B. UNE PLUS GRANDE IMPLICATION DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES
1. Un léger infléchissement de la logique intergouvernementale
Sile traité d'Amsterdam maintient le troisième pilier sous le régime de la coopération intergouvernementale caractérisée d'une part par le rôle prépondérant du Conseil et, d'autre part, par la règle de l'unanimité , il innove sur deux aspects : la place reconnue à la Commission et au Parlement européen et la recherche de procédures de décisions plus efficaces.
a) Un nouveau rôle pour le Parlement européen et la Commission
La
Commission
• La Commission retrouve, pour la coopération policière et
judiciaire en matière pénale, une
capacité d'initiative
que lui avait déniéle traité de Maastricht dans ces
deux domaines (art. 34 § 2).
En outre, la Commission, il convient de le rappeler, est appelée
à présenter un avis sur une demande de coopération
renforcée (art. 40 § 2).
Le Parlement européen
Dans le dispositif précédent, la présidence devait
simplement informer régulièrement le Parlement européen et
le consulter sur les développements de la coopération
prévue par le troisième pilier.
• Désormais,
le Parlement doit être consulté par
le Conseil avant l'adoption des décisions cadre, décisions et
conventions
dans le domaine de la coopération policière et
judiciaire en matière pénale. Le Conseil détermine le
délai imparti au Parlement européen pour rendre son avis mais ce
délai, aux termes mêmes du traité, ne saurait être
inférieur à
trois mois
(art. 39 § 1).
b) L'assouplissement du processus décisionnel
La
France avait plaidé au moment de la Conférence
intergouvernementale pour une extension du vote à la majorité
qualifiée aux matières du troisième pilier pour
définir les règles minimales relatives aux éléments
constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans
les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du
trafic de drogue. Une évolution aurait sans doute pu se dessiner si
l'Allemagne n'avait, sous la pression des länder, refusé tout
passage à la majorité qualifiée.
Faute de modifier les procédures de décision, les
négociateurs ont cherché à donner une
plus grande
portée
aux différentes expressions des initiatives
européennes et aussi à favoriser
l'application des accords
internationaux
dans les domaines du titre VI.
Une plus grande portée pour les décisions du Conseil
Au delà de la
clarification
de certains instruments (comme la
position commune destinée à définir l'approche de l'Union
sur une question déterminée), le traité confère une
plus grande portée aux décisions qui continuent d'être
prises par le Conseil à l'unanimité.
Il supprime l'"action commune" dont le caractère obligatoire
prêtait à controverse et la remplace par
deux types d'actes
(art. 34 § 2) :
• une nouvelle catégorie d'actes,
les décisions-cadre
destinées à favoriser le rapprochement des dispositions
législatives et réglementaires des Etats membres, très
proches des directives communautaires dans la mesure où elles fixent une
obligation de résultat tout en laissant aux Etats le choix des moyens.
•
les décisions obligatoires
utilisées pour les
autres aspects de la coopération du titre VI (et ne pouvant donc avoir
pour objet le rapprohcement des dispositions nationales). Elles sont
sans
effet direct
dans les pays membres et leur mise en oeuvre repose sur des
mesures adoptées par le Conseil à la
majorité
qualifiée
.
Ces décisions auront principalement vocation à organiser des
opérations coordonnées de police, douane et justice sur le
territoire d'un ou de plusieurs Etats membres.
Les mesures d'application de ces décisions auront-elles un effet
direct ou impliqueront-elles le truchement de décisions de
caractère national ? Le gouvernement français récuse
la première interprétation : une mesure d'application ne saurait
conférer à une décision l'effet direct qui lui a
précisément été refusé par le traité.
La mise en place d'instruments plus rigoureux devrait contraindre les Etats
à s'affranchir des facilités de la rhétorique pour
progresser réellement dans la voie de la coopération. Il faut
prendre garde cependant au risque d'une double dérive :
- d'une part, dans le passé, des actes au caractère obligatoire
ont en fait servi de base à de simples déclarations ou
recommandations ;
- d'autre part, la formule des décisions-cadres peut prêter
à controverse ; la souplesse prêtée à cet instrument
peut aussi se retourner en moyen de blocage à l'échelle
nationale. L'hypothèse n'est d'ailleurs pas théorique ; ainsi, en
Allemagne, le Bundesrat a souhaité, au moment du débat sur la
ratification du traité d'Amsterdam, disposer d'un droit de veto sur les
projets pris sur la base d'une décision-cadre. Cette demande a
été repoussée par le gouvernement fédéral au
motif qu'elle pouvait conduire à effacer la distinction posée par
la loi fondamentale entre les intérêts éventuels des
länder -pris en compte par le gouvernement avant l'adoption d'un projet
européen et ceux qui ne le sont pas.
