C. DES LOGIQUES IRRÉDUCTIBLES ?
En opposant la légitimité et la rationalité de l'Etat d'un côté, des collectivités locales, de l'autre, les logiques précédentes peuvent apparaître irréductibles , sauf convergence des diagnostics et des objectifs et sauf congruence des personnalités. Par surcroît, les mésententes et les divergences d'appréciation entre les partenaires de la contractualisation peuvent être nourries par les ambivalences du terme " contrat de plan " (cf. encadré ci-après).
LES AMBIVALENCES DU TERME " CONTRAT DE PLAN " 68( * )
Remarquons tout d'abord que les notions de
" contrat " et
de " plan " relèvent de fondements différents : la
notion de contrat repose sur l'idée de
liberté
, tandis que
la notion de plan repose sur l'idée de
volonté
.
De plus, la notion de contrat est associée avec celle de
particularité
, là où le plan reflète une
aspiration à
l'unité
et à la globalité. Par
nature, la planification est ainsi centralisatrice. La consultation des
collectivités locales pour l'élaboration du plan national fut
ainsi fort tardive.
En revanche, contrairement à l'intuition première, la notion de
contrat ne renvoie pas à l'idée
d'égalité
.
En droit public français, la notion de contrat trouve d'ailleurs son
origine dans les contrats passés par l'administration pour satisfaire
ses
besoins
matériels.
A bien des égards, les contrats de plan Etat-Région
français apparaissent d'ailleurs singuliers dans leurs modalités
et ambigus dans leurs fondements par rapport aux
expériences
étrangères
de contractualisation (cf. encadré
ci-après).
Certes, le développement de la coopération contractuelle semble
partout se développer comme une double réponse :
- à la
fragmentation
du système institutionnel, soit que
cette fragmentation procède d'une organisation constitutionnelle qui la
favorise, comme en Belgique ou en Espagne, soit qu'elle procède de la
fragmentation territoriale et de la multiplicité des niveaux
d'intervention publique, comme en France ;
- au souhait d'une modernisation de l'action publique par le
développement de la
concertation
.
Cependant, la France, où "
le contrat s'est imposé comme
la procédure de droit commun de coordination et de coopération
entre l'Etat et les collectivités locales
"
69(
*
)
, constitue à cet égard
une exception. En Allemagne, aux Pays-Bas ou en Italie, cette coordination
s'effectue également par le biais d'instances
délibératives. Surtout, dans la plupart des autres pays
européens, la coordination des politiques publiques est facilitée
par les capacités d'influence, directes ou indirectes de l'Etat, par la
hiérarchisation des collectivités locales ou par la
délimitation plus nette des compétences.
En effet, à l'exception des Etats fédérés dans les
pays fédéraux, les collectivités locales de nos
partenaires européens jouissent souvent d'un degré d'autonomie
moindre, soient qu'elles tirent une plus faible partie de leurs ressources de
la fiscalité propre, soit que les transferts budgétaires de
l'Etat soient plus largement affectés, soit qu'elles ne
bénéficient pas d'une " clause générale de
compétence ", là où les collectivités locales
françaises peuvent intervenir en toute matière à condition
que cela corresponde à un intérêt local et à
condition de ne pas empiéter sur les compétences formellement
attribuées par la loi à une autre autorité de l'Etat ou
à une autre collectivité territoriale.
Dans ce contexte d'une relative décentralisation, certains commentateurs
estiment alors que les contrats de plan sont le principal outil de
contrôle et de tutelle dont dispose encore l'Etat : la
contractualisation ne pourrait donc procéder que d'une démarche
de recentralisation de la part de l'Etat ; la contractualisation serait la
" régulation " de la décentralisation.
Au total, les contrats de plan seraient ainsi le lieu où s'exprimeraient
toutes les tensions résultant de la
décentralisation
.
Dès lors, leur élaboration ne pourrait être consensuelle
que lorsque les débats relatifs à la décentralisation
seront apaisés, ce qui est encore loin d'être le cas.
