compte rendu intégral
Présidence de M. Bernard Frimat
vice-président
Secrétaires :
Mme Christiane Demontès,
M. Marc Massion.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt de rapports du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre de la franchise sur les médicaments, les actes des auxiliaires médicaux et les transports sanitaires, établi en application de l’article L. 322-2 du code de la sécurité sociale, et le rapport sur le bilan d’avancement du processus de convergence tarifaire, établi en application de l’article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ils ont été transmis à la commission des affaires sociales et seront disponibles au bureau de la distribution.
3
Portefeuille de négociation
Rejet d'une proposition de résolution européenne
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne présentée en application de l’article 73 quinquies du Règlement, portant sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération (E 4632), présentée par M. Simon Sutour, Mme Nicole Bricq, MM. Richard Yung, François Marc et Bernard Angels et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (nos 629, 2008-2009 ; nos 41 et 58, 2009-2010).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, co-auteur de la proposition de résolution.
Mme Nicole Bricq, co-auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de résolution européenne du groupe socialiste que j’ai l’honneur de présenter et dont nous allons débattre porte sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation, pour les retitrisations et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération.
Nous avons déposé ce texte le 24 septembre dernier, avant la réunion du G 20 à Pittsburgh, parce que les sujets qu’elle traite sont au cœur des discussions internationales et européennes pour réguler les marchés financiers.
Nous en débattons après le sommet de Pittsburgh, dont la déclaration finale contient des termes suffisamment vagues pour laisser aux États l’initiative d’agir.
Cette proposition de résolution est destinée aux instances européennes qui élaborent les directives et les règlements que nous aurons à transposer. Elle envoie aussi un message au Gouvernement qui les négociera. Elle concourt à donner de la visibilité aux travaux menés par la commission des finances du Sénat et par le groupe de travail réunissant sénateurs et députés qui ont fait des propositions au Président de la République avant chaque réunion du G 20.
Enfin, elle valide l’idée communément partagée par les parlementaires que la politique doit s’approprier le champ de la régulation financière, champ qu’on a trop souvent délaissé au profit de comités ou d’organismes sans légitimité démocratique.
Or, le sauvetage du système financier n’a été possible que grâce à l’intervention des États, qui, après avoir joué les pompiers, ne peuvent laisser le feu reprendre. Pourtant une bulle financière chasse l’autre. La hausse des bourses, alors que l’économie réelle se traîne, ne laisse pas d’inquiéter et démontre que les mauvaises habitudes persistent.
Le sauvetage du système financier, sans contreparties ni sanctions, n’a pas modifié fondamentalement les mentalités qui nourrissent les bulles spéculatives.
Les banques s’empressent de rembourser les aides publiques afin d’avoir les mains libres pour faire leur marché – la crise favorisant les concentrations – ou pour provisionner la distribution ultérieure de bonus.
Tout ne peut pas recommencer comme avant ! Nous l’avons tous dit.
En conséquence, il faut d’abord combattre l’hypertrophie des marchés financiers, fondée sur la recherche de la rentabilité maximale obtenue en un minimum de temps ; il faut ensuite dénouer le lien entre les prises de risques irresponsables assorties à des rémunérations déraisonnables, non seulement des opérateurs de marché, mais aussi des dirigeants des sociétés cotées, qui ont alimenté la spirale de la bulle financière ; il faut enfin être efficace et promouvoir des pratiques responsables capables de contenir le risque afin qu’il ne retombe pas en dernier ressort sur les contribuables.
M. le rapporteur général, qui est aussi rapporteur au fond de la commission des finances, a pointé les convergences de quelques-unes de nos propositions avec celles de la commission des finances et du groupe de travail des sénateurs et des députés sur la crise financière. Est-ce la promesse que, sur tous les bancs de cet hémicycle, nos collègues accepteront la discussion au fond de nos propositions ? Cela me paraît souhaitable et même nécessaire.
L’objectif de cette proposition de résolution tient en trois mots : sécurité, transparence, responsabilité.
