PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour un rappel au règlement.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, à l'issue de sa réunion, mon groupe m'a chargé de présenter un certain nombre d'observations portant sur l'application des articles 20, 21, 34, 37 et 38 de la Constitution.
Depuis ce matin, les médias indiquent que la mesure annoncée par le ministre de l'économie dans le cadre du plan de relance concernant les donations entre vifs et la suppression des droits de mutation jusqu'à, semble-t-il, 20 000 euros, entre aujourd'hui même en vigueur et que les maires vont recevoir prochainement les imprimés correspondants.
Sur le fond de la mesure, je ne suis pas forcément contre, et mon groupe non plus. D'ailleurs, j'ai moi-même fait voter autrefois une disposition d'inspiration analogue. Vous aurez noté, monsieur le président, que j'ai bien dit : « fait voter ». Or la disposition qui est mise en oeuvre aujourd'hui, après la possibilité de déduction fiscale sur des achats de casseroles ou d'équipements ménagers, etc., annoncée voilà quelques jours, n'a été, à ma connaissance, à aucun moment, votée par le Parlement.
Que je sache, il s'agit là de matière fiscale, qui relève à cent pour cent de la compétence parlementaire et qui n'est donc pas du domaine réglementaire. J'ajouterai même que les assemblées parlementaires ont été faites pour cela : voter l'impôt.
L'exécutif ne peut agir en matière fiscale qu'en demandant l'autorisation au Parlement de légiférer par ordonnances, et pour un délai limité. Mais la loi d'habilitation que nous avons été amenés à approuver il y a quelque mois ne portait pas sur ce point-là, et pour cause : M. Sarkozy n'était pas encore au ministère des finances !
Nous nous trouvons donc dans une situation où l'exécutif annonce une mesure et la met en oeuvre alors qu'elle relève de la loi, et sans avoir préalablement obtenu l'assentiment du législateur.
Monsieur le président, pour ceux qui sont membres du Parlement et qui sont attachés aux institutions de la République et au caractère parlementaire du régime, c'est absolument insupportable.
Je sais bien qu'il y a eu des précédents, mais ceux-ci ne portaient que sur des mesures d'allègement de taux de TVA. Je fais appel aux souvenirs de nos collègues de la commission des finances : on a consulté préalablement les commissions des finances des deux assemblées, lesquelles ont donné leur accord sur l'application anticipée de ces mesures, ce qui était justifié par la volonté de ne pas perturber les transactions commerciales et le fonctionnement de l'économie.
Ainsi, monsieur le président, mon groupe m'a chargé de vous dire que nous n'appréciions absolument pas cette manière de procéder et de vous demander de bien vouloir saisir de ce grave manquement aux institutions et le Président de la République, que l'article 5 de la Constitution charge de veiller au respect de celle-ci, et le Premier ministre, qui a seul, au sein du pouvoir exécutif, l'initiative des lois.
J'ajouterai à titre personnel que, si M. Sarkozy, qui est aujourd'hui l'homme-orchestre du Gouvernement, souhaite devenir l'homme-orchestre de la République, rien ne le lui interdit. Tout le monde le sait, j'ai toujours éprouvé une certaine sympathie à son égard, pour ne pas dire plus. Mais, en l'occurrence, qu'il ne décide pas tout seul, qu'il nous demande gentiment l'autorisation ! (Sourires.)
Monsieur le président, j'espère que vous saurez défendre non seulement les droits du Sénat mais, plus généralement, ceux du Parlement dans l'équilibre institutionnel de la Ve République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Je me permets simplement de vous dire que, sur le plan juridique - je prends des précautions ! -, je ne suis pas certain que vous ayez totalement raison.
M. Michel Charasse. Ah bon ?
M. le président. Je n'en suis pas certain !
M. Michel Charasse. Vos doutes m'étonnent ! Vous pensez qu'on peut bricoler la fiscalité sans passer par la loi ? Et c'est le président du Sénat qui dit cela ! Depuis quand ?
