D. PRÉSERVER LA FILIÈRE LAITIÈRE
1. Les spécificités de la politique laitière
Les propositions de la Commission paraissent
incohérentes à un triple égard :
- elles font coexister maîtrise quantitative et baisse des prix, ce
qui entraîne au niveau des exportations la gestion d'un quota de
production et la gestion d'un quota de primes ;
- elles sont inefficaces pour contourner la contrainte GATT, la baisse des
prix étant insuffisante pour exporter significativement sans restitution
;
- elles génèrent un coût budgétaire
supplémentaire exorbitant au regard de l'efficacité attendue.
Par ailleurs, la baisse des prix institutionnels (beurre et poudre de lait) et
des restitutions sur les exportations tendent à accréditer
l'idée selon laquelle la politique laitière Européenne
risque, après 2006, de s'orienter vers un libéralisme sans frais
(baisse des prix partiellement compensée, disparition des quotas,
démantèlement des différentes modalités
d'intervention et de gestion du marché).
On peut s'interroger sur l'opportunité de vouloir modifier si
radicalement une politique qui a, dans l'ensemble, réussi :
La consommation des produits laitiers Européens continue de
croître sur le marché pourtant limité -si l'on
considère le marché solvable- de la consommation alimentaire :
c'est le résultat de la démarche de qualité et
d'innovation de la filière qui, par la diversité des gammes de
produits qu'elle propose, sait s'adapter à l'évolution et aux
modifications du comportement alimentaire. En outre, le marché mondial
des produits laitiers est en expansion en volume à raison de 2 %
par an ;
La plupart des observateurs estiment qu'une baisse significative du prix du
lait n'aurait qu'un effet mineur quant à la dynamique de consommation
des produits laitiers ;
Une maîtrise de la production efficace, grâce à la mise en
place de la politique des quotas en 1984, a conduit, après quelques
ajustements, à une gestion équilibrée du marché des
produits laitiers tant sur le marché intérieur Européen
que sur les marchés mondiaux ;
Le coût budgétaire du soutien de la production laitière et
modique pour le budget du FEOGA et bien inférieur au poids relatif de la
filière dans le secteur agro-alimentaire ;
Une évolution structurelle importante et équilibrée sur
l'ensemble du territoire a pu être assurée en France, grâce
à la politique de contrôle des transferts de
références laitières gérée de façon
décentralisée. Entre 1984 et 1997, la référence
moyenne de chaque producteur français est passée de
60.000 litres à 160.000 litres sans transfert entre les zones
de montagne et les zones spécialisées dans la production
laitière.
La mission d'information souhaite insister sur le fait qu'aucun des
grands pays producteurs laitiers (Canada, Etats-Unis, Inde, Australie) n'est
prêt à abandonner sa politique laitière pour mieux
s'aligner sur les fluctuations du marché mondial
, et qu'aucun ne
demande à l'Europe d'abandonner sa politique de maîtrise de la
production, qui a indirectement contribué à l'équilibre du
marché mondial.
Rappelons que les échanges mondiaux de produits laitiers ne portent que
sur 30 millions de tonnes d'équivalent lait quand la production
mondiale s'élève à 540 millions de tonnes, soit moins
de 6% de celle-ci.
Par ailleurs, le poids des PECO dans cette filière est relativement
modeste :
32 millions de tonnes dont 50% de produits pour la Pologne
alors que la production Européenne est d'environ 110 millions de
tonnes dont 23 millions pour la France.
Les exportations laitières de l'Europe à Quinze -premier
exportateur mondial de produits laitiers -ne représentent que 11% de la
production laitière Européenne-.
Pourquoi alors se hâter d'adopter un système de paiement du
lait fondé uniquement sur le marché international de la poudre et
du beurre
? N'est-ce pas lâcher la proie pour l'ombre, sans
bénéfice assuré ni pour le contribuable Européen
qui devra financer des aides compensatoires importantes, ni pour
l'éleveur laitier Européen dont le revenu dépendra pour
une large part de décisions arbitraires et vouées aux
fluctuations des interventions publiques ?
Comme l'a indiqué M. Jean-Michel Lemetayer, Président de la
Fédération nationale des Producteurs de lait et du Centre
national interprofessionnel de l'Economie laitière, les pays du Nord de
l'Europe, plus libéraux, ont cherché à assurer la
flexibilité des quotas par le marché de la location de droits
à produire, voire par la vente de ces droits. Tant et si bien que le
bilan de ces exploitations est grevé par des actifs immatériels
qui obèrent les capacités de financement de ces exploitations.
Pour beaucoup de ces exploitants, la disparition des quotas se traduirait
à moyen terme par une baisse des coûts.
Dans le sud de l'Europe, le système des quotas est synonyme de
référence archaïque, définie dans des conditions
historiquement datées, durant la période 1981-1983, à un
moment où ces pays attachaient peu d'importance à la production
laitière. Aujourd'hui, du fait du développement de la
consommation, leur auto-approvisionnement laitier n'est pas assuré.
Aussi, réclament-ils une réévaluation de leur quota. Il
n'est qu'à voir les nombreuses manifestations des producteurs de lait
italiens à ce sujet.
Enfin, l'Allemagne, qui n'a pas mis au point un système de
redistribution des quotas, est gênée par le décalage qui se
développe entre détenteurs des droits à produire et
utilisateurs effectifs de ces droits, qui louent fort cher les quantités
supplémentaires qui leur sont accordées.