QUATRIÈME PARTIE -
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE
SÉCURITÉ :
UN DISPOSITIF PLUS ADAPTÉ MAIS UNE
VOLONTÉ POLITIQUE INCERTAINE
La
multiplication des crises en Europe dans le contexte plus instable lié
à la dislocation de l'Empire soviétique, les divisions des
Européens qui ont laissé aux Américains le rôle de
médiateur dans les conflits survenus sur le Vieux continent :
autant d'arguments qui ont souligné
l'intérêt pour
l'Union européenne d'agir de façon plus concertée
pour
peser davantage sur des questions qui intéressent sa
sécurité.
Certes, le principe même d'une politique étrangère commune
pourrait aboutir à des résultats opposés aux effets
recherchés s'il conduisait les diplomaties nationales à s'aligner
sur le plus petit dénominateur commun.
On ne saurait dire d'ailleurs que l'Europe ait conjuré ce risque depuis
la signature du traité de Maastricht et la mise en place, dans le cadre
du deuxième pilier, d'une politique étrangère et de
sécurité commune (PESC) -le manque d'initiative ou, autre aveu
d'impuissance, les excès d'une diplomatie déclaratoire, en
témoignent.
Faut-il dès lors se résigner aux méthodes traditionnelles
de la diplomatie nationale au risque de n'exercer qu'une influence
réduite ? N'y aurait-il d'autre choix qu'entre l'impuissance
à plusieurs ou l'isolement ?
Comment sortir de ce dilemme ?
Pour votre rapporteur, deux principes permettent de garantir
l'efficacité d'une action diplomatique.
En premier lieu, il s'agit de conduire une politique étrangère et
de sécurité
commune
et non pas
unique
. En d'autres
termes, les Etats membres doivent agir ensemble lorsqu'ils ont des
intérêts communs et que leur action conjuguée peut
présenter un réel impact. Tel est le cas quand les moyens
financiers mis en oeuvre par la Communauté ou les accords commerciaux
qu'elle négocie offrent aux Quinze une véritable capacité
d'influence politique. Les relations avec Israël, l'aide accordée
aux pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP)... constituent
à cet égard autant de champs d'intervention possibles et mal
utilisés. En revanche, l'Union doit-elle intervenir partout et en toute
occasion sous le seul prétexte d'afficher une présence ? On
peut en douter. Il y va en effet de la crédibilité de l'Union
européenne.
En second lieu, dans les domaines où se dégagent un
intérêt commun à agir, l'Union doit faire le choix
d'une
procédure de décision efficace
.
De ce point de vue, la mise en oeuvre du " deuxième pilier " a
déçu. Comme votre rapporteur a essayé de le montrer dans
un précédent rapport, le dispositif institutionnel, au terme de
quatre années d'application
11(
*
)
, n'avait pas permis, malgré
quelques initiatives, l'émergence, d'une véritable politique
étrangère commune.
Les articles J 4§6 et J 10 (supprimés par le traité
d'Amsterdam) avaient toutefois prévu eux-mêmes le principe d'une
révision de ce dispositif, en particulier dans le domaine de la
défense, " sur la base d'un rapport que le Conseil soumettra en
1996 au Conseil européen, et qui comprend une évaluation des
progrès réalisés et de l'expérience acquise jusque
là " (art. J 4-6) tandis que " lors d'une révision
éventuelle des dispositions relatives à la sécurité
(...) la conférence qui est convoquée à cet effet examine
également si d'autres amendements doivent être apportés aux
dispositions relatives à la politique étrangère et de
sécurité commune "(J 10).
Si le traité d'Amsterdam n'a pas fixé de nouvelles ambitions
à la politique étrangère et de sécurité
commune, il a toutefois apporté des améliorations importantes au
processus de décision dont certaines correspondent
précisément aux aménagements souhaités par votre
rapporteur.
Cependant, il faut le répéter, un dispositif institutionnel aussi
adapté soit-il, ne saurait se substituer à une volonté
politique, seul véritable ressort d'une politique
étrangère et de sécurité commune.
