M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.
M. Philippe Esnol. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C’est demain, vendredi 25 novembre, que M. Philippe Varin, président du directoire de PSA, annoncera les détails d’un plan social qui ne dit pas son nom et dont les contours sont pourtant déjà largement connus.
Nous savons que la direction de Peugeot prévoit la suppression de 6 000 postes en Europe, dont 3 900 en France. Dans notre pays, 1 900 postes seraient supprimés en interne et 2 000 chez des sous-traitants. Ainsi, non seulement le constructeur, mais aussi l’ensemble de la chaîne de l’industrie automobile, seraient touchés.
M. Éric Besson, ministre chargé auprès de vous, monsieur Baroin, de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, déclarait à ce sujet le 15 novembre, sur RTL, qu’il n’y aurait pas de licenciements.
Qu’il aille donc l’expliquer aux salariés de Peugeot et de ses sous-traitants, à ceux du site de Vélizy, dans les Yvelines, à qui l’on a annoncé la suppression de 600 postes, à ceux du site de la Garenne-Colombes, où il est envisagé de supprimer 400 postes, à ceux des usines de Sochaux, où une mesure de même ampleur est prévue, à ceux d’Aulnay-sous-Bois, qui s’inquiètent pour l’avenir de leur site de production depuis qu’une note interne de juin 2011 a évoqué sa fermeture, à ceux des usines de Mandeure dans le Doubs et de Dannemarie dans le Haut-Rhin, qui craignent pour leur emploi !
Le secteur automobile est une branche importante et emblématique de l’industrie française. Il est entré dans une crise profonde, qui est aussi celle de l’industrie française.
Face à cette crise de désindustrialisation, vous faites preuve d’un laxisme irresponsable, en aggravant par un immobilisme d’ordre idéologique les difficultés d’ordre économique auxquelles nous sommes déjà si durement confrontés ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
En opposition totale avec votre fatalisme teinté de cynisme (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.),…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est n’importe quoi !
M. Joël Guerriau. C’est excessif !
M. Philippe Esnol. … nous défendons, à gauche, un modèle de croissance pour nos industries nationales, fondé sur l’innovation et la compétitivité de nos produits par plus de recherche et d’inventivité, plus de savoir-faire et plus de qualité.
M. Alain Gournac. Et dans le nucléaire ?
M. Philippe Esnol. Or, sur les 3 900 emplois supprimés en France, Peugeot annonce que 2 100 le seront dans le secteur de la recherche et du développement, qui devrait pourtant être le bénéficiaire principal des investissements, le moteur de la compétitivité, la garantie de la croissance.
Ces emplois supprimés représentent un drame humain, ainsi qu’une hypothèque grave pour l’avenir, posée sur la compétitivité de nos entreprises et la croissance de notre pays.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, je vous pose la question suivante : soutenez-vous, oui ou non, le plan de suppressions de postes présenté par PSA ? Si tel n’était pas le cas, qu’attend le Gouvernement pour s’attaquer enfin au redressement économique et industriel de nos entreprises et de notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, chacun aura pu apprécier la modération des propos que vous avez eu la gentillesse de m’adresser…
Sur le fond, le Président de la République a personnellement reçu le président du directoire de PSA, M. Varin, qui a pris des engagements fermes et définitifs : le programme envisagé ne comportera aucun licenciement, aucune mesure d’âge, aucun plan de départs volontaires. Il s’agira d’un dispositif social exemplaire, prévoyant la mise en œuvre d’un plan de formation et d’un traitement personnalisé du cas de chaque salarié, ainsi qu’un accompagnement spécifique des salariés intérimaires dont les contrats ne seraient pas renouvelés.
Ces engagements valent pour l’ensemble des sites industriels concernés, notamment ceux de Sochaux-Montbéliard. J’ajoute que PSA veillera particulièrement à ce que les sous-traitants ne soient pas affectés.
M. Robert Hue. C’est ça…
M. François Baroin, ministre. Le médiateur de la sous-traitance mis à la disposition des services de l’État dans tous les départements a la responsabilité de vérifier le respect de cet engagement particulier.
