N° 167

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 janvier 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1),

sur la
politique étrangère et de sécurité commune

dans le traité d'Amsterdam

Par M. Michel BARNIER,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Michel Barnier, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Simon Loueckhote, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. André Rouvière, Simon Sutour, René Trégouët, Xavier de Villepin, Henri Weber.

Union européenne - Coopération politique européenne - PESC - Traité d'Amsterdam - Politique européenne de défense - UEO.

INTRODUCTION



" Je veux bien parler à l'Europe, mais qu'on me donne un numéro de téléphone ".

Henry Kissinger

Mesdames, Messieurs,

Au cours des dernières années, l'actualité en Afrique, dans les Balkans ou au Moyen-Orient a focalisé l'attention de l'opinion publique sur la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne ou plutôt sur son incapacité à intervenir efficacement dans la prévention et le règlement des conflits.

Ce jugement sévère est malheureusement exact, même s'il s'exprime parfois de manière caricaturale. Il a eu néanmoins pour mérite de conduire les Etats membres à s'interroger sur les raisons de leur défaillance et de placer la PESC au centre des réflexions de la Conférence intergouvernementale préparatoire au Traité d'Amsterdam.

Parler de la PESC commence toujours par l'évocation de paradoxes. En premier lieu, les commentateurs soulignent que les pères fondateurs de la Communauté avaient pour objectif essentiel non pas de constituer une vaste zone marchande, mais d'instaurer un espace de paix brisant définitivement avec la logique de guerre. Il serait paradoxal que les Etats membres aient abouti pour celle-là et échoué pour celui-ci. Cette considération n'est pas convaincante car l'intention première n'était pas d'organiser la paix mondiale, quelle que soit la bonne volonté des initiateurs, mais d'éradiquer les causes de conflits entre nations européennes et, en ce sens, les résultats ont largement confirmé les espérances.

Le second paradoxe, le plus souvent entendu, consiste à mettre en parallèle la puissance économique et le rôle capital de bailleur de fonds de l'Union européenne dans l'ensemble du monde, et notamment ses zones instables, et la faiblesse de l'influence politique qu'elle a pu y exercer(1( * )).

L'argument semble pertinent : il est incontestable que les moyens financiers mis en oeuvre par l'Union au titre de sa politique commerciale, de l'aide au développement pour les pays ACP et d'Europe centrale et orientale, ou de l'assistance humanitaire sont sans commune mesure avec l'efficacité de sa politique étrangère. Faut-il pour autant établir un lien automatique entre puissance économique et puissance diplomatique ? Rien n'est moins sûr. Le Japon est une grande puissance économique ; il intervient peu dans le règlement des conflits. Les Etats-Unis participent médiocrement à l'aide au développement ; ils dominent la diplomatie mondiale.

Si l'Union européenne manque de crédibilité sur la scène internationale, c'est avant tout parce qu'elle n'a pas encore trouvé la volonté politique de concevoir une véritable action extérieure . L'Union rassemble quinze pays, et plus encore lorsqu'elle s'élargira à l'Est. Plusieurs d'entre eux ont une tradition diplomatique nationale fortement ancrée, certains une position privilégiée au sein des Nations unies, quelques uns une culture de neutralité, et presque tous des souvenirs encore récents de guerre. L'élaboration d'une politique étrangère et de sécurité qui leur soit commune exige de chacun une part de renoncement et une part d'implication. On voit la difficulté de l'exercice.

Pourtant, une partie du chemin a déjà été parcourue. La politique étrangère de l'Union a obtenu des résultats et n'est pas le néant que certains dénoncent. Mais il est encore nécessaire d'améliorer son fonctionnement.

Cinq ans après Maastricht, le Traité d'Amsterdam propose d'avancer un peu plus dans cette voie. Quelles évolutions peuvent être attendues de l'entrée en vigueur de ce texte ? Quels moyens doit-on mettre en oeuvre pour donner une réalité et une lisibilité à la politique étrangère européenne ? C'est l'objectif de ce rapport que d'apporter ici quelques éléments de réponse. Il n'a pas la prétention de dire quelle doit être la PESC de demain, mais seulement d'étudier comment elle pourra apparaître.

