Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée
HAENEL (Hubert)
RAPPORT D'INFORMATION 513 (97-98) - COMMISSION DES FINANCES
Table des matières
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INTRODUCTION
- I. UNE PROCÉDURE STRICTEMENT ENCADRÉE PAR LA LOI
- II. UN TAUX DE CLASSEMENT DES INFRACTIONS ÉLEVÉ ET QUI INTERVIENT A TOUS LES MAILLONS DE LA CHAÎNE PÉNALE
- III. LE CLASSEMENT SANS SUITE : UNE PROCÉDURE RÉVÉLATRICE DE L'INSUFFISANCE DES MOYENS DE LA JUSTICE ET DE SES PARTENAIRES MAIS SURTOUT DES DYSFONCTIONNEMENTS EXISTANT AUSSI BIEN À L'INTÉRIEUR DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE QU'ENTRE LES SERVICES DE L'ÉTAT
-
IV. LES AMÉLIORATIONS POSSIBLES
- A. L'AUGMENTATION DES MOYENS
- B. L'AMÉLIORATION DES STATISTIQUES
- C. UNE PLUS GRANDE CLARIFICATION DES DÉCISIONS DE CLASSEMENT ET LA POSSIBILITÉ D'UN RECOURS
- D. LE DÉVELOPPEMENT DU TRAITEMENT EN TEMPS RÉEL ET DE LA TROISIÈME VOIE
- E. L'EXTENSION DE LA PROCÉDURE SIMPLIFIÉE ET L'INTRODUCTION DE L'ORDONNANCE PÉNALE
- F. LA DÉPÉNALISATION DE CERTAINES INFRACTIONS
- G. LA DÉFINITION D'UNE POLITIQUE PÉNALE
-
LES PROPOSITIONS
- A. LES MESURES POUR AMÉLIORER L'OUTIL STATISTIQUE ET INFORMATIQUE
- B. LES MESURES POUR RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE LES SERVICES ET AUGMENTER LA FLUIDITÉ DE L'INFORMATION
- C. LES MESURES POUR RENFORCER LE RÔLE ACTIF DU PARQUET DANS LA LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE
- D. LES MESURES POUR RENDRE L'EXÉCUTION DES PEINES PLUS EFFECTIVE
- E. LES MESURES POUR LUTTER CONTRE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS
- F. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE NOUVELLE POLITIQUE PÉNALE
- G. AUTRES MESURES
-
LISTE DES AUDITIONS, ENTRETIENS
ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES
N°
513
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 18 juin 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le classement sans suite ,
Par M.
Hubert HAENEL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Henri Torre, René Trégouët.
Justice.
INTRODUCTION
La
commission des finances a demandé au rapporteur spécial des
crédits de la justice,
M. Hubert Haenel
, d'effectuer un
contrôle, sur pièces et sur place, sur le classement des plaintes
et des procès-verbaux par les Parquets, ses causes et ses
conséquences.
En effet, chaque année, à l'occasion de l'examen du projet de
loi de finances, la commission des finances du Sénat regrette
l'insuffisance des crédits mis à la disposition du
ministère de la justice. Ainsi, ils s'élèvent à
23,9 milliards de francs en 1998 alors qu'un budget de 35 milliards
de francs serait nécessaire pour que ce service public fonctionne
correctement. Cette mission de contrôle avait donc pour objectif de
constater les conséquences concrètes de l'insuffisance des moyens
sur l'activité des juridictions et, notamment, sur celle du Parquet.
La publicité donnée à cette enquête a eu pour
effet, alors que la question des classements apparaissait jusqu'à
présent comme un sujet tabou, d'inciter certains procureurs à
consacrer leur discours d'audience solennelle de la rentrée judiciaire
1998 à ce sujet.
Pour autant, le ton de ces discours a varié fortement d'une juridiction
à l'autre. Ainsi certains procureurs se sont-ils efforcés de
relativiser le classement sans suite et de prouver que le classement pour
opportunité intervenait uniquement en cas de réelle justification.
Or, le pourcentage élevé de classements pour raison
d'opportunité (entre 25 et 40%) et les disparités de taux
observées selon les juridictions, ainsi que le sentiment d'une partie
croissante de la population de l'absence de réponse judiciaire au
traitement de la délinquance, contredisent ces discours.
Cette distorsion entre le discours officiel et la réalité, telle
qu'elle est perçue par les justiciables, a conduit votre rapporteur
à examiner de manière approfondie tout le processus de la
" chaîne pénale ", du dépôt de la plainte
à l'exécution des peines, en passant par les phases
d'enquête, de poursuite et de jugement.
Il a ainsi pu constater que le classement, c'est à dire l'absence de
suite donnée à une infraction est loin de résulter de la
seule volonté du Parquet, mais peut également procéder de
l'attitude de la victime, des moyens des services de police et de gendarmerie,
voire des administrations tenues de dénoncer les infractions au Parquet,
conformément à l'article 40 alinéa 2 du code de
procédure pénale.
Votre rapporteur s'est également attaché à rechercher les
véritables motifs des classements sans suite et s'est donc penché
sur le principe de "
l'opportunité des poursuites
"
prévu par les dispositions de l'alinéa 1 de l'article 40 du code
de procédure pénale, aux termes duquel le procureur de la
République, lorsqu'une infraction à la loi pénale est
constituée, "
apprécie la suite à lui
donner
" et a donc le choix entre exercer l'action publique et
poursuivre l'auteur devant la juridiction compétente, ou classer la
procédure, même si l'auteur de l'infraction est connu.
Or, votre rapporteur a été obligé de constater que si le
classement sans suite résulte souvent d'une analyse au cas par cas de
chaque situation, il s'explique également par la
nécessité, faute de moyens suffisants à la disposition du
Parquet, du Siège, des services de constatations et d'enquête et
de ceux chargés de l'exécution de " gérer des stocks
et des flux ". Certains " parquetiers " nous ont en effet
indiqué qu'il n'y avait pas d'autres moyens de gérer les dossiers
qui s'accumulent. "
On fait ce que l'on peut quand l'armoire est
pleine
" nous a déclaré un procureur de la
République. La notion d'inopportunité des poursuites devient
alors très extensive et masque en réalité
le classement
sec
.
Pour l'essentiel, les causes des classements sans réelles justifications
en droit et en opportunité sont ainsi liées à un manque de
moyens. Toutefois, le classement sans suite résulte également
d'un manque de volonté provoqué par le découragement et la
lassitude des services concernés par le traitement de la
délinquance. De l'aveu même de certains magistrats, la psychologie
de certains d'entre eux n'est pas étrangère non plus à ce
phénomène qui disqualifie certains vols et autres atteintes aux
biens voire aux personnes en de simples " incivilités ".
D'aucuns hésiteraient même à trouver un
intérêt social ou thérapeutique à la poursuite et
à la condamnation. En outre, il faut également prendre en compte
les appréciations diverses, voire divergentes, que les uns et les
autres, pour de multiples raisons psychologiques, éthiques ou
politiques, ou simplement liées à l'âge ou à
l'origine sociale peuvent porter sur l'ordre public dans ses dimensions
économique, sociale, écologique.
Or, comme l'a fait remarquer le procureur général de la Cour
d'Appel de Colmar,
M Olivier Dropet
, lors de l'audience de
rentrée de janvier 1998 consacrée au problème du taux
élevé de classements sans suite, "
une situation de cette
sorte est perverse, nuisible et dangereuse. La possibilité de passer
à travers les mailles du filet de la répression ne peut
qu'encourager les auteurs d'infractions à persévérer dans
la voie délictueuse, les personnes et les biens de nos concitoyens ne
sont plus suffisamment protégés, le sentiment
d'insécurité se développe en se nourrissant d'exemples
concrets, les services de police et de gendarmerie, constatant que leur action
n'est pas vraiment relayée par celle de la justice risquent de se
démobiliser, enfin un terreau favorable est fourni à des
idéologies malsaines
. "
Votre rapporteur s'est donc attaché, à partir de l'observation
de certaines expériences locales à élaborer des pistes de
réflexion pour améliorer le fonctionnement de la chaîne de
traitement de la délinquance et réduire le taux de classement
sans suite.
Nos concitoyens sont en effet en droit, d'une part, d'exiger des institutions
qui assurent la paix publique, la sûreté des personnes et des
biens, qu'elles soient efficaces et remplissent leur mission et, d'autre part,
d'attendre que l'ordre républicain soit respecté, que l'Etat de
droit s'applique à toutes les personnes, à toutes les situations
et tous les territoires. " La sûreté est le premier droit de
l'Homme et le premier devoir de l'Etat ".
Le travail de votre rapporteur n'a pas toujours été
facilité du fait de la méconnaissance par certaines
administrations centrales des dispositions de l'ordonnance du 30
décembre 1958 sur les pouvoirs de contrôle des commissions du
Parlement.
Cependant, votre rapporteur tient à souligner la coopération
spontanée et très précieuse de tous les procureurs
généraux et de tous les procureurs de la République
sollicités par votre rapporteur (et particulièrement ceux de
Colmar, Lyon, Toulouse, Aix-en-Provence et Rouen), de la direction
générale de la gendarmerie nationale et des unités
visitées (notamment celles des Groupements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et
du Val d'Oise), ainsi que des services de la direction générale
de la police nationale et de la préfecture de police de Paris.
Au cours de ses investigations, votre rapporteur n'a pas pu, faute de moyens,
approfondir certains aspects du phénomène analysé qui
mériteraient des compléments d'enquête ou de
contrôle. Il souhaite qu'ils soient entrepris à l'initiative du
Sénat, mais aussi du gouvernement.
Votre rapporteur tient à rappeler qu'au-delà des discours
partisans et politiciens, l'objectif de ce rapport a été
d'apporter une contribution du Sénat au travail en profondeur accompli
depuis plusieurs années pour trouver les moyens et les méthodes
les plus appropriés pour prévenir et lutter contre la
délinquance.
Par ailleurs, il faut se demander ce qu'il adviendrait si, dotés de
moyens accrus et de méthodes renouvelées, les services de police
et de gendarmerie devenaient plus efficaces et réduisaient le taux de
classement sans suite des procès-verbaux dans lesquels les auteurs ne
sont pas identifiés (ou encore nommés couramment les plaintes
contre X). La justice serait-elle capable en l'état actuel de ses
moyens, de ses méthodes et de ses procédures de traiter cette
délinquance ? Votre rapporteur en doute fort.
La méconnaissance de la criminalité réelle, ce qu'il
convient
d'appeler le chiffre noir de la délinquance
, tient
d'abord à l'attitude de la victime qui découlera le plus souvent
de l'utilité ou de l'inutilité de porter plainte. La victime peut
avoir peur des représailles, ce qui est de plus en plus fréquent.
Elle peut aussi avoir connaissance de la banalisation des faits par les
services d'enquête ou le Parquet. Face à la délinquance
quotidienne, les justiciables adoptent une attitude de plus en plus
désabusée. Le bon déroulement de l'enquête se heurte
également au manque de civisme et à l'indifférence
ambiante qui se traduisent par le refus de témoigner, de se faire
connaître, etc...
Les conséquences de cet état de fait et de cet état
d'esprit sont graves et multiples
: tentation de se faire justice,
développement des milices privées, montée du
phénomène " loi du Talion ", multiplication des
sociétés de gardiennage, fichiers occultes tenus par les
victimes de vols à l'étalage dans les grands magasins, etc...
En outre, les dépôts de plaintes avec constitution de partie
civile tendent à se multiplier, de même que les lettres anonymes
adressées au Parquet.
Par ailleurs, le fort taux de classement sans suite est responsable de la
démoralisation et de la démobilisation des services
d'enquête de la police nationale et de la gendarmerie.
Enfin, et même si, aux dires des Parquets, le nombre de classements secs
est à la baisse, il témoigne du défaut de traitement de
la primo délinquance des mineurs puisque le fait que l'auteur de
l'infraction soit un mineur constitue précisément un motif
fréquent de classement.
De l'avis même de nombre des personnes interrogées par votre
rapporteur, la plupart des textes en vigueur permettraient de trouver les
solutions appropriées à de très nombreuses situations.
Selon un procureur général, un magistrat attentif, plein de bon
sens et disposant d'une certaine expérience, fait preuve du discernement
nécessaire pour mettre en oeuvre efficacement et de façon
adaptée l'action publique. Une telle remarque pose donc le
problème du recrutement, de la formation et de la carrière des
magistrats.
Votre rapporteur tient également à souligner que le débat
sur le classement des affaires se focalise à tort sur le Parquet, alors
que celui-ci ne constitue qu'un maillon de la chaîne de traitement de la
délinquance (appelée communément " chaîne
pénale "). En amont, les administrations, les services de police et
de gendarmerie jouent un rôle essentiel dans le classement des affaires
puisque ce sont eux qui transmettent les plaintes aux Parquets : c'est
donc à leur niveau que s'effectuent les premiers choix de classer ou, au
contraire, de poursuivre. En aval, la décision de poursuite du Parquet
ne sera suivie d'effet que si l'affaire est jugée dans des délais
raisonnables et si la peine est correctement exécutée. La
solidité de la chaîne se mesure donc à la résistance
du maillon le plus faible. Si un dysfonctionnement apparaît dans l'un des
services concernés, tout le traitement de la délinquance sera
perturbé. En outre, toute amélioration apportée au niveau
d'un maillon sans tenir compte de ses répercussions sur l'ensemble de la
chaîne pénale est vouée à l'échec.
L'enquête menée par votre rapporteur conduit à poser une
question grave : l'Etat français a t-il les moyens de traiter la
délinquance quels qu'en soient les formes, les lieux, les auteurs et
de faire respecter la loi pénale censée être
égale pour tous ? La loi est le premier facteur de cohésion
et d'intégration sociale. Pourtant, sommes-nous suffisamment bien
organisés et faisons-nous usage des bonnes méthodes pour
éradiquer ce fléau grandissant qui met à mal les
fondements mêmes de notre société ?
Nos concitoyens ont trop souvent le sentiment que la règle commune,
celle qui garantit la sécurité des personnes et des biens n'est
plus respectée, que notre société a perdu la notion de
" ligne jaune ", qu'une infraction dûment constatée,
alors même que l'auteur présumé a été
identifié , n'a pas de suite judiciaire. Un sentiment
d'inégalité, d'impunité et d'insécurité
s'ensuit inévitablement.
Pour simplifier et au risque de forcer le trait, trop de nos concitoyens ont le
sentiment que le fonctionnement de la justice pénale se résume
ainsi : il y a d'un côté ceux qui lui échappent parce
qu'ils sont puissants sur le plan politique, administratif, économique
ou social (membres du gouvernement, hauts fonctionnaires, élus, chefs
d'entreprise...) et de l'autre, ceux qui lui échappent également
parce qu'ils vivent en bande dans des quartiers difficiles, ou encore sont
mineurs, marginaux, étrangers, etc. Entre ces deux catégories, il
y a ceux qui " trinquent ", les victimes du système, ceux qui
vivent normalement et pour lesquels la loi pénale est implacable :
ceux qui ne peuvent se faire rendre justice parce que la justice est
débordée, sourde, inaccessible, déroutante, invisible,
illisible.
Votre rapporteur est conscient que le travail qu'il a effectué ne pourra
pas seul modifier le sentiment d'incompréhension et
d'exaspération croissante de l'opinion publique vis-à-vis de la
justice. Il espère toutefois que ce rapport apportera sa pierre au long
travail de réhabilitation de la justice et que les propositions qu'il
contient seront non seulement examinées attentivement par tous les
services concernés par le traitement de la délinquance, mais
également mises en oeuvre.
I. UNE PROCÉDURE STRICTEMENT ENCADRÉE PAR LA LOI
En
application de l'article 40 du code de procédure pénale,
"
le procureur de la République reçoit les plaintes et
les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il
avise le plaignant du classement de l'affaire ainsi que la victime lorsque
celle-ci est identifiée.
"
Le procureur de la République centralise donc les plaintes qui lui sont
adressées directement ou qui sont préalablement
déposées auprès des services de police ou de gendarmerie.
Il recueille par ailleurs de toutes les autorités publiques les
renseignements ou procès-verbaux relatifs à des crimes et
délits dont elles peuvent avoir connaissance.
Sur la base des informations reçues ou complétées, le cas
échéant, par les actes d'enquête effectués par les
services compétents à leur initiative ou sur instruction du
procureur, ce magistrat dispose de l'alternative légale que constitue la
décision de poursuite ou la décision de classement.
1(
*
)
La poursuite consiste à mettre en mouvement l'action publique pour
saisir une juridiction d'instruction ou, directement, une juridiction de
jugement.
Le classement constitue une décision qui, à l'inverse, met fin
à la procédure qui avait pu être initiée et
entraîne le non exercice de l'action publique.
La décision de poursuite ou de classement repose sur deux
critères cumulatifs : la légalité et
l'opportunité.
A. LE CRITÈRE DE LÉGALITÉ
1. Les éléments objectifs de droit
Lorsqu'une infraction est portée à la connaissance du procureur, celui-ci doit vérifier si toutes les conditions juridiques sont réunies pour permettre la poursuite de cette infraction.
a) L'existence d'une infraction
Le procureur va d'abord rechercher si les faits qui lui sont présentés comme ayant un caractère pénal constituent réellement une infraction. En effet, les particuliers écrivent au Parquet pour lui signaler des situations très diverses, dont bon nombre ne constituent pas des infractions pénales. Ainsi, certains se plaignent du refus de la mairie de leur donner le logement social auquel ils pensent avoir droit, d'autres écrivent parce qu'ils estiment que leur procédure de divorce avance trop lentement... Si l'analyse juridique des faits révèle que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas réunis, le classement s'impose, car toute décision de poursuite conduirait à une décision de relaxe de la part de la juridiction de jugement qui serait saisie.
b) La caractérisation de l'infraction
De
nombreux classements sont également liés au fait que l'infraction
évoquée dans la procédure initiale est insuffisamment
caractérisée et donc susceptible de conduire à une
poursuite débouchant sur une déclaration de culpabilité.
La règle veut que le doute profite à l'accusé. S'il
apparaît au substitut que le délinquant a toute chance
d'être relaxé par le tribunal en raison de l'insuffisance des
charges, force est pour lui de classer l'affaire sans suite.
Une fois
vérifié que les faits constituent une infraction, le magistrat
doit déterminer s'il n'existe pas des obstacles juridiques
empêchant le déclenchement des poursuites
tels que :
•
l'amnistie ;
•
la prescription de l'action publique (elle est ainsi de
trois ans pour les délits) ;
•
l'immunité familiale : la loi
prévoit pour certaines infractions que, lorsque l'auteur est parent de
la victime, des poursuites sont impossibles. Ainsi, le vol entre époux
n'est pas reconnu ;
•
l'absence de plainte de la victime (ou le retrait de
plainte) pour les infractions où la loi exige l'existence d'une plainte
préalable pour exercer des poursuites ;
•
la mise en place d'une transaction administrative dans
les domaines où la loi prévoit cette possibilité, comme,
par exemple, en matière douanière ou de contributions indirectes
;
•
l'existence d'une irrégularité dans la
procédure ;
•
l'irresponsabilité pénale de l'auteur,
par suite notamment d'un trouble psychique ou de son état de
légitime défense.
2. Les éléments objectifs de fait
Le
Parquet, après avoir contrôlé que la situation qui lui a
été signalée constitue une infraction à la loi
pénale et qu'aucun obstacle juridique n'interdit la poursuite,
procède à l'analyse des faits.
En effet, il ne suffit pas d'avoir constaté l'existence d'une infraction
susceptible d'être poursuivie,
il faut également pouvoir la
mettre à la charge de celui qui l'a commise.
• La non-identification de l'auteur de l'infraction
D'un point de vue purement juridique, la poursuite peut être
considérée comme possible dès l'instant où
l'infraction a été constatée. On pourrait donc envisager
une ouverture systématique d'information contre X, en espérant
que les investigations menées sur commission rogatoire du juge
d'instruction pourraient conduire à la découverte de l'auteur.
Dans la réalité, cette hypothèse demeure marginale et
réservée à des affaires criminelles (meurtres,
hold-up...). En effet, on peut difficilement imaginer quelle investigation
supplémentaire le magistrat pourrait prescrire que l'enquêteur
n'aurait pas déjà pensé à effectuer. Dès
lors, si la police ou la gendarmerie n'a pu élucider une affaire de vol,
le Parquet n'a pas d'autre choix que d'en prendre acte : la plainte,
dûment enregistrée, donne lieu à un classement
immédiat par le Parquet au motif " auteur inconnu " ou
" recherches infructueuses ".
B. LE CRITÈRE D'OPPORTUNITÉ
Le
droit français donne au magistrat du Parquet le pouvoir de classer une
procédure sans suite alors même que l'infraction existe et que son
auteur est connu afin de lui permettre d'adapter sa décision aux
situations au cas par cas.
Dans son discours de rentrée de janvier 1998 au Tribunal de grande
instance de Colmar, le procureur de la République,
M. René
Pech
, a distingué trois grands types de raisons.
a) Le classement lié à l'attitude de la victime
La
victime a pu, par son propre comportement fautif, contribuer à la
réalisation de l'infraction. C'est le cas du piéton qui traverse
hors du passage protégé et qu'un automobiliste renverse.
La victime peut également retirer la plainte qu'elle a
déposée, manifestant ainsi clairement son intention de ne voir
aucune poursuite engagée contre l'auteur de l'infraction.
La plainte est également classée lorsque la victime se
désintéresse de l'affaire : par exemple, si la police
demande à la victime certaines précisions sur les circonstances
de l'infraction et que celle-ci s'abstient délibérément de
les faire connaître.
L'infraction n'est pas poursuivie lorsque la victime dépose plainte dans
un but autre que répressif. C'est le cas lorsqu'un des époux en
instance de divorce dépose plainte pour faux témoignage pour se
procurer des éléments en vue de voir prononcer le divorce aux
torts de l'autre. Il s'agit en fait d'un détournement de
procédure.
b) Le classement lié à l'attitude du délinquant
Le
magistrat prend en compte la personnalité du délinquant. Ainsi,
lorsque l'intéressé présente un mental déficient ou
est mineur ou très âgé, le magistrat aura tendance
à classer l'affaire.
De même, si l'auteur de l'infraction a spontanément, de
lui-même, remboursé la victime, le magistrat ne poursuivra
pas.
c) Le classement lié au caractère relativement minime du trouble de l'ordre public occasionné par l'infraction
Traditionnellement, les magistrats du Parquet ne prennent
jamais
l'initiative des poursuites en matière de diffamation et d'injures
concernant les particuliers.
Il peut arriver que dans certaines situations, la répression serait plus
nuisible à la paix sociale que l'impunité accordée au
délinquant par le classement. Ainsi, en cas de coups et blessures entre
époux, si les deux antagonistes se sont réconciliés, il
peut être préférable de classer car une poursuite
risquerait de cristalliser le différend et de l'envenimer.
Lors de son discours de rentrée judiciaire, le procureur
général près la cour d'appel de Rouen,
M. Christian
Raysseguier
, a estimé que les procédures classées en
opportunité s'inscrivaient à peu près pour l'essentiel
dans les
cinq
grandes catégories suivantes :
- vols à l'étalage pour un faible montant commis par un
délinquant primaire ;
- infractions de faible gravité survenues dans le cadre familial ou dans
un contexte de voisinage ;
- infractions mineures aux diverses réglementations administratives et
qui sont régularisées ;
- infractions à la police des étrangers traitées sur
un plan administratif ;
- usage occasionnel de cannabis.
Par ailleurs, il convient de distinguer entre l'opportunité
donnée aux procureurs de poursuivre ou de classer les affaires et
l'arbitraire.
Dans son discours à l'occasion de l'audience de rentrée en
janvier 1998,
M. Olivier Dropet
, procureur général
près la Cour d'appel de Colmar, précisait les limites qui
encadrent le principe d'opportunité : " C
ette
faculté de classement accordée au procureur doit toutefois
être utilisée avec réflexion et prudence et exige de sa
part des références éthiques et morales lui évitant
de tomber dans l'arbitraire ou la faiblesse, de donner libre cours à ses
préjugés, voire même de se laisser emporter par la crainte
ou l'amitié.
Il importe qu'en toute circonstance, le procureur de la République
évite de donner le sentiment d'impunité au délinquant, le
sentiment d'abandon à la victime et l'impression de laxisme à ses
concitoyens
. "
En définitive, le pouvoir de classement des magistrats du Parquet tel
qu'il est présenté dans les textes et décrit par les
procureurs ne semble pas reposer sur des appréciations arbitraires de
leur part, purement subjectives et personnelles, mais sur des données
objectives. On pourrait donc en conclure que le classement sans suite constitue
un pouvoir réaliste d'adaptation à certaines situations bien
ciblées, utilisé de manière très marginale.
Pourtant, comme le fait remarquer le procureur général
près la Cour d'appel de Colmar,
M. Olivier Dropet
, le sentiment
prévaut qu' "
insidieusement, lentement mais
sûrement, l'exception, à savoir le classement sans suite pour
opportunité, empiète sur la règle, c'est-à-dire
l'exercice des poursuites pénales contre le délinquant.
En 1995, l'ensemble des Parquets de France a été destinataire de
2,2 millions de plaintes, dénonciations et procès-verbaux
relatifs à des crimes, des délits et aux contraventions les plus
graves et imputables à des personnes identifiées ; or, 1,450
million, soit 53% ont fait l'objet d'un classement sans suite, 553.000, soit un
peu plus de 25% ont débouché sur un acte de poursuite, le surplus
n'avait pas encore donné lieu à des orientations lorsque les
statistiques ont été établies courant 1996. [...]
Certes, parmi ces classements, certains n'entrent pas dans nos
préoccupations présentes car ils sont dus à l'inexistence
de l'infraction dénoncée, à l'insuffisance des charges
contre une personne déterminée ou à l'impossibilité
procédurale d'engager des poursuites, mais une part importante,
très importante, des classements décidés repose sur la
notion d'inopportunité des poursuites et ce sont ceux-là qui
posent problème car ils donnent l'impression que la Justice ne
défend pas suffisamment l'intérêt général et
l'ordre social, en un mot, qu'elle n'accomplit pas convenablement sa
mission
. "
De telles remarques ont incité votre rapporteur à s'interroger
sur la nature exacte du classement par opportunité. Ce type de
classement sans suite apparaît cependant comme un phénomène
difficile à cerner.