I. DES AMBITIONS ENCORE MODESTES POUR LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ COMMUNE
Les
principaux objectifs de la PESC avaient été définis de
façon très générale par le traité de
Maastricht (sauvegarde des valeurs communes et de l'indépendance de
l'Union, renforcement de la sécurité, maintien de la paix,
promotion de la coopération internationale, développement de la
démocratie). Le champ ainsi défini paraissait suffisamment large
pour recouvrir les développements futurs de la PESC. Il n'appelait donc
pas de modification particulière. De façon inédite,
cependant, le traité fait mention de l'
intégrité
de
l'Union (art. 11). Dans le même esprit, le traité d'Amsterdam
précise que la référence à la Charte de
Paris
12(
*
)
vise également
les objectifs cités par ce texte dans le domaine des frontières
extérieures. Ces éléments ont été
ajoutés au traité à la demande de la Grèce pour des
raisons liées sans doute aux relations conflictuelles que ce pays
entretient avec la Turquie. Ils n'ont pas de portée pratique. Cependant
le principe d'intégrité dont la garantie n'a pas encore
trouvé droit de cité dans le dispositif relatif à la
sécurité européenne obtient ainsi, même de
façon marginale, une forme de reconnaissance qui n'est pas tout à
fait indifférente.
Si les principaux espoirs dans le domaine de la PESC portaient sur une ambition
renouvelée pour le volet de la sécurité, ils ont
été déçus, même si quelques
infléchissements positifs méritent d'être
relevés.
A. LA PERSPECTIVE ENCORE LOINTAINE D'UNE DÉFENSE EUROPÉENNE
1. Un contexte plus favorable
a) La prudence du traité de Maastricht
Le
traité de Maastricht prévoyait la définition
" à terme " d'une politique de défense commune pouvant
conduire " le moment venu " à une défense commune.
Que la perspective d'une " défense commune " figure dans le
traité pouvait sans doute déjà apparaître pour
certains comme un progrès notable. Cependant cette perspective demeurait
une simple possibilité et aucun calendrier ni aucune procédure
particulière n'était fixé.
b) Des évolutions positives
Toutefois, le principe même d'une défense
européenne a connu certains progrès au cours des années
récentes.
Quatre éléments en témoignent.
En premier lieu,
la réforme de l'OTAN
, liée à la
nouvelle configuration stratégique européenne, est apparue
également comme une occasion de mieux reconnaître le rôle
des acteurs européens en matière de défense. Ainsi, le
Conseil de l'Atlantique Nord, réuni à Berlin le 3 juin 1996,
s'est attaché à concrétiser la reconnaissance d'une
identité européenne de sécurité et de
défense
à travers le concept des
Groupements de forces
interarmées multinationales
(GFIM). Ces forces doivent permettre
à une coalition d'Etats européens d'engager seuls une
opération de gestion de crise tout en bénéficiant des
moyens de l'OTAN notamment dans les domaines de la logistique et des
communications.
En second lieu,
l'Union de l'Europe occidentale
(UEO) a cherché,
parallèlement, à l'occasion de la réunion du Conseil de
l'UEO à Petersberg le 19 juin 1992, à développer ses
missions aux opérations humanitaires, de maintien de la paix et de
gestion de crise -dites "missions de Petersberg". A cette fin, elle a
également cherché à développer ses capacités
opérationnelles à travers la création de nouvelles
structures (une cellule de planification, un centre satellitaire chargé
d'interpréter les données provenant des satellites d'observation
ou de renseignements, un centre de situation responsable de la surveillance des
zones de crise) et enfin, la mise à disposition par les Etats membres de
" forces relevant de l'UEO ", parmi lesquelles plusieurs forces
multinationales telles que le Corps européen (Eurocorps), la force
opérationnelle rapide (Eurofor) ou encore la force maritime
européenne (Euromarfor).
Par ailleurs,
les positions des Etats européens
ont mieux pris en
compte la dimension européenne de la sécurité.
