains ont répondu : « Que les élus commencent par respecter la loi ! » Néanmoins, si l’on veut inciter les élus à appliquer la législation, il faut précisément leur garantir que, dès lors qu’ils ont fait les efforts d’aménagement et d’accueil qui leur sont demandés, les occupations illégales et les saccages de terrains aménagés seront sanctionnés.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. Mais cela ne suffit pas…
M. Antoine Lefèvre. À ce titre, je tiens à citer l’exemple de mon territoire, la communauté de communes du Laonnois. En 2008, nous avons inauguré, non sans une certaine fierté, notre aire d’accueil des gens du voyage. Hélas ! le 29 avril 2010, j’ai dû signer un arrêté de fermeture de cet équipement. Ce territoire, qui compte 44 000 habitants et qui ne dispose pas de ressources mirifiques, y avait investi 1,4 million d’euros. Quant au coût de la gestion, il s’élevait à 87 000 euros par an. Le coût des réparations, lui, représentait 120 000 euros !
Mes chers collègues, à l’heure où je vous parle, cette aire d’accueil n’a pas été reconstruite, ce qui pose un certain nombre de problèmes. Au reste, à l’époque où elle était ouverte, des occupations sauvages ont été constatées dans les limites de l’intercommunalité. Nous avons aussitôt alerté le représentant de l’État, mais aucune action n’a, malheureusement, pu être mise en œuvre. Il nous faut également évoquer cette problématique, qui figure au nombre des difficultés auxquelles les élus sont confrontés ! Le Sénat ne peut pas méconnaître ces difficultés.
L’argent public doit être dépensé utilement, la loi Besson doit pouvoir s’appliquer dans les faits. Le tout-répressif n’est pas une solution, nous en avons conscience. Néanmoins, à l’heure où les fonds publics se font de plus en plus rares, la réalisation de ces investissements, nécessaires et indispensables, va devenir de plus en plus difficile, notamment compte tenu des importantes destructions d’équipements subies par nos collectivités !
Je n’emploierai pas le terme « angélisme », que j’ai entendu prononcer au cours de nos débats en commission des lois. Je n’en tenais pas moins à rappeler cette réalité du terrain.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, pour ma part, je tiens à formuler trois remarques.
Tout d’abord, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, il n’y a pas d’angélisme en la matière. Quel que soit leur mode de vie, nos concitoyens doivent être punis dès lors qu’ils ne respectent pas la loi. (M. Antoine Lefèvre acquiesce.) Toutefois, il ne faut pas punir davantage un contrevenant au prétexte qu’il ne vit pas de manière sédentaire, mais qu’il a, au contraire, choisi de rejoindre les gens du voyage !
Le non-respect de la loi – notamment la dégradation des biens publics – doit être condamné. Je suis persuadée que, dans cet hémicycle, nous nous accordons tous sur ce point. Cela étant, d’aucuns, parfois involontairement, semblent suggérer que certaines personnes ayant choisi un mode de vie nomade respectent plus ou moins la loi. Monsieur Lefèvre, je ne sous-entends pas que tel était votre propos ! Je constate simplement qu’il faut se garder de toutes les dérives, qu’elles soient sécuritaires ou angéliques.
J’ai bien entendu vos propos, qui ne me posent pas le moindre problème. Je l’ai dit moi-même, pour sortir de cette situation, pour garantir le vivre ensemble, le bien-vivre de toutes et de tous, quels que soient les modes de vie des uns et des autres, toutes les communes de plus de 5 000 habitants auraient dû respecter la loi en aménageant des aires d’accueil et en les développant. Cette méthode aurait sans doute été plus simple, même si, on le sait bien, elle n’aurait pas suffi à résoudre tous les problèmes.
Ensuite, personne n’affirme que le terme « traditionnel » est péjoratif.
Mme Esther Benbassa. Bien sûr !
Mme Cécile Cukierman. Ce qui est péjoratif, c’est uniquement son mauvais usage ! En l’espèce, il nous semble effectivement que cet adjectif n’est pas pertinent. Comme M. le rapporteur l’a indiqué, le terme « traditionnel » ethnicise, il renvoie à une communauté. Or, depuis le début de nos discussions, nous souhaitons précisément, pour notre part, dépasser l’opposition stérile entre une « communauté » des gens du voyage et une « communauté » des sédentaires, entre lesquelles l’affrontement finirait presque par devenir inévitable ! On le sait également, lorsqu’on renvoie les citoyens à leur communauté – même si toutes les traditions sont bien sûr respectables – on ne les invite pas à s’ouvrir et à partager leur propre héritage avec les autres. Cette politique n’améliore en rien le vivre ensemble.
Je le répète, personne dans cet hémicycle ne rejette les traditions des uns et des autres. Cependant, veillons à employer ce terme à bon escient.
Enfin, madame la ministre, il ne me semble pas que le mot « mobile » donne lieu à un oxymore. On peut très bien concevoir un habitat à la fois mobile et permanent. (M. le rapporteur pour avis acquiesce.) On peut au demeurant changer d’habitat plusieurs fois dans sa vie, que ce dernier soit mobile ou immobile. J’entends les réserves que vous émettez, mais, sur le fond, il me semble que les termes ne sont pas si opposés que cela !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. J’approuve tout à fait les propos de Mme Cukierman.
Monsieur Lefèvre, je souscris également aux constats que vous avez dressés. Toutefois, il ne s’agit pas, en l’occurrence, des problèmes que vous évoquez. Ces amendements n’ont pas pour objet de permettre aux gens du voyage de s’affranchir de la loi, loin de là ! Vous nous avez détaillé les initiatives que vous avez prises pour votre territoire, et je vous félicite pour ces réalisations. Mais l’expérience de terrain ne vous empêche pas de réfléchir au mot « traditionnel » en tant que tel. Seriez-vous heureux d’entendre dire que les Français sont « traditionnels » ?
M. Antoine Lefèvre. Oui !
M. François Fortassin. Ah oui, j’en serais très content !
Mme Esther Benbassa. Cette expression serait réductrice : certains sont très traditionnels, d’autres le sont moins. L’adjectif a également une connotation religieuse.
M. Jean-Claude Requier. La cuisine est traditionnelle ! (Sourires.)
M. Antoine Lefèvre. La tradition a du bon ! (Nouveaux sourires.)
Mme Esther Benbassa. Chers collègues, nous n’avons rien contre la tradition ! Mais le fait est qu’en matière de religion, on distingue ceux qui sont « traditionalistes » et ceux qui ne le sont pas. Pourquoi stigmatiser davantage certains de nos concitoyens en les réduisant à une tradition de nomadisme ? Les représentants du syndicat des forains nous l’ont affirmé lorsque nous les avons auditionnés, plus de 60 % des gens du voyage sont désormais sédentarisés.
M. Jean-Claude Requier. Encore un cours !
Mme Esther Benbassa. Excusez-moi, monsieur Requier, peut-être la Sorbonne ne vous sied-elle pas, mais les politiques sont également susceptibles d’apprendre des universitaires, de consulter des ouvrages ou des revues !
M. Jean-Claude Requier. Bien sûr !
Mme Esther Benbassa. Aujourd’hui, c’est devenu une rengaine populiste : « Vous, les intellectuels, restez chez vous ! Nous, nous connaissons le terrain, nous l’avons labouré ! » Vous savez, nous aussi nous sommes dans nos circonscriptions, nous aussi nous connaissons le terrain ! Prenons garde à ne pas opposer des catégories.
M. François Fortassin. Pas de communautarisme !
M. Antoine Lefèvre. Et gardons les pieds sur terre ! Parlons seulement des réalités !
Mme Esther Benbassa. Les catégories ne servent absolument à rien. Elles n’ont pour finalité que de diviser, et nous n’avons pas besoin de divisions. Au contraire, nous avons besoin de rassemblement.
M. Antoine Lefèvre. Absolument !
Mme Esther Benbassa. Nous avons besoin de défendre un groupe qui, depuis des siècles, est discriminé.
M. Antoine Lefèvre. Pas chez nous ! Les gens du voyage ont le droit de vote !
Mme Esther Benbassa. À toutes les époques de notre histoire, nous retrouvons la peur des nomades. Aujourd’hui encore, dans n’importe quel village, lorsque des gens du voyage arrivent, on les présente comme des voleurs de poules ou comme des délinquants.
M. Antoine Lefèvre. Mais c’est fini, tout cela !
Mme Esther Benbassa. Non, cher collègue ! Le nomadisme fait peur, car il s’oppose à la sédentarité qui, elle, est contrôlable. Voilà pourquoi, dès le XIXe siècle, on a cherché à contrôler les gens du voyage en leur imposant des carnets anthropométriques. Avant cette époque, je souligne que ces populations étaient déjà en marge de la société. Mais je ne vais pas me lancer dans cet historique ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. Je souhaite réagir à l’intervention de M. Lefèvre. Je suis en effet un peu inquiet. À mes yeux, ce débat est important et intéressant, mais il ne faut pas qu’il dérive vers une situation dont nous savons par expérience qu’elle débouche sur un mur : n’opposons pas les laxistes angélistes aux tenants de l’ordre.
M. Antoine Lefèvre. Je n’ai pas dit cela !
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. De surcroît, une telle façon de penser renvoie immédiatement au clivage entre la gauche et la droite,…
M. Antoine Lefèvre. Beaucoup de maires de gauche demandent des expulsions !
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. … que Bruno Retailleau, en commission, a repoussé en l’espèce. Il a d’ailleurs été approuvé. (M. Antoine Lefèvre s’exclame.) Que les choses soient claires : personne n’est laxiste, personne n’accepte les infractions graves, les délits commis par les gens du voyage lorsqu’ils saccagent les installations.
M. Antoine Lefèvre. Il faut le dire !
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. Vous soutenez que l’administration n’agit pas et que de telles exactions ne sont jamais condamnées.
M. Antoine Lefèvre. Comment faire ?
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. Pour notre part, nous demandons d’examiner le fond du problème, de s’interroger sur l’absence de mobilisation du préfet et le défaut de condamnation des fautifs.
Nous disons seulement que le doublement d’une peine, qui n’est d’ailleurs pas dissuasive, ne permettra pas d’améliorer la situation. C’est un écran de fumée.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Je voulais aussi réagir aux propos qui ont été tenus et exprimer ma frustration.
En commission des lois, j’ai essayé de rendre la présente proposition de loi opérationnelle et équilibrée.
Si vous aviez accepté d’abroger la loi discriminatoire de 1969 et de reconnaître la place des Français itinérants dans la communauté nationale et si vous n’aviez pas recouru à une succession de scrutins publics qui nous a empêchés de discuter des propositions que vous aviez formulées, lesquelles méritaient d’être largement corrigées afin de devenir opérationnelles, nous aurions pu aller au fond des choses.
Cela étant, le respect de la loi et l’octroi plus rapide aux communes vertueuses de moyens plus efficaces à cette fin sont essentiels. Mais la présente proposition de loi ne contient pas de dispositions législatives efficaces. Vous vous contentez de coups de trompette à l’approche des élections municipales.
Nous aurions pu faire œuvre utile pour préparer les prochaines discussions et essayer de trouver ensemble de véritables solutions pour répondre à l’angoisse de certains maires. Je regrette que cela n’ait pas été le cas.
Je le répète, vous avez préféré demander des scrutins publics successifs et, in fine, refuser d’accorder aux Français itinérants la place qui devrait être la leur au sein de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12, 34 et 75.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 1er.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme du délai de quatre heures imparti au groupe UMP.
Il appartiendra à ce groupe, s’il le souhaite, de proposer un autre espace pour poursuivre l’examen de ce texte.
Quant à la proposition de loi tendant à autoriser le vote par Internet pour les Français établis hors de France pour l’élection des représentants au Parlement européen, initialement prévue à l’ordre du jour de cet après-midi, je vous rappelle qu’elle est inscrite à la séance réservée au groupe UMP du mardi 21 janvier.
10
Dépôt d'un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l’opportunité de créer un comité de responsabilité sociale et environnementale, établi en application de l’article 4 de la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d’investissement.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances, ainsi qu’à la commission des affaires économiques, à la commission des affaires sociales et à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Loi de finances rectificative pour 2013
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2013 (projet n° 215, rapport n° 217).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances rectificative pour 2013, que j’ai l’honneur de vous présenter, porte une ambition claire : être un catalyseur pour la croissance et la compétitivité, dans le prolongement de la politique économique que nous déployons résolument depuis dix-huit mois.
Ce texte vous est soumis dans un contexte particulier, que je rappellerai brièvement.
Tout d’abord, je veux souligner un développement majeur : l’activité économique a changé de tendance, même si je connais la fragilité de la reprise et le besoin de confirmer celle-ci et de l’amplifier. Avant l’embellie observée au printemps dernier, c’est-à-dire avant le rebond plus fort qu’anticipé au deuxième trimestre, la France connaissait depuis plusieurs années, vous le savez, une stagnation et une croissance nulle.
Depuis le printemps, nous sommes désormais sur une tendance de croissance positive, ce qui n’exclut pas – je suis très lucide sur ce point – un profil un peu heurté, qui n’est d’ailleurs pas une spécificité française. C’est ainsi que l’ensemble de la zone euro elle-même est en train de sortir de la récession, pour aller vers la reprise. Cela nous permet d’envisager des progrès sur le tout premier front de nos combats : celui de l’emploi.
Ainsi, au mois d’octobre dernier, pour la première fois depuis trente mois, nous avons enregistré une baisse du nombre de chômeurs, tandis que l’inversion de la courbe du chômage des jeunes, enclenchée voilà six mois, a été, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, constamment confirmée depuis.
Il faut du temps pour qu’une amélioration de la conjoncture se traduise concrètement dans le quotidien des Français, mais, je tiens à le dire à cette tribune, cette embellie n’est pas une vue de l’esprit. Notre scénario de reprise a été conforté par les instituts de conjoncture indépendants et les institutions internationales.
Le Haut Conseil des finances publiques, créé sur l’initiative du Gouvernement, avec l’approbation très large de la Haute Assemblée, en application du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, et qui est en train de trouver toute sa place dans le paysage des finances publiques françaises, a jugé que nos prévisions de croissance pour 2013 étaient désormais réalistes, alors qu’il les avait estimées plausibles, dans un premier temps – tel était son jugement sur le projet de loi de finances.
La Commission européenne a, elle aussi, validé sans réserve, j’y insiste, notre scénario, puisque ses dernières prévisions de croissance pour notre pays s’établissent à 0,2 % en 2013, 0,9 % en 2014 et 1,7 % en 2015, pleinement en ligne avec les nôtres et même, pour tout dire, très légèrement plus favorables.
Permettez-moi d’ouvrir en cet instant une parenthèse : le dernier conseil des ministres des finances européens, le Conseil Ecofin du 10 décembre dernier, a confirmé définitivement les analyses de la Commission européenne et a pleinement validé la stratégie budgétaire et financière de la France. Pour le dire en des termes simples, la Commission reconnaît que les efforts que nous réalisons sont pleinement conformes aux engagements de la France. Le fait qu’elle ait jugé que nous ne disposions pas de marge de sécurité par rapport à ces engagements n’est pas déshonorant : nous revendiquons, je revendique, le choix d’avoir calibré l’effort d’ajustement au plus juste et au plus près, pour préserver la croissance. La consolidation budgétaire, qui est indispensable, ne doit pas être l’adversaire de la croissance et de l’emploi. Nous sommes sur ce chemin de crête et nous poursuivons ensemble le redressement des finances publiques et de notre appareil productif, contribuant ainsi à la reprise de l’emploi.
Les pays de la zone euro sont classés en quatre catégories. J’entends parfois des polémiques absurdes. La France appartient à la deuxième catégorie avec les Pays-Bas et la Slovénie. On ne trouve guère, dans la première catégorie, qui comprend les pays dont la Commission a validé le scénario budgétaire sans réserve, comme pour ce qui concerne la France, mais n’a pas émis de remarque sur la marge de sécurité, que l’Allemagne et l’Estonie. La France figure donc parmi les quatre économies de la zone euro dont la situation budgétaire et financière est jugée la plus saine et dont la trajectoire est estimée la plus solide.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il faut le dire !
M. Pierre Moscovici, ministre. La différence entre ces deux catégories tient à l’existence ou non d’une marge de sécurité par rapport au respect de nos engagements. Mais je veux dire à l’opposition, qui aime bien arguer, lors d’émissions télévisées, par exemple, auxquelles je participe, que la Commission a été sévère, que tel n’est pas du tout le cas.
Nous bénéficions d’une validation pleine et entière, avec des marges de manœuvre certes limitées, mais que nous nous attachons à étendre, en mobilisant tous les outils possibles au service de la croissance. S’il advenait qu’un ajustement soit nécessaire, il serait réalisé, je veux l’indiquer à la Haute Assemblée, au travers d’économies, ainsi que nous nous y sommes engagés sans aucune forme d’opacité ou de réserve.
Ces premiers résultats concernant la croissance et les finances publiques montrent que la France est sur la voie du redressement grâce à la politique que nous menons et, surtout – personne ne l’ignore dans cette enceinte –, au dynamisme des acteurs économiques, car c’est d’abord par ce biais que découle la croissance. Notre tâche collective est de conforter et d’amplifier ce redressement, en restant résolument engagés dans la voie des réformes favorables à la croissance. Cette tâche, j’en suis pleinement conscient, n’est pas achevée.