M. le président. J'ai dit que je n'en étais pas certain !
M. Michel Charasse. Il s'agit tout de même de l'assiette et du taux de l'impôt ! On a fait la Révolution pour ça !
M. le président. Il faut de toute façon que, à un moment, cette mesure soit soumise au Parlement.
M. Michel Charasse. Oui, et pas après qu'elle aura commencé de s'appliquer !
M. le président. Sans aucun doute !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qu'en pense le Gouvernement ?
Plusieurs sénateurs socialistes. Oui, qu'en pense le porte-parole du Gouvernement ?
M. Gérard Delfau. M. Copé, qui est un spécialiste, va sûrement répondre !
M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Ce sujet n'est pas à l'ordre du jour !
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souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'Algérie
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de l'Assemblée nationale populaire d'Algérie.
Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie que cette délégation porte à notre institution.
Au nom du Sénat de la République, je souhaite à ses membres une cordiale bienvenue et je forme des voeux pour que leur séjour en France contribue à renforcer les liens d'amitié entre nos deux pays. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Au nom du Gouvernement, je tiens également à saluer cette délégation du Parlement d'Algérie, grand pays ami.
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autonomie financière des Collectivités territoriales
Discussion d'un projet de loi organique
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique (n° 314, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, pris en application de l'article 72-2 de la Constitution, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales. [Rapport n° 324 (2003-2004) ; avis n° 325 (2003-2004)].
Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, monsieur le ministre délégué à l'intérieur, mes chers collègues, particulièrement attendu par les élus locaux, ce projet de loi organique a pour objet exclusif de déterminer les conditions d'application du principe constitutionnel de l'autonomie financière des collectivités locales.
Depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, ce principe est désormais inscrit dans le texte de notre Constitution dans les termes suivants : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. »
Permettez-moi, à cette occasion, de rappeler que cette rédaction s'inspire de la proposition de loi constitutionnelle votée par le Sénat le 26 octobre 2000 et de celle, plus complète, présentée en juillet 2002.
Il s'agit donc aujourd'hui de préciser la portée de cette garantie d'autonomie financière, de ce garde-fou, de cette précaution indispensable, dont la transgression pourra désormais être sanctionnée par le juge constitutionnel.
Comme vous le savez, les finances locales sont au coeur des préoccupations des élus locaux et donc, à l'évidence, des sénateurs et sénatrices.
En l'occurrence, deux impératifs s'imposent à tous.
En premier lieu, il s'agit de l'ardente obligation de compenser intégralement les charges supplémentaires résultant de toute extension des compétences des collectivités territoriales.
En second lieu, il s'agit de l'absolue nécessité de veiller à ne pas transformer les élus locaux en gestionnaires démotivés de ressources au sein desquelles les dotations préétablies occuperaient une part trop nettement prépondérante.
A cet égard, je ne doute pas que le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, saura trouver les solutions les plus opportunes pour assurer l'efficience du principe fondamental de l'autonomie financière de nos collectivités territoriales, tout en permettant la poursuite du processus de transfert de nouvelles compétences dans un contexte caractérisé par une fiscalité locale « à bout de souffle », je tiens à le dire, et dont la rénovation s'impose, même si elle s'avère difficile.
Eclairé par les réflexions de nos commissions des lois et des finances, dont les deux éminents rapporteurs, MM. les présidents Daniel Hoeffel et Michel Mercier, ont réalisé un travail de grande qualité, le Sénat va maintenant devoir se prononcer sur des questions aussi délicates qu'essentielles, comme celles de la définition des « ressources propres » et du montant de leur « part déterminante ».
Messieurs les ministres, mes chers collègues, l'enjeu de ce débat est singulièrement important. Il est même crucial, car l'autonomie financière est une condition sine qua non de l'établissement de relations financières saines, sûres et sereines entre l'Etat et les collectivités territoriales. La confiance doit désormais présider à ces relations financières.
Il y va de la réussite de l'acte II de la décentralisation, que j'ai appelé, avec M. le Premier ministre et avec vous tous, de mes voeux. Il s'agit là d'une impérieuse obligation, car l'avenir de notre pays passe par une réforme de l'Etat et par le développement des responsabilités locales.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour vous présenter le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Vous êtes les représentants attentifs des collectivités territoriales dans notre édifice institutionnel. Soumettre à votre examen rigoureux ce texte, qui constitue une clé de voûte de la décentralisation, en revêt d'autant plus d'importance à mes yeux.