La prévention du risque et la responsabilisation du secteur financier et bancaire doivent passer par l’augmentation des fonds propres, proportionnellement au risque pris. Nous proposons que les banques et les établissements financiers apportent une contrepartie assurancielle aux risques qu’elles prennent, cette taxe pouvant alimenter un fonds de garantie destiné à être appelé en cas de retournement. Cette approche préventive nous paraît la plus efficace pour contenir les dérives.
Nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini veulent assortir cette taxe d’une contrepartie qui allégerait les établissements bancaires de la taxe sur les salaires. Ce disant, ils font droit à une très ancienne et constante revendication du secteur bancaire et lancent ainsi un ballon d’essai qui déplace le débat sur le terrain fiscal. Nous en débattrons lors de l’examen de la loi de finances.
En outre, ils ont habilement développé ce concept pour faire contre-feu à la mesure défendue par nos collègues députés socialistes à l’Assemblée nationale concernant la taxe exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés payé par les banques, qui a donné lieu à quelques cafouillages dans les rangs de la majorité.
L’amendement de nos collègues socialistes intervenait ponctuellement et a posteriori. Il n’est absolument pas contradictoire avec notre proposition, qui est pérenne et a priori.
Dans un cas, on exige des banques qu’elles apportent une contrepartie fiscale à l’aide de la nation, dans l’autre, on cherche à les dissuader de prendre des risques excessifs dans un but spéculatif.
Demain, la crise financière passée, la concentration du secteur financier et bancaire en entités encore plus grandes fera planer le risque qu’en cas de nouvelle crise financière nous ne pourrions plus, État et contribuables, disposer des ressources suffisantes pour les secourir.
Il faut nous assurer à l’avance que les fonds reposeront sur un titre de garantie. Si nous proposons ce dispositif au niveau européen, car tel est selon nous l’échelon pertinent, rien n’empêche aujourd’hui de le faire au niveau français, auprès d’une autorité unique qu’on nous promet – Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi l’a dit et répété – pour la fin de l’année.
Si en contrepartie on y ajoute, comme nos collègues Arthuis et Marini le souhaitent, un allégement fiscal au produit identique, la mesure perd tout effet dissuasif.
En matière de gouvernance et d’encadrement des rémunérations des dirigeants de sociétés cotées et des établissements opérant sur les marchés financiers, nous vous proposons – et cela fait débat – de défendre la limitation et l’encadrement des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées.
Nous exerçons, en quelques sorte, un droit de suite à la proposition de loi que nous avons défendue ici même le 4 novembre 2008. Il existe un lien consubstantiel entre la prise de risques et le montant des rémunérations, comme il existe un lien pour les dirigeants de sociétés entre rémunération et recherche de rentabilité maximale.
C’est pourquoi nous souhaitons que ces rémunérations soient mises sous le contrôle de toutes les parties prenantes de l’entreprise, les dirigeants de sociétés, les actionnaires, lors des assemblées générales, et les salariés représentés par le comité d’entreprise.
Ce n’est pas parce que le G 20 s’est limité aux bonus des traders qu’il ne faut pas s’attacher à l’ensemble des rémunérations. Ce n’est pas parce que le projet de directive n’en fait pas mention que la France ne saurait promouvoir une telle initiative.
D’ailleurs, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive qui nous concerne, il est écrit que le rapport du Forum de stabilité financière préconise un encadrement et un ajustement des rémunérations pour tous les types de risques.
Le 30 avril 2009, la Commission européenne a elle-même émis des recommandations en matière de rémunération des administrateurs, des administrateurs non exécutifs et des membres des conseils de surveillance des sociétés cotées. Elle a proposé le plafonnement des composantes variables de la rémunération des administrateurs, la limitation des parachutes dorés et l’adossement des rémunérations à des objectifs de performance.
Par cette recommandation, la Commission invite les États membres à prendre les mesures nécessaires pour promouvoir leur application.
Qu’en est-il en France ? Jusqu’à ce jour, le Gouvernement s’en est tenu à des rappels à la morale et à l’autorégulation. Or, selon une étude récente de la société de conseil Ernst & Young parue le mercredi 21 octobre, seulement 37 % des entreprises françaises cotées ont une bonne gouvernance.