Notre organisation institutionnelle pourrait aussi expliquer une double
spécificité des contrats de plan français :
- les contrats de plan Etat-Région sont en principe à la fois des
accords politiques autour d'orientations générales et des accords
en forme juridique autour de dispositions opérationnelles
précisément énumérées, alors que les
contrats entre collectivités publiques politiques dans les autres pays
européens ressortent plutôt ou bien de l'une, ou bien de l'autre
démarche ;
- de même, l'expérience française des contrats de plan
" se distingue par la pratique de contrats qui correspondent à
une véritable programmation plurisectorielle
"
70(
*
)
, alors que la coopération
contractuelle, dans les autres pays européens où elle se
rencontre, "
se traduit par des conventions ou des accords qui ont
toujours un objet bien défini : exercice conjoint de certaines
compétences, réalisation de travaux d'intérêt
commun, le plus souvent
"
71(
*
)
.
A trop vouloir, ne risque-t-on pas confusion et frustration ?
Votre rapporteur estime ainsi souhaitable de
recentrer
les contrats de
plan sur des grands projets communs et sur des
politiques territoriales
plus fortes permettant à l'Etat et à la Région de jouer et
d'assumer pleinement leurs rôles respectifs.
Le premier bilan de la négociation des quatrièmes contrats de
plan Etat-Région (cf. chapitre VIII) suggère toutefois que cette
ambition nécessaire n'est pas suffisante pour rééquilibrer
la négociation.
LA
CONTRACTUALISATION ENTRE LES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES
DANS LES PAYS
EUROPÉENS
En
Allemagne
, le recours au contrat est presque inconnu dans les rapports
entre l'Etat et les collectivités locales : l'Allemagne est un Etat
fédéral, et le gouvernement fédéral n'entretient
pas de relations directes avec les collectivités locales ; pour
celles-ci, l'Etat, c'est le Land.
Au niveau fédéral, de nombreux accords ont établi des
instances communes de délibération : il existe ainsi 13
comités interministériels qui réunissent le ministre
fédéral avec ses homologues des Länder. En outre, pour
chacune des " missions communes " de la Fédération et
des Länder définies par la Loi fondamentale, une loi soumise
à l'approbation du Bundesrat établit un comité de
planification à composition paritaire
(Fédération/Länder) qui statue sur l'affectation des moyens
que la Fédération consacre à ces missions.
Au niveau du Land, le contrat n'est pas davantage pratiqué pour les
relations avec les communes, mais en matière d'aménagement du
territoire, car les plans régionaux (il en existe plusieurs par Land)
sont impératifs pour les documents d'urbanisme communaux : la loi
du Land associe, selon des modalités variables, les communes à
l'élaboration de ces plans, ou laisse parfois la décision
à des groupements de communes spécialisés
créés à cette fin.
Au
Royaume-Uni
, il n'existe ni contrat, ni instance
délibérative qui joue un rôle dans les relations entre le
Gouvernement central et les collectivités locales. Cela serait contraire
à la tradition constitutionnelle britannique, selon laquelle les
autorités locales ne détiennent que le pouvoir que leur
délègue le Parlement.
Les compétences des collectivités locales sont donc pleinement
exercées par elles sous réserve des contrôles
exercés par le ministre compétent, le Parlement et les cours. La
notion de contrat de la common law ne permet d'ailleurs pas de concevoir un
contrat qui aurait pour objet l'exercice d'un pouvoir dont une autorité
aurait été investie par le Parlement.
En revanche, pour la réhabilitation des quartiers urbains
dégradés, la politique des gouvernements conservateurs des
années 1990 a encouragé la définition de projets associant
le secteur public et le secteur privé, ce qui devait se traduire par la
conclusion d'un contrat entre les parties associées dans le projet
soumis au Gouvernement et éligible à une subvention dans le cadre
des programmes gouvernementaux
City Challenge
puis
Single
Regeneration Budget
.
En
Espagne
, c'est dans les rapports entre l'Etat et les
communautés autonomes que la coopération contractuelle a
trouvé place. La loi générale de 1982 sur le régime
juridique des administrations et de la procédure administrative commune
prévoit des conférences sectorielles de l'Etat et des
communautés autonomes et la conclusion de conventions de
coopération dans la limite de leurs compétences respectives.
Ces conventions peuvent créer un établissement public pour la
gestion des affaires faisant l'objet de la convention.
Par ailleurs, la législation régionale prévoit parfois la
conclusion d'accords ou de conventions entre la communauté autonome et
des collectivités locales pour la mise en oeuvre de certaines mesures ou
la délégation de leur exécution (par exemple en Catalogne).