C. LA PRATIQUE DU CLASSEMENT DES AFFAIRES SANS SUITE EST DIFFICILE À CERNER
1. Le problème des statistiques
Au
cours de la dernière décennie, le taux de classement sans suite a
fortement progressé
. En effet, il s'élevait à
69 % en 1987, puis a franchi la barre des 70 % à partir du
début des années 80 pour atteindre 80 % en 1995.
A la lecture de ces chiffres bruts, on peut légitimement s'interroger
sur la capacité de l'ensemble des services concernés de l'Etat
et, notamment, de ceux de la justice française à donner une suite
judiciaire aux infractions commises et sur la réalité de l'Etat
de droit.
Pourtant, ces chiffres doivent être interprétés avec
précaution car ils ne permettent pas d'appréhender la
réalité du classement sans suite.
En effet, le principal dispositif statistique qui rend compte de
l'activité annuelle des juridictions pénales n'est pas en mesure
de produire d'information sur la nature des affaires dont sont saisies les
Parquets ni sur les motifs des classements sans suite
.
Selon la direction des affaires criminelles et des grâces, les carences
du dispositif statistique sont principalement dues au fait qu'actuellement,
chaque tribunal possède sa propre table de nature d'affaires et de
motifs de classement. Ce manque d'uniformisation des statistiques interdit la
production d'une statistique à partir d'extractions des données
enregistrées dans les différentes applications informatiques des
tribunaux.
En outre, comme le fait remarquer une étude sur le classement sans
suite
2(
*
)
"
le motif du classement est
invoqué de façon parfois étrange par rapport au circuit de
traitement ou au contenu du dossier. L'obligation (pour des besoins
informatiques) de cocher un motif de classement sur un imprimé rend
cette opération quelquefois artificielle, voire dénuée de
tout fondement
. "
Or, l'absence de statistiques nationales sur la nature des affaires dont sont
saisis les Parquets et les motifs de classement sans suite interdit toute
appréciation sur cette pratique car ne peuvent être
distingués les classements " forcés " (notamment
lorsqu'il n'existe pas d'infraction ou que l'auteur de cette dernière
n'est pas identifié) et les classements d'opportunité.
Par ailleurs, ces statistiques ne permettent pas de connaître les
différents motifs qui se cachent derrière les classements
d'opportunité.
En outre, la grille des motifs de classement ne
tient pas compte des alternatives à la poursuite puisqu'elle les
assimile à des mesures de classement sans tenir compte de
" l'obligation de faire " imposée au prévenu, qui
permet d'apporter une réponse judiciaire appropriée.
Ces mesures, qui se sont développées à partir du
début des années 90, progressent
régulièrement : de 37.649 en 1992, elles sont passées
à 90.128 en 1996. Ce mode de traitement est donc loin d'être
négligeable. A titre de comparaison, pour la même année,
43.671 affaires ont été orientées vers l'instruction.
L'étude précitée sur l'abandon des poursuites du Parquet
est révélatrice :
36,4 % des dossiers qui
comprenaient au moins une infraction et un auteur
(et pour lesquels, en
conséquence, des poursuites étaient envisageables)
ont fait
l'objet d'un règlement amiable ou d'une régularisation de la
situation
.
Ainsi, en incluant l'ensemble de ces procédures dans la masse des
affaires faisant l'objet d'une orientation et d'une réponse
pénale,
on ramène le taux des affaires " auteur
connu " classées sans suite en-dessous du seuil de 50 %.
L'expérience menée à Evreux du 7 octobre au
31 décembre 1997 a été particulièrement
révélatrice. Au cours de cette période, le Parquet
d'Evreux a traité 6.338 procédures et pris
991 décisions de poursuite.
Le rapport, simpliste, décisions de poursuite (991) sur affaires
reçues par le Parquet (6.338) donne un taux de poursuite de 15,5 %,
soit un taux de classement de 84,5 %. Il convient de signaler que, sur ces
6.338 procédures, 602 concernaient des affaires qui ne
constituaient pas d'infraction. 43 procédures ont été
affectées d'un motif juridique qui s'oppose à l'exercice de
poursuites (solde : 5.693). Sur ces 5.693 infractions, 3.800 ont
été classées pour défaut d'élucidation
(solde : 1.893). 1.893 plaintes, procès-verbaux et
dénonciations correspondaient donc à des infractions
" poursuivables ".
602 classements ont été décidés pour
inopportunité des poursuites, ce qui correspond à un taux de
32 %. On est donc loin des 80 %.
Sur les 1.291 infractions poursuivables restantes, 300 procédures ont
fait l'objet d'une réponse alternative aux poursuites.
Le taux de réponse judiciaire sur les infractions poursuivables
s'établit donc dans ce cas à 68 %, qu'il s'agisse d'une
réponse alternative aux poursuites ou d'une poursuite.
Selon le directeur des affaires criminelles et des grâces, le taux de
" classement sec " s'élèverait à 25 %.
Ce constat incite donc à relativiser les chiffres bruts de classement
sans suite souvent utilisés pour critiquer l'action de la justice.
Pour autant, un tel taux ne peut être accepté sans justifications.
Votre rapporteur s'est donc efforcé d'obtenir des magistrats des
informations complémentaires. Or, il s'est heurté parfois et
curieusement à des réticences de leur part.
Les alternatives à la poursuite
Les
magistrats du Parquet disposent d'un pouvoir propre de prononcer des mesures
qui s'apparentent par leur nature à des sanctions. En effet, même
si les sanctions sont réservées exclusivement aux juges, les
magistrats peuvent passer une sorte de contrat avec le délinquant :
l'auteur de l'infraction accepte d'accomplir une obligation. En contrepartie,
le Parquet s'engage auprès de l'intéressé à ne pas
le renvoyer devant la juridiction pénale. Par ailleurs, l'article 6 du
code de procédure pénale dispose que l'action publique "
peut,
en outre, s'éteindre par transaction lorsque la loi en dispose
expressément ; il en est de même, en cas de retrait de
plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire à la
poursuite
".
Il existe donc une alternative à la poursuite juridictionnelle, qui
est utilisée pour les infractions de gravité limitée,
quand il apparaît disproportionné de saisir le tribunal et alors
que les capacités d'absorption de ce dernier sont limitées.
Si le délinquant exécute l'obligation mise à sa charge, le
Parquet classera l'affaire. Toutefois, le classement a, en ce cas, une nature
totalement différente des classements évoqués
précédemment. En effet, il constitue une procédure pour
parvenir à ce que le délinquant exécute
une mesure
équivalant à une sanction
.
A cet égard, votre rapporteur reprend à son compte la position
des procureurs de la République, qui estiment le terme de
" classement conditionnel " utilisé pour désigner les
sanctions ordonnées par le Parquet particulièrement
inapproprié. Ce terme insiste sur l'aspect classement alors que
l'originalité de la procédure réside dans l'obligation
imposée au prévenu. Il serait donc plus exact de parler de
" sanction-classement ".
Les sanctions-classements du Parquet peuvent revêtir différentes
formes. Certaines de ces sanctions sont utilisées depuis longtemps par
les magistrats du Parquet. La plupart sont cependant d'apparition
récente.
Les sanctions-classements traditionnelles
C'est le cas de
l'injonction
adressée par le Parquet au
délinquant de verser la somme d'argent dont le non-paiement constitue
l'infraction, par exemple lorsque le parent ne règle pas à
l'autre la pension alimentaire qu'il lui doit. Plutôt que de renvoyer le
délinquant devant le tribunal, il paraît plus utile de l'amener
à verser à la victime la somme dont il est redevable. Si l'auteur
de l'infraction désintéresse effectivement sa victime, la saisine
du tribunal perd l'essentiel de sa signification.
De même, en cas d'infraction à une réglementation
administrative, par exemple le délit de construction sans permis, le
Parquet, au lieu de déférer l'auteur de l'infraction devant le
tribunal correctionnel, va lui prescrire d'obtenir un permis de construire de
régularisation ou de mettre la construction en conformité.
Les sanctions-classements nouvelles
• Les médiations pénales
La médiation pénale
prévue aux articles 41 et D.
15-1 à D. 15-8 du code de procédure pénale consiste en un
accord négocié entre l'auteur de l'infraction et la victime, sous
l'égide d'un médiateur désigné par le Parquet, en
vue de parvenir à un arrangement au regard de l'infraction commise. Cet
arrangement comprend le dédommagement financier du délit commis,
mais il vise surtout à faire prendre conscience de son acte au
délinquant.
• Les rappels à la loi
Pour les infractions de faible gravité, il est adressé au
délinquant un "
rappel à la loi
",
c'est-à-dire que son attention est attirée solennellement sur la
règle de droit enfreinte, qu'il reçoit une admonestation et
qu'il est mis en demeure de ne pas recommencer.
Le rappel à la loi est notifié par une personne
déléguée par le Parquet, qui tient une permanence
hebdomadaire dans les locaux du tribunal, de façon à donner
à cette mesure un caractère symbolique.
Les rappels à la loi (de même que les médiations
pénales) interviennent dans le cadre du traitement en temps réel
des infractions : le délinquant, lorsqu'il est interrogé sur
l'infraction, se voit remettre aussitôt par l'enquêteur une
convocation pour se présenter à bref délai devant le
délégué du Parquet qui tient sa permanence dans les locaux
du tribunal ou dans ceux de la maison de justice quand elle existe.
Pour les mineurs, les parents sont convoqués en même temps que
leur enfant, de façon à responsabiliser les parents.
• Les stages
Cette mesure a été particulièrement
développée par le Parquet de Colmar. Elle vise à procurer
une formation et une sensibilisation aux risques induits par certains
comportements sociaux ou professionnels afin de prévenir la
réitération de l'infraction concernée. Selon certains
procureurs de la République, ces stages ont un effet de
prévention de la délinquance au moins aussi fort que le
prononcé par le tribunal d'une peine d'amende ou d'une peine de prison
avec sursis.
Ainsi, pour les petits délits de conduite en état alcoolique, le
Parquet impartit à l'auteur de l'infraction de suivre un stage payant
spécifique de deux jours, pour le sensibiliser aux conséquences
de l'alcoolémie au volant, avec ensuite un suivi médical.
Pour les petits accidents de la circulation, il est enjoint au contrevenant de
suivre le stage de récupération de points au lieu de
comparaître devant le tribunal de police.
Outre leur aspect éducatif, ces stages comportent un aspect coercitif
dans la mesure où, non seulement ils sont payants, mais l'auteur de
l'infraction subit une perte de salaire durant les jours où il suit le
stage.
• Mesures particulières pour le délit d'usage de
stupéfiants
Pour les usagers de drogue dure, qui relèvent de la procédure de
l'injonction thérapeutique, le dispositif a été
renforcé depuis l'été 1997 de façon importante
à Colmar.
Un correspondant unique de la direction départementale des affaires
sanitaires et sociales assure désormais le suivi des toxicomanes. Le
premier contact de cet intervenant avec le toxicomane se déroule au
tribunal, pour bien affirmer symboliquement la dimension judiciaire de
l'injonction thérapeutique qui comporte, outre l'aspect médical,
un volet psychologique et un volet social.
• Tâche d'intérêt public
Il est enjoint au délinquant d'effectuer une tâche
bénévole au profit d'une collectivité publique ou d'une
association poursuivant un but d'intérêt général, la
durée de cette tâche variant entre quelques heures et un maximum
de deux jours.
Cette mesure peut évoquer la peine de travail d'intérêt
général. Elle en diffère cependant par son régime
juridique et au regard de la brièveté de sa durée.
Le classement sans suite ainsi replacé dans le contexte de la
décision d'un magistrat du Parquet ne constitue pas un simple archivage
judiciaire mais permet de développer des alternatives aux poursuites
pour traiter le " noyau dur " des infractions pénales, la
délinquance traditionnelle, en particulier quand une victime est
impliquée.
2. Un phénomène que certains magistrats ne reconnaissent parfois qu'avec réticence
Votre
rapporteur avait dressé un questionnaire pour pouvoir déterminer
dans quelle mesure les classements secs étaient liés à une
insuffisance des moyens. Or, les réponses ont été peu
explicites, même si la plupart des procureurs ont admis que le manque de
personnel interdisait la poursuite de certaines affaires.
Ainsi, selon le procureur général près la Cour d'appel de
Toulouse,
M. Jean Volff
, même s'il n'est pas possible
d'évaluer de manière fiable le pourcentage des
procès-verbaux classés par manque de moyens, il peut être
estimé à
15 %.
Par ailleurs, afin de pouvoir
exercer pleinement les poursuites et assurer la charge supplémentaire
résultant du traitement pénal de toutes les affaires
élucidées, le Parquet de Toulouse aurait besoin de deux
substituts supplémentaires et de cinq fonctionnaires de plus.
Corrélativement, il lui faudrait pouvoir disposer de dix audiences
supplémentaires par mois, ce qui lui permettrait de faire juger environ
1.400 affaires de plus par an.
Votre rapporteur ne peut que déplorer le manque de moyens à
Toulouse et constate que cette pénurie en ressources humaines et
matérielles est loin d'être une exception.
Ainsi, le procureur général près la Cour d'appel de
Colmar,
M. Olivier Dropet
, reconnaît qu'environ
20 %
des procédures classées sans suite et visant des personnes
dénommées le sont par manque de moyens
, c'est-à-dire
que :
- d'une part, l'insuffisance des effectifs du Parquet ne permet pas de recourir
plus souvent à la troisième voie : le choix des affaires est
délicat, la mise en oeuvre de la mesure doit être
surveillée... et cette procédure "prend du temps" ;
- d'autre part, l'insuffisance des effectifs des magistrats du siège
affectés au service pénal contraint le Parquet à ne pas
saisir le tribunal des faits qui mériteraient des poursuites. En effet,
il peut apparaître vain de diligenter des poursuites pour des
procédures que la juridiction n'aura pas les moyens humains ou
matériels de traiter de façon efficace et dans un délai
raisonnable.
D'autres procureurs ont tenu à démentir le fait que la
surcharge de travail,
qu'elle soit supportée par les magistrats du
Parquet ou par ceux des juridictions de jugement,
pourrait être
considérée comme cause unique ou habituelle de classement.
Comme le constate le procureur général près la Cour
d'appel d'Aix-en-Provence,
M Gabriel Bestard
:
" Sauf dans des situations exceptionnelles ou ponctuelles (retards
considérables dans l'audiencement d'affaires qui se trouvent à la
limite de la prescription, promulgation d'une loi d'amnistie qui rendra vaines
certaines poursuites envisagées...), les procureurs ne donnent pas, en
effet, d'instructions explicites de classer lors d'opérations qui
pourraient être qualifiées de "dégraissage".
En revanche, les chefs de Parquet se doivent de fixer des priorités
(déterminées par types d'infractions, selon les besoins d'un
moment ou d'un lieu, ou visant certains délinquants...) et il peut
s'ensuivre, les moyens des juridictions n'étant pas extensibles, que le
" reste " soit moins poursuivi...
Il apparaît dès lors très difficile de faire la part dans
les classements dits d'opportunité, entre ce qui relève de
l'utilisation préférentielle de la " troisième
voie " ou simplement de l'opportunité, et ce qui résulte
d'une insuffisance de moyens. "
Pourtant, il reconnaît par ailleurs
qu' " il doit cependant
être admis que des infractions qui pourraient donner lieu à
poursuites n'en font pas l'objet, notamment parce que les Parquets savent que
les tribunaux correctionnels ne sont pas en mesure de traiter plus d'affaires
que celles dont ils sont déjà saisis."
Un tel discours révèle bien le malaise des Parquets qui
reconnaissent difficilement classer certaines affaires qui pourraient
être poursuivies, tout en admettant qu'en l'absence de moyens suffisants,
ils sont obligés d'établir des priorités dans les
poursuites...
D. UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE DONT LA RESPONSABILITÉ N'INCOMBE PAS AU SEUL PARQUET
Votre rapporteur a pu constater que les taux de classement ne sont pas uniformes et varient non seulement selon la nature de l'affaire, mais également selon les tribunaux.
1. Une pratique très variable selon la nature des affaires
La
montée en puissance des classements sans suite s'explique
principalement par la forte progression du nombre d'infractions dont les
auteurs n'ont pas été identifiés
. Certes, dans les cas
les plus graves, le procureur de la République peut soit demander aux
services de police ou de gendarmerie de poursuivre leurs investigations dans le
cadre d'une enquête préliminaire, soit d'ouvrir une information
judiciaire. Toutefois, faute d'éléments exploitables par les
enquêteurs, la grande majorité de ces procédures sont
généralement classées sans suite. Votre rapporteur tient
à rappeler que la moyenne du taux d'élucidation des affaires
pénales se situait, en 1996, à 30 % et se caractérisait
par une grande disparité selon la nature des affaires.
Ainsi, le taux d'élucidation moyen national pour l'ensemble des vols
et recels dépassait à peine 14 % en 1996 et 10 % pour
les cambriolages
: en effet, dans ces cas là, le travail
d'investigation est très difficile. En revanche, dans les domaines
où l'enquête est plus aisée, les taux d'élucidation
progressent.
Il est ainsi de
76 % pour les infractions
d'atteintes aux personnes.
Or, les procédures " auteur inconnu ", largement minoritaires
en 1987 (37 % de l'ensemble des procédures transmises au Parquet)
représentent près de la moitié du total des
procédures à partir de 1991 et continuent de croître les
années suivantes pour atteindre en 1996 leur niveau le plus
élevé avec 61 %.
En 10 ans, la part des
procédures " auteur inconnu " sur l'ensemble des
procédures a quasiment doublé.
L'identification de l'auteur de l'infraction apparaît donc comme une
condition nécessaire pour éviter le classement de l'affaire sans
suite. Comme cette identification varie fortement selon la nature des affaires,
les taux de classement sont très disparates.
Ainsi, l'ensemble des affaires intéressant la vie collective (ordre
public, transports en commun, circulation...) sont les plus poursuivies, car le
Parquet dispose alors de tous les éléments constitutifs, à
savoir un auteur et une infraction dûment constatée par un service
habilité.
La recherche précitée sur l'abandon des
poursuites chiffre le taux de classement des infractions dans les transports en
commun à 19 % seulement.
En revanche, pour ce qui est de l'ensemble de la délinquance dite de
" voie publique ", conglomérat d'infractions diverses qui
représentent plus de 56 % de la délinquance totale, le taux
de classement est beaucoup plus élevé. Il atteint même
95 % pour les affaires de vols aggravés
. Il faut à cet
égard rappeler que le taux d'élucidation moyen national par les
services de police et de gendarmerie pour l'ensemble des vols et des recels
dépassait à peine pour 1996 14 %, 13 % pour l'ensemble
des destructions et des dégradations de biens et 10 % pour les
cambriolages
3(
*
)
... Or, lorsque le Parquet
reçoit une plainte contre X qui n'a pu être élucidée
par les services de police ou de gendarmerie, il se voit contraint de classer
l'affaire.
Pour autant, le niveau élevé de ces taux n'est pas acceptable. En
effet, le développement du sentiment d'insécurité est
étroitement lié à la progression de la délinquance
dite " de voie publique " et à l'incapacité de la
justice à donner une réponse judiciaire appropriée
à ce type d'infraction.
Face à ce défi, votre
rapporteur s'inquiète de la résignation qui ressort des discours
de rentrée judiciaire de certains procureurs qui donnent l'impression
que le classement de certaines infractions et, en conséquence,
l'impunité dont jouissent leurs auteurs ne peuvent recevoir de
réponse judiciaire appropriée.
Votre rapporteur s'interroge sur cette tendance qui traduit le
découragement de certains magistrats, mais évite également
toute mise en cause de l'insuffisance des moyens octroyés aux
différents services de l'Etat associés à la politique de
lutte contre la délinquance ainsi que toute réflexion sur les
méthodes de travail. En outre, le fait que pour un même type
d'affaire, les taux de classement varient d'un tribunal à l'autre
confirme votre rapporteur dans son idée qu'une politique volontariste
permet de diminuer de manière significative les taux de classement sec.
La politique pénale des Parquets du ressort de la Cour d'appel de Lyon 4( * )
I - Sur
les vols à l'étalage
Les Parquets sont en principe systématiquement avisés des vols
à l'étalage par les services de police et de gendarmerie
compétents ou par le biais de lettres plaintes émanant des
magasins victimes.
Une homogénéité certaine est à relever dans les
politiques pénales suivies par les sept Parquets du ressort de la Cour
d'appel de Lyon :
- jusqu'à un préjudice d'environ 500 francs
(300 francs pour le Parquet de Saint-Etienne, 200 francs pour le
Parquet de Montbrison) et si l'auteur des faits n'est pas connu, le
procès-verbal ou la lettre plainte est en principe classé sans
suite. Un avertissement est toutefois, dans la plupart des cas, adressé
à l'intéressé ;
- à partir du seuil de 500 francs, des poursuites sont
engagées par le biais de convocation par officier de police judiciaire,
citation directe, comparution immédiate, et le cas
échéant, ouverture d'information si la complexité des
faits le justifie.
Dans des vols de faibles montants, le Parquet de Lyon peut également
orienter la procédure devant l'une des cinq maisons de justice du
ressort pour une médiation-réparation et un rappel à la
loi.
L'attention des Parquets du ressort a été attirée sur
deux points :
1. La nécessité de tenir et d'actualiser
précisément les précédents concernant ces affaires
de vols à l'étalage. En cas de récidive ou de
réitération de faits précédemment classés,
des poursuites doivent être diligentées et éventuellement
d'anciennes procédures ressorties.
2. Plusieurs affaires de vols d'alcool et de spiritueux, par pluralité
d'auteurs (souvent des ressortissants d'Europe de l'Est) ont été
constatées dans es grands magasins du ressort de la Cour. Des poursuites
doivent être engagées à l'encontre des auteurs de ces
faits, qui révèlent un trafic organisé.
II - Sur l'usage et la détention de stupéfiants
A l'exception de Lyon, les Parquets du ressort sont essentiellement
concernés par des faits d'usage et de détention de cannabis ou de
produits dérivés. Dans tous les cas, des procédures sont
systématiquement effectuées et transmises au ministère
public qui s'efforce de diversifier les réponses.
En dehors du trafic organisé, deux types de situation peuvent
être distinguées :
1. Le simple usager
En principe, les Parquets du ressort n'engagent pas de poursuites lors de la
première interpellation. L'intéressé est
éventuellement convoqué dans les locaux de la Maison de justice
et du droit pour un rappel à la loi.
Si l'usager relève de soins médicaux (ou s'il s'agit d'une
consommation entraînant une forte dépendance :
héroïne, LSD), une injonction thérapeutique lui est
notifiée par un magistrat du Parquet après convocation par un
officier de police judiciaire.
En cas d'usage répété, les précédents sont
ressortis et les Parquets apprécient au cas par cas l'opportunité
des poursuites.
2. L'usage et la détention de stupéfiants
Les critères retenus par les sept Parquets du ressort convergent pour
distinguer la détention liée à la consommation personnelle
et celle démontrant la revente :
jusqu'à 20 grammes de haschich ou résine de cannabis et
3 doses d'héroïne, la personne interpellée est
considérée comme détenant des produits stupéfiants
pour sa consommation personnelle ;
au-delà de ces seuils, des poursuites pour infraction à la
législation sur les stupéfiants sont systématiquement
engagées, les quantités saisies révélant un usage
ou une détention en vue d'une revente.
En tout état de cause, en cas de consommation habituelle, l'attention
des Parquets a été attirée sur la nécessité
de vérifier les activités et les ressources de ces usagers.
En effet, dans le ressort de la Cour, les prix des produits stupéfiants
sont les suivants :
- 1 gramme d'héroïne = 1.000 à 1.500 francs
- 1 gramme de cocaïne = 1.000 francs
- 1 comprimé d'ectasy = 100 à 200 francs.
L'approvisionnement en stupéfiant conduit très souvent l'usager
à commettre d'autres infractions permettant le financement de sa
consommation personnelle (vols, cambriolages, vols avec violence ou avec arme).
III - Sur les homicides ou blessures involontaires lors d'accidents de la
circulation routière
Des poursuites sont systématiquement diligentées en cas :
- de blessures involontaires ou homicides involontaires sous l'emprise de
l'alcool (une information est souvent ouverte et un mandat de
dépôt fréquemment requis en cas de blessures graves ou a
fortiori d'homicide involontaire) ;
- homicides involontaires ;
- pour les blessures involontaires inférieures à 3 mois,
les Parquets apprécient au cas par cas, en fonction de la gravité
de la faute.
Les procédures peuvent faire l'objet d'un classement, sauf
relèvement d'infractions routières graves à l'encontre du
contrevenant (non respect d'un stop, omission de s'arrêter à un
feu rouge, franchissement d'une ligne continue...).
Les critères de politiques pénales précédemment
évoqués ont été définis par les sept
Parquets du ressort en raison de l'augmentation des procédures
dressées et afin d'opérer des priorités dans les
poursuites en vue d'éviter le blocage des juridictions de
jugement.
2. Une pratique très variable selon les tribunaux
Le
taux de classement sans suite varie également d'un tribunal à
l'autre
. Ainsi, dans le ressort de la Cour d'Appel de Toulouse, les six
Parquets présentaient, en 1995, des taux de classement allant de
51 % à Saint-Gaudens à 93 % à Toulouse, en
passant par 52 % à Castres, 62 % à Foix, 72 %
à Albi et 73 % à Montauban.
Les données statistiques de la Cour d'appel de Lyon relèvent
aussi de très fortes disparités. Ainsi, le taux de classement des
plaintes et procès-verbaux reçus varient en 1996 de 60 % au
Tribunal de grande instance de Belley à 88 % au Tribunal de grande
instance de Lyon, en passant par 63 % à Montbrison, 72 %
à Roanne, 73 % à Villefranche-sur-Saône, 75 %
à Bourg-en-Bresse et 82 % à Saint-Etienne.