L’embellie et la reprise économiques ne doivent pas être – croyez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que tel n’est pas mon sentiment – un motif d’autosatisfaction, pas plus qu’elles ne doivent être – je le dis à l’attention de ceux qui seraient tentés d’avoir ce comportement – une opportunité d’autoflagellation. Elles constituent, en revanche, un encouragement à poursuivre, avec la plus grande détermination, le travail de réforme en profondeur de nos structures économiques.
Poursuivre ces réformes pour soutenir la croissance, rétablir les équilibres financiers de la nation pour préparer l’avenir sans baisser le niveau de nos ambitions sociales, tel est le cap fixé par le Président de la République, que je veux réaffirmer devant vous. Je pense évidemment au cap des réformes économiques, mais aussi au cap du sérieux budgétaire.
À cet égard, le projet de loi de finances rectificative pour 2013 conforte la prévision de déficit de 4,1 % du PIB pour 2013, contre 4,8 % en 2012. Je rappelle que le déficit s’élevait à 5,3 % en 2011. Si la majorité n’avait pas opéré les ajustements nécessaires au cours de l’été 2012, il serait resté à ce même niveau. Il nous faut maintenant poursuivre ce travail de redressement.
Cette prévision de déficit de 4,1 % est, elle aussi, jugée plausible par le Haut Conseil des finances publiques. Cela représente une amélioration substantielle du déficit, rendue possible par un effort structurel sans précédent de 1,7 point de PIB, alors que la croissance a été inférieure à son potentiel.
Cet effort était-il suffisant ? Oui ! Était-il nécessaire ? Oui, également ! Je le rappelle, la France avait pris des engagements en vertu desquels elle devait opérer des ajustements structurels de 4 points entre 2010 et 2013, car les déficits structurels étaient, hélas, béants.
Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités au mois de mai 2012, nous n’avons pu que constater, alors que deux ans s’étaient écoulés, qu’un ajustement de 1,5 point seulement avait été réalisé. Nous avons fait le reste !
La pente est donc nette et nous assainissons, nous, les comptes publics. Avec ce gouvernement, les déficits ne cessent de se réduire dans un contexte de croissance pourtant faible.
M. Aymeri de Montesquiou. Et la dette ?
M. Pierre Moscovici, ministre. Regardez les chiffres, monsieur le sénateur, et ayez un peu de mémoire ! Les déficits, c’est vous qui les avez laissés !
M. Philippe Dallier. Et Lionel Jospin ?
M. Francis Delattre. Souvenez-vous de François Mitterrand !
M. Francis Delattre. Tout va bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faudrait peut-être parler du texte en discussion !
Mme Michèle André. C’est ça le projet de loi de finances rectificative !
M. Pierre Moscovici, ministre. C’est bien de cela qu’il s’agit, monsieur le président ! Je vous rappelle que le projet de loi de finances rectificative fait état de ces chiffres-là, et vous êtes bien placé pour le savoir !
Cette même exigence dans la gestion des deniers publics est à l’œuvre dans le présent texte. Nous procédons, avec Bernard Cazeneuve, aux ajustements de crédit de fin de gestion nécessaires pour tenir nos objectifs de dépense, et donc de déficit public.
Bernard Cazeneuve l’a précisé devant l’Assemblée nationale, le présent projet de loi de finances rectificative pour 2013 opère les mouvements de crédits nécessaires pour financer les besoins impératifs, tout en veillant au respect du total de dépenses autorisé par le Parlement. Ces ouvertures de crédits n’affectent en rien l’équilibre budgétaire, car elles sont entièrement compensées au sein de l’enveloppe « zéro valeur » par des annulations équivalentes portant, à hauteur de 90 %, sur des crédits qui avaient précisément été mis en réserve.
Reprise progressive de l’activité, exigence réaffirmée pour nos finances publiques : c’est dans ce contexte que nous voulons faire du projet de loi de finances rectificative pour 2013 un outil de mobilisation pour la croissance, un catalyseur, je le répète, pour l’activité économique du pays, dans la foulée du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi et des assises de l’entrepreneuriat.
Cette ambition se décline autour de trois axes majeurs.
Tout d’abord, nous poursuivons, avec ce texte, la réorganisation du financement de notre économie. Ensuite, nous prolongeons l’entreprise de rénovation de nos outils de soutien financier à l’export. Enfin, ce texte comprend un certain nombre de mesures de simplification. Permettez-moi de revenir rapidement sur ces points.
Le premier axe concerne le financement de l’économie.
Depuis dix-huit mois, j’œuvre pour faire en sorte que tous les besoins financiers des entreprises – trésorerie, fonds propres, dette – trouvent une réponse. Cela passe par une réforme des outils de soutien public au financement des entreprises, par un soutien spécifique à la trésorerie des entreprises et, surtout, par des réformes réglementaires pour drainer l’épargne et l’investissement vers les PME, les petites et moyennes entreprises, et les ETI, les entreprises de taille intermédiaire, puisque la France dispose – nous connaissons tous cette caractéristique – d’une épargne abondante, mais qui n’est pas assez orientée vers l’économie réelle.
Ces réformes ont déjà permis d’engranger des résultats positifs pour le financement des entreprises. Les PME ont ainsi vu leur encours de crédit progresser de manière dynamique, avec plus de 15 milliards d’euros supplémentaires, soit une augmentation de 12 % depuis la fin de l’année 2008.
Par ailleurs, je tiens à le signaler, les entreprises françaises se financent aujourd’hui à des taux historiquement bas : le niveau est en effet comparable à celui des entreprises allemandes, à peu près 100 points de base de moins que la moyenne de la zone euro. D’ailleurs, les différentiels de taux entre la France et l’Allemagne, ce que l’on appelle les « spreads », se sont fortement réduits depuis le mois de mai 2012. Je me souviens des prévisions, à l’époque, de certains oiseaux de mauvais augure. Or c’est exactement l’inverse qui s’est produit : le taux du crédit de la France est aujourd'hui meilleur qu’il ne l’était, de même que la confiance des investisseurs.
En raison de ces évolutions, nos entreprises peuvent profiter du redémarrage de l’économie européenne, et la crédibilité de la politique budgétaire est une condition pour que nous puissions continuer à les placer dans cette situation favorable.
Qu’y a-t-il de nouveau dans ce projet de loi de finances rectificative pour 2013 ?
La réforme de l’assurance vie engagée dans ce texte participe de cet effort, avec pour philosophie et pour finalité de drainer la première source d’épargne financière des ménages vers les placements les plus utiles aux entreprises, en particulier vers l’investissement en actions dans les PME et les ETI dont nous avons besoin. Pour simplifier, l’assurance vie, c’est plus de 1 400 milliards d’euros d’encours, massivement investis dans des titres obligataires, qui offrent aujourd'hui un rendement plutôt limité, mais avec, pour l’essentiel, une garantie du capital investi à tout moment.
S’il fallait résumer d’une phrase la situation actuelle de l’assurance vie, je dirais qu’elle combine la sécurité, à laquelle les Français sont très attachés, un faible rendement, qu’il faut améliorer, et une trop faible mobilisation en faveur du financement du tissu productif français.
La réforme qui vous est soumise et qui, je l’espère, recueillera votre assentiment unanime, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, d’autant qu’elle a été élaborée de façon totalement consensuelle, à partir, d’abord, d’un rapport parlementaire de deux députés, Mme Berger et M. Lefebvre, puis d’une concertation extrêmement large et approfondie, tend à conserver les points forts de l’assurance vie, à commencer par la sécurité, tout en la modifiant légèrement pour en faire davantage un levier pour le financement de nos entreprises.
Elle fait émerger de nouveaux produits qui, tout en offrant une garantie à l’assuré, lui permettront d’obtenir un meilleur rendement grâce à des investissements plus diversifiés, sans recherche – je le dis au passage – de rendement budgétaire et sans remise en cause du régime fiscal existant. Alors que c’était probablement la quadrature du cercle, je pense que nous y sommes parvenus.
Concrètement, cette réforme reposera sur deux piliers.
Le premier pilier est la création d’un nouveau produit « euro-croissance ». Ces fonds permettront à un assuré de bénéficier d’une garantie du capital si celui-ci reste investi au moins huit ans, et pourront être souscrits dans des contrats multisupports offrant beaucoup de souplesse, plus que les contrats garantis en euro. Ce sera, à moyen terme, un outil puissant de réallocation des actifs de l’assurance vie vers les investissements les plus utiles à notre économie.
Le second pilier est une réforme du régime fiscal de la transmission des contrats d’assurance vie, afin d’inciter les gros patrimoines à contribuer davantage au financement de certains pans de l’économie. La fiscalité applicable à la transmission des patrimoines les plus importants sera augmentée : le taux du barème applicable aux grosses successions sera revu à la hausse, passant de 25 % à 31,25 % pour la tranche supérieure à 700 000 euros par bénéficiaire, après modification par l’Assemblée nationale. Mais, dans le même temps, les contrats respectant certains critères d’investissement bénéficieront d’un abattement d’assiette permettant de compenser cette hausse. Il s’agit donc d’une mesure incitative, destinée à encourager les investissements dans le capital des PME et des ETI, dans le logement social et intermédiaire, ainsi que dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire, secteur qui, comme vous le savez, est une priorité pour nous.
Cette réforme de l’assurance vie a été longuement et mûrement préparée, réfléchie, débattue, dans une ambiance consensuelle, en respectant les attentes des assurés, sans casser l’économie de l’assurance et, je le répète, sans rendement budgétaire ni remise en cause des avantages fiscaux. Je vous le dis en toute honnêteté, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, c’est une très bonne réforme, qui sera utile à l’économie générale de ce projet de loi de finances rectificative.
À cette réforme de l’assurance vie s’ajoute une réforme du capital-investissement d’entreprise dont l’objectif est simple : développer l’industrie du financement de l’innovation en France, dans la lancée du plan innovation élaboré par Fleur Pellerin et Geneviève Fioraso. Le projet de loi de finances rectificative contient donc des mesures fiscales incitant les entreprises à investir dans les PME innovantes, matérialisant ainsi un des engagements pris par le Président de la République lors de la conclusion des Assises de l’entrepreneuriat.
Concrètement, le nouveau dispositif permettra aux entreprises d’amortir sur cinq ans, et dans une certaine limite de leur actif, leur souscription minoritaire au capital de PME innovantes ou de fonds communs de placement majoritairement investis dans des PME innovantes. Ainsi, d’une certaine manière, les grandes entreprises seront incitées à investir dans les plus petites, en fonction d’un critère, l’innovation. Nous devons tous nous mobiliser autour de cet enjeu important : en effet, nous le savons bien, c’est par l’innovation et la compétitivité que la France tiendra son rang dans la mondialisation et renforcera encore son potentiel de croissance.
Cette mesure, ajoutée à la réforme de la fiscalité des plus-values mobilières et à la création d’un PEA-PME, très attendu par les PME et les ETI, constituera un vecteur puissant de soutien à l’investissement dans les PME. Le Gouvernement a par ailleurs déposé un amendement, à l’Assemblée nationale, pour mettre en œuvre une autre mesure du plan innovation qui vise à améliorer le fonctionnement des fonds commun de placement dans l’innovation, les FCPI, et des fonds d’investissement de proximité, les FIP. Ces fonds constituent un canal important d’investissement en fonds propres dans les PME innovantes. Il s’agit donc, une nouvelle fois, d’améliorer les pratiques de gestion et de mieux structurer le paysage de cette activité, aujourd’hui trop morcelée.
Telles sont donc les mesures relatives à ce premier axe, c'est-à-dire à la réorganisation du financement de l’économie et à l’orientation de l’épargne vers l’économie réelle, en direction des PME et des ETI.
Deuxième axe du projet de loi de finances rectificative pour 2013, nous poursuivons la rénovation, engagée par ma collègue Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, de nos outils de soutien financier à l’export.
Les dispositions de ce texte nous permettront notamment de nous aligner sur les meilleures pratiques de nos partenaires, pour aider nos entreprises à être compétitives face à leurs concurrents. Nous savons que ces dispositifs de financement export font souvent la petite différence, en plus ou en moins, permettant d’emporter de très gros contrats. Or ceux-ci constituent un élément essentiel de rééquilibrage de notre balance commerciale et, surtout, ils permettent d’offrir des débouchés à nos entreprises et de créer des emplois. J’ai beaucoup d’exemples en tête, mais je ne peux pas vraiment les évoquer car ils entrent précisément dans ce jeu de la concurrence qui, bien mené, permet à la France de tenir son rang.
Nicole Bricq a déjà activement réformé nos outils, lors de l’adoption du projet de loi de finances rectificative pour 2012 et en mai dernier, avec la création du label « Bpifrance Export », qui a permis de rationaliser les dispositifs existants et d’en créer de nouveaux, comme le prêt de développement export, pour soutenir la trésorerie des entreprises exportatrices. Ces initiatives ont déjà porté leurs fruits. Elles ont permis d’abaisser le coût des financements exports pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, de démocratiser ces financements exports au profit des ETI et PME de croissance, et de mieux soutenir nos grands contrats, en particulier dans le secteur aéronautique, secteur très puissant de notre économie, avec des mesures ayant engendré une amélioration équivalente à un gain de compétitivité d’environ 5 % – ce qui est considérable !
Le projet de loi de finances rectificative pour 2013 prolonge cet effort de rénovation et de modernisation de grande ampleur à travers trois dispositifs.
Tout d’abord, en 2012, nous avons mis en place une garantie de refinancement, afin de diminuer le coût des crédits à l’exportation en facilitant l’accès à la liquidité auprès d’investisseurs privés. Ce mécanisme consiste à octroyer au refinanceur des crédits à l’exportation une garantie à 100 % couvrant le risque de non-paiement. En cela, il permet d’améliorer l’accès à la liquidité des établissements bancaires pour la mise en place de crédits exports et donc, in fine, de diminuer le coût de ces derniers. Cette année, je vous propose d’étendre le périmètre d’utilisation de cette garantie, dans le double objectif, d’abord, de continuer à améliorer le coût des crédits exports et, ensuite, de faciliter l’accès à la liquidité en euro et en dollar. J’espère que cette mesure de bon sens, utile à nos entreprises, recueillera l’assentiment général.
Par ailleurs, le projet de loi de finances rectificative pour 2013 améliore le dispositif de couverture des chantiers navals dans la période de construction des bateaux. La construction navale est un secteur à la pointe de la technologie en France, qui a déjà remporté de très importants marchés. Je me suis battu – c’était il y a un an, exactement – pour les chantiers navals de Saint-Nazaire qu’on disait en difficultés et proches de la fermeture. Aujourd’hui, ces chantiers ont obtenu des commandes jusqu’en 2016, représentant des millions d’heures de travail et des milliards d’euros, avec, notamment, la fabrication du plus grand paquebot de croisière au monde. Ils sont repartis de l’avant et la construction navale a encore d’autres perspectives très importantes dans les temps qui viennent. Je ne les présente pas ici, mais cela nécessite de mobiliser, pour chaque projet, des ressources bancaires importantes sur des périodes longues. Il serait absurde, avec une telle avance technologique, une telle excellence technologique, de ne pas emporter de marchés parce que, justement, le financement manque.
Enfin, le projet de loi de finances rectificative pour 2013 permettra à l’État de se substituer aux assureurs-crédit privés en cas de défaillance de marché sur certains pays, là où ce n’est pas possible aujourd’hui. Dans certains cas, tels que les crises économiques ou certains événements politiques, nos entreprises sont, hélas, confrontées à l’impossibilité de trouver une couverture auprès des assureurs-crédit privés pour leurs opérations d’exportation de court terme, avec, évidemment, des effets négatifs sur la capacité des exportateurs français à s’imposer sur les marchés internationaux. Si vous le décidez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte nous permettra d’intervenir lorsqu’une telle carence de marché sera constatée au bénéfice du commerce courant, notamment effectué par les PME et les ETI. Là encore, c’est une très forte incitation à aller de l’avant.
Toutes ces dispositions vont permettre de soutenir nos entreprises à l’export, objectif que cherche à atteindre, au premier chef, la ministre du commerce extérieur et auquel j’entends contribuer à la place qui est la mienne, comme responsable des réformes du financement de notre économie.
Ces initiatives législatives sont en permanence appuyées et relayées par des initiatives politiques. Je pense, par exemple, à la tenue de la grande conférence économique entre la France et l’Afrique à Bercy, la semaine dernière, qui a rassemblé plus de 500 entreprises, une cinquantaine de ministres présents à Paris pour le sommet de l’Élysée, mais aussi plusieurs chefs d’État, dont le Président de la République française. Ce type de manifestation permet de catalyser les opportunités d’investissement et d’exportation pour nos entreprises sur le continent africain, qui représente une formidable opportunité pour l’économie française. Nous devons nous inscrire dans les perspectives d’avenir qu’offre ce continent ami, où la France est présente et où elle doit passer d’une logique de rente, d’acquis sur laquelle elle a un peu vécu à une logique plus offensive et conquérante, une logique de flux.
Troisième axe du projet de loi de finances rectificative pour 2013, nous poursuivons le choc de simplification voulu par le Président de la République.