M. Jean-Jacques Mirassou. Molex !
M. François Baroin, ministre. Enfin, PSA a clairement réaffirmé son souhait de préserver son implantation industrielle dans notre pays, à Sochaux-Montbéliard comme ailleurs.
Je rappelle que PSA mènera en 2012 une politique d’embauche de 3 000 collaborateurs sous contrats à durée indéterminée, dont 1 300 ingénieurs et 1 700 ouvriers.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, en cette période de crise et de ralentissement économique, le Gouvernement, loin d’observer je ne sais quel silence complice, prend au contraire des initiatives témoignant que, pour lui, l’emploi ne sera jamais une variable d’ajustement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UCR.)
congé maternité
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Le 25 octobre dernier, les députés européens ont été confrontés à l’opposition du Conseil de l’Union européenne à l’adoption de la directive relative au congé de maternité minimal, lequel passerait de quatorze à vingt semaines, avec la garantie d’une indemnisation à 100 %.
Dans le contexte économique actuel, le Parlement européen est prêt à faire preuve de souplesse. La France, où la durée du congé de maternité minimal est de seize semaines, s’est déclarée ouverte à l’idée de la porter à dix-huit semaines. Cette position a été réaffirmée au Sénat le 1er juin dernier, lors du débat sur la proposition de loi relative à la modernisation du congé de maternité que j’avais déposée.
La première raison motivant le blocage du Conseil de l’Union européenne est le coût de la mesure ; la seconde est le risque d’éloignement de la femme du monde du travail.
Un tel progrès social représente effectivement un effort financier ; encore faut-il l’évaluer finement. Pour la France, un allongement à dix-huit semaines de la durée du congé de maternité avec le niveau d’indemnisation actuel ne coûterait que 250 millions d’euros, ce qui est acceptable. J’entends déjà le Gouvernement rétorquer que la gauche est dépensière et irresponsable (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.), quand lui est économe et vertueux. Mais nous n’avons aucune leçon à recevoir. Nous avons démontré, au cours de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, que l’on peut dépenser moins en étant plus justes et plus solidaires.
Quant au risque d’éloignement des femmes du monde du travail, de nombreuses entreprises, au travers des conventions collectives, offrent à leurs salariées parfois plusieurs semaines de congé de maternité supplémentaires. Croyez-vous vraiment que de telles mesures seraient prises si l’allongement du congé de maternité participait vraiment de l’éloignement des femmes du monde du travail ?
En allongeant le congé de maternité, nous améliorerons la sécurité et la santé des femmes qui travaillent, nous contribuerons à renforcer l’égalité entre les femmes. En France, 70 % d’entre elles prennent un congé pathologique de deux semaines, ce qui permet d’ailleurs au Gouvernement de dire que la durée du congé de maternité est déjà, en pratique, de dix-huit semaines dans notre pays. Mais cela n’est pas vrai pour toutes les femmes. La situation actuelle induit une inégalité de fait entre les femmes, et ce n’est pas acceptable.
Madame la secrétaire d’État, la France entend-elle être moteur dans l’avancement de l’Europe sociale, en levant le blocage du Conseil de l’Union européenne ? Si oui, il est impératif d’agir maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Claude Greff, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, chargée de la famille. Je voudrais tout d’abord saluer le fait que certains membres de cette assemblée arborent aujourd'hui le petit insigne blanc qui témoigne de leur engagement contre les violences faites aux femmes. C’est une cause que vous défendez vous aussi, madame la sénatrice, puisque vous avez été membre de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de la Haute Assemblée.
Je suis particulièrement engagée dans ce combat, aux côtés de Roselyne Bachelot-Narquin. Je souhaite d’ailleurs l’intensifier, s’agissant notamment des incidences des violences conjugales sur les enfants. Il est important de rappeler l’existence d’un numéro d’appel dédié, le 39-19, qui doit devenir aussi connu de tous nos concitoyens que ceux des pompiers ou des urgences médicales.
Madame la sénatrice, le congé de maternité est à l’évidence un temps essentiel pour bien accueillir un enfant. Notre politique familiale le permet et nous devons tous en être fiers. C’est aussi grâce à elle que notre taux de natalité s’élève à deux enfants par femme et que celui de l’activité professionnelle des femmes atteint 85 %.