L'assouplissement des conditions d'application des conventions.
Dans le cadre d'une coopération intergouvernementale sur des domaines
relevant, pour de nombreux pays, des compétences du législateur
ou du constituant, l'instrument de la convention avait été
naturellement privilégié.
Toutefois, compte tenu de l'unanimité requise pour leur adoption comme
pour leur ratification, aucune convention, on le sait, n'est pour l'heure
appliquée faute de ratification par tous les Etats membres.
Ainsi, le traité innove-t-il d'une double manière :
• le Conseil fixe un
délai
aux Etats membres pour
engager les procédures de ratification
;
• surtout, les conventions entrent en vigueur dans les Etats membres qui
les ont adoptées à compter de leur ratification par la
moitié des Etats de l'Union européenne
.
Le verrou de l'unanimité n'est levé que pour la ratification ; il
continue de s'appliquer en revanche pour l'adoption des conventions au sein du
Conseil.
En revanche, le principe de la majorité des deux tiers continue de
s'appliquer aux mesures d'application de ces conventions.
Aux termes d'une déclaration (n° 9) de la Conférence
à l'Acte final, les initiatives et actes pris dans le cadre du
troisième pilier doivent être publiés au Journal officiel
des Communautés européennes.
*
Les dépenses opérationnelles entraînées par la mise en oeuvre du titre VI sont désormais à la charge du budget des Communautés européennes, sauf si le Conseil, statuant à l'unanimité, en décide autrement. Quand une dépense n'est pas mise à la charge du budget des Communautés, elle incombe alors aux Etats membres selon la clé du PNB, à moins que le Conseil, à l'unanimité n'en décide autrement (art. 41).
2. Une compétence reconnue mais encadrée de la Cour de justice
L'intervention de la Cour de justice dans les domaines
couverts par
le troisième pilier paraît soumise à des
préoccupations contradictoires
. D'un côté, elle
répond au souci d'apporter les garanties nécessaires aux droits
individuels dans un domaine sensible par un contrôle juridictionnel et
ainsi assurer le respect de leurs obligations par les Etats membres. De
l'autre, elle se heurte au souci des Etats de se prémunir d'un
contrôle -par ailleurs entendu souvent de façon extensive- sur des
sujets qui intéressent si étroitement les souverainetés
nationales.
Ces préventions avaient dominé au moment de la signature du
traité de Maastricht et la reconnaissance de la compétence de la
Cour de justice avait été étroitement circonscrite
à l'interprétation des conventions dans le cadre du
troisième pilier, dans la mesure, du moins, où celles-ci
prévoyaient un tel contrôle. Même dans de telles limites, la
compétence de la Cour avait constitué un point de divergence
majeur entre les parties en présence en raison notamment de l'opposition
forte du Royaume-Uni à quelque rôle que ce soit de la Cour dans
les matières du troisième pilier. Ainsi l'adoption de la
convention Europol s'était heurtée longtemps à
l'hostilité de Londres avant que la question de la compétence de
la Cour de justice pour l'interprétation de la convention Europol ne
finisse par trouver une solution de compromis dans le cadre d'un protocole
séparé.
Cette solution de compromis a d'ailleurs inspiré directement le
dispositif du traité d'Amsterdam : une reconnaissance d'une
compétence de principe de la Cour de justice assortie de nombreuses
exceptions.
a) Le recours à titre préjudiciel sur les mesures prises dans le cadre du troisième pilier : une faculté ouverte aux Etats membres
Le
dispositif retient trois principes (art. 35 § 3).
• En premier lieu,
la reconnaissance de la compétence de la
Cour
de justice pour statuer sur la validité ou
l'interprétation des actes liés au troisième pilier
demeure une
simple faculté
ouverte à tous les Etats
membres au moment de la signature du traité d'Amsterdam et après
cette date.