À travers plusieurs dispositions spécifiques, nous simplifions les règles et, surtout – je sais que beaucoup d’entreprises et de particuliers y tiennent – les relations avec l’administration. Comme vous le savez, le Premier ministre a lancé un chantier de remise à plat de la fiscalité. Je l’évoquais cet après-midi, dans cet hémicycle, à l’occasion des questions d’actualité. Nous entendons créer une nouvelle relation, fondée sur la confiance, entre l’administration fiscale et l’usager. Dans ce cadre, il est prévu de simplifier les obligations déclaratives à l’impôt sur le revenu en généralisant les cas de dispense de justificatifs, d’étendre le recours obligatoire au télépaiement de la taxe sur les salaires ou de légaliser le principe de gratuité des prélèvements opérés à l’initiative de l’administration fiscale pour le paiement des impôts.
Cette dimension est décisive pour l’attractivité du pays. Elle fait partie des priorités que nous mettons en œuvre, avec Bernard Cazeneuve. C’est une véritable révolution, je pèse mes mots, une révolution qui certes est encore silencieuse, mais qui n’en est pas moins en marche. Elle ne vise pas Bercy, mais part de Bercy. Lisibilité et simplicité de la relation, tels sont les objectifs que nous cherchons à atteindre et qui devront s’approfondir dans le futur.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes du texte que je vous présente aujourd’hui.
Comme tout collectif de fin d’année, celui-ci contient par ailleurs plusieurs mesures auxquelles je sais que la Haute Assemblée sera particulièrement attentive, en matière de fiscalité locale. Le Gouvernement a ainsi déposé, à l’Assemblée nationale, un amendement tendant à reprendre la proposition de loi de votre rapporteur général François Marc, visant à lancer l’expérimentation en matière de valeurs locatives des locaux d’habitation, ou encore un amendement ayant pour objet de moderniser l’assiette de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’IFER, pour le secteur des télécommunications, qui constitue une ressource régionale.
Mais je conclurai mon propos en rappelant que l’enjeu de ce projet de loi de finances rectificative est avant tout la poursuite d’un agenda pour la croissance.
Les finances publiques et la réduction des déficits sont des enjeux majeurs : ils mobilisent tout le Gouvernement, à commencer par moi-même et par le ministre du budget. Parce que le redressement des finances publiques, tout comme le désendettement, est une absolue nécessité,…
M. Francis Delattre. Il faudrait commencer !
M. Pierre Moscovici, ministre. … mon objectif est bien de voir la courbe de la dette s’inverser en 2015. D’ailleurs, je l’ai également dit cet après-midi, à l’occasion des questions d’actualité, il faut que l’actuelle opposition présente des excuses aux Français pour avoir autant augmenté cette dette. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Mais le redressement des finances publiques n’est pas une finalité en soi. Il est indissociable du redressement productif, et une condition de la croissance. Il doit donc être accompagné par des dispositions fiscales et financières permettant d’aller dans ce sens.
Nous entendons poursuivre un agenda pour la croissance à un rythme soutenu, et même accéléré. Il est très important que tous ensemble nous puissions faire passer ce message à nos concitoyens : oui, la France est sortie de la récession ; oui, la France est sur la voie de la reprise ; oui, la croissance est en train de s’amorcer ; oui, notre tâche – celle du Gouvernement d’abord, celle des agents économiques, la vôtre également, mesdames, messieurs les sénateurs – est bien de faire en sorte que cette croissance soit de plus en plus forte, plus forte que ce que l’on nous prédit.
La reprise qui s’amorce est une percée que nous devons consolider. Pour cela, nous devons garder un cap (M. Francis Delattre s’exclame.), rester collectivement vigilants et mobiliser, dans une volonté progressiste de réforme de l’économie française. Ce sont les ambitions portées par ce texte, dans la continuité de ceux qui l’ont précédé, un texte qui mérite d’être approuvé par la majorité et d’être discuté sur toutes les travées – c’est mon souhait et je suis certain d’être entendu – dans un esprit constructif.
Même si je conçois que les opinions puissent diverger sur l’équilibre d’ensemble ou le cap, je rêve d’un large consentement sur les dispositions allant dans le sens d’un meilleur financement de l’économie, d’un soutien aux exportations, d’une simplification plus grande car, tout simplement, c’est le bon sens et l’intérêt général. Or, je le sais, tous les membres de la Haute Assemblée ont le souci tant de l’un que de l’autre.
C’est dans cet esprit tout à fait constructif, positif et ouvert que je tenais, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous présenter ce projet de loi de finances rectificative et à ouvrir la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de finances rectificative pour 2013 qui, cette année, a particulièrement enflé à l’Assemblée nationale, que ce soit sur l’initiative de nos collègues députés ou du Gouvernement.
Ainsi, de trente-quatre articles au moment de son dépôt, il est passé à quatre-vingt-treize articles dans le texte qui nous est soumis. Ces articles sont, pour une large part, des ajustements techniques qui portent sur une grande diversité de sujets et dont l’impact budgétaire est très limité.
Ce collectif procède par ailleurs à des ouvertures et des annulations de crédits, en complément de celles qui ont été effectuées dans le décret d’avance du 28 novembre, qui permettent d’assurer le respect de la norme « zéro valeur ». C’est d’ailleurs, rappelons-le, la principale vocation d’un projet de loi de finances rectificative de fin d’année que d’ajuster les crédits au vu des besoins de fin de gestion. L’expression « collectif budgétaire » viendrait d’ailleurs de l’opération consistant, pour le ministre du budget, à collecter auprès de ses collègues les demandes d’ouverture de crédits, pour mener à bien l’ensemble des missions de l’exercice. Si la nature de l’exercice n’a pas fondamentalement changé, la difficulté n’est désormais sans doute pas tant de collecter les demandes que de faire accepter les annulations de crédits qui les accompagnent inévitablement.
Les principales hypothèses et prévisions concernant les recettes, les dépenses et le déficit de l’État communiquées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 sont confirmées.
La croissance devrait ainsi s’établir au moins à 0,1 %, ce qui est certes inférieur aux prévisions initiales du Gouvernement, mais nettement supérieur à celles des instituts de conjoncture jusqu’à l’été dernier. Le léger repli enregistré au troisième trimestre devrait être suivi par un rebond au quatrième trimestre. Au total, l’atteinte de ce chiffre ne fait pas de doute : la croissance revient, comme d’ailleurs dans l’ensemble de la zone euro.
Cette reprise commence d’ailleurs à être perceptible à travers les chiffres du chômage – vous l’avez dit, monsieur le ministre. Avec l’engagement des réformes structurelles qui permettront de réaliser 50 milliards d’euros d’économie sur les trois prochaines années,…
M. Francis Delattre. Ah !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … elle constitue aussi une condition du retournement de notre trajectoire de dette publique. Et nous avons grand besoin de ce retournement, n’est-ce pas, monsieur Delattre ?
M. Francis Delattre. Pour l’instant la dette s’aggrave !
M. Vincent Delahaye. On aimerait le voir !
M. Jean-Claude Frécon. Mettez vos lunettes !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. S’agissant du déficit public, il est conforme à ce qui a été annoncé dans le projet de loi de finances initiale pour 2014 : la prévision est maintenue inchangée à 4,1 points de PIB.
Quant au déficit budgétaire pour l’exercice 2013, il devrait s’établir à 71,9 milliards d’euros, soit une amélioration de plus de 15 milliards d’euros par rapport à 2012. Ce déficit est en revanche d’un peu plus de 10 milliards d’euros supérieur à la prévision initiale.
M. Francis Delattre. Quand même !
M. Philippe Dallier. En effet !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Les dépenses sont tenues – et vous aviez des difficultés à imaginer que ce serait le cas, chers collègues de l’opposition. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Mme Michèle André. Ça les embête !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Par conséquent, c’est du côté des recettes qu’il faut chercher les explications de ce résultat.
M. Francis Delattre. Ah !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Celles-ci se sont en effet avérées moins bonnes que prévu en loi de finances initiale, parce que la croissance n’a pas atteint les niveaux attendus.
M. Francis Delattre. Vous venez de dire le contraire !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Dans ces conditions, tous les grands impôts, la TVA en premier lieu, mais aussi l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu, n’ont pas eu le rendement espéré.
M. Philippe Dallier. Trop d’impôt tue l’impôt !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ce moindre dynamisme des recettes fiscales sert – on l’entend trop souvent et je viens encore de l’entendre à l’instant –….
M. Philippe Dallier. Je le redis !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … un discours que je qualifierai de populiste. (M. Francis Delattre s’exclame.)
M. Philippe Dallier. Oh !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, il me semble que nous pouvons simplement considérer que trop peu de croissance tue l’impôt.
M. Philippe Dallier. Et trop d’impôt tue la croissance, donc, on n’en sortira pas !
M. Aymeri de Montesquiou. Trop peu de croissance tue la croissance !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Les mesures restrictives adoptées dans la zone euro ont en effet été importantes et simultanées,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est certainement la faute de Sarkozy !
M. Richard Yung. Ce n’est pas faux.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … ce qui explique un effet multiplicateur de baisse de la croissance dont l’ampleur a surpris tout le monde, monsieur le président Marini.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ah !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Sans doute devrons-nous tirer des leçons de cette expérience pour l’avenir mais la gouvernance de la zone euro a cependant fait des progrès considérables pour mieux prendre en compte la croissance et la solidarité, notamment à l’initiative de la France, et nous pouvons nous en féliciter.
À cet égard, on peut souligner les avancées dans la coopération fiscale comme l’accord obtenu cette semaine à Bruxelles sur le contrôle des travailleurs détachés.
Enfin, si l’accord obtenu cette nuit sur la question de la résolution bancaire est un compromis qui ne va pas aussi loin que nous pouvions l’espérer, il prévoit cependant la création d’un fonds de résolution unique qui pourra intervenir en cas de défaillance d’une grande banque dans la zone euro.
Il nous reste encore beaucoup à faire pour développer les investissements structurants à l’échelle européenne et pour encadrer la concurrence fiscale et sociale mais nos idées en faveur de plus de croissance et de solidarité dans la zone euro font leur chemin, et, là encore, nous pouvons nous en féliciter.
Pour ce qui concerne les dépenses de l’État, celles-ci sont tenues, hors dépenses exceptionnelles, liées notamment à la mise en œuvre des budgets rectificatifs européens ayant soldé les manques de crédits du budget pluriannuel qui s’achève. Ainsi, la norme « zéro valeur » est respectée, tandis que les dépenses sont inférieures de près de 3 milliards d’euros à la norme « zéro volume », compte tenu des économies réalisées sur les pensions et la charge de la dette.
En 2013, nous avons bénéficié de conditions de financement à des niveaux historiquement bas, à peine plus de 1,5 % en moyenne,…
M. Philippe Dallier. Pourvu que ça dure !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … sur l’ensemble de l’année. Plus important sans doute, notre différentiel de taux avec l’Allemagne s’est réduit. (M. Aymeri de Montesquiou s’exclame.) Par ailleurs, nos taux ont moins augmenté ces derniers mois que dans la plupart des pays, à l’exception des pays de la zone euro qui ont été les plus affectés par la crise de la zone euro – je pense notamment à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie, qui ont vu, et nous pouvons nous en féliciter, leurs conditions de financement fortement améliorées.
M. Francis Delattre. Ils nous prennent des parts de marché, en attendant !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. J’y vois le signe de la confiance des marchés dans notre trajectoire de redressement économique et budgétaire ainsi que dans la solidité de la zone euro.
Après ces considérations globales sur l’économie dans son ensemble et sur le redressement en cours, j’en viens à quelques dispositions du texte sur lesquelles il me semble utile de m’arrêter un instant.
Tout d’abord, le projet de loi de finances rectificative qui nous est soumis comporte un grand nombre de mesures, d’importance variée, visant à simplifier les modalités de déclaration et de recouvrement de diverses contributions, ce qui devrait faciliter la vie tant des contribuables – notamment des PME – que de l’administration fiscale.
Le texte permet ainsi de nettoyer certaines incohérences voire absurdités dans le code général des impôts. Cette simplification des procédures nous permet d’aller à la fois dans le sens d’une amélioration de la qualité de service, d’un gain de temps et d’économies pour l’administration, autant d’éléments qui favorisent la croissance. Je veux donc profiter de ce projet de loi de finances rectificative, dont les articles, souvent techniques, ne prêteront probablement pas à des débats passionnés, pour encourager le Gouvernement dans l’approfondissement de ce chantier de simplification.
Nous avons discuté il y a quelques jours du projet de loi autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises. Il fait suite à d’autres lois et à l’annonce de deux cents mesures lors du Comité interministériel de modernisation de l’action publique du 17 juillet dernier.
Des progrès conséquents ont également été accomplis sur les normes applicables aux collectivités territoriales, notre ancien collègue Alain Lambert ayant en outre été nommé récemment médiateur des normes entre l’État et les collectivités.
Il s’agit là d’un chantier sans doute peu spectaculaire mais qui appelle à un changement de culture administrative : nous devons veiller à ce que des procédures trop rigides n’entraînent pas des coûts démesurés au regard des gains attendus. Il convient d’alléger les contrôles a priori pour renforcer, au contraire, les contrôles a posteriori et les sanctions. C’est ainsi que nous arriverons à la fois à faciliter l’initiative, à réduire les coûts de gestion et à concentrer nos moyens de lutte contre les fraudes les plus graves.
Le deuxième point qui mérite d’être évoqué est celui du renforcement des outils de financement de l’économie à travers, notamment, la création d’un nouveau support en matière d’assurance vie qui fait suite à celle du plan d’épargne en actions pour les PME. D’autres dispositions sont prévues, comme l’amortissement des investissements des entreprises dans les PME innovantes. Vous en avez parlé, monsieur le ministre, et j’estime qu’il s’agit d’une excellente mesure. Il est essentiel de permettre à ces PME de se développer, car elles sont la clef de notre capacité à conserver et attirer des talents et participent à renforcer notre potentiel de croissance.
Enfin, j’évoquerai le lancement de l’expérimentation de la révision des valeurs locatives des locaux à usage d’habitation, qui est un élément essentiel de la réforme fiscale locale.
J’avais soutenu le gouvernement précédent lorsqu’il avait engagé une expérimentation en vue de réviser les valeurs locatives des locaux professionnels, généralisée sur l’initiative du Sénat l’année dernière.
M. Jean-Claude Frécon. Bravo !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Le gouvernement actuel consolide et étend cette démarche, en reprenant dans le collectif la proposition de loi que j’ai déposée au Sénat le mois dernier.
Cette révision est une exigence de justice fiscale. En effet, il est aberrant que l’année de construction d’un logement constitue le principal déterminant de sa valeur locative. Ainsi, on peut voir dans un même quartier, pour une surface identique, des contribuables voisins amenés à acquitter des montants d’impôts locaux très différents qui ne correspondent en rien ni à l’état de leur logement, ni à leur loyer éventuel.
Cette révision des bases entrera en vigueur au plus tôt en 2018, après une phase d’expérimentation qui nous permettra de mesurer les transferts de charges entre les contribuables ainsi que de simuler ses effets sur les dispositifs de péréquation. Nous pourrons donc définir ses modalités de mise en œuvre à partir de l’analyse des données recueillies.
Il s’agit d’un travail très important dont l’aboutissement exigera de l’énergie, de la pédagogie et du courage. Je veux souligner à cet égard, monsieur le ministre, la mobilisation et l’engagement des équipes du ministère de l’économie et des finances au service de cette vaste ambition.
À ceux qui, s’inspirant de Goethe, préfèrent commettre une injustice que de tolérer un désordre (MM. Richard Yung et Yvon Collin apprécient.),…
M. Aymeri de Montesquiou. Sehr schön !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … je veux dire qu’en effet cette réforme ne s’opérera pas sans transferts de charges, précisément parce qu’elle recherche une plus grande justice.
M. Francis Delattre. Oh là là !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. En outre, l’ampleur des travaux préparatoires permettra d’éviter toute improvisation sur un sujet aussi complexe et sensible.
M. Francis Delattre. Amen !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Le projet de loi de finances rectificative pour 2013 montre la détermination très ferme du Gouvernement à tenir les dépenses, tout en mettant en œuvre les priorités en faveur de l’emploi, de la jeunesse et de nos concitoyens les plus fragiles.
La stratégie du Gouvernement, qui vise à assurer le retour à l’équilibre structurel de nos comptes publics tout en encourageant la croissance, doit être consolidée. La croissance revient, mais nous sommes encore loin de l’objectif que nous nous sommes fixé. Il s’agit désormais de s’assurer de la montée en puissance de l’ensemble des outils que nous avons mis en place pour favoriser la compétitivité de nos entreprises et le financement de l’économie, et de définir les réformes structurelles qui nous permettront d’affermir notre trajectoire de redressement, sans rien remettre en cause de nos priorités et de notre engagement en faveur de la justice sociale.
La commission des finances a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter ce projet de loi de finances rectificative. À titre personnel, je vous invite au contraire à l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Richard Yung. Nous allons vous suivre !
Mme Michèle André. Absolument !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le collectif budgétaire, c’est deux choses : l’ajustement des comptes en fin d’année, qui conduit à se retourner sur un exercice presque terminé, et diverses mesures législatives et fiscales pour l’avenir. Je bornerai l’essentiel de mes commentaires au premier aspect.
Que retiendra-t-on, monsieur le ministre, de l’exercice 2013 ?