Dois-je rappeler que, en 2010, plus de 820 000 enfants sont nés dans notre pays ? C’est le résultat d’une politique familiale ambitieuse. Les crédits alloués à celle-ci sont en effet passés de 4,7 % de la richesse nationale en 2006 à 5,1 % en 2010. Malheureusement, la crise économique qui touche notre pays ne nous permet pas de nouvelles dépenses au bénéfice de la branche famille, sauf à les financer à crédit !
Nous avons eu de nombreuses fois l’occasion d’exprimer la position du ministère sur le congé de maternité, plus particulièrement lors de la discussion de la proposition de loi relative à la modernisation du congé de maternité que vous avez déposée, madame la sénatrice. L’allongement de sa durée de seize à dix-huit semaines représenterait, pour la sécurité sociale, une charge supplémentaire de 170 millions d’euros dans le cadre du dispositif actuel. La dépense dépasserait 1,1 milliard d’euros si nous retenions la disposition votée par le Parlement européen.
Mme Gisèle Printz. Ce n’est pas vrai !
Mme Claude Greff, secrétaire d'État. Une telle dépense est évidemment inenvisageable dans l’état actuel de nos finances publiques. L’allongement de la durée du congé de maternité représenterait également une charge supplémentaire pour les employeurs. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
En outre, un congé de maternité trop long pourrait constituer un frein à l’embauche des femmes, au développement de leur carrière…
Mme Cécile Cukierman. C’est faux !
Mme Claude Greff, secrétaire d'État. … et à leur progression salariale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas la faute des femmes !
Mme Claude Greff, secrétaire d'État. En toute hypothèse, nous ne devons pas établir de lien direct entre votre proposition de loi et la négociation communautaire.
Mme Cécile Cukierman. Il faut responsabiliser les entreprises !
Mme Claude Greff, secrétaire d'État. En effet, la directive européenne vise à poser des règles minimales harmonisées pour promouvoir la santé maternelle et infantile. Je rappelle qu’en France le congé de maternité est de seize semaines, quand la directive européenne prévoit de fixer sa durée minimale à quatorze semaines. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UCR.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Loi de finances pour 2012
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2012, adopté par l’Assemblée nationale.
Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation (suite)
M. le président. Dans la suite de l’examen des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », la parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis que le poste de secrétaire d’État aux anciens combattants ait enfin été pourvu, au mois de juin dernier ! Sa longue vacance a donné à penser que la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques avait également frappé ce secrétariat d’État. On pouvait craindre que les anciens combattants ne soient les grands oubliés du dernier remaniement ministériel.
Cette année – comme les années précédentes, serais-je tenté d’ajouter –, le budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » est en baisse. Il s’établit à 3,176 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une diminution de 4,34 %.
Nous savons que les temps sont difficiles, mais le fait que ces crédits baissent par rapport à 2011 ne permettra pas de répondre aux revendications légitimes des anciens combattants, que nous considérons comme prioritaires et urgentes.
Il n’est pas acceptable que la crise financière traversée par notre pays serve à justifier l’impossibilité de prendre des décisions nouvelles en faveur du monde combattant, d’autant que l’érosion normale des effectifs des ayants droit peut permettre de dégager les moyens de répondre aux demandes des anciens combattants.
Le budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » n’est pas un budget comme les autres : il exprime la reconnaissance de la Nation à celles et à ceux qui ont engagé leur vie pour défendre le pays.
Or le programme 167, « Liens entre la nation et son armée », subit une baisse de 16,4 millions d’euros de ses crédits de paiement, dont 14,8 millions d’euros pour la seule action n° 2, ce qui traduit une réduction du nombre des emplois.
Ainsi, l’ensemble des emplois dévolus à la Journée défense et citoyenneté et à la politique de mémoire représentaient 2 113 équivalents temps plein travaillé en 2011. En 2012, ce chiffre descendra à 1 587, soit 526 emplois supprimés, dont 148 suppressions sèches. Je m’interroge sur la volonté du Gouvernement d’atteindre l’objectif de créer et de maintenir le lien entre la Nation et son armée !