Une corrélation (imparfaite toutefois) s'établit entre la taille
des Tribunaux de grande instance et la capacité à
poursuivre : plus un tribunal est petit, plus il est en mesure de
poursuivre.
Cette situation s'explique essentiellement par deux raisons :
- la première vient du taux beaucoup plus élevé
d'élucidations dans les zones rurales que dans les zones urbaines.
En effet, la délinquance de voie publique est plus
développée dans ces dernières et se traduit par la
multiplication des plaintes contre X. Or, celles-ci sont
systématiquement classées, faute d'auteur à poursuivre
(elles représentent 51,8 % du total des plaintes).
Ainsi, sur le ressort de la Cour d'appel de Toulouse
, les plaintes contre
auteur connu
se sont élevées à 44.678 sur un total de
92.653 en 1995, soit 48,2 %. Mais pour le seul Tribunal de grande instance
de Toulouse, ces chiffres étaient respectivement de 28.764 et de
72.051, soit 39,9 % seulement.
- la seconde vient de ce que proportionnellement, les petits tribunaux ont
plus de moyens pour faire face à un nombre d'affaires plus réduit
;
Ainsi, le Parquet de Toulouse, en raison de la capacité limitée
d'évacuation des affaires par le tribunal correctionnel, réduit
volontairement le nombre de poursuites qu'il pourrait exercer. En outre, il
doit prendre en compte l'augmentation des stocks à l'audiencement, ce
qui l'oblige parfois à classer sans suite des procédures pour
lesquelles il avait initialement pris une décision de poursuite.
L'insuffisante capacité de jugement :
causes
et
conséquence
I. Les
causes
5(
*
)
- En amont, la
pénalisation
de la législation est
excessive. Presque tous les textes sont assortis d'un volet pénal, sans
que la nécessité d'un tel volet ait été
évaluée au préalable pour la bonne application de la loi.
La multiplication des causes d'infraction n'est pas compensée par une
augmentation à due concurrence des moyens des Parquets.
- L'
inflation des affaires civiles
tend à absorber de plus en
plus d'audiences et de magistrats au détriment des affaires
pénales. Cet "effet d'éviction" concerne toutefois exclusivement
les tribunaux correctionnels.
L'augmentation du nombre d'affaires civiles tient à l'absence de
filtrage de ces affaires, mais également, selon certains magistrats,
à la forte pression des barreaux qui ont un intérêt
financier à voir croître le nombre d'audiences des affaires
civiles. En outre, au sein du corps de la magistrature, l'activité
pénale est jugée moins prestigieuse que
l'activité civile. En conséquence, beaucoup de magistrats
sont guère enclins à choisir ce domaine et ne souhaitent pas se
spécialiser dans l'activité pénale.
Or, l'instabilité dans la composition de certains tribunaux
correctionnels conduit à une instabilité de la politique
pénale au niveau des condamnations et ne permet pas de forger une
jurisprudence pénale digne de ce nom.
- Par ailleurs,
il revient au
président du Tribunal de grande
instance
, après consultation de l'Assemblée
générale,
de fixer le nombre d'audiences correctionnelles
.
En conséquence, si ce dernier porte peu d'intérêt à
l'activité pénale, le nombre d'audiences sera limité et ne
permettra pas de juger toutes les affaires transmises par le Parquet. Ainsi, le
président du Tribunal de grande instance de Lyon n'a pas
hésité à affirmer à votre rapporteur qu'il
n'était pas toujours en parfait accord avec la politique pénale
en vigueur dans cette juridiction. Or, ces divergences tendent à se
répercuter dans l'organisation des audiences.
Votre rapporteur estime que les moyens financiers du ministère de la
justice devraient être concentrés sur l'activité
pénale. En effet, la volonté affichée par les
différents gouvernements de recentrer la justice sur ses missions
régaliennes implique le rééquilibrage de ses actions sur
le traitement de la délinquance.
- Il y a par ailleurs
insuffisance globale du nombre d'audiences
. Le
procureur général près la Cour d'appel de Toulouse,
M. Jean Volff
, qualifie le phénomène de "catastrophe"
pour le Tribunal de grande instance de Toulouse. Il considère à
cet égard que l'instauration du juge unique n'a apporté aucun
remède.
A Toulouse, par exemple, il existe trois chambres correctionnelles, quatre
vice-présidents et pas d'assesseur. Parfois, les audiences sont
renvoyées faute de président, ou doivent se tenir avec le renfort
d'un avocat, ou encore durent interminablement sans parvenir à tout
traiter.
Augmenter les "capacités" de jugement des tribunaux correctionnels
La
capacité annuelle de jugement correctionnel des quatre Tribunaux de
grande instance du ressort de la Cour d'appel de Colmar est la suivante :
- Strasbourg : 5.200 affaires,
- Mulhouse : 3.500 affaires,
- Colmar : 2.200 affaires,
- Saverne : 1.400 affaires.
Sans moyens supplémentaires, la capacité d'absorption des
tribunaux correctionnels de ces quatre juridictions ne peut s'accroître,
ce qui conduit nécessairement les Parquets à gérer des
flux et des stocks et à faire usage des formes de classement
inadmissible que sont le classement "gestion" et le classement "lassitude".
Selon les procureurs de ces quatre tribunaux, seuls des moyens
supplémentaires permettraient d'absorber les classements sans suite "non
justifiés".
Cette insuffisance globale de la capacité de jugement est toutefois
contrastée en fonction de la taille des Parquets
.
Les petits Parquets ont la possibilité de traiter le maximum d'affaires,
alors que les gros doivent tenir compte de la capacité de jugement du
Siège.
Les petits Parquets disposent d'une ou deux chambres (six à sept juges)
et de deux ou trois magistrats (procureur et substituts). C'est le cas des
tribunaux de grande instance de Foix, Saint-Gaudens et Albi.
Ils traitent toutes les affaires, y compris contre X, ou demandent des
compléments d'enquête, et peuvent donc procéder à
toutes les poursuites qu'ils jugent opportunes.
Ils se heurtent cependant à deux types de difficultés :
- le traitement des comparutions immédiates, à cause du petit
nombre de magistrats du siège ;
- les contentieux de haute technicité, qui remontent
nécessairement à la Cour d'appel.
Les gros Parquets tels que Toulouse ou Montauban cumulent au maximum les
handicaps décrits ci-dessus et ne peuvent faire face qu'à une
petite partie des poursuites qu'ils jugeraient nécessaires.
D'une manière générale, les Tribunaux de grande instance
à une ou deux chambres rendent une justice, notamment pénale,
mieux adaptée aux réalités de la délinquance. Ces
constatations devraient conduire à relativiser les critiques
récurrentes tendant, à l'occasion de la révision de la
carte judiciaire, à la suppression de ces petites juridictions.
6(
*
)
II. La conséquence :
le développement d'accords
officieux sur certains types de contentieux donnant lieu à de nombreux
délits
Des traitements pragmatiques, résultant d'accords officieux sont mis en
oeuvre pour certains délits fréquents :
•
Pour les vols dans les grands magasins
, les Parquets
s'accordent avec les directions des magasins pour limiter les engagements de
poursuite. Ainsi, avec des nuances selon les Parquets :
- les vols modestes ne font l'objet que de simples lettres aux procureurs de la
République, qui les classent sans suite (sauf s'il s'agit de
mineurs) ;
- en cas de récidive ou de comportement non coopératif du
délinquant, il y a recours aux forces de l'ordre et établissement
d'un procès-verbal sommaire signé par l'intéressé.
Ce seuil varie d'ailleurs d'une juridiction à l'autre. Ainsi, pour le
vol dans les grands magasins, le Parquet net poursuit pas si le
préjudice est inférieur à 1.000 francs à
Strasbourg, 500 à Mulhouse, mais seulement 200 francs à
Saverne.
•
Pour l'usage de stupéfiants
, les simples usagers
ne sont jamais poursuivis. Une procédure "simplifiée" est
néanmoins ouverte pour tenter de remonter la filière.
•
Pour les
accidents de la circulation
, il y a
ouverture d'une procédure simplifiée et classement par un
fonctionnaire du Parquet s'il n'y a ni plainte, ni accident corporel grave.
L'affaire n'est ressortie qu'en cas de réclamation.
Augmenter, redéployer et étoffer la
capacité
d'instruction
de certains Tribunaux de grande instance
La
capacité pour les Parquets, dans les affaires lourdes et complexes
(trafic de stupéfiants, affaires économico-financières),
d'ouvrir une information est souvent limitée. Ainsi, au Tribunal de
grande instance de Toulouse, les sept cabinets d'instruction ont chacun environ
120 dossiers en stock. En outre, un seul juge d'instruction sur les sept est
spécialisé en matière financière : il ne peut
donc faire face à l'afflux des dossiers.
Faute de moyens suffisants, le Parquet de Toulouse se trouve dans l'obligation
de classer en dépit des conséquences dramatiques de ces
classements sur la prévention de la délinquance et sur le
développement du sentiment d'impunité chez certains
délinquants.
Cet état de fait contribue à accentuer le sentiment d'injustice
de l'opinion publique et ne fait qu'accentuer sa suspicion sur la protection
dont bénéficieraient certains réseaux du monde financier
et politico-économique...
Par ailleurs, les déclarations gouvernementales stigmatisant la lutte
contre la corruption et le trafic de drogues apparaissent peu crédibles
lorsque le Parquet n'a pas les moyens d'enquêter dans ces domaines.
Or, de telles disparités dans les taux de classement remettent en
cause l'égalité des citoyens devant la loi puisqu'une affaire
similaire aura plus de chance d'être classée dans une grosse
juridiction que dans une plus petite
. Un tel dysfonctionnement n'est pas
acceptable. En revanche, il renforce le sentiment que le classement sans suite
est, au moins en partie, lié à un manque de moyens dans les
juridictions.
Toutefois, au-delà de la taille des tribunaux, les disparités
dans les taux de classement sans suite sont également liées au
mode de traitement des infractions par le Parquet.
Selon les informations données par le directeur des affaires criminelles
et des grâces,
M. Marc Moinard
, alors
que le taux de
" classement sec " atteindrait 25 à 27 % dans les Parquets qui
ont recours à la troisième voie, il serait de 40% dans les autres
Parquets
.
II. UN TAUX DE CLASSEMENT DES INFRACTIONS ÉLEVÉ ET QUI INTERVIENT A TOUS LES MAILLONS DE LA CHAÎNE PÉNALE
En théorie, c'est le Parquet qui est responsable de la décision de classement ou de poursuite des affaires. En réalité, ce dernier ne représente qu'un maillon dans la chaîne judiciaire. Ainsi, beaucoup d'affaires sont "classées" avant même d'avoir été examinées par le Parquet . En outre, dans certains cas, bien que le Parquet ait décidé de poursuivre, l'affaire sera en fait classée à cause du grippage de la procédure en aval.
A. LE CLASSEMENT DES AFFAIRES EN AMONT
L'article 40 du code de procédure pénale dispose
que
" le procureur de la République reçoit les plaintes et
les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il
avise le plaignant du classement de l'affaire ainsi que la victime lorsque
celle-ci est identifiée.
" Cela signifie donc que toutes les
plaintes et procès-verbaux doivent lui être adressées
("
je constate, je
transmets
") et qu'il est chargé de les
lire afin de trier celles qui seront classées et celles auxquelles une
suite sera donnée.
La pratique est tout autre. D'une part, les Parquets ne sont pas saisis de
toutes les infractions qui sont commises. D'autre part, une grande partie des
plaintes et procès-verbaux n'atteignent pas les Parquets et sont
directement triés en amont par des fonctionnaires.
1. La non-transmission des plaintes
Le
découragement des plaintes
L'ambiance de défiance
vis-à-vis de la capacité de
la Justice à obtenir réparation pousse de nombreux citoyens
victimes de petits délits à renoncer à porter plainte. Le
sentiment confus que le délinquant ne sera pas retrouvé ou
restera impuni et que l'infraction ne sera pas réparée est alors
à l'oeuvre. Dans ce cas, il n'y a déclaration aux services
compétents que si cette formalité est nécessaire pour
déclencher une indemnisation par l'assurance.
Le refus de porter plainte peut également résulter de la
peur
des représailles
. Ainsi, votre rapporteur a appris, lors de sa
visite du groupement de gendarmerie départementale du Val d'Oise, que la
mère d'une collégienne victime d'un viol avait refusé que
sa fille soit entendue de peur de représailles de la part des auteurs en
liberté.
A un second stade,
les citoyens peuvent être découragés
de porter plainte par les obstacles matériels auxquels ils se
heurtent
: l'officier de police judiciaire de permanence n'est pas
toujours disponible (c'est parfois le cas la nuit), ou bien il renvoie la
victime vers un autre commissariat. A ce stade, la demande faite au
commissariat peut ne faire l'objet d'aucune mention, ou n'être inscrite
que sur un registre dénommé "main courante".
On ne sait pas estimer le volume d'affaires en cause même si une
étude du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les
institutions pénales sur les classements policiers dans un commissariat
parisien, parue en 1993, évaluait les
affaires non transmises au
Parquet à 20 %.
Leur existence est révélée
par les réclamations de plus en plus nombreuses que les justiciables
envoient aux procureurs pour se plaindre de la manière dont ils ont
été reçus par la police ou la gendarmerie.
Le
chiffre noir de la délinquance :
l'opacité entre mythes
et réalité
Chaque
publication de statistiques sur la délinquance
7(
*
)
relance le débat sur " le chiffre noir de
la délinquance ", les chiffres officiels étant
accusés de sous-estimer l'ampleur de ce phénomène. En
outre, les distorsions constatées entre les statistiques sur ce sujet du
ministère de l'Intérieur d'une part et du ministère de la
Justice, d'autre part, ne font que conforter le sentiment d'une
vérité tronquée sur la délinquance. Pour mettre un
terme à ces controverses, il convient donc d'affirmer
l'impossibilité matérielle d'établir des statistiques
exhaustives sur la délinquance et de reconnaître que les chiffres
avancés ne constituent que des tendances qui peuvent parfois travestir
volontairement ou non la réalité.
I. Les obstacles à l'établissement de statistiques exhaustives
sur la délinquance
1. La réticence des victimes à déposer plainte
Certaines victimes peuvent renoncer à déposer plainte. Les
raisons sont très variées :
•
peur des représailles
•
perte de confiance dans la police et dans la justice
•
méconnaissance des textes légaux
2. Le découragement des plaintes
Les citoyens peuvent être découragés de porter plainte
dans les commissariats ou les gendarmeries, soit pour des raisons
matérielles (la victime est renvoyée dans un autre commissariat
ou l'officier judiciaire de permanence n'est pas disponible), soit parce qu'on
leur fait comprendre que leur plainte n'aura aucune chance d'aboutir.
Combien sont celles, parmi les victimes, qui ne vont même pas porter
plainte parce qu'elles ont à l'esprit un précédent
personnel fâcheux : "cela ne sert à rien" ; "On perd son temps" ou
parce que "s'il n'y a pas d'assurance, ce n'est pas la peine d'aller à
la police" qui ne sert, parfois, qu'à délivrer une attestation.
Le classement sans suite commencerait dans les services de police et de
gendarmerie. Le premier tri résulte de certaines formes de dissuasion du
style : "on a plusieurs dizaines de cas comme le vôtre depuis ce matin" ;
"Vous connaissez la justice, porter plainte ne vous servirait à rien" ;
"On vous a volé votre voiture ici, porter plainte au commissariat de
police ou à la gendarmerie de votre domicile" ; ou encore "A quoi bon
porter plainte, la justice ne poursuit pas ou ne condamne pas".
Si une plainte n'est pas reçue, la démarche de la victime peut
se traduire cependant par une inscription sur le registre de main courante pour
la police nationale ou sur le carnet de déclarations de gendarmerie.
Les procureurs de la République ne peuvent, à ce stade, faute de
temps et de moyens, exercer aucun contrôle sur les mains courantes ou les
carnets de déclaration. Par ailleurs, comme le soutiennent d'aucuns, il
existerait des directives verbales données aux services de police pour
"réguler" par la dissuasion les statistiques officielles du
ministère de l'Intérieur.
Seule la création de
commission d'enquête permettrait de vérifier la
véracité de ces allégations souvent enregistrées au
cours de la mission de votre rapporteur.
Les commandants de brigade aussi bien que les commissaires sont très
réticents à reconnaître ce phénomène. Ainsi,
ils affirment ne pas être influencés par les décisions
prises par le Parquet lors de la réception des plaintes.
La réalité doit être nuancée. La réforme des
commissariats parisiens a considérablement amélioré
l'accueil du public et, en conséquence, encouragé les victimes
à porter plainte. En revanche, on peut difficilement imaginer que les
décisions du Parquet n'influencent pas l'attitude des policiers et des
gendarmes face à la délinquance. Ainsi, on peut comprendre que
ces derniers soient moins enclins à recueillir des plaintes et à
élucider des affaires lorsqu'ils savent que ces dernières seront
systématiquement classées sans suite par le Parquet.
A cet égard, votre rapporteur souhaiterait que les magistrats du
Parquet mesurent les conséquences dommageables d'un classement sans
suite sur la crédibilité de la police ou de la gendarmerie
lorsque l'auteur de l'infraction est connu. Lors de son entretien avec le
commissaire du premier arrondissement,
M. Bernard Laithier
, votre
rapporteur a été informé de nombreux cas où
l'auteur de l'infraction vient ensuite narguer le policier qui l'a
interpellé. En outre, un tel classement ne peut que révolter la
victime.
II. Les disparités constatées entre les statistiques du
ministère de l'Intérieur et celles de la Chancellerie
Les statistiques du ministère de l'Intérieur et celles de la
Chancellerie diffèrent car elles n'ont pas le même objet :
alors que les premières comptabilisent les faits, les deuxièmes
recensent les affaires. Or, certaines affaires peuvent comporter plusieurs
infractions et la qualification judiciaire des faits peut être
différente de celle des services de police et de gendarmerie. C'est
pourquoi les chiffres présentés par le ministère de
l'Intérieur sont plus élevés. Votre rapporteur tient
toutefois à faire remarquer que ces distorsions nuisent à la
lisibilité des statistiques sur la délinquance.
En conclusion, il apparaît donc que les chiffres sur la
délinquance doivent être maniés avec précaution.
Ceux-ci ne reflètent qu'une partie de ce phénomène
complexe et ne représentent qu'une image et une tendance.
Ces propos doivent cependant être relativisés dans la mesure
où la réforme des commissariats parisiens a
amélioré l'accueil du public.
Jusqu'à présent, à Paris, les compétences de chaque
commissariat étaient limitées à un certain secteur
géographique. Si une personne se faisait voler son porte-monnaie, elle
devait se rendre dans le commissariat de l'arrondissement où
l'infraction avait été commise, même si ce dernier
n'était pas le plus proche. En outre, les permanences étaient
assurées par rotation le week-end, les victimes étaient donc
obligées de chercher le commissariat ouvert avant de pouvoir porter
plainte.
Désormais, le critère territorial a été
abandonné : les commissariats sont dans l'obligation de prendre
toutes les plaintes, à charge pour eux de les transmettre au
commissariat compétent. En outre, pour accompagner cette réforme,
les commissariats ont été dotés en matériel
informatique tandis que des gardiens de la paix ont été
recrutés.
Cette réforme s'est avérée efficace puisque le nombre de
plaintes a crû, surtout de la part de personnes n'habitant pas la
capitale.
En ce qui concerne les " mains courantes ", votre rapporteur tient
à préciser qu'il s'agit d'une pratique essentiellement
parisienne. Ainsi, alors que pour le commissariat du premier arrondissement, le
taux de mains courantes s'élève à 21 % du total des
procès-verbaux pour le mois de mars 1998, il est insignifiant au
commissariat central de Mulhouse. Selon le commissaire du premier
arrondissement,
M. Bernard Laithier
, le nombre assez élevé
des mains courantes s'explique de trois manières :
•
d'une part, certains actes dénoncés par
les plaignants ne constituent pas de véritable infraction
caractérisée (bousculade, troubles de voisinage...) ;
•
d'autre part, certains plaignants ne souhaitent pas
porter plainte dans l'immédiat mais veulent toutefois déposer
dans le cas où l'incident se reproduirait ;
•
enfin, dans certains cas et, notamment, lorsque
l'auteur de l'infraction est un mineur récidiviste, les policiers
conseillent aux plaignants de consigner leurs dépositions dans le
registre des mains courantes. En effet, une plainte contre un mineur a toutes
les chances d'être classée. En revanche, la même plainte
accompagnée de plusieurs dépositions en main courante
dénonçant le même type d'infractions aura un
caractère suffisamment grave pour inciter le procureur à
poursuivre.
Le choix de la main courante résulte dans ce cas là d'une
analyse réaliste de l'attitude du Parquet face à certains types
de délinquance
. Votre rapporteur ne peut cependant que s'interroger
sur la pertinence de cette attitude. L'explosion inquiétante de la
délinquance des mineurs devrait inciter le Parquet à concentrer
toute son attention sur le traitement de la primo-délinquance. Or,
l'exemple ci-dessus révèle, au moins dans certains Parquets, une
attitude pour le moins permissive. A cet égard,
M. Marc Moinard
,
lors de son entretien avec votre rapporteur, reconnaissait tout en le
condamnant que
50 % des affaires impliquant des mineurs continuaient
d'être classés.
En tout état de cause, il conviendrait de veiller à ce que la
main courante ne soit pas substituée à l'établissement de
procès-verbaux dès lors que les éléments
constitutifs d'une infraction sont réunis.
Main courante et carnet de déclaration
La
"main courante"
La "main courante" est un registre tenu par les policiers, sur lequel ils
consignent les faits qui leur sont rapportés. Son objet est purement
informatif. Elle n'a pas valeur de procès-verbal. Les Parquets peuvent y
avoir ont accès et elle peut leur servir d'élément de
preuves.
Dans le cas de violences conjugales par exemple, un premier fait peut
n'être consigné qu'en main courante. En cas de renouvellement des
violences, la première consignation peut servir de témoignage et
alimenter un dépôt de plainte. La main courante peut être
tenue par un gardien de la paix. Selon un procureur général, les
plaignants ont plus de difficulté à déposer plainte
à la police qu'à la gendarmerie, du fait d'une moindre
disponibilité des officiers de police judiciaire. Cette moindre
disponibilité serait liée à l'organisation du travail dans
la police, dont le régime de récupération exigerait des
effectifs plus importants pour disposer de davantage d'officiers de police
judiciaire la nuit.
Le "carnet de déclaration"
Le "carnet de déclaration" est le registre de constats tenu par les
gendarmes. Il a valeur de procès-verbal car le plaignant doit le signer.
Il peut servir au magistrat si une partie conteste le procès-verbal
dactylographié, afin de déceler d'éventuelles
incohérences entre le procès-verbal et le carnet.
2. Les constats d'infraction par les administrations
Une
autre zone d'ombre en amont des plaintes est constituée par la
méconnaissance par les Parquets de la politique de constat d'infractions
mise en oeuvre par les administrations qui en ont le pouvoir et par la probable
mauvaise application de l'article 40 alinéa 2 du code de
procédure pénale qui fait obligation à tout organe public
de déférer des faits délictueux au procureur de la
République. Or, tous ces faits délictueux ne sont pas
dénoncés par certaines autorités constituées
d'officiers publics ou de fonctionnaires qui, dans l'exercice de leurs
fonctions, ont connaissance d'un crime ou d'un délit.
Le classement sans suite peut résulter de la non-transmission par les
autres services de l'Etat ayant qualité pour constater les infractions
relevant de leur domaine de compétence ; les services des douanes, de la
répression des fraudes, la Direction départementale des affaires
sanitaires et sociales, les Directions régionales de l'industrie, de la
recherche et de l'environnement, la Direction départementale de
l'équipement, de l'inspection du travail, etc...
Les motifs sont multiples : volonté délibérée
de ne pas saisir le Parquet et donc de traiter l'affaire à son
niveau ; lassitude ("aucune poursuite ne sera engagée") ;
surcroît de travail engendré par la rédaction de
procès-verbaux et leur transmission en bonne et due forme.
Plusieurs cas de figure peuvent ainsi se présenter, qui expliquent cette
situation :
-
les interventions hiérarchiques
qui interdisent les
transmissions, bien que l'autorité administrative n'en ait pas
légalement le pouvoir ;
-
les compromis acceptés par les services
déconcentrés
, sans contrôle du Parquet (exemple
fréquent : les infractions aux règles du permis de
construire relevées par les Directions départementales de
l'équipement) ;
-
les courts-circuits juridiques
au jugement d'opportunité
des poursuites. Ainsi, même si cette compétence appartient au
Parquet, elle peut être remise en cause par l'intervention en amont d'une
administration dans le cadre d'une compétence qui lui est dévolue
de droit. Ainsi :
•
les douanes
ont le pouvoir de transiger. A
Toulouse, les douanes se sont accordées avec les Parquets sur un
barème de transactions (en fonction de la valeur du litige) qui leur
sert pour choisir de déférer ou non des faits délictueux,
•
les infractions fiscales
passent d'abord devant
la commission des infractions fiscales, ce qui fait d'elle le véritable
juge de l'opportunité des poursuites.
Ces tris en amont de la saisine du Parquet sont illégaux et malsains
pour le respect de l'Etat de droit.
Aucun service, quelles qu'en soient les
raisons, ne peut s'octroyer ce pouvoir que la loi ne confère qu'à
la seule autorité judiciaire. Le principe ne peut-être que
celui-ci :
"je constate une infraction, je transmets au Parquet".
En outre, permettre aux fonctionnaires de choisir la suite à donner
à la constatation d'une infraction sans réel contrôle
hiérarchique et sans contrôle possible de l'autorité
judiciaire augmente les risques d'abus du principe d'opportunité des
poursuites, voire de corruption.