La majorité des entreprises n’a pas mis en place des comités spécialisés pour les rémunérations, ni nommé d’administrateurs indépendants ni révisé les politiques de rémunération de leurs dirigeants.
M. François Marc. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. Cette question des rémunérations est devenue aujourd’hui un sujet d’ordre public. Il est grand temps d’y mettre fin et il est trop facile de crier à la démagogie quand on le met à l’ordre du jour du Parlement.
C’est ce qu’a fait notre collègue Philippe Houillon, député du groupe UMP, dans son rapport d’information sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché, déposé le 7 juillet 2009.
Nous avons d’ailleurs nous-mêmes défendu ces principes il y a plus d’un an sans être entendus, jusqu’à ce jour, par le Gouvernement.
Il y a un an, le 4 novembre 2008, on nous avait dit qu’il fallait attendre six mois l’application effective du code de bonne conduite du MEDEF et de l’AFEP, l’Association française des entreprises privées. On nous dit aujourd’hui d’attendre la fin de l’année, jusqu’en décembre.
La majorité est au pied du mur ; le Gouvernement ne peut pas faire moins que certains États européens en la matière, et il peut faire plus pour que les principes édictés au G 20 trouvent une traduction concrète.
Mme Lagarde a promis un arrêté concernant les bonus des opérateurs de marché.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Oui !
Mme Nicole Bricq. Fera-t-elle moins que les Américains et moins que ce que réclament ses amis conservateurs britanniques ?
J’ai lu avec intérêt la déclaration de M. Osborne, qui est, dans le shadow cabinet de M. Cameron, le futur chancelier de l’échiquier.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Le plus tard possible ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. J’ai constaté qu’il était très allant sur cette question puisqu’il propose de limiter la prise de bonus à 2 000 euros, ce qui est quand même très peu. Donc, si Londres et New York font ce qu’ils annoncent, on ne pourra nous opposer le risque de départ de nos opérateurs de marché vers des places financières plus favorables à leurs rémunérations.
Il n’est donc ni déplacé ni irréaliste que le Parlement se saisisse du sujet des rémunérations, car, si la finance repart, l’économie réelle, elle, se traîne, avec son cortège de défaillances d’entreprises et de chômeurs. Ne rien faire sur les rémunérations, ou ne faire que trop peu, alors que les difficultés s’accumulent et que les contribuables paient tôt ou tard, serait encourager un ressentiment très profond chez nos concitoyens.
Enfin, en matière de supervision, nous voulons défendre le principe d’un superviseur européen du système financier doté de pouvoirs juridiques de sanction. C’est un idéal sans doute, mais c’est bien à cette échelle qu’il faudrait penser les outils de la régulation.
De la même manière, un médiateur européen devrait, selon nous, être chargé de veiller aux intérêts des consommateurs, usagers des banques, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises.
En conclusion, chers collègues, la crise financière et ses conséquences désastreuses sont trop graves pour que l’on entretienne, de part et d’autre de l’hémicycle, des clivages artificiels.
Nous reconnaissons l’apport positif de la position de la France en matière de lutte contre les paradis fiscaux. On a, en un an, avancé plus qu’en douze ans. Mais nous voyons bien que le Gouvernement et sa majorité sénatoriale sont prompts à défendre les intérêts acquis.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. Je ne veux pas vous traiter de conservateur, mais je peux le faire !
M. Philippe Marini, rapporteur. Les méchants d’un côté, les bons de l’autre !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur, écoutez- moi jusqu’au bout, j’ai bientôt fini et vous avez manqué une grande partie de mon intervention.
M. Alain Gournac. La meilleure, c’est dommage !
M. Philippe Marini, rapporteur. J’ai déjà eu l’occasion de vous entendre !
Mme Nicole Bricq. Chaque fois, j’innove !
Si, au bout du compte, nous nous contentons de réformer les normes comptables, nous ne nous épargnerons pas une autre crise et nous ruinerons définitivement – c’est ce qui me paraît le plus grave –la confiance dans l’action politique. Je ne crois pas que c’est ce que nous voulons les uns et les autres.