Le programme 169, « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant », est consacré au paiement des prestations dues à divers titres aux anciens combattants. Ses crédits atteignent 2,9 milliards d’euros pour 2012, contre 3,07 milliards d’euros en 2011. Les crédits de paiement, qui correspondent presque entièrement à des dépenses contraintes, baissent de 128 millions d’euros.
L’action n° 1 de ce programme, Administration de la dette viagère, laquelle comprend la retraite du combattant et les pensions militaires d’invalidité, voit ses moyens diminuer de 91 millions d’euros.
Bien évidemment, la hausse de 4 points de la retraite du combattant, enfin portée à 48 points, est une satisfaction pour le monde combattant. Il était temps ! L’approche de l’élection présidentielle n’est probablement pas tout à fait étrangère à cette évolution bienvenue… Mais, là encore, vous vous arrêtez au milieu du gué, monsieur le secrétaire d’État ! Cette augmentation n’interviendra en effet qu’en cours d’année, plus précisément au 1er juillet 2012 : encore une occasion manquée !
Il aura fallu attendre la fin du quinquennat pour parvenir à un tel résultat. Cela ternit quelque peu l’expression de la reconnaissance de la Nation aux femmes et aux hommes qui se sont engagés pour défendre notre pays. Se servir de la démographie du monde des combattants comme variable d’ajustement de votre politique n’honore pas le Gouvernement !
L’action n° 2, Gestion des droits liés aux pensions militaires d’invalidité, voit également ses crédits baisser de 11,8 %. Ceux de l’action n° 3, Solidarité, diminuent aussi.
Les crédits de la rente mutualiste régressent, quant à eux, de 62 820 euros. Je tiens tout de même à rappeler que le Président de la République s’était engagé à la porter à 130 points. En 2007, elle était à 125 points ; elle est toujours à 125 points aujourd'hui ! Et qu’en est-il de l’allocation différentielle de solidarité, dont le montant devait être rehaussé au niveau du seuil de pauvreté ?
Les crédits des subventions aux associations sont quasiment divisés par deux.
Enfin, si la dotation sociale de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC, augmente très légèrement, passant de 19,6 millions d’euros à 20,1 millions d’euros, sa subvention de fonctionnement reste, en revanche, stable. Cela étant, au-delà des chiffres, la réorganisation des services et des moyens qui lui sont affectés a considérablement dégradé la qualité du service. Ainsi, pour le programme 169, l’indicateur de performance lié au délai moyen de traitement des dossiers de pension militaire d’invalidité se détériore, ce délai moyen étant passé de 370 jours en 2009 à 431 jours en 2010 !
J’en viens au programme 158, « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale ».
Dernièrement, vous avez rencontré le président et les membres de l’Association nationale des pupilles de la Nation, orphelins de guerre ou du devoir. Vous leur auriez laissé entendre qu’un décret unique concernant les pupilles de la Nation de tous les conflits était en préparation, pour être publié avant la fin de l’exercice. Il s’agissait d’une promesse du Président de la République ; une de plus !
Je souhaite maintenant vous interpeller sur plusieurs points.
Premièrement, je voudrais évoquer le bénéfice de la campagne double pour les anciens combattants de la guerre d’Algérie, thème sur lequel j’ai déposé une proposition de loi. Une décision récente du Conseil d’État, en date du 17 mars 2010, a enjoint au secrétariat d'État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants et au ministère du budget d’attribuer le bénéfice de la campagne double aux titulaires des pensions civiles et militaires de l’État ayant participé à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc.
Or le décret du 29 juillet 2010 portant attribution du bénéfice de la campagne double aux anciens combattants d’Afrique du Nord ne répond pas aux attentes, puisque seules les pensions liquidées à compter du 19 octobre 1999 pourront être révisées. Ainsi, le texte se trouve vidé de sa portée. La mesure devrait s’appliquer non seulement aux fonctionnaires et assimilés, mais également aux salariés du secteur privé. Combien d’entre eux pourront-ils réellement en bénéficier ? Je souhaite que ce dossier soit revu et traité comme il se doit.
Deuxièmement, pour avoir effectué un service militaire de vingt-huit mois dans les Aurès, je suis attaché, on le comprendra, à la commémoration de la fin de la guerre d’Algérie. À cet égard, les anciens combattants d’Afrique du Nord réaffirment leur volonté d’obtenir la reconnaissance officielle de la date du 19 mars 1962 comme celle de la commémoration du cessez-le-feu, donc de la fin de la guerre en Algérie. Monsieur le secrétaire d’État, faites droit à cette légitime revendication des anciens combattants d’Afrique du Nord ! Vous leur devez, nous leur devons, le pays leur doit cet hommage et cette reconnaissance. Il ne s’agit pas là d’une question budgétaire.
Troisièmement, je souhaite attirer votre attention sur la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Des rencontres ont-elles été organisées avec les représentants des associations concernées ?
Enfin, nous nous opposerons au projet, annoncé par le Président de la République, de faire du 11 novembre la date unique de commémoration du souvenir des soldats français tués en opérations. Nous sommes particulièrement attachés au maintien de chacune des journées du souvenir, pour que les générations futures conservent la mémoire de notre histoire.
Monsieur le secrétaire d’État, votre projet de budget comporte un certain nombre d’avancées, mais de nombreux problèmes restent malheureusement en suspens. Il ne répond pas complètement aux attentes du monde combattant, qui sont, vous en conviendrez, parfaitement légitimes. Aussi ne pourrai-je pas le voter en l’état. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis de ceux qui, parmi des milliers d’autres, ont traversé la « grande bleue » entre 1954 et 1962 pour appliquer la volonté de la France sur le sol algérien, marqué, depuis les événements survenus le 1er novembre 1954 dans les gorges de Rassira, par le mécontentement, puis la révolte, la rébellion et, enfin, disons-le, la guerre !
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes partis sans hésitation, sans un murmure, en acceptant les volontés des gouvernements successifs, qui furent, dans un premier temps, que la terre algérienne reste une province française, avant qu’une autre vision des choses, d’ailleurs positive, ne prévale.
Mais le conflit s’enlisait, se durcissait ; le sang coulait inutilement, comme souvent dans les guerres. Il fallait porter un regard constructif sur l’avenir.
Alors – je le dis sans sectarisme, ni esprit partisan –, le plus grand des Français, celui qui a été élu par le pays entier, a été appelé. Il a considéré la France et le monde avec son exceptionnelle capacité d’analyse de visionnaire. C’est ainsi qu’a été engagée l’œuvre de pacification, beaucoup ayant pris conscience qu’un cessez-le-feu était nécessaire, dans l’intérêt des deux pays. Mais déjà le mal était déjà fait, monsieur le secrétaire d’État ! Plus de 30 000 soldats français avaient inutilement laissé leur vie sur ces terres d’Afrique du Nord, de même que de nombreux Algériens… Alors, pourquoi continuer ?
Le message de la France à un nouveau soldat repose sur la dernière phrase des bases de la discipline, que je peux réciter par cœur, ayant été sous-lieutenant en Algérie : « La réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi. »
Oui, nous avons obéi, laissant en métropole nos parents, nos fiancées, notre formation interrompue, et peut-être aussi notre avenir ! Notre idéal de jeunes de vingt ans a été, en outre, quelque peu mis à l’épreuve…
Oui, les soldats de l’armée française ont obéi dans l’exécution de leurs différentes missions. Il est normal qu’ils revendiquent aujourd'hui leurs droits, après avoir fait leur devoir !
Monsieur le secrétaire d’État, désormais, quand nous regardons la rubrique décès dans notre presse locale, nous voyons très souvent figurer la mention « ancien d’Afrique du Nord » ou « ancien d’Algérie ». Cela signifie que les paupières de ceux qui ont connu le stress de la peur, de la solitude, de l’incertitude, qui ont été blessés ou qui ont vu la mort de près, se ferment définitivement. Pour faire partie des associations d’anciens combattants, je sais que les souvenirs d’Algérie restent forts dans les mémoires, même si notre nombre se réduit tous les jours.
Toutes les morts, comme toutes les guerres, sont souvent inutiles – si l’on peut tirer des enseignements pour l’avenir, on ne peut pas supprimer le passé –, mais soyons conscients que les anciens d’Afrique du Nord, je le dis avec beaucoup de modestie et sans faux orgueil, resteront un exemple de discipline, de dignité et de solidarité. Ils souhaiteraient que cette reconnaissance soit plus forte, mais leur demande est pacifique. Ils ne descendent pas dans la rue et ne cassent rien. C’est une aspiration silencieuse.
Oui, depuis cinquante ans, nous pouvons nous réjouir et être fiers que la France ait su éviter tout conflit mondial ! Si des choses peuvent nous opposer, ce constat essentiel doit nous réunir. Nous nous félicitons donc que, depuis 1962, la France ne se soit pas engagée dans des dossiers difficiles.
Oui, je le répète, notre nombre diminue tous les jours et ceux qui restent ne sont pas des casseurs de société ; ce sont des bâtisseurs qui peuvent regarder dans le rétroviseur de leur vie et être fiers des familles qu’ils ont construites !
Votre nomination, monsieur Marc Laffineur, au poste de secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants est un événement positif. Cette officialisation a été, pour ceux qui ont servi la France en Algérie, un signe fort de reconnaissance et d’approbation. Il fallait le dire, ce que je fais aujourd’hui dans cet hémicycle avec beaucoup de vérité et sans aucune démagogie.
Les anciens combattants représentent encore une force humaine et sociale de première importance avec plus de 1,5 million de personnes titulaires de la carte du combattant, auxquelles s’ajoutent les veuves et les orphelins, soit plus de 3 millions de personnes très attachées à leur représentation ministérielle et à vous, monsieur le secrétaire d’État, qui apportez cette référence voulue par le Président de la République à la guerre d’Algérie. Cette référence dépasse les clivages politiques : de droite ou de gauche, quand nous étions en Algérie et que les balles sifflaient à nos oreilles, nous souhaitions tous retrouver la France et la paix ! Je vous remercie, grâce à vous, toutes les personnes qui ont souffert lors de cette guerre se sentent plus soutenues et mieux comprises.
Malgré un contexte budgétaire difficile, le Gouvernement a voulu apporter aux anciens combattants une réponse, comme le Président de la République s’y était engagé. Ils méritent cette reconnaissance.
Rendons à César ce qui lui appartient : le projet de loi de finances pour 2012 prévoit de revaloriser de 4 points la retraite du combattant. Pour être actif dans le monde des anciens combattants, sur le plan local comme sur le plan national, je puis vous assurer, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que le geste du Président de la République a été apprécié !
En définitive, la retraite du combattant aura été augmentée de 30 % entre 2007 et 2012. Reconnaissons que les engagements du Président de la République ont été respectés intégralement. C’est la raison pour laquelle, en mon nom propre, mais pas uniquement, je vous dis encore une fois merci !
M. René Garrec. Très bien !
M. Jean Boyer. En conclusion, sans vouloir jeter une ombre sur ce que je viens de dire, je rappelle que le combat des anciens d’Algérie n’est pas le même aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. À cette époque, ils servaient la France. Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ils servent la paix parce qu’ils font partie des sages. S’ils aspirent à la reconnaissance de la France, ils le font sans manifester, sans casser, car, même à soixante-dix ou à soixante-quinze ans, ils restent des bâtisseurs ! Or, que nous soyons en Normandie, dans le Var, en Lorraine, dans le Massif central ou dans le Nord, chaque jour les journaux locaux nous rappellent que certains des nôtres disparaissent.
Dans cette troisième et dernière partie de la vie, je souhaite que la France soit courageuse, qu’elle voit en nous une image généreuse du passé. S’il y avait aujourd’hui un conflit, combien embarqueraient, sans hésitation ni murmure, comme nous l’avons fait sur le Ville de Marseille ou le Ville d’Alger pour une terre déchirée, pour risquer leur vie ?