Attachée à la construction européenne mais consciente des
réticences de nos partenaires à s'affranchir du cadre de l'OTAN,
la France s'est rapprochée de certaines structures de l'OTAN (le Conseil
atlantique au niveau des ministres de la défense et le Comité
militaire), afin d'agir au sein même de l'Alliance en faveur des
intérêts européens. Par ailleurs, l'Allemagne de son
côté, a choisi de surmonter ses réserves traditionnelles
pour participer à des opérations de gestion de crise hors de ses
frontières. Elle a ainsi témoigné d'une
disponibilité nouvelle pour des engagements proprement européens.
Enfin, la concurrence aiguisée avec une industrie de défense
américaine entièrement restructurée a encouragé les
Européens à renforcer leur
coopération en
matière d'armement
à travers certains développements
institutionnels comme le groupe armement de l'Europe occidentale (GAEO),
créé en décembre 1992, ou les regroupements de certains
industriels.
2. Aucune avancée réelle
Malgré ce contexte favorable, le traité d'Amsterdam n'enregistre aucune avancée notable dans le domaine de la défense. Le statu quo l'a, en définitive, emporté sur deux points essentiels : la mise en place d'une défense commune et l'intégration de l'UEO au sein de l'Union européenne.
a) La mise en place d'une défense commune demeure hypothétique
Par
rapport à la formulation du traité de Maastricht, il convient de
noter deux infléchissements seulement :
• la PESC implique la
définition
" progressive "
et non plus " à terme "
d'une
politique de défense commune
(art. 17 § 1) -les
négociateurs ont ainsi voulu affirmer l'ouverture d'un processus et
d'une dynamique de rapprochement ;
• la dernière étape, la mise en place d'une
défense commune, demeure encore de l'ordre de l'hypothèse comme
en témoigne le maintien du conditionnel (la définition d'une
politique de défense commune "
pourrait
"
conduire
à une défense commune
). Cependant tandis que le traité
de Maastricht repoussait cet objectif à un horizon
indéterminé (le " moment venu "), le présent
traité a le mérite de préciser
la procédure
nécessaire à la concrétisation d'une défense
commune
en la subordonnant à une
double décision du
Conseil et des Etats membres
appelés à se prononcer selon
leurs exigences constitutionnelles respectives.
Ces modifications relèvent sans doute principalement de la
rhétorique, mais elles peuvent constituer une assise utile pour des
progrès à venir dans ce domaine quand, comme il faut
l'espérer, les esprits auront mûri en faveur d'une défense
européenne.
b) L'intégration de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) à l'Union européenne demeure " éventuelle "
Soumise
aux mêmes conditions que la mise en oeuvre d'une défense commune,
l'intégration de l'UEO à l'Union européenne requiert
une
décision unanime du Conseil puis l'accord de chaque Etat
membre
(art. 17§1). Aucun calendrier n'a été
fixé.
Pour notre pays, l'UEO a vocation à devenir l'instrument de
l'identité européenne de sécurité et de
défense dans une Alliance atlantique rénovée et
l'instrument militaire de l'Union européenne. La France avait
plaidé pour une intégration de l'UEO dans l'Union
européenne en plusieurs étapes, la première
débutant à l'entrée en vigueur du nouveau traité et
le passage aux suivantes relevant d'une décision du Conseil
européen. Elle s'était ralliée à cinq autres
pays
13(
*
)
pour proposer
l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne en trois phases,
à condition que la garantie de défense collective
instituée par l'UEO devienne facultative.
Toutefois, même réduite à une ambition plus modeste, cette
proposition n'a pu aboutir.
Comment en aurait-il été autrement tandis que la mise en place
d'une défense européenne sous la forme d'une UEO dotée de
véritables capacités opérationnelles se heurte à un
faisceau d'oppositions : d'une part, les préventions du Danemark et,
surtout, de l'une des principales puissances militaires européennes, le
Royaume-Uni, à la prise en charge par l'Union européenne de
responsabilités que ces pays jugent mieux assurées par
l'OTAN ; d'autre part, les réticences des Etats neutres dont il
importe de rappeler qu'ils représentaient le tiers des pays participant
à la CIG.