I. UNE MARCHE LENTE, MAIS REGULIERE, VERS LA PESC

A. DES ORIGINES A MAASTRICHT

Après l'instauration de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, l'idée d'organiser entre les six Etats membres les modalités leur permettant d'agir de concert sur la scène internationale a commencé de faire son chemin.

Le rejet du projet de Communauté européenne de défense (CED) par l'Assemblée nationale française en 1954, puis l'échec des plans Fouchet de 1961 et 1962, qui, de manière visionnaire, proposaient d'organiser sous forme intergouvernementale la politique étrangère des Etats membres ont marqué dès le début un coup d'arrêt au développement d'une Communauté politique européenne .

Entre-temps, la signature du traité de Rome en 1958 avait fait de l'intégration économique l'objectif central de la construction européenne.

Ces premiers revers infligés à l'union politique n'ont toutefois pas détourné les Etats membres de leur souhait de donner à leur politique étrangère un sens européen. C'est d'abord la voie de la coopération qu'ils ont choisi d'emprunter.

1. La coopération politique européenne, premier pas vers la PESC

Au sommet de La Haye, de décembre 1969, les chefs d'Etat et de gouvernement émettent le voeu " d'étudier la meilleure manière de réaliser des progrès dans le domaine de l'unification politique ". La naissance de la coopération politique européenne (CPE) résultera, en juin 1970, de ce projet de favoriser " un développement de la coopération dans le domaine de la politique étrangère ".

Cette coopération va progressivement se développer, en dehors du cadre communautaire, sur la base d'un schéma intergouvernemental préfigurant la construction par piliers qui sera réalisée vingt ans plus tard. Elle consacre donc l'existence de deux logiques parallèles dans le fonctionnement du système européen : les procédures de politiques communes conférées à la Communauté en matière de relations commerciales extérieures, d'une part, et la coopération interétatique pour le rapprochement de positions nationales dans le domaine de la politique étrangère, d'autre part.

Au fil des années et suivant la volonté commune des parties, la coopération politique prend une ampleur croissante dépassant peu à peu la seule obligation de " consultation réciproque sur les questions importantes " à laquelle elle se limitait à ses débuts.

En novembre 1973, après un premier élargissement, les Etats membres procèdent au renforcement du dispositif, qui se traduit par une augmentation de la fréquence des réunions des ministres des affaires étrangères et du comité politique, composé des directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères, par la constitution de groupes de travail et par la création d'une liaison spécifique par télex, le COREU. Le nouvel objectif affiché est celui de rechercher " des lignes communes dans des cas concrets ".

Le 14 décembre 1973, le Conseil européen de Copenhague utilise, pour la première fois, le concept " d'identité européenne " fondée sur la reconnaissance de l'existence de valeurs communes et la volonté de mieux définir les relations des Etats membres " avec les autres pays du monde, ainsi que les responsabilités qu'ils assument dans les affaires mondiales ".

C'est à l'issue du sommet de Paris de décembre 1974, sur l'initiative du Président Giscard d'Estaing et du Chancelier Schmidt, qu'est créé le Conseil européen, réunissant les chefs d'Etat et de gouvernement, et auquel est attribuée la mission de " se réunir en Conseil de la communauté et au titre de la coopération politique " . Cette formulation permet d'établir un lien institutionnel entre les deux volets, jusqu'alors séparés, de l'action extérieure de la Communauté et marque le souhait d'afficher une plus grande cohérence de celle-ci. C'est aussi à cette occasion qu'en l'absence d'organe spécifique, le rôle de porte-parole des Etats membres est confié à la présidence.

Le Conseil européen de La Haye de 1976 attribue pour la première fois à la coopération politique l'objectif de rechercher une " politique étrangère commune ".