Ce projet de loi a d'ores et déjà fait l'objet d'interrogations et de commentaires divers. Il a donné lieu à des débats passionnés lors de son examen par l'Assemblée nationale. C'est pourquoi je voudrais vous rappeler aujourd'hui quelles sont les intentions du Gouvernement en vous le présentant.
Ce texte a pour unique mais très ambitieux objectif de tracer un cadre durable de confiance pour l'avenir des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
Il s'inscrit dans la continuité d'une volonté et d'un projet : deux lois organiques, l'une sur le référendum local, l'autre sur l'expérimentation, ont d'ores et déjà été votées.
Mais ne nous y trompons pas : ce mouvement, dont le Premier ministre a pris l'initiative voilà deux ans, répond à un impératif de modernisation de nos institutions et du fonctionnement de notre démocratie. Il y va de l'efficacité de la décision publique.
Le Gouvernement vous soumet ce projet de loi organique, rendu indispensable par l'article 72-2 de la Constitution, dans un esprit d'ouverture et d'échanges constructifs, et je souhaite vous apporter toutes garanties sur les intentions du Gouvernement en la matière.
La première garantie est celle de la loyauté, assurée d'abord à travers un calendrier clairement fixé.
Parce qu'il s'agit d'un volet particulièrement important, l'examen de ce projet de loi organique intervient en effet avant la deuxième lecture du projet de loi sur les responsabilités locales.
Cette deuxième lecture doit elle-même avoir lieu à l'issue de la période de concertation à laquelle s'est engagé le Premier ministre pour tenir compte, notamment, du renouvellement des associations d'élus.
La troisième étape sera celle de la réforme de la taxe professionnelle et des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales. Vous le voyez, il s'agit d'un chantier immense.
Cette loyauté est assurée, ensuite, à travers la consécration du principe d'autonomie financière.
Vous le savez, avant que l'article 72-2, de la Constitution, et notamment son troisième alinéa, ne soit introduit dans notre Constitution, ce principe était juridiquement fragile : d'une part, parce qu'il était dépendant du principe de libre administration, qui ne suffit pas à en préciser les contours ; d'autre part, parce qu'il ne suffisait pas à garantir l'autonomie des collectivités dans la mesure où aucun seuil d'autonomie financière n'était défini pour préciser cette libre administration, et les gouvernements successifs ont pu, sans encourir le risque d'inconstitutionnalité, transformer plus de 14 milliards d'euros de ressources fiscales locales en dotations de l'Etat.
Aujourd'hui, la loi organique permet de restaurer la clarté et l'équilibre.
Elle définit les modalités de mise en oeuvre de la garantie, désormais constitutionnelle, de l'autonomie financière. Elle renforce ainsi la crédibilité de l'Etat dans ses relations avec les collectivités territoriales.
Elle rend dorénavant impossible tout transfert, création ou extension de compétences sans compensation financière équivalente, contrairement à ce qui a pu se produire ces dernières années, par exemple avec l'allocation personnalisée d'autonomie.
La deuxième garantie que je souhaite vous apporter est celle de la transparence dans l'action publique.
La transparence doit être assurée, tout d'abord, entre les collectivités de même niveau.
Vous le savez, l'article 72-2 de la Constitution a consacré le principe de péréquation afin de mieux assurer l'égalité entre les territoires. Cependant, pour que cette redistribution soit effective, il faut que vous puissiez connaître de façon exacte l'évolution des ressources des différentes collectivités et donc que vous disposiez de données précises sur leur niveau de ressources.
Nous avons souhaité répondre pleinement à cette exigence.
C'est pourquoi le Gouvernement est prêt à vous apporter toute l'information nécessaire pour que vous puissiez exercer pleinement votre rôle de contrôle de l'exécutif. Le débat que nous allons avoir sur le projet de loi organique doit nous permettre de vous apporter des réponses précises aux questions que vous pouvez vous poser dans ce domaine. JeanFrançois Copé s'y emploiera tout au long de vos discussions.
C'est aussi dans cet esprit que le Gouvernement souhaite renforcer le rôle de la commission consultative d'évaluation des charges, présidée à l'avenir par un élu, afin que les compensations soient réalisées à l'euro près en toute équité.
La transparence implique aussi que des comparaisons puissent être faites en toute objectivité avec nos voisins européens.
