M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales est l’un des principaux régimes spéciaux de sécurité sociale – nous le savons tous, et plus encore son président, notre excellent collègue Claude Domeizel !
En 2008, la CNRACL assurait, grâce aux cotisations versées par un peu plus de deux millions d’actifs cotisants, le paiement des retraites d’environ 900 000 pensionnés, dont 480 000 relevaient de la fonction publique territoriale et les 420 000 autres de la fonction publique hospitalière.
La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à préserver l’équilibre financier de la CNRACL, à l’heure où celle-ci est confrontée à deux évolutions qui affectent sensiblement et durablement ses comptes.
La première évolution tient aux mutations démographiques en cours depuis une vingtaine d’années. Comme l’ensemble des régimes de retraite, le régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers connaît, sous l’effet du vieillissement de la population, une dégradation continue de son ratio démographique – le rapport entre cotisants et pensionnés –, ce qui entraîne une progression plus rapide des charges de prestations : 8 % en 2008, que des produits de cotisations : 5 % la même année.
La seconde évolution est liée aux transferts de personnels opérés dans le cadre de la décentralisation. La mise en œuvre des transferts de compétences aux collectivités territoriales prévus par l’« acte II » de la décentralisation a en effet pour corollaire l’intégration massive d’agents de l’État dans la fonction publique territoriale, intégration qui se traduit par un afflux à la CNRACL de nouveaux affiliés qui sont non seulement les cotisants d’aujourd’hui, mais aussi les pensionnés de demain.
Les projections financières sont donc particulièrement inquiétantes. Durant la période 2020-2050, le solde de la caisse ne cessera de se dégrader, même s’il semble qu’il doive rester positif jusqu’en 2018 ou 2019. Le déficit atteindrait 1,1 milliard d’euros en 2020 et 11,3 milliards d’euros en 2050. Et encore peut-on craindre que ces prévisions ne soient trop optimistes, car elles ont été élaborées par le COR, le Conseil d’orientation des retraites, en 2007, à partir d’hypothèses de taux de chômage et de productivité du travail rendues caduques par la crise économique. De nouvelles projections du COR devraient prochainement revoir ces déficits à la hausse.
Fortement menacé à moyen et à long terme, l’équilibre des comptes de la CNRACL l’est aussi à plus brève échéance en raison de l’incidence financière de certains dispositifs, telles la surcompensation entre régimes spéciaux ou les exonérations de cotisations patronales dont bénéficient les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, les CCAS et les CIAS.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de remédier à l’ensemble de ces difficultés. Elle vise, d’une part, à neutraliser les effets financiers des mesures évoquées et, d’autre part, à régler la question de la compensation financière des transferts de personnels entre l’État et la CNRACL, dans le cadre de la deuxième vague de décentralisation.
La commission des affaires sociales, qui, bien sûr, est consciente que l’équilibre financier de la caisse est précaire, souscrit pleinement à ce double objectif. Elle apporte particulièrement son soutien à trois mesures.
Tout d’abord, elle est favorable à la poursuite de la diminution du taux de recouvrement de la surcompensation, afin que le dispositif puisse s’éteindre en 2012, conformément à ce que nous avions décidé dans la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
Ensuite, elle approuve le rétablissement du champ d’application initial de l’exonération de la cotisation patronale d’assurance vieillesse sur les rémunérations des aides à domicile employées par les CCAS et les CIAS. Elle y est d’autant plus favorable que cette mesure figure à l’article 18 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, que nous examinerons prochainement.
Enfin, elle partage le souci d’instaurer un dispositif de neutralisation des effets financiers des transferts de personnels entre l’État et la CNRACL, dispositif dont le mécanisme, je le précise, est repris à l’article 27 du projet de loi de finances pour 2010.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous estimons que le texte qui nous est soumis répond à un certain nombre de préoccupations justifiées. Pour autant, trois des points qu’il contient ne reçoivent pas le plein assentiment de la commission.
En premier lieu, l’article 1er, relatif à la diminution du taux de recouvrement de la surcompensation, relève à ses yeux du domaine réglementaire et non pas législatif.
