2. Les constats d'infraction par les administrations
Une
autre zone d'ombre en amont des plaintes est constituée par la
méconnaissance par les Parquets de la politique de constat d'infractions
mise en oeuvre par les administrations qui en ont le pouvoir et par la probable
mauvaise application de l'article 40 alinéa 2 du code de
procédure pénale qui fait obligation à tout organe public
de déférer des faits délictueux au procureur de la
République. Or, tous ces faits délictueux ne sont pas
dénoncés par certaines autorités constituées
d'officiers publics ou de fonctionnaires qui, dans l'exercice de leurs
fonctions, ont connaissance d'un crime ou d'un délit.
Le classement sans suite peut résulter de la non-transmission par les
autres services de l'Etat ayant qualité pour constater les infractions
relevant de leur domaine de compétence ; les services des douanes, de la
répression des fraudes, la Direction départementale des affaires
sanitaires et sociales, les Directions régionales de l'industrie, de la
recherche et de l'environnement, la Direction départementale de
l'équipement, de l'inspection du travail, etc...
Les motifs sont multiples : volonté délibérée
de ne pas saisir le Parquet et donc de traiter l'affaire à son
niveau ; lassitude ("aucune poursuite ne sera engagée") ;
surcroît de travail engendré par la rédaction de
procès-verbaux et leur transmission en bonne et due forme.
Plusieurs cas de figure peuvent ainsi se présenter, qui expliquent cette
situation :
-
les interventions hiérarchiques
qui interdisent les
transmissions, bien que l'autorité administrative n'en ait pas
légalement le pouvoir ;
-
les compromis acceptés par les services
déconcentrés
, sans contrôle du Parquet (exemple
fréquent : les infractions aux règles du permis de
construire relevées par les Directions départementales de
l'équipement) ;
-
les courts-circuits juridiques
au jugement d'opportunité
des poursuites. Ainsi, même si cette compétence appartient au
Parquet, elle peut être remise en cause par l'intervention en amont d'une
administration dans le cadre d'une compétence qui lui est dévolue
de droit. Ainsi :
•
les douanes
ont le pouvoir de transiger. A
Toulouse, les douanes se sont accordées avec les Parquets sur un
barème de transactions (en fonction de la valeur du litige) qui leur
sert pour choisir de déférer ou non des faits délictueux,
•
les infractions fiscales
passent d'abord devant
la commission des infractions fiscales, ce qui fait d'elle le véritable
juge de l'opportunité des poursuites.
Ces tris en amont de la saisine du Parquet sont illégaux et malsains
pour le respect de l'Etat de droit.
Aucun service, quelles qu'en soient les
raisons, ne peut s'octroyer ce pouvoir que la loi ne confère qu'à
la seule autorité judiciaire. Le principe ne peut-être que
celui-ci :
"je constate une infraction, je transmets au Parquet".
En outre, permettre aux fonctionnaires de choisir la suite à donner
à la constatation d'une infraction sans réel contrôle
hiérarchique et sans contrôle possible de l'autorité
judiciaire augmente les risques d'abus du principe d'opportunité des
poursuites, voire de corruption.
Les officiers du ministère public
Outre
les procureurs et leurs substituts, d'autres agents de l'Etat contribuent
à la poursuite des infractions : ce sont les officiers du
ministère public (OMP) près les tribunaux de police.
I. Leur statut
Les fonctions d'officiers du ministère public près le tribunal
de police sont exercées, aux termes de l'article 45 du code de
procédure pénale, par le commissaire de police. L'article 46 du
même code prévoit qu'en cas d'empêchement du commissaire de
police, le procureur général désigne, pour une
année entière, un ou plusieurs remplaçants qu'il choisit
parmi les commissaires de police et les commandants de police dans le ressort
du Tribunal de grande instance.
Les article 47 et 48 du code de procédure pénale
confèrent un pouvoir de désignation au procureur
général dans le cas où il n'y a pas de commissaire de
police et dans le cas où il y en a plusieurs.
II. Leur nombre
- 332 en province
- 1 titulaire et 5 suppléants à Paris.
Il s'agit de postes budgétaires relevant des crédits du
ministère de l'Intérieur. Le ministère de la Justice
assume cependant les dépenses de fonctionnement liées à
l'activité des officiers du ministère public.
III. Le nombre de contraventions traitées annuellement (chiffres
1997)
En province
Audiences : 4.597
Amendes forfaitaires majorées : 6.732.611
Ordonnances pénales : 363.092
Affaires citées à l'audience : 197.902
A Paris
7.500.000 procès verbaux relatifs à la circulation
4.094.000 amendes forfaitaires majorées, auxquelles s'ajoutent 73.099
relatives à la RATP et 39.147 relatives à la SNCF
représentant plus d'un milliard de francs.
Audiences : 985 (1
ère
à 4
ème
classe)
Ordonnances pénales : 86.750
Affaires citées à l'audience : 48.987
Tous les magistrats auditionnés ont soulevé le problème de
l'application de l'article 40 alinéa 2 du code de procédure
pénale dû principalement à des interprétations
"diverses" des dispositions de cet alinéa. A plusieurs reprises, votre
rapporteur a tenté de faire clarifier les interprétations en
interpellant les ministres successifs de la Justice
8(
*
)
. En vain.
Ces hésitations et fins de non recevoir sur une question aussi
essentielle pour le traitement efficace de la délinquance illustrent
bien les difficultés rencontrées par l'Etat pour coordonner ses
services et introduire un minimum de cohérence dans la démarche
des administrations chargées de constater les infractions.
Cependant, récemment le nouveau Préfet de Corse,
M. Bernard
Bonnet
, a fait usage des dispositions prévues à
l'article 40 du code de la procédure pénale en saisissant la
justice de toutes les infractions portées à sa connaissance par
les différents services de l'Etat. Cette initiative illustre bien que la
rétention d'informations par les autorités administratives
s'apparente à des classements sans suite de fait.