Les officiers du ministère public
Outre
les procureurs et leurs substituts, d'autres agents de l'Etat contribuent
à la poursuite des infractions : ce sont les officiers du
ministère public (OMP) près les tribunaux de police.
I. Leur statut
Les fonctions d'officiers du ministère public près le tribunal
de police sont exercées, aux termes de l'article 45 du code de
procédure pénale, par le commissaire de police. L'article 46 du
même code prévoit qu'en cas d'empêchement du commissaire de
police, le procureur général désigne, pour une
année entière, un ou plusieurs remplaçants qu'il choisit
parmi les commissaires de police et les commandants de police dans le ressort
du Tribunal de grande instance.
Les article 47 et 48 du code de procédure pénale
confèrent un pouvoir de désignation au procureur
général dans le cas où il n'y a pas de commissaire de
police et dans le cas où il y en a plusieurs.
II. Leur nombre
- 332 en province
- 1 titulaire et 5 suppléants à Paris.
Il s'agit de postes budgétaires relevant des crédits du
ministère de l'Intérieur. Le ministère de la Justice
assume cependant les dépenses de fonctionnement liées à
l'activité des officiers du ministère public.
III. Le nombre de contraventions traitées annuellement (chiffres
1997)
En province
Audiences : 4.597
Amendes forfaitaires majorées : 6.732.611
Ordonnances pénales : 363.092
Affaires citées à l'audience : 197.902
A Paris
7.500.000 procès verbaux relatifs à la circulation
4.094.000 amendes forfaitaires majorées, auxquelles s'ajoutent 73.099
relatives à la RATP et 39.147 relatives à la SNCF
représentant plus d'un milliard de francs.
Audiences : 985 (1
ère
à 4
ème
classe)
Ordonnances pénales : 86.750
Affaires citées à l'audience : 48.987
Tous les magistrats auditionnés ont soulevé le problème de
l'application de l'article 40 alinéa 2 du code de procédure
pénale dû principalement à des interprétations
"diverses" des dispositions de cet alinéa. A plusieurs reprises, votre
rapporteur a tenté de faire clarifier les interprétations en
interpellant les ministres successifs de la Justice
8(
*
)
. En vain.
Ces hésitations et fins de non recevoir sur une question aussi
essentielle pour le traitement efficace de la délinquance illustrent
bien les difficultés rencontrées par l'Etat pour coordonner ses
services et introduire un minimum de cohérence dans la démarche
des administrations chargées de constater les infractions.
Cependant, récemment le nouveau Préfet de Corse,
M. Bernard
Bonnet
, a fait usage des dispositions prévues à
l'article 40 du code de la procédure pénale en saisissant la
justice de toutes les infractions portées à sa connaissance par
les différents services de l'Etat. Cette initiative illustre bien que la
rétention d'informations par les autorités administratives
s'apparente à des classements sans suite de fait.
3. Le classement effectué par les fonctionnaires
Comme le
constate l'étude déjà citée sur l'abandon des
poursuites, la première contrainte du Parquet est constituée par
la masse que représente l'ensemble des affaires soumises à la
juridiction. Par souci de gestion,
l'utilisation du principe
d'opportunité a été déléguée pour une
large part
(75 à 80 % des affaires)
à des
exécutants et non plus à des magistrats
: les trois quarts
des affaires sont simplement triés par le bureau d'ordre.
La
décision de classement n'existe même plus comme mesure
administrative du Parquet mais est remplacée par un simple archivage des
masses de procès-verbaux et de lettres qui arrivent au Parquet.
Ainsi, dès l'entrée au bureau d'ordre, les procédures
établies contre X sont mises à part, sauf quelques rares cas.
L'orientation future du dossier est donc totalement laissée à
l'initiative des services qui établissent les procès-verbaux : le
fait de transmettre une procédure contre X au Parquet équivaut
à la vouer au classement sans suite.
Ce tri intervient, faut-il le rappeler, après le choix qui consiste
à établir ou non un procès-verbal (la rédaction
d'une main courante empêche la poursuite pénale de l'affaire
puisque celle-ci reste inconnue au Parquet).
Par ailleurs, les statistiques nationales montrent que 42 % des affaires
classées par l'ensemble des Parquets français lorsque l'auteur
est inconnu sont simplement compostées : cela signifie qu'un
numéro d'ordre leur est attribué mais que les identifiants de ces
affaires ne sont pas enregistrés. Aucune affaire ne peut donc être
retrouvée à l'aide de ce compostage qui n'a d'autre
finalité que d'établir une statistique sur le nombre d'affaires
entrées dans la juridiction.
Plusieurs filtres existent donc avant l'examen du procès-verbal ou de
la plainte par le magistrat aussi bien au niveau de la police et de la
gendarmerie qu'au niveau du bureau d'ordre, et ce alors qu'aucune de ces deux
instances n'est en théorie habilitée à prendre ce genre de
décision.
Il y aurait lieu d'évoquer ici une autre forme de classement sans suite
à travers l'usage abusif du secret défense. A cet égard,
votre rapporteur se félicite que le projet de loi instituant une
commission consultative du secret de la défense nationale actuellement
examiné par le Parlement puisse apporter une solution pour
remédier à ces abus. En effet, ce texte prévoit qu'une
autorité administrative indépendante puisse désormais se
prononcer lorsqu'une procédure juridictionnelle se heurte au secret de
la défense nationale. Cette autorité donnera un avis sur la
déclassification et la communication au juge des informations couvertes
par le secret.
B. LE CLASSEMENT DES AFFAIRES EN AVAL : L'EXÉCUTION DES PEINES
Lorsqu'une affaire a été traitée jusqu'au bout et jugée, il demeure une part de non justice liée à l'inexécution des peines .
1. L'exécution des peines d'amende
Les peines d'amende qui font systématiquement l'objet d'extraits adressés par le Parquet au trésorier payeur général ne sont que partiellement exécutées. Le Trésor public est chargé du recouvrement, mais les Parquets n'ont pas accès au contrôle de l'exécution et ne sont pas informés de celle-ci.
Or, le
tableau ci-avant montre que les admissions en non-valeurs varient entre un et
deux milliards de frands par an. Ainsi, le taux de paiement brut des amendes
(qui inclut les annulations décidées par les juridictions et les
admissions en non-valeurs), dont le titre de recouvrement a été
émis en 1993, ne s'élevait qu'à 17,82 % en
année n, 28,39 % en année n+1 et 29,97 % en
année n+2.
Ces chiffres traduisent la faible efficacité du
système de recouvrement des amendes.
Il est vrai que le recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires
est, en règle générale, plus difficile que le recouvrement
des autres produits du budget de l'Etat.
Les problèmes rencontrés dans ce genre de recouvrement peuvent
être regroupés autour de deux idées principales :
•
En ce qui concerne toutes les décisions de
justice prononcées par les juridictions
, il faut que les comptables
du Trésor puissent entreprendre rapidement leur mission de recouvrement.
Dans ce but, il faudrait privilégier la mise en place d'interfaces
informatiques entre les greffes et les trésoreries, notamment en
matière d'ordonnances pénales. Les services du ministère
de la Justice ne les ont implantées que de façon encore
limitée.
Par ailleurs, pour des infractions à la police des services publics de
transports terrestres, le recouvrement est très souvent impossible par
suite des noms et adresses relevés par les services verbalisateurs,
ceux-ci n'ayant pas les moyens juridiques de procéder aux
vérifications nécessaires en la matière. A cet
égard, votre rapporteur propose de faciliter et
rendre plus effective
l'action des contrôleurs
dans les transports publics en les
autorisant à retenir les contrevenants qui refusent de décliner
leur identité afin de pouvoir en rendre compte immédiatement
à tout officier de police judiciaire qui pourra alors se faire
présenter sur le champ le contrevenant.
•
En ce qui concerne plus particulièrement les
amendes forfaitaires majorées prononcées pour des infractions au
code de la route
, les comptables du Trésor, constatant que les
adresses extraites des fichiers des immatriculations des véhicules sont
très souvent inexactes, sont obligés de procéder à
la recherche de nouvelles adresses préalablement à toute
tentative de recouvrement.
Dans l'hypothèse où les nouvelles adresses ne sont pas
retrouvées, la procédure de l'opposition au transfert des
certificats d'immatriculation, mise en place en 1997 dans une quarantaine de
départements en application des articles L. 27-4 et L. 28 du
code de la route, impose aux redevables de régler leurs amendes
forfaitaires majorées afin d'obtenir les certificats de non-gage et de
non-opposition avant toute mutation des cartes grises. Cette procédure
permet d'exécuter des décisions de justice qui étaient
jusqu'à présent irrécouvrables dès leur prise en
charge A ce égard, votre rapporteur tient à signaler
qu'un
groupe de travail interministériel sur l'amélioration du
recouvrement des amendes pénales a été mis en place depuis
août 1995
, dont l'objectif est de fiabiliser l'identification des
contrevenants et d'améliorer les procédures de recouvrement.
Les premiers travaux ont permis notamment de limiter les changements d'adresse
de la carte grise à la seule préfecture, d'assouplir la
procédure de saisie par déclaration à la préfecture
des véhicules des contrevenants, d'étendre en 1997 la mise en
place de la procédure d'opposition au transfert du certificat
d'immatriculation des véhicules terrestres à moteur et de
généraliser, en 1998, le paiement par chèque des amendes
forfaitaires.
Les difficultés relevées dans l'exécution des peines
d'amende sont également dues au fait qu'au-dessous d'un certain seuil,
les amendes sont signifiées, mais ne sont pas recouvrées par
contrainte si le contrevenant ne les acquitte pas.
Votre rapporteur a pu
constater que le taux de recouvrement variait sensiblement en fonction des
montants mais également de la mobilité souvent volontaire des
personnes condamnées à une amende. En effet, si ces derniers
changent d'adresse, l'administration chargée du recouvrement n'engagera
pas systématiquement d'action pour retrouver l'auteur de l'infraction.
Par exemple, en ce qui concerne le Tribunal de grande instance de Montbrison,
toute amende de plus de 110 francs est mise en recouvrement. Il faut
toutefois qu'elle soit supérieure à 330 francs pour que le
recouvrement soit poursuivi jusqu'à la saisie, voire 1.500 francs
pour les personnes domiciliées à l'extérieur du
département. Le taux global de recouvrement (qui englobe les amendes
forfaitaires majorées et les amendes de juridiction) a été
de 52,3 % en 1994. Après réception du premier avertissement
de paiement, environ 25 % des justiciables s'acquitteraient de leur
amende mais ce taux serait de 33 % pour les personnes condamnées
par les juridictions.
Un palliatif a été trouvé pour améliorer
l'efficacité de l'exécution des peines d'amende par
l'instauration du "jour-amende"
9(
*
)
. En cas de
non recouvrement, le trésorier-payeur général est alors
tenu de le signaler au Parquet qui délivre une réquisition
d'incarcération.
Cette méthode est lourde, mais très efficace, car les personnes
qui en font l'objet s'acquittent toujours de leurs amendes. Néanmoins,
le "jour-amende" n'est pas entré dans les moeurs...
Les difficultés d'exécution des peines
Du fait
de l'inexécution de certaines peines, de leur lenteur d'exécution
ou de leur aménagement systématique, les sanctions
prononcées par la justice perdent une grande partie de leur sens.
Or, pour être efficace, la peine doit être lisible pour l'auteur de
l'infraction, pour la victime et pour l'opinion publique.
Il est notamment important de pouvoir indiquer au condamné la nature de
la sanction qui lui a été infligée et la manière
dont elle va être exécutée. Une peine "brouillée"
par les difficultés d'exécution apporte une réponse
insatisfaisante au condamné, à la victime et à la
société. La peine prononcée à l'encontre du
délinquant n'aura permis ni de sensibiliser ce dernier ni de le
dissuader de recommencer. Pourtant, si le délinquant récidive, la
justice sera rendue responsable, même si les responsabilités sont
partagées.
C'est pourquoi votre rapporteur estime que tout condamné devrait,
à la sortie de la salle d'audience, pouvoir être reçu par
le juge de l'application des peines et un travailleur social du Comité
de probation et d'assistance aux libérés.
Par ailleurs, la comparution immédiate à l'audience est certes un
système où le jugement intervient rapidement. Toutefois,
l'exécution immédiate de la peine n'a pu être
préparée, voire aménagée. Il en résulte que
trop souvent, le délinquant exécute effectivement la peine qui
lui a été infligée sans avoir été
incité à réfléchir sur l'infraction qu'il a commise
et les conséquences de son acte. En revanche, s'il a
séjourné en prison, il sera entré en contact avec le
milieu criminogène, avec tous les risques de " contagion " que
cela comporte.
En outre, votre rapporteur regrette que l'insuffisance des moyens des services
de la protection judiciaire et de la jeunesse conduise à ne pas
"traiter" réellement toute une série d'infractions dont les
auteurs identifiés sont des mineurs.
Cette absence de réponse judiciaire revient à classer sans suite
certaines formes de délinquance. Or, cette tendance remet en cause
l'utilité du travail en amont des services d'enquête (gendarmerie,
police), du Parquet des mineurs et du juge pour enfants dans la mesure
où aucune suite concrète n'est donnée à
l'infraction commise, constatée et traitée.
A cet égard, votre rapporteur s'inquiète de la diminution
sensible des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse dans le
département de la Seine-Saint-Denis alors que la délinquance des
mineurs ne cesse d'augmenter.
En 1989, le service comptait 223 éducateurs et personnels d'encadrement,
ils ne sont plus que 184 en 1998. En conséquence et alors même que
la demande de suivi des mineurs augmente, plus de 400 mesures éducatives
décidées par le juge des enfants n'ont pas été
exécutées. Or, l'opinion publique ne retient que ce
résultat et en conclut à l'impuissance de la justice, alors
même que tous les services en amont ont rempli leur mission
convenablement, voire même amélioré leur efficacité.
Ainsi, dans ce département, le Parquet de Bobigny a instauré
dès 1992 le traitement en temps réel des procédures pour
faire face à la progression de la délinquance des mineurs. Cette
réforme semble d'ailleurs avoir remobilisé les services de police
puisque le nombre de jeunes délinquants signalés a sensiblement
augmenté, prouvant en outre que le chiffre noir de la délinquance
est une réalité.
Cet exemple concret confirme la nécessité d'une action globale et
coordonnée entre tous les services concernés par le traitement de
la délinquance pour éviter que les améliorations
apportées dans un service soient remises en cause par les
dysfonctionnements constatés dans un autre service.
2. L'exécution des peines de prison
Les
peines de prison sont exécutées de manière très
variable et l'on doit s'inquiéter d'une véritable
inégalité devant l'exécution des sanctions
prononcées.
En effet, le juge d'application des peines, conformément à
l'article D49-1 du code de la procédure pénale, a pleine
autorité pour l'exécution des peines. Il peut donc les moduler,
les raccourcir, voire les supprimer en fonction de l'attitude du
délinquant et de l'infraction qu'il a commise ainsi que de la situation
carcérale de son ressort. Ainsi, les condamnations à moins de six
mois de prison ferme par le Tribunal de grande instance de Lyon ne sont jamais
exécutées en l'état.
Les juges d'application des peines disposent également de nombreux
instruments pour atténuer les peines : possibilités de
substitution des modalités d'exécution, de suspension ou de
remise de peines, procédures dilatoires, etc.
En outre, pour les peines d'une durée inférieure à un an,
le recours au juge d'application des peines (JAP) entraîne parfois un
délai : celui-ci a un mois pour traiter l'extrait de jugement. En
pratique, il y a une tolérance de deux mois, au-delà de laquelle
le Parquet peut faire exécuter la peine lui-même.
Enfin, il peut arriver que la surcharge d'un service d'exécution des
peines d'une juridiction enregistre des retard considérables dans la
prise en compte effective des sanctions prononcées.
Le classement des affaires semble donc intervenir à chaque maillon de
la chaîne pénale :
- dès que l'infraction a été commise, si la victime
est fataliste, dissuadée, mal informée, etc...
- au moment de leur dépôt, si les plaintes sont
enregistrées en "main courante" ou portées contre X ;
- au moment de leur réception par le bureau d'ordre.
Par ailleurs, même si l'affaire est poursuivie, elle risque de s'enliser
au tribunal avant d'être jugée. Enfin, pour être effectif,
le jugement devra être exécuté.
Or, on peut légitiment s'interroger si cette multiplication des
"classements sans suite" à chaque étape de la procédure
judiciaire ne reflète pas un dysfonctionnement grave des services de
l'Etat.
En effet, l'impression retirée par votre rapporteur de l'ensemble des
entretiens qu'il a eus avec les services de police, de gendarmerie et de la
Chancellerie ainsi qu'avec de nombreux magistrats pourrait être
caricaturée de la manière suivante : les services de police
et de gendarmerie sont peu incités à recueillir les plaintes et
à élucider les affaires car ils savent que ces dernières
vont être classées sans suite. Le Parquet n'a pas
intérêt à poursuivre car il sait que l'affaire ne sera pas
jugée avant des mois, voire des années. Quant au juge du
siège, même s'il apporte une réponse dans un délai
raisonnable à l'affaire dont il est saisi, il sait que
l'exécution du jugement est très incertaine.
Ces dysfonctionnements devraient inciter chaque intervenant à
redéfinir son action en collaboration avec les autres services pour la
rendre plus efficace. Certes, le manque de moyens et de personnel constitue un
obstacle au fonctionnement régulier de la justice, mais il peut
également inciter chaque partenaire à réfléchir sur
les moyens de dépenser mieux, car autrement, les crédits mis
à sa disposition.
Pourtant, votre rapporteur a eu le regret de constater que si certaines
initiatives locales ont permis d'apporter, à moyens constants, une
réponse judiciaire adaptée aux nouveaux phénomènes
de délinquance à travers le traitement en temps réel et le
développement de la troisième voie, les résistances ne
sont pas négligeables.
III. LE CLASSEMENT SANS SUITE : UNE PROCÉDURE RÉVÉLATRICE DE L'INSUFFISANCE DES MOYENS DE LA JUSTICE ET DE SES PARTENAIRES MAIS SURTOUT DES DYSFONCTIONNEMENTS EXISTANT AUSSI BIEN À L'INTÉRIEUR DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE QU'ENTRE LES SERVICES DE L'ÉTAT
Le constat paraît sévère mais il réaliste. Loin d'être une procédure inéluctable, le classement des affaires sans suite traduit les graves dysfonctionnements qui affectent d'une part le service public de la justice et, d'autre part, les relations de ce dernier avec les services de la police et de la gendarmerie . Certes, la politique pénale doit être adaptée aux moyens objectifs de la justice et ceux-ci s'avèrent insuffisants. Mais les résistances observées dans certains Parquets à l'introduction de nouvelles techniques de traitement des affaires ainsi que le manque de concertation entre les différents services de l'Etat sont en grande partie responsables des dysfonctionnements relatifs au traitement de la délinquance.
A. UN MANQUE DE MOYENS ÉVIDENT MAIS QUI PEUT ÊTRE POUR PARTIE COMPENSÉ PAR UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAITEMENT DES AFFAIRES
Comme le
soulignent tous les procureurs consultés par votre rapporteur, le manque
de moyens de la justice ne constitue pas la seule cause du classement sans
suite. Toutefois, tous reconnaissent qu'une partie des procédures
classées sans suite et visant des personnes dénommées
(estimées entre 15 et 20 %) pourrait être évitée si
la justice bénéficiait de moyens adéquats.
Votre rapporteur s'interroge sur la réalité du chiffre
avancé. Le taux de " classement sec " étant
évalué à 25%, cela signifierait que seulement 5 à
10 % des classements seraient dus à des dysfonctionnements. Toutefois,
en l'absence de statistiques, il lui faut s'en tenir aux remarques des
magistrats.
1. Le manque de moyens...
Cette pénurie en ressources humaines et en matériel se ressent à trois niveaux : dans les commissariats et les gendarmeries, dans les Parquets et dans les instances de jugement.
a) Dans les commissariats et les gendarmeries
L'analyse du processus de classement révèle que
les
magistrats du Parquet dépendent étroitement, pour leur
approvisionnement, du nombre et de la qualité des procès-verbaux
établis par les services de la police nationale et de la gendarmerie. La
multiplication des procédures contre X, due principalement à un
manque de moyens, contraint les Parquets à jouer un rôle
extrêmement passif d'enregistrement d'une matière première
inutilisable.
• Le manque de personnel pour mener les poursuites
Faute de personnel en quantité suffisante, les fonctionnaires de
police ou les militaires de gendarmerie sont contraints d'enregistrer les
plaintes contre X sans possibilité d'ordonner le lancement d'une
enquête. Or, il s'agit de la catégorie de classement sans suite la
plus choquante pour l'opinion publique puisque 50 % des dossiers
classés par les Parquets le sont pour ce motif.
Par ailleurs, votre rapporteur a également appris, lors de son entretien
avec les procureurs du ressort de la Cour d'appel de Colmar, que les
infractions complexes, notamment de nature financière, sont
insuffisamment traitées faute de moyens. Trop peu de policiers ou de
gendarmes sont affectés à ce type de criminalité,
malgré une forte motivation, car il n'est pas possible de faire
carrière en brigade financière ou en section de recherches. Il en
résulte qu'en matière économique et financière, une
enquête n'est engagée que pour des délits portant sur des
montants d'au moins 500.000 francs.
• Le manque de personnel pour recevoir les plaintes
En outre, si les services de police et de gendarmerie apprécient le
développement du traitement en temps réel, ils relèvent le
transfert de charge que cette procédure introduit à leurs
dépens à travers notamment la convocation par officier de police
judiciaire et la vérification de la réalisation de la
réparation.
La police nationale vient de modifier l'organisation de son travail pour, en
quelque sorte, s'adapter au traitement en temps réel des
procédures. Il existe désormais dans un commissariat un officier
de quart, théoriquement responsable de la mise en oeuvre des moyens
disponibles. Toutefois, cette réforme ne garantit nullement la bonne
coordination des enquêtes et la fiabilité primordiale des
compte-rendus faits aux magistrats des Parquets. La pratique met en
évidence un important problème qualitatif s'agissant de la
formation, de l'expérience et du contrôle effectif des agents de
police judiciaire (APJ), qu'il s'agisse du recueil des plaintes, de l'analyse
de la nécessité de l'enquête ou de la conduite de celle-ci.
Cette question est essentielle et ne devrait pas être résolue par
la dévalorisation objective de la qualification d'officier de police
judiciaire (OPJ) qui pourrait résulter de la réforme
envisagée par le ministère de l'Intérieur pour attribuer
ladite qualification à certains gardiens de la Paix.
b) Dans les Parquets
Le
rapport du ministère de la Justice déjà cité sur
l'abandon des poursuites montre que plus des trois quarts des dossiers en
provenance des services de police et de gendarmerie ne sont pas vus par un
magistrat du Parquet mais sont directement traités par les
fonctionnaires du bureau d'ordre. Cette proportion atteint 96 % des
dossiers classés " auteur inconnu ". Ce dysfonctionnement est
lié à l'insuffisance des effectifs du Parquet, alors même
que leurs tâches ne cessent de s'accroître.
• Un Parquet en sous-effectif chronique
Tous les procureurs reconnaissent que, lorsque les classements sont
motivés par l'absence d'identification de l'auteur de l'infraction ou de
l'insuffisance des preuves recueillies, un meilleur contrôle de leur part
leur permettrait de requérir plus souvent des compléments
d'enquête, voire l'ouverture d'informations judiciaires dans les cas
où les services de police et de gendarmerie ont mené des
investigations qui pourraient être plus approfondies.
De manière plus générale, les magistrats du Parquet
pourraient mieux effectuer leur travail si leurs effectifs étaient
augmentés.
Votre rapporteur tient à souligner que dans beaucoup de Parquets, les
effectifs ne sont même pas au complet, et ce depuis plusieurs mois, voire
plusieurs années.
Ainsi, depuis l'été 1996, il existe un poste vacant de substitut
à Belley et à Montbrison. Quant au Parquet du Tribunal de grande
instance de Marseille, il est en sous-effectif depuis 1993!
L'enquête menée par l'Union syndicale des magistrats est
éclairante.
Sceptique devant le chiffre de 3% d'emplois vacants
(soit 195 postes de magistrats) annoncé par la Chancellerie, l'USM
a envoyé un questionnaire auprès de toutes les juridictions afin
de comptabiliser le nombre de postes officiellement vacants et celui des postes
vacants " de fait "
10(
*
)
. En ce qui
concerne les Parquets, l'enquête précitée
révèle que 86 postes seraient officiellement vacants et 36 de
fait. Si les taux de vacance varient d'une juridiction à l'autre, ils
atteignent 23,3% pour le Tribunal de grande instance de Nîmes et 19,1%
pour celui de Colmar.
Globalement, 122 emplois de magistrats du Parquet sur 1345 ne sont pas
pourvus dans toute la France
, ce qui conduit à faire des substituts
placés auprès des procureurs généraux de
véritables outils de gestion.
Pourtant, alors que les Parquets ont à affronter des conditions de
travail de plus en plus complexes et difficiles, leurs obligations ne font que
s'accroître.
• Des tâches toujours plus variées
Hormis chaque décision qu'il leur faut prendre lorsqu'ils exercent une
poursuite, les procureurs et les substituts doivent, dans leur seule
activité pénale, suivre les procédures qu'ils ont
engagées (notamment les dossiers d'instruction qui sont de plus en plus
lourds), régler ces dossiers, préparer et prendre leurs
réquisitions orales aux audiences, veiller à l'exécution
des peines prononcées, participer aux commissions d'application des
peines dans les établissements pénitentiaires...
En outre, ils doivent également de plus en plus participer à
diverses instances qui ont notamment pour objet de prévenir ou mieux
réprimer les infractions les plus courantes ou préoccupantes pour
la sécurité publique : les conseils départementaux de
sécurité, les comités restreints de lutte contre le
travail illégal, les commissions de lutte contre la toxicomanie, les
instances de concertations avec les responsables de l'Education nationale...