En deuxième lieu, il lui semble que les collectivités territoriales n’ont pas intérêt à revenir, comme il est prévu à l’article 2, sur les modalités de compensation pour les agents détachés, au risque d’une révision complète des modalités financières de compensation dont les conséquences, à terme, seraient défavorables aux employeurs locaux.
Enfin, l’instauration, à l’article 3, d’une compensation intégrale de l’exonération de cotisation patronale au bénéfice des CCAS et des CIAS nous paraît peu opportune dans le contexte actuel des finances publiques. Elle représenterait en effet une charge supplémentaire pour l’État, alors que celui-ci est déjà soumis à une forte contrainte financière.
Cela étant, afin de respecter le souhait de l’auteur du texte de voir celui-ci débattu en l’état en séance publique et pour bien montrer que, à défaut de soutenir toutes ses propositions, elle partage son diagnostic, la commission a adopté la proposition de loi sans y apporter de modification, tout en faisant valoir les réserves qu’elle lui inspire.
Elle s’en remettra donc au vote du Sénat sur les différents amendements que nous nous apprêtons à examiner. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Monsieur Domeizel, votre proposition de loi marque la conclusion des échanges constructifs qui ont été conduits en 2009 entre l’État et vous-même, en votre qualité de président de la Caisse nationale de retraite des agents de collectivités locales, la CNRACL.
Ces échanges, dont la conclusion s’est également traduite par une lettre de mon collègue Eric Woerth qui vous a été adressée au début du mois d’octobre, visaient à trouver une issue consensuelle sur deux points particulièrement importants.
Le premier de ces points est relatif aux conséquences sur les régimes de retraite de la CNRACL et de l’État de la seconde vague de la décentralisation, qui a conduit à transférer aux collectivités locales non seulement certaines compétences, mais également les 110 000 fonctionnaires qui les exerçaient.
Les personnels transférés bénéficient de la possibilité d’intégrer la fonction publique territoriale. De fait, ils ont opté massivement pour cette intégration puisque 75 % d’entre eux l’ont choisie et sont donc désormais affiliés au régime de retraite non plus de l’État, mais de la CNRACL. Celle-ci bénéficie maintenant de leurs cotisations, et aura à verser leurs droits à retraite.
La CNRACL, qui estimait depuis plusieurs années que ces modalités lui étaient préjudiciables à long terme, demandait une compensation de l’État. Pour sa part, l’État considérait également que ces modalités, qui rompaient avec le principe d’un régime par répartition, lui étaient préjudiciables : il perdait le bénéfice des cotisations de ces fonctionnaires tout en conservant à sa charge le paiement des pensions en cours. Ainsi, depuis plusieurs années, les experts s’affrontent, se livrant à une bataille de chiffres.
Tout comme le Gouvernement, vous avez souhaité, monsieur Domeizel, sortir de ce différend par le haut. Naturellement, au cours de nos échanges, une solution a émergé. Plutôt que de chercher à compenser entre les régimes de retraite concernés les effets de ces transferts, ce qui aurait impliqué de déterminer – tâche impossible ! – un perdant et un gagnant, il s’agit tout simplement de revenir à la situation financière antérieure : les droits à retraite des fonctionnaires décentralisés ayant opté pour la fonction publique territoriale resteront à la charge du régime de retraite des fonctionnaires de l’État ; en contrepartie, la CNRACL reversera à l’État le produit de leurs cotisations. Elle conservera uniquement la gestion de ces agents, puisqu’ils sont fonctionnaires territoriaux.
Cette modalité est neutre pour toutes les parties : pour les agents, puisque les règles de retraite sont similaires dans les deux fonctions publiques ; pour les employeurs territoriaux, dont le taux de cotisation reste inchangé ; enfin, pour la CNRACL et l’État, qui trouvent là une solution consensuelle correspondant à la situation antérieure à 2004.
En pratique, la CNRACL établira le solde des cotisations et des prestations au titre de la population concernée. S’il est positif, elle reversera l’excédent au compte d’affectation spéciale Pensions ; s’il est négatif, ce dernier versera le montant nécessaire à l’équilibre de la CNRACL.
Ce dispositif durera plusieurs décennies puisqu’il ne s’éteindra qu’au décès du dernier ayant droit des fonctionnaires décentralisés.
Par conséquent, les modalités de suivi de ce dispositif devront être arrêtées d’ici à la fin de l’année. Elles devront être incontestables, transparentes et « auditables ».