En octobre 1981, le rapport de Londres, né d'une initiative du ministre britannique, Lord Carrington, mentionne la vocation de la coopération politique européenne à traiter de " certains problèmes de politique étrangère portant sur les aspects politiques de la sécurité ".

La déclaration solennelle de Stuttgart de juin 1983 constitue le point de départ d'une nouvelle réflexion qui débouchera sur l'acte unique européen.

2. L'acte unique européen

En juin 1985, le Conseil européen de Milan convoque une Conférence intergouvernementale chargée d'amender le traité de Rome et d'élaborer " un traité sur une politique étrangère et de sécurité commune ". L'acte unique européen, qui résultera de ces négociations en février 1986, comporte un titre III consacré à la coopération européenne en matière de politique étrangère.

A la vérité, ce texte apporte peu d'éléments novateurs, mais il consacre les acquis et les pratiques de la coopération politique. Il confirme ainsi l'obligation d'information mutuelle et de consultation sur les questions de politique étrangère d'intérêt général et suggère la recherche de positions communes aux parties. Il invite celles-ci à respecter un engagement de solidarité pour que les initiatives nationales ne puissent nuire à l'efficacité globale des Douze. Il évoque également l'éventualité d'une pratique d'abstention pour ne pas " faire obstacle à la formation d'un consensus et à l'action conjointe qui pourrait en résulter " et contient une référence, encore vague, aux actions communes à entreprendre.

Enfin, l'acte unique prévoit l'instauration d'un secrétariat permanent auprès du Conseil, chargé de l'organisation et de la gestion de la coopération politique européenne.

Acte unique européen

Titre III : dispositions sur la coopération européenne
en matière de politique étrangère

Article 30 (extraits) :

1. Les Hautes Parties contractantes (2( * )) , membres des Communautés européennes, s'efforcent de formuler et de mettre en oeuvre en commun une politique étrangère européenne.

2. a)  Les Hautes Parties contractantes s'engagent à s'informer mutuellement et à se consulter sur toute question de politique étrangère ayant un intérêt général, afin d'assurer que leur influence combinée s'exerce de la manière la plus efficace par la concertation, la convergence de leurs positions et la réalisation d'actions communes.

b)  Les consultations ont lieu avant que les Hautes Parties contractantes ne fixent leur position définitive.

c)  Chaque Haute Partie contractante, dans ses prises de position et dans ses actions nationales, tient pleinement compte des positions des autres partenaires et prend dûment en considération l'intérêt que présentent l'adoption et la mise en oeuvre de positions européennes communes.

Afin d'accroître leur capacité d'action conjointe dans le domaine de la politique étrangère, les Hautes Parties contractantes assurent le développement progressif et la définition des principes et d'objectifs communs. La détermination des positions communes constitue un point de référence pour les politiques des Hautes Parties contractantes.

d)  Les Hautes Parties contractantes s'efforcent d'éviter toute action ou prise de position nuisant à leur efficacité en tant que force cohérente dans les relations internationales ou au sein des organisations internationales.

[...]

5. Les politiques extérieures de la Communauté européenne et les politiques convenues au sein de la coopération politique européenne doivent être cohérentes.

La présidence et la Commission, chacune selon ses compétences propres, ont la responsabilité particulière de veiller à la recherche et au maintien de cette cohérence.

[...]

*

Même si l'action extérieure de l'Europe est restée à un stade déclaratoire durant cette période, les vingt années de concertation menée dans le cadre de la coopération politique européenne n'ont pas été inutiles : elles ont permis un rapprochement effectif entre les diplomaties européennes grâce aux nombreux groupes de travail, géographiques et thématiques, qui ont constitué autant de lieux d'information et d'échanges entre elles. Ce bilan est d'autant plus appréciable que les décisions prises dans ce cadre étaient dépourvues de caractère contraignant et d'obligation de résultats : le seul engagement réel inscrit dans l'acte unique se limitait à celui de procéder à l'information et la consultation des pays partenaires avant la formulation d'une position nationale.

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