b) La question de la légitimité des aides agricoles
Actuellement, peuvent être classées parmi
les
aides de la boîte verte, les indemnités compensatrices de
handicaps naturels (ICHN), les mesures agri-environnementales, les aides
à l'installation, à la cessation d'activité...
La Commission Européenne propose un plus grand découplage des
aides de la production à travers :
- un calcul des niveaux d'aides qui n'est plus indexé sur les
baisses de prix institutionnels ou sur les variations effectives de prix de
marché (cas de l'aide actuelle aux oléagineux) ;
- des aides directes forfaitaires qui ne dépendent plus du type de
production : aide de base commune aux céréales,
oléoprotéagineux avec toutefois un complément pour les
protéagineux ; objectif d'aide unique à la vache qu'elle soit
laitière ou allaitante.
Néanmoins, le découplage proposé reste limité
:
- compte tenu des modalités qui risquent d'être retenues :
marginalisation des compléments extensifs, prise en compte des
rendements pour la prime vache laitière... ;
- en raison du niveau de soutien qui risque d'être attaqué au
regard de son importance dans la formation du revenu agricole. Le degré
de dépendance des revenus est, en effet, plus important dans l'Union
Européenne que dans les autres grands pays agricoles. Une étude
de J-C Debar a ainsi montré qu'en moyenne sur 1992-1994, ces
données sont respectivement pour la France de 15 % et 53 %. La
comparaison avec 1996 serait encore plus probante, compte tenu de la
progression des aides de la réforme de la PAC sur 1993-1995. Par
ailleurs, l'application du nouveau Farm Bill aux Etats-Unis devrait à
terme se traduire par une réduction de l'importance des aides dans le
revenu, alors que le paquet Santer conduit à une substitution accrue des
prix par les aides directes.
D'après les simulations ROSACE, les aides directes pourraient
représenter jusqu'à 200 à 300 % chez un
spécialisé SCOP, 200 à 400 % chez un
spécialisé viande bovine et 60 à 170 % dans les
systèmes laitiers. Quel que soit le découplage introduit, en
imaginant même une aide directe à l'agriculteur, il sera difficile
de montrer que les subventions n'ont pas de lien avec la décision de
produire alors que, sans elles, l'agriculteur serait contraint de cesser son
activité.
Il est donc prévisible que le droit à subventionner l'agriculture
dans de telles proportions fera l'objet de plus âpres négociations
que la manière de subventionner. Si l'enjeu est effectivement plus le
niveau du soutien direct que le découplage, les propositions du paquet
" Santer " contribuent à accentuer la fragilité du
soutien Européen à l'agriculture.
Or, la recherche d'une plus grande légitimité du soutien
vis-à-vis de l'opinion publique est, en effet, une
nécessité :
- pour justifier auprès de la société le niveau de
soutien accordé à l'agriculture. Cet effort de
légitimité paraît d'autant plus nécessaire que l'on
se situe dans un contexte de rigueur budgétaire et d'exclusion sociale
par le chômage et que l'image de l'opinion publique sur l'agriculture est
troublée par divers problèmes sanitaires et écologiques ;
- pour mettre en cohérence la politique d'aides directes de la PAC
avec le modèle de développement de l'agriculture que l'on
défend. Même si les aides ont pour première vocation et
justification de compenser les baisses de prix, elles constituent
également un levier pour favoriser les objectifs d'équilibre
entre productions et entre régions, de territorialisation de la
production, de maintien d'une agriculture plurielle, nombreuse et reproductible.
Les propositions de la Commission ne vont pas dans ce sens.
Au
contraire, elles conduisent à des aides directes plus discutables que
celles instaurées ou renforcées en 1992 vis-à-vis de la
société.
Par ailleurs, ce n'est pas la modulation -ou la subsidiarité- qui
permettra de justifier -au nom de l'éco-conditionnalité et de
l'emploi- et de stabiliser des niveaux d'aide qui pourront représenter
jusqu'à 100, voire 200 %, du revenu, ce qui renvoie au rôle
de la politique des prix.