Parallèlement au dépôt de cette proposition de loi, le Gouvernement a souhaité intégrer cette mesure dans le projet de loi de finances pour 2010 afin que le dispositif puisse être mis en œuvre dès le 1er janvier 2010.
Le second point résolu est celui de la suppression de la compensation spécifique, communément appelée « surcompensation ». Il s’agit là d’une mesure fort attendue par la CNRACL, pour laquelle la surcompensation représente une charge importante. Le principe en a été acté en 2003 dans la loi portant réforme des retraites.
En pratique, cette suppression induit une charge élevée pour l’État. En effet, la compensation spécifique représentant une ressource importante pour plusieurs régimes spéciaux, sa disparition oblige l’État à majorer ses subventions d’équilibre. En 2009, la difficile situation budgétaire de l’État, conjuguée aux effets de la décentralisation, a conduit à stabiliser le taux de la compensation à 12 %.
Le Gouvernement est reconnaissant au président de la CNRACL que vous êtes, monsieur Domeizel, d’avoir accepté cette stabilisation. Il n’en a pas moins pour objectif, tout comme vous, de parvenir à la suppression de la compensation spécifique.
Ainsi, la mise en œuvre, à compter de 2010, de la neutralisation des effets de la décentralisation permettra, malgré la persistance d’une situation budgétaire dégradée de l’État, de réenclencher la suppression progressive de la compensation. Il est important que, conformément à la volonté du législateur, cette suppression soit effective en 2012.
Le Gouvernement a retenu une baisse linéaire du taux de la compensation spécifique de 4 points par an. Nous savons que vous souhaitez instaurer un rythme plus rapide, mais l’État ne peut souscrire à une telle proposition en l’état actuel de la situation.
Il est vrai que la CNRACL pourrait être en déficit l’année prochaine, à l’image de la plupart des régimes de sécurité sociale.
Le rythme retenu permet de clore un dispositif qui, depuis 1987, a suscité de fortes réserves, voire une opposition de la part des instances du régime que vous présidez, monsieur Domeizel.
Au total, deux grands dossiers étaient source de difficultés depuis plusieurs années. Les discussions constructives qui ont été engagées nous ont permis de trouver ensemble une solution favorable. Le résultat est donc là !
Au-delà des relations financières entre les régimes de retraite, nous devrons principalement trouver ensemble les modalités permettant d’assurer la pérennité de notre système de retraite. Le rendez-vous de l’année 2010 sera, à ce titre, déterminant pour le devenir de notre système social.
Je souhaite maintenant revenir sur les deux questions qui m’ont été posées.
La première concerne, dans le cadre du changement de statut de La Poste, l’affiliation des agents contractuels de l’entreprise à l’IRCANTEC. Cette question est en cours d’examen. En effet, le Gouvernement ne souhaite pas déstabiliser l’IRCANTEC, qui a été réformée l’année dernière. Par ailleurs, le changement de statut de l’entreprise ne doit en aucun cas être préjudiciable aux salariés. À ce titre, le Gouvernement a demandé aux régimes complémentaires concernés, l’IRCANTEC et l’AGIRC-ARRCO, d’examiner les modalités permettant d’éviter ces écueils.
Le second point sur lequel vous m’avez interpellée, monsieur Domeizel, a trait à la réforme du service des pensions de l’État. La révision générale des politiques publiques a conclu que la chaîne de traitement des pensions de l’État n’était pas suffisamment efficiente : le service rendu aux fonctionnaires serait moindre que celui qui est rendu aux salariés du secteur privé. Nous avons donc pris la décision d’unifier l’ensemble de la chaîne des pensions au sein d’un seul opérateur.
Ainsi, pour améliorer le service rendu et rationaliser la gestion, un service à compétence nationale a été créé au sein du ministère du budget. Cette réforme ne concerne que la gestion des pensions de l’État, et sa mise en œuvre s’échelonnera jusqu’en 2012. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de vous faire part de mon sentiment et de celui du RDSE sur le fond de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d’assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale, je souhaitais exprimer mon étonnement quant aux reproches adressés à la commission des affaires sociales, laquelle n’a pas souhaité amender ce texte avant son passage en séance.