Aujourd'hui, la moyenne d'autonomie financière des pays du Conseil de l'Europe est de 25,7 %. Or la part déterminante définie dans le texte qui vous est présenté aujourd'hui se situe bien au-dessus de ce pourcentage : si l'on prend pour base de référence l'année 2003, au cours de laquelle la réforme de la taxe professionnelle a été totalement achevée, ce taux d'autonomie atteint en France plus de 35 % pour les régions, plus de 51 % pour les départements et 53 % pour les communes et groupements, ce qui place notre pays au huitième rang sur les quarante-cinq pays du Conseil de l'Europe, alors même que chez beaucoup d'entre eux l'Etat n'occupe pas une place aussi importante qu'en France.
Enfin, je veux tracer devant vous les contours de l'autonomie financière proposée par ce texte à travers ses quatre articles.
L'article 1er définit les catégories de collectivités territoriales. En effet, la Constitution garantit l'autonomie financière, non pas aux collectivités locales prises individuellement, mais à leurs catégories.
La définition retenue par le projet de loi est la plus simple possible, mais aussi la plus large, afin de ne pas multiplier le nombre de catégories à prendre en compte, afin de conserver la cohérence nécessaire pour mettre en oeuvre la garantie constitutionnelle.
Les trois grands niveaux retenus sont ceux de droit commun tels que les définit l'article 72 de la Constitution : les communes, qui incluent les établissements publics de coopération intercommunale, les départements, les régions. Quant aux collectivités à statut particulier et aux collectivités territoriales d'outre-mer, elles ont été regroupées avec celles de métropole dans un souci de clarté.
L'article 2 définit la notion de ressources propres, qui est au coeur de toutes les discussions, et je souhaite vous tenir à ce sujet un langage de vérité.
Dans le projet du Gouvernement, les ressources propres comprennent les impositions de toutes natures, les redevances pour services rendus, les produits du domaine, les participations d'urbanisme, les produits financiers et les dons et legs.
Il s'agit là d'une définition positive des ressources propres, conforme à la Constitution, qui permet de prendre en compte les produits de gestion courante et les produits exceptionnels.
Les impositions de toutes natures comprennent, quant à elles, le produit de tous les impôts et taxes locales perçus directement par les collectivités ainsi que le produit d'impôts nationaux pouvant être transféré par la loi aux collectivités territoriales en application du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.
Cette définition des impositions de toutes natures a été âprement discutée au cours du débat à l'Assemblée nationale comme lors des travaux de vos commissions.
Je sais qu'il n'est pas évident de considérer un impôt dont les collectivités ne maîtrisent pas le taux comme une ressource propre. Néanmoins, cette définition nous paraît conforme à la Constitution. Combinée avec le seuil fixé à l'article 3, en dessous duquel il ne sera pas possible de descendre, elle permet de garantir une réelle autonomie financière pour les collectivités locales.
Je veux insister sur un point essentiel : affecter aux collectivités une fraction d'impôt dynamique, c'est leur affecter à la fois une ressource propre évolutive et une ressource liée au dynamisme de l'activité du territoire. Cela marque une différence essentielle avec les dotations de l'Etat qui, elles, ne constituent pas une ressource propre.
Je veux enfin indiquer, en plus de ces arguments juridiques, que le pragmatisme qui caractérise notre action gouvernementale conduit à prendre en compte les contraintes européennes. Celles-ci rendent de plus en plus difficiles les modulations, au niveau local, de taux sur des impôts actuellement nationaux qui seraient à l'avenir transférés aux collectivités locales.
Il faut en tenir compte et, dès lors, admettre une définition raisonnable de l'autonomie financière, qui ne nous empêche pas de procéder à l'avenir à tout nouveau mouvement de décentralisation. C'est ce que vous propose le Gouvernement dans son projet.
L'article 3 de la loi organique définit la part déterminante comme celle qui garantit la libre administration des collectivités territoriales au regard de la nature des compétences qu'elles ont à exercer, et cela sans référence à un taux unique parce que les niveaux d'autonomie financière des catégories de collectivités locales sont aujourd'hui trop hétérogènes et parce qu'il fallait tenir compte des types de compétences exercées.