Aussi, je vous invite à débattre de cette proposition de résolution européenne, présentée par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Ma chère collègue, je vous remercie de votre précision et de votre concision, laquelle va sans nul doute servir d’exemple à l’orateur suivant. (M. le rapporteur sourit.)
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour discuter de sujets apparemment techniques mais, en réalité, éminemment politiques et, sur cet aspect des choses, je ne peux que marquer mon accord avec Mme Bricq, mais c’est pour le moment le seul point sur lequel je la rejoins.
Avec la crise, il est clair que le Parlement doit se réapproprier des matières laissées trop volontiers à des instances d’expertise, sans vraie légitimité.
Le mérite de l’initiative de nos collègues du groupe socialiste est de nous amener, d’un côté, à faire le point sur des convergences transpartisanes et, de l’autre, à être bien au clair sur les lignes de clivages qui caractérisent notre hémicycle et qui sont indispensables à toute vie politique bien organisée.
Je rappellerai tout d’abord que, sur l’initiative des présidents Gérard Larcher et Bernard Accoyer, un groupe de travail commun de vingt-quatre parlementaires – douze députés et douze sénateurs – s’est réuni à de nombreuses reprises et, à la demande du Président de la République, a formulé des propositions pour chacune des récentes sessions du G 20 : Washington en novembre 2008, Londres en avril 2009, Pittsburgh en septembre dernier.
Les notes que nous avons ainsi établies sous la houlette bienveillante de Jean Arthuis et de Didier Migaud reflétaient un consensus entre nous, par-delà les sensibilités qui sont les nôtres.
Par ailleurs, la commission des finances s’est saisie des sujets qu’il nous est proposé de traiter au cours de la présente séance, et le groupe de travail interne à la commission des finances du Sénat vient de publier un rapport dans lequel sont formulées cinquante-sept propositions.
Sur la base d’une analyse commune, le groupe de travail a insisté sur la nécessité de renforcer la supervision, de limiter la procyclicité et les effets du risque systémique, ainsi que de réintroduire la responsabilité et le prix du risque ; tout cela constitue aujourd’hui, sur ces sujets si délicats, si essentiels, notre patrimoine commun, si je puis m’exprimer ainsi.
Je voudrais évoquer également le programme de réformes des services financiers qui se situe au plan européen.
Au mois d’avril, sur la base du rapport de Jacques de Larosière, la Commission européenne a annoncé un programme de réformes. La proposition de résolution dont nous débattons aujourd'hui se rattache à l’une des propositions de directive qui s’intègrent dans cet ensemble.
La commission des finances s’est saisie, le 7 octobre dernier, de cinq autres textes européens qui visent en particulier à mettre sur pied trois autorités européennes de surveillance prudentielle.
Le rapport d’information du groupe de travail interne à la commission des finances que j’évoquais il y a un instant prend position sur l’ensemble des textes actuellement en cours d’élaboration au sein de la Commission, textes qui vont suivre le cheminement de la codécision au sein des instances communautaires. Je parle bien de l’ensemble des textes et non pas seulement de la proposition de directive à laquelle se rattache la présente proposition de résolution, que je vais maintenant évoquer.
En premier lieu, la proposition de directive européenne sur laquelle cette proposition de résolution prend appui vise à intégrer au droit communautaire les dernières préconisations de la réglementation dite de « Bâle II ».
Cette réglementation prend place dans le domaine de la définition des fonds propres des banques et des institutions financières. Ces fonds propres doivent garantir la solvabilité d’un établissement financier et, in fine, les dépôts et les investissements des clients et des partenaires de l’institution financière ou de la banque en question.
Actuellement, le régime qui s’applique est celui du ratio Mac Donough ; il est en cours d’évolution et le chiffre guide à retenir, c’est le ratio de 8 % des risques pondérés.
Toutefois, la crise a révélé les insuffisances et les faiblesses de la réglementation prudentielle qui s’applique actuellement.