En effet, le texte n’a pas été modifié en commission afin que le débat en séance publique puisse avoir lieu sur la base de la proposition de loi initiale. Il aurait été facile d’écourter l’examen d’une proposition de loi composée de seulement cinq articles ! La commission en a décidé autrement, ce que certains de mes collègues ont estimé contraire à l’esprit de la révision constitutionnelle adoptée le 21 juillet 2008, au regard du rôle des commissions dans la nouvelle procédure législative.
Pour ma part, je considère au contraire que ce choix, empreint de sagesse, est conforme à l’esprit de la Constitution. Certes, je ne siégeais pas encore sur ces travées au moment de son adoption, mais il me semble que la réforme constitutionnelle vise globalement à revaloriser le rôle du Parlement et, plus spécifiquement, à améliorer la place des groupes minoritaires et d’opposition.
En permettant l’examen en séance publique de la proposition de loi de notre collègue Claude Domeizel, la commission a respecté l’initiative parlementaire, une position d’autant plus louable que celle-ci émanait de l’opposition. Cette attitude découle bel et bien de l’esprit de la Constitution révisée. Je tenais à le souligner, mes chers collègues.
La proposition de loi que nous avons donc la chance d’examiner est destinée à préserver l’équilibre financier de la Caisse nationale des agents de retraite des collectivités locales, la CNRACL. Derrière cet objectif simple se cache une équation plus difficile, dont l’enjeu est la survie de ce régime spécial dans un cadre financier de plus en plus contraint.
En effet, comme c’est le cas pour tous les régimes de la sécurité sociale, la dégradation du ratio démographique de la CNRACL, combinée à d’autres facteurs structurels, laisse entrevoir un déficit abyssal, de l’ordre de 11,3 milliards d’euros, en 2050.
La caisse est certes en équilibre aujourd’hui. Le plan de redressement élaboré en 1992, qui consistait, d’une part, à augmenter le taux de cotisation employeur et, d’autre part, à diminuer la surcompensation, avait permis de rééquilibrer les comptes, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur.
Malheureusement, au regard des projections, le retour à l’équilibre, amorcé en 2003 avec un excédent de 320 millions d’euros, ne va pas durer. La CNRACL bénéficie actuellement d’un effet d’aubaine lié à l’essor des effectifs des collectivités locales. Mais les cotisants sont de futurs pensionnés qu’il faudra bien prendre en charge malgré l’existence de dispositifs très pesants pour l’équilibre de la caisse – dispositifs sur lesquels la proposition de loi entend d’ailleurs agir.
Il s’agit tout d’abord de revoir la surcompensation, spécifique aux régimes spéciaux, destinée à compenser les disparités démographiques entre les régimes spéciaux et de résorber les inégalités de capacité contributive entre les assurés de ces régimes.
La surcompensation, mes chers collègues, part d’une bonne intention puisqu’elle participe du mécanisme de solidarité inter-régimes. Cependant, conduite à dose excessive, elle se retourne contre les caisses qui ont la chance d’avoir le meilleur ratio démographique. Le taux de recouvrement de la surcompensation a atteint des sommets pour la CNRACL, atteignant 38 % en 1993 ; depuis, le législateur l’a fort heureusement orienté à la baisse.
La proposition de loi a donc pour objet de mettre fin à ce mécanisme, dans le prolongement de l’article 9 de la loi portant réforme des retraites adoptée en 2003. Je crois qu’il est en effet nécessaire de mettre un terme à un dispositif trop pénalisant pour les comptes de la CNRACL.
Il est par ailleurs souhaitable de se pencher sur la question de la contribution employeur due par les collectivités territoriales pour couvrir les charges de pension des fonctionnaires de l’État détachés dans ces collectivités sans limitation de durée : c’est l’objet de l’article 2 de la proposition de loi. Toutefois, sur ce point, je m’interroge : disposons-nous de projections permettant de trouver le juste équilibre entre ce qui est bon pour la CNRACL et ce qui est bon pour les collectivités locales ?
L’article 3 vise à préciser le champ d’application de l’exonération des cotisations patronales et d’assurance vieillesse sur les rémunérations des aides à domicile employées par les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, et à créer une compensation intégrale de cette exonération, versée directement par l’État. Le premier alinéa de cet article, nous l’avons bien compris, est plutôt consensuel, le Gouvernement l’ayant inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir très prochainement.
Je terminerai par un mot sur l’article 4, où est prévue la compensation par l’État des charges liées au transfert des personnels de certains de ses services aux collectivités locales. Il s’agit là de corriger une fâcheuse et récurrente tendance de l’État : profiter de la décentralisation pour se délester de charges financières. Les collectivités locales en savent quelque chose, la CNRACL aussi !
Mes chers collègues, ce régime spécial a connu une période faste. Hélas, ce n’est plus le cas. Puisqu’il rencontre les mêmes difficultés que les autres régimes, il est bien normal de neutraliser les incidences financières de dispositifs qu’il supporte difficilement aujourd’hui. Par conséquent, le RDSE est très favorable à la présente proposition de loi.
Pour conclure, mes chers collègues, je rappellerai que ce débat renvoie à celui, plus large, qui porte sur l’avenir très préoccupant de l’ensemble de notre protection sociale. Le déficit du régime général atteindra 30,6 milliards d’euros en 2010. Que va nous proposer le Gouvernement ? Un autre grand emprunt ?
À l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les radicaux de gauche veilleront très attentivement à ce que les réponses apportées ne mettent pas en péril le principe fondateur de la sécurité sociale : la solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme chacun le sait, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, gère la retraite des agents des collectivités territoriales ainsi que celle des fonctionnaires hospitaliers, selon un principe fondamental pour le groupe CRC-SPG, celui de la répartition.
L’excédent financier de la CNRACL constitue d’ailleurs la preuve que le système solidaire de retraite par répartition est économiquement efficace, singulièrement en période de crise du système capitaliste. Avec quelque 2 millions de cotisants pour environ 950 000 retraités, la caisse connaît en effet une situation confortable sur laquelle le Gouvernement s’appuie, j’y reviendrai ultérieurement, pour lui imposer la surcompensation.
Permettez-moi aussi de rappeler que, outre ces bons résultats, la CNRACL présente également la spécificité d’être aujourd’hui la seule caisse de retraite dont le conseil d’administration comporte en son sein des représentants des employeurs et des salariés élus, de la même manière qu’est élu son président, en l’occurrence notre collègue Claude Domeizel.
Cette spécificité n’est peut-être pas sans incidence sur la bonne santé de la caisse, comme elle n’est peut-être pas sans incidence sur la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui : j’ai cru comprendre qu’elle avait fait l’objet la semaine dernière d’une présentation et d’une discussion en conseil d’administration.
Je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en disant que les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG voteront en faveur de cette proposition de loi. En effet, comment ne pas souscrire aux quatre articles du dispositif qui visent à supprimer les effets néfastes des premières lois de décentralisation et de la loi Fillon de 2003 portant réforme des retraites ?
D’ailleurs, à la suite d’un bilan sur les conséquences de l’application à la CNRACL des lois de 2003, bilan demandé par la CGT, le conseil d’administration de la caisse avait formulé une série de propositions très proches de celles dont nous discutons aujourd’hui.
Mon groupe avait estimé en son temps que l’application des premières lois de décentralisation aurait pour conséquence le transfert massif de dépenses publiques de l’État vers les collectivités territoriales. Nous redoutions à l’époque que ces dépenses ne soient pas compensées… Malheureusement, la suite des événements nous a donné raison.
Si aujourd’hui le transfert des personnels de l’État aux collectivités locales est effectivement financé, force est de constater que tel n’est pas le cas pour ce qui relève des cotisations dues au titre des pensions civiles des fonctionnaires en détachement n’ayant pas opté, comme le leur permet la loi, pour l’intégration. Pour ces derniers, le taux de la contribution due par l’employeur, c’est-à-dire par les collectivités – qui n’étaient pas nécessairement demandeuses de transfert –, est de 60,14 %, alors qu’il n’est que de 27,3 % pour les fonctionnaires détachés ayant opté pour l’intégration.
Concrètement, les collectivités locales qui se sont vu « imposer » le transfert de certains personnels doivent acquitter une cotisation au même taux que celles qui ont entamé des démarches volontaires pour accueillir des fonctionnaires en détachement.
Que l’on ne s’y trompe pas : je ne veux nullement incriminer, stigmatiser ou, pis, sanctionner des agents qui, comme le leur permet la loi, n’ont pas souhaité être intégrés dans la collectivité locale où ils sont en détachement. Cependant, je refuse que pèsent sur les collectivités des dépenses importantes découlant de la seule volonté de l’État de transférer une partie de ses personnels. C’est pourquoi nous soutenons la proposition formulée par notre collègue Claude Domeizel d’établir un taux de contribution employeur unique pour l’ensemble des fonctionnaires relevant de la CNRACL.
De même, nous sommes favorables à l’article 1er de la proposition de loi, qui a pour objet d’appliquer l’article 9 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Aux termes de celui-ci devait intervenir une baisse progressive du taux de la surcompensation qui pèse sur les régimes spéciaux, et ce jusqu’à l’extinction, fixée théoriquement à 2012, de cette dernière. Je dis bien théoriquement, car, contrairement à ce qui était prévu dans la loi, le taux n’a pas diminué en 2009 : il a été maintenu à 12 %. Le Gouvernement ayant par trop tendance à repousser certaines échéances lorsqu’elles lui sont défavorables, il est légitime de nourrir quelque inquiétude à ce sujet !
Mon groupe juge cette surcompensation illégitime. En effet, contrairement aux arguments utilisés pour instaurer cette dernière, les régimes spéciaux, CNRACL en tête, sont en strict équilibre, et dégagent même des bénéfices. Cette vérité, votre gouvernement ne veut pas l’entendre, madame la secrétaire d’État, comme il n’a pas voulu l’entendre en 2007, quand il a été question de la réforme des régimes spéciaux de retraite.
Ce qu’il faut rappeler, c’est que les régimes spéciaux participent à hauteur de 47 % à la compensation, là où le régime général participe pour 46 % seulement. Quant aux bénéficiaires de cette compensation, ce sont principalement les exploitants agricoles, à hauteur de 70 %, et les commerçants et artisans, à hauteur de 24 %, les régimes spéciaux n’en percevant pour leur part que 7 %. C’est pourquoi il nous semble important de soutenir cet article 1er.
Cette question de la surcompensation est centrale, car la situation actuelle fait peser sur la CNRACL d’importantes dépenses. Ces dernières, si elles ne mettent pas en cause, à court terme, l’équilibre de la caisse, pourraient toutefois la fragiliser dans l’avenir, particulièrement si l’on s’en tient aux estimations formulées par le Conseil d’orientation des retraites, estimations assises sur un principe simple : la diminution du nombre de cotisants.
Pour notre part, nous contestons cette analyse qui entérine par avance des choix politiques – car c’est bien de cela qu’il s’agit ! – dogmatiques, destinés à réduire les dépenses publiques, que celles-ci soient nationales ou locales. Cela prend par exemple la forme du recours massif aux agents contractuels en lieu et place de titulaires, ou du non-remplacement de fonctionnaires au bénéfice d’une externalisation des services.
Pour toutes ces raisons, et comme je l’ai indiqué au début de mon intervention, le groupe CRC-SPG votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, comme l’a souligné de manière fort pertinente notre collègue Claude Domeizel, la proposition de loi dont il est l’auteur a pour objet de conforter la CNRACL et de contribuer à l’amélioration des finances des collectivités locales.
Celles-ci ont été fortement mises à mal ces dernières années, notamment par les transferts de charges de toutes natures en provenance de l’État – lui-même, du reste, en situation financière dégradée, et c’est un euphémisme ! –, transferts dont les compensations n’ont pas suivi, nonobstant les engagements qui avaient été pris.
Je pense en particulier à l’allocation personnalisée d’autonomie, mesure sociale en faveur des personnes âgées et dépendantes particulièrement appréciée par nos concitoyens, dont l’État avait promis de compenser le coût à hauteur de 50 %. Or, en moyenne, nous en sommes aujourd’hui à un taux compris entre 28 % et 30 % suivant les départements, alors que l’état de dépendance lié au vieillissement de la population s’accroît. Cette dépense touche plus spécifiquement les départements, dont les budgets, actuellement en préparation, sont particulièrement difficiles à boucler du fait de la diminution sensible des recettes, par exemple des droits de mutation. Et vous savez bien, mes chers collègues, que ce sera pire dans un avenir proche en raison des modifications annoncées des impôts locaux et de la disparition de la taxe professionnelle.
La proposition de loi contribuera également à soulager les charges d’exploitation des budgets hospitaliers. Cela est particulièrement bienvenu compte tenu de la situation financière extrêmement difficile que rencontrent tous les hôpitaux, situation que nous connaissons tous ici et dont il n’est même pas exagéré d’affirmer qu’elle est catastrophique pour certains établissements, en particulier pour de très nombreux centres hospitaliers universitaires.
Du reste, malgré le vote de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la situation financière des hôpitaux n’est pas près de s’améliorer compte tenu, d’une part, du niveau de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’exercice 2010, que nous examinerons dans quelques jours, et, d’autre part, de diverses autres mesures figurant dans le même texte qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le déficit cumulé de l’assurance maladie reste sans précédent.
Pour en revenir plus précisément à l’objet de la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise, je rappelle que, au sein du régime de base des fonctions publiques hospitalières et territoriales, la CNRACL constitue un régime spécial de sécurité sociale.
Elle est confrontée à une double évolution qui fragilise ses comptes à moyen et à long terme.
La première évolution, ce sont les mutations démographiques en cours depuis une vingtaine d’années. En effet, comme l’ensemble des régimes de retraite, celui des fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers connaît une dégradation continue de son ratio démographique, ratio qui s’analyse comme le rapport entre le nombre de cotisants au régime et le nombre de retraités en relevant. De l’avis même de tous les observateurs, cette dégradation est due au vieillissement de la population. Elle entraîne bien évidemment une progression de plus en plus rapide des charges supportées par ce régime, alors que ses ressources, c’est-à-dire le produit des cotisations, stagnent.
La seconde évolution est à rapporter aux effets des transferts de personnels, notamment les plus récents, opérés dans le cadre de l’« acte II » de la décentralisation. Nous touchons là au taux de contribution employeur des collectivités au régime des pensions civiles pour les fonctionnaires de l’État en détachement. Notre collègue Claude Domeizel ayant développé ce point très important, je n’insisterai pas.
Cette proposition de loi vise donc, comme l’a précisé son auteur, d’une part, à neutraliser les effets financiers sur la CNRACL de certaines mesures, telles la surcompensation entre régimes spéciaux ou les exonérations de cotisations pour les personnels des centres communaux et intercommunaux d’action sociale, et, d’autre part, à régler la question de la compensation financière entre l’État et la CNRACL des transferts de personnels opérés dans le cadre de la décentralisation.
L’objectif est de préserver l’équilibre financier de cette caisse, qui, je viens de le rappeler, est confrontée à des évolutions difficiles.
Étant donné la situation, les mesures prévues dans la proposition de loi sont plus que nécessaires.
Il est bon d’insister à nouveau sur ce que proposent ses auteurs. Il s’agit tout d’abord de programmer la suppression progressive, d’ici à 2012, du taux de surcompensation, c'est-à-dire de la compensation démographique entre régimes spéciaux. Il s’agit ensuite de prévoir un conventionnement entre l’État et la CNRACL afin de neutraliser les effets du transfert de personnels de l’État vers les conseils généraux et les conseils régionaux dans le cadre de la décentralisation, de façon que ne soient pas pénalisées les finances de ces collectivités, qui n’ont pas choisi d’accueillir ces agents ; sont ici concernés les personnels techniciens, ouvriers et de service relevant antérieurement de l’éducation nationale et travaillant dans les collèges, pour les départements, ou dans les lycées, pour les régions, ainsi que du personnel en provenance des directions départementales de l’équipement. Il s’agit enfin de compenser les conséquences financières résultant pour l’État et pour les organismes de sécurité sociale de la présente proposition de loi par la création, à due concurrence, d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Cette proposition de loi, claire et nécessaire, permet bien de garantir l’équilibre financier de ce régime spécial à moyen et à long terme et d’étayer les finances des collectivités locales et des établissements publics hospitaliers, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, devient une extrême urgence.
Nos collègues de la majorité ayant déposé des amendements, nous aurons l’occasion de préciser nos positions au cours de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)