L'article 4, quant à lui, définit les modalités selon lesquelles le Gouvernement rend compte au Parlement de la mise en oeuvre de la loi organique et de l'évolution de la part des ressources propres pour chaque catégorie de collectivités territoriales.
Il prévoit aussi les conditions dans lesquelles le Gouvernement garantit au minimum le maintien des niveaux de 2003.
Il engage enfin le Gouvernement à restaurer les taux d'autonomie financière, si besoin est, par des dispositions inscrites en loi de finances dans les deux années qui suivent celle où le franchissement du seuil a été constaté. La définition de ce mécanisme correctif, dans un délai que l'Assemblée nationale a raccourci d'un an par rapport au texte du Gouvernement, illustre notre volonté forte de vous donner toutes garanties sur le respect du principe de l'autonomie financière.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu des enjeux de cette réforme, j'ai souhaité que nous ayons une explication claire et sans arrière-pensée afin de rendre opérationnelle dans les meilleurs délais l'exigence constitutionnelle d'autonomie financière.
Une fois ce cadre totalement défini, nous pourrons continuer à travailler ensemble afin de réformer notre pays en profondeur, de donner un nouveau souffle à l'esprit d'initiative et de rapprocher nos concitoyens des lieux de décisions.
En conclusion, je remercie les rapporteurs des deux commissions - Daniel Hoeffel pour la commission des lois et Michel Mercier pour la commission des finances -, qui ont fait un travail rigoureux et de grande qualité sur un sujet à la fois complexe et très sensible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, adopté par l'Assemblée nationale le 18 mai dernier, constitue, après les lois organiques du 1er août 2003 relatives au référendum local et à l'expérimentation par les collectivités territoriales, le troisième texte destiné à préciser les dispositions de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
Ce texte est certainement l'un des plus attendus par les élus locaux.
Ce texte est très attendu, d'une part, en raison de la nécessité de financer les charges induites par les transferts de compétences prévus par la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, par le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, que le Sénat doit examiner en deuxième lecture, ou encore par le projet de loi portant modernisation de la sécurité civile que nous discuterons bientôt.
Il est attendu, d'autre part, du fait de l'annonce par le Président de la République d'une réforme de la taxe professionnelle, laquelle constitue la principale ressource fiscale des collectivités territoriales.
Le nouvel article 72-2 de la Constitution, entièrement récrit par le Sénat du fait de l'adoption d'un amendement du Gouvernement prenant en compte plusieurs propositions de la commission des lois, puis légèrement modifié par l'Assemblée nationale, énonce les éléments constitutifs de l'autonomie financière des collectivités territoriales : libre disposition des ressources, autonomie fiscale, compensation des transferts, création et extension de compétences, péréquation.
Directement inspiré par la proposition de loi constitutionnelle votée par le Sénat le 26 octobre 2000, sur votre initiative, monsieur le président, sur celle du président du comité des finances locales, M. Jean-Pierre Fourcade, ainsi que des présidents des trois grandes associations d'élus, MM. Jean-Pierre Raffarin, Jean Puech et Jean-Paul Delevoye, et sur le rapport de notre collègue Patrice Gélard, il a pour objet de protéger une autonomie financière des collectivités territoriales qui a été singulièrement fragilisée au cours des dernières années.
Ainsi, les transferts de compétences aux collectivités territoriales ont été insuffisamment compensés, tandis que des charges nouvelles leur ont été imposées sans contrepartie financière. Le coût supporté par les départements au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie, dont nous avons débattu la semaine dernière, en témoigne éloquemment.
Faute d'être réformée, la fiscalité locale a été progressivement démantelée. De 1997 à 2002, c'est-à-dire en cinq ans, les recettes fiscales des collectivités territoriales ont ainsi été amputées de près de 15 milliards d'euros, en raison de la suppression de la part salaires des bases de la taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe d'habitation, de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur pour les particuliers, de la taxe régionale additionnelle aux droits de mutation à titre onéreux ainsi que de l'abaissement, puis du plafonnement, du tarif des droits de mutation à titre onéreux.
Elles ont, certes, été remplacées par des dotations de l'Etat, mais les modalités d'attribution de celles-ci ne permettent pas de répondre au besoin légitime des élus locaux de disposer de ressources prévisibles, évolutives et péréquatrices.