Cette réglementation est tout d’abord apparue procyclique. En effet, en période d’euphorie financière, les banques ajustent le niveau de fonds propres de telle sorte qu’elles ne détiennent que le minimum de fonds imposé par la réglementation.
En revanche, lorsque la conjoncture se retourne, les contreparties peuvent faire massivement défaut. Les banques ont alors besoin d’augmenter leurs fonds propres, d’améliorer leur solvabilité afin de respecter les règlements. C’est justement dans une conjoncture déprimée ou de crise que les banques ont besoin de fonds propres supplémentaires. Or c’est là que le capital est plus rare et plus cher, ce qui crée un cercle vicieux aux conséquences potentiellement dramatiques.
La seconde faiblesse des règles actuelles tient à leur incapacité à prendre en compte les produits les plus complexes et donc les plus risqués. Les fonds propres des banques se retrouvent ainsi en inadéquation avec la réalité des risques auxquels elles peuvent être exposées.
Trois points méritent d’être soulignés dans la présente approche du comité de Bâle, que la future directive européenne aura pour objet de traduire.
En premier lieu, la directive imposera de nouvelles exigences en matière de fonds propres pour les opérations de titrisation au second degré, c'est-à-dire de retitrisation. Ce sont des montages à plusieurs étages qui sont apparus, à la lumière de la crise, comme particulièrement risqués.
La directive prévoit à leur sujet que, lorsqu’une banque s’engage dans ces opérations, ses fonds propres doivent être justement dimensionnés. Elle permet qu’une autorité nationale de régulation impose une pondération du risque allant de 20 % à 1 250 %, ce qui, évidemment, est dissuasif.
En deuxième lieu, la proposition de directive imposera de nouvelles exigences en matière de fonds propres pour ce que l’on appelle le « portefeuille de négociation » ou, en anglais international, le « trading book ».
Il est apparu, au cours de la période récente, que les modèles internes des banques sous-estimaient les pertes potentielles en situation de crise. En conséquence, il s’agit d’encadrer le recours à ces modèles internes. Ils deviendront plus restrictifs, ce qui aura pour effet d’inciter à l’augmentation des fonds propres.
En troisième lieu, la future directive imposera de nouvelles exigences de publicité sur les risques de titrisation. Les établissements financiers devront communiquer précisément et complètement sur les risques encourus du fait de leurs positions de titrisation.
Tel est, résumé à grands traits, le contenu de la proposition de directive sur laquelle s’appuie la proposition de résolution du groupe socialiste.
Je souligne, et vous l’avez compris avec ce rappel, que l’approche du texte européen est strictement prudentielle. (Mme Nicole Bricq acquiesce.) Il s’agit de renforcer le contrôle sur les politiques de rémunération – puisque c’est le sujet principal en termes de politique générale qui est abordé par le groupe socialiste – des seuls établissements financiers, premier aspect, dans une optique purement prudentielle, second aspect. Cette proposition de directive ne vise pas à imposer aux États membres des politiques de rémunération ayant vocation à s’appliquer en dehors de ce cadre et à la généralité des entreprises.
Chacun le sait, les politiques de rémunération des établissements financiers ont, pour partie, contribué à la crise. Certes, il ne s’agit pas d’une cause majeure, mais il est vraisemblable que certaines pratiques aient pu « pousser au crime » et inciter des opérateurs à prendre de plus en plus de risques. Le système financier doit bien évidemment se défendre contre de tels effets pervers. Ainsi, il est utile de prévoir une législation à la fois nationale et communautaire, afin de mettre au premier plan les vraies performances économiques de l’entreprise à moyen et à long terme.
Au demeurant, le rapport du groupe d’experts présidé par Jacques de Larosière a préconisé trois principes très clairs en matière de rémunérations dans le secteur financier.
Premièrement, les primes dont peuvent bénéficier certains salariés des établissements financiers doivent correspondre à des performances réelles et, de ce fait, ne peuvent être garanties.
Deuxièmement, l’évaluation des performances doit se faire dans un cadre pluriannuel. Il n’est pas envisageable de récompenser des performances instantanées – dont les effets sont toujours susceptibles d’être renversés par une autre opération de marché –, qui ne se traduiraient pas par un enrichissement réel de l’entreprise.