Tout en refusant d'intégrer la PAC au sein d'une politique rurale
intégrée communautaire (PRIC) comme le suggérait le
document de stratégie agricole -
ou proposition Fischler- de
décembre 1995,
la mission d'information souhaite valoriser le
rôle multifonctionnel de l'agriculture.
La mission d'information a conscience qu'il faut s'attendre
à ce que
la justification des paiements compensations issus de la réforme de la
PAC de 1992 soit de plus en plus contestée
alors que
les citoyens
accordent une importante croissante (...) aux notions de qualité, de
santé, de développement personnel et de loisirs
et que
les
zones rurales sont exceptionnellement bien placées pour répondre
à ces attentes
.
La mission d'information s'interroge sur les véritables objectifs qui
guident la
Commission Européenne. En décembre 1995, le
document de stratégie agricole présenté par
M. Fischler tendait à fondre la PAC au sein d'une grande politique
rurale communautaire (PRIC) en vue de " promouvoir " le rôle
multifonctionnel de l'agriculture ". Or, ce projet aurait eu de graves
répercussions sur l'agriculture en confondant notamment les objectifs
économiques et non économiques de la politique agricole. Le
danger ne résidait pas dans le découplage des aides mais dans le
recouplage des aides au revenu à des critères sociaux ou
environnementaux, qui sont hors du champ de la politique agricole proprement
dite. La PAC et la PRIC visaient des objectifs distincts et ne pouvaient donc
pas être substitués l'un à l'autre. L'efficacité des
politiques publiques commande de traiter chaque objectif avec des instruments
différents, et présentant le moins d'incompatibilité entre
Moins de deux ans plus tard, la Commission Européenne propose des
orientations en matière d'aides directes qui s'avèrent
extrêmement fragiles car elles ne sont justifiées :
-
ni par le marché
puisqu'elles perdent leur caractère
strictement compensatoire par rapport à une baisse des prix ;
-
ni par la volonté de défendre un type d'agriculture
au niveau Européen, puisque les choix sont différents selon les
productions.
La Commission propose un découplage difficilement défendable dans
le cadre de l'OMC, en laissant, d'une part, à la seule
subsidiarité la possibilité d'instaurer des critères
territoriaux et environnementaux et en mettant, d'autre part, en contradiction
entre elles, ses propres propositions dans les différents secteurs.
Pour la mission d'information, la proposition de la
Commission :
- risque de ne pas répondre à la problématique
extérieure des aides directes liée à la prochaine
négociation de l'OMC au cours de laquelle la question du
découplage fera l'objet de négociations ;
- s'éloigne des préoccupations de l'agriculture
Européenne, pour laquelle les aides directes doivent évoluer,
à la fois pour des raisons d'équilibre au sein de ce secteur et
dans un souci de légitimation du soutien auprès de l'opinion
publique.
Les orientations de la
Commission sont
donc très confuses.
La mission d'information considère, en accord avec les conclusions du
groupe " Demeter " que :
- la politique agricole répond à une pluralité
d'objectifs économiques. C'est une politique sectorielle, qui doit
conserver sa cohérence interne, tout en étant incompatible avec
les autres politiques ;
- le découplage est une modalité de la politique agricole,
non de la politique rurale, comme le laissait entendre il y a deux ans
M. Fischler. La réalisation des objectifs de la PAC
(approvisionnement des consommateurs, contribution à la
sécurité alimentaire mondiale), et la prise en compte des
contraintes Européennes (intégration des PECO) et internationale
(futures négociations à l'OMC) conduisent à la recherche
d'un équilibre entre un découplage accru des aides directes et le
maintien d'instruments de régulation du marché ;
- Si un certain accroissement du découplage paraît
inéluctable dans les années à venir, cet accroissement a
lui-même ses limites. En effet la part de l'aide dans le revenu total des
producteurs ne doit pas dépasser un certain seuil, au-delà duquel
la viabilité du système est mise en cause. Par ailleurs,
l'introduction d'aides totalement découplées de la production,
telle qu'une aide à la personne, semble difficilement concevable en
Europe, sauf à créer un dispositif complètement
inintelligible et une rupture radicale avec l'histoire de la politique agricole.
- Le problème n'est pas d'être pour ou contre le
découplage, mais de savoir comment l'utiliser afin de mieux
légitimer les aides.