À mon avis, on en retiendra d’abord que l’objectif de retour du ratio de déficit par rapport au PIB sous le seuil de 3 % a été repoussé de deux ans, avec la bienveillance, il faut le dire, de l’Union européenne. De plus, l’objectif de retour à l’équilibre des comptes publics en 2017, engagement de celui qui allait devenir Président de la République et qui avait été réaffirmé après son élection, a également été abandonné puisque l’objectif de solde effectif est désormais, pour 2017, un déficit de 1,2 % du PIB.
On retiendra aussi que le ratio de dette par rapport au PIB s’établit à présent à 93,4 % du PIB et qu’il devrait encore augmenter en 2014, alors qu’il y a un an on prévoyait qu’il culminerait en 2013 à 91,3 %.
On se souviendra sans doute, par ailleurs, que 2013 devait être l’année au cours de laquelle les règles budgétaires allaient enfin devenir plus intelligentes, en donnant un poids plus grand à la notion de solde structurel.
La trajectoire de solde structurel n’a pas non plus été respectée en 2013 et le déficit structurel s’établira, à la fin de 2013, à 2,6 % du PIB, au lieu de 1,6 % prévu.
L’instance, que vous avez citée, qui a été créée, à juste titre, pour surveiller attentivement, parmi d’autres choses, le respect de cette trajectoire, le Haut Conseil des finances publiques, vient de confirmer qu’elle sera amenée à constater en 2014 un « écart important » par rapport à la trajectoire et qu’il faudra donc enclencher en 2014 le mécanisme de correction automatique prévu par les accords européens, comme par la législation française.
On ne sait toujours pas, cependant, comment cette correction interviendra. Je présume que cela se fera, sans trop de surprise, par une modification des chiffres de la programmation pluriannuelle des finances publiques, ce qui annulera visuellement l’écart, mais non pas le dérapage des comptes dans leur réalité. À la vérité, ce sera tellement plus simple que de faire des efforts supplémentaires !
En tout état de cause, monsieur le ministre, on peut déjà se demander si la réévaluation du PIB potentiel, notion clef de la nouvelle gouvernance budgétaire, qui devrait intervenir dans la nouvelle loi de programmation des finances publiques, ne conduira pas à constater que la route est encore longue avant de parvenir à l’équilibre structurel et que de nouveaux efforts, plus importants que ceux prévus, seront indispensables !
L’année 2013 a cependant été marquée par un élément positif : l’absence de polémique sur les prévisions de croissance, qui, me semble-t-il, doit être largement portée au crédit du Haut Conseil des finances publiques, cette instance d’expertise à laquelle on ne peut mentir sur de tels sujets.
Il faut aussi se souvenir, mes chers collègues, qu’en 2013 le taux d’évolution en volume des dépenses publiques, variable essentielle pour construire une programmation, aura connu – je pèse mes mots – un spectaculaire dérapage.
Je m’y arrête, car l’évolution des dépenses publiques est le sujet essentiel pour les années à venir, tout le monde l’admet. Au demeurant, lorsque j’ai été reçu, avec d’autres présidents de commission, par le Premier ministre pour l’exercice de « remise à plat », celui-ci a consacré une bonne partie de son propos liminaire à nous dire que c’est sans doute plus sur la fiscalité que sur la dépense publique qu’il faudrait agir.
En 2013, on attendait une progression en volume des dépenses publiques de 0,9 %. Dans la réalité, – soyez-y attentifs, mes chers collègues ! – nous aurons une progression de près du double, soit 1,7 %. Malgré ce dérapage, le Gouvernement construit ses prévisions pour 2014 en considérant que le rythme de progression des dépenses publiques sera divisé par quatre, c’est-à-dire n’atteindrait plus en volume que 0,4 %.
Comment y parviendrez-vous, monsieur le ministre ? Comme un tel ralentissement de la dynamique de la dépense publique s’opérera-t-il ?
On nous dit que les dépenses de l’État, qui ont été réduites de 0,3 % en volume en 2013, baisseraient de 1,7 % en 2014.
On nous dit aussi que les dépenses des administrations de sécurité sociale verraient leur rythme de progression divisé par près de trois pour passer de 2,3 % en volume en 2013 à 0,8 % en 2014.
On nous dit, enfin, que les dépenses des collectivités locales cesseraient de progresser en 2014, après avoir augmenté de 2 % en volume en 2013.
Sur le fondement de quelles hypothèses peut bien reposer – pardonnez-moi l’expression – ce wishful thinking spectaculaire ? Quels phénomènes défavorables en 2013 ne se reproduiraient pas en 2014 ? Cela mériterait, pour avoir un bon débat, monsieur le ministre, d’être explicité de manière beaucoup plus précise que ce qui figure dans le rapport économique, social et financier pour 2014.
Lorsque l’on s’intéresse aux dépenses de l’État, au sens strict, que voit-on ?
On voit d’abord que les dépenses du budget général seront un peu supérieures en 2013 à leur niveau de 2012, soit 287,2 milliards d’euros contre quelque 286 milliards d’euros l’année précédente. Ce ne sont plus là des chiffres conceptuels ou structurels, mais des chiffres nominaux en euros sonnants et trébuchants !
On voit aussi que le montant du prélèvement européen dérape de 1,6 milliard d’euros. Alors que de plus en plus d’États de l’Union européenne obtiennent des rabais sur leurs contributions nettes au budget européen, la France demeure un bon élève et paie sans contrepartie.
On voit, enfin, que des crédits sont ouverts en collectif, dans le cadre de l’exercice de collecte qu’évoquait le rapporteur général, en complément de ceux qui ont été autorisés par le récent décret d’avance, essentiellement pour financer des dépenses de guichet : aides personnalisées au logement, aide médicale d’État destinée aux étrangers en situation irrégulière, par exemple. En face, des crédits sont annulés. Quels postes fournissent les gages ? L’équipement des forces armées et les infrastructures de transport.
Ce constat pourrait me conduire – mais je n’y insisterai pas – à mettre en doute l’exercice de réforme ou de restructuration des services publics qu’est censé représenter la nouvelle, et parée de toutes les vertus, « modernisation de l’action publique ». Ce que je vois surtout, c’est que l’on rabote, à juste titre d’ailleurs, les trésoreries disponibles, bonne vieille méthode budgétaire que je ne rejette pas, tant s’en faut, mais qui n’est pas véritablement porteuse de réforme. Je vois aussi que l’on sacrifie les crédits d’intervention et d’investissement, et que l’on annonce toujours de nouvelles économies, non documentées ou si peu, pour demain ou après-demain.
Que remarque-t-on encore en examinant ce collectif de la fin de l’année 2013 ?
Les recettes rentrent moins bien que prévu. Je ne reviens pas sur les chiffres, que vous connaissez ; le rapporteur général les a donnés.
Je m’inquiète en particulier pour l’avenir de la TVA, qui est notre premier impôt en termes de rendement fiscal. Ce gouvernement, comme le précédent, – mais de façon moins directe et, à mon sens, moins efficace – a constaté qu’il était plutôt positif d’effectuer des transferts de l’impôt de production vers l’impôt de consommation. Cela se traduit par les augmentations de taux de TVA qui figurent dans la loi de finances pour 2014.
Monsieur le ministre, si l’on est de moins en moins en mesure de prévoir le rendement de la TVA et si les évolutions de l’économie – je pense en particulier au développement de l’économie numérique – fragilisent son rendement, il sera vraiment très difficile d’imaginer, « remise à plat » ou non, une véritable stratégie fiscale.
Les récents travaux de la commission des finances, au-delà des différences respectives d’opinions de ses membres, constituent à cet égard une mise en garde contre les risques d’érosion de l’assiette de la TVA, compte tenu de divers phénomènes que nous ne maîtrisons pas.
On remarque aussi dans ce collectif que le déficit de l’État passerait de 87,2 milliards d’euros en 2012 à 71,9 milliards en 2013, mais que cette réduction de 15 milliards d’euros est sans incidence, ou presque, sur le besoin de financement de l’État, lequel est quasiment stable : il passerait de 187 milliards d'euros à quelque 186 milliards d'euros. Cela s’explique par des amortissements plus importants que prévu de titres de la dette antérieure, ainsi que par la reprise de la dette de 4,5 milliards d’euros résultant des déboires de l’ancien Crédit lyonnais. On peut soutenir que, sur la dette, selon le calcul maastrichtien, c’est sans incidence, il n’en reste pas moins que, sur le besoin de financement de l’État et, donc, sur le recours au marché, l’incidence est réelle.
Mes chers collègues, en comparant l’exécution à la prévision en loi de finances initiale, j’observe les bienfaits d’une gestion active de la dette ; il faut en rendre hommage à l’Agence France Trésor. En 2013, il a fallu financer un déficit supérieur d’environ 10 milliards d’euros aux prévisions ainsi que la reprise de la dette de l’Établissement public de financement et de restructuration, l’EPFR, soit une quinzaine de milliards d’euros, et tout cela a été réalisé sans que le montant des émissions à moyen et long termes soit modifié, puisqu’il demeure à 169 milliards d’euros.
Cependant, la magie financière n’agit pas toujours et la conjoncture des taux d’intérêt, dont nous bénéficions et c’est heureux, ne sera probablement pas éternelle. Le Gouvernement le pense, monsieur le ministre, puisque, dans certains documents, c’est l’argument avancé pour justifier la reprise des 4,5 milliards d’euros de dettes de l’EPFR : raisonnablement, au regard des différents facteurs qui existent dans le monde, il faut s’attendre à une tension sur les taux d’intérêt.
Mes chers collègues, je terminerai sur les dispositions législatives et me concentrerai sur la réforme de l’assurance vie.
Après de nombreux rapports, dont ceux qui ont déjà été cités, les mesures proposées en faveur du contrat dit « euro-croissance », lequel vise à orienter l’épargne vers des placements en actions tout en offrant aux souscripteurs une garantie à terme, sont utiles. C’est un point positif. Pourquoi faut-il alors que, dans le même temps, apparaissent une taxe sur les contrats transformés et une modification du mode d’assujettissement aux prélèvements sociaux particulièrement défavorable aux épargnants que l’on veut inciter à souscrire ces nouveaux produits ? Cette façon de procéder, un coup dans un sens puis un coup dans l’autre, obérera en grande partie l’efficacité du dispositif et engendrera peu de bénéfices pour l’économie.
Quant au contrat « vie-génération », il aurait dû permettre de transmettre son patrimoine dans de meilleures conditions. Or, dans le même temps, la taxation en cas de décès est alourdie, de manière à neutraliser l’avantage fiscal que procure ce contrat. Alors à quoi bon ? En outre, ce produit est soumis à de très rigides contraintes d’investissement. Cela nous rappelle les anciens contrats DSK et NSK. Il est frappant de constater que le présent projet de loi de finances rectificative supprime les contrats NSK, dont la diffusion était restée confidentielle car ils étaient beaucoup trop compliqués. Il faudrait tout de même tirer les leçons des échecs du passé !
Enfin, monsieur le ministre, je relève quelques dispositions d’inspiration bureaucratique pour faire bonne mesure. Je pense à la création d’un fichier central des assurances vie qui, chaque année, recenserait dans le détail les contrats de millions de Français.
On aboutit ainsi à un empilement de mesures contradictoires, qui sont à mon sens mal maîtrisées et se révéleront malheureusement peu efficaces, alors que nous sommes tous en accord pour rechercher des mesures à la hauteur des enjeux liés au financement de l’économie.
Peut-être faut-il attendre la remise à plat de la fiscalité. Peut-être est-ce l’horizon auquel vous allez nous confier. Vous comprendrez toutefois, monsieur le ministre, que le scepticisme ait été de mise au sein de la commission des finances. C’est pourquoi celle-ci préconise le rejet du texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)
M. Francis Delattre. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, cela fait des mois que les parlementaires attendent ce collectif budgétaire pour mesurer la réalité des comptes publics et les contrôler.
M. le ministre chargé du budget considère à raison que la seule réalité qui vaille est celle des chiffres. Il semble cependant que nous ne constations pas la même réalité. La dépense publique brute passe de 395,5 milliards d'euros en 2013 à 407,4 milliards d'euros en 2014. Elle n’est donc pas stabilisée, contrairement à ses affirmations. Sa proposition d’établir des instruments à l’aune desquels il pourrait mesurer et comparer les trajectoires des finances publiques des vingt dernières années éclairera-t-elle le présent et préparera-t-elle l’avenir ? N’est-elle pas uniquement accessoire ?
Après dix-huit mois de pouvoir, est-il possible de cesser enfin les querelles stériles sur l’héritage ? Ce qui est sûr, c’est que vous êtes responsables du présent. Je rappelle que la dette s’est accrue de 194,9 milliards d'euros depuis mai 2012 passant de 1 717,3 milliards d'euros à 1 912,2 milliards d'euros au 30 juin dernier, selon l’INSEE. Alors avançons ensemble dans l’intérêt du pays en nous affranchissant d’affirmations partisanes et, surtout, vaines.
Monsieur le ministre, j’ai deux suggestions à vous faire, qui, malheureusement, eurent peu de succès sous le précédent quinquennat.
D’une part, il faudrait opter pour une présentation des dépenses du même montant d’une année sur l’autre en euros courants. Cela engendrerait spontanément une baisse des dépenses du montant de l’inflation. D’autre part, nous pourrions baser nos prévisions budgétaires sur une croissance nulle, ce qui serait pragmatique et réaliste, car les prévisionnistes et les gouvernements se trompent le plus souvent. Les éventuels résultats budgétaires excédentaires seraient à verser au bénéfice de nos comptes publics.
Tous les Français s’interrogent : à quoi sert une charge fiscale d’une intensité inégalée pesant sur les contribuables depuis 2012 si le déficit continue d’augmenter inexorablement ? En valeur absolue, nous sommes passés de 71,9 milliards d’euros en loi de finances initiale à près de 82 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014, si l’on y intègre les investissements d’avenir. C’est 30 milliards d'euros de plus que le déficit prévu par la loi de programmation votée l’année dernière.
Les recettes espérées sont inférieures de 11 milliards d'euros à ce que vous aviez anticipé et annoncé.
Vous avez surestimé les recettes de l’impôt sur les sociétés. Vous attendiez 53,5 milliards d'euros, vous avez collecté 49,7 milliards d’euros, soit une perte de 3,8 milliards d'euros. La pression fiscale sur les entreprises est si forte et stérilisante que c’était prévisible.
Les baisses de recettes de TVA, de droits de mutation à titre onéreux ou DMTO et de cotisations sociales sont bien évidemment imputables à une baisse de la croissance, due en partie à la pression fiscale ainsi qu’au travail au noir qui en est la conséquence. Vous estimez que la disparition de près de 1 milliard d’euros de recettes de TVA serait imputable à de nouvelles techniques de fraude à la TVA. Cela me semble une raison annexe.
Vous ne pouvez, d’une part, avancer que l’effritement de la dynamique des recettes fiscales est lié à des facteurs conjoncturels et, d’autre part, affirmer que la situation structurelle s’améliore, les chiffres démontrant l’inverse. Notre solde structurel est déficitaire, il passe de 2 % dans la loi de programmation à 2,6 %. Le solde conjoncturel est resté presque stable, il n’est passé que de 1,2 % dans la loi de programmation à 1,4 %. Comment ce 0,2 point de variation suffirait-il à expliquer 1,1 point de PIB de déficit public imprévu ?
Face à la même crise, nos partenaires européens ont accompli un effort colossal pour redresser leur solde structurel, voire pour le rendre excédentaire. Nous sommes dans la démarche inverse et, en conséquence, nous voilà guettés par le mécanisme de correction, comme vient de le rappeler le président de la commission des finances. Baissez vite les dépenses, monsieur le ministre, ou vous serez obligé d’augmenter les impôts avec un résultat contraire à celui qui est escompté ! Mais tout cela, vous le savez.
Vous avez méconnu la difficulté de la collecte de l’impôt, car vous n’avez pas anticipé le désarroi fiscal des Français, qui considèrent que trop c’est trop.
M. Philippe Dallier. Attention, c’est populiste !
M. Aymeri de Montesquiou. La réalité est cruelle : nous assistons consternés à la démonstration de la réalité visionnaire et de la justesse de la courbe de Laffer. Tout le monde l’a rappelé, mais je ne résiste pas au plaisir de le faire à mon tour : « Trop d’impôt tue l’impôt ». Même le Président Mitterrand, qui était pragmatique et qui n’était pas un économiste, l’affirmait.
Monsieur le ministre, redonnez aux Français l’envie d’investir, l’envie d’entreprendre, l’envie de travailler. Pour cela, ils doivent être convaincus que l’impôt n’est pas confiscatoire. À l’échelon politique, encouragez la coopération entre parlementaires de toutes sensibilités. Œuvrez pour retrouver l’esprit consensuel qui a présidé à la création de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, et même à la discussion de la loi sur la régulation bancaire, afin de construire une véritable réforme fiscale qui aura l’assentiment des Français. Vous aurez alors pour cela l’approbation des sénateurs du groupe UDI-UC.