Le présent projet de loi organique a pour objet exclusif, en application du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, de déterminer les conditions requises pour que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ». C'est le grand mérite de la loi constitutionnelle, et il convient de le rappeler. La mise en oeuvre des autres dispositions de l'article 72-2 relevant de la loi ordinaire, je n'y reviens pas.
La question majeure soulevée par ce texte est celle de la définition des ressources propres des collectivités territoriales.
La rédaction qui nous est proposée inclut les impôts partagés sans possibilité de vote des taux ou de modification de l'assiette. La commission des lois, suivant en cela la position constante du Sénat, considère que seules les ressources dont les collectivités territoriales ont la maîtrise constituent des ressources propres.
A cet effet, elle a déposé, tout comme d'ailleurs la commission des finances, un amendement ayant pour objet de prévoir que, parmi les impositions de toutes natures, seules constituent des ressources propres les recettes fiscales dont les collectivités territoriales sont autorisées par la loi à fixer l'assiette, le taux ou le tarif.
Le Gouvernement, la commission des lois et la commission des finances de l'Assemblée nationale ont exprimé la crainte que la Constitution n'impose de considérer les versements représentatifs d'un impôt national comme une ressource propre des collectivités territoriales. Pour étayer leur thèse, ils font valoir que le troisième alinéa de l'article 72-2 ferait référence à l'ensemble des recettes fiscales des collectivités territoriales tandis que le deuxième alinéa permettrait au législateur d'octroyer aux collectivités territoriales des recettes fiscales sans nécessairement les autoriser à en fixer le taux ou l'assiette.
Cette question a été longuement examinée par la commission des lois. Je pense, messieurs les ministres, que vous pouvez être pleinement rassurés. N'avons-nous pas eu l'occasion de confronter d'une manière franche et directe...
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ...et amicale, en effet, nos points de vue respectifs sur ce problème clef du présent texte ? (M. le ministre et M. le ministre délégué opinent.)
En prévoyant, d'une part, que les collectivités territoriales peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures et, d'autre part, qu'elles peuvent être autorisées à en fixer l'assiette et le taux dans les limites déterminées par la loi, le deuxième alinéa de l'article 72-2 fonde, au lieu d'interdire, la distinction entre deux catégories d'impositions de toutes natures : les recettes modulables et les recettes non modulables.
Le troisième alinéa du même article dispose sans équivoque possible, je le crois, que seules les recettes fiscales « propres » doivent représenter, avec les autres ressources propres, une part déterminante de l'ensemble des ressources de chaque catégorie de collectivités territoriales.
Il confie à la loi organique le soin de définir ce que sont les recettes fiscales propres. Or que sont des ressources propres, sinon des recettes dont les collectivités locales ont la maîtrise ?
La définition des ressources propres des collectivités territoriales retenue par la commission des lois est pleinement conforme, je le crois, non seulement à la lettre de la Constitution mais également à l'esprit qui a présidé à sa révision et aux interprétations qui en ont été données.
Dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, M. Pascal Clément, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, définissait justement les ressources propres des collectivités territoriales comme « les ressources libres d'emploi, définitivement acquises et dont l'initiative, quant au principe et au montant, relève d'une décision de la collectivité territoriale. »
Cette définition reprenait exactement celle que le Gouvernement avait communiquée à notre commission des lois en réponse aux questions que lui avait adressées son président, M. René Garrec. Lors des débats au Sénat, M. Dominique Perben, garde des sceaux, avait d'ailleurs souligné l'importance de « l'idée de responsabilité fiscale, qui est le corollaire de la responsabilité démocratique ».
Cette définition correspond également à celle qu'avait retenue le Sénat en adoptant, le 26 octobre 2000, sur le rapport fait au nom de la commission des lois par notre excellent collègue M. Patrice Gélard, une proposition de loi constitutionnelle présentée par MM. Christian Poncelet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin.
Les trois premiers alinéas du texte proposé pour insérer un article 72-1 dans la loi fondamentale, qui ont directement inspiré la rédaction de l'actuel article 72-2, prévoyaient respectivement que :
« - la libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de recettes fiscales dont elles votent les taux dans les conditions prévues par la loi ;
« - les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités territoriales sont constituées pour la moitié au moins de recettes fiscales et autres ressources propres ;
« - les collectivités territoriales peuvent recevoir le produit des impositions de toutes natures. »
Ils établissaient ainsi une distinction claire entre les ressources fiscales propres et le produit des impositions de toutes natures.
