VI. LE DÉVELOPPEMENT DES ÉCHANGES DE PERMIS D'ÉMISSION SOULÈVE DES INQUIÉTUDES LÉGITIMES
1. Les marchés de permis pourraient constituer une désincitation à la maîtrise des émissions pour les pays industrialisés
Le
recours aux marchés de permis par les pays industrialisés
pourrait réduire leurs
incitations
à développer des
technologies propres, d'une part, à infléchir leurs choix publics
pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre,
d'autre part. Il pourrait en résulter des choix intertemporels
sous-optimaux : en édifiant aujourd'hui des infrastructures voraces
en énergie et en ralentissant les progrès d'efficacité
énergétique, on accroîtrait d'autant le
coût
futur
de maîtrise des émissions.
Le fait que les principaux pays industrialisés puissent pour partie
remplir leurs engagements sur la période 2008-2012 en achetant des
quotas
excessivement
généreux
alloués aux
pays en transition
est en outre de nature à renforcer cette
désincitation et à décrédibiliser le processus
international de lutte contre le changement climatique.
Le choix de l'année 1990 comme période de référence
est en effet très favorable aux pays en transition, en particulier
à
l'Ukraine
et à la
Russie
: cette
année correspond à un moment où ces pays consommaient et
gaspillaient beaucoup d'énergie. Depuis lors, leurs émissions de
CO
2
ont beaucoup baissé. Les objectifs qui leur ont
été accordés à Kyoto (0 % pour la Russie sur la
période 2008-2012 par rapport à 1990) sont donc très
laxistes
: même si la Russie et l'Ukraine ne prennent aucune
mesure pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, il
est probable que ces pays disposeront de l'ordre de 100 millions de tonnes
de carbone de quotas excédentaires (soit l'équivalent des
émissions actuelles de la France).
Au total, la signature par ces pays du protocole de Kyoto a ainsi
été obtenue au prix d'un "
cadeau
" dont la
valeur pourrait atteindre 5 à 20 milliards de dollars par an
à partir de 2008
69(
*
)
.
Cet " Air chaud "
70(
*
)
réduit la crédibilité du processus de Kyoto. Cependant, en
permettant aux pays de l'OCDE d'acheter des permis ne correspondant pas
à des réductions effectives des émissions, cela ne
résulte pas du principe des échanges, mais de
l'inéquité de la répartition initiale des quotas.
En effet, si on limitait les échanges et que la Russie et l'Ukraine ne
pouvaient vendre en 2008-2012 leurs quotas excédentaires, ces pays
pourraient en reporter le bénéfice sur les périodes
postérieures à 2012, c'est-à-dire réduire d'autant
leurs efforts ultérieurs de maîtrise des émissions. A long
terme, cela reviendrait au même pour la concentration de gaz à
effet de serre dans l'atmosphère.