Je me dois de reconnaître que certaines dispositions du PLFR sont enfin incitatives : la création de deux nouveaux produits d’assurance vie qui visent à améliorer le financement des entreprises, un dispositif stimulant le capital-investissement pour les entreprises à l’article 8, les mesures en faveur de l’exportation à l’article 32 et diverses mesures sectorielles comme celle qui concerne la filière bois. Cela est positif, mais n’est pas à la hauteur des attentes des Français, qui veulent de l’État un effort équivalent à celui que vous exigez d’eux par l’impôt. Rien de majeur n’est mis en place en ce sens, car vous vous entêtez dans votre idée fausse que la baisse des dépenses est plus récessive que la hausse des impôts.
C’est pourquoi le groupe UDI-UC ne peut voter en faveur de ce texte.
Monsieur le ministre, la CDU et le SPD en Allemagne viennent de parvenir à un projet d’union nationale dans l’intérêt du pays. Dans un état d’esprit louable, le Premier ministre consulte tous les partis pour préparer une réforme fiscale. Il a pris l’excellente initiative de confier à MM. Malvy et Lambert, deux anciens ministres du budget aux philosophies politiques différentes, une mission pour réduire la dépense publique. Étendez aux groupes politiques cette action en faveur d’une convergence et nous pourrons nous retrouver et nous rapprocher. (M. Vincent Delahaye applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi tous les articles de ce projet de loi de finances rectificative pour 2013, il peut paraître difficile de rendre saillant tel ou tel point, tant, avant la « remise à plat » de notre fiscalité, nous assistons à celle des modalités de recouvrement de l’impôt et à la mise en discussion de quelques dispositions purement techniques.
Selon nous, le premier débat réside dans la réalité de la très faible croissance économique – un dixième de point –, puisque c’est l’hypothèse finalement retenue pour la conception et la réalisation de ce texte.
Cette faible croissance économique trouve une traduction dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Elle se manifeste par la poursuite de l’augmentation du nombre des personnes privées d’emploi, lequel s'élève aujourd’hui, toutes catégories confondues, à plus de 5,8 millions.
Elle trouve aussi son expression dans le mouvement de faillite des entreprises, des faillites qui sont autant de drames pour les entrepreneurs qui mettent la clef sous la porte que pour les salariés de ces entreprises.
Le nombre de défaillances d’entreprises s'élevait en effet à 46 903 entre janvier et septembre, soit un rythme annuel supérieur à 62 000, alors qu’il était de 61 189 pour l’année 2012, et de 59 521 pour l’année 2011.
Bien entendu, compte tenu de la forme même de notre tissu économique, largement composé de très petites entreprises ne comptant parfois aucun salarié, ces défaillances ne se traduisent pas chaque fois par un plan social.
Néanmoins, cette tendance justifie tout de même quelques inquiétudes sur l’avenir.
Songez qu’en 2008 le nombre de défaillances s'établissait à 55 423, contre 63 454 en 2009, le record de ces dernières années ! Ces chiffres montrent, s'il en était besoin, que nous ne sommes pas vraiment sortis de la crise économique – les 5,8 millions de chômeurs sont de toute manière là pour nous le rappeler.
Certains imputeront bien sûr ce piètre résultat au passif du gouvernement actuel, aux impôts trop lourds, au « ras-le- bol » fiscal. Qu’ils ne comptent cependant pas sur nous pour chanter cette rengaine trop facile, car nous sommes nombreux au sein du groupe CRC à estimer que la fiscalité n’explique pas tout.
Bien évidemment, la hausse des tarifs du gaz, de l’électricité, des transports publics – la hausse de la TVA sera répercutée intégralement en 2014 –, les effets du gel du barème de l’impôt sur le revenu, la « mécanique » de hausse de la fiscalité locale qui en découle, tout cela pèse sur la consommation populaire, sur la situation des ménages.
Mais pas plus que le quasi-gel du SMIC ni que la modération salariale encouragée au plus haut niveau ; pas plus également que la mise en cause des prestations sociales, dont on sent confusément qu’elles seront la cible principale des prétendues « économies » que le Gouvernement entend réaliser ces prochaines années pour parvenir à l’équilibre budgétaire.
La précarisation du fonctionnement des hôpitaux, à travers un objectif national des dépenses d’assurance maladie, ou ONDAM, sans cesse plus contraint, la mise en cause du caractère universel des allocations familiales, maquillée derrière la « justice » et la « priorité » affichée en direction des plus démunis, l’objectif de réduction des pensions et retraites par désindexation, le report de la revalorisation, l'adoption éventuelle du système des comptes notionnels, voilà quels peuvent être les outils conçus pour réaliser de telles économies.
Toutefois, la vérité commande de dire que c’est aussi dans l’insuffisante mobilisation des capacités de production et, notoirement, dans celle du crédit bancaire que nous trouvons les motifs principaux de cette croissance atone.
Qu’on y songe : selon la Banque de France, la moitié des crédits disponibles pour les activités manufacturières et industrielles n’est pas mobilisée. Autant les plus grands groupes semblent avoir renoncé à investir en France ou privilégient ce qu’on appelle le shadow banking, c’est-à-dire le prêt avec intérêt à l’intérieur du groupe, autant nos PME et TPE sont confrontées à des difficultés nouvelles pour solliciter l’appui des banques.
Tout porte à croire, d’ailleurs, que ni la création de la Banque publique d’investissement, ni la séparation des activités des établissements de crédit n’ont eu la moindre efficacité concrète sur la situation de distribution du crédit aux entreprises,…
M. Philippe Marini. Le contraire aurait été surprenant !
M. Thierry Foucaud. … et que les choses, qui n’étaient déjà pas simples avant 2012, se sont encore dégradées.
Serait-ce cette situation qui est à l'origine de la principale mesure contenue dans ce collectif, à savoir la mise en place d’une réforme de l’assurance vie, l’un des principaux placements financiers des Français ?
Enfin, des Français... Il en est de l’assurance vie comme d’autres produits d’épargne : elle épouse étroitement les contours abrupts des inégalités sociales.
C’est que l’encours important de l’assurance vie – plus ou moins 1 450 milliards d’euros aujourd’hui – est très inégalement réparti.
M. Philippe Marini. Eh oui !
M. Thierry Foucaud. Pour 90 % des 17 millions de souscripteurs, le montant épargné cumulé est inférieur à 50 000 euros, tandis que les 10 % restants rassemblent rien de moins que 64,8 % de l’encours, soit une somme de plus de 880 milliards d’euros et une moyenne légèrement inférieure à 530 000 euros.
Au demeurant, le centile d’épargnants disposant des plus gros contrats se situe aux alentours de deux millions d’euros. Une somme qui, rappelons-le, si elle était soumise à l’impôt de solidarité sur la fortune, serait susceptible, monsieur le ministre, de produire plus de 1 milliard d’euros de recettes nouvelles.
Nous nous sommes d'ailleurs livrés à une petite estimation. Si les 170 000 ménages disposant des contrats d’assurance vie les plus richement pourvus étaient soumis à l’imposition sur les grandes fortunes, le budget de l’État s’en trouverait bonifié d’une recette fiscale comprise entre 1,2 milliard et 5,1 milliards d’euros.
L’article 7 du projet de loi est, selon nous, un article d’opportunité. Nous sommes convaincus que les ménages salariés dont l’assurance vie capitalisée est comprise entre 0 et 50 000 euros ne se sentiront guère concernés par les modifications proposées à cet article.
Seulement voilà, nous sommes dans une période de taux directeurs faibles et les titres de court terme comme de moyen et long termes du Trésor public portent eux aussi un rendement de plus en plus faible.
L’Agence France Trésor propose aujourd’hui des OAT, des obligations assimilables du Trésor, à 0,25 % – certes indexées sur l’inflation – ainsi que des bons du Trésor à 0,45 %. Vous conviendrez qu’il n’y a pas là de quoi assurer vraiment le rendement d’un contrat d’assurance vie.
En revanche, les plus importants détenteurs de contrats, que la Cour des comptes a pu estimer à quelque 1 700 000 ménages, pourraient être intéressés par les mesures prévues à l’article 7. La valeur de leurs contrats s'élève en moyenne à au moins 530 000 euros et le centile le plus riche, nous l’avons dit, dispose de contrats d’une valeur moyenne de deux millions d'euros qui sont directement concernés par le changement de support.
L’affaire pourrait s’avérer attractive, parce que, par principe, le rendement des actions est supérieur à celui des obligations, même si elle doit être quelque peu « bordée ».
Premièrement, son régime fiscal ne sera pas aussi directement favorable que celui de l’assurance vie ordinaire et l’encours des nouveaux contrats pourra être ajouté à l’évaluation du patrimoine imposable au titre de l’ISF. Deuxièmement, cependant, notons que, tout au long de son développement, le contrat dégagera des dividendes et donc des crédits d’impôt successifs. Troisièmement, l’essentiel sera préservé, puisque l’apport de fonds propres ne changera rien à la gestion des entreprises concernées, car il y a fort à parier que ce seront les compagnies d’assurance, et non les souscripteurs, qui seront éventuellement représentées dans les organes dirigeants des entreprises.
On peut toutefois se demander, mes chers collègues, ce qui pousse ainsi un gouvernement de cette sensibilité politique à proposer une mesure dont la pertinence n’est évidemment avérée que pour un nombre assez restreint de personnes. Qui plus est, les niches fiscales qui découlent de l’article 7 n’entretiennent qu’un rapport lointain avec le principe de l'égalité de traitement devant l’impôt !
De notre point de vue, il y a deux manières plus vertueuses pour une entreprise de renforcer ses fonds propres.
La première, c’est de réinvestir la plus grande partie de ses résultats en vue d’autofinancer son développement, autant que faire se peut, avec le produit de son activité. La seconde, c’est d’obtenir des établissements de crédit des conditions plus favorables de financement pour que le recours au crédit bancaire ne soit plus un boulet.
Monsieur le ministre de l'économie et des finances, nous pensons même que deux mesures pourraient être envisagées en ce sens : d’une part, renforcer l’affectation de l’encours de l’épargne défiscalisée – livret A, livret de développement durable – vers le développement économique et, d’autre part, chercher à transformer une partie de la dépense fiscale destinée aux entreprises en charges de bonification de prêts bancaires.
Nous sommes convaincus que l’effet de levier et l’efficacité de l’allocation de l’argent public s’en trouveraient renforcés.
Pour le reste, que contient ce collectif ? Nombre de mesures de caractère technique sans grands enjeux, qui tendent notamment à favoriser le développement d’une administration électronique dont on pressent qu’elle souffrira très vite de deux travers : engendrer des suppressions de postes budgétaires au sein de l’administration fiscale et ne pas résoudre tout à fait, loin de là, le problème récurrent du bien-fondé de l’impôt, de sa justice et de son efficacité sociale et économique.
Par ailleurs, le projet de loi comporte également une validation de la gestion quotidienne des affaires de l’État par les services de Bercy, et notamment l’annulation de plus de 3,2 milliards d’euros de crédits inscrits, à l’origine, au sein de quatre-vingt-trois programmes budgétaires.
Même si les dépenses d’équipement militaire se trouvent frappées d’une réduction causée par le coût des opérations extérieures, ce sont aussi des crédits civils qui sont amputés à cette fin.
Et les 3,2 milliards d’euros annulés sont à rapprocher des sommes votées par le Parlement lors de la loi de finances initiale. Nous avions voté 299,32 milliards d’euros de crédits – 290,7 milliards d’euros en 2012 –, ce qui signifie que près de 40 % des ouvertures nouvelles de crédits votées par le Parlement ont été purement et simplement supprimées. Et si l’on retire du volume des dépenses publiques les crédits de personnel, le compte des pensions et le service de la dette, le montant des annulations est encore plus net.
Un tel mépris pour les votes de la représentation nationale ne peut être accepté. Ce n’est pas ce type de procédure d’exécution budgétaire qui nous permettra de modifier dans un sens positif notre position sur le projet de loi de finances 2013 ainsi révisé.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant une décennie notre pays s’est accommodé d’un déficit croissant de ses finances publiques. Depuis que la crise s’est installée en 2008, l’équation budgétaire est devenue encore plus difficile à résoudre. Les recettes de l’État ont été affectées par la récession, tandis que les dépenses ont continué inexorablement d’augmenter. Pour de nombreux Français, cet effet de ciseaux s’est traduit, monsieur le ministre, par une pression fiscale qui a nourri l’actualité du mois de novembre.
J’entends bien nos collègues de l’opposition qui commentaient encore récemment les rassemblements de « bonnet rouges » et l’expression des différents groupes de « volatiles » se sentant – à tort ou à raison – « plumés » : selon eux, tout ce désordre serait la conséquence de la politique fiscale du Gouvernement menée depuis dix-huit mois.
En réalité, que constatons-nous ? Il aura fallu seulement deux exercices budgétaires pour amorcer une trajectoire vertueuse et responsable, et ce dans un contexte économique délicat pour l’ensemble de la zone euro en particulier. Je rappellerai, sans insister trop longtemps sur le reproche éculé de l’héritage, que l’ancien gouvernement a exécuté pas moins de cinq budgets dont on a bien mesuré les dégâts, puisque nous en avons tiré les conséquences durant l’été 2012. Le déficit public avait atteint 5,3 % du PIB en 2011. M. le président Marini souscrit à cette analyse.
M. Philippe Marini. Non, non, je n’opine pas ! Il y a des explications à tout !
M. Yvon Collin. M. le ministre a rappelé les chiffres qui confirment une évolution heureusement plus favorable aujourd’hui : le déficit a été ramené à 4,1 % en 2013. Le déficit structurel est également en voie d’amélioration : il est passé de 5,1 % du PIB en 2011 à 2,6 % en 2013 et devrait s'établir à 1,7 % l’année prochaine. C’est un indice supplémentaire du sérieux budgétaire qui caractérise l’action du Gouvernement depuis son arrivée au pouvoir, et les radicaux de gauche s’en félicitent.
Nous pouvons donc aborder le projet de loi de finances rectificative pour 2013 dans un esprit serein, même s'il est vrai que les prévisions du solde public en 2013 ont été révisées pour tenir compte du moindre rendement des recettes, en particulier de la taxe sur la valeur ajoutée, de l’impôt sur les sociétés, des cotisations sociales et des droits de mutation à titre onéreux. (M. Vincent Delahaye s’exclame.)
Comme vous le savez, mes chers collègues, si le solde du budget de l’État s’améliore de plus de 15 milliards d’euros par rapport à 2012 – je le répète, c’est une excellente nouvelle –, il subit néanmoins une dégradation de 10,4 milliards d’euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale pour 2013.
Vous avez donc dû trancher, monsieur le ministre – c’est souvent le rôle des ministres ! –, et ainsi procéder à des ouvertures et des annulations de crédits.
Le dérapage des dépenses sociales, qui est une constante, conduit à abonder plusieurs missions. À cet égard, il me paraît souhaitable d’arrêter la sous-budgétisation de mesures dont on sait, de surcroît en période de crise, qu’elles sont toujours dynamiques, hélas !
Deux ministères ont été fortement mis à contribution : le ministère de l’écologie et le ministère de la défense. Pour le premier, je laisserai à mes collègues du groupe écologiste, plus qualifiés que moi sur ce sujet,…
M. Jean-Vincent Placé. Vous êtes trop modeste, mon cher collègue !
M. Yvon Collin. … le soin de commenter les annulations nettes de 577 millions d’euros.
S’agissant du second, je soulignerai juste que l’adoption, avant-hier, de la loi de programmation militaire oblige à une certaine rigueur si l’on veut préserver le modèle capacitaire de l’armée française. Or le report de charges de 3,6 milliards d’euros suscite des inquiétudes. Nous savons, mes chers collègues, que plusieurs actions du budget de la défense contribuent au soutien de l’industrie. Je souhaite le rappeler au moment où EADS envisage des suppressions d’emplois au sein de sa division défense et spatiale.
J’en viens ainsi au second volet du projet de loi de finances rectificative, qui consiste à améliorer le financement de l’économie.
En effet, au-delà des mesures d’ajustement budgétaire, vous avez, monsieur le ministre, introduit différents dispositifs pour lesquels vous pouvez compter sur notre soutien.
Je pense notamment aux deux nouveaux produits d’assurance vie qui devraient drainer utilement l’épargne vers des secteurs au fort potentiel de croissance.
La fusion de la taxe d’apprentissage et de la contribution au développement de l’apprentissage est un bon début, mais, selon moi, seulement un début du très attendu chantier de la réforme de l’apprentissage. Je me réjouis de l’affectation de 55 % des ressources de cette taxe fusionnée aux régions (M. Philippe Dallier s’exclame.), car nous avons besoin d’un échelon pivot pour améliorer la gouvernance d’un dispositif essentiel à l’emploi des jeunes, priorité, faut-il le rappeler, du Président de la République.
En ce qui concerne les collectivités locales, je remercie M. le rapporteur général François Marc, qui a proposé un excellent amendement à l’article 22 pour revenir sur la perte de recettes automatique des communes de plus de 2 000 habitants qui ne perçoivent pas la taxe communale sur la consommation finale d’électricité.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bon amendement !
M. Yvon Collin. Enfin, ce projet de loi n’oublie pas de renforcer l’équité fiscale, un principe auquel les radicaux sont attachés. Dans cet esprit, l’aménagement de l’exit tax est une nécessité pour ne pas soustraire à l’impôt les plus-values latentes des contribuables transférant leur domicile fiscal hors de France, l’assiette de la taxe ayant été progressivement « mitée ». Je partage votre souci, monsieur le ministre, d’éliminer les effets d’aubaine, qui profitent le plus souvent aux plus aisés.