Les conséquences de l'insuffisance des moyens du ministère de la Justice : l'exemple de la lutte contre la délinquance économique et financière
La
perception de la délinquance économique et financière par
les institutions, les hommes politiques, les médias et les citoyens est
sensiblement déformée : si l'on prend en
considération la lecture de la presse, notamment à propos de ce
qu'il est convenu de désigner sous le terme un peu vague des "affaires"
le monde de l'entreprise, de la finance et de l'économie sera l'objet
d'une chasse effrénée et certains n'hésitent pas à
y voir une mesquine revanche des petits juges sur les puissants.
La réalité est bien différente.
En ce qui concerne les grosses affaires, la mise en place de
sociétés écrans et de multiples places financières
aux législations protectrices rendent en réalité
particulièrement mal aisé le cheminement des enquêteurs
à l'intérieur de ce maquis que l'entraide répressive
internationale a bien du mal à pénétrer.
S'agissant de procédures moins sophistiquées, le paysage est non
moins composite : en dépit de nombreuses réunions de travail
et de sensibilisation, l'article 40 du code de procédure pénale
demeure encore peu appliqué ou mal appliqué par les
administrations : celles-ci ont souvent tendance à se réserver de
larges pans d'appréciation d'une opportunité des poursuites en
principe réservée aux Parquets. Les tribunaux de commerce,
observateurs privilégiés des comportements des
commerçants, notamment en cas de défaillance ou de
difficultés de l'entreprise sont encore insuffisamment utilisés
par les procureurs dans la perspective d'une politique d'action publique
cohérente. Ainsi, dans un tribunal important comme celui de Lyon,
l'effectif des magistrats du Parquet ne permet pas de participer aux audiences
de sanction commerciale alors qu'une telle présence serait vivement
souhaitée par tous.
En matière de marchés publics, les structures de la mission
interministérielle des marchés et les chambres régionales
des comptes effectuent un travail important et apprécié que les
Parquets ont du mal à suivre faute de moyens.
En effet, notamment du fait de la décentralisation, de nombreuses
sociétés d'économie mixte ou associations sont trop
souvent utilisées dans des conditions irrégulières et
favorisent des détournements de fonds.
Cette situation préoccupante en amont rend difficile pour les Parquets
financiers la définition de politiques cohérentes et nuit en
définitive à l'égalité des citoyens devant la loi
en fonction des circonstances de temps et de lieu.
Or, le traitement des affaires économiques et financières
accentue encore le risque d'une justice peu efficace en la matière : les
services régionaux de police judiciaires naturellement compétents
pour le traitement des affaires les plus lourdes sont en réalité
débordés et en dépit de l'effort des Parquets pour ne les
saisir que de dossiers significatifs, ne sont pas en mesure de les instruire
dans des délais raisonnables.
La situation est encore plus préoccupante pour la moyenne
délinquance économique et financière puisque les
sûretés urbaines tout comme la gendarmerie nationale se sont
largement désengagées. Même si la gendarmerie nationale
paraît à nouveau soucieuse de former des militaires à ce
type de procédures, les délais et la portée des
investigations demeurent trop souvent aléatoires.
Enfin, dans nombre de juridictions (notamment à Lyon), les affaires
économiques et financières se heurtent au goulot
d'étranglement de l'audiencement. Il en résulte un allongement
injustifiable des procédures allant parfois jusqu'à la limite de
la prescription.
La situation de la justice en matière économique et
financière est donc contrairement à une idée reçue
très mauvaise
: la création des pôles
économiques et financiers voulue par le Garde des Sceaux va à
l'évidence dans le bon sens dès lors qu'elle devrait permettre
aux Parquets de s'appuyer sur des assistants spécialisés issus
des différentes administrations économiques ou financières
afin d'être aidés dans leur travail d'analyse. Cependant, sans
renforcement substantiel des effectifs, les Parquets financiers continueront de
rencontrer les plus grandes difficultés.
Il leur appartient en effet, outre le traitement proprement dit des
procédures, d'animer et de stimuler l'activité de professions
juridiques et judiciaires tels que les commissaires aux comptes, les
administrateurs, les mandataires de justice, etc...
Définir une véritable politique judiciaire dans ce domaine
crucial où bien des comportements demeurent longtemps occultes suppose
que les procureurs spécialisés disposent de réels moyens
pour connaître l'exacte ampleur du phénomène dans leur
ressort
. Cela passe donc par l'animation de véritables juridictions
économiques et financières spécialisées au niveau
de chaque Cour d'appel comme les textes des articles 704 et 705 du code de
procédure pénale le prévoient. En effet, c'est seulement
dans un périmètre suffisamment large qu'un procureur agissant en
matière financière peut porter une appréciation juste de
l'exacte gravité que revêt telle ou telle infraction à la
législation sur les marchés ou à la vie commerciale. C'est
également dans ce cadre que l'on peut espérer constituer de
véritables sections spécialisées composées de
magistrats ayant reçu une formation suffisante et satisfaisante.
C'est donc un véritable bouleversement qui doit être
effectué en matière de lutte contre la délinquance
économique et financière afin de permettre aux parquets de mieux
connaître l'ampleur de celle-ci dans le ressort et de procéder
à des choix d'action publique bien adaptés dans le cadre
d'orientations de politique pénale clairement définies comme ils
s'efforcent de le faire dans les autres secteurs de la délinquance.
Il faut également que les moyens en aval (police judiciaire, services
d'enquête, audiencement...) soient adaptés en conséquence.
Ainsi pourra s'exercer dans de bonnes conditions l'opportunité des
poursuites et l'exacte appréciation qui incombe aux Parquets de la
gravité des infractions qui lui sont soumises.
Sinon, la lutte contre la délinquance économique et
financière continuera de s'avérer quelque peu chaotique dans sa
perception et surtout mal adaptée à la définition et
à la mise en oeuvre d'une politique pénale fondée d'abord
sur la prévention et le cas échéant sur une juste
répression.
c) Dans les instances de jugement
Le
classement sans suite résulte aussi de la capacité de jugement,
mais aussi d'instruction du Tribunal de grande instance.
Les capacités de jugement ne sont pas extensibles.
Certains Parquets
urbains renoncent à des poursuites parce que les délais de
jugement s'allongeraient de manière considérable
. Si les taux
d'élucidation s'amélioraient, le Parquet puis le Siège
seraient dans l'incapacité, faute de moyens, de prendre des
décisions dans des délais raisonnables. Votre rapporteur a
recueilli de nombreux témoignages qui allaient dans ce sens.
Ainsi, dans son discours lors de l'audience de rentrée en janvier 1998,
le procureur général près la Cour d'appel de Colmar,
M.
Olivier Dropet
, affirmait que trois raisons expliquaient le fort taux de
classement :
•
"
une approche nouvelle, par les magistrats de
l'Ordre public, de l'acte de délinquance et de la personnalité
des délinquants, une approche moins drastique, moins machinéenne
donc plus compréhensive et plus indulgente ;
• la mise en oeuvre par le Parquet de techniques et de mesures
dites alternatives à la poursuite qui ont pour objectif de faire
précéder le classement sans suite d'une véritable
réponse judiciaire ;
• l'impossibilité pour certaines juridictions de
jugement, par le manque criant d'effectifs et de moyens, de statuer dans un
délai raisonnable et dans des conditions normales sur l'ensemble des
procédures pénales qu'il serait justifié de leur
soumettre. Pour cette raison, les procureurs de la République sont
contraints de classer, sans autre forme de procès, des délits
dont les auteurs mériteraient amplement d'être
déférés devant le tribunal ; c'est le
classement-renoncement, le classement-résignation ; le procureur
n'est plus l'instigateur et l'ordonnateur d'une politique pénale
adaptée, il gère des flux et des stocks dans un sens contraire
à ses aspirations et à l'intérêt public ; il
devient en fait le magasinier de la Justice.
"
Les propos du secrétaire général de l'Union syndicale de
la magistrature,
M. Valéry Turcey
11(
*
)
sont également
révélateurs : "
Il suffirait, dites-vous, de retirer
aux procureurs le droit d'apprécier l'opportunité des poursuites
et de prévoir dans la loi que toutes les infractions signalées au
Parquet seront effectivement soumises au juge... Hélas ! Les
tribunaux correctionnels peinent à juger les quelques 420.000 affaires
qui leur sont soumises chaque année. Que serait-ce, si les deux millions
de procès-verbaux annuels (concernant des faits dont l'auteur est
identifié) déferlaient, comme un raz-de-marée, devant les
juridictions françaises ? Si l'on veut supprimer ce filtre
-contestable mais efficace- qu'est l'appréciation de
l'opportunité des poursuites, il faudrait multiplier par 5 le nombre de
magistrats de siège.
"
En outre, contrairement à ce qui peut être constaté en
matière pénale, où les Parquets ont un important
rôle de régulation de l'activité judiciaire, les affaires
civiles sont enrôlées à la seule initiative des multiples
personnes qui saisissent les juridictions de première instance, comme
d'appel, sans se préoccuper de leur capacité
" d'évacuation ". Il s'en suit que l'activité des
magistrats du Siège et des fonctionnaires des greffes est de plus en
plus absorbée par ces contentieux souvent au détriment de
l'activité pénale.
Les statistiques des juridictions mettent ainsi en évidence d'une part
une stagnation, voire une diminution du nombre des jugements rendus en
matière pénale et, d'autre part, une augmentation, sensible
d'année en année, des décisions prononcées en
matière civile.
Certes, une augmentation de l'effectif des magistrats du Siège ne
permettrait pas forcément de rétablir l'équilibre entre
les affaires civiles et les affaires pénale, mais elle permettrait de
tenir plus d'audience. Elle inciterait également les Parquets à
exercer plus de poursuites lorsqu'ils sont amenés à classer des
procédures sur lesquelles ils redoutent de ne pouvoir statuer dans un
délai raisonnable ou qui entament le volume à réserver aux
affaires considérées plus importantes ou prioritaires.
Votre rapporteur a également appris que les capacités
d'audiencement des juridictions diminuent sous l'effet de deux facteurs :
-
la multiplication des affaires complexes ;
- la généralisation de la défense des prévenus
par le recours systématique à la commission d'office, qui
conduit à un allongement des débats.
Parfois même, il arrive que pour "éponger" le stock d'affaires
civiles en instance, le Président du Tribunal de grande instance
après avis de l'assemblée générale diminue pendant
un temps la capacité de jugement du Tribunal correctionnel.
Face à cette situation, les besoins en personnel sont criants. Ils se
mesurent en manque de moyens, mais aussi, ce qui est inadmissible, en vacance
de postes.
Ainsi, le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence n'a qu'une chambre
correctionnelle. Il a rendu 4.250 jugements en 1997, le Parquet ayant
enregistré la même année 81.400 procédures.
De même, le Tribunal de grande instance de Grasse, qui se trouve dans une
situation comparable, n'a prononcé que 3.673 jugements correctionnels en
1997 alors qu'il lui faudrait en rendre environ 5.500 pour éviter un
accroissement des stocks. Pour atteindre cet objectif, il lui faudrait une
chambre correctionnelle supplémentaire.
Selon l'étude de l'Union syndicale de la magistrature
précitée, 309 postes seraient vacants en ce qui concerne les
magistrats du Siège. Le taux des postes vacants varie d'une juridiction
à l'autre. Ainsi, il atteint 15,3% pour la Cour d'appel de Rouen et
13,5% pour les Tribunaux de Grande Instance de Douai et de Limoges.
L'augmentation souhaitable du nombre des audiences correctionnelles, et donc
du nombre de décisions susceptibles d'être rendues en
matière pénale implique que les greffes disposent de moyens
supplémentaires pour audiencer les affaires et éditer les
jugements ainsi que les pièces d'exécution. Cela supposerait la
création et le redéploiement d'emplois de greffiers et d'agents
de catégorie C.
Votre rapporteur tient, à cet égard,
à faire remarquer que la comparaison des chiffres de cette étude
et de ceux de la Chancellerie confirme l'insuffisance des outils statistiques
du ministère de la Justice.
Il faut également souligner que
l'accroissement du nombre des
affaires jugées par les tribunaux correctionnels entraînerait
nécessairement une augmentation du nombre des appels
. Or, la
situation de certaines Cours d'appel est très difficile : ainsi,
à titre d'exemple, dans la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, le nombre des
affaires pendantes devant les chambres civiles, sociales et commerciales est
considérable :
plus de 57.000 procédures en stock au
31 décembre 1997
, alors que la
capacité annuelle
d'évacuation de ces contentieux
par les chambres concernées
est au mieux de l'ordre de
22.000 affaires
. Il conviendrait dès
lors de prévoir la formation d'une quatrième chambre des appels
correctionnels, avec la création de postes de magistrats et de
fonctionnaires indispensables à son fonctionnement.
2. ... qui pourrait être compensé par une amélioration de la procédure de traitement des affaires
Votre rapporteur, ainsi que ses prédécesseurs soulignent depuis
des années l'insuffisance des moyens accordés à la justice
et la nécessité d'adapter ses crédits à ses besoins
pour lui permettre d'assurer correctement ses missions. A cet égard, il
s'inquiète du découragement observé chez certains
magistrats. En outre, il ne peut que s'opposer à l'attitude,
observée au ministère de la Justice, qui vise à regretter
le classement pour opportunité quantitative tout en le jugeant
inévitable dans la mesure où les tribunaux correctionnels sont
déjà surchargés. Ces derniers seraient donc incapables de
juger le flux d'affaires nouveau qui découlerait de la poursuite
systématique de toutes les infractions.
Ces classements sont donc
doublement critiquables
. D'une part, ils ne
sont pas justifiés par l'opportunité, mais par la
nécessité de tenir compte de la gestion des flux et de la
capacité de jugement des juridictions. On assiste alors à un
véritable détournement du rôle du Ministère
public
. D'autre part, la détermination du seuil de
déclenchement des poursuites en fonction de l'encombrement du tribunal
conduit à
d'importantes disparités dans le traitement
pénal contraires au principe d'égalité devant la loi
.
Selon les lieux où ils commettent leurs méfaits, les
délinquants bénéficieront d'une impunité plus ou
moins grande. Une menace réelle semble peser sur la
réalité de l'Etat de droit dont on essaie de tempérer la
gravité par la transformation des notions. Ainsi, certains comportements
sont appelés des " incivilités " ou des
" indélicatesses ", officiellement parce qu'ils sont
infrapénaux. Pourtant, lorsque les " incivilités " ou
les " indélicatesses " sont en réalité des vols,
il y a abus de langage. De même, les quartiers dans lesquels les pompiers
ne se rendent plus et la police ne fait plus que des apparitions
limitées sont qualifiés de quartiers de moindre droit, alors que
la situation est beaucoup plus grave : l'Etat n'est plus capable d'y faire
régner la loi !
Face à la réalité, la justice a le devoir de s'adapter
afin de mieux répondre aux attentes des citoyens.
En outre, la nécessité supposée du classement sans suite
est contredite par la pratique de quelques Parquets qui démontrent
qu'à droit et à moyens constants, par une politique volontariste,
il est possible de réduire le taux de classement sans suite de
manière notable, même si ces pratiques ont leurs limites. Deux
procédures sont utilisées conjointement :
le traitement
en temps réel et les modes alternatifs de résolution des
conflits.
Alors que les pratiques de certains Parquets ont peu évolué, la
délinquance a connu des mutations profondes. D'une part, les
statistiques révèlent un accroissement très fort de cette
dernière et, d'autre part, sa structure a considérablement
changé avec le développement de la toxicomanie, de la
délinquance urbaine et de la corruption. Le décalage entre cette
réalité et son appréhension judiciaire s'est donc
accru : les citoyens attendent une réponse rapide et claire de la
justice que celle-ci n'est pas capable d'apporter à cause de
délais excessifs dans le traitement des dossiers et de l'engorgement des
tribunaux correctionnels.
La mise en place du traitement en temps réel a pour objet de permettre
une réponse pénale rapide, diversifiée et mieux
adaptée à effectifs et moyens constants.
Le traitement en temps réel permet tout d'abord
d'accélérer le processus de traitement des affaires
. En
effet, toute affaire élucidée, crime, délit ou
contravention de 5
ème
classe, doit faire l'objet d'un compte
rendu téléphonique immédiat au Parquet par le service
enquêteur. Dès le constat dressé par la police judiciaire
ou la gendarmerie, le magistrat prend une décision : poursuites, mesure
alternative aux poursuites, présentation de la personne, convocation de
la personne par officier de police judiciaire...
Le traitement en temps réel permet par ailleurs d'apporter une
réponse judiciaire mieux adaptée
. Le chef du Parquet doit
guider son action selon le principe de réalité. Si le choix de la
voie procédurale doit tenir compte de la gravité des faits et de
la personnalité de l'auteur, elle est aussi fonction de la
capacité quantitative de jugement de la juridiction. En outre, certaines
affaires n'ont pas besoin d'être renvoyées devant le tribunal
correctionnel ou le tribunal de police. Pour éviter que la
systématisation des signalements conduise à une multiplication
des classements sans suite, les modes alternatifs de résolution des
conflits doivent être privilégiés. Ainsi, au Tribunal de
grande instance de Bobigny, 15.000 affaires sont jugées chaque
année et 10.000 font l'objet de solutions alternatives, dont 7.200
concernant les majeurs.
La technique du traitement en temps réel présente donc de
nombreux avantages :
• elle renforce les liens de coopération entre le Parquet
et la police judiciaire, qui se place immédiatement sous son
contrôle ;
• elle motive les services de police et de gendarmerie qui
connaissent immédiatement les suites données à leurs
interventions
12(
*
)
;
• elle favorise un meilleur traitement de certaines
enquêtes contre les auteurs non identifiés grâce à un
suivi plus efficace des enquêtes par le Parquet ;
• elle améliore la qualité technique des
procédures par le jeu des questions-réponses entre les services
d'enquête et les magistrats du Parquet ;
• elle apporte aux citoyens une visibilité accrue de
l'action de la justice à travers une réponse pénale plus
rapide et mieux adaptée ;
•
elle autorise un signalement systématique de
toutes les affaires résolues ;
• elle incite à l'élaboration d'une politique
pénale lisible à travers la définition des contentieux
prioritaires et la détermination infraction par infraction de la
conduite à tenir ;
• elle fait gagner beaucoup de temps aux audiences en
réduisant massivement le nombre de défauts de
présentation ;
• elle améliore le fonctionnement de la justice en
obligeant tous les maillons de la chaîne pénale (services de
police et de gendarmerie, Parquet, magistrats du Siège, juge
d'application des peines) à travailler en concertation.
Le bureau des enquêtes du Tribunal de grande instance de Bobigny 13( * )
Composé de trois magistrats et d'un secrétariat, ce bureau a
vocation, sur saisine de la cellule permanente, à adapter les techniques
du traitement en temps réel aux :
•
affaires de droit pénal général
nécessitant un suivi dans la durée ;
•
contentieux techniques : droit du travail,
urbanisme, droit de l'environnement, etc. 110 à 120 dossiers de ce
type sont gérés chaque mois.
La gestion matérielle des dossiers
Cette gestion est informatisée grâce à un logiciel avec
fonction agenda.
Pour chaque affaire dont est saisi le bureau des enquêtes, le
secrétariat :
- procède à l'enregistrement,
- ouvre une cote où sont classés les éléments
fournis au magistrat qui a reçu l'information et les instructions qu'il
a données, et ultérieurement les éléments
recueillis au fur et à mesure de la poursuite de l'enquête,
- fait parvenir au chef du service chargé de l'enquête une
fiche sur laquelle figurent le numéro de l'affaire, la confirmation de
la saisine du bureau des enquêtes ou l'indication du magistrat
spécialement désigné pour suivre le dossier avec le
numéro d'appel téléphonique de son secrétariat,
- assure le suivi des diligences demandées par le chef du bureau
des enquêtes,
- procède systématiquement à la recherche des
précédents concernant les personnes paraissant impliquées,
- doit être en mesure à chaque appel téléphonique
concernant une affaire d'orienter le deandeur sur le magistrat compétent
et de fournir à celui-ci la cote correspondante.
Le déroulement de l'enquête
Le magistrat chargé de suivre l'affaire, en principe le responsable du
bureau des enquêtes se comporte en directeur d'enquête. Il peut
notamment :
- ordonner le recours aux articles 62 et 78 du code de procédure
pénale,
- faire procéder ou autoriser l'officier de police judiciaire
à faire procéder à tous examens techniques ou
scientifiques utiles à la manifestation de la vérité,
- faire vérifier la situation matérielle et sociale du mis
en cause. Le cas échéant le faire examiner par un médecin
expert,
- procéder ou faire procéder à tous actes
nécessaires à la recherche et à la manifestation de la
vérité,
- procéder lui-même à l'audition du mis en cause ou
de personnes susceptibles de fournir des renseignements,
- requérir la force publique.
Il peut demander à l'officier de police judiciaire ou à l'agent
de police judiciaire de lui transmettre par télécopie telle ou
telle pièce du dossier ou de se transporter à son cabinet avec
les procès-verbaux établis pour être mieux informé,
convenir d'une stratégie ou, en fin d'enquête, arrêter la
décision la plus appropriée et en fixer les modalités
d'application.
L'atteinte de l'objectif visé suppose que le bureau des enquêtes
ou le magistrat spécialement désigné pour suivre l'affaire
soit informé le cas échéant du changement d'officier de
police judiciaire ou agent de police judiciaire. Il peut arriver, en effet, que
l'enquêteur initialement saisi se trouve soit empêché, soit
affecté à d'autres tâches pour des raisons relevant de la
seule autorité du chef de service.
La procédure ne doit pas être clôturée sans un
contact préalable avec le magistrat du bureau des enquêtes.
Or, malgré les avantages indéniables de la procédure du
traitement en temps réel, trop peu de juridictions l'ont mis en place.
L'argument souvent invoqué pour justifier l'absence de recours au
traitement en temps réel est le manque de moyens. Or, la mise en place
de cette procédure dans les Parquets qui la pratiquent s'est faite
à effectif constant de magistrats et de fonctionnaires
. Certes, la
systématisation des signalements entraîne pour les Parquets un
alourdissement très sensible de la permanence
téléphonique. Mais la surcharge de travail qui en résulte
ne doit être que provisoire si l'organisation du Parquet est revue en
tenant compte de cette réalité. En effet, le traitement en temps
réel déplace le moment de l'intervention du magistrat du Parquet,
il ne la complique pas. Il peut même aboutir à une simplification
du travail de ce magistrat. C'est ainsi que l'échange
téléphonique entre substitut et enquêteur permet d'aboutir
à l'expédition d'une procédure complète sur
laquelle une décision d'action publique aura été prise
avant son envoi au Parquet.
En outre, le recours à la troisième voie n'entraîne pas
de frais supplémentaires, les délégués au procureur
étant rémunérés sur frais de justice.
Comment donc expliquer le peu de succès du traitement en temps
réel et des alternatives aux poursuites alors ces deux procédures
permettent de diminuer de manière notable le taux de classement sans
suite ?
En réalité, les réticences constatées par votre
rapporteur chez certains Parquets à introduire le traitement en temps
réel mettent en lumière les dysfonctionnements du système
pénal.
B. LES DYSFONCTIONNEMENTS RÉVÉLÉS PAR LE CLASSEMENT DES AFFAIRES SANS SUITE
Le système pénal français est fortement marqué par le corporatisme, le conservatisme et le cloisonnement de ses acteurs. Comme la réussite du traitement en temps réel repose sur une large coopération entre tous les maillons de la chaîne de traitement de la délinquance et une redéfinition des tâches de chacun, on mesure aussitôt les obstacles auxquels se heurte l'introduction de cette procédure...
1. La peur du changement
Les
obstacles à l'introduction du traitement en temps réel sont
essentiellement culturels. En effet, cette procédure exige une
modification des méthodes de travail et une redéfinition des
tâches de chacun. Certains magistrats ont donc du mal à l'accepter
car sont remis en cause non seulement des habitudes, mais également des
rapports de force.
La note écrite envoyée par un Procureur de la République
à votre rapporteur relative aux voies alternatives aux poursuites et aux
classements purs et simples est révélatrice :
" ces
nouveaux modes d'exercice de l'action pénale, encore méconnus et
jusqu'à présent peu valorisés, intriguent certains
puristes de la règle de droit. Il s'agit là d'une critique de
fond de la part de ceux qui considèrent qu'un magistrat du parquet ne
peut sans outre-passer ses prérogatives, sortir des frontières
délimitées par les deux seules options : classer ou
poursuivre. Partant de là, ils lui contestent la possibilité de
prendre une mesure de classement différé, c'est-à-dire
d'évaluer en perspective, et non plus en temps donné, les
conséquences sociales d'une infraction qui pourront
ultérieurement déterminer sa position quant à une
éventuelle poursuite. Pour moi, ces critiques procèdent d'une
conception excessivement étroite du champ d'action d'un Parquet,
fondée sur la principe d'indisponibilité absolue de l'action
pénale. Cette conception a prévalu jusqu'à une
période relativement récente. Il n'est que se rappeler les
réactions hostiles du corps judiciaire lors de la mise en application de
la loi de 1970 offrant au ministère public le droit de prononcer une
injonction thérapeutique en matière d'usage de drogue. Presque
tous les magistrats récusaient alors cette approche trop universelle,
trop ouverte, de l'opportunité des poursuites. Depuis, un formidable
courant s'est développé qui a permis d'institutionnaliser ces
derniers temps les démarches de prévention et de politiques
pénales concertées et qui a incité les magistrats du
ministère public à revoir les contours de leur mission. Il n'est
pas question, bien entendu, de céder à quiconque la moindre
parcelle de nos attributions légales, ni de transiger avec l'exercice de
l'action publique qui ne se partage pas. Mais nous ne voulons pas pour autant
nous priver de la possibilité d'agir un connaissance de cause dans la
plénitude du pouvoir d'opportunité que nous confère la
loi. C'est par le biais de ces classements inscrits dans les limites de ce que
l'on appelle maintenant " la troisième voie " que nous
retrouvons parfois le sens et l'intelligence de notre métier. "
Ainsi, derrière le scepticisme de certains magistrats du siège
vis-à-vis du traitement en temps réel et du recours à la
troisième voie se cache une
opposition sourde à la perte de
leur monopole en ce qui concerne le traitement de la délinquance
.