• En second lieu, la reconnaissance de cette compétence laisse le
choix entre deux options : la possibilité de saisir la Cour de justice
est ouverte à toutes les juridictions de chaque Etat-membre
ou
réservée aux
seules juridictions nationales dont les
décisions ne sont pas susceptibles d'un recours
juridictionnel de
droit interne.
• Enfin, tout Etat-membre a le droit, qu'il ait ou non fait une
déclaration reconnaissant la compétence de la Cour de justice, de
déposer devant cette instance un mémoire ou des observations
écrites dans les affaires sur lesquelles elle doit se prononcer dans le
cadre d'un recours à titre préjudiciel.
La France, notamment, a choisi la formule selon laquelle seules les
juridictions suprêmes peuvent saisir la Cour de justice d'un recours
à titre préjudiciel.
Pour notre gouvernement, cette position, conforme du reste à celle
adoptée à l'égard de la convention Europol, permet de
limiter le nombre de questions préjudicielles soumises à la Cour
de justice aux seuls problèmes de principe. Dans cette perspective, il a
paru préférable de laisser aux plus hautes juridictions
françaises le soin de sélectionner les questions dont la
complexité appelle la saisine de la CJCE.
L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Grèce et le Luxembourg ont,
pour leur part, non seulement choisi la deuxième option, mais
indiqué également qu'ils se réservaient le droit de
prévoir dans leur droit interne que les juridictions dont les
décisions ne sont pas susceptibles d'un recours n'ont pas la
faculté mais l'
obligation
de saisir la Cour de justice.
D'autres pays, comme les Pays-Bas, s'ils reconnaissent la compétence de
la Cour de justice, n'ont pas encore opté pour l'une ou l'autre des
formules proposées par le traité.
b) Les spécificités des conditions d'intervention de la Cour de justice par rapport aux principes du droit commun
La Cour
de justice exerce par ailleurs sur le troisième pilier les
compétences qui lui ont été reconnues pour l'ensemble des
traités. Mais ce principe de base souffre de nombreuses exceptions.
• En premier lieu, la Cour assure le
contrôle de la
légalité des décisions-cadre et des décisions
lorsqu'elle est saisie d'un recours en annulation formé par les
Etats-membres ou la Commission dans un délai de deux mois à
compter de la publication de l'acte. En revanche les
recours
formés par une personne physique ou morale (art. 35 § 5)
prévus par le traité communautaire (art. 230)
ne sont pas
recevables.
• La compétence de la Cour pour
statuer sur tout
différend entre Etats-membres
ne s'exerce qu'en l'absence d'une
solution de compromis qu'il incombe d'abord au conseil de promouvoir dans un
délai de six mois à compter de la saisine par l'un des Etats
membres. Dans le droit commun, la compétence de la Cour se fonde sur un
simple accord entre Etats membres.
• Par ailleurs, la compétence de la Cour pour régler les
différends entre Etats membre et Commission porte sur la
seule
interprétation et application des conventions
et non sur les autres
instruments.
Ensuite, la Cour de justice n'a
pas le pouvoir de constater le manquement
d'un Etat
à ses obligations à la demande de la Commission
comme cette faculté lui est donnée dans le traité
communautaire (art. 226).
Enfin, la Cour de justice n'a pas de compétence pour contrôler les
opérations menées par la police ou d'autres services
répressifs d'un Etat membre ou se prononcer sur l'exercice des
responsabilités assurées par les Etats pour le maintien de
l'ordre public (art. 35 § 5). Une déclaration (n° 7) jointe au
traité le confirme, les Etats placent les actions de coopération
policière sous le contrôle juridictionnel prévu par leurs
règles nationales.
*
* *
Malgré le maintien de la passerelle instaurée parle traité de Maastricht permettant au Conseil, à l'unanimité, de placer sous le régime communautaire les actions relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (art. 42), aucun Etat n'envisage vraiment aujourd'hui de sortir pour ces matières du cadre intergouvernemental. L'extension du vote à la majorité qualifiée pourrait cependant favoriser des progrès certains au moment où le développement d'une criminalité internationale rend plus que jamais nécessaire un effort mieux coordonné. Aujourd'hui, seul l'instrument des coopérations renforcées, malgré ses limites, ouvre la possibilité d'évolutions plus rapides à l'image des avancées accomplies dans le cadre de Schengen.