D’une façon plus générale, j’imagine d’ores et déjà que ce souci de justice sera au cœur de la grande réforme fiscale annoncée. Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, les radicaux de gauche ont fait des propositions sur ce point depuis longtemps. Le Premier ministre a déclaré samedi dernier qu’il faudrait deux quinquennats pour mener à terme cette réforme. Si l’embellie économique qui se profile se confirme, il serait souhaitable d’aller plus vite. Il y a urgence, me semble-t-il, pour ne pas décourager les forces vives de notre pays.
En attendant ce fameux grand soir fiscal, mes chers collègues, la majorité du groupe RDSE approuvera le projet de loi de finances rectificative pour 2013, qui permettra la clôture d’un budget relativement maîtrisé. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. le rapporteur général de la commission des finances et M. Richard Yung applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir au fond du texte qui nous réunit ce soir, permettez-moi un commentaire sur la manière dont s’organisent les travaux de notre assemblée en matière budgétaire.
Contrairement à une tendance qui s’était amplifiée notablement ces dernières années, on ne peut pas dire qu’en 2013 le Gouvernement aura abusé de sa prérogative de déposer des lois de finances rectificatives,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très juste !
M. Jean-Vincent Placé. … puisque ce PLFR sera, de toute évidence, le seul de l’année.
Mme Michèle André. C’est une très bonne chose !
M. Jean-Vincent Placé. Pour autant, il aura sacrifié à la pratique consistant à amender massivement son propre texte, en l’occurrence à l’Assemblée nationale : ce ne sont pas moins de soixante-dix amendements que le Gouvernement y a déposés et qui ont ainsi presque triplé le nombre d’articles de ce projet de loi.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ces amendements ont souvent été puisés à bonne source !
M. Jean-Vincent Placé. Le travail d’analyse à fournir et le calendrier d’examen sont donc tels que notre rapporteur général François Marc, que je salue, n’a pas été en mesure – et c’est bien normal quand il s’agit d’ausculter un tel œdème législatif ! – de publier son rapport plus de vingt-quatre heures avant le début de l’examen du texte.
À cela s’ajoute le fait que les quelque deux cents amendements qui seront examinés demain n’ont été achevés de diffuser qu’au cours de cet après-midi. Chacun conviendra qu’il s’agit là de conditions peu propices à un travail sérieux...
M. Philippe Dallier. Vous avez toute la nuit !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il est vrai que nous travaillons dans des conditions difficiles !
M. Jean-Vincent Placé. Lors du rejet de la première partie du projet de loi de finances, le président Jean-Pierre Bel avait indiqué avoir pris l’initiative d’une réflexion, visant à réviser les conditions d’examen des lois de finances, dans le but de permettre la tenue d’un débat budgétaire complet au sein de notre chambre haute, quelles que soient les majorités qui s’en dégagent.
Je me permettrai de suggérer, monsieur le président, que nous ajoutions au champ de cette réflexion judicieuse le problème posé par des calendriers d’examen tellement serrés qu’ils en rendent parfois le travail parlementaire, disons-le, factice.
Après ces prolégomènes, qui me paraissaient importants, compte tenu de l’importance que nous attachons toutes et tous ici à la qualité des travaux du Sénat, permettez-moi d’en venir au contenu de ce texte. Venant en fin d’année, cette loi rectificative nous conduit à dresser un premier bilan, en attendant la loi de règlement, de l’impact des mesures que nous avions prises lors du PLF pour 2013.
Sans vouloir m’adonner à l’exercice un peu narcissique de l’autocitation, je ne peux m’empêcher de rappeler aujourd’hui, monsieur le ministre, que je m’étais alors évertué à plaider que cette voie de la rigueur budgétaire, dans laquelle vous avez engagé la France, est sans issue, fût-elle camouflée par les atours sémantiques du « sérieux ».
Vous aurez compris qu’il ne s’agit pas simplement là de mon intuition personnelle. De nombreux économistes, qui se définissent parfois comme « atterrés », défendent depuis longtemps cette thèse. La nouveauté, c’est que les laudateurs du libéralisme s’y convertissent eux-mêmes progressivement, face à l’évidence.
M. Vincent Delahaye. Pas du tout !
M. Jean-Vincent Placé. En octobre 2012, c’était le chef économiste du Fonds monétaire international, institution peu réputée pour son iconoclasme, qui publiait une étude retentissante, reconnaissant que les multiplicateurs budgétaires étaient jusqu’alors considérablement sous-évalués.
En d’autres termes, cela signifie que les politiques d’austérité engendrent une telle contraction de l’activité que le manque à gagner fiscal qui en découle vient neutraliser l’effort réalisé : le déficit ne se résorbe pas tandis que l’économie, elle, s’effondre. La Grèce, dont la situation sociale et politique est alarmante, constitue le terrible laboratoire de ce dogme mortifère.
Plus récemment, après le FMI, c’est la Commission européenne, autre thuriféraire institutionnel de l’austérité, qui vient de reconnaître l’impasse de cette politique par la voix de son modélisateur en chef. Dans une étude publiée en octobre dernier, il y chiffre l’impact récessif des politiques d’austérité.
Pour la France, ce sont ainsi 4,8 % de croissance cumulés entre 2011 et 2013, soit 1,6 % par an, qui ont été perdus. Pour la Grèce, sur la même période, ce sont plus de 8 % qui ont été perdus. Quant à la courbe du chômage, objet bien légitime de toutes les attentions, elle serait d’après cette même étude de trois points inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui si la France n’avait pas adopté une politique budgétaire aussi restrictive.
Jusqu’à maintenant, monsieur le ministre, nous étions cantonnés au débat de principes, qui a commencé avec la discussion relative à la ratification du traité européen. Aujourd’hui, nous pouvons enfin, avec ce texte, débattre des résultats concrets du premier projet de loi de finances porté par le gouvernement que vous représentez.
Ces résultats sont malheureusement conformes à ce que nous redoutions : l’austérité de votre budget a induit un manque à gagner fiscal considérable, qui s’élève en l’occurrence à 11,2 milliards d’euros. La TVA, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ne vous ont pas offert les rendements optimistes que vous en escomptiez. Le déficit public, que vous estimiez à 3 % voilà un an, à 3,7 % il y a six mois, est désormais ajusté à 4,1 % sans qu’aucun impondérable extérieur ne vienne le justifier. (M. le ministre s’exclame.)
Il serait donc vraiment temps, monsieur le ministre, qu’intervienne le changement de cap attendu à la fois par une part importante de votre majorité et tout simplement par les Français. (M. Vincent Delahaye s’exclame.) Je félicite Vincent Delahaye de soutenir la politique économique, budgétaire et fiscale du Gouvernement.
M. Philippe Dallier. C’est une mauvaise interprétation !
M. Jean-Vincent Placé. C’est son droit, bien évidemment !
Pour autant, et même si nous déplorons que ce soit une fois de plus l’écologie qui soit la grande perdante au petit jeu des annulations des crédits de fin d’année, ce n’est pas tant cette loi rectificative qui incarne la politique budgétaire du Gouvernement que le projet de loi de finances lui-même. Ce débat, qui a conduit le groupe écologiste à s’abstenir, nous l’avons donc eu voilà quelques jours.
Traditionnellement, au-delà des ajustements de crédits, le PLFR de fin d’année comporte un long train de mesures fiscales de toutes natures. Et cette mouture ne fait pas exception. Si nous avions eu l’année dernière la mauvaise surprise d’y trouver, introduit par amendement, ce qui allait devenir la surprenante colonne vertébrale des arbitrages budgétaires à venir – je parle, vous l’aurez compris, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, sur les inconvénients duquel je ne vais pas revenir –, il se trouve que, cette année, – vous n’imaginez pas, monsieur le ministre, le plaisir que j’éprouve à vous l’annoncer – les écologistes sont plutôt satisfaits des mesures que vous nous proposez ! C’est dire si, avec la réforme fiscale qui s’annonce, nous sommes optimistes pour l’année prochaine !
À l’opposé du caractère indifférencié de l’aide aux entreprises que constitue le CICE, les mesures de réorientation de l’épargne que vous nous proposez ici sont ciblées. Certes, nous aurions préféré des critères encore plus précis, qui nous auraient permis de donner un signal fort à toutes les activités parties prenantes de la transition écologique de l’économie et pourvoyeuses d’emplois non délocalisables. Mais orienter l’effort de financement vers les PME et ETI innovantes constitue déjà une mesure positive à l’égard du tissu industriel intermédiaire, trop peu développé en France quand il joue un rôle moteur dans l’économie allemande.
De même, nous sommes très sensibles à la création du statut d’amorçage qui élargit l’avantage fiscal applicable aux sociétés coopératives et participatives, les SCOP, dans le but de favoriser la reprise des entreprises par leurs salariés. Nous avons également noté le soutien apporté à la filière bois, atteinte par la hausse de la TVA, ainsi qu’à la presse. La réforme de la taxe d’apprentissage, en s’engageant dans le sens d’une plus grande régionalisation, fait écho à une préoccupation ancienne des écologistes. Enfin, l’aménagement de la taxe de sortie, l’exit tax, renforce à juste titre la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.
Dans ce concert de louanges, vous ne m’en voudrez pas, monsieur le ministre, de pointer malgré tout quelques petits différends. Il ne vous surprendra pas que les écologistes ne sont pas favorables à ce que nous mobilisions dès à présent des sommes considérables pour enfouir sous terre des monceaux de déchets nucléaires, alors même que nous sommes dans l’attente d’une loi de transition énergétique, qui pourrait nous apporter des orientations susceptibles de rendre ce projet d’enfouissement inadapté à l’avenir que l’on entend donner à notre filière nucléaire.
De même, vous comprendrez que, dans le contexte actuel, nous déplorions de devoir aujourd’hui rembourser plus de 600 millions d’euros de frais financiers à EDF, simplement parce que les gouvernements successifs n’assument que rarement de faire payer l’énergie à son juste prix – nous en avons eu un nouvel exemple avec le gel du prix des carburants. C’est pourtant la condition sine qua non de la transition énergétique, ce qui n’empêche évidemment pas, par ailleurs, d’apporter des aides spécifiques aux secteurs en difficulté ou déjà en mutation, ainsi qu’aux ménages les moins aisés, qui sont les premières victimes de cette crise écologique.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Alors, au total ? (Sourires.)
M. Jean-Vincent Placé. Pour me résumer et conclure, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, cher Philippe Marini, les écologistes continuent d’exprimer leur inquiétude quant à la politique de rigueur que vous menez, et dont on commence à constater concrètement l’impact néfaste.
Pour autant, ce n’est pas vraiment là le sujet de ce texte qui, au-delà de quelques divergences anciennes et identifiées, comporte une série de mesures qui nous semblent infléchir profitablement notre droit fiscal. En conséquence, tout en fondant beaucoup d’espoirs sur la concertation à venir autour de la réforme fiscale qui a été annoncée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, le groupe écologiste votera en faveur de ce projet de loi de finances rectificative. (M. le rapporteur général de la commission des finances et M. Richard Yung applaudissent.)
Mme Michèle André. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative est le seul et unique collectif budgétaire que le Gouvernement aura présenté en 2013.
En rupture avec les pratiques des gouvernements précédents, il nous permet de mettre un terme aux débats et polémiques orchestrés par l’opposition, qui n’a cessé de réclamer, depuis le printemps, le vote d’une loi de finances rectificative.
Preuve est faite aujourd’hui, mes chers collègues, qu’un tel vote ne s’imposait pas.
M. Philippe Dallier. Oh là là !
Mme Michèle André. Et le vote de quatorze lois de finances rectificatives sous le précédent quinquennat n’a pas démontré que la multiplication des collectifs budgétaires était garante d’une saine gestion des finances publiques.
En effet, si l’on réclame un collectif budgétaire en cours d’année, au nom de la transparence et de la vérité sur le budget de l’État et la trajectoire des comptes publics, peut-être suffit-il, avec un minimum d’honnêteté, de constater que cette exigence de transparence et de vérité a été tellement présente tout au long de cet exercice budgétaire qu’il n’a été nullement besoin de recourir à des lois de finances rectificatives. Cela a été le cas en avril, avec le programme de stabilité budgétaire, en juin, avec le débat d’orientation des finances publiques, et en septembre, avec le projet de loi de finances pour 2014, surveillé par le Haut Conseil des finances publiques, puis, plus récemment, par la Commission européenne !
Ce projet de loi de finances rectificative est remarquable, de par sa cohérence, et de par sa fidélité à la priorité du Gouvernement, à savoir le financement de l’économie, au travers de mesures concrètes et ciblées : la réforme de l’assurance vie pour mieux orienter ce produit d’épargne longue, l’amortissement exceptionnel des investissements dans les PME innovantes pour que celles-ci puissent mieux se développer, l’encouragement à la reprise d’entreprises par les salariés, notamment en créant des SCOP, le soutien des entreprises à l’exportation afin de mieux les armer pour affronter la compétition internationale, le soutien à certains secteurs économiques, comme la construction navale et la filière bois.
J’ajoute, sans entrer dans les détails, que les mesures de simplification de nombreuses règles administratives et fiscales devraient ne pas peser pour peu dans l’allégement de l’environnement des entreprises.
Donc, ce projet de loi de finances rectificative va dans le bon sens. Tournant le dos à la période précédente, faite du creusement du déficit public, du creusement du déficit de la balance commerciale, et du gonflement de 600 milliards d’euros de la dette publique, il soutient les entreprises afin de créer de la croissance, des richesses, et par conséquent de l’emploi.
Le respect de la trajectoire de redressement des finances publiques exprimée dans ce collectif budgétaire traduit bien cette orientation gouvernementale. La priorité du budget 2013 a porté principalement sur la baisse du déficit public : celle-ci a été effective. Dire le contraire est faux !
La dynamique de réduction des déficits a été maintenue : le solde des administrations publiques sera de 4,1 % du PIB. C’est plus que prévu initialement, mais c’est nettement moins qu’en 2012, où le déficit public atteignait 4,9 % du PIB, et encore moins qu’en 2011, où le déficit était de 5,3 %. Si l’on regarde les trois dernières années, on voit que le Gouvernement est sur le bon chemin.
Les objectifs poursuivis confirment par ailleurs le strict respect des engagements de la France en matière de dépenses budgétaires, gage du redressement des finances publiques dans la durée.
En effet, la dépense publique est maîtrisée, et sera inférieure de 3 milliards d’euros à l’autorisation de la loi de finances initiale : il n’y a donc pas de dérapage des dépenses publiques.
L’exécution du budget 2013 respecte les normes d’évolution « zéro volume » et « zéro valeur ». Et si, hors dépenses exceptionnelles, il y a eu progression des dépenses de l’État, celle-ci a été trois fois moindre que le niveau qu’elle a atteint, en moyenne annuelle, de 2007 à 2011 ! Et pourquoi cette progression ? Parce qu’il aurait été inopportun, et même contre-productif, alors même que la conjoncture était déprimée, de pallier de moindres recettes – par rapport à la prévision – par une diminution brutale des dépenses de l’État. Cela aurait eu un effet récessif, et aurait entravé le retour à la croissance.
Les engagements en matière de dépenses publiques se sont traduits par des ajustements de crédits, traditionnels en fin d’année, qui ont permis le strict respect de l’autorisation de dépense donnée par le Parlement en début d’année. Mais un tel résultat n’a été permis que grâce à une gestion budgétaire extrêmement rigoureuse : dès le mois de janvier, le Gouvernement avait augmenté la réserve de précaution de 2 milliards d’euros, cette réserve étant restée gelée tout au long de l’année, pour faire face aux imprévus inévitables en cours de gestion.
Et c’est ce sérieux qui a permis aux ouvertures de crédits inscrits dans le collectif de témoigner de l’action de l’État en faveur de l’emploi, et des dispositifs de solidarité. Les crédits concernant les politiques de l’emploi, l’hébergement d’urgence, les aides personnalisées au logement, l’aide médicale d’État et l’allocation adulte handicapé, s’ils témoignent, malheureusement, des difficultés sociales de nos concitoyens, témoignent, dans le même temps, de l’engagement de l’État en leur faveur. En France, l’hôpital public accueille tous les malades, sans distinction de leur histoire, de leurs papiers ou de leur provenance. Nous devons en être collectivement fiers (M. Richard Yung opine.) et nous rappeler – je le dis pour ceux qui dénoncent la dérive des crédits de l’aide médicale d’État – que plus on attend pour se faire soigner, plus cela coûte cher à l’hôpital public et donc à la collectivité.
Les recettes fiscales sont en progression de plus de 7 % par rapport à 2012, même si elles ont été inférieures à la prévision initiale, pour des raisons principalement conjoncturelles. Il n’y a donc pas d’effondrement des recettes !
Le déficit public se réduit de 15 milliards d’euros, soit 0,7 point de PIB, du fait d’un effort structurel historique de 1,7 point de PIB, et malgré une croissance inférieure aux prévisions. Il n’y a donc pas de dégradation du déficit de l’État !