Troisièmement, le paiement des primes doit s’échelonner sur la durée du cycle économique, c'est-à-dire sur un moyen terme, afin de lisser les effets sur les comptes de résultat et les ratios financiers des banques, et d’éviter ainsi des effets d’aubaine trop marqués. Par ailleurs, le rapport préconisait également que les autorités nationales puissent imposer une augmentation des fonds propres aux établissements dont les politiques de rémunération seraient jugées inadéquates.
La Commission européenne souhaite, à présent, avec cette proposition de directive, mettre en œuvre, sur le plan législatif, cette dernière préconisation sur l’augmentation des fonds propres.
Permettez-moi d’insister sur un point, notamment auprès de mes collègues initiateurs de la proposition de résolution : l’approche de la Commission européenne est strictement prudentielle.
J’en viens maintenant à un commentaire de la proposition de résolution, qui aborde successivement cinq thèmes : les exigences en matière de fonds propres, la gouvernance des sociétés cotées, la rémunération des dirigeants des sociétés cotées, l’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers de marché, la supervision européenne et la mise en place de sanctions.
Il m’a semblé que les préconisations de la proposition de résolution sont, pour reprendre l’expression que j’ai employée devant la commission lors de la présentation de mon rapport, à la fois de portée et de pertinence inégales. Je note toutefois qu’une première série de préconisations est tout à fait conforme aux travaux que nous avons menés et que j’ai brièvement rappelés. Nos collègues reprennent plusieurs propositions faites par le groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la crise financière internationale, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’ils y ont activement participé.
C’est le cas pour le premier thème sur les exigences en matière de fonds propres, pour certains aspects du deuxième thème sur la gouvernance des sociétés cotées, pour le quatrième thème sur l’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers de marché et, enfin, pour le cinquième thème sur la supervision européenne.
Je précise que ces propositions, même si leur contenu n’a rien de choquant, n’ont pas nécessairement leur place dans une résolution européenne. À l’analyse de la proposition de résolution, il apparaît qu’elles n’ont quelquefois qu’un lien ténu – et je fais preuve de bienveillance en employant ce terme ! – avec la proposition de directive ou même, tout simplement, avec le droit communautaire. Par exemple, les mesures préconisées en matière de fiscalité relèvent quasiment toutes du seul droit national.
Mme Nicole Bricq. Les vôtres aussi !
M. Philippe Marini, rapporteur. Ma chère collègue, je ne les ai pas présentées dans le cadre d’une proposition de résolution !
Mme Nicole Bricq. Vous parlez de la suppression de la taxation sur les salaires. C’est une proposition qui relève du droit national !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous avez raison de le rappeler, cette préconisation figure dans le rapport du groupe de travail de la commission des finances, dont le champ d’intervention est beaucoup plus large que celui d’une proposition de résolution sur un acte européen. Je vous rappelle que vous avez opté pour cette procédure, alors que vous auriez pu choisir de débattre de cette question dans un autre cadre.
Mme Nicole Bricq. Cela viendra !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je suis bien obligé, en particulier sous le contrôle vigilant du président Hubert Haenel, qui est ici le maître du droit communautaire, de rapporter dans le cadre des procédures en vigueur et d’apprécier votre texte au regard de ses liens précis avec le droit communautaire.
M. François Marc. Pendant ce temps, la maison brûle !
M. Philippe Marini, rapporteur. J’ajoute que certaines propositions apparaissent satisfaites ou en passe de l’être. D’autres, notamment celles sur la supervision européenne, me semblent tout à fait légitimes, mais irréalistes à ce stade, compte tenu des orientations des travaux de la Commission européenne.
En revanche, l’ensemble des propositions formulées à propos de la rémunération des dirigeants des entreprises n’apparaît pas, en l’état, conforme aux travaux menés jusqu’à présent par la commission des finances. Dans leur quasi-intégralité, ces mesures relèvent d’ailleurs du droit national.
En conclusion, mes chers collègues de l’opposition, la commission des finances a respecté votre droit d’introduire un débat.