En
Italie
, l'apparition du contrat pour régler les relations
entre les collectivités publiques est déjà ancienne,
puisqu'elle a commencé avec la mise en oeuvre des programmes de
développement du
Mezzogiorno
. Mais depuis 1990 (loi n°142
sur l'autonomie locale et loi n°241 relative à la procédure
administrative), le contrat est devenu un instrument de portée beaucoup
plus générale pour favoriser la coopération entre les
administrations dans l'exercice de leurs compétences, ou plus
spécialement pour la réalisation en commun de travaux publics
comportant des cofinancements, ce qui semble avoir été la
principale application.
Toutefois, ces contrats ont en général un intérêt
communal. Ils ne font généralement pas intervenir l'Etat
(même si il y a des exceptions importantes) et la région est
généralement partie au contrat. Par ailleurs, le
législateur italien préfère habituellement, surtout pour
des cas d'espèce sans portée générale, recourir aux
termes plus neutres de " convention ", " d'accord " ou de
" pacte ", plutôt qu'à celui de
" contrat "
72(
*
)
.
A ces contrats s'ajoutent d'ailleurs des " pactes " à
caractère beaucoup plus politique que technique, comme les
" contrats de sécurité " ou les " contrats de
légalité " par lesquels les autorités de l'Etat
chargées de la gestion des forces de l'ordre (habituellement le
préfet), les collectivités locales et parfois même les
représentants des catégories sociales et économiques,
s'engagent à renforcer les conditions de sécurité du
territoire par l'accroissement des services de contrôle et de patrouille,
la coordination des forces de police nationales et municipales, la
création de comités de prévention de la
précarité et de la marginalisation, etc
73(
*
)
.
Enfin, notons qu'il existe par ailleurs " une conférence permanente
pour les rapports entre l'Etat, les régions et les provinces autonomes
de Trento et Bolzano ", et une " conférence Etat-cité
et autonomies locales ", ces deux structures pouvant d'ailleurs se
rejoindre pour ce qui est des matières communes dans une
" conférence unifiée ". Aux termes du décret-loi
n°281 du 28 août 1997, des accords entre l'Etat et les
collectivités locales peuvent être stipulés au sein de ces
conférences pour " coordonner l'exercice des compétences
respectives et accomplir des activités d'intérêt
commun ", sans que ces accords aient une autre nature que politique.
Aux
Pays-Bas
, des conventions ont été introduites pour la
mise en oeuvre du IVème plan national d'aménagement du
territoire, qui ne s'imposait pas d'office, et pour la protection et
l'aménagement de zones fragiles d'un point de vue environnemental.
Cependant, d'un côté, les finances locales font aux Pays-Bas une
large place aux dotations spécifiques accordées par l'Etat sur la
base de critères définis par lui, ce qui suffit dans les autres
domaines à assurer une orientation générale des actions
des collectivités locales ; de l'autre, l'usage consacre, sur les
questions affectant leurs intérêts ou leurs compétences,
un droit de négociation avec le Gouvernement pour les associations de
communes et de provinces, ainsi que pour les quatre plus grandes villes.
En
Belgique
, l'expérience des contrats de sécurité
(de loin inspirée des contrats de ville français) est
restée isolée, notamment parce que l'Etat ne dispose que de peu
de moyens, juridiques ou autres, pour orienter les politiques locales,
même dans un domaine où il conserve une compétence.
En revanche, s'agissant des partenaires de la Belgique fédérale,
les procédures impliquant la concertation ou la collaboration
foisonnent. La constitution de 1993 et la loi spéciale de
réformes institutionnelles prévoient la possibilité pour
les régions et les communautés de passer des accords de
coopération pour la création ou la gestion de services communs ou
le développement d'initiatives communes. La conclusion de certains
accords est d'ailleurs obligatoire : il s'agit de pallier la fragmentation
institutionnelle qui résulte de l'augmentation des compétences
des régions et des communautés qui forment la Belgique
fédérale. L'Etat fédéral ne participe pas à
ces accords, mais ceux qui pourraient grever l'Etat ou les individus ne
prennent effet qu'après avoir été approuvés par une
loi.
Source
:
" La coopération contractuelle en
Europe ", Gérard MARCOU, in Pouvoirs locaux
n°35, 1999.