Quant à la dette, le fardeau du gouvernement que nous soutenons, qui a explosé de plus de 900 milliards d’euros en dix ans, force est de constater qu’un an après les choses vont mieux, et que le déficit, s’il n’est pas encore conforme aux critères de Maastricht, est maîtrisé, et a diminué de 15 milliards d’euros grâce à l’action du Président de la République et de son gouvernement !
Mes chers collègues, il est impératif que l’économie française continue de se redresser, comme elle le fait depuis un an et demi, sous la conduite d’un gouvernement qui ne ménage pas ses efforts. La remise à plat de la fiscalité, impulsée par le Premier ministre, devrait pouvoir y contribuer, si cet exercice aboutit à un système fiscal plus simple, plus lisible, plus stable et plus juste.
Toutefois, chers collègues de la majorité, ayons de la mémoire, et soyons fiers d’une chose. Rappelons-nous que nous avons engagé la réforme fiscale dont nous parlons dès la première loi de finances rectificative pour 2012, et ensuite, dans la loi de finances pour 2013. N’oublions pas que, depuis l’entrée en fonction du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ce n’est pas moins de quatorze dispositions fiscales – je dis bien : quatorze ! – qui ont été adoptées par le Parlement, visant à aligner la fiscalité du capital sur celle du travail – ce n’est pas rien ! –, à ajuster la fiscalité du patrimoine, comme celle des entreprises, à accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu, à lutter contre la fraude fiscale, et j’en passe...
M. Philippe Dallier. Tout est bien, alors !
Mme Michèle André. Non, je dis que tout s’arrange, mon cher collègue !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ça va de mieux en mieux…
Mme Michèle André. Rappelons que c’est la commission des finances du Sénat qui a obtenu que le Conseil des prélèvements obligatoires puisse l’éclairer sur l’éventuelle évolution de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Nous n’avons donc pas à rougir, contrairement à ce que disent certains à certaines campagnes, d’avoir fait porter l’effort de redressement financier de notre pays en premier lieu sur ceux qui pouvaient le supporter le plus !
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec détermination et fierté que le groupe socialiste votera en faveur de ce projet de loi de finances rectificative. (M. Richard Yung et M. le rapporteur général de la commission des finances applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce collectif de fin d’année est pour nous l’occasion, avant même la loi de règlement, de dresser un premier bilan d’une année budgétaire tumultueuse pour le Gouvernement et durement ressentie par nos concitoyens.
Premier cycle budgétaire complet pour votre majorité, ce rendez-vous nous permet donc de comparer vos résultats, tels qu’ils apparaissent aujourd’hui, à vos prévisions, inscrites dans la loi de finances initiale adoptée à l’automne 2012.
Texte budgétaire après texte budgétaire, monsieur le ministre, vous avez fondé tout votre argumentaire sur la vérité des chiffres. Les chiffres, tous les chiffres, rien que les chiffres, tel est votre credo, assorti, bien souvent d’une comparaison au vitriol avec la période précédente. Eh bien, nous voilà au premier rendez-vous significatif. Nous allons voir quels sont vos résultats.
Et que dire d’autres des chiffres que vous nous présentez, si ce n’est qu’ils sont assez loin, bien trop loin de la prévision, et donc, en tant que tels, qu’ils ne sont pas bons.
Oh ! nous savons bien, les uns et les autres, que la prévision budgétaire est un art difficile, particulièrement en période de crise, en dépenses comme en recettes. Il est difficile de soutenir le contraire. Voilà pourquoi la prudence devrait être le fil conducteur de tout ministre.
Mais à l’été 2012, en préparant le projet de loi de finances pour 2013, vous étiez encore tout à l’euphorie de votre victoire électorale dont chacun se souvient des principaux slogans : la crise, c’est Nicolas Sarkozy, la compétitivité de nos entreprises est à peine un sujet, quant au déficit public, pour le réduire, il suffirait de faire payer les riches. Tel était le triptyque qui, on doit le reconnaître, a fonctionné puisqu’une majorité de Français y a cru.
Le budget 2013 a donc été construit sur ce malentendu avec les Français mais aussi, et c’est bien plus grave, sur une erreur d’analyse de la gravité et des causes de la crise que nous traversons. Non, monsieur le rapporteur général, ce que nous vivons là, ce n’est pas la traduction de la théorie économique des cycles courts que vous avez évoquée en commission des finances, c’est une crise bien plus profonde pour notre économie et la croissance ne reviendra pas toute seule, après une période de pessimisme des investisseurs qui devrait leur passer.
Le Président de la République aura mis six mois avant de reconnaître publiquement, à la télévision, qu’il avait sous-estimé la gravité de la crise. C’était début 2013, mais c’était trop tard, le budget était déjà voté et vous n’avez pas voulu de collectif budgétaire jusqu’à celui-ci.
La prévision de croissance avait donc été fixée à 0,8 %, ce qui s’est très vite révélé absolument illusoire. Sur la base de cette prévision, vous avez augmenté, sans commune mesure, les impôts et les taxes de toutes natures, en déduisant presque mathématiquement les recettes attendues. On croyait même, à tort manifestement, que vous étiez allé au bout de votre imagination puisque Jérôme Cahuzac déclarait doctement, en janvier 2013 : « La réforme fiscale est faite ».
Les Français pouvaient donc légitimement penser que toutes les injustices avaient été réparées, qu’en 2013 les riches allaient enfin payer pour combler le déficit, que la machine économique, grâce au CICE, allait se remettre en marche, que la croissance reviendrait et que le chômage baisserait.
Chacun ici connaît la suite de l’histoire et peut constater aujourd’hui combien la réalité est différente. Non, la légère croissance espérée – 0,8 %, ce n’était tout de même pas beaucoup ! – n’est pas au rendez-vous, les rentrées fiscales non plus, le chômage a continué de progresser et les Français ont découvert stupéfaits qu’ils devaient tous être riches puisque tous, ou presque, ont vu leurs impôts augmenter et globalement leur pouvoir d’achat baisser.
Onze milliards d’euros de recettes en moins, par rapport à la prévision, voilà bien le premier chiffre à retenir alors que ce n’est pas celui sur lequel l’attention semble se focaliser le plus. Il est d’ailleurs assez paradoxal qu’en matière d’exécution budgétaire on parle toujours beaucoup de la maîtrise des dépenses, ce qui est très utile, et peu, et moins souvent, de la baisse des recettes ou de la rentrée des recettes, comme si, à partir du moment où les taux des impôts et des taxes étaient votés, le produit attendu était quasiment certain.
Ce collectif budgétaire nous démontre qu’il n’en est rien et c’est bien là que le bât blesse particulièrement cette année.
Alors pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Eh bien, je crois qu’on peut le résumer en deux phrases, quitte à être taxé de populiste, mais puisqu’on nous a appris que François Mitterrand disait la même chose… Après tout, monsieur le rapporteur général, oui : « Trop d’impôts tue l’impôt », et « Trop d’impôts étouffe la croissance ».
Pouviez-vous faire autrement ? Bien sûr, mais vous ne l’avez pas voulu. À peine arrivés aux affaires, vous avez supprimé la TVA anti-délocalisation qui aurait eu des effets immédiats pour nos entreprises, dès l’automne 2012, pour la remplacer par le CICE qui aura eu peu d’effets en 2013 et dont le coût est d’ailleurs reporté, par un tour de passe-passe budgétaire, sur l’année 2014 et les années ultérieures. Et finalement vous aurez augmenté la TVA, ce que vous nous reprochiez. On aurait envie de vous dire : « Tout cela pour ça ».
Vous auriez également pu utiliser, de manière plus importante, le levier de la baisse des dépenses. Certes, j’en conviens, c’est difficile et ce n’est pas sans risque. Mais vous nous dites que vous le ferez en 2014 de façon très importante et que vous réitérerez, en allant plus loin, en 2015 et en 2016.
Or, là aussi, vous étiez pris au piège de vos promesses électorales. La RGPP était coupable de tous les maux, alors vive la MAP, la modernisation en douceur de l’action publique, qui d’ailleurs ne contente même pas les responsables du fameux think tank Terra Nova qui viennent d’en dire tout le mal qu’ils en pensent. Alors à quoi bon, monsieur le ministre ? Et puis, à chaque nouvelle contestation, et cela finit par ne pas être neutre budgétairement, le Gouvernement lâche quelques centaines de millions d’euros.
Effort insuffisant sur les dépenses, pression fiscale trop importante, tout cela a bien évidemment pesé sur notre économie et sur les résultats de cet exercice 2013, tels qu’ils se dessinent.
Certes, et c’est tant mieux, le déficit diminue par rapport à l’année dernière, mais on a envie de vous dire « heureusement », monsieur le ministre, au regard de l’augmentation de la pression fiscale ! C’est une bien maigre consolation, qui ne nous permettra pas de tenir les engagements de la France ; le Haut Conseil des finances publiques en tirera d'ailleurs les conséquences.
Pourtant, vous n’hésitez pas à parler de « bons résultats » s'agissant du déficit 2013. Permettez-moi de vous dire que nous ne partageons pas ce point de vue. La loi de finances initiale estimait le déficit à 61,5 milliards d'euros ; il s’élèvera en fait à 71,9 milliards d'euros. Cet écart correspond peu ou prou aux 11 milliards d'euros de recettes fiscales en moins, puisque les dépenses sont tenues grâce à la très utile réserve de précaution et aux annulations de crédits, qui ne sont pas toutes sans conséquence ni toutes vertueuses ; j’y reviendrai.
Au total, si l’on prend en compte les rentrées de recettes sociales, qui devraient être en retrait de 7,9 milliards d'euros, et si l’on y ajoute 1,9 milliard d'euros de recettes en moins pour les collectivités territoriales, plus de 20 milliards d’euros ne seront pas rentrés cette année. C’est bien le chiffre que notre collègue député Gilles Carrez avait avancé avant l’été. Que n’aviez-vous dit alors ! Malheureusement, nous constatons aujourd'hui qu’il avait raison.
Ce manque de recettes fiscales s’explique bien sûr par une croissance atone, que vous n’avez pas su soutenir. Estimée de manière très volontariste à 0,8 % en loi de finances initiale, elle atteindra péniblement 0,1 % ou 0,2 %, alors que certains de nos partenaires européens feront mieux. Comment s’en étonner et, surtout, comment ne pas y voir, en grande partie, l’un des effets récessifs du matraquage fiscal auquel vous avez soumis les entreprises et les particuliers ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. De combien vouliez-vous augmenter la TVA ?
M. Philippe Dallier. Vous avez choisi de taxer plus, mais la base fiscale se dérobe. L’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu mais aussi la TVA rentrent bien moins que prévu. Nos entreprises, dont le taux de marge est déjà l’un des plus faibles d’Europe, continuent à perdre des parts de marchés, et les Français consomment moins car, pour beaucoup d’entre eux, ils gagnent moins et sont plus taxés ; voilà la dure réalité de cette fin 2013, celle que traduisent les chiffres de ce collectif budgétaire.
Alors, bien sûr, pour relativiser ce constat, vous nous ramenez sans cesse au passé : cinq ans, voire dix ans en arrière. Eh bien, justement, revenons-y. En 2002 – j’aime à le rappeler –, après cinq années de gouvernement Jospin, le déficit budgétaire était de 49,3 milliards d'euros ; sur sa lancée, il est monté à 56 milliards d'euros en 2003 ; nous l’avons ramené à 34,7 milliards d'euros en 2007, juste avant la crise. Est-ce de cela que nous devrions nous excuser, monsieur le ministre ? Nous avons réduit le déficit que nous avions trouvé en 2002.
La crise est venue. En 2009, le déficit a plongé à 138 milliards d'euros, sous l’effet d’une chute spectaculaire et inédite de 35 milliards d'euros des recettes de l’État, mais aussi du plan de sauvetage des banques et du plan de relance, que, à l’époque, vous ne trouviez pas assez généreux. Fallait-il le faire ou non ? Auriez-vous fait mieux ? En 2011, le déficit était ramené à 90,7 milliards d'euros ; en 2012, année partagée, il s’établissait à 87,2 milliards d'euros. Voilà les chiffres !
Pour ce qui est de la pression fiscale, oui, nous l’avons d’abord diminuée en 2007, avec la fameuse loi TEPA ; vous nous l’avez suffisamment reproché. Cependant, nous l’avons augmentée à partir de 2009, en raison de la crise. Au total, entre 2007 et 2012, la pression fiscale a progressé de 1,1 point de PIB. Pour votre part, vous l’aurez augmentée de 1,5 point en seulement dix-huit mois. Et, bien sûr, tout cela se cumule.
Les chiffres sont là : les prélèvements obligatoires représentaient 43,4 % du PIB en 2007 et 44,5 % en 2012. Avec ce collectif budgétaire, ils atteindront 46 % du PIB.
Au demeurant, je crois que les Français se moquent de cette bataille de chiffres présentés par les uns et par les autres sous l’angle le plus avantageux. Pour eux, l’année 2013 est l’année de la révolte fiscale, qui flirte dangereusement avec une révolte sociale.
En un an, vous aurez réussi l’incroyable exploit de fédérer contre vous presque toutes les forces vives du pays, qui se sont donné des surnoms évocateurs pour exprimer leur malaise : les « pigeons » pour les patrons de start up, les « poussins » pour les auto-entrepreneurs, les « moutons » pour les travailleurs indépendants, les « tondus » pour les très petites entreprises, les TPE, et les petites et moyennes entreprises, les PME, les « sacrifiés » pour les commerçants et artisans, les « asphyxiés » pour les professions libérales, les « bonnets rouges » pour les Bretons et transporteurs routiers, et enfin les « bonnets orange » pour les exploitants de centres équestres.
En somme, il n’est pas une seule catégorie – ou presque – d’entrepreneurs, c'est-à-dire de créateurs de richesses, qui ne soit saisie par le ras-le-bol fiscal. Au mois de septembre, vous aviez d'ailleurs semblé dénoncer vous-même ce ras-le-bol, monsieur le ministre, ce qui ne vous empêche pas de nous reprocher maintenant de le pointer du doigt à notre tour.
À l’évidence, le Président de la République a au moins tenu une de ses promesses : « Moi, Président de la République, je ne diviserai pas les Français ». Force est de constater qu’il les a rassemblés, mais plutôt contre lui ! Certains sondages estiment que le taux de mécontents atteint 85 %. C’est un record.
Vous avez d'ailleurs battu d’autres records en 2013 : record de la part des dépenses publiques dans le PIB, avec 57,1 % ; record du taux de prélèvements obligatoires, avec 46,3 % du PIB au printemps dernier ; record historique du taux d’endettement, que nous partageons avec vous ; record du taux de chômage depuis 1997, avec 10,5 %. Voilà la dure réalité des chiffres. C'est pourquoi, en vous écoutant, monsieur le ministre, je me suis parfois demandé si nous vivions dans le même pays. Vous nous avez beaucoup parlé de l’avenir – il est vrai que c’est aussi votre rôle –, sans vous attarder sur l’année 2013, mais les chiffres sont là, et les Français ont du mal à les accepter.
Nos concitoyens constatent amèrement, jusqu’au sein même de votre majorité parlementaire, que les promesses de François Hollande se sont envolées comme les feuilles à l’automne. C’est notamment le cas de la promesse d’inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année, qui ne sera pas tenue, ou alors à grand renfort de cosmétiques.
Certes, au mois d’octobre, le nombre de chômeurs de catégorie A a baissé de 0,6 %. Cette évolution serait positive si elle n’occultait une augmentation de 55 900 personnes du nombre de chômeurs pour l’ensemble des catégories A, B, C, D et E. Sur les douze derniers mois, le chômage de longue durée a explosé de 17,6 % et le chômage des plus de cinquante ans a augmenté de 11,4 % pour les catégories A, B et C, ce qui suffit à démontrer que le dispositif des contrats de génération ne fonctionne pas.
Les prévisions de l’UNEDIC pour 2014 sont alarmantes : il devrait y avoir 75 600 nouveaux inscrits à Pôle Emploi en catégorie A. Non, la baisse du nombre de chômeurs de catégorie A en octobre dernier n’est pas le signe d’une reprise économique qui se ferait sentir. Elle est essentiellement due à un recours massif aux emplois aidés – près de 600 000 en 2013 –, qui sont des emplois précaires pour leurs bénéficiaires et coûteux pour les finances de l’État. Ce sont ces contrats aidés qui expliquent la baisse du chômage des jeunes, dont on peut certes se réjouir, mais qui n’est pas portée par la croissance, alors que c’est ce qu’il nous faudrait.
Pour en revenir aux dispositions de ce projet de loi de finances rectificative, nous avons l’honnêteté de reconnaître qu’elles ne sont pas toutes négatives. Le texte contient de bonnes mesures, comme les contrats euro-croissance d’assurance vie ou les mesures de simplification qui soutiendront nos entreprises exportatrices. Cependant, le texte contient aussi des mesures que nous ne pouvons accepter.
Nous sommes notamment fermement opposés à la réaffectation d’au moins 55 % de la taxe d’apprentissage aux conseils régionaux ; sans doute est-ce un hasard, mais, à l’exception du conseil régional d’Alsace, ils sont tous dirigés par vos amis politiques… Cette réaffectation se fera au détriment de la liberté d’affectation de la taxe d’apprentissage par les entreprises…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très juste !