Cette distinction figure également dans la charte européenne de l'autonomie locale, dont l'article 9 prévoit qu'« une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi ».
Une recommandation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe accentue encore cette définition, en en respectant l'esprit et la lettre.
La maîtrise de l'assiette ou du taux des impôts locaux accroît la liberté de gestion des collectivités en leur permettant de dégager des ressources supplémentaires pour financer des dépenses imprévues et elle renforce la responsabilité des élus locaux envers leurs électeurs, ceux-ci pouvant mettre en regard du montant des impôts qu'ils acquittent les services dont ils bénéficient en retour.
L'autonomie fiscale constitue ainsi un fondement de la démocratie locale et, par surcroît, un gage d'efficacité.
L'assimilation du produit d'impositions de toutes natures à des ressources propres résulte, en fait, moins de considérations juridiques, avec la fragilité que cela peut impliquer, que de la difficulté, liée à la conjoncture économique, aux contraintes budgétaires, que nous ne sous-estimons pas, et à la réglementation européenne, de permettre aux collectivités de faire varier, globalement et d'un territoire à l'autre, le poids de la fiscalité.
Les dotations de l'Etat n'en demeurent pas moins - nous en sommes tous conscients en tant qu'élus locaux - un complément de ressources essentiel lorsqu'elles protègent les collectivités contre les aléas de la conjoncture économique et compensent, par des mécanismes de péréquation ô combien importants, les fortes inégalités de ressources et de charges qui existent entre collectivités.
Aussi, en contrepartie d'une définition plus exigeante des ressources propres des collectivités territoriales, la commission des lois présentera un amendement ayant pour objet de prévoir que leur part dans l'ensemble des ressources des différentes catégories de collectivités ne pourra descendre en dessous de 33 %, tout chiffre étant à cet égard, je le précise dès à présent, susceptible d'être contesté.
Notre commission n'a pas jugé souhaitable de retenir, comme le prévoit le projet de loi organique, un taux minimum d'autonomie financière différent selon les catégories de collectivités. Pourquoi, en effet, les régions et les départements bénéficieraient-ils d'une protection moindre que les communes ?
En 2000, le Sénat avait souhaité fixer le taux d'autonomie financière à 50 % au moins. En 2002, la commission des lois avait proposé de retenir la notion de part prépondérante.
M. Devedjian, alors ministre délégué aux libertés locales, avait finalement convaincu la commission des lois, ainsi que le Sénat, de retenir dans la Constitution la notion de « part déterminante » et de fixer dans la loi organique un seuil qui serait bas au départ mais qui pourrait être relevé progressivement à mesure de l'état d'avancement de la réforme des finances locales.
Exiger que les ressources propres de chaque catégorie de collectivités territoriales représentent au moins 33 % de l'ensemble de leurs ressources permettrait tout à la fois de donner des marges de manoeuvre aux collectivités territoriales pour financer des dépenses imprévues, de préserver le lien indispensable entre les élus locaux et leurs électeurs, de ne pas paralyser la réforme nécessaire des finances locales et surtout, mais d'autres plus qualifiés que moi en parleront tout à l'heure, de laisser place à la péréquation.
Ce seuil plancher ne doit bien évidemment pas être interprété comme une incitation à une réduction du taux d'autonomie financière des départements et des communes. Il offre une base - et j'insiste sur cette formulation - dont nous pourrons discuter au cours de l'examen des articles,...
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... en vue du renforcement ultérieur de cette autonomie.
La commission des lois proposera en outre : de codifier les dispositions du projet de loi organique dans le code général des collectivités territoriales ; de préciser les modalités de calcul de la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources des différentes catégories de collectivités territoriales ; de prévoir que le rapport du Gouvernement au Parlement devra présenter non seulement la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources des différentes catégories de collectivités, mais également ses modalités de calcul et son évolution ; d'avancer au 1er juin de la deuxième année suivant l'année considérée la date limite de remise de ce rapport.
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements dont je me suis permis de commenter les motifs, la commission des lois vous propose d'adopter le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)