Certes, ils reconnaissent ne plus être en mesure d'augmenter les
capacités de jugement de leurs tribunaux, mais ils admettent beaucoup
plus difficilement le fait que les juridictions répressives ne sont pas
destinées à traiter l'ensemble de la délinquance et que
certains contentieux peuvent être réglés autrement que par
le juge...
Certains magistrats du Parquet sont également très
réticents au développement du traitement en temps réel qui
bouleverse leur mode de fonctionnement et leur mission. Le Parquet était
jusqu'à présent cantonné dans un rôle passif
d'enregistrement des procès-verbaux et adaptait le traitement de ces
derniers en fonction de la capacité de travail des juridictions de
jugement. Avec l'introduction du traitement en temps réel, le Parquet
doit réduire ses délais d'action pour traiter rapidement les
affaires qui lui sont présentées et décider soit du
déferrement de l'auteur de l'infraction auprès du tribunal
compétent, soit de recourir à la troisième voie.
En outre, la mise en place du traitement en temps réel exige une
implication du Parquet en amont de sa saisine. Il lui faut ainsi concevoir une
politique pénale claire et homogène, qui définit les
contentieux prioritaires en fonction de la délinquance locale et
détermine infraction par infraction la conduite à tenir afin
d'éviter des pratiques trop différentes entre substituts.
Or,
certains Parquets n'ont pas de politique pénale affichée et bien
lisible pour leurs partenaires
. En outre cette affirmation d'une politique
pénale unique se heurte à la très grande marge de
manoeuvre acquise par les substituts au fil des années...
A cet
égard, votre rapporteur souligne la nécessité d'un rappel
solennel du pouvoir hiérarchique d'une part du procureur de la
République sur les substituts et, d'autre part, du procureur
général sur les procureurs de la République pour
uniformiser la politique pénale et clarifier ses enjeux aux yeux des
autres intervenants.
2. Le manque de coopération entre les services
L'efficacité du traitement en temps réel repose sur une forte
coopération entre tous les services :
•
Entre les services d'enquête et le Parquet
Un véritable travail d'équipe doit se développer entre
les substituts et les services enquêteurs.
La fiabilité de
l'entretien téléphonique implique, de la part de
l'enquêteur, un compte-rendu précis des faits et des charges et un
effort d'anticipation sur les éléments à transmettre au
magistrat selon l'infraction concernée. Quant au magistrat, il doit
diriger l'enquête de manière effective, donner des instructions
claires, motivées et vérifier les procédures dont le mis
en cause a pu faire déjà l'objet.
A cet égard, votre rapporteur ne peut qu'encourager la mise en place
d'un bureau des enquêtes qui assure le suivi et la relance des
investigations.
La réussite de cette coopération dépend de deux
facteurs : la concertation entre les chefs de service (directeurs
départementaux de la sécurité publique, directeurs de la
sûreté départementale, commandants de groupements,
commissaires de police, commandants de compagnie et le Parquet) et une campagne
de sensibilisation sur le terrain.
•
Entre le Parquet et le Siège
Le traitement en temps réel va de pair avec le renforcement des
relations de travail entre le Siège et le Parquet. En effet, il ne sert
à rien d'instaurer le temps réel pour les poursuites si les
affaires ne sont pas jugées dans un délai assez proche. Le
Parquet doit donc négocier avec le Président du tribunal
l'aménagement de l'audiencement afin de disposer de plages d'audience
suffisamment proches de la date de commission des faits. Cela suppose
d'évaluer la capacité quantitative de jugement de la juridiction,
d'apurer les stocks, de veiller à ne pas surcharger les audiences (le
recours à la troisième voie est un moyen pour y parvenir), de
gérer le planning des audiences de façon à insérer
les dossiers complexes dans les mêmes délais que les autres
dossiers (il faut éviter que les contentieux de masse absorbent toutes
les capacités de la juridiction), enfin, d'associer les avocats par la
délivrance des copies de procès-verbaux le plus rapidement
possible.
Exemple de tableau d'activité d'un tribunal correctionnel
(Evreux)
14(
*
)
Ce tableau précise, sur une période de quatre mois, (du 1er
septembre au 31 décembre 1995) :
• le nombre de jugements rendus, ainsi que la part respective des
procédures rapides et des procédures traditionnelles,
• le nombre de médiations.
Nombre de jugements rendus |
663 |
||
Nombre d'audiences |
48 |
||
Procédures rapides |
|
Procédures traditionnelles |
|
|
34 |
|
169 |
|
2 |
|
55 |
|
338 |
|
)
|
TOTAL
|
374
|
TOTAL
|
289
|
Médiations |
58 |
•
Entre le Parquet et les responsables de
l'exécution des peines
En effet, la phase d'exécution fait souvent l'objet de retards peu
justifiés. En outre, certains dossiers ne sont pas traités alors
même qu'il s'agit de dossiers jugés, pour lesquels ne joue plus le
principe d'opportunité. Là encore, une plus grande concertation
entre le Parquet d'une part, les juges d'application des peines et les
trésoriers payeurs généraux d'autre part doit permettre de
trouver des solutions et d'éviter tout retard dans le
déroulement du processus pénal.
•
Entre le Parquet et les autres partenaires officiels
responsables de la lutte contre la délinquance
Les grandes lignes de l'action publique sont définies par le Garde des
Sceaux et ont vocation à être reprises au niveau local par les
Parquets. Pour autant, ces derniers n'ont pas le monopole de la politique
pénale. Le ministère de l'Intérieur, le ministère
de la Défense, le ministère des Affaires sociales, le
ministère de l'Environnement, le ministère de l'Economie et des
Finances etc. développent également une politique pénale
pour les secteurs dont ils ont la charge. Une étroite coopération
est donc nécessaire avec le Parquet pour éviter
l'élaboration de politiques divergentes.
Cette coopération est particulièrement nécessaire
entre la Chancellerie d'une part et les ministères de l'Intérieur
et de la Défense
d'autre part. En effet, le code de la
procédure pénale prévoit que la police judiciaire est
exercée sous la direction du procureur de la République. Mais
elle est également soumise à la tutelle hiérarchique des
ministères de
l'Intérieur et de la Défense
. Cette
double tutelle peut remettre en cause le bon fonctionnement des missions et des
enquêtes de police par l'intervention du ministère de
l'Intérieur
, via l'autorité hiérarchique qu'il
exerce sur l'ensemble des membres de la police
15(
*
)
.
Maintien de l'ordre et police judiciaire
Confrontation sur le terrain
A
plusieurs reprises, à l'occasion d'actions de maintien et de
rétablissement de l'ordre des préfets et des procureurs, ont
été confrontées à la difficulté
suivante : lorsqu'une manifestation dégénère, lorsque
des voitures brûlent, lorsque des installations ferroviaires sont
saccagées, faut-il privilégier le maintien de l'ordre ou la
constatation des infractions et l'arrestation de leurs auteurs ?
Cette question se pose car ces deux actions, en obéissant à des
logiques différentes et en étant exercées par deux
autorités distinctes, peuvent être antagonistes.
Lorsqu'il y a violence sur les personnes et dégradations de biens, le
procureur de la République a le devoir de mettre en mouvement l'action
publique, donc de "poursuivre" afin de ne pas laisser sans suite judiciaire ce
type de délinquance. Toutefois, privilégier la constatation des
infractions, l'arrestation des auteurs et la poursuite de ces derniers devant
les juridictions pénales sans tenir compte de l'ambiance régnant
sur les lieux du drame peut nuire au maintien de l'ordre public.
En effet, les esprits sont "échauffés", surtout lorsque le
délit est imputable à un membre d'une bande et qu'en
conséquence, l'esprit de solidarité joue en faveur du
délinquant. L'arrestation de ce dernier alors que la tension avec les
forces de l'ordre reste forte peut provoquer des réactions violentes de
la part de certains jeunes.
Le préfet, lui, est responsable du maintien et du rétablissement
de l'ordre public. Toutefois, privilégier le retour au calme, notamment
en renonçant temporairement à l'arrestation des
délinquants, peut provoquer un sentiment d'injustice chez la victime et
ses proches et risque d'être considéré comme du laxisme par
l'opinion publique.
Il existe donc bien un risque potentiel d'affrontement entre la logique de
l'action publique et celle du rétablissement de l'ordre, risque encore
accru par le fait que chacune de ces logiques est exercée par une
autorité distincte, respectivement le procureur de la République
et le préfet.
Or, l'absence d'un arbitrage extérieur ou d'une coopération
suffisante entre les deux représentants de l'Etat, tous deux
détenteurs d'une partie du pouvoir régalien, à savoir la
police judiciaire d'une part et la police administrative d'autre part, conduit
à des tensions qui sont ressenties par l'opinion publique à
travers une couverture médiatique souvent excessive comme autant de
dysfonctionnements de l'Etat, jugé incapable de faire face à ce
genre de situation.
Pourtant, des solutions existent, mais elles exigent auparavant de mettre fin
à l'ambiguïté des relations entre les préfets et les
procureurs de la République afin d'assurer le bon fonctionnement des
institutions et le respect de l'Etat de droit.
A cet égard, votre rapporteur a proposé à plusieurs
reprises de créer une mission d'information ou une commission
d'enquête sur ce sujet.
En outre, il est impératif de rappeler que la logique d'un
ministère ne doit jamais prévaloir sur la logique de l'Etat.
Ainsi, le maintien de l'ordre public doit être une
priorité
. En effet, l'arrestation et la poursuite de
délinquants ne peuvent s'effectuer correctement dans une situation
troublée, susceptible d'engendrer des réactions intempestives et
donc contraires à l'idéal de justice.
Le Gouvernement, conscient des difficultés de coordination
interministérielle dans le domaine de la sécurité
intérieure, vient de créer un conseil national de la
sécurité intérieure. Toutefois, il est urgent d'instaurer
une structure départementale de crise performante et
opérationnelle pour traiter de manière efficace les
problèmes actuels de la délinquance urbaine qui menace
dangereusement la cohésion du pays.
Votre rapporteur souhaite également insister sur la
nécessité de mettre fin à l'édulcoration des termes
servant à désigner les infractions. En effet, l'absence de
qualification précise des infractions a deux effets pervers : d'une
part, il n'existe plus de démarcation nette entre ce qui est
autorisé et ce qui est interdit par la loi et, d'autre part, les peines
infligées aux délinquants ne peuvent plus remplir leur double
rôle de sanction et de prise de conscience par ces derniers de leur
action.
Ce risque d'interférence est d'autant plus grand que les logiques des
deux ministères sont différentes. La Chancellerie, à
travers le procureur, va s'attacher à faire avancer l'affaire et
à trouver le plus rapidement possible les auteurs de l'infraction. Le
ministère de l'Intérieur, via le directeur départemental
de la sécurité publique, va se soucier du maintien ou, le cas
échéant, du rétablissement de l'ordre. Or, ces deux
logiques peuvent être antagonistes : dans certaines affaires,
notamment celles qui impliquent plusieurs habitants d'une cité à
problèmes, alors que le souci d'arrêter les auteurs des
méfaits incite à une action rapide de la police, la
volonté d'éviter une poussée de la violence incite
à attendre le retour au calme pour intervenir et arrêter les
suspects. Les actions doivent donc être coordonnées pour
éviter les erreurs.
Par ailleurs, les maires, ainsi que leurs adjoints, en tant qu'officiers de
police judiciaire en application de l'article 16-1
er
du code de
procédure pénale, sont directement concernés par le
développement de la délinquance puisque c'est en grande partie
sur leur capacité à l'enrayer que les citoyens les jugent. Ils
ont donc intérêt à travailler en concertation avec le
Parquet ainsi qu'avec les services de police et de gendarmerie. Pourtant, leur
attitude vis-à-vis des magistrats (et parfois vice-versa) est
plutôt ambiguë, mélange d'attentes très fortes et de
méfiance. Il paraît donc indispensable de développer les
contacts entre élus, magistrats, forces de police et de gendarmerie pour
éviter les malentendus réciproques et renforcer leur
coopération.
Les initiatives locales
Une
meilleure coopération avec les maires est possible. Des initiatives
locales qui mériteraient d'être mieux connues le prouvent.
Ainsi, dans le Val d'Oise, à l'initiative du procureur de la
République de Pontoise, un secrétariat permanent chargé
des relations avec les élus locaux avait été mis en place.
Cinq zones de délinquance avaient été
délimitées et le procureur réunissait une fois par
trimestre les maires des communes les plus importantes pour examiner avec eux
la situation de la délinquance dans la zone considérée.
Cette initiative intéressante n'a pas été poursuivie
faute de moyens, alors qu'elle aurait dû susciter l'intérêt
de la Chancellerie.
Dans le Haut-Rhin, à la suite notamment des critiques formulées
par certains maires au cours de la campagne électorale
sénatoriale de 1995, le commandant du groupement de gendarmerie a
proposé au préfet un dispositif de concertation permanent. Ont
ainsi été expérimentées des structures de
prévention de la délinquance en zone gendarmerie à un
double niveau :
- la création de groupes de prévention dans chaque
circonscription de brigade de gendarmerie réunissant le conseiller
général, les maires, le commandant de compagnie et de la brigade
de gendarmerie territorialement compétent ;
- l'instauration de conseils de prévention compétents pour une
zone adaptée à l'organisation territoriale de la gendarmerie qui
réunissent autour du sous-préfet, le procureur, les
parlementaires, les conseillers généraux, etc...
16(
*
)
Enfin, les Parquets ont intérêt à associer les associations
d'aide aux victimes à leur travail pour améliorer la prise en
charge de la victime et utiliser de manière accrue les solutions
alternatives au procès.
L'efficacité du traitement en temps réel repose donc sur une
étroite concertation entre tous les acteurs de la chaîne
pénale.
Or, votre rapporteur a pu constater que la concertation entre les
différents services de l'Etat faisait parfois défaut. En outre,
des conflits de personnes peuvent ruiner toute tentative d'une meilleure
synergie entre les services.
Ainsi, votre rapporteur a pu relever que les rapports entre le Parquet d'une
part et les policiers et les gendarmes d'autre part ressemblaient parfois plus
à des
relations de féodalité
qu'à des
relations fondées sur la coopération et la transparence. Certains
policiers et certains gendarmes se sont plaints de
l'absence de
lisibilité de la politique pénale
des Parquets et de
l'absence de concertation pour développer une stratégie de lutte
contre la délinquance
. Ils ont par ailleurs regretté
l'absence de retour d'informations sur le devenir des procédures
transmises aux Parquets
. Ils ont également souligné certains
dysfonctionnements dans la gestion et le suivi des affaires. Certains Parquets
renvoient ainsi les particuliers au commissariat pour retrouver le
numéro du procès-verbal de leurs affaires !
Certes, ces dysfonctionnements ne doivent pas être
généralisés, mais ils montrent les obstacles
psychologiques auxquels se heurtent les tentatives d'une plus grande
coopération entre les Parquets et la police ainsi que la gendarmerie. En
effet, celle-ci ne peut être efficace que si le Parquet accepte de revoir
ses relations avec ces derniers dans le sens d'une plus grande transparence et
réciproquement. Cela implique que le Parquet informe la police et la
gendarmerie des grandes lignes de sa politique pénale et, notamment, du
devenir des procédures qui leur ont été transmises.
A cet égard, votre rapporteur ne peut qu'encourager cette tendance dans
la mesure où le Parquet est un service de l'Etat dont le pouvoir
d'opportunité ne doit pas le conduire à être au-dessus de
tout contrôle.
De mauvaises relations entre le Parquet et le Siège peuvent
également paralyser la procédure du traitement en temps
réel
. En effet, si le Président du tribunal refuse de fixer
un nombre d'audiences suffisant, les délais de jugement s'accumuleront
et feront perdre tout son intérêt au traitement en temps
réel pour les affaires qui doivent être jugées. Or, cette
" capacité de nuisance " est utilisée par certains
présidents qui estiment avoir un droit de regard sur la politique
pénale et sont opposés à celle pratiquée par le
Parquet.
Votre rapporteur ne peut que déplorer ces situations. Il
s'étonne en outre que, lorsque la paralysie de la procédure
pénale est liée à la personnalité d'un magistrat,
la Chancellerie soit très réticente à invoquer
l'intérêt du service pour mettre un terme à cette
situation, notamment par la mutation du magistrat responsable du
dysfonctionnement.
Notes d'ambiance
Les
relations sont souvent complexes, parfois difficiles mais aussi ambiguës
entre les services de police judiciaire et les Parquets."
Il est difficile de mesurer la réalité que recouvrent certaines
critiques voilées des uns envers les autres. Cependant, il nous est
apparu nécessaire de les relever afin de les porter à la
connaissance des autorités compétentes pour qu'elles puissent
mesurer le contenu et l'ampleur des observations entendues trop souvent au
cours des visites, rencontres et entretiens.
Ces remarques reflètent une certaine incompréhension entre les
différents services de l'Etat chargés de la lutte contre la
délinquance et nuisent à la solidité, donc à
l'efficacité de l'ensemble de la chaîne pénale.
Voici
quelques exemples de propos recueillis au cours d'entretiens :
"On pourrait récupérer les jeunes si on leur faisait payer la
facture tout de suite."
"Nous sommes en première ligne, nous devons tenter d'expliquer la
réponse judiciaire ou la non réponse, recevoir en direct
l'incompréhension des victimes, voire leur révolte."
"La banalisation de la délinquance crée un sentiment
d'insécurité."
"Il y a une disproportion entre les pénalités théoriques
attachées à certaines infractions, par exemple le vol, les
agressions, etc. et ce qui se passe réellement au moment de la
condamnation. Les gens ne comprennent pas."
"Trop de victimes ont le sentiment que le classement réel ou
supposé d'une infraction dont elles ont été victimes est
scandaleux, inadmissible alors que lorsqu'elles sont prises pour défaut
de ceinture ou stationnement interdit, souvent par le même gendarme qui
leur a notifié le classement, elles sont immédiatement et sans
discussion sanctionnées."
"Les gens ont le sentiment que les procédures en matière de
police de la route visant les honnêtes gens sont, elles, suivies d'effets
alors que les petits voyous courent toujours."
"Pour les parents des jeunes délinquants, l'argent, c'est la valeur de
base de notre société, c'est là qu'il faut frapper."
"On nous qualifie d'auxiliaires de justice, nous sommes parfois traités
comme des bonnes à tout faire, voire même des supplétifs."
"Il arrive parfois que les relations avec certains procureurs ou substituts
soient de nature féodale."
"La victime veut toujours savoir à quoi sert la paperasserie et ce qui
va se passer."
"Les Parquets ne dialoguent pas assez avec nous ou pas du tout pour la mise en
place du temps réel, pour l'évaluation, pour l'évolution
et l'amélioration du système actuel."
"Le temps réel est une charge supplémentaire, un
véritable transfert de charges du budget de la Justice au budget de
l'Intérieur ou à celui de la Défense."
"Le temps consacré par les gendarmes à la procédure du
traitement en temps réel est important, sans compter les
responsabilités supplémentaires, par exemple la rédaction
d'une convocation par officier de police judiciaire peut prendre entre un quart
d'heure et une demi-heure."
"Nous n'avons jamais de la part des magistrats de retour sur le devenir de
notre travail."
"Nous ne savons pas ce que deviennent nos procédures, d'où le
sentiment que nous avons fait notre travail, mais que les délinquants
restent impunis".
"Les réunions d'officiers de police judiciaire organisées par
les procureurs sont trop souvent formelles, à base de recadrages et
remontrances, sans véritable souci de dialogue".
"Il est parfois difficile de joindre certains Parquets à certaines
heures : téléphone encombré, attente parfois longue,
pas de permanence le midi, mauvais accueil de certains substituts
dérangés la nuit alors qu'ils sont de permanence".
"On met la victime dans un système de médiation où elle
se retrouve parfois dans la situation d'accusé".
"Les maisons de justice sont ressenties par certaines victimes comme des
parodies de justice".
"Nous n'avons pas toujours connaissance de la politique pénale du
Parquet".
"Il est impensable, pour certains "parquetiers", d'expliquer, ne serait-ce que
par souci pédagogique, certains classements. Ce serait, pour eux,
remettre en cause l'indépendance dont ils sont bardés".
IV. LES AMÉLIORATIONS POSSIBLES
Ces constatations ont conduit votre rapporteur à réfléchir aux solutions qui permettraient d'enrayer les dysfonctionnements précités et de diminuer le taux de classement.
A. L'AUGMENTATION DES MOYENS
Certes,
la mission menée par votre rapporteur sur le classement des affaires
sans suite conduit à relativiser la responsabilité du manque de
moyens dans les dysfonctionnements de la justice puisque, à moyens
constants, certaines juridictions parviennent à lutter de manière
beaucoup plus efficace contre la délinquance que d'autres grâce
à une nouvelle organisation des méthodes de travail.
Pour autant, le manque de moyens financiers et humains constitue la cause
principale du dysfonctionnement de la justice et votre rapporteur ne peut qu'en
déplorer l'insuffisance.
L'enquête de l'Union syndicale de la magistrature précitée
est révélatrice : 431 postes seraient vacants dans les
juridictions, soit 7,4% de l'ensemble des postes.
Comme le soulignait, lors de son discours de rentrée en janvier 1998 le
procureur de la République près le Tribunal de grande
instance de Strasbourg,
M. Edmond Stenger
, "
le Parquet de
Strasbourg dispose depuis douze ans maintenant des mêmes effectifs :
13 magistrats. Pourtant, la délinquance a bien
évolué. A l'époque, en 1983, moins de
40.000 procédures étaient adressées et
enregistrées au bureau d'ordre du Parquet. Que de réformes depuis
cette date, que de contraintes nouvelles, que de sollicitations à
participer à ceci ou à cela !
17(
*
)
"
Le gouvernement actuel semble avoir pris conscience de ce déficit
puisqu'il a annoncé un plan d'urgence pour la justice. En vue de
réduire les délais de traitement des litiges et le stock des
affaires en instance devant les cours et les tribunaux judiciaires, le
gouvernement propose le recrutement exceptionnel de 100 magistrats en 1998 et
de 100 supplémentaires en 1999. En outre, devraient être
également recrutés 50 conseillers en service extraordinaire, 44
greffiers en chef, 240 greffiers et 450 agents de catégorie C.
Votre rapporteur se félicite de ces mesures tout en insistant sur la
nécessité pour la Chancellerie de développer une
véritable politique des ressources humaines afin d'anticiper les
départs au sein de chaque juridiction pour éviter les vacances de
postes.
B. L'AMÉLIORATION DES STATISTIQUES
La
mission de contrôle menée par votre rapporteur a
révélé les
défaillances de l'outil statistique
à la disposition de la Chancellerie
, aussi bien en ce qui concerne
la
gestion du personnel
qu'en ce qui concerne la
délinquance
et les motifs de classement sans suite
.
Les statistiques relatives à la délinquance sont ainsi
incapables de fournir un véritable tableau de bord sur
l'évolution de cette dernière, si bien que les Parquets sont
contraints de travailler sur les résultats obtenus par les policiers et
les gendarmes. A cet égard, certains Parquets ont fait remarquer
à votre rapporteur que les statistiques policières connaissent
chaque année des modifications dans leurs définitions sans
concertation avec la Chancellerie, ce qui rend difficile le suivi de
l'évolution de la délinquance d'une année sur l'autre dans
certains domaines.
Par ailleurs, il serait indispensable d'améliorer la grille des motifs
de classement sans suite en la complétant et en l'harmonisant. La
recherche précitée sur l'abandon des poursuites constate que
"
le motif du classement est invoqué de façon parfois
étrange par rapport au circuit de traitement ou au contenu du dossier.
L'obligation (pour des besoins informatiques) de cocher un motif de classement
sur un imprimé rend cette opération quelquefois artificielle,
voire dénuée de tout fondement
. " A cet égard,
votre rapporteur tient à signaler que certains procureurs de la
République demandent à leurs substituts de ne pas utiliser
certains codes de la Chancellerie qui leur semblent trop vagues ou
ambigüs, comme " laissé à suivre " ou
" divers ".
L'étude poursuit : "
l'impression globale tirée de
l'étude du fonctionnement du Parquet se confirme : les pratiques en
matière de classement ne correspondent pas à un traitement
standardisé mais à des habitudes propres à chaque section,
voire à chaque substitut ou greffier
. "
Selon le procureur de la République du Tribunal de grande instance de
Colmar,
M. René Pech
, la nouvelle grille des motifs de
classements sans suite mise en place par la Chancellerie en décembre
1997 constitue une avancée très importante. Elle ne permet
cependant pas de rajouter des sous catégories pour avoir une vision plus
fine des classements. Ainsi, cette nomenclature nationale ne permet pas de
distinguer suffisamment toutes les procédures qui relèvent du
domaine des alternatives aux classements. C'est pourquoi ce procureur a
ajouté aux 20 codes existants, définis par la Chancellerie,
12 codes additionnels.
Liste des codes de classemen t
Codes existants |
Codes additionnels |
||
1. |
Auteur inconnu |
51. |
Obligation de faire par OPJ |
2. |
Pas d'infraction |
52. |
Obligation de faire par délégué du PR ou PR |
3. |
Non caractérisé |
53. |
Classement malgré échec de l'obligation |
4. |
Poursuite innoportune |
54. |
Avertissement par lettre |
5. |
Laissé à suivre |
55. |
Admonestation verbale par OPJ |
6. |
Carence du plaignant |
56. |
Admonestation verbale par délégué PR |
7. |
Amnistie |
57. |
Sanction non judiciaire |
8. |
Retrait de plainte |
58. |
Eloignement administratif |
9. |
Action publique éteinte |
59. |
Régularisation : arrangement spontané |
10. |
Plaignant désintéressé |
60. |
Autre classement nécessaire |
11. |
Transaction administrative |
62. |
Obligation de faire par substitut |
12. |
Affaire purement civile |
63. |
Admonestation verbale |
13. |
Immunité |
|
|
14. |
Classement sous condition |
|
|
15. |
Médiation pénale |
|
|
16. |
Injonction thérapeutique |
|
|
17. |
Diffamation et injure |
|
|
18. |
Recherches infructueuses |
|
|
19. |
Etat mental de l'auteur |
|
|
20. |
Divers |
|
|
En
outre, les motifs définis nationalement par la Chancellerie appellent
certains commentaires :
- le motif n °5 " laissé à suivre "
paraît particulièrement ambigu et guère différent du
motif n °4 " poursuites inopportunes ";
- le motif n °20 " divers " paraît très
critiquable en tant qu'il risque de donner matière à toutes les
imprécisions possibles ;
- le motif n °3 " non caractérisé "
s'avère également très vague.