M. Philippe Dallier. … et du financement des établissements consulaires de formation. À cause de cette mesure, 10 000 apprentis formés par les chambres de commerce et d’industrie, les CCI, pourraient être sacrifiés, et 10 % des classes des écoles des CCI et des centres de formation d’apprentis, des CFA, pourraient être fermées. Pourtant, le système de formation consulaire est une véritable assurance contre le chômage des jeunes. Les résultats que ces établissements affichent le démontrent : des effectifs en hausse, une reconnaissance internationale et, surtout, un taux d’insertion professionnelle de 90 % dans les six mois suivant la sortie des études.
Par ailleurs, nous ne pouvons que souligner et déplorer certaines ouvertures et annulations de crédits qui correspondent soit à des sous-estimations manifestes de crédits, soit au besoin de financement de décisions que vous avez prises. Dans la première catégorie figurent notamment les crédits supplémentaires destinés aux aides personnelles au logement. Vous me direz que ce n’est pas une nouveauté, puisque c’est la même chose tous les ans ; les chiffres inscrits dans le projet de loi de finances pour 2014 me donnent d'ailleurs à penser que nous y reviendrons à la fin de l’année prochaine. Les crédits destinés à l’hébergement d’urgence sont eux aussi manifestement sous-évalués ; ils devront donc être complétés au dernier moment.
Dans la seconde catégorie, il vous a fallu financer les emplois aidés, la hausse de la masse salariale des fonctionnaires et l’aide médicale d’État, l’AME, qui dérape dangereusement. Le projet de loi de finances rectificative prévoit 600 millions d’euros pour les opérations extérieures, les OPEX, 400 millions d’euros pour la masse salariale de l’État, 230 millions d'euros pour la politique de l’emploi, 100 millions d'euros pour l’hébergement d’urgence, 265 millions d'euros pour les aides au logement et 156 millions d'euros pour l’AME.
Pour trouver les sommes correspondantes, ce sont des budgets pourtant essentiels qui sont mis à contribution, avec notamment 650 millions d’euros d’annulations de crédits pour la défense, ce qui est un vrai paradoxe au moment où l’armée est très sollicitée, 440 millions d'euros pour l’écologie et 278 millions d'euros pour l’enseignement supérieur. Est-ce ainsi que nous préparerons mieux l’avenir ? Nous pouvons en douter.
Voilà, mes chers collègues, les points que je souhaitais soulever lors de cette discussion générale. Vous comprendrez que le groupe UMP ne puisse que voter contre ce projet de loi de finances rectificative pour 2013. (M. le président de la commission des finances applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce moment du débat et à cette heure avancée, beaucoup de choses ont déjà été dites ; je crains donc de ne pouvoir éviter les redites, et je vous prie de m’en excuser par avance.
En préparant mon intervention de ce soir, j’ai relu mon intervention de l’an dernier sur le projet de loi de finances pour 2013. À l’époque, j’avais dit que votre excès d’optimisme en matière de croissance et de recettes frisait l’insincérité, monsieur le ministre. De fait, nous sommes aujourd'hui assez loin du chiffre de 0,8 % de croissance que vous aviez annoncé. J’avais dit qu’il me semblait préférable de prendre le consensus des économistes, à savoir 0,5 %, et de lui ôter 0,5 % par mesure de précaution ; on arrivait ainsi à 0 %. Notre croissance s’établissant finalement à 0,1 %, ma prévision était plutôt bonne.
Je m’étais également demandé comment on pouvait voter un budget qui surévaluait autant les recettes. Je m’étais interrogé – personne ne m’avait répondu – sur leur croissance spontanée de 3 %. À l’époque, j’évaluais la surévaluation à 8 milliards d'euros. Je me trompais, puisque les recettes étaient en réalité surévaluées de 11 milliards d'euros. Je m’étonne que, malgré la qualité des fonctionnaires de Bercy, nous n’arrivions pas à obtenir d’explications plus précises. Ce chiffre de 11 milliards d'euros représente une baisse de 4 % à 7 % des recettes.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. L’année n’est pas encore finie !
M. Vincent Delahaye. J’espère que nous aurons de bonnes surprises dans les quinze prochains jours ; on ne sait jamais…
M. Philippe Dallier. Un cadeau de Noël !
M. Vincent Delahaye. Nous devrions avoir des explications plus précises sur cette baisse de 4 % à 7 %. On connaît la formule « Trop d’impôt tue l’impôt », qui a été très souvent employée. La baisse des recettes est-elle également imputable au développement de l’économie numérique, qui échappe à l’impôt ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela fait partie des causes.
M. Vincent Delahaye. Avons-nous assisté à un essor de l’économie parallèle, du travail au noir ? Je n’en sais rien, mais il faudrait se pencher un peu plus sérieusement sur la question, afin d’éviter les mauvaises surprises à l’avenir.
À cause de l’optimisme excessif des prévisions, le déficit dérape de 10 milliards d'euros, pour s’établir à plus de 70 milliards d'euros. Tout compris, il se situe même autour de 100 milliards d'euros, monsieur le ministre. Comme l’a si bien souligné M. le président de la commission, notre besoin de financement ne se réduit pas : il atteint cette année 186 milliards d'euros, contre 187 milliards d'euros en 2011. Nous continuons donc à faire appel aux marchés dans des proportions importantes.
Afin d’obtenir que la Commission européenne vous accorde deux ans de plus pour ramener le déficit sous la barre des 3 %, vous lui avez transmis un document intitulé « Une situation en voie d’amélioration ». Je suis désolé, mais je ne vois pas cette amélioration : je ne la voyais pas à l’époque et, malheureusement, je ne la vois toujours pas aujourd'hui. Notre dette continue à grossir de manière très importante ; le rythme est aussi soutenu depuis mai 2012 qu’auparavant. Vous dénonciez l’endettement sous la majorité précédente, mais il ne ralentit pas depuis que vous êtes aux responsabilités. Au contraire, il continue à augmenter : il frisera bientôt les 2 000 milliards d'euros.
Tout cela est assez inquiétant. Or nous ne percevons aucun effort en matière de réduction des dépenses : vous penserez peut-être que c’est une idée fixe de ma part, mais il me semble que nous sommes nombreux à avoir ce genre de préoccupation.
Je ne suis pas le seul à ne rien voir venir. Le club de réflexion Terra Nova, proche de la gauche, a été cité tout à l’heure. Dans un récent rapport, ce club insiste pour que le Gouvernement prenne des mesures énergiques et rapides en matière de modernisation de l’action publique.
On peut en effet avoir l’impression que la MAP, comme l’indique ce rapport, est en fait « une liste à la Prévert de “mesurettes” ou de mesures gadgets ». Ce rapport précise que seuls les ministères de second plan sont visés, qu’aucune réforme d’ampleur n’a véritablement été entreprise en matière de modernisation de l’action publique, alors que le cœur du système est en cause et qu’il faut s’y attaquer en priorité. Nous sommes donc dans l’attente, monsieur le ministre, de mesures fortes en matière de réduction de la dépense publique : c’est dans cette direction qu’il faut avancer.
Si nous examinons de près ce projet de loi de finances rectificative pour 2013, nous y trouvons malheureusement quelque chose que j’avais déjà remarqué dans le collectif budgétaire de l’année dernière, à savoir des cadeaux de Noël. Certes, nous approchons des fêtes de fin d’année, mais il me semble que la famille et les amis sont souvent trop gâtés dans cette période et vous ne faites pas défaut à cette règle.
L’an dernier, l’État avait racheté à la ville de Paris un terrain inconstructible pour vingt-cinq millions d’euros – je m’étais déjà étonné. Cette année, c’est en faveur de L’Humanité qu’un geste est fait, alors que les aides à la presse sont déjà très importantes. L’État abandonne une créance de quatre millions d’euros sur ce journal : c’est l’objet du dernier article de ce projet de loi de finances rectificative.
Mais ce texte recèle de beaucoup plus gros cadeaux. On ne cesse de dire aux Français que les déficits sont importants, que l’État n’a plus d’argent – ce qui est vrai, car il est en faillite ! Or, d’un seul coup, on a pu trouver deux milliards d’euros en faveur de la Bretagne et trois milliards d’euros pour Marseille. On se demande d’où vient tout cet argent. En effet, ces cinq milliards d’euros ne figurent pas dans ce projet de loi de finances rectificative pour 2013. Je ne les ai pas vus non plus dans le projet de loi de finances pour 2014. Pourra-t-on nous expliquer, à un moment donné – j’aimerais bien que vous nous le disiez, monsieur le ministre – où figurent les cinq milliards d’euros que l’on a pu trouver opportunément, en quelques jours, pour nourrir la Bretagne et Marseille. Je ne sais pas si les autres régions vont se réveiller, mais je pense qu’elles y trouveraient un intérêt. L’État parvient à distribuer très rapidement de l’argent qu’il n’a pas : c’est assez surprenant !
Pour conclure, monsieur le ministre, vous avez utilisé une formule qui vous a assez bien réussi sur le plan médiatique, en disant qu’« il ne faut pas ajouter la rigueur à l’austérité ». Pour ma part, je dois avouer que je ne la comprends pas : j’ai interrogé un nombre non négligeable de personnes dans la rue au sujet de cette formule : personne n’est capable de m’expliquer ce qu’elle veut dire. Les Français ne comprennent déjà pas très bien ce que signifient ces deux mots séparément, personne ne risque de comprendre le mariage des deux !
Pour ma part, comme je l’ai toujours dit, je ne vois pas comment on ne peut pas être rigoureux lorsqu’il s’agit de gérer de l’argent public : la rigueur est la première des qualités nécessaires à une bonne gestion de l’argent public. Ce qui me fait peur aujourd’hui, c’est que je ne perçois pas cette rigueur, je ne vois pas d’assainissement des finances publiques.
Nous faisons face à un ras-le-bol fiscal, que vous avez dénoncé vous-même, monsieur le ministre. On a demandé beaucoup d’efforts aux Français et, aujourd’hui, personne n’est capable de leur dire que la situation est assainie. À mes yeux, la condition d’une reprise durable de l’économie française est bien l’assainissement de nos finances publiques. C’est seulement une fois cet assainissement réalisé que nous pourrons repartir à nouveau sur un sentier de croissance durable. Voilà le changement que j’appelle de mes vœux et j’espère que nous en prendrons le chemin, mais, pour l’instant, je ne vois pas ce chemin.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI-UC ne votera pas ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que nous discutons un projet de loi de finances rectificative. Or j’ai entendu de longues discussions, de longs exposés, sur la loi de finances pour 2014. Certes, il s’agit d’un sujet important, mais il me semble que ce n’est pas celui qui est inscrit à l’ordre du jour de ce soir.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est le ministre qui a commencé !
M. Richard Yung. À cela s’ajoute un paradoxe : le Gouvernement est critiqué pour n’avoir déposé qu’une seule loi de finances rectificative. Que n’aurions-nous pas entendu s’il en avait présenté deux, trois, voire quatre ? On lui aurait reproché, au vu de ces révisions permanentes, de ne pas être capable d’établir une prévision budgétaire convenable. Le fait de n’avoir déposé qu’un seul projet de loi de finances rectificative montre plutôt, à mon sens, le sérieux du travail réalisé par le Gouvernement et le sérieux des conditions d’exécution du budget de l’État.
En ce qui concerne l’exécution du projet de loi de finances pour 2013, je vous rappelle – les chiffres ont été donnés, je ne vais pas tous les reprendre – que la Commission européenne, qui surveille tous ces indicateurs, a jugé que la France avait pris « les mesures nécessaires pour corriger son déficit en 2013-2014 » et qu’« elle fondait son analyse sur des déficits structurels qui prennent en compte les effets de la conjoncture, contrairement aux déficits affichés dits nominaux ». Je pense donc que cette déclaration montre que le chemin de notre effort structurel est le bon. Nous avons réduit le déficit de 15 milliards d’euros, voilà qui est bien !
J’aborde maintenant la question de la reprise de la dette de l’ancien Crédit lyonnais. J’y vois, à titre personnel, une mesure de gestion de bon père de famille, monsieur le président de la commission des finances. Je comprends que les taux d’intérêt sont particulièrement bas aujourd’hui et que nous en profitons. C’est une bonne chose pour la France, mais il est peu probable que les taux se maintiennent à ce niveau dans les années à venir. Cette dynamique est déjà visible, notamment, aux États-Unis. Il est donc assez logique d’anticiper cette montée des taux et de prendre par conséquent les mesures qui s’imposent.
L’opposition pose beaucoup de questions et elle est dans son rôle. Permettez-moi cependant, mes chers collègues, de vous rappeler ce que disait le poète René Char : « aucun oiseau ne chante dans un buisson de questions ».
Mme Michèle André. Bravo !
M. Richard Yung. Nous sentons bien la présence d’éléments de reprise économique. Celle-ci se fait jour aux États-Unis et dans d’autres régions du monde, mais la croissance reste tout de même atone, relativement faible, en Europe. Nous sommes tous conscients de cette réalité. La Commission européenne a elle-même reconnu qu’elle avait imposé à un certain nombre de pays – vous en connaissez la liste – des politiques qui ont ajouté, pour répondre à M. Delahaye, l’austérité à la rigueur, dans des proportions excessives.
Ces politiques, du fait de la baisse de la dépense publique, aboutissent à une baisse de la consommation des ménages. On a réalisé l’ajustement par le chômage, par l’accroissement du taux de pauvreté et le pouvoir d’achat relatif a baissé, il faut le dire ! En France, la consommation des ménages a baissé de 1 % entre les mois d’octobre 2012 et d’octobre 2013. C’est beaucoup ! Ce n’est pas comme cela que l’on soutiendra la croissance !
Notre politique est en adéquation avec la situation, mais nous sommes sur un chemin étroit, proche de la déflation propre à la « décennie perdue » japonaise – vous connaissez cette déflation : depuis douze ans, les Japonais connaissent une croissance nulle, leur endettement ne se réduit pas et le nombre de créations d’emplois est faible, tandis que le chômage s’accroît. Je pense que nous devons faire très attention à ne pas vivre un scénario de ce type.
Permettez-moi de vous donner un exemple pour illustrer mon propos : la politique que l’Allemagne envisage de suivre. La partie économique de l’accord de coalition, signé il y a à peu près quinze jours, comprend plusieurs mesures importantes de soutien à la croissance économique. Trente milliards d’euros d’investissement publics sont prévus, ce n’est pas rien ! Comme tout le monde l’a souligné, un salaire minimal national, qui se substituerait à des minimas régionaux, doit être créé. Enfin, le droit de départ à la retraite serait établi à soixante-trois ans, pour quarante-cinq ans de cotisation : j’entends d’ici les cris !
J’ajoute que l’Allemagne pratique également, d’une manière assez discrète, une hausse de son impôt sur le revenu : elle promeut la progressivité de l’impôt dans une situation marquée actuellement par une inflation qui n’est pas très forte, mais qui est tout de même significative. Cette hausse, certes discrète, va abonder le budget de l’État allemand d’un surplus de dix-huit milliards d’euros. Comme vous pouvez le constater, les Allemands ont compris comment il fallait faire fonctionner le système et nous devrions nous inspirer de ce modèle.
Je salue l’engagement pris par le Gouvernement en faveur du financement de l’économie réelle. Beaucoup de choses ont déjà été faites : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la création de la BPI, la loi de séparation des activités bancaires, la création du PEA-PME. Enfin, tout le monde a approuvé, même si c’est parfois du bout des lèvres, la réforme de l’assurance-vie qui vient compléter cet arsenal : 1 500 milliards d’euros, près des trois quarts de notre produit intérieur brut, sont placés dans divers produits d’assurance-vie. Cette épargne n’est pas orientée comme elle le devrait, c’est-à-dire vers le financement des entreprises et, en particulier, des PME.
Or, comme vous le savez, nous nous trouvons dans une situation dans laquelle l’amélioration des fonds propres des banques les conduit à prêter moins et les entreprises doivent se tourner davantage vers le marché financier. Je pense qu’il s’agit là d’une réponse adaptée, qui permettra de redynamiser en même temps le secteur du capital-risque et du capital-investissement qui dispose déjà d’un florilège de solutions – trop nombreuses à mon goût –, avec les FCPR, les FPCI, les FPCPI, les FIP… : on n’y comprend plus grand-chose. Je souhaite bon courage aux animateurs des sociétés de capital-risque !
Je souhaiterais évoquer enfin la situation de notre commerce extérieur. Le déficit commercial a été réduit d’un milliard d’euros entre septembre et octobre 2013. En octobre 2011, le solde cumulé sur douze mois s’élevait à 73,6 milliards d’euros ; en octobre 2012, il avait baissé à 67,5 milliards d’euros ; en octobre 2013, il atteint 60 milliards d’euros. L’amélioration du solde est donc de treize milliards d’euros en deux ans. Même si l’exercice est difficile, il semble bien qu’il se déroule dans la bonne direction. Les deux mesures qui sont proposées dans ce projet de loi de finances rectificative, à savoir l’amélioration de l’assurance-crédit pour les exportations de court terme et le soutien du refinancement des crédits à l’exportation par la COFACE, vont dans ce sens.
Vous comprendrez donc que, pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera en faveur du présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 13 décembre 2013, à neuf heures trente, à quatorze heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2013 (n° 215, 2013-2014) ;
Rapport de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 217, tomes I et II, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 12 décembre 2013, à zéro heure quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART