M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le secrétaire d’État ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je vous en prie, monsieur le président de la commission des finances.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l’autorisation de M. le secrétaire d’État.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je voudrais que le Gouvernement use de toute son autorité sur les banques pour clarifier la situation de leurs fonds propres.
En 2007, deux grandes banques nationales avaient racheté, l’une pour 2,5 milliards d’euros et l’autre pour 1,5 milliard d’euros, leurs propres actions sur le marché. Je pense donc que les dirigeants des banques doivent recevoir une admonestation très ferme…
M. Robert del Picchia. Ou au moins des incitations !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … de la part du Gouvernement sur les capitaux propres, car, il n’y a encore pas si longtemps, les banques rachetaient leurs propres actions sur le marché !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Votre remarque, monsieur le président de la commission des finances, est tout à fait pertinente.
Vous souhaitez, monsieur Sutour, que les règles du G 20 soient contraignantes au niveau européen. Sachez que le Gouvernement avance dans deux directions. Ces règles seront mises en œuvre dans les prochains jours en France, comme je l’ai indiqué à Mme Nicole Bricq, mais nous souhaitons qu’elles soient appliquées également à l’échelon européen.
C’est pourquoi la France a soutenu l’intégration des règles du G 20 au sein de la directive bancaire. Ce point est acquis aujourd'hui, et Gouvernement a devancé vos souhaits.
Mme Nicole Bricq. Nous attendons !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Monsieur Vera, vous vous interrogez sur la sollicitude du Gouvernement à l’égard des banques. Cette sollicitude coûte cher à ces dernières puisque le Gouvernement leur fait payer le soutien de l’État : elles devront s’acquitter de 1,4 milliard d’euros en 2009 pour rémunérer la garantie accordée par ce dernier à la Société de financement de l’économie française.
À cette somme de 1,4 milliard d’euros, s’ajoutent 713 millions d’euros que les banques verseront lors du remboursement des 13 milliards d’euros accordés à celles-ci par la Société de prise de participation de l’État.
Ce sont donc près de 2,1 milliards d’euros que les banques paieront in fine à l’État.
En outre, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous demandons la multiplication par trois des exigences de fonds propres sur les activités de trading. Concrètement, nous proposons de réduire significativement la rentabilité de ces opérations pour les banques.
Par ailleurs, le Gouvernement propose que les banques paient pour le contrôle du secteur bancaire en lieu et place des contribuables, ce qui représente de 100 millions à 150 millions d’euros.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, il s’agit donc d’une sollicitude qui coûte cher aux banques !
M. Richard Yung n’est pas d’accord avec moi quand j’affirme que la proposition de résolution arrive à contretemps. Tous les arguments que j’ai avancés prouvent pourtant que j’ai raison. Soit les dispositifs que vous proposez sont déjà mis en œuvre, soit ils le seront très prochainement dans la prochaine directive européenne.
Prenons un exemple. Vous exigez aujourd'hui la mise en place de règles afin d’encadrer la rémunération des opérateurs de marché.
Le Gouvernement a déjà obtenu l’adoption de telles règles par le G 20 en ce qui concerne les bonus et les rémunérations. Tous les pays du G 20 se sont ralliés à la demande française, et le G 20 a approuvé les règles proposées par le Conseil de stabilité financière, qui prévoit un encadrement des rémunérations, l’interdiction de bonus garantis et le paiement différé, et en actions, d’une partie substantielle de la rémunération. Tout cela figure déjà dans la directive européenne.
Enfin, sur le plan national, le Gouvernement n’en est plus au stade des propositions, mais il publiera dans les prochains jours un arrêté afin d’inscrire dans notre droit les règles du G 20.
Mme Nicole Bricq. Nous le lirons attentivement !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il va vous falloir patienter seulement quelques jours, madame la sénatrice !
M. Richard Yung, s’inspirant de ce qui s’est fait aux États-Unis, propose de séparer les activités de spéculation des activités de crédit.
Cependant, rien dans votre proposition d’aujourd'hui ne reflète cette orientation. C’est même plutôt le contraire !
Nous, en revanche, nous établissons cette distinction, puisque nous proposons d’augmenter les exigences de fonds propres pour les activités risquées et nous ne prévoyons pas de restreindre l’accès au crédit.
Mme Nicole Bricq. Nous non plus ! Vous avez mal lu notre proposition !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Nous avons demandé la multiplication par trois des exigences de fonds propres sur les activités de trading, car nous voulons moins de spéculation et plus de crédits en faveur des entreprises et des ménages.
Pour terminer, je me félicite des propos de M. Bourdin. (Murmures ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Il n’a rien dit !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ils rejoignent très largement la position du Gouvernement, ce qui prouve la solidité de la majorité et le soutien qu’elle apporte aux propositions gouvernementales.
Je félicite également M. le rapporteur de la finesse de ses analyses, et je le remercie d’avoir exposé, comme j’ai tenté de le faire après lui, les raisons pour lesquelles il ne faut pas adopter la proposition de résolution dont nous débattons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Sur la proposition de résolution européenne, je n’ai été saisi d’aucun amendement.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne, je donne la parole à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, il s’agira plus d’un rappel au règlement que d’une explication de vote !
La réforme de la Constitution était censée ouvrir au Parlement un espace de dialogue et lui apporter un droit d’initiative en ce qui concerne les débats.
Or, chaque fois que le groupe socialiste ou le groupe CRC-SPG présente une proposition de loi, les travées de la majorité sont quasi désertes !
La réforme de la Constitution trouve donc ici ses limites.
M. Joël Bourdin. Nous sommes là !
M. Robert del Picchia. Et nous alors ?
Mme Nicole Bricq. Je ne parle pas des collègues présents, notamment de ceux qui viennent d’arriver !
M. Philippe Marini, rapporteur. On ne peut parler qu’aux présents ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq. Le sujet dont nous discutons ce matin est essentiel, puisqu’il concerne toute la société française. Il est dommage de l’inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée, puis de refuser d’en débattre.
J’ajoute que l’intervention du groupe UMP – M. Bourdin n’est pas personnellement en cause – n’a rien apporté au fond du débat, ce qui est regrettable. (M. Joël Bourdin s’exclame.)
Le groupe socialiste ne manquera pas de se poser la question de sa participation à de telles séances. Pourquoi continuerions-nous à proposer des sujets de débat aussi importants s’ils ne trouvent aucun écho ?
On nous a dit que le moment était mal choisi, etc. Nous avons essayé de prouver le contraire.
On peut ne pas être d’accord sur l’opportunité d’un texte, mais il faut que tous les groupes débattent sur le fond, faute de quoi la réforme constitutionnelle perdra tout sens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Ma chère collègue, je transmettrai au président du Sénat vos remarques afin qu’elles nourrissent une réflexion plus globale sur les semaines de contrôle et les semaines d’initiative sénatoriale.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Le propos tenu par notre collègue Mme Nicole Bricq doit nous inciter, sur toutes les travées de l’hémicycle, à nous poser des questions.
Il est de notre devoir de bien utiliser les espaces de temps parlementaire qui nous sont réservés : il en va de la crédibilité du Parlement et des groupes politiques. Le sujet soulevé est donc extrêmement sérieux, et il ne saurait être écarté d’un revers de main.
Mes chers collègues, nous avons le choix entre deux comportements.
Soit nous décidons d’utiliser ces temps parlementaires pour élaborer des textes, pour définir des rédactions et pour les inscrire dans le droit positif. Il nous faudra alors tous accepter des compromis et nous atteler à un vrai travail sur les textes. C’est d’ailleurs ce que nous faisons, souvent dans l’obscurité, à l’occasion de l’examen de nombreux projets de loi et propositions de loi. C’est un travail ingrat, car trouver des compromis suppose par définition quelques sacrifices de part et d’autre par rapport aux positions d’origine.
Soit nous voulons afficher en toute lisibilité, à l’égard de l’extérieur, des thèses. C’est ce que le groupe socialiste a fait en déposant cette proposition de résolution européenne, et c’est parfaitement légitime.
Dès lors que vous voulez être lisibles, dès lors que vous souhaitez porter une initiative, non pour qu’elle s’intègre dans le droit positif mais pour qu’elle fasse évoluer les choses de manière structurelle, vous quittez la logique du dialogue qui conduit à l’élaboration d’un texte puisque tout compromis affaiblirait votre démarche.
De la même manière, toute recherche d’une synthèse nous mettrait en contradiction avec les principes et avec la vision de l’économie qui sont les nôtres.
À la vérité, vous partez du système financier et des règles prudentielles, et vous souhaitez, ce qui est une noble ambition, définir un nouveau droit des rémunérations de l’encadrement des entreprises.
Mme Nicole Bricq. Cela en fait partie !
M. Philippe Marini, rapporteur. C’est aussi ça qui est en jeu, et pas seulement le secteur financier !
Notre collègue M. Richard Yung a en effet bien montré, tout à l’heure, quelle était votre logique, laquelle est respectable en tant que telle.
M. Alain Gournac. Mais ce n’est pas la nôtre !
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais c’est une logique politique,…
Mme Nicole Bricq. Et la vôtre, elle est quoi ?
M. Philippe Marini, rapporteur. … et il n’est pas possible que nous nous retrouvions en elle.
En effet, la plupart d’entre nous considèrent qu’il ne revient pas à l’État de définir une échelle des rémunérations dans les entreprises privées. Il n’a aucune légitimité pour fixer l’écart maximum entre les plus hautes et les plus basses rémunérations.
Certains modes d’organisation sociale ont mis le conducteur de tracteur et le professeur d’université sur la même échelle. Je ne vous ferai pas l’injure de supposer que vous vous retrouvez sur ces schémas d’autrefois, qui avaient néanmoins le mérite de la clarté ! Après tout, il se trouve encore des gens pour être les héritiers de ces idéologies, notamment dans les pays qui ont connu des organisations politiques de cette nature.
Quoi qu’il en soit, pour en revenir au texte qui nous occupe ce matin, je rappelle que vous n’avez pas voulu, en commission, entrer dans un travail d’amendements qui aurait permis d’aboutir à une proposition de synthèse : c’était possible, car il existe un large tronc commun – M. le secrétaire d'État l’a dit très justement – entre vos propositions et ce qui figure déjà dans les documents faisant l’objet d’un consensus entre nous.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous aurions pu amender le texte et aboutir à une rédaction commune ; nous y étions prêts.
Mme Nicole Bricq. Nous aussi !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous ne l’avez pas souhaité, préférant arriver en séance sous le feu des nombreux projecteurs, devant une assistance fournie (Protestations sur les travées du groupe socialiste.), avec toute la pureté de votre vision de la politique des rémunérations.
M. le président. Monsieur le rapporteur, vous avez épuisé votre temps de parole !
M. Philippe Marini, rapporteur. Pour ces raisons, je ne peux que persister dans la recommandation que la commission des finances a émise tout à l’heure. Et, avec l’accord du président de la commission des finances, je demande un vote par scrutin public.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. La grande majorité du groupe de l’Union centriste suivra la position de la commission des finances, ceux de mes collègues qui sont membres de la commission des affaires européennes se ralliant à l’avis qu’a exprimé cette dernière.
En ce qui concerne les nouveaux exercices de la vie sénatoriale, je suis pleinement d’accord M. le rapporteur. Il y a un choix fondamental à faire. Soit ces fenêtres sont pour nous l’occasion d’exprimer les positions de fond des groupes, et nous acceptons la règle qui prévaut en matière de vote, soit nous essayons de nous extraire de nos visions quelquefois dogmatiques et de nos tabous habituels, qui nous conduisent parfois à des exercices quelque peu caricaturaux.
Si nous sommes prêts à entrer dans une démarche législative qui fasse justice des considérations partisanes, nous pourrons progresser. Mais si chacun veut pouvoir conserver en séance publique la pureté de la position qu’il avait adoptée lors du dépôt de sa proposition de loi ou de résolution, nous continuerons à rencontrer les mêmes difficultés que ce matin.
Nous devons donc procéder, dès aujourd’hui, à l’évaluation de ces nouveaux dispositifs, qu’il s’agisse de la semaine réservée au contrôle ou de la semaine d’initiative sénatoriale. En fonction de cette évaluation, nous pourrons adapter notre pratique pour la rendre plus constructive ; car il n’est pas démontré qu’elle le soit aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, le débat de ce matin sur les rémunérations conserve tout son intérêt. On pourrait par exemple s’interroger sur la pratique des « retraites chapeau », qui ne me paraît pas exactement conforme aux préconisations des organisations patronales, selon lesquelles les rémunérations exceptionnelles doivent être attribuées en fonction des performances de l’entreprise. Or il n’est pas démontré que leurs bénéficiaires, lorsqu’ils prennent leur retraite, soient encore en phase avec les performances de l’entreprise. Ce constat devrait nous conduire à prohiber une telle pratique.
M. Dominique Leclerc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, mon explication de vote sera aussi une réponse à M. le rapporteur.
Il est clair que le groupe socialiste adoptera cette proposition de résolution européenne.
M. Robert del Picchia. Il la votera !
M. Jean-Marc Todeschini. Excusez-moi ! J’oubliais que, la majorité étant présente par l’artifice du scrutin public, notre proposition serait repoussée !
Notre collègue Nicole Bricq a soulevé tout à l’heure de vrais problèmes de fond. On nous avait dit que la révision constitutionnelle de 2008 permettrait d’améliorer le travail parlementaire. Or force est de constater que l’on nous occupe, effectivement, mais que la réalité du travail parlementaire ne s’est pas améliorée !
Je suis d’accord avec les propos de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des finances. Mais il ne s’agit pas d’entrer dans la voie de la compromission, car les compromis sont faciles à trouver, et chacun peut défendre la pureté de ses analyses. Mais si le travail parlementaire se résume à laisser parler les orateurs sans tenir compte de leurs propos, il faut effectivement réviser le fonctionnement de cette semaine d’initiative sénatoriale. Il est trop facile pour nos collègues de la majorité de faire « trois petits tours et puis s’en vont », de se contenter d’arriver au moment du vote pour demander un scrutin public ! La qualité du travail parlementaire n’en est pas améliorée.
M. Jean Arthuis. On pourrait remettre en cause la procédure du scrutin public !
M. le président. Sans prolonger indûment le débat ni prendre parti, mes chers collègues, je me permets d’intervenir, puisque j’ai un peu participé à la rédaction de notre règlement et que je suis censé veiller à la manière dont il est appliqué.
Lors de nos travaux préparatoires, la volonté de l’ensemble du groupe de travail s’est clairement exprimée : il a souhaité permettre à la fois l’expression de la position des auteurs des propositions de loi sans que celles-ci soient dénaturées et, dans l’hypothèse où la commission procéderait à un deuxième examen du texte, le dépôt d’amendements.
La proposition de loi ou de résolution peut donc être discutée en séance publique sans qu’aucun amendement soit déposé, mais il est aussi possible de présenter un texte qui conserve sa cohérence, puis de l’amender en séance publique.
Quoi qu’il en soit, je pense que nous serons amenés à reprendre ce débat.
J’en reviens à la proposition de résolution européenne.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant de la commission des finances et du groupe de l’UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 8 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 185 |
Le Sénat n’a pas adopté.
4
Assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale
Adoption d’une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d’assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale, présentée par M. Claude Domeizel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 598 rectifié bis, 2008-2009 ; nos 33 et 32, 2009-2010).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de loi.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le paysage de nos retraites se compose de pas moins de trente-cinq régimes obligatoires, qu’ils soient de base ou complémentaires. Il n’est donc pas étonnant que nos concitoyens aient parfois du mal à s’y retrouver !
Parmi ces trente-cinq régimes, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL – je n’ai pas besoin de la présenter longuement ici ! – assure le versement des retraites à plus de 930 000 pensionnés des fonctions publiques territoriale et hospitalière.
Peut-être dois-je tout de même éclairer notre assemblée en rappelant quelques caractéristiques de ce régime, qui est le troisième en importance après le régime général et celui des agents de l’État.
Au début de cette année, la CNRACL comptait 2 036 000 actifs et 932 000 retraités. Son ratio démographique, de 2,18 actifs pour un retraité, est donc toujours favorable du point de vue de son équilibre financier. Mais ce constat ne doit pas masquer la réalité : comme tous les régimes, la CNRACL connaît une dégradation lente mais permanente de ce ratio, qui a atteint son sommet dans les années 1980 avec 4,5 actifs pour un retraité.
Diverses dispositions, telles que le transfert de personnels de l’État dans le cadre de la décentralisation, la compensation entre régimes spéciaux, voire les exonérations de contribution des centres communaux d’action sociale et des centres intercommunaux d’action sociale, les CCAS et les CIAS, ont eu une incidence sur l’équilibre des comptes du régime. La présente proposition de loi a pour objet de neutraliser leurs effets et de clarifier les relations financières entre l’État et le régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
Le groupe socialiste, apparentés et rattachés considère également qu’il est indispensable de préparer l’avenir, car, dès 2018, l’équilibre financier de la caisse de retraite des fonctionnaires hospitaliers et territoriaux sera rompu négativement.
Pour une meilleure compréhension, il me paraît indispensable de dresser un historique et un bilan de la participation de la CNRACL à la solidarité intergénérationnelle entre régimes.
À cet instant, permettez-moi de rappeler que le système de retraite par répartition est fondé sur la solidarité entre les actifs et les retraités. Néanmoins, pour tenir compte de l’évolution des secteurs d’activité, la solidarité doit aussi s’exercer entre régimes organisés sur le principe de la répartition au sein d’un groupe socioprofessionnel. En effet, les évolutions socio-économiques que le pays a vécues depuis la Seconde Guerre mondiale ont bouleversé le paysage en fonction duquel s’étaient établis les grands principes qui sous-tendent le fonctionnement des régimes de retraite par répartition. Il résulte de ces mutations que certains de ces régimes, comme celui des mines, ont éprouvé, avec le temps, de plus en plus de difficultés pour assurer l’équilibre de gestion que suppose le principe de répartition.
C’est la raison pour laquelle la loi du 24 décembre 1974, relative à la protection sociale commune à tous les Français, a institué une compensation financière destinée à remédier aux déséquilibres démographiques qui se faisaient jour tant entre les régimes d’assurance vieillesse des salariés qu’entre les régimes des salariés et ceux des non-salariés. Cette compensation généralisée entre régimes de retraite de base a pour objet de corriger, dans le respect de l’autonomie des régimes de protection sociale, les déséquilibres de financement provoqués par les mutations socio-économiques que je viens d’évoquer. Fondée sur la pension la plus basse, celle du régime agricole, elle s’est en fait traduite, pour la CNRACL, par un prélèvement atteignant jusqu’à 1,5 milliard d’euros par an, soit 34 milliards d’euros depuis 1975.
Mais venons-en au deuxième étage de la fusée : la célèbre et tant décriée « surcompensation ».
La loi de finances pour 1986 a posé le principe d’une compensation complémentaire interne aux régimes spéciaux d’assurance vieillesse, censée renforcer les mécanismes de solidarité entre ces régimes, qui était fondée sur le montant de la pension moyenne versée par ces régimes. En fait, il s’agissait tout simplement de venir puiser environ 4 milliards de francs de l’époque dans les réserves de la CNRACL.
Cependant, le résultat, issu de calculs complexes, étant nettement supérieur aux 4 milliards de francs attendus, la contribution de la CNRACL fut pondérée, dès 1986, par un coefficient réducteur de 22 %. Depuis cette date, c’est un simple décret qui fait varier ce coefficient, qui fut porté jusqu’à 38 % de 1993 à 2000. La surcompensation fut, en quelque sorte, une pompe très efficace dont la puissance d’aspiration dépendait d’un décret annuel !
Les prélèvements annuels ont atteint jusqu’à 1,5 milliard d’euros, soit plus de 27 milliards depuis 1986. Si on y ajoute la compensation généralisée, la CNRACL, c’est-à-dire le budget des hôpitaux, donc de la sécurité sociale, et des collectivités territoriales, donc de la fiscalité locale, a, depuis 1975, contribué pour plus de 61 milliards d’euros à la solidarité entre régimes.
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. C’est fou !
M. Claude Domeizel. Par nécessité plus que par générosité, la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a programmé la disparition de la compensation spécifique à compter du 1er janvier 2012.
Certes, c’est un décret annuel qui doit fixer la réduction progressive. Il nous est cependant apparu indispensable que la loi pose des balises, et l’exemple de l’année 2009, qui a vu la réduction progressive stoppée, nous y incite. Il est donc proposé à l’article 1er du présent texte que, pour les exercices 2010 et 2011, cette réduction ne soit pas inférieure à cinq points.
J’ai été un peu long dans la présentation de cette première partie : au moment où la surcompensation va disparaître, je n’ai pas résisté à l’envie de rappeler ce qu’aura été, pendant vingt-cinq ans, un système injuste, dénoncé et vainement combattu par l’ensemble des élus locaux.
Ce dispositif opaque et difficile à comprendre, relevant d’une décision discrétionnaire, a entraîné une hausse de la contribution employeur, et donc de l’impôt local. Le comble fut atteint lorsque la CNRACL, nettement excédentaire, dut emprunter pour faire face, en plus du versement des pensions – c’était la moindre des choses ! –, aux exorbitantes obligations liées à la compensation et à la surcompensation.
Venons-en maintenant aux fonctionnaires transférés de l’État vers les conseils généraux et régionaux, c’est-à-dire les personnels techniciens, ouvriers et de service, ou TOS, et les personnels des directions départementales de l’équipement. Dans la loi du 13 août 2004, il était envisagé, sans trop de précisions, de reporter à plus tard la résolution de cette question.
Combien sont ces fonctionnaires ? À ce jour, un peu plus de 102 000 ont été transférés vers les collectivités locales, dont 79 000 – une grande majorité, donc – ont choisi d’être intégrés. Pour la CNRACL, ces 79 000 intégrations ne sont pas marginales puisqu’elles représentent 6,5 % des fonctionnaires territoriaux et 4 % de l’ensemble des actifs de la caisse. Les autres fonctionnaires, au nombre de 23 000, sont dans une situation de détachement. Ils conservent donc leur droit à retraite au service des pensions de l’État.
Nous examinerons successivement les conséquences financières liées à ces deux catégories : les fonctionnaires intégrés et les fonctionnaires détachés.
La moyenne d’âge des 79 000 fonctionnaires intégrés est de quarante-sept ans, ce qui laisse présager des départs significatifs à la retraite aux environs de 2018. Toutefois, leur taux de féminisation – un peu plus de 50 % pour les plus âgés – est susceptible d’avancer dans le temps plusieurs vagues de départs massifs par l’application des pensions à jouissance immédiate. Celles-ci concernent les agents qui sont parents d’au moins trois enfants et ont accompli quinze ans de service.
Pour ces 79 000 fonctionnaires, mais aussi pour ceux qui seront intégrés ultérieurement, quatre solutions se présentaient aux pouvoirs publics.
La première était le rétablissement, à chaque départ à la retraite, des charges revenant à chacun des deux régimes. Un travail de bénédictin difficile à réaliser !
La deuxième solution consistait dans le versement par l’État d’une soulte à la CNRACL, avec le risque de voir ladite soulte disparaître des comptes de la caisse par le biais de la compensation. Quand je parlais de pompe aspirante... (Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, et M. Dominique Leclerc, rapporteur, rient.)
La troisième solution était de ne rien faire, ce qui, à long terme, se traduirait par une nouvelle iniquité flagrante au détriment de la CNRACL.
Enfin, la quatrième solution consistait à assurer la neutralité financière des transferts entre le compte d’affectation spéciale des pensions de l’État et la CNRACL.
C’est ce dernier dispositif qui figure dans la proposition de loi. Il prendrait effet à compter du 1er janvier suivant la promulgation du texte.
Pour ce groupe de fonctionnaires intégrés, que je qualifierai de « fermé », et jusqu’au départ à la retraite du dernier d’entre eux, le dispositif se traduira, d’une part, par un reversement à l’État des cotisations perçues par la CNRACL pour ces fonctionnaires et, d’autre part, par un remboursement par l’État des pensions de droit direct et de droit dérivé versées par la CNRACL.
Dans un premier temps, ces transferts seront profitables à l’État puisque le montant des cotisations reversées sera supérieur à celui des « prestations retraite » remboursées par l’État. Toutefois, et compte tenu des projections disponibles, le point d’équilibre financier de la CNRACL devrait être atteint dans les dix ou quinze années à venir, ce qui se traduira alors par une inversion des flux. Les modalités d’application de cet article sont renvoyées à une convention qui devrait être conclue entre l’État et la CNRACL.
Pour la seconde catégorie des transferts, les fonctionnaires en position de détachement, le taux de la contribution employeur est celui du régime des pensions civiles pour les fonctionnaires de l’État, soit 60,14 % à compter du 1er janvier 2009. Il était de 39,5 % en 2007 et de 50 % en 2008 : les cotisations fictives de l’État sont en progression !
Pour ces agents « décentralisés » qui ont opté pour le détachement, il est donc proposé de limiter le taux de la cotisation employeur au taux applicable à la CNRACL, soit 27,3 %. Cela nous paraît logique, car, lorsqu’une collectivité locale accueille des fonctionnaires de l’État en détachement dans les conditions de droit commun et sur la base du volontariat, elle s’engage en toute connaissance de cause, notamment, à verser à l’État une contribution patronale au taux le plus fort. Mais, dans le cas du détachement lié à la décentralisation, c’est le fonctionnaire qui a choisi, et non l’employeur.
Enfin, l’occasion nous est donnée grâce à la proposition de loi d’aborder à nouveau la problématique des centres communaux et intercommunaux d’action sociale, qui bénéficient depuis 1999 d’une exonération de la cotisation patronale d’assurance vieillesse. Cette exonération concerne certains de leurs fonctionnaires en contrepartie des tâches que ceux-ci effectuent au domicile de personnes bénéficiaires de prestations d’aide ménagère.
Afin d’éviter toute confusion sur le champ d’application de cette mesure, il est proposé à l’article 3 de préciser que l’exonération n’est possible qu’au titre des seuls fonctionnaires relevant du cadre d’emploi des agents sociaux. Faut-il ajouter que le montant des cotisations vieillesse ainsi exonérées au détriment de la CNRACL s’élevait à plus de 154 millions d’euros depuis la mise en œuvre du dispositif, en 1999 ?
L’article 3 a également pour objet d’instaurer une compensation intégrale de cette exonération au profit de la CNRACL.
Avant que je ne termine, vous me permettrez, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, d’attirer votre attention sur deux points qui, sans être directement liés à la proposition de loi, n’en concernent pas moins les retraites des agents chargés d’un service public.
Le premier a trait au projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales, que nous examinerons la semaine prochaine. Comme le transfert de personnels de l’État vers les collectivités locales, sujet que nous venons d’aborder, ce projet de loi aura des conséquences désastreuses – je dis bien : désastreuses – pour l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques, l’IRCANTEC, si les agents sont transférés vers l’Association générale des institutions de retraite des cadres, l’AGIRC, ou vers l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés, l’ARRCO. Le groupe socialiste présentera d’ailleurs un amendement visant à préserver l’avenir de l’IRCANTEC.
Le second point que je souhaitais aborder concerne trois décrets pris pendant la dernière période estivale, le 26 août 2009 précisément, dont l’objet est de porter création et organisation du service des retraites de l’État et d’instituer un comité de coordination stratégique en matière de retraites de l'État. Faut-il comprendre ces décrets, madame la secrétaire d'État, comme les prémices d’un véritable régime de retraite pour les fonctionnaires de l’État ? Le gouvernement que vous représentez ici a-t-il l’intention de créer, à plus ou moins long terme, un régime de retraite unique pour l’ensemble des fonctionnaires ? Car, je le rappelle, ces derniers n’ont pas de caisse de retraite et sont inscrits au Grand Livre de la dette publique !
Votre réponse, madame la secrétaire d'État, est susceptible d’intéresser non seulement les parlementaires, mais également tous les fonctionnaires, les collectivités locales et les hôpitaux, car une telle disposition aurait sur la cotisation patronale des conséquences que je vous laisse imaginer ! Je vous en rappelle les taux : de l’ordre de 60 % pour les agents transférés et de 27 % pour les agents détachés !
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous mesurerez l’importance de la présente proposition de loi, qui tend notamment à clarifier les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales. Vous comprendrez également que la solution proposée pour régler les flux financiers entre l’État et la CNRACL, d’une part, et la disparition de la surcompensation, d’autre part, sont étroitement liées. Il y va des bonnes – ou du moins de meilleures – relations entre l’État et les collectivités locales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)