Votre rapporteur doit toutefois reconnaître que la Chancellerie a
tenu compte des remarques des Parquets et qu'elle a récemment
engagé une réforme de la statistique pénale. Cette
réforme a pour objectif de permettre à l'institution judiciaire
de produire des données quantitatives, mais également
qualitatives afin d'analyser l'évolution de la délinquance, les
réponses judiciaires et les manières d'opérer des
tribunaux.
S'agissant de la phase "Parquet", il sera possible de connaître :
•
l'origine de la saisine
(police, gendarmerie,
autres administrations, particuliers...) permettant ainsi de faire le lien avec
les statistiques des autres partenaires et renseigner plus aisément ces
derniers sur la suite réservée à leurs
procédures ;
•
la nature des affaires reçues par les
Parquets
afin d'évaluer le volume des affaires non pénales.
Jusqu'à présent, ces dernières qui n'étaient pas
identifiables et qui ne pouvaient juridiquement faire l'objet de poursuite
valable, étaient nécessairement classées sans suite et
venaient artificiellement s'ajouter aux procédures de nature
pénale classées sans suite ;
•
les motifs de classement
afin de quantifier les
affaires classées sans suite par grande catégorie :
classement pour motifs juridiques (absence d'infraction, infraction
insuffisamment caractérisée, prescription, amnistie...),
classement pour poursuite inopportune (désistement du plaignant,
préjudice ou trouble peu important...), classement après
réussite d'une procédure alternative (médiation, rappel
à la loi...) et, enfin, classement pour non-identification de l'auteur.
Il sera donc possible de calculer, au plan national mais également
tribunal par tribunal, des taux :
•
d'infractions juridiquement constituées dans
les procédures
•
de classement des infractions pour défaut
d'élucidation
•
de classement sur les infractions poursuivables
•
de réponse judiciaire sur les infractions
poursuivables
Par ailleurs, on pourra croiser la nature des affaires avec le type de motif
de classement sans suite.
Il faut également préciser que
deux nouveaux domaines seront
couverts par le champ de la statistique : l'exécution des peines et
les délais de traitement.
En ce qui concerne l'exécution des peines
, il sera possible
d'évaluer des taux de mise à exécution selon le type de
peine prononcée (amende, emprisonnement ferme, emprisonnement avec
sursis...) ; la nature de la condamnation (contradictoire, contradictoire
à signifier, défaut...) ainsi que le type d'infraction.
En ce qui concerne les délais de traitement
, les informations
disponibles à ce jour sont quasi inexistantes, alors que l'institution
judiciaire est très souvent interpellée sur cette question. C'est
pourquoi il est prévu que pour les affaires terminées et quel que
soit le type de procédure choisi, on pourra calculer un délai
moyen de traitement et de réponse par le Parquet en utilisant les dates
des faits, du procès-verbal, de l'enregistrement de la procédure
et des principales décisions prises.
Votre rapporteur ne peut qu'approuver cette réforme qui devrait
contribuer à une meilleure information sur l'activité des
Parquets. Cette plus grande transparence devrait en outre
accélérer la réforme des modes de travail dans les
Parquets .
En effet, les statistiques devraient révéler de grandes
disparités aussi bien dans le taux de classement sans suite que dans les
délais de traitement des affaires. Les Parquets les moins productifs
seront donc incités à s'inspirer des méthodes de travail
des Parquets les plus performants. La réforme des statistiques devrait
donc conduire à une plus grande circulation des informations, notamment
sur les initiatives locales et, à moyen terme, à
une
uniformisation des méthodes de travail dans le sens d'un meilleur
traitement de la délinquance.
C. UNE PLUS GRANDE CLARIFICATION DES DÉCISIONS DE CLASSEMENT ET LA POSSIBILITÉ D'UN RECOURS
Il
serait hautement souhaitable de
modifier les pratiques du classement pour
permettre une plus grande clarification des décisions de classement, de
leur motivation et des formes de leur notification aux victimes
.
Jusqu'à présent, les décisions de classement sans suite
leur sont notifiées selon une lettre-type très succincte,
établie nationalement par la Chancellerie.
Votre rapporteur juge cependant ce texte insuffisant dans la mesure où
il ne tient pas compte de la Commission d'indemnisation des victimes, de la
clarté de l'explication au plaignant de ses droits, de la
précision sur le motif du classement et de l'indication des adresses des
services locaux d'aide aux victimes. C'est pourquoi
votre rapporteur
recommande que ces lettres soient plus personnalisées, plus
complètes et qu'elles orientent la victime, le cas
échéant, vers d'autres démarches.
Par ailleurs, elles devront comporter une véritable motivation : ainsi,
elles ne devront pas se contenter d'indiquer que le classement est
prononcé par opportunité, mais
devront être
précisées les raisons caractérisant cette
opportunité
. Votre rapporteur se félicite d'ailleurs que
certains Parquets aient déjà tiré les conséquences
de ces préoccupations et aient pris l'initiative de rédiger des
lettres-types pour chaque motif de classement sans suite. Il faudrait
maintenant veiller à ce que cette pratique soit
généralisée à l'ensemble des Parquets.
A juste titre, plusieurs procureurs de la République estiment que
cette évolution doit constituer un contrepoids nécessaire au
pouvoir de classement du Parquet
. Par ailleurs, une telle motivation du
classement participe à l'idée que, si aucune suite judiciaire
n'est apportée par le Parquet, celui-ci donne cependant une
réponse véritable à la plainte de la victime.
En outre, la motivation du classement devrait à la fois faciliter les
recours contre les décisions de classement tout en les limitant, puisque
les recours déposés afin de connaître les causes du
classement n'auront plus lieu d'être.
A cet égard, votre rapporteur voudrait faire part de sa
réserve concernant le projet de loi de la Chancellerie visant à
instaurer un recours contre les classements sans suite.
En effet, la
procédure choisie est extrêmement lourde : le recours est
adressé au procureur général qui peut alors enjoindre le
procureur de la République d'engager des poursuites. Si ce dernier
refuse, le requérant doit alors saisir la commission des recours,
composée de magistrats du Siège et du Parquet des
différentes Cours d'appel situées dans leur ressort. La
commission statue par une décision motivée qui est
notifiée au procureur de la République, au procureur
général et au requérant. En outre, cette procédure
risque de créer des conflits en faisant intervenir des magistrats du
Siège dans un domaine qui est de la compétence exclusive des
magistrats du Parquet.
C'est pourquoi votre rapporteur estime que cette procédure doit
être oubliée au profit d'une procédure beaucoup plus simple
et qui existe déjà dans les faits : lorsqu'un plaignant
n'est pas d'accord avec la décision de classement du procureur de la
République, il écrit au procureur général qui
demande à ce dernier un complément d'information et, le cas
échéant, l'enjoint de poursuivre. Si ce dernier refuse, le
procureur général dispose de moyens, notamment disciplinaires,
pour forcer le procureur à poursuivre.
Votre rapporteur tient à faire remarquer que ce cas de figure est
extrêmement rare et que, dans la plupart des cas, la demande
d'information de la part du procureur général conduit soit
à confirmer la décision du Parquet, soit révèle une
erreur que le procureur de la République est le premier à
reconnaître.
D. LE DÉVELOPPEMENT DU TRAITEMENT EN TEMPS RÉEL ET DE LA TROISIÈME VOIE
Votre
rapporteur ne peut qu'encourager le développement du traitement en temps
réel. Ce nouveau mode dynamique de traitement des affaires implique une
saisine immédiate des magistrats du Parquet dès l'interpellation
de l'auteur d'une infraction pénale par les officiers de police
judiciaire. Il permet d'apporter des réponses rapides et
diversifiées aux actes de délinquance. Il ne saurait cependant
dispenser d'un suivi des procédures complexes qui nécessitent un
traitement des affaires plus classique.
Ainsi, sur un total de 1.949 décisions rendues par le tribunal
correctionnel d'Evreux, la convocation du mis en cause à l'issue de la
garde à vue par un officier ou un agent de police judiciaire
représente 1.200 affaires, soit 62,5 %, reléguant au second
rang la citation directe par le ministère public (28,5 %) qui
était le mode habituel de saisine des juridictions il y a quelques
années, le solde représentant la saisine du tribunal par
l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction.
Cette évolution se traduit par une
accélération des
procédures
lorsque les poursuites sont exercées, mais
également par une
exécution effective et rapide des
sanctions
, spécialement des peines de substitution tel que le
travail d'intérêt général.
Cependant, le traitement en temps réel ne doit pas être un
élément d'un système de vase communiquant qui conduirait
à paraître traiter la délinquance de manière
immédiate tandis que les procédures ordinaires (enquêtes
préliminaires, citations directes et informations) subiraient des retard
considérables. Le traitement en temps réel "revivifie" l'action
publique mais, à moyens constants, l'énergie qu'il réclame
peut conduire les enquêteurs et les magistrats à traiter moins
bien les dossiers complexes.
Le second intérêt majeur du traitement en temps réel est
de favoriser le recours à des réponses alternatives aux
poursuites.
En effet, la médiation pénale, le classement de
la procédure assortie d'une condition par exemple de remboursement, le
simple rappel à la loi ou l'avertissement constituent dans de nombreux
cas des mesures beaucoup plus significatives que des poursuites, à la
fois pour l'auteur et pour la victime, dès lors qu'elles sont mises en
oeuvre dans un temps aussi proche que possible de l'infraction.
Ces modes non juridictionnels de traitement des affaires qui ne peuvent bien
sûr pas être étendus à des faits d'une certaine
gravité, comportent une
dimension essentiellement éducative
visant à modifier le comportement du mis en cause en l'incitant
notamment à réparer les conséquences de l'infraction
.
Ils contribuent à la prévention de la récidive qui est un
objectif primordial de sécurité.
En outre, la troisième voie permet de pallier la capacité
limitée de production de jugement de l'institution judiciaire tout en
mettant la justice pénale à la disposition des justiciables...
La troisième voie a cependant aussi ses limites : en effet, son usage
peut être dévoyé. C'est le cas lorsque le Président
du tribunal de grande instance est "malthusien". Il faut aussi éviter
à tout prix que des jugements correctionnels deviennent des
médiations faute de capacité de jugement. La troisième
voie est en effet inadaptée à la nature ou à la
gravité de certaines infractions.
E. L'EXTENSION DE LA PROCÉDURE SIMPLIFIÉE ET L'INTRODUCTION DE L'ORDONNANCE PÉNALE
Comme le
fait remarquer le procureur général près la Cour d'appel
de Toulouse,
M. Jean Volff
, dans sa chronique sur l'injonction
pénale
18(
*
)
, l'organisation des audiences
est le principal goulot d'étranglement auquel se heurte la justice
pénale.
"
Sauf à augmenter considérablement le
nombre de magistrats de l'ordre judiciaire, ce qui poserait des
problèmes de statut, de recrutement, de formation et de financement, il
ne paraît plus possible de multiplier le nombre des audiences
correctionnelles, ni d'en charger davantage les rôles. Or dans le
même temps le flux des délits constatés chaque année
ne cesse de croître. Le ministère public n'a donc pour seule
ressource, s'il veut éviter l'encombrement des tribunaux correctionnels
et l'allongement des délais de jugement, que de multiplier les
classements d'opportunité
. "
Certes, il existe déjà une procédure qui permet
d'éviter l'audiencement : c'est la "
procédure
simplifiée
". Introduite dans le droit pénal
français par la loi n °72-5 du 3 janvier 1972
(codifiée par les articles 524 à 528-2 du code de
procédure pénale), c'est une procédure de jugement,
écrite et non contradictoire, engagée par des réquisitions
du ministère public, suivie d'une ordonnance établie par un juge
du siège, notifiée enfin par le greffe à la personne en
cause.
Conformément à l'article 524 du code de procédure
pénale, toute contravention de police, même commise en état
de récidive, peut être soumise à la procédure
simplifiée.
Toutefois
,
son domaine mériterait d'être étendu
à des délits de faible gravité limitativement
énumérés et non contestés au cours de
l'enquête par la personne mise en cause comme les contraventions de
5
ème
classe et les délits routiers
. C'est ce
qu'avait tenté de faire le gouvernement, dans le cadre du plan
pluriannuel pour la justice, en présentant un texte sur la transaction
pénale. Ce texte, largement modifié par le Parlement, a toutefois
été censuré par le Conseil constitutionnel qui a
estimé que certaines dispositions étaient susceptibles de porter
atteinte à la liberté individuelle. Pour autant, sa
décision ne condamne pas le principe de la transaction pénale
dont on pourrait élargir le domaine.
Votre rapporteur tient à rappeler la proposition du procureur
général près la Cour d'appel de Toulouse,
M. Jean
Volff
, qui consiste à instaurer une procédure rapide pour
traiter les affaires dont les faits sont reconnus (ce qui correspond à
70 % des affaires dont l'auteur est connu)
par extension au domaine
correctionnel de l'ordonnance pénale
, en vue de prononcer trois
types de peines :
- les amendes (jusqu'à un niveau élevé) ;
- les suspensions de permis de conduire ;
- certaines peines restrictives de droits.
Trente à quarante pour cent des affaires pourraient être
traitées de cette manière.
A cet égard, votre rapporteur constate que l'avant projet de loi sur la
réforme de la justice tente de réintroduire l'ordonnance
pénale en permettant au procureur de la République de proposer,
à titre de compensation judiciaire, pour un certain nombre de
délits et lorsque la personne est majeure et a reconnu avoir commis un
de ces délits :
•
soit de verser une indemnité compensatrice au
Trésor public dont le montant ne peut excéder 10.000 francs ;
•
soit de se dessaisir au profit de l'Etat de la chose
qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou
qui en est le produit ;
•
soit de remettre au greffe du Parquet du Tribunal de
grande instance son permis de construire ou son permis de chasser, pour une
période de quatre mois maximum ;
•
soit d'effectuer au profit de la collectivité un
travail non rémunéré pour une durée de 60 heures
maximum.
F. LA DÉPÉNALISATION DE CERTAINES INFRACTIONS
Parce
que les instances traditionnelles de règlement des petits conflits
disparaissent peu à peu, la justice pénale est de plus en plus
sollicitée pour traiter de cas qui ne relèvent pas
véritablement de sa compétence ou qui sont à la limite de
celle-ci.
En outre, la vie sociale tend à être de plus en plus
pénalisée. L'article de
M. Roland Kessous
19(
*
)
résume bien cette situation. Alors que le
droit pénal devrait voir son champ d'action se rétrécir au
profit du droit civil, du droit des affaires, de droit des assurances etc, un
nombre croissant de projets ou propositions de lois et de textes
réglementaires sont assortis de sanctions pénales en cas
d'inexécution. Or, "
la plupart des peines ne sont pas
appliquées, les Parquets les ignorent même et ce qui devrait
être une garantie pour l'application des lois devient un facteur
d'affaiblissement de la norme
".
C'est pourquoi il est urgent de limiter au maximum les références
aux sanctions pénales. Un premier pas a été accompli avec
la dépénalisation des chèques impayés. Il faut
accentuer cette tendance afin de recentrer, à moyens constants, les
magistrats du Parquet sur le noyau dur de la délinquance, en les
dégageant ainsi de contentieux secondaires qui peuvent être
traités par d'autres administrations. C'est par exemple le cas des
infractions à la coordination des transports.
G. LA DÉFINITION D'UNE POLITIQUE PÉNALE
A
plusieurs reprises, le gouvernement a esquissé une politique de lutte
contre la délinquance
20(
*
)
, notamment
à travers l'intervention de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la
Justice, Garde des Sceaux, devant l'Assemblée nationale le
15 janvier 1998 et devant le Sénat le 22 janvier 1998. Cette
approche reste cependant, comme ce fut le cas sous les précédents
gouvernement, très sectorielle.
Or, une politique de lutte contre le délinquance ne peut être
qu'interministérielle et reposer sur un rapport annuel
d'évaluation remis au Parlement suivi d'un débat. En ce qui
concerne le volet judiciaire de cette politique, les conclusions du rapport de
la commission
21(
*
)
présidée par
M. Pierre Truche
, ont insisté sur la nécessité
d'initier une véritable politique d'action publique en matière
judiciaire :
" La notion d'égale application de la loi dans l'acte de
poursuivre et de juger implique une autre notion relativement nouvelle, au
moins dans sa formulation : la nécessité d'une "politique
d'action publique".
Cette notion pratiquement absente des codes a pour objet d'inscrire le
traitement individuel des contentieux (opportunité des poursuites) dans
un cadre d'ensemble visant à une application cohérente de la loi,
en fixant des priorités compte tenu des circonstances et en veillant au
respect de l'égalité entre les citoyens.
La tradition française situe la définition de cette politique
à trois niveaux : national (ministère de la Justice),
régional (procureur général) ou local (procureur de la
République, y compris en concertation avec divers partenaires dans les
comités de prévention de la délinquance dans
l'élaboration et le suivi des plans départementaux de
sécurité)... "
Il est donc indispensable d'introduire dans notre code de l'organisation
judiciaire cette notion de politique pénale. L'action publique pourrait
être définie comme étant la recherche et la
définition des conditions dans lesquelles l'application de la loi doit
être engagée de manière coordonnée entre plusieurs
autorités, compte tenu des circonstances et dans le respect de
l'égalité entre les citoyens.
Ceci suppose avant tout un travail interministériel,
réalisé sous l'autorité du Premier ministre et
coordonné par le Garde des sceaux afin que les différents
ministères apportent leur contribution à la définition de
cette politique d'action publique et y intègrent dans les meilleurs
conditions leurs politiques propres, qui sont aujourd'hui menées de
façon trop autonome.
Dans son discours à l'audience de rentrée de la Cour de Cassation
(9 janvier 1998), en présence du Président de la
République, le procureur général,
M.
Jean-François Burgelin
, en écho aux réflexions
actuelles sur le rôle des Parquets et la notion d'ordre public, a
esquissé une nouvelle définition de cette notion :
"Voix de la société auprès des tribunaux, il revient en
effet au Parquet de contribuer, par le ministère de la parole et de
l'écrit, d'une part à la défense des bases culturelles sur
lesquelles est fondée notre vie collective, mais aussi, d'autre part,
à l'évolution des esprits.
Défendre nos bases culturelles, c'est prendre et faire prendre en
considération l'Etat, nos institutions et les personnes...
Institution d'Etat lui-même, le Parquet a pour premier devoir de
participer de toutes ses forces à l'unité et à la
sûreté de cet Etat. Terrorisme, criminalité
organisée, corruption et violences de toute nature sont les objets
essentiels de ce combat sans cesse recommencé.
Sa deuxième tâche est la défense de l'organisation
institutionnelle de notre société. C'est la plus ardue,
peut-être, à une époque où individualisme,
hédonisme et dérision minent, rongent la famille, la
spiritualité, le désintéressement et la rigueur. Il faut,
pour ce faire, que le ministère public soit bien convaincu que la Nation
française n'est pas une simple addition d'individus vivant sur le
même territoire, mais une collectivité vivante qui plonge ses
racines dans les profondeurs de notre histoire et notre géographie. Nos
institutions en sont les fruits : à nous de les protéger,
serait-ce sous les ricanements des esprits qui toujours nient !
Au Parquet enfin, conformément aux principes énoncés dans
le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de prendre en
considération l'individu, dans sa liberté, sa dignité, et
en particulier dans sa faiblesse. Le rôle du Parquet dans la
défense des faibles est traditionnel. L'être faible, c'est celui
que les circonstances de la vie mettent en état
d'infériorité sociale : qu'il soit enfant, détenu ou
handicapé notamment.
S'y ajoute l'attention qui doit être portée aux personnes que
l'âge et la maladie rendent dépendants ou que la misère des
temps laisse sans travail, sans ressource et sans toit.
Mais le Parquet doit contribuer également, disais-je, à
l'évolution des esprits. C'est en cela qu'il peut participer aux
réformes en cours.
Il s'agit, en fait, de prendre en compte une nouvelle acception de la notion
d'ordre public, trop souvent confondue, jusqu'à présent, avec
celle d'immobilisme et de refus de la nouveauté...
... Au total, l'ordre public contemporain inclut désormais des
dimensions sociales, économiques et internationales que les deux mille
magistrats du Parquet de notre pays se doivent de prendre quotidiennement en
compte, avec un double souci de maintien d'un certain ordre et de
nécessaires évolutions.
Exercice bien difficile, que leur seule compétence juridique ne permet
pas d'assurer sans risques d'insuffisance ou d'inadaptation.
Il est nécessaire que l'Etat, seul dépositaire de la
légitimité républicaine, assure le contrôle de cet
exercice. Comme le rappelait il y a quatre ans, dans un colloque qui se
déroulait au Conseil d'Etat, le Premier ministre de l'époque,
"dans une société démocratique, c'est l'Etat qui est
garant de l'état de droit".
L'indépendance du procureur doit s'entendre comme une
nécessité à l'égard des pressions qui pourraient
s'exercer sur lui. Elle ne l'autorise pas à mettre en cause, par la mise
en pratique de conceptions toutes personnelles, la loi de la Nation et ce que
j'appelais les bases culturelles de notre vie collective.
Des membres du Parquet, nos concitoyens sont en droit d'attendre qu'ils fassent
preuve de compétence, d'une éthique irréprochable, de
culture et de caractère. Les pouvoirs publics y veillent, sous votre
haute autorité, monsieur le Président, et sous le contrôle
disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.
La mission du Parquet, c'est d'expliquer aux juges et aux citoyens,
procès après procès, ce qu'exige une bonne application de
la loi et quelles sont les évolutions souhaitables.
D'accusateur public, qu'il était, le Parquet contemporain devient, de
plus en plus souvent, acteur pédagogique, avocat de la
société, avocat de la loi, avocat du progrès social.
Evolution profonde dont, je crois, chacun peut se réjouir, puisqu'elle
sous-tend à la fois une éthique de conviction quant aux principes
fondateurs de la démocratie républicaine et une éthique de
responsabilité par une application de ces principes qui tienne compte
des profondes inégalités de notre tissu social.. . "
Que peut donc être une politique d'action publique
déclinée par chaque procureur de la République en fonction
du contexte local ?
Dans son discours d'installation du 23 avril 1998 ,
M. Jean Pierre
Dintilhac
, procureur de la République près le Tribunal de
grande instance de Paris, apporte une réponse à cette question.
" Je considère que trois formes de délinquance doivent
être prioritairement concernées par l'action pénale, la
violence, la corruption et toutes les formes de discrimination.
La violence,
tout d'abord ; elle constitue la négation même
du droit puisqu'elle a pour objet, et trop souvent pour effet, de substituer
à la régulation des relations humaines, par des règles
démocratiquement adoptées, la brutalité de la loi du plus
fort.
Qu'il s'agisse des actes de terrorisme, forme la plus extrême et la plus
insupportable, ou des formes malheureusement plus quotidiennes, toute violence,
physique ou sexuelle, est d'autant plus mal ressentie que nos concitoyens
aspirent, dans leur très grande majorité, à un mode de
régulation des conflits par l'arbitrage, la transaction et la
médiation.
La violence doit donc, conformément à la volonté du
législateur et à celle du gouvernement être poursuivie et
sanctionnée avec célérité et fermeté.
La corruption
est une forme de criminalité qui menace toute
société qui la laisse impunément se développer,
surtout lorsqu'elle provient de collusions politico-affairistes.
L'exigence d'une morale publique, dont chacun ressent la
nécessité, implique d'abord que l'exemple de la vertu soit
donné par ceux qui exercent des responsabilités.
Aussi, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée
ne doit être entravée par quelque prétexte que ce soit,
surtout lorsque la corruption est le fait de détenteurs de
l'autorité publique ou de ceux qui exercent un pouvoir
économique, financier, ou social.
Ma troisième priorité porte sur les infractions qui constituent
des mesures de
discrimination
.
Un des grands progrès de notre humanité a consisté
à prohiber toutes les formes de discrimination.
Ces infractions rejoignent la violence et, au cours de l'histoire, les violence
les plus extrêmes, les plus intolérables, ont toujours
été liées à des idéologies fondées
sur des discriminations.
Lutter contre ces comportements est donc une nécessité, non
seulement parce que toute discrimination, qu'elle soit fondée sur la
race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou
philosophiques, l'origine nationale ou sociale, les préférences
sexuelles, la fortune ou la naissance, constitue une infraction, mais aussi
parce que ces atteintes au principe fondamental selon lequel tous les
êtres humains naissent et demeurent égaux en dignité et en
droits provoquent la rupture des fibres même du tissu social.
La nécessité de mener, prioritairement et de front, la lutte
contre les violences, les corruptions et les discriminations confère
à la justice, et à tous ceux qui concourent à son action,
une place éminente au sein des institutions de la République
puisque c'est par son intervention que sont rappelées à tous les
règles communes.
Si la justice ne peut assurer le bonheur des hommes, elle doit contribuer
à préserver la paix sociale ou, tout au moins, à la
rétablir lorsqu'elle est troublée.
Cette fonction impose en tout premier lieu aux magistrats, mais aussi aux
fonctionnaires de justice, et à tous ceux qui contribuent à
l'action judiciaire, une exigence vis-à-vis d'eux même. Moins
encore que la femme de César, celui qui participe à la fonction
de justice ne doit être soupçonné.
Le respect dû à la justice doit également se traduire
par l'exécution effective des décisions rendues
. Aussi, je
serai attentif à ce que toutes les condamnations, qu'elles portent sur
des peines d'emprisonnement ou sur de simples amendes contraventionnelles,
soient bien exécutées.
Il revient à la justice, en appliquant avec fermeté et
humanité les règles du droit pénal, d'assurer
l'équilibre entre, d'une part, la préservation des fondements
culturels essentiels au maintien de l'identité nationale et, d'autre
part, les transformations indispensables à notre temps. Elle doit pour
cela, ainsi que nous y invitait M. le Procureur Général
près la Cour de cassation, à l'audience de rentrée du 9
janvier dernier, s'adapter à l'évolution des esprits, et, je le
cite, "prendre en compte une nouvelle acception de la notion d'ordre public,
trop souvent confondue, jusqu'à présent, avec celle d'immobilisme
et de refus de la nouveauté"..."
Votre rapporteur propose donc que chaque année, les procureurs
généraux, les procureurs de la République et les avocats
généraux des juridictions procèdent à une
évaluation et aux ajustements nécessaires de la politique
d'action publique appliquée dans le ressort de leurs juridictions. Ce
serait l'occasion de mettre en exergue les difficultés
rencontrées dans l'exercice de cette mission.
LES PROPOSITIONS
A. LES MESURES POUR AMÉLIORER L'OUTIL STATISTIQUE ET INFORMATIQUE
-
Créer un outil statistique performant permettant de connaître,
pour chaque juridiction, la nature des affaires dont sont saisis les Parquets,
l'origine des saisines, les motifs de classement et les délais de
traitement des affaires ;
- Informatiser les mains courantes afin de pouvoir faire des recoupements
sur les agissements de certains délinquants ;
- Informatiser les enregistrements par le bureau d'ordre des
procès-verbaux et plaintes dont il est saisi pour faciliter leur gestion
et éviter la perte de dossiers ;
- Mettre en place dans les départements des outils informatiques
nécessaires pour créer un réseau entre les
différentes administrations chargées de lutter contre la
délinquance et les autorités judiciaires ;
- Mettre à la disposition des magistrats du Parquet un outil statistique
précis et décentralisé sur le phénomène de
la délinquance ;
- Développer un outil statistique pour identifier les causes
structurelles des mouvements collectifs de violence et connaître la
réalité de l'organisation, de la préméditation, de
la récupération et de la manipulation de ces formes de la
délinquance ;
- Créer une mission parlementaire afin d'évaluer au niveau local
et national d'une part les pratiques de la troisième voie
(médiation, administration, classement sous conditions) et, d'autre
part, le traitement en temps réel des infractions ;
B. LES MESURES POUR RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE LES SERVICES ET AUGMENTER LA FLUIDITÉ DE L'INFORMATION
- Informer les services de police et de gendarmerie des
suites
données aux enquêtes par les Parquets, notamment en instituant un
représentant désigné par le Parquet en lien avec les
commissariats et pouvant répondre en temps réel aux demandes de
renseignements des policiers. Le cas échéant, envoyer une copie
de la date d'audience ;
- Instituer des séances de travail entre les procureurs, les
directeurs de la sécurité publique et les commandements de
groupements de gendarmerie nationale pour définir les grandes
orientations de la politique pénale et assurer sa lisibilité
auprès des services chargés de l'appliquer ;
- Mieux impliquer les fonctionnaires de police et les militaires de la
gendarmerie dans la lutte contre la délinquance en multipliant les
contacts avec les magistrats du Parquet afin que se crée un esprit
d'équipe ;
- Etablir des bilans à intervalles réguliers sur le
traitement en temps réel pour évaluer les méthodes de
travail et régler les éventuels dysfonctionnements, notamment en
ce qui concerne l'application des articles 12, 13, 41 et D1er du code de
procédure pénale qui disposent que la police judiciaire est
exercée "
sous la direction du procureur de la
République, sous la surveillance du procureur général et
sous le contrôle de la chambre d'accusation
" ;
- Renforcer les relations de travail entre le Parquet et le Siège
afin de connaître précisément les capacités de
jugement du Siège et de négocier avec lui l'aménagement
des audiencements pour éviter l'enlisement des affaires traitées
selon la procédure du traitement en temps réel ;
- Mettre en place un secrétariat permanent au sein du Parquet
chargé des relations avec les élus locaux et organiser des
relations à intervalles réguliers entre le Parquet et les maires
sur la stratégie à adopter en matière de lutte contre la
délinquance ;
- Mettre en oeuvre la politique pénale du gouvernement par des
circulaires et directives interministérielles. Trop souvent les
Préfets ne s'estiment pas liés dans ce domaine par une circulaire
du seul ministre de la justice, de même que les procureurs
généraux et les procureurs ne s'estiment pas liés par une
circulaire du seul ministre de l'Intérieur. Il en est de même pour
les autres services de l'état associés à la lutte contre
la délinquance ;
C. LES MESURES POUR RENFORCER LE RÔLE ACTIF DU PARQUET DANS LA LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE
- S'assurer, de la part du procureur
général, que
la politique pénale définie par la Chancellerie est bien
appliquée par tous les procureurs de la République du ressort de
la Cour d'appel ;
- S'assurer, de la part du procureur de la République, que la
politique pénale affichée ne fait pas l'objet
d'interprétations divergentes de la part de ses substituts ;
- Accompagner toute nomination de procureur d'une lettre de mission
précisant les objectifs à atteindre ;
- Utiliser de manière plus systématique les services
d'inspection du ministère de la Justice pour s'assurer que les grandes
orientations et les instructions du Garde des Sceaux sont prises en compte par
l'ensemble des juridictions ;
- Elargir le champ d'application de la procédure
simplifiée ;
- Systématiser le recours à la troisième voie chaque
fois que son utilisation est possible ;
- Instaurer l'ordonnance pénale pour le traitement de toutes les
contraventions et de certains délits ;
- Créer dans chaque Parquet des bureaux d'enquête pour
gérer les affaires (enregistrement, classement des
éléments fournis au magistrat et des instructions qu'il a
données...) et suivre le déroulement de l'enquête (faire
procéder à tous examens techniques utiles à la
manifestations de la vérité, faire vérifier la situation
sociale et matérielle du mis en cause...) ;
D. LES MESURES POUR RENDRE L'EXÉCUTION DES PEINES PLUS EFFECTIVE
- Etendre le recours au traitement en temps réel
jusqu'au recouvrement des peines d'amendes ;
- Rationaliser le système de l'exécution des peines,
notamment en ayant un suivi des disponibilités du Comité de
Probation et d'Assistance aux Libérés (CPAL) en travaux
d'intérêt général ; organiser avec le concours du
comité précité des permanences à la sortie de
l'audience pour permettre la prise en charge immédiate des
condamnés ; saisir systématiquement le juge d'application
des peines des situations des condamnés ayant à purger une ou
plusieurs peines d'emprisonnement dont le total est inférieur ou
égal à un an afin d'envisager des possibilités
d'aménagement ; communiquer, dans les meilleurs délais les
décisions pénales au service du casier judiciaire;
transmettre à l'établissement pénitentiaire où est
écroué le condamné les informations permettant une
meilleure orientation du détenu ; accélérer la
transmission des pièces d'un dossier à la Cour d'appel dès
lors qu'un appel a été interjeté ;
- Développer la procédure du jour-amende pour renforcer
l'exécution des peines d'amende ;
- Instaurer des relations régulières et concrètes
entre le Parquet et le juge d'application des peines de façon à
assurer l'exécution, dans les meilleurs délais, des sanctions
prononcées ;
- Supprimer la pratique des seuils à partir desquels les amendes ne sont
plus recouvrées ;
- Insérer dans l'article 133-4 du code pénal une
disposition tendant à ne faire courir le délai de prescription
pour les peines d'amende qu'à compter du premier acte de
recouvrement.
E. LES MESURES POUR LUTTER CONTRE LA DÉLINQUANCE DES MINEURS
- Développer une politique pénale
spécifique en direction de la primo-délinquance afin d'apporter
une réponse judiciaire à toute infraction commise par une
mineur ;
- Aménager le principe de l'irresponsabilité des mineurs
pour pouvoir lutter efficacement contre l'explosion de la délinquance
juvénile ;
- Mettre en place dans les écoles, collèges, lycées
une formation civique sur la nécessité de règles communes
pour le bon fonctionnement de la vie sociale ;
- Mettre fin à la banalisation du premier acte de
délinquance ou à la banalisation de certaines formes de vols ou
d'agressions ;
F. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE NOUVELLE POLITIQUE PÉNALE
- Définir et mettre en oeuvre une politique
globale de
lutte contre la délinquance ;
- Prévoir chaque année devant l'Assemblée nationale
et le Sénat un débat d'orientation sur la politique pénale
du gouvernement, ce débat devant impliquer le ministre de
l'Intérieur et celui de la Défense ;
- Introduire dans le code de procédure pénale la notion de
" politique d'action publique " ;
- Etablir une politique pénale lisible pour les autres partenaires
de la chaîne pénale ;
- Instaurer une loi de programmation de lutte contre la délinquance
commune aux différents ministres concernés, notamment ceux de la
justice, de l'Intérieur et de la Défense... ;
- Donner des directives interministérielles impératives
(circulaires du Premier ministre) d'application des dispositions de l'article
40 alinéa 2 du code de procédure pénale par toutes les
administrations ;
- Rendre publiques les directives et circulaires concernant la politique
pénale et la conduite de l'action publique. La plupart en effet sont
confidentielles ;
- Mettre en place des outils d'évaluation systématiques des
politiques pénales ;
G. AUTRES MESURES
- Reconsidérer l'organisation de la
justice sur le
territoire national et expérimenter la départementalisation des
Parquets dans certaines juridictions " pilotes " ;
- Lancer une réflexion sur le renforcement de chaque maillon de la
chaîne du traitement de la délinquance à partir de trois
principes : une meilleure organisation, des moyens supplémentaires
et des méthodes rénovées puis
expérimenter cette réforme dans quelques départements en
donnant aux différents services de l'Etat les moyens financiers et
humains nécessaires pour sa réussite ;
- En période de crise (violence dans les banlieues, prises
d'otages,...), mettre sur pied une cellule de crise afin de suivre en temps
réel l'évolution des situations, définir les
responsabilités de chacun et prévenir ou régler les
éventuels conflits entre autorités administratives et
autorités judiciaires. Faire ensuite un bilan des réponses
apportées au traitement de la situation de crise ;
- Instaurer dans chaque juridiction un service d'information
destiné à présenter et commenter la nature, l'ampleur et
la portée des jugements ou arrêts pénaux ;
- Procéder à un toilettage de tous les textes législatifs
et réglementaires comprenant une disposition pénale par le biais
de la création d'une commission ad hoc du type commission de
codification ;
- Restaurer la paix sociale par la reconquête de certains quartiers
qualifiés pudiquement de " territoires de moindre droit " en
s'inspirant de l'expérience menée en Seine Saint-Denis sous
l'égide du procureur de la République de Bobigny, grâce aux
Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance, réunissant
justice, police, maires et associations de quartier autour de projets de
sécurisation et de prévention de la délinquance ;
- Etendre l'utilisation de la procédure de traitement en temps
réel à toutes les juridictions et élargir son champ
d'application à de nouvelles affaires (droit du travail, urbanisme,
droit de l'environnement...) ;
- Confier l'audiencement des affaires pénales au Président
de la juridiction, principalement dans les grandes juridictions. Dans le
système en vigueur, l'une des parties, en l'occurrence le Parquet, peut
choisir la formation qui jugera l'affaire ;
- Faciliter et rendre plus effective l'action des contrôleurs dans
les transports publics en les autorisant à retenir les contrevenants qui
refusent de décliner leur identité afin de pouvoir en rendre
compte immédiatement à tout officier de police judiciaire qui
pourra alors se faire présenter sur le champ le contrevenant ;
- Développer une véritable politique de communication au sein du
ministère de la justice afin de privilégier l'information
objective et complète du public et de lutter contre la tendance au
sensationnalisme de certains médias ;
- Simplifier et renforcer la coopération entre les autorités
judiciaires des Etats membres de l'Union Européenne ;
- Créer, au niveau de l'Union Européenne, une
catégorie d'infractions identiques permettant d'appréhender dans
les mêmes termes les auteurs d'infractions économiques et
financières, idem pour le domaine du trafic de drogues, etc.
LISTE DES AUDITIONS, ENTRETIENS
ET CONTRIBUTIONS
ÉCRITES
JUSTICE
- Pierre TRUCHE, Premier Président de la Cour de Cassation
- Jean-François BURGELIN, Procureur général près la
Cour de Cassation,
- Claude JORDA, Ancien Procureur près la Cour d'Appel de Paris
- Christian VIGOUROUX, Directeur de cabinet du Garde des Sceaux, Ministre de la
Justice
- Marc MOINARD, Directeur des affaires criminelles et des grâces au
ministère de la Justice
- François FALLETTI, Procureur général près la Cour
d'Appel de Lyon
- Olivier DROPET, Procureur général près la Cour d'Appel
de Colmar
- Jean VOLFF, Procureur général près la Cour d'Appel de
Toulouse
- Christian RAYSSEGUIER, Procureur général près la Cour
d'Appel de Rouen
- Jean-Marie COULON, Président du Tribunal de Grande Instance de Paris
- Jean-Christophe ERARD, Conseiller chargé des relations avec le
Parlement auprès du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
- Jean-François BEYNEL, Conseiller chargé de la politique
pénale et d'exécution des peines, des grâces et de la
libération conditionnelle auprès du Garde des Sceaux, Ministre de
la Justice
- Gabriel BESTARD, Procureur général près la Cour d'Appel
d'Aix-en-Provence
- Jean BERKANI, Procureur de la République d'Evreux
- Nicole MAESTRACCI, Conseiller à la Cour d'Appel de Paris,
déléguée à l'application des peines
- Francis FRECHEDE, Procureur de la République de Toulouse
- Jean-Paul SIMONNOT, Procureur de la République de Bobigny
- Pierre MOREAU, Premier substitut du Tribunal de Grande Instance de Bobigny
- Patrick BEAU, Substitut général près la Cour d'Appel de
Colmar
Les procureurs du ressort de la Cour d'Appel de Lyon :
- Christian HASSENFRATZ (Lyon)
- Françoise PICCOT (Bourg en Bresse)
- Franck TAISNE (Belley)
- Laure BOURREL (Montbrison)
- Alain VERCIER (Saint-Etienne)
Les membres du Parquet général près la Cour d'Appel de
Lyon :
- Jean-Olivier VIOUT, Premier avocat général
- Christian CADIOT, Substitut général
- Philippe COURROYE, Substitut général
Les procureurs du ressort de la Cour d'Appel de Colmar :
- Edmond STENGER, Procureur de la République de Strasbourg
- René PECH, Procureur de la République de Colmar
- Madeleine SIMONCELLO, Procureur de la République de Saverne
- Michel SENTHILLE, Procureur de la république de Mulhouse
GENDARMERIE
- Bernard PREVOST, Directeur général
- Général d'Armée Yves CAPDEPONT, ancien Major
général
- Colonel Loïc CORMIER, Chef du bureau Police judiciaire à la
Direction générale
- Colonel Claude MEYER, Commandant la Légion de Gendarmerie
Départementale d'Alsace
- Lieutenant-Colonel Michel COMMUN, Commandant le Groupement de gendarmerie du
Haut-Rhin
- Capitaine Michel BALLAND, Commandant la Compagnie de Thann
- Capitaine Denis LORANG, Commandant la Compagnie d'Altkirch
- Lieutenant-Colonel Guy LEBORGNE, Commandant le Groupement de Gendarmerie du
Val d'Oise
- Chef d'escadron Roland BLANCHET, Commandant la Compagnie de Cergy-Pontoise
- Adjudant-Chef Claude MATHEY, Commandant la Brigade de Cernay et les gendarmes
de la Brigade
- Adjudant Pierre BOECKLER, Commandant la Brigade d'Illfurth et les gendarmes
de la Brigade
- Lieutenant Yves LACOINTE, Commandant la Bridade de Jouy le Moutier et les
gendarmes de la Brigade
POLICE NATIONALE
- Alain QUEANT, Conseiller technique au cabinet du Préfet de Police de
Paris, coordinateur à la sous-direction de la police judiciaire,
commissaire divisionnaire
- Pierre CAVIN, Sous-directeur de la police judiciaire à la
Préfecture de Police de Paris
- Bernard LAITHIER, Commissaire principal - commissariat des Halles du
1
er
arrondissement de Paris
- Jean-Luc FAIVRE, Directeur départemental de la sécurité
publique du Bas-Rhin, commissaire central de Strasbourg, commissaire
divisionnaire
- Jean GUILLOT, Directeur départemental de la sécurité
publique du Haut-Rhin, commissaire divisionnaire
- Didier CHRISTINI, Commissaire principal, chef du Service d'investigation et
de Recherche (S.I.R.) de Mulhouse
- André-Michel VENTRE, Secrétaire Général du
Syndicat des commissaires de police
MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES
- Fernand EGEA, Administrateur civil, chef du bureau C2 de la direction de la
comptabilité publique
- Georges BERTHELOT, Trésorier payeur général de l'Ain
- Gérard SCRIBOT, Trésorier payeur général de l'Oise
- Vincent LOUVET, Trésorier payeur général de
Seine-Saint-Denis
- Claude PICARD, trésorier payeur général du Haut-Rhin
- Bernard THOYER, Trésorier payeur général du Bas-Rhin
- Bernard GOSSELIN, Trésorier payeur général de l'Aisne
SNCF
- Paul MINGASSON, secrétaire général.
1
La suppression du critère de
l'opportunité conduirait à poursuivre sans discernement toute
infraction constituée sans évaluer la gravité, les
circonstances de sa commission ou les traits de personnalité de son
auteur. Un tel système implique des moyens en hommes
considérables et conduit bien souvent, d'après
l'expérience des pays qui le pratiquent, à rédiger des
décisions où l'on explique sous forme légale qu'il
était inopportun de poursuivre ou de condamner. Le maniement
éclairé du pouvoir d'opportunité va de pair avec la
qualité de magistrat reconnue aux procureurs.
2
Cf "L'abandon des poursuites par le Parquet" de Bruno
Aubusson de Cavarlay, René Lévy et Laurence Simmat-Durand dans le
"Bulletin d'information du Centre de recherches sociologiques sur le droit et
les institutions pénales", mai 1990 III.2
3
Cf discours de
M. Christian Raysseguier
, procureur
général près la Cour d'appel de Rouen, lors de l'audience
solennelle de rentrée judiciaire.
4
Cf entretien avec le procureur général
près la Cour d'appel de Lyon,
M. François Falletti.
5
Cf. "La République pénalisée" d'Antoine
Garapon et de Denis Salas, Hachette, collection questions d'actualité,
1996
6
Cf. Rapport établi en 1994 par le comité de
réorganisation et de déconcentration du ministère de la
justice, présidé par
M. Jean-François Carrez
(octobre 1993) sur la carte judiciaire.
7
Cf communiqué du ministère de l'Intérieur du
26 mars 1997 : "depuis le début de l'année, la criminalité
et la délinquance constatées en France par les services de police
et de la gendarmerie nationales enregistrent une nouvelle baisse sensible de
4,08 % par rapport à la même période de 1996. La
délinquance sur la voie publique est en diminution de 5,41 % depuis
le début de l'année. Cette baisse confirme celle
déjà enregistrée au cours des deux dernières
années qui était de l'ordre de 10 %. Ces chiffres sont le
résultat de l'action efficace et déterminée de l'ensemble
des personnels qui concourent à la sécurité
intérieure et des réformes engagées depuis deux ans,
notamment celle concernant l'organisation et le fonctionnement de la police
nationale."
8
Lors de son intervention au Sénat au cours du débat
sur le budget de la justice le 7 décembre 1994 (Journal Officiel, page
6925), votre rapporteur, après avoir rappelé les termes de
l'article 40 du code de procédure pénale, avait posé la
question suivante : "les services de police spécialisés, tels que
les renseignements généraux, la direction de la surveillance du
territoire ou l'ancienne police de l'air et des frontières, les
préfets et sous-préfets, les chambres régionales des
comptes à l'occasion d'un contrôle des comptes ou de
légalité sont-ils tenus d'appliquer les dispositions
légales que je viens de rappeler ? Il avait demandé en outre, si,
d'une part, il était envisagé de "modifier les dispositions de
l'article 40 pour les assortir de sanctions" et d'autre part, si "en attendant
cette modification législative, c'est-à-dire dans
l'immédiat, il était envisagé de "rappeler, par exemple
par le biais d'une circulaire conjointe des ministères de la Justice, de
l'Intérieur, du Budget et de la Fonction publique, l'existence de cet
article et l'obligation qui y est attachée". Au cours du même
débat (Journal Officiel, page 6942), le ministre de la Justice Pierre
Méhaignerie avait répondu : "En ce qui concerne l'application de
l'article 40 du code de procédure pénale, j'envisage de proposer
au Premier Ministre de diffuser une circulaire destinée à
rappeler aux administrations ce principe fondamental pour le bon fonctionnement
des diverses institutions". Les questions écrites qui s'en sont suivies
pour rappeler au ministre les engagements pris ont donné lieu à
des réponses tardives et évasives. Ainsi, le
2 février 1995 (Journal Officiel page 236 question écrite
n° 9616), votre rapporteur a reposé pour la première
fois ces deux questions. Après plusieurs relances (question
écrite n° 10456 du Journal Officiel du 23 février
1995, page 672 ; question écrite n° 11174 du Journal Officiel
du 15 juin 1995, page 1228 ; question écrite n° 11175 du Journal
Officiel du 15 juin 1995, page 1228), le Ministre a répondu (Journal
Officiel du 10 août 1995, page 1592) qu'il avait pris bonne note de
l'engagement de son prédécesseur d'élaborer une circulaire
interministérielle rappelant les dispositions de l'article 40 du code de
procédure pénale. Il a informé l'honorable parlementaire
qu'une réflexion préalable était actuellement menée
par la Chancellerie. Enfin, le ministre précisait que "les dispositions
de l'article 40 du code de la procédure pénale, sont de
portée générale et ont vocation à s'appliquer
à toutes les personnes énumérées dans la question
écrite, dès lors que la connaissance de l'infraction a
été acquise dans l'exercice de leurs fonctions. Il ajoutait que
ce texte, bien que faisant actuellement l'objet d'une étude par les
services de la chancellerie, n'avait pas donné lieu à la
publication d'une circulaire interministérielle (Journal Officiel du
28 septembre 1995, page 1859 ; Journal Officiel du 5 octobre 1995
page 1904 ; Journal Officiel du 11 janvier 1996, page 66). La dernière
question écrite sur le sujet est restée jusqu'ici sans
réponse (n° 4848 du 11 décembre 1997 page 3431).
9
Le juge prononce une sanction sous la forme d'un nombre de jours
(de prison potentielle) affectés d'un taux d'amende. En cas de non
paiement de l'amende, le condamné doit exécuter un emprisonnement
égal à la moitié du nombre de sous-amendes
prononcés.
10
La première catégorie correspond strictement
à la constatation de la non occupation d'un poste budgétaire. La
seconde prend en compte l'effectif réel de la juridiction,
déduction faite des divers congés, mises à disposition et
décharges d'activité.
11
Cf intervention au congrès du Syndicat des Commissaires et
Hauts fonctionnaires de Police Nationale le 2 mars 1998.
12
Le 26 janvier 1998, dans son discours sur l'évolution de
la délinquance en France en 1997,
M. Claude Guéant
,
directeur général de la police nationale, rappelait :
" si le taux d'élucidation des infractions pour l'ensemble des
services s'établit à 29,47%, soit un niveau proche de 1996, je
tiens cependant à souligner l'augmentation du taux d'élucidation
des affaires judiciaires de 25% en quatre ans dans les zones de
sécurité publiques.
La mise en place dans un certain nombre de
circonscriptions de sécurité publique d'un service de quart
destiné à traiter en temps réel le judiciaire
apparaît à cet égard avoir joué un rôle
déterminant
. "
13
Cf "Le traitement en temps réel des procédures
pénales dans les TGI à six chambres et plus", memento pratique du
ministère de la Justice, mars 1996.
14
Cf "Le traitement en temps réel des
procédures pénales dans les TGI à deux chambres", memento
pratique du ministère de la Justice, octobre 1995, page 26.
15
A plusieurs reprises votre rapporteur a tenté d'obtenir du
Gouvernement ou du Parlement la mise à plat des règles, us et
coutumes qui régissent les relations entre les Parquets et les services
de police judiciaire afin de les clarifier et de les simplifier, et de mettre
fin à certaines ambiguïtés qui suscitent
régulièrement des conflits dans certaines affaires "sensibles"
(Cf. Sénat n° 63 session ordinaire de 1996-1997, proposition
de résolution tendant à la création d'une commission
d'enquête chargée d'examiner les modalités d'organisation
et les conditions de fonctionnement des services de police et de gendarmerie
dans leurs missions de police judiciaire et de vérifier l'application,
par ces services, des dispositions du code de procédure pénale
concernant la direction, le contrôle et la surveillance de la police
judiciaire). Cette question toujours d'actualité est toujours sans
réponse.
16
Cf annexe relative à la note de présentation sur la
création de structures de prévention de la délinquance en
zone gendarmerie, préfecture du Haut-Rhin
17
En 1995, le nombre de procès-verbaux enregistrés au
bureau d'ordre s'élevait à 82.598.
18
Cf Jean Volff : "Un coup pour rien ! L'injonction
pénale et le Conseil constitutionnel", dans Chronique du recueil Dalloz
Sirey, 1995.
19
Cf Roland Kessous : "Les relations du politique et du
judiciaire" dans "Après-demain", octobre -novembre 1997.
20
Cf document d'orientation : une réforme pour la justice
(29 octobre 1997)
21
Cf rapport de la commission de réflexion sur la justice,
juillet 1997